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Laure Murat: la défense des œuvres contre les ravages du «wokisme»

Quand la gauche est quasiment sur le point de dire que le wokisme et les « sensibility readers » vont trop loin…


Professeur d’université à Los Angeles, Laure Murat, née en 1967, a publié des ouvrages dans lesquels elle fait preuve d’une approche originale de la littérature. Ainsi, nous avions beaucoup aimé Relire : une enquête sur une passion littéraire, en 2015, consacré à la relecture incessante des mêmes ouvrages, si possible des classiques. Laure Murat est également une « proustienne » confirmée, ce que nous démontrait récemment son Proust, roman familial, prix Médicis 2023, où elle décrivait comment elle s’intégrait, de par ses origines familiales, au petit monde très fermé de l’auteur de La Recherche. Après cela, nous ne l’attendions pas sur un sujet plus terre à terre, mais crucial : la réécriture de certains textes célébrissimes, afin de les adapter au politiquement correct de l’époque. Sincèrement passionnée par la littérature, Laure Murat s’inquiète du non-respect de l’intégrité des œuvres, dans le climat intellectuel d’aujourd’hui obsédé parun « wokisme » patenté, qui gagne de plus en plus de terrain. Dans ce petit livre qui paraît chez Verdier, Toutes les époques sont dégueulasses, Laure Murat déplore ces nouvelles mœurs qui touchent l’édition de best-sellers, comme Dix petits nègres d’Agatha Christie ou les James Bond de Ian Fleming, et d’autres encore.

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La confusion du débat actuel

Laure Murat note la « confusion du débat actuel ». Ce qui l’amène à distinguer entre « réécrire », où l’on réinvente une forme nouvelle, comme Racine avec ses pièces de théâtre, et « récrire », où l’on remanie un texte jusqu’à plus soif, pour lui redonner tel ou tel vernis. Le premier est un acte artistique, alors que le second s’apparente à un travail de correction, pour ainsi dire : de « rewriting ». Ainsi, le roman d’Agatha Christie, Dix petits nègres, devient Ils étaient dix, avec au passage la suppression du mot « nègre » qui pose problème désormais. Laure Murat se demande si le sens du livre n’en est pas changé, question très délicate. Elle ajoute aussi : « Gommer le racisme de l’auteur ou de l’autrice c’est une chose. Mais celui des personnages ? » Il se trouve que le détective des romans d’Agatha Christie, Hercule Poirot, est très probablement antisémite (il s’exclame quelque part : « Un Juif, bien sûr ! »). C’est insupportable, mais Laure Murat observe : « En tant que lectrice, n’est-ce pas utile que je connaisse les préjugés antisémites du détective belge ? » La remarque me semble pertinente. Effacer un terme ou une expression ne changera pas grand-chose, de toute façon. Le ver est dans le fruit : « Extirper d’un texte, écrit Laure Murat, ici un mot insultant, là un adjectif désobligeant revient à sortir des poissons crevés d’une eau qui, de toute façon, est empoisonnée. »On corrige la lettre, mais pas l’esprit…

Cynisme marchand

Récrire des classiques apparaît dès lors comme une chose inutile et même nuisible, cela nous semblera presque évident. Mais Laure Murat n’en reste pas là. Elle met en question le véritable motif de cette destruction programmée des textes originaux, revendiquée au nom des plus hauts principes moraux. Là encore, on est loin du compte. Laure Murat rectifie ce faux-semblant, en avançant une autre explication, bien plus prosaïque : « Dans la plupart des cas, la visée n’est pas prioritairement la morale, l’antiracisme ou la lutte contre les violences sexistes, comme on essaie de nous le faire croire, mais plus simplement l’argent. » Les livres d’Agatha Christie avec Miss Marple, ceux de Ian Fleming avec James Bond, etc., deviennent « ringards », et il faut les remettre au goût du jour. Les récrire est une volonté des éditeurs, angoissés de voir les ventes baisser. En réalité, réactualiser un vieux livre est uniquement motivé par le cynisme marchand de l’économie libérale, et non plus par une authentique nécessité idéologique.

À ne pas manquer, notre nouveau numéro en vente: Causeur #135: A-t-on le droit de défendre Israël?

Faire disparaître les traces

Laure Murat, c’est une qualité qu’il faut lui reconnaître, fait passer son honnêteté intellectuelle avant ses propres convictions politiques. Elle pointe ainsi sans hésiter ce qu’elle appelle « l’erreur de la gauche », qui serait de « faire passer pour des améliorations, voire une modernisation de la lecture, de vulgaires trucages intéressés, motivés par l’appât du gain ». D’ailleurs, dirons-nous, une véritable position de gauche ne consisterait-elle pas à laisser les textes intacts, pour mieux dénoncer les situations qu’ils relatent ? Il ne faut pas « priver les opprimés de l’histoire de leur oppression », avertit Laure Murat. Il ne faut pas faire disparaître les preuves.

Dans ce livre extrêmement efficace (dont le titre Toutes les époques sont dégueulasses est puisé chezAntoninArtaud), Laure Murat accomplit, avec une grande pertinence, le tour de la question. Elle n’hésite pas à polémiquer, estimant que la pensée wokiste va souvent trop loin. Néanmoins, et ce point me chiffonne un peu, elle ne croit pas qu’il faut parler de censure lorsqu’on récrit des classiques. Car, au fond, pense-t-elle, c’est au lecteur de juger, et il peut choisir, au lieu de la version modernisée, de lire le texte original — du moins tant que celui-ci est encore disponible en librairie…

Il y a certes un danger dans la culture, qui est déjà là, et que Laure Murat décrit avec intelligence et profondeur.

Laure Murat, Toutes les époques sont dégueulasses, « Ré(é)crire, sensibiliser, contextualiser ». Éd. Verdier, 77 pages.

Les répercussions de la victoire de Nawrocki en Pologne

La Pologne semble prête à replonger dans le conservatisme, ou, diront certains à Bruxelles, l’illibéralisme. Un vote de confiance, prévu le 11 juin, apparait comme un quitte ou double pour un Donald Tusk en sursis.


L’élection de Karol Nawrocki, conservateur et pro-Trump, le 1er juin dernier à la présidence polonaise ne bouleverse pas l’équilibre institutionnel du pays. Mais elle marque un retour des conservateurs dans un pays bien plus puissant qu’il ne l’était à la fin des années du parti Droit et Justice (PiS). 

Son élection remet en cause l’élan pro-européen enclenché depuis 2023 par Donald Tusk, ce qui pourrait provoquer une recomposition politique de grande ampleur et déstabiliser l’ensemble du flanc est de l’Union européenne.

Une Pologne redevenue « fréquentable »

La Pologne oscille entre tentations communautaires autour du projet européen et révolution conservatrice d’un peuple qui ne veut pas mourir. 

De 2015 à 2023, le parti Droit et Justice (PiS) a gouverné le pays, portant parfois atteintes à l’indépendance de la justice, à la liberté de la presse et aux droits fondamentaux. En opposition constante avec Bruxelles, Varsovie s’était rapprochée de Budapest, formant avec Viktor Orban un bloc illibéral hostile aux ingérences de Bruxelles. Dans ce duo, la Pologne apparaissait plus puissante, mais aussi plus isolée. Une Europe à deux vitesses entre celle des libéraux et des conservateurs se dessinait alors.

Mais, avec la victoire de Donald Tusk en 2023, qui fut saluée comme un retour de la Pologne au cœur de l’Europe, cette époque semblait révolue. L’ancien président du Conseil européen incarne une Pologne ouverte, libérale, déterminée à restaurer l’État de droit et à réengager un dialogue constructif avec Bruxelles. Ses premiers mois au pouvoir ont permis de débloquer les fonds européens gelés, de relancer la coopération en matière de défense, et de redonner à Varsovie un rôle central dans le soutien à l’Ukraine. La Pologne était redevenue fréquentable, mieux : elle était redevenue stratégique.

Une onde de choc aux conséquences importantes

Karol Nawrocki n’a pas les clés du gouvernement, mais il a celles du blocage. En tant que président, il dispose d’un droit de veto législatif qu’il faut une majorité qualifiée (trois cinquièmes des voix) pour surmonter. Or, la coalition de Tusk ne dispose que d’une majorité simple. En d’autres termes, toutes les grandes réformes (de la justice aux médias publics en passant par l’éducation) risquent désormais de se heurter à une opposition présidentielle déterminée.

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Pour réagir, Donald Tusk a convoqué un vote de confiance, prévu le 11 juin. L’objectif : tester la solidité de sa majorité, donner un signal de fermeté, mais aussi, peut-être, provoquer un électrochoc politique. Car sa coalition est fragile, fondée sur des équilibres instables. Si le vote tourne à l’échec, la perspective d’élections législatives anticipées deviendra réelle. Et dans le climat actuel, les sondages indiquent une dynamique en faveur du PiS, qui pourrait reprendre le pouvoir, cette fois avec l’appui de forces encore plus radicales. Le court épisode libéral de 2023-2025 serait alors effacé par une vague conservatrice assumée. 

Le pire scénario pour Bruxelles

À Bruxelles, cette perspective inquiète. Premièrement, la Pologne pourrait être un nouveau pays politiquement paralysé après la situation de blocage en France, en Espagne et en Allemagne. Si Donald Tusk perd son vote de confiance, le pays pourrait entrer dans une période d’instabilité prolongée avec une future campagne électorale dure. Si, au contraire, sa majorité résiste, il devra composer avec un président hostile, forçant des compromis ou condamnant certaines réformes à l’enlisement. Or, la Pologne, pays dépensant le plus pour sa défense désormais, avait retrouvé ces derniers mois une place centrale dans l’équation européenne, au moment même où l’Union fait face à des défis inédits : la guerre en Ukraine et l’élection de Donald Trump. 

Deuxième crainte, le retour de la vague populiste et néoconservatrice. Karol Nawrocki défend une lecture conservatrice, religieuse et nationaliste de l’histoire polonaise. Très proche des milieux catholiques traditionnalistes, il a, dès son discours de victoire, mis en avant les « racines chrétiennes » de la nation et dénoncé « les tentations idéologiques venues de l’Ouest ». Après la défaite de l’AUR en Roumanie, l’Europe avait cru avoir contenu la contagion populiste, mais la séquence polonaise pourrait relancer l’offensive des droites illibérales avec la Hongrie d’Orban, la Slovaquie de Fico, et peut-être bientôt la Tchéquie (avec des élections en octobre), pour constituer un nouvel axe de blocage. Ces pays, bien que parfois isolés, savent s’allier pour neutraliser les projets communautaires : conditionnalité des fonds européens, sanctions contre la Russie, réforme institutionnelle, etc. Autant de chantiers qui pourraient être bloqués par un axe de refus assumé.

Troisième crainte, au moment où l’Union européenne cherche à s’affirmer comme puissance géopolitique, à renforcer son autonomie de défense et à préparer son élargissement vers les Balkans et l’Est, toute division interne est un coup porté à sa crédibilité. Une Pologne qui bloque, qui réactive ses vieux contentieux juridiques et qui s’isole à nouveau serait une entrave majeure à ces ambitions. D’autant plus que Varsovie est un acteur central de la politique de soutien à l’Ukraine. Si elle change de ligne, ou si elle s’enlise dans une crise institutionnelle, l’impact pourrait être régional.

L’élection de Karol Nawrocki à la présidence polonaise ne doit pas être sous-estimée. Ce n’est pas un simple changement de visage à la tête de l’État : c’est un signal, une alerte, un réveil. Elle montre que le reflux populiste n’est pas acquis, que les équilibres libéraux restent fragiles. Les élections polonaises ont montré que le pays reste divisé entre deux franges que tout oppose. Ce clivage, à l’image de ce qu’on peut observer dans d’autres pays, ne constitue pas une exception polonaise, mais une tendance de fond qu’il ne faut pas prendre à la légère. 

Pierre Clairé, Directeur adjoint des Etudes du think-tank gaulliste et indépendant Le Millénaire, spécialiste des questions internationales 

Marine Audinette, Analyste au Millénaire

Le Soudan entre médiations en échec et conflit complexe: une paix otage de calculs internes et d’ingérences étrangères

Le conflit au Soudan oppose les Forces armées soudanaises (FAS), dirigées par le général Abdel Fattah al-Burhan, soutenues par des islamistes et attachées à un pouvoir central autoritaire, aux Forces de soutien rapide (FSR) du général Hemedti, qui se présentent comme favorables à une transition civile et à un État fédéral. Après plus de deux ans de guerre, le conflit est enlisé, les médiations internationales ont échoué, et le pays est plongé dans une crise humanitaire majeure aggravée par des tensions ethniques. Analyse.


Plus de deux ans et deux mois après le déclenchement de la guerre entre les Forces armées soudanaises, dirigées par le général Abdel Fattah al-Burhan, et les Forces de soutien rapide, menées par le général Mohamed Hamdan Dagalo (Hemedti), le paysage soudanais s’enlise dans une crise multidimensionnelle, où s’entrelacent les intérêts régionaux et les dynamiques locales, tandis que les tentatives de médiation internationale échouent face à une réalité politique et sécuritaire d’une extrême complexité.

Selon les estimations des Nations Unies, la guerre a engendré plus de 15 millions de déplacés internes et de réfugiés, tandis que des milliers de personnes ont été tuées dans le cadre d’opérations militaires incontrôlées. Le Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés a qualifié la situation de « l’une des pires catastrophes humanitaires actuelles », avertissant que « le conflit menace de déchirer entièrement le Soudan et d’entraîner toute la région dans une instabilité durable ».

Des médiations piégées : échec récurrent ou absence de volonté ?

En mai 2023, l’Arabie Saoudite et les États-Unis ont lancé l’initiative de Djeddah pour établir un dialogue direct entre les deux parties belligérantes. Bien qu’un accord de principes ait été signé, engageant les parties au respect du droit humanitaire et à faciliter l’acheminement de l’aide, celui-ci est resté lettre morte. Un rapport de l’International Crisis Group (ICG) publié en décembre 2024 souligne que « l’initiative de Djeddah manque de mécanismes de suivi concrets, les engagements reposant uniquement sur la bonne foi des parties ».

Par ailleurs, les efforts de médiation régionaux menés notamment par l’Union africaine et l’organisation IGAD ont échoué, en raison des divisions internes au sein des instances régionales et des ingérences divergentes d’acteurs internationaux aux intérêts contradictoires.

La souffrance des civils : tragédie continue et accusations croisées

Au Darfour, l’une des régions les plus touchées, les populations font face à des menaces répétées de massacres et de déplacements forcés. Le 4 juin 2025, Human Rights Watch a publié un rapport documentant l’utilisation par l’armée soudanaise de bombes non guidées lors de bombardements sur des quartiers résidentiels de la ville de Nyala, causant des dizaines de morts un acte qualifié par l’organisation de « violation flagrante du droit de la guerre ».

Un précédent rapport publié le 25 février 2025 avait révélé un massacre dans le village de Tayba, dans l’État d’Al Jazira, perpétré par des milices islamistes alliées à l’armée. Ce massacre a coûté la vie à 26 civils, majoritairement des femmes et des enfants, et a été qualifié de « crime pouvant relever du nettoyage ethnique ».

Conflit d’intérêts : coup d’arrêt à la transition civile et retour des ambitions islamistes

La crise dépasse désormais le cadre militaire pour refléter un conflit politique interne exacerbé. Depuis le coup d’État d’octobre 2021, au cours duquel l’armée dirigée par Al-Burhan a renversé le gouvernement civil de transition, toutes les tentatives de former un gouvernement consensuel ont échoué. Les islamistes cherchent à rétablir leur influence historique sur l’État, notamment au sein de l’armée et des services de sécurité.

Selon Rosalind Marsden, spécialiste de la Corne de l’Afrique au sein du think tank Chatham House : « L’armée soudanaise n’a jamais réellement rompu avec son alliance avec les islamistes, malgré ses prétentions de neutralité. Des alliances discrètes entre hauts gradés de l’armée et les réseaux de l’ancien régime entravent tout véritable processus de démocratisation ».

Cette collusion suscite l’inquiétude des mouvements civils armés, tels que le Mouvement pour la justice et l’égalité et l’Armée de libération du Soudan – branche Minni Minawi, qui réclament un rééquilibrage politique fondé sur l’Accord de paix de Juba signé en 2020. Cependant, les rivalités autour du partage du pouvoir et des ressources ont paralysé la transition et rendu toute médiation internationale otage de ces divisions internes.

Tensions ethniques et tribales : le Darfour comme miroir des fractures

Au cœur de la crise, le Darfour subit une intensification des tensions ethniques, notamment contre des groupes non arabes tels que les Zaghawas. Un rapport publié par le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA) en mai 2025 indique que le déplacement forcé des populations zaghawas a dépassé les 220 000 personnes en un an, en raison d’attaques menées par des groupes paramilitaires soutenus par l’armée.

Des analystes estiment que cette marginalisation systématique exacerbe le sentiment d’exclusion parmi plusieurs communautés africaines du Soudan, risquant de transformer le conflit politique en guerre ethnique à grande échelle, difficilement maîtrisable.

Entre idéologie et terrain : polarisation extrême sans issue

Les Forces de soutien rapide ont tenté de se repositionner comme un acteur ouvert au dialogue avec les civils. Elles ont exprimé leur disposition à accepter des revendications politiques liées à un État fédéral, à la justice transitionnelle et à un cessez-le-feu une attitude qui leur a valu un certain soutien parmi la jeunesse, les mouvements civils et les courants laïques.

De leur côté, les forces armées s’appuient sur le soutien des islamistes, qui considèrent les revendications civiles comme une menace à « l’identité islamique de l’État ». Le pays se retrouve ainsi face à deux visions opposées : soit un retour à un pouvoir central dominé par une alliance militaro-islamiste, soit une transition vers un État civil pour tous les Soudanais.

Une paix conditionnelle et des paris risqués

Entre initiatives internationales avortées, ingérences régionales ambiguës et divisions locales profondes, l’avenir du Soudan reste suspendu à une équation difficile à résoudre. Sans consensus interne réel ni pression internationale efficace pour imposer des mécanismes de reddition de comptes et stopper l’afflux d’armes, toute tentative d’apaisement restera une solution de façade.

C’est dans ce contexte que l’appel du Secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, lancé en mai, résonne comme un avertissement stratégique : « Le Soudan n’a pas seulement besoin d’une trêve, mais d’une volonté politique collective capable de reconstruire l’État sur les ruines de la guerre et des divisions. Sans cela, la paix restera un mirage poursuivi par une nation en lente désintégration ».

Musk versus Trump: testostérone et idéologie

Entre Trump et Musk, c’est la fin de la bromance ! Après avoir décoré Musk et loué ses « services incroyables » au sein du DOGE, le président américain propose une loi qui ferait exploser la dette. Musk s’étrangle, insulte le projet, et rêve d’un nouveau parti centriste. Quant à Steve Bannon, il propose désormais d’expulser ce travailleur immigré pas assez docile qui croit qu’un pays se gère comme une startup ! Jeremy Stubbs raconte et analyse.


« On vous l’avait bien dit ! » Tous ceux qui prédisaient que la « bromance » entre Donald Trump et Elon Musk ne pouvait pas durer sont en train de se féliciter. « D’ailleurs, ce qui était surprenant, c’est que leur alliance ait duré si longtemps », ajoutent-ils. Mais, la surprise générale face à cette longévité a été éclipsée par celle inspirée par la rapidité et l’acrimonie de leur rupture. Ces deux hommes, investis d’un pouvoir sans égal (que ce soit un pouvoir politique ou financier), possèdent chacun un égo démesuré, ont à leur disposition un haut-parleur à leur taille (X ou Truth Social) et ont rarement la langue dans leur poche. Ils se sont déjà querellés au cours des dix dernières années, mais jamais avec une pareille violence verbale et émotionnelle. 

Services incroyables

Tout s’est passé en moins d’une semaine. Vendredi 30 mai a lieu une cérémonie dans le Bureau ovale pour marquer la fin du mandat de Musk en tant que conseiller fédéral non-rémunéré, mandat qui a une limite statutaire de 130 jours. Trump remet à son futur ex-collaborateur et ami une clé d’or donnant accès symboliquement à la Maison Blanche, en déclarant : « Elon a rendu des services incroyables. Il n’y a personne comme lui ». A la différence de beaucoup d’autres conseillers de Trump, Musk peut donc partir avec toute sa dignité et les bonnes grâces du Donald. Mais mardi 3 juin, Musk attaque sur X le grand projet de loi que Trump veut faire approuver par le Congrès, projet de loi qui risque fort d’augmenter la dette fédérale. Tous les efforts de Musk au Département d’efficacité gouvernementale ou « DOGE » avaient eu pour objectif de réduire les dépenses de l’État. Non sans une certaine suite dans les idées mais sans aucune retenue dans son langage, Musk qualifie le projet de loi d’« abomination dégoûtante » (« disgusting abomination »), en ajoutant : « Honte à ceux qui ont voté pour lui ».

Deux jours plus tard, jeudi 5 juin, Trump, qui est dans le Bureau ovale où il reçoit le chancelier allemand Friedrich Merz, se dit « très déçu » par les propos de Musk et prétend que ce dernier savait depuis longtemps ce qu’il y avait dans le projet de loi. Musk répond par un post où il demande à ses suiveurs si c’est le moment de créer un nouveau parti politique aux États-Unis qui « représente vraiment les 80% des citoyens du centre » de l’échiquier politique. Il rappelle aussi, comme un avertissement pour les élus Républicains qui soutiennent ou qui sont tentés de soutenir le projet de loi, qu’il ne reste à Trump que trois ans et demi comme président, mais que lui a encore au moins 40 ans de vie devant lui…

Trump riposte sur Truth Social, en insistant sur le fait qu’il avait demandé à Musk de quitter son rôle fédéral, et en attribuant le chagrin de ce dernier au fait que le projet de loi annule beaucoup des crédits qui, jusqu’à présent, encourageaient les automobilistes à acheter des véhicules électriques comme celles que fabrique Tesla. Il ajoute que la façon la plus facile de réduire le budget fédéral est d’annuler les contrats et subventions accordés par l’État aux entreprises de Musk. Il suggère aussi qu’une autre des raisons de la désaffection de Musk, c’est son refus de nommer à la tête de la NASA le candidat préféré du patron de SpaceX.

Musk réplique en affirmant que Trump figure dans les dossiers du milliardaire pédophile, Jeffrey Epstein, et que c’est pour cette raison que ces dossiers n’ont pas encore été rendu publics. Une heure plus tard, il fait semblant d’annoncer que SpaceX va désaffecter son vaisseau Dragon, utilisé pour transporter des astronautes aux stations spatiales et les redescendre sur Terre. Devant l’énormité d’une telle décision, il recule peu de temps après. Trump semble garder son sang-froid : « Ça m’est égal qu’Elon se retourne contre moi, mais il aurait dû le faire il y a des mois ». Musk ne se retient plus, en accusant le président d’« ingratitude », car il n’aurait pas été élu sans lui. Il est vrai que Musk a investi pas loin de 300 millions de dollars dans l’élection de Trump et d’autres campagnes républicaines. Il renchérit en repostant un message d’un partisan qui appelle à destituer Donald Trump et à le remplacer par le vice-président J.D. Vance. Musk finit par prédire que le projet de loi provoquera une récession dans la deuxième moitié de l’année. Plus tard, Trump révèle qu’il pense vendre sa Tesla, qui est restée garée devant la Maison Blanche depuis des semaines. Selon lui, Musk aurait « perdu la raison » (« lost his mind »).

Corones

Sans surprise, les médias et les internautes se déchaînent, en se moquant de la fin de cette « bromance », comme le fait le New York Post :

En revanche, certains célèbrent le machisme de ces échanges musclés et virils, comme le fervent partisan du mouvement MAGA, Joey Mannarino : « Vous regardez deux hommes avec des couilles grosses comme la lune débattre d’une question. C’est ça, la masculinité ». Selon lui, dans ces conditions, une réconciliation est toujours possible entre deux hommes aussi masculins.

Il se peut bien qu’il y ait des raisons personnelles derrière cette brouille et aussi que des événements se passant dans les coulisses, que le public ignore, aient précipité la rupture. Mais il y a aussi des raisons idéologiques profondes qu’on ne peut pas ignorer.

Un Département de l’efficacité gouvernementale inefficace ?

En acceptant sa mission au sein du DOGE nouvellement créé en janvier, Musk avait fixé pour objectif d’éliminer les dépenses excessives et de réduire le budget fédéral de deux mille milliards de dollars – le terme américain est plus simple : deux trillions de dollars. Devant la difficulté extrême de la tâche, il a réduit le chiffre à un trillion. Depuis le mois d’avril, différents chiffres ont été cités par le gouvernement dans différents contextes : 170 milliards, 160, 150… Même ces chiffres seraient exagérés, selon certains commentateurs. Au moins un expert pense que le total des économies réalisées par le DOGE jusqu’à présent se situerait entre 10 et 30 milliards de dollars. Et même ce chiffre pourrait être réduit par les coûts induits par l’opération, car la réduction des effectifs du Trésor public pourrait rendre plus difficile la collecte des impôts. D’autres spécialistes prétendent quand même que la culture de la parcimonie promue par le DOGE aura des conséquences bénéfiques. Quoi qu’il en soit, l’action de Musk consistant à sabrer les budgets des agences fédérales de manière apparemment aléatoire se révèle moins efficace que prévue. Trump lui-même a compris que cette activité fébrile et mal contrôlée n’était pas adaptée à la situation réelle. Quand Musk apparaît sur une scène avec une tronçonneuse, Trump affirme qu’il faut y avec une « bistouri » plutôt qu’avec une « hache ».

L’échec, qu’il soit partiel ou total, de Musk résulte du fait que le gouvernement exécutif ne fonctionne pas comme une entreprise. Musk n’avait pas sur les agences fédérales le contrôle quasi-total qu’il a sur ses propres entreprises. Même son père, Errol, a déclaré qu’on ne gère pas un pays comme on gère une usine. En politique, il faut trouver des alliés et agir à travers eux, ce que Musk n’a pas fait. Il a reconnu lui-même qu’il ne s’est pas fait que des amis. Cette approche qui marche mieux dans le secteur privé que dans les institutions de l’État, est encore moins bien adaptée quand il s’agit d’un entrepreneur de la Silicon Valley. Les innovateurs du monde de la tech ont l’habitude, selon l’expression consacrée, de « bouger vite et casser des choses » (« move fast and break things »). Peu importe si une start-up échoue et perd de l’argent, il y aura une autre qui marchera ; un mauvais projet sera suivi d’un autre qui réussit. Au niveau fédéral, Musk n’a pas trouvé les victoires faciles qu’il espérait. Le gaspillage gouvernemental s’est révélé plus diffus et intangible qu’il ne croyait. Pour lui, la bureaucratie d’État était trop rigide pour accepter ses mesures ; mais en même temps, lui n’avait pas vraiment compris les rouages du gouvernement.

Cette collision avec la réalité politique s’est exprimée aussi à travers des confrontations acrimonieuses avec des figures-clés de l’administration, comme Marco Rubio, le secrétaire d’État, et Scott Bessent, le secrétaire au Trésor. Musk a eu aussi des mots durs pour Peter Navarro, le Conseiller du président sur des questions de commerce. C’est ainsi que, après s’être comporté un peu comme un éléphant dans un magasin de porcelaine, Musk a fini sa mission sur une déception et en partant avec le sentiment que les mondes du fonctionnariat et de la politique étaient rangés contre lui. Et à travers son projet de loi « grand et beau » – qu’il a surnommé son « Big, Beautiful Bill » ou « BBB » – Trump, aux yeux de Musk, a fini par être du côté des politiciens et des gratte-papiers de Washington.

L’État criblé de dettes

En même temps que Musk se sépare du monde politique, une scission commence à se dessiner au sein du mouvement MAGA. Steve Bannon, qui prétend incarner le versant le plus populiste du mouvement MAGA, n’a jamais caché sa détestation de Musk et a profité de la brouille entre lui et Trump pour appeler à ce que Musk, né en Afrique du Sud, soit expulsé des États-Unis en tant qu’immigré. La distance entre les positions de MM. Musk et Bannon représente deux attitudes différentes qui cohabitent non sans difficulté à l’intérieur de l’alliance relativement fragile qu’est le mouvement MAGA. Si les deux ont des points de vue similaires sur les effets négatifs de l’immigration de masse et de la culture wokiste, ils diffèrent sur le protectionnisme. Musk était mal à l’aise sur la question des tarifs, car Tesla a besoin de la Chine comme marché et comme source de matières premières. Il était contre l’idée de limiter le nombre de visas accordés à des immigrés hautement qualifiés dont ont besoin les entreprises du secteur de la tech mais que Bannon considère comme occupant des postes qui devraient revenir aux citoyens américains. Trump fait grand cas de la nécessité de réindustrialiser l’Amérique, mais les besoins de l’industrie lourde et de la Silicon Valley ne sont pas nécessairement les mêmes.

Musk incarne aussi, dans une certaine mesure, l’esprit libertarien des entrepreneurs de la tech qui rejettent toute intervention excessive de l’État dans leurs affaires et insistent sur le fait que le gouvernement fédéral devrait gérer ses dépenses comme le fait une entreprise. Ils sont, comme le président Reagan, contre le « big government ». Le DOGE était censé être l’expression ultime de cette ambition de réduire à la fois la dette du gouvernement et sa capacité de nuisance. C’est ainsi que le « Big, Beautiful Bill » de Trump apparaît, aux yeux de Musk, comme le contraire de son opération DOGE et le fossoyeur définitif de ses propres ambitions en termes de politique. La dette fédérale des États-Unis s’élève actuellement à 36 trillions de dollars (36 mille milliards). Le projet de loi, qui comporte des réductions d’impôts importantes, mais des réductions de dépenses de l’État très modestes, risque d’augmenter cette dette de 2,4 trillions sur dix ans. Le raisonnement de Musk est assez cohérent : comment Trump peut-il se prétendre contre l’État dépensier et lancer un tel projet de loi ? A moins qu’il ne soit hypocrite ?

Le « Big, Beautiful Bill » a été approuvé par la Chambre des représentants mais doit être approuvé par le Sénat où non seulement tous les démocrates s’y opposent, mais aussi un certain nombre de sénateurs républicains. Ces derniers sont soit des conservateurs sur le plan fiscal (« fiscally conservative ») soit des populistes voulant protéger les prestations sociales pour leurs électeurs des classes ouvrières. Musk menace les sénateurs républicains qui soutiennent le projet de loi de faire campagne contre eux à l’avenir, en laissant entendre qu’il pourrait sortir son chéquier pour aider leurs adversaires.

La brouille entre Musk et Trump a des conséquences graves pour chacun d’eux. Musk se retrouve sans allié à la Maison Blanche et même, potentiellement, sans allié politique de quelque bord que ce soit. Ses entreprises ont toujours eu besoin d’amis haut placés, et ce besoin va s’accentuer. Jeudi, le prix de l’action de Tesla chuté de 14%, réduisant la capitalisation boursière de l’entreprise de plus de 150 milliards de dollars et la fortune personnelle de Musk de 24 milliards. Certes, tout n’est pas fini. Si la compagnie a perdu 25% de sa valeur depuis le début de l’année, elle a gagné 60% au cours des 12 derniers mois, et elle reste très profitable. Mais, les tendances actuelles du marché ne lui sont pas favorables et Musk se trouve isolé, du moins pour le moment.

De son côté, Trump a perdu un soutien au portefeuille bien garni, un soutien qui risque maintenant de se transformer en un adversaire capable de saborder non seulement son beau projet de loi au Sénat, mais aussi la campagne des Républicains lors des élections de mi-mandat de 2026… Des rumeurs ont circulé, hier vendredi, selon lesquelles les deux ex-amis allaient se parler au téléphone, mais Trump les a finalement démenties. Son ancien grand ami s’était toujours présenté, non comme un partisan « MAGA », mais comme « Dark MAGA », le MAGA de l’ombre. Un titre désormais approprié pour un frère ennemi…

Pénélope Marsh, rédemptrice?


Un parfum d’été dans l’air, et on a envie de se nettoyer les neurones avec un roman noir, mais un bon, écrit par un styliste aux inspirations bluffantes, qui signe une intrigue originale, ce qui n’est pas toujours le cas dans cette catégorie surchargée. Les Éditions Kubik proposent une collection exigeante intitulée « Outrenoir ». La maison, située dans le XIIe arrondissement de Paris, relancée en 2022, après une période de mise en sommeil, est dirigée par Christian Carisey, philosophe de formation, auteur de plusieurs romans, dont L’opération Jackson Pollock (Kubik, janvier 2025). Parmi le catalogue, après hésitation, tant les résumés des ouvrages publiés cette année sont alléchants, j’ai jeté mon dévolu sur L’Affaire Pénélope Marsh, et j’avoue ne pas avoir été déçu.

Pénélope Marsh entend des voix depuis la fin de l’enfance, de mauvaises voix qui lui ordonnent de tuer, et non de sauver comme Jeanne d’Arc. De tuer d’abord des poules parce que « ça pue, ça fait du boucan ». Alors Pénélope Marsh s’exécute, elle tape dans la poule idiote. C’est le début, ça va s’intensifier. Pamela a vingt-deux ans, elle est née dans une ferme, elle est myope, avec un nez de furet. Elle a obtenu son bac avec mention, elle n’est pas idiote, ça aggrave son cas. Son père est mort dans un accident de la route, cadavre en bouillie, méconnaissable. Sa mère rencontre un « gros, un transpirant ». Elle lui est soumise, jeu sado-maso, pas tendance Catherine Robbe-Grillet, tendance bien dégueu. Paméla le saigne comme un porc. Puis elle étouffe sa mère, toute creusée par le cancer. Elle obéit aux voix qui « squattent » au fond de son crâne. Elle a une mission, en fait, elle lutte contre les parasites, les nuisibles. Il y a du boulot. Les voix insistent : « Tu dois libérer les esprits tourmentés. »

Vaste programme. Elle bute une fille blonde, mauvais genre, prostituée et camée. Le hic, c’est que l’auteur, Anixa Carrie, instille dans l’esprit du lecteur le doute. A-t-elle rêvé son meurtre ou a-t-elle vraiment liquidé la blondasse à grosses fesses, vulgaire ? La réalité est souvent trompeuse. Le rêve peut paraître davantage certain. Pénélope continue à subir les oukases des voix, avec « des mots à balles réelles ». L’auteur a du souffle, il nous tient en haleine, on ne lâche pas l’affaire. On suit la jeune exaltée dans sa vieille Dodge « couleur eau sale ». La schizophrène achète, avec l’héritage de sa mère, une maison au bord d’une rivière. Elle finit par tuer dans des conditions atroces le propriétaire, un vicieux qui lisait des revues pornos. Mais voici l’arrivée d’un flic, l’inspecteur Clévelin. Un méticuleux. La fille nous raconte son histoire sanglante, elle se repasse les scènes, elle est en boucle, ça donne le tournis au lecteur, il finit par être contaminé par le mécanisme déréglé de Pénélope qu’on n’arrive pas à détester complètement. Elle balance : « C’est la vision que j’ai de la vie. Une garce bien pire que la mort. » Ou encore : « Il y a une multitude de morts. Il n’y a pas une unique image de la mort, c’est faux. » Est-elle totalement condamnable ? Est-elle une rédemptrice qui mérite notre clémence, dans un monde où la perversité domine ? Est-elle totalement cintrée ? On veut savoir, on poursuit dans la noirceur à peine éclairée par « la lumière pisseuse des phares poussiéreux de la Dodge ». Cette bagnole achetée à la casse, elle est bizarre, elle finit par avancer toute seule, direction un cimetière. Le flic réapparait, c’est bien un fouineur, il a retrouvé le porte-clés de la vieille bagnole sur le lieu d’un des crimes de Pénélope. La suite réserve son lot de surprises, jusqu’à la dernière ligne.

Anixa Carrie, L’Affaire Pénélope Marsh, Kubik Éditions. 168 pages

Aimez-vous Brahms ?


Il faut saluer encore et encore le travail exemplaire de la Fondation Singer-Polignac – entre gens bien élevés, on prononce « singé-polignac », et surtout pas « singère » ! – sis dans l’écrin tout à la fois opulent et discret de l’hôtel particulier néo XVIIIème de l’avenue Georges Mandel, héritage, comme l’on sait, de Winnaretta Singer, princesse de Polignac (1865-1943). Créée il y a presque vingt ans, la résidence musicale soutient la musique de chambre et orchestrale, accueillant en outre au quotidien les répétitions des artistes mais leur donnant, surtout, la chance de se produire sous les ors du somptueux Salon de musique, dans le cadre du Festival Singer Polignac dont la 6ème édition s’achève ce dimanche 8 juin. 

 « Juin ton soleil ardente lyre/ brûle mes doigts endoloris… », chantait Apollinaire. Ce jeudi 5 juin, une pluie battante attendait plutôt les invités triés sur le volet venant assister au concert vespéral ouvrant les festivités, à l’enseigne de Vivaldi. L’essentiel étant que ce concert, tout comme tous ceux de la manifestation, filmés dans un grand raffinement de régie par le réalisateur Guillaume Klein, sont non seulement diffusés en direct et en libre accès sur la plateforme singer-polignac.tv, mais également retransmis en ligne et promis à rester disponibles en replay  sur la plateforme de streaming de medici.tv, partenaire de la maison, jusqu’à la fin de l’année 2025.  

Sous les ondées et sous le signe du Caravage – Il Caravaggio, nom de la formation orchestrale dirigée par la cheffe claveciniste Camille Delaforge – , un programme Vivaldi, joué sur instruments d’époque, réunissait quelques joyaux inégalement célèbres du compositeur vénitien, dont certains morceaux écrits pour le castrat Farinelli, et que chantait ici la superbe mezzo française Eva Zaïcik. Le week-end de Pentecôte s’ouvrait vendredi soir dans le jardin ensoleillé de l’hôtel de Polignac où un verre était servi avant un double concert d’exception, consacré, cette fois, à Brahms. Avec en hors d’œuvre le trio n°2 pour piano, violon et violoncelle, précédé de la sublime sonate pour violon et piano n°3 et, en guise de digestif, dans un adorable arrangement pour trio, une courte pièce de Mendelssohn extraite des Romances sans parole originellement écrites pour piano (au clavier, Arhtur Hinnewinkel, 24 ans, en résidence à la Fondation, Emmanuel Colley au violon, Stéphanie Huang au violoncelle). Le plat de résistance était, sans conteste, en deuxième partie de soirée, le célèbre Quintette pour clarinette et cordes opus 115, mais dans l’arrangement pour alto de Brahms lui-même, interprété ici à la perfection par le Quatuor Agate, formation spécialisée dans le répertoire brahmsien, avec l’altiste virtuose Adrien La Marca, associé à la Fondation, lequel donnait à ce chef-d’œuvre absolu une vibration, une intensité confondantes. En conclusion de ce second concert de vendredi, la sonate n°1 pour alto et piano était l’occasion de découvrir le talent de Jérémie Moreau, pianiste âgé de 25 ans, au physique de jeune premier, qui a pratiqué la danse classique et, associé à ses frères et sœurs au sein du « trio Moreau », est actuellement en résidence à la Fondation. 

On ne laissera pas de vous recommander de suivre à distance la suite et fin du Festival Singer-Polignac, ouverte à d’autres champs de la composition « savante » : l’ensemble Les Illuminations, voyage au long cours à travers les siècles autour du violoncelle, puis un programme éclectique réunissant Mendelssohn, Rafael Catala et Schumann, par le Trio Zadig ce samedi. Dimanche, Gérard Grisey, Tristan Murail, Imsi Choi, Philippe Hurel, musique spectrale donnée par l’Ensemble Ecoute sous la direction de Fernando Palomeque ; et enfin Bakthi, musique mixte signée Jonathan Harvey, concert dirigé par Maxime Pascal à la tête de la formation Le Balcon, concert retransmis en direct sur medici.tv   

Fondation Singer-Polignac. 43 avenue Georges Mandel 75116 Paris. 

Sertraline: une seule molécule vous manque, et le monde est dépeuplé

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Pénurie de psychotropes : pourquoi un médicament très utilisé comme la sertraline est-il de plus en plus difficile à trouver en France, et pas ailleurs ? De nombreux malades mentaux se retrouvent ainsi abandonnés, alertent les psychiatres[1].


Depuis plusieurs mois, la France est confrontée à une pénurie préoccupante de sertraline, l’un des antidépresseurs les plus prescrits dans le pays. Des milliers de Français souffrant de dépression, d’anxiété ou de troubles obsessionnels compulsifs peinent à accéder à leur traitement habituel, contraints d’en interrompre la prise ou de le remplacer dans l’urgence, notamment par le Déroxat (paroxétine) et le célèbre Prozac.

Wanted : Zoloft ®

Mais cette crise ne se limite pas à l’Hexagone. Plusieurs pays dont les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada, l’Allemagne ou encore l’Australie, ont eux aussi connu ces dernières années des tensions ou des ruptures dans l’approvisionnement en sertraline. Ces pénuries récurrentes révèlent une vulnérabilité systémique. La fabrication de la molécule repose sur un nombre restreint de producteurs du principe actif, principalement installés en Chine et en Inde. Ainsi, un incident localisé dans un site de production peut entraîner une onde de choc à l’échelle mondiale.

Depuis son autorisation de mise sur le marché au début des années 1990, la sertraline s’est imposée comme l’un des traitements antidépresseurs les plus prescrits au monde. Appartenant à la classe des inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS), elle incarne une nouvelle ère de la psychiatrie pharmaceutique, marquée par son efficacité, une tolérance supérieure aux anciens antidépresseurs tricycliques, et une large palette d’indications thérapeutiques. Derrière son succès clinique se cachent cependant des contraintes industrielles, géopolitiques et économiques.

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La sertraline est découverte dans les années 1970 au sein des laboratoires Pfizer par Reinhard Sarges et Kenneth Koe, deux chercheurs engagés dans la course à l’« antidépresseur idéal », moins toxique et mieux toléré que les tricycliques ou les inhibiteurs de la monoamine oxydase (IMAO) comme le Laroxyl (amitriptyline), Anafranil (clomipramine), Moclamine (moclobémide).  Après des années de développement, elle est approuvée par la FDA (Food and Drug Administration) en 1991 sous le nom commercial Zoloft.

Ce succès s’explique par sa grande efficacité sur une large gamme de troubles mentaux (dépression, anxiété, TOC, trouble panique, TSPT, phobie sociale), mais aussi par sa bonne tolérance, sa faible toxicité en cas de surdosage et son profil métabolique relativement stable. Cette spécificité contribue à réduire les effets secondaires liés à l’agitation, aux troubles du sommeil ou à la prise de poids, souvent observés avec d’autres molécules.

La sertraline est également l’un des ISRS les plus utilisés en périnatalité, notamment chez les femmes enceintes, en raison d’un meilleur rapport bénéfices / risques documenté.

Brevet ayant pris fin en 2006

Cependant, synthétiser la sertraline n’est pas simple. Sa structure chimique complexe nécessite des procédés industriels avancés, notamment pour garantir l’obtention de la seule pharmacologiquement active. Plusieurs étapes critiques requièrent un savoir-faire chimique poussé et des équipements spécialisés.

Depuis la levée du brevet de Pfizer en 2006, la production de sertraline s’est fortement diversifiée. Plusieurs laboratoires génériques – Teva (Israël), Mylan/Vitaris (États-Unis), Aurobindo (Inde), ou encore Sandoz (Suisse) – fabriquent désormais cette molécule. Toutefois, en dépit de cette diversité apparente, la production industrielle reste concentrée dans quelques régions du monde : la Chine et l’Inde pour les matières premières et les principes actifs (API), l’Europe et les États-Unis pour la formulation et le conditionnement.

La sertraline est l’un des antidépresseurs les plus prescrits au monde. En France, elle se classe parmi les trois ISRS les plus utilisés avec la fluoxétine (Prozac) et l’escitalopram (Seroplex). Aux États-Unis, elle figure depuis plusieurs années dans le top 20 des médicaments les plus prescrits, toutes classes confondues.

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Selon les estimations, le marché mondial de la sertraline générait, avant expiration du brevet, environ 3 milliards de dollars par an pour Pfizer. Aujourd’hui, le chiffre d’affaires est réparti entre plusieurs producteurs de génériques, mais demeure important du fait de la consommation massive : on estime que des dizaines de millions de patients en prennent régulièrement dans le monde.

Comparée à la fluoxétine (Prozac), première star des ISRS, la sertraline est souvent préférée pour traiter les troubles anxieux, les TOC ou les TSPT. Elle induit moins d’activation psychomotrice, un effet parfois problématique avec le Prozac, notamment en début de traitement. En revanche, la fluoxétine possède une demi-vie beaucoup plus longue (environ une semaine), ce qui la rend utile pour les patients à risque de non-observance, mais plus délicate à gérer en cas de changement thérapeutique ou d’effets indésirables.

La pénurie de sertraline révèle bien plus qu’un simple défaut logistique. Molécule sûre, efficace, et irremplaçable pour des millions de patients, la sertraline est un paradoxe : essentielle sur le plan médical, mais de moins en moins viable économiquement dans certains marchés comme la France.

Pas assez cher, mon fils !

La faible rentabilité de la sertraline en France s’explique par un modèle économique du médicament fondé sur la régulation étatique des prix, la promotion des génériques et le contrôle strict des dépenses de santé. Depuis la fin du brevet de la molécule, le prix de la boîte a été drastiquement réduit, parfois à moins de deux euros, ce qui laisse aux laboratoires des marges extrêmement faibles une fois déduits les coûts de production, de conditionnement, de conformité réglementaire et de distribution. Dans ces conditions, une politique publique visant à garantir un large accès aux soins, place le marché français en bas de la hiérarchie des priorités commerciales des groupes pharmaceutiques, surtout en comparaison avec d’autres pays européens comme l’Allemagne ou l’Italie, où la même molécule peut être vendue deux à trois fois plus cher.

À cela s’ajoutent des mécanismes spécifiques au système français, tels que les remises obligatoires aux pouvoirs publics, les clauses de régulation du chiffre d’affaires, les contraintes administratives lourdes et l’absence de différenciation commerciale entre génériques concurrents. Ce dernier point est l’un des traits distinctifs du marché pharmaceutique français, et l’un de ses paradoxes les plus silencieux. En théorie comme en pratique, toutes les spécialités génériques d’une même molécule sont considérées comme équivalentes : elles ont le même principe actif, le même dosage, la même forme galénique, et bénéficient du même taux de remboursement. Cette logique d’interchangeabilité est renforcée par le droit du pharmacien à substituer librement une marque par une autre, sans que le patient ou le médecin n’en soit informé (sauf mention explicite). Mais ce système élimine aussi toute incitation à l’investissement différencié dans la qualité du service, la robustesse de la chaîne logistique ou la réactivité en cas de pénurie. Puisque aucun fabricant ne peut valoriser ses efforts ni par le prix, ni par la visibilité de la marque, ils sont tous enfermés dans une logique de réduction des coûts. Pensé pour contenir les dépenses publiques, ce modèle uniformise, sans garantir la sécurité et ainsi finit par fragiliser la disponibilité des médicaments essentiels. Dans ce contexte, les laboratoires sont souvent tentés de réduire leurs volumes, de retarder les relances de production ou même de quitter le marché, notamment lorsqu’une tension mondiale apparaît sur les principes actifs. Ainsi, la crise de la sertraline révèle aussi les limites d’un système de régulation qui, à force de viser l’efficience économique, finit par compromettre la disponibilité continue de traitements fondamentaux pour des millions de patients.


[1] https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/04/15/les-reponses-des-pouvoirs-publics-restent-insuffisantes-face-aux-penuries-de-medicaments-essentiels-en-psychiatrie_6596297_3232.html

De la politesse en politique

En politique, la politesse c’est comme le cirage sur des chaussures usées: ça ne change pas la démarche, mais ça évite les éclaboussures. Malheureusement, tout comme on préfère aujourd’hui les baskets à lacets défaits, mon bon Monsieur, elle se perd…


Un Nicolas Sarkozy qui, en visite en Allemagne, parle de « Monsieur Merkel » à sa présumée épouse et chancelière, alors que nul époux ne répond à ce nom ; un jeune chargé de mission qui, seul au milieu de ses collègues en rang d’oignons, se fend d’un impromptu baise-main à une Danielle Mitterrand peu accoutumée à la chose, et qui, faute de contrôler la dynamique des gestes, si l’on peut dire, se récolte une main dans le nez ; la présidente de l’Assemblée nationale qui, le 6 février dernier, victime d’un cerveau dont on ne saurait dire s’il est binaire ou primaire, commet un sacré ou, plutôt, très laïque lapsus, en évoquant, lors d’un colloque consacré au Proche-Orient, les « talibanais », voilà des exemples de fautes à cheval sur le savoir-vivre, la civilité et la politesse, toutes notions qui se recouvrent et dont l’étude et l’application, contrairement à ce que l’on pourrait supposer de prime abord, relèvent plus de la science exacte que de l’art.

Chose au monde de moins en moins partagée

C’est l’enseignement que nous retirons de ces deux précis de composition (au sens où l’on sait que l’on doit ‘‘se composer’’ une attitude, une manière d’être, de dire et de faire, selon les lieux, les pays, les circonstances et les gens à qui l’on a à faire).

« Il est poli d’être gai » prétendait Voltaire. Si la gaité ne doit pas nécessairement être considérée comme une composante intrinsèque de la politesse, pour le moins, au contraire, pouvons-nous estimer indispensable que l’homme politique, plus largement, l’homme du politique (l’éminence grise, le diplomate tout autant que le député d’une circonscription ingrate) soit pénétré de l’intérêt qui est le sien (et de ses ouailles) d’être, en tous ses agissements, empreint de componction et de ce vernis de politesse qui, à la longue, deviendra une seconde nature.

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Il se déduit de l’origine très peu rousseauiste du mot « politesse » que cette dernière n’est pas naturelle à l’homme « républicain », pétri de la vertu d’égalité et de transparence démocratique. En effet, étymologiquement parlant, nous enseigne le lexicologue Jean Pruvost, cette fameuse politesse, qui devient chose au monde de moins en moins partagée (parce que plus guère inculquée), « correspond au fait de passer au fouloir une étoffe usagée pour la remettre à neuf (…). D’où l’idée de falsification. » Cette politesse n’est donc nullement naturelle à l’homme. Elle répond à l’ « état de culture », s’apprend et s’entretient. A l’état brut, si l’on ose s’exprimer ainsi, elle est feinte, artificieuse ; tout l’art du bon homme poli consistera à donner une patine de « vieilli », de douceur et de naturel à ce qui ne l’est donc point. En son origine, la politesse est donc d’ordre artisanal et a ainsi partie liée avec le façonnage, le « fait main », les bonnes et mauvaises façons et manières, la contrefaçon. Sans surprise, on apprend que cette politesse s’épanouira au XIVème siècle, en Italie, en tant que synonyme de propreté physique pour s’élargir, toujours florentine et romaine, à celui du « raffinement d’une œuvre d’art ou littéraire ». En une juste extrapolation, pouvons-nous de la sorte estimer qu’encore de nos jours, un ouvrage comportant de nombreux mots imprimés en italiques traduit (sans, ainsi, directement l’exprimer) un propos d’une subtile politesse.

Visage poli

Ce n’est qu’au début du règne du Grand roi (que nous ne saurions, sauf à commettre l’impolitesse qui consisterait à sous-estimer la culture historique de nos lecteurs, désigner plus avant) que le terme prendra l’acception – dont on ne sait si elle est encore vraiment d’actualité – de qualité «nécessaire dans le commerce des honnêtes gens », une qualité, précise-t-on, qui les « empêche d’être choqués et de choquer les autres par de certaines façons de parler trop sèches et trop dures, qui échappent souvent sans y penser (…) ». Où l’on retrouve cette idée que l’homme poli par excellence est celui dont l’enveloppe est semblable à cette pierre au fond de la rivière, tellement polie par les ans et par les eaux que sur elle tout glisse et qu’ainsi vous ne serez pas susceptible d’être blessé

Il est vrai qu’il ne faudrait tout de même pas pousser trop loin la métaphore car, à force de montrer un visage poli, de faire montre de politesse, on risque de ressembler au savon qui vous glisse entre les doigts, qui vous échappe, on risque de se faire percevoir insaisissable, ce qui pourrait bien être une forme, et non des moindres… d’impolitesse.

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Science toute humaine tout autant qu’art, on pourrait dire de la politesse ce que Napoléon Ier disait de la guerre, qu’elle est un art tout d’exécution, – ce qui nous semble synonyme : d’adaptation. Pour trancher – manière de parler car, en la matière, à l’échelle des siècles, rien n’est arrêté ! –  de certains points litigieux, touchant par exemple aux vins, au baise-main, à l’emploi de certains termes plutôt que d’autres, on s’en remettra à la brochure d’Alix Baboin-Jaubert publiée, est-il écrit sur la première de couverture, par un « éditeur de qualité depuis 1852 ». Comme dirait l’autre, on n’est jamais aussi bien poli que par soi-même.

L’insoumis Louis Boyard refuse de serrer la main au député RN Philippe Ballard, lors du vote pour la présidence de l’Assemblée nationale, Paris, le 28 juin 2022, D.R.

Cela dit, on regrette de ne pouvoir ici s’étendre plus sur les dégâts contemporains de l’impolitesse, d’en dresser une sorte d’état des lieux (lieux communs compris !) illustrés de faits inédits tirés et recensés de l’actualité politique contemporaine ou lointaine, intérieure ou étrangère. On en aurait déduit que la politesse, pour être complète, ne doit pas seulement gouverner nos faits et gestes mais qu’elle doit animer jusqu’à nos pensées, et, mieux, notre impensé. C’est à cette condition, comme nous l’envisagions à l’orée de cet articulet, qu’en application de la fameuse exclamation de Buffon, Le style, c’est l’homme même ! , elle pourrait nous devenir naturelle.

En attendant (d’y parvenir), il est peut-être un moyen d’y suppléer, c’est d’initier, d’encourager et favoriser cette politesse du cœur que développe sur douze pages Jean Pruvost et contre laquelle la très humaine et très évangélique Alix Baboin-Jaubert ne saurait s’inscrire en faux. A cette provenance-là de la politesse, on acquiescera, car elle permet non seulement de ne pas faire de faux pas, mais, en outre, l’amour-propre même s’en satisfera puisque l’exercice de cette ‘qualité d’âme’ est en définitive une mise en application du mot de Marcel Proust, lequel soutenait que « le comble de l’intelligence, c’est la bonté. »

Jean Pruvost, La Politesse – Au fil des mots et de l’histoire, Tallandier, 317 p.

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Alix Baboin-Jaubert Bonnes manières et politesse, Larousse, 64 p.

En attendant Bégaudeau…

… lisez l’enquête de François Bousquet sur le racisme antiblanc


Non seulement il fait partie de cette caste rassemblant les êtres les plus étriqués et les plus sectaires de la prétendue élite intellectuelle de gauche – un mélange hétéroclite de sociologues sous-bourdieusiens, de philosophes sous-foucaldiens, d’universitaires wokes et d’écrivains égocentrés – mais François Bégaudeau en est même une sorte de synthèse. Il se revendique en effet tout à la fois de la sociologie politico-indigente de Geoffroy de Lagasnerie et de Didier Éribon, de la littérature sociologico-nombriliste d’Annie Ernaux et d’Édouard Louis, des réflexions politico-totalitaires de Sartre et d’Alain Badiou. Depuis le succès du film démagogique Entre les murs (Palme d’Or à Cannes en 2008 – logique !) tiré de son roman (Prix France Culture-Télérama en 2006 – normal !), M. Bégaudeau passe son temps dans les médias à palabrer sur la bourgeoisie, qu’il exècre, et le prolétariat, dont il a entendu parler. Car un regret mine depuis toujours ce fils d’enseignants : il n’est pas issu et n’a jamais fait partie de la classe ouvrière. Pire, avouait-il dans un livre intitulé Histoire de ta bêtise, il a acquis un bien tout ce qu’il y a de plus bourgeois, selon lui, un appartement dans le 11ème arrondissement de Paris. M. Bégaudeau tente d’effacer cette tache indélébile en battant sa coulpe et en donnant moult détails sur l’origine des sommes d’argent qui lui ont permis d’accéder à la propriété – un héritage, un emprunt, des droits d’auteur. Il tient à préciser que son statut privilégié ne l’empêche pas d’avoir des envies révolutionnaires : « Mon compte en banque et mon patrimoine dessinent un cadre bourgeois qui devraient m’assimiler à un cadre de pensée bourgeois. Ce n’est pas le cas. J’appartiens à une classe supérieure dont je persiste à envisager, sinon souhaiter, la destitution. Je suis propriétaire et je délégitime la propriété. Les jours de grande morgue, il ne faut pas me servir trop de pintes pour que je préconise son abolition ». On suppose que c’est après une virée bien arrosée entre amis qu’il a, selon son propre aveu, voté pour Besancenot en 2002. En 2007, dessoûlé, il votera pour Ségolène Royal. Sa connaissance des classes laborieuses étant essentiellement livresque et politique, il s’est fait du prolétaire, de l’ouvrier, une image assez particulière, à partir de laquelle il a aménagé et entretient son appartement : un « carton Franprix » lui sert de « table de nuit » ; il semble tout heureux d’avoir des « murs écaillés par un dégât des eaux » ; il évite de faire le ménage : « ici, la règle est le sale ». Aveu inconscient d’un gauchiste imprégné d’une iconographie surannée et imaginant l’ouvrier vivant dans la crasse tandis que le bourgeois se vautre dans une propreté tapageuse, fruit de l’exploitation du prolétariat. Le mépris et la condescendance à l’endroit des Français les plus modestes peuvent prendre différents visages. François Hollande se moquait des « sans-dents », Benjamin Griveaux brocardait les « gars qui fument des clopes et roulent au diesel », Agnès Pannier-Runacher se passe de l’avis des « moins riches » à propos des ZFE parce que, selon elle, « ils n’ont pas de voiture » – François Bégaudeau, lui, est persuadé que les prolétaires sont sales et, pour montrer sa solidarité, n’époussette pas ses meubles en carton.

Le wokisme n’existe pas, les prolos en rajoutent sur l’insécurité…

M. Bégaudeau assure qu’il est un « intellectuel anarchiste » proche du peuple et non un « bourgeois ». La preuve : « Je ne remplacerai pas les quatre lattes défoncées de mon parquet, mais je me sentirais personnellement blessé par un texte qui défonce Deleuze. » Les pages d’Histoire de ta bêtise, fastidieuses, rébarbatives, adoptent un style tantôt trivial et supposément populaire, tantôt lourdement didactique et censément politico-révolutionnaire. Il s’y glisse quelques séances de molle auto-flagellation immédiatement recouvertes par des justifications ridicules censées dédouaner le bourgeois qu’il est devenu mais qu’il abhorre presque autant que cette gauche embourgeoisée, social-démocrate, socialiste ou convertie au macronisme, qu’il qualifie de « bête » et à laquelle il réserve ses diatribes les plus mordantes. En parlant de bêtise…

À propos du wokisme, M. Bégaudeau affirme, dans l’émission Les Incorrectibles animée par le journaliste Éric Morillot, que « c’est un truc assez improbable à définir » mais que « c’est un mot qui – attention ! tenez-vous les côtes, ça va secouer ! – a très bien circulé parce que c’est un cadeau à la droite. C’est la meilleure façon qu’a trouvé la droite de ne surtout pas discuter ou avoir à répondre avec ce qui est son vrai ennemi et ce qu’elle a toujours identifié comme le camp véritablement dangereux pour elle, à savoir le camp communiste, au sens le plus littoral du terme, celui qui veut exproprier ceux qui possèdent. C’est ça que les bourgeois craignent depuis toujours. Comme ils n’ont rien à dire à l’hypothèse communiste – parce qu’ils sont pris la main dans le sac par le communisme, quand même – alors ils préfèrent détourner un peu l’attention et ils vont un peu recolorer la gauche à leur manière, ils vont un peu la ridiculiser, ils vont aller chercher des éléments ridicules dans ce qui se présente comme étant de gauche, et ils vont appeler ça le wokisme[1]. » Bravo à Éric Morillot qui a pu écouter cette marmelade sans éclater de rire. Et merci à lui de nous avoir offert la preuve ultime que M. Bégaudeau est bien ce qu’il paraît être et que la décence m’interdit d’écrire ici.

Récemment, sur la chaîne YouTube Crépuscule[2], entre de courtes considérations philosophiques et littéraires d’une pauvreté analytique consternante, M. Bégaudeau a livré cette fois le fond de sa pensée sur les Français qui subissent les effets délétères de la submersion migratoire et qui ne veulent plus se taire. Pour lui, la crainte de l’insécurité liée à l’immigration ne peut être qu’un « stress », une « fébrilité » sans réel fondement ; les prolos et les ploucs ont tendance à en rajouter, surtout s’ils écoutent certains médias : « Il n’y a qu’à écouter les gens quand on s’attarde dans un PMU, dans un rade, ça va très vite. Et puis moi, j’en ai dans ma famille donc je vois à peu près à quoi ça ressemble. » Ce ça, proféré avec une moue de dégoût, révèle le principal sentiment qui anime le bourgeois gauchiste : la haine des « petits Blancs ». D’après lui, les seuls qui parlent sérieusement de l’immigration, « ce sont les gens de gauche. Les gens de droite ne parlent pas de la question de l’immigration. Ils parlent d’une seule chose qui est : dans quelle mesure est-ce que les Noirs et les Arabes vont me compliquer ma vie à moi, petit Blanc de France. » Adepte des thèses décolonialistes d’Houria Bouteldja, M. Bégaudeau reprend à son compte l’idée d’un racisme systémique dans la société française et considère que la peur de l’immigration n’est qu’une « petite panique pseudo-identitaire et raciste de petits Blancs paniqués ». Ces derniers, dit-il, n’ont aucune raison de s’alarmer : « Vous qui vous inquiétez de savoir si vraiment la submersion migratoire va liquéfier la culture française, liquéfier nos vies, violer nos femmes, multiplier la délinquance… calmez-vous un peu ! » 

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Voici venu le moment de donner un conseil de lecture à M. Bégaudeau. Le racisme antiblanc, de François Bousquet, est sorti en avril 2025 et jouit d’un succès mérité – Gilles-William Goldnadel, qui connaît ce sujet à fond et a été un des premiers à le traiter sérieusement[3], en a fait l’éloge dans ces colonnes.

Dans le chapitre intitulé Théorie du grand Blanc et construction sociale du petit Blanc, François Bousquet explique, et cela devrait fortement intéresser M. Bégaudeau, qu’il y a effectivement deux types de Blancs, que tout oppose : le grand Blanc et le petit Blanc. Il rappelle que « petit blanc » est une expression méprisante née dans les colonies et désignant un individu blanc « au bas de l’échelle du pouvoir, coincé entre les indigènes qu’il encadrait et les élites coloniales qui le toisaient ». Les colonies ayant disparu, l’ancienne élite coloniale « s’est muée en élite universitaire dont le grand Blanc est l’aboutissement. Son mépris pour le petit Blanc est intact et son ascendant culturel sur lui absolu. » Bégaudeau fait naturellement partie des grands Blancs qui considèrent que le petit Blanc est un « concentré de ringardise franchouillarde » ; comme ses congénères, il analyse « les préjugés d’appartenance tribale du petit Blanc avec la morgue d’un ethnologue colonial devant une peuplade attardée ». Le grand Blanc, écrit François Bousquet, est une « belle âme » qui s’émeut du sort des « racisés » – dont en réalité il n’a rien à faire – pour se donner une bonne conscience dont il attend « des gratifications symboliques et des rentes statutaires ». Les grands Blancs se retrouvent entre eux, dans les médias, dans les universités, dans les salons littéraires, dans les clubs politiques, et s’octroient mutuellement des billets d’honneur moraux tout en méprisantles petits Blancs qu’ils sermonnent. 

Le racisme antiblanc, pas son affaire

Du haut de leur position sociale avantageuse, tout en faisant semblant de se préoccuper encore un peu de son sort, les grands Blancs accusent le petit Blanc de toutes les tares réactionnaires et racistes, surtout depuis qu’il ne vote plus à gauche. Ils haïssent cet être leucoderme, trop français, trop conservateur, trop provincial, trop attaché à ce qu’ils considèrent être les restes d’une société arriérée : des racines chrétiennes, une identité régionale, une histoire nationale, une langue, une culture – ils lui préfèrent maintenant un être qu’ils parent de toutes les vertus et qui leur permet de montrer leur supériorité morale sur le petit Blanc et de briller dans les milieux progressistes : le migrant. Mais pas n’importe lequel. Le migrant « racisé » et musulman a leur préférence. Les vertus dont ils le parent sont paradoxalement celles qu’ils refusent au petit Blanc : la fierté identitaire, la solidarité communautaire, des principes familiaux et religieux solides, une culture ancestrale. Bien entendu, rappelle François Bousquet, ces grands Blancs politiques, médiatiques ou universitaires ne vivent pas, à l’inverse des petits Blancs, avec ces nouveaux venus dont les plus jeunes et les plus violents ont compris une chose : le petit Blanc, cette « face de craie », ce « gwer », ce « babtou », est une proie facile. On peut l’insulter, le voler, le frapper, le violer, sans craindre grand-chose – les grands Blancs de gauche veillent : la culpabilité ne se partage pas et incombe entièrement aux petits Blancs accusés d’être racistes et islamophobes, incapables de concevoir ce fameux vivre-ensemble que les grands Blancs promeuvent tout en restant à distance des lieux, de plus en plus nombreux, où il apparait que cette expression est en réalité un oxymore. M. Bégaudeau, comme tous les grands Blancs de gauche, nie l’existence du racisme anti-blanc qui se répand à l’école, dans les salles de sport, sur les terrains de foot, dans les quartiers où la population d’origine immigrée devient trop importante pour endiguer les phénomènes d’islamisation et de délinquance qui accompagnent ceux du racisme anti-blanc et anti-français. M. Bégaudeau se fiche de tout cela. Marxiste, il ne fait pas de différence, dit-il, entre les « prolétaires migrants » et les « prolétaires pas migrants ». Jamais, ajoute-t-il, il ne reconnaîtra que les petits Blancs sont les principales victimes de l’immigration, jamais il n’incriminera des immigrés : « Je ne veux pas m’attirer la sympathie du prolétaire blanc à ce prix-là. » Tout est dit. La réalité quotidienne  des Français et les dizaines de terrifiants témoignages recueillis par François Bousquet ne le feront pas changer d’avis. Les violences, les insultes, les rackets, les vols, les viols, les agressions au couteau et à la machette dans les nombreux territoires perdus de la République ? Bégaudeau n’en a rien à faire – ça ne colle pas avec son idéologie. Quant aux femmes musulmanes tyrannisées par des hommes appliquant strictement la charia, qu’elles ne comptent pas non plus sur M. Bégaudeau pour les défendre. Sur le média en ligne QG[4], M. Bégaudeau, tout à son envie d’accabler la France plutôt que certaines mœurs rétrogrades importées, justifie ainsi cet état de fait : « L’oppression qui est imposée aux femmes dans certaines configurations musulmanes ou certaines de ces acceptions peut être un contrecoup d’une pression coloniale ou d’une domination que subissent ces populations-là en France ou en Occident ». D’ailleurs, ajoute-t-il pour expliquer les excès des mâles musulmans, « le sur-virilisme dans certains quartiers populaires à forte densité migratoire et où on trouve beaucoup de racisés, donc beaucoup de musulmans, vient de la fragilisation de ces hommes par le pouvoir policier qui les harcèle depuis un certain nombre de décennies. »

Décidément, cet intellectuel de gauche ose tout – c’est même à ça qu’on le reconnaît… Comme disait Orwell, « il faut être un intellectuel pour croire une chose pareille : quelqu’un d’ordinaire ne pourrait jamais atteindre une telle jobardise. »

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[1] https://www.youtube.com/watch?v=eelrJ0CmcSg

[2] https://www.youtube.com/watch?v=0–oXQWEmN4

[3] Gilles-William Goldnadel, Réflexions sur la question blanche : du racisme blanc au racisme anti-blanc, 2011, Éditions Jean-Claude Gawsewitch.

[4] https://x.com/LibreQg/status/1912838458910953597

Faure, comme la mort ?

Quelle grande victoire ! À 4h35 du matin, malgré les critiques nourries sur sa soumission humiliante à Jean-Luc Mélenchon, Olivier Faure a finalement annoncé sa réélection à la tête du Parti socialiste. Il s’impose avec seulement 50,9% contre Nicolas Mayer-Rossignol.


Ainsi, Olivier Faure, Premier secrétaire sortant du Parti socialiste, vient d’être réélu à ce poste à l’issue d’un vote des plus serrés. 50,9 % des voix contre 49,1% pour son adversaire, le maire de Rouen, Nicolas Mayer-Rossignol. Cela s’est donc fait dans un mouchoir de poche au sein d’un parti lui-même réduit à peau de chagrin. 39815 militants recensés et 24000 votants lors de cette consultation. Le pire du pire depuis le congrès d’Épinay, en 1971, lorsque François Mitterrand – qui n’était alors même pas adhérent encarté – est allé récupérer le parti dans le caniveau. Or, il semblerait que la situation ne se soit pas améliorée ces derniers temps sous la férule de son Premier secrétaire. Aussi, une question se pose. Est-ce son sauveur qui vient d’être reconduit à sa tête ? Ou est-ce son fossoyeur ? Certains, caustiques, se plairaient à ricaner que ce natif de la Tronche à bel et bien celle de l’emploi.

Une girouette

« De moins en moins de militants, constatait pour sa part le principal concurrent chez nos confrères de Franc-Tireur, peu de monde dans les assemblées générales, des médias indifférents à nos débats, un Premier secrétaire qui les refuse. » Et face à cet état des lieux consternant, Mayer-Rossignol s’empressait d’ajouter : « Je défends l’union sincère de la gauche, la vraie, celle qui ne ment pas et qui agit. »

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Autant dire que nous avons là l’essentiel du procès instruit contre le sortant reconduit. Procès en insincérité, d’abord. Il est vrai qu’on a du mal à s’y retrouver dans le girouettisme de convictions et de ligne stratégique suivi par Faure. On dirait du Mitterrand, mais sans l’inspiration florentine ni le talent du charmeur de serpent. Procès en inaction, ensuite, puisque l’opposant déclare espérer un parti qui agisse pour de bon. Procès en intégrité intellectuelle enfin, le même exprimant une espérance de vérité. C’est beaucoup et la mule Faure se retrouve de ce fait bien chargée.

Cela dit, la vérité selon M. Faure, elle viendra en son temps. Prévisible autant que cruelle. Il a beau déclarer aujourd’hui, juste pour se voir réélire, que « Mélenchon serait en 2027 le plus mauvais candidat pour la gauche », le moment venu il se fera une douce violence de retourner se prosterner à ses pieds et faire allégeance. Il en donne d’ailleurs dès à présent tous les signes. Quand LFI et son Pontife emploient dès les premiers jours le terme « génocide » pour qualifier la situation à Gaza, monsieur le Premier Secrétaire leur emboîte la pas. Quand les mêmes ont le front et la profonde bêtise d’accuser Bruno Retailleau d’instaurer en France « un racisme d’atmosphère », il fait immédiatement sienne cette accusation totalement irresponsable. La raison de ces soumissions à répétition est des plus simples. M. Faure n’a pas plus d’idées que n’en a encore son parti. Autrement dit, rien, nada, nibe, quedale, le vide. Et avec la réélection misérable et sans gloire de son Premier secrétaire, ce déjà fantomatique Parti socialiste vient sans doute de planter lui-même le dernier clou de son cercueil.

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Iago aux petits pieds

Mais là n’est pas l’affaire de M. Faure. Sa grande affaire à lui, c’est la gamelle, l’écharpe parlementaire. Lorsque, lui et son parti seront renvoyés dans leur but à l’issue des présidentielles, dont l’issue ne devrait guère être moins calamiteuse que la dernière fois, se la jouant perso, comme toujours, il ira une fois de plus lécher le gros orteil de M. Mélenchon afin de conserver sa rente de députaillerie de la 11ème circonscription de Seine-et-Marne. Un revirement de plus, une autre trahison de ce Iago aux petits pieds. Le dernier coup de marteau sur le clou sus-évoqué. Et le requiem du pauvre pour la seconde mort des Jaurès, des Blum. Et même d’un certain Mitterrand qui a dû bien rigoler en assistant à la mascarade des nains de jardins à la manœuvre, les Vallaud et consorts, si pathétiques dans le jeu pourtant fort prisé en son parti du « donne-moi la rhubarbe, je te passerai le séné ». On peut penser aussi qu’il aura moins rigolé en constatant que de l’écurie à politiques d’indéniable envergure qu’il avait si bien réussi à faire de son parti, il ne reste plus que la mangeoire. À peu près vide, de surcroît.

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Laure Murat: la défense des œuvres contre les ravages du «wokisme»

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Laure Murat © Philippe Matsas

Quand la gauche est quasiment sur le point de dire que le wokisme et les « sensibility readers » vont trop loin…


Professeur d’université à Los Angeles, Laure Murat, née en 1967, a publié des ouvrages dans lesquels elle fait preuve d’une approche originale de la littérature. Ainsi, nous avions beaucoup aimé Relire : une enquête sur une passion littéraire, en 2015, consacré à la relecture incessante des mêmes ouvrages, si possible des classiques. Laure Murat est également une « proustienne » confirmée, ce que nous démontrait récemment son Proust, roman familial, prix Médicis 2023, où elle décrivait comment elle s’intégrait, de par ses origines familiales, au petit monde très fermé de l’auteur de La Recherche. Après cela, nous ne l’attendions pas sur un sujet plus terre à terre, mais crucial : la réécriture de certains textes célébrissimes, afin de les adapter au politiquement correct de l’époque. Sincèrement passionnée par la littérature, Laure Murat s’inquiète du non-respect de l’intégrité des œuvres, dans le climat intellectuel d’aujourd’hui obsédé parun « wokisme » patenté, qui gagne de plus en plus de terrain. Dans ce petit livre qui paraît chez Verdier, Toutes les époques sont dégueulasses, Laure Murat déplore ces nouvelles mœurs qui touchent l’édition de best-sellers, comme Dix petits nègres d’Agatha Christie ou les James Bond de Ian Fleming, et d’autres encore.

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La confusion du débat actuel

Laure Murat note la « confusion du débat actuel ». Ce qui l’amène à distinguer entre « réécrire », où l’on réinvente une forme nouvelle, comme Racine avec ses pièces de théâtre, et « récrire », où l’on remanie un texte jusqu’à plus soif, pour lui redonner tel ou tel vernis. Le premier est un acte artistique, alors que le second s’apparente à un travail de correction, pour ainsi dire : de « rewriting ». Ainsi, le roman d’Agatha Christie, Dix petits nègres, devient Ils étaient dix, avec au passage la suppression du mot « nègre » qui pose problème désormais. Laure Murat se demande si le sens du livre n’en est pas changé, question très délicate. Elle ajoute aussi : « Gommer le racisme de l’auteur ou de l’autrice c’est une chose. Mais celui des personnages ? » Il se trouve que le détective des romans d’Agatha Christie, Hercule Poirot, est très probablement antisémite (il s’exclame quelque part : « Un Juif, bien sûr ! »). C’est insupportable, mais Laure Murat observe : « En tant que lectrice, n’est-ce pas utile que je connaisse les préjugés antisémites du détective belge ? » La remarque me semble pertinente. Effacer un terme ou une expression ne changera pas grand-chose, de toute façon. Le ver est dans le fruit : « Extirper d’un texte, écrit Laure Murat, ici un mot insultant, là un adjectif désobligeant revient à sortir des poissons crevés d’une eau qui, de toute façon, est empoisonnée. »On corrige la lettre, mais pas l’esprit…

Cynisme marchand

Récrire des classiques apparaît dès lors comme une chose inutile et même nuisible, cela nous semblera presque évident. Mais Laure Murat n’en reste pas là. Elle met en question le véritable motif de cette destruction programmée des textes originaux, revendiquée au nom des plus hauts principes moraux. Là encore, on est loin du compte. Laure Murat rectifie ce faux-semblant, en avançant une autre explication, bien plus prosaïque : « Dans la plupart des cas, la visée n’est pas prioritairement la morale, l’antiracisme ou la lutte contre les violences sexistes, comme on essaie de nous le faire croire, mais plus simplement l’argent. » Les livres d’Agatha Christie avec Miss Marple, ceux de Ian Fleming avec James Bond, etc., deviennent « ringards », et il faut les remettre au goût du jour. Les récrire est une volonté des éditeurs, angoissés de voir les ventes baisser. En réalité, réactualiser un vieux livre est uniquement motivé par le cynisme marchand de l’économie libérale, et non plus par une authentique nécessité idéologique.

À ne pas manquer, notre nouveau numéro en vente: Causeur #135: A-t-on le droit de défendre Israël?

Faire disparaître les traces

Laure Murat, c’est une qualité qu’il faut lui reconnaître, fait passer son honnêteté intellectuelle avant ses propres convictions politiques. Elle pointe ainsi sans hésiter ce qu’elle appelle « l’erreur de la gauche », qui serait de « faire passer pour des améliorations, voire une modernisation de la lecture, de vulgaires trucages intéressés, motivés par l’appât du gain ». D’ailleurs, dirons-nous, une véritable position de gauche ne consisterait-elle pas à laisser les textes intacts, pour mieux dénoncer les situations qu’ils relatent ? Il ne faut pas « priver les opprimés de l’histoire de leur oppression », avertit Laure Murat. Il ne faut pas faire disparaître les preuves.

Dans ce livre extrêmement efficace (dont le titre Toutes les époques sont dégueulasses est puisé chezAntoninArtaud), Laure Murat accomplit, avec une grande pertinence, le tour de la question. Elle n’hésite pas à polémiquer, estimant que la pensée wokiste va souvent trop loin. Néanmoins, et ce point me chiffonne un peu, elle ne croit pas qu’il faut parler de censure lorsqu’on récrit des classiques. Car, au fond, pense-t-elle, c’est au lecteur de juger, et il peut choisir, au lieu de la version modernisée, de lire le texte original — du moins tant que celui-ci est encore disponible en librairie…

Il y a certes un danger dans la culture, qui est déjà là, et que Laure Murat décrit avec intelligence et profondeur.

Laure Murat, Toutes les époques sont dégueulasses, « Ré(é)crire, sensibiliser, contextualiser ». Éd. Verdier, 77 pages.

Les répercussions de la victoire de Nawrocki en Pologne

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L’historien Karol Nawrocki, soutenu par le PiS, a été élu nouveau président de la Pologne. Nawrocki a obtenu 50,9 % des voix, devançant le maire libéral de Varsovie, Rafal Trzaskowski, qui a recueilli 49,1 %. Varsovie, 1er juin 2025 © Jaap Arriens/Sipa USA/SIPA

La Pologne semble prête à replonger dans le conservatisme, ou, diront certains à Bruxelles, l’illibéralisme. Un vote de confiance, prévu le 11 juin, apparait comme un quitte ou double pour un Donald Tusk en sursis.


L’élection de Karol Nawrocki, conservateur et pro-Trump, le 1er juin dernier à la présidence polonaise ne bouleverse pas l’équilibre institutionnel du pays. Mais elle marque un retour des conservateurs dans un pays bien plus puissant qu’il ne l’était à la fin des années du parti Droit et Justice (PiS). 

Son élection remet en cause l’élan pro-européen enclenché depuis 2023 par Donald Tusk, ce qui pourrait provoquer une recomposition politique de grande ampleur et déstabiliser l’ensemble du flanc est de l’Union européenne.

Une Pologne redevenue « fréquentable »

La Pologne oscille entre tentations communautaires autour du projet européen et révolution conservatrice d’un peuple qui ne veut pas mourir. 

De 2015 à 2023, le parti Droit et Justice (PiS) a gouverné le pays, portant parfois atteintes à l’indépendance de la justice, à la liberté de la presse et aux droits fondamentaux. En opposition constante avec Bruxelles, Varsovie s’était rapprochée de Budapest, formant avec Viktor Orban un bloc illibéral hostile aux ingérences de Bruxelles. Dans ce duo, la Pologne apparaissait plus puissante, mais aussi plus isolée. Une Europe à deux vitesses entre celle des libéraux et des conservateurs se dessinait alors.

Mais, avec la victoire de Donald Tusk en 2023, qui fut saluée comme un retour de la Pologne au cœur de l’Europe, cette époque semblait révolue. L’ancien président du Conseil européen incarne une Pologne ouverte, libérale, déterminée à restaurer l’État de droit et à réengager un dialogue constructif avec Bruxelles. Ses premiers mois au pouvoir ont permis de débloquer les fonds européens gelés, de relancer la coopération en matière de défense, et de redonner à Varsovie un rôle central dans le soutien à l’Ukraine. La Pologne était redevenue fréquentable, mieux : elle était redevenue stratégique.

Une onde de choc aux conséquences importantes

Karol Nawrocki n’a pas les clés du gouvernement, mais il a celles du blocage. En tant que président, il dispose d’un droit de veto législatif qu’il faut une majorité qualifiée (trois cinquièmes des voix) pour surmonter. Or, la coalition de Tusk ne dispose que d’une majorité simple. En d’autres termes, toutes les grandes réformes (de la justice aux médias publics en passant par l’éducation) risquent désormais de se heurter à une opposition présidentielle déterminée.

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Pour réagir, Donald Tusk a convoqué un vote de confiance, prévu le 11 juin. L’objectif : tester la solidité de sa majorité, donner un signal de fermeté, mais aussi, peut-être, provoquer un électrochoc politique. Car sa coalition est fragile, fondée sur des équilibres instables. Si le vote tourne à l’échec, la perspective d’élections législatives anticipées deviendra réelle. Et dans le climat actuel, les sondages indiquent une dynamique en faveur du PiS, qui pourrait reprendre le pouvoir, cette fois avec l’appui de forces encore plus radicales. Le court épisode libéral de 2023-2025 serait alors effacé par une vague conservatrice assumée. 

Le pire scénario pour Bruxelles

À Bruxelles, cette perspective inquiète. Premièrement, la Pologne pourrait être un nouveau pays politiquement paralysé après la situation de blocage en France, en Espagne et en Allemagne. Si Donald Tusk perd son vote de confiance, le pays pourrait entrer dans une période d’instabilité prolongée avec une future campagne électorale dure. Si, au contraire, sa majorité résiste, il devra composer avec un président hostile, forçant des compromis ou condamnant certaines réformes à l’enlisement. Or, la Pologne, pays dépensant le plus pour sa défense désormais, avait retrouvé ces derniers mois une place centrale dans l’équation européenne, au moment même où l’Union fait face à des défis inédits : la guerre en Ukraine et l’élection de Donald Trump. 

Deuxième crainte, le retour de la vague populiste et néoconservatrice. Karol Nawrocki défend une lecture conservatrice, religieuse et nationaliste de l’histoire polonaise. Très proche des milieux catholiques traditionnalistes, il a, dès son discours de victoire, mis en avant les « racines chrétiennes » de la nation et dénoncé « les tentations idéologiques venues de l’Ouest ». Après la défaite de l’AUR en Roumanie, l’Europe avait cru avoir contenu la contagion populiste, mais la séquence polonaise pourrait relancer l’offensive des droites illibérales avec la Hongrie d’Orban, la Slovaquie de Fico, et peut-être bientôt la Tchéquie (avec des élections en octobre), pour constituer un nouvel axe de blocage. Ces pays, bien que parfois isolés, savent s’allier pour neutraliser les projets communautaires : conditionnalité des fonds européens, sanctions contre la Russie, réforme institutionnelle, etc. Autant de chantiers qui pourraient être bloqués par un axe de refus assumé.

Troisième crainte, au moment où l’Union européenne cherche à s’affirmer comme puissance géopolitique, à renforcer son autonomie de défense et à préparer son élargissement vers les Balkans et l’Est, toute division interne est un coup porté à sa crédibilité. Une Pologne qui bloque, qui réactive ses vieux contentieux juridiques et qui s’isole à nouveau serait une entrave majeure à ces ambitions. D’autant plus que Varsovie est un acteur central de la politique de soutien à l’Ukraine. Si elle change de ligne, ou si elle s’enlise dans une crise institutionnelle, l’impact pourrait être régional.

L’élection de Karol Nawrocki à la présidence polonaise ne doit pas être sous-estimée. Ce n’est pas un simple changement de visage à la tête de l’État : c’est un signal, une alerte, un réveil. Elle montre que le reflux populiste n’est pas acquis, que les équilibres libéraux restent fragiles. Les élections polonaises ont montré que le pays reste divisé entre deux franges que tout oppose. Ce clivage, à l’image de ce qu’on peut observer dans d’autres pays, ne constitue pas une exception polonaise, mais une tendance de fond qu’il ne faut pas prendre à la légère. 

Pierre Clairé, Directeur adjoint des Etudes du think-tank gaulliste et indépendant Le Millénaire, spécialiste des questions internationales 

Marine Audinette, Analyste au Millénaire

Le Soudan entre médiations en échec et conflit complexe: une paix otage de calculs internes et d’ingérences étrangères

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Al Kalalah, 40 kilomètres au sud de Khartoum, 27 mars 2025 © Sipa

Le conflit au Soudan oppose les Forces armées soudanaises (FAS), dirigées par le général Abdel Fattah al-Burhan, soutenues par des islamistes et attachées à un pouvoir central autoritaire, aux Forces de soutien rapide (FSR) du général Hemedti, qui se présentent comme favorables à une transition civile et à un État fédéral. Après plus de deux ans de guerre, le conflit est enlisé, les médiations internationales ont échoué, et le pays est plongé dans une crise humanitaire majeure aggravée par des tensions ethniques. Analyse.


Plus de deux ans et deux mois après le déclenchement de la guerre entre les Forces armées soudanaises, dirigées par le général Abdel Fattah al-Burhan, et les Forces de soutien rapide, menées par le général Mohamed Hamdan Dagalo (Hemedti), le paysage soudanais s’enlise dans une crise multidimensionnelle, où s’entrelacent les intérêts régionaux et les dynamiques locales, tandis que les tentatives de médiation internationale échouent face à une réalité politique et sécuritaire d’une extrême complexité.

Selon les estimations des Nations Unies, la guerre a engendré plus de 15 millions de déplacés internes et de réfugiés, tandis que des milliers de personnes ont été tuées dans le cadre d’opérations militaires incontrôlées. Le Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés a qualifié la situation de « l’une des pires catastrophes humanitaires actuelles », avertissant que « le conflit menace de déchirer entièrement le Soudan et d’entraîner toute la région dans une instabilité durable ».

Des médiations piégées : échec récurrent ou absence de volonté ?

En mai 2023, l’Arabie Saoudite et les États-Unis ont lancé l’initiative de Djeddah pour établir un dialogue direct entre les deux parties belligérantes. Bien qu’un accord de principes ait été signé, engageant les parties au respect du droit humanitaire et à faciliter l’acheminement de l’aide, celui-ci est resté lettre morte. Un rapport de l’International Crisis Group (ICG) publié en décembre 2024 souligne que « l’initiative de Djeddah manque de mécanismes de suivi concrets, les engagements reposant uniquement sur la bonne foi des parties ».

Par ailleurs, les efforts de médiation régionaux menés notamment par l’Union africaine et l’organisation IGAD ont échoué, en raison des divisions internes au sein des instances régionales et des ingérences divergentes d’acteurs internationaux aux intérêts contradictoires.

La souffrance des civils : tragédie continue et accusations croisées

Au Darfour, l’une des régions les plus touchées, les populations font face à des menaces répétées de massacres et de déplacements forcés. Le 4 juin 2025, Human Rights Watch a publié un rapport documentant l’utilisation par l’armée soudanaise de bombes non guidées lors de bombardements sur des quartiers résidentiels de la ville de Nyala, causant des dizaines de morts un acte qualifié par l’organisation de « violation flagrante du droit de la guerre ».

Un précédent rapport publié le 25 février 2025 avait révélé un massacre dans le village de Tayba, dans l’État d’Al Jazira, perpétré par des milices islamistes alliées à l’armée. Ce massacre a coûté la vie à 26 civils, majoritairement des femmes et des enfants, et a été qualifié de « crime pouvant relever du nettoyage ethnique ».

Conflit d’intérêts : coup d’arrêt à la transition civile et retour des ambitions islamistes

La crise dépasse désormais le cadre militaire pour refléter un conflit politique interne exacerbé. Depuis le coup d’État d’octobre 2021, au cours duquel l’armée dirigée par Al-Burhan a renversé le gouvernement civil de transition, toutes les tentatives de former un gouvernement consensuel ont échoué. Les islamistes cherchent à rétablir leur influence historique sur l’État, notamment au sein de l’armée et des services de sécurité.

Selon Rosalind Marsden, spécialiste de la Corne de l’Afrique au sein du think tank Chatham House : « L’armée soudanaise n’a jamais réellement rompu avec son alliance avec les islamistes, malgré ses prétentions de neutralité. Des alliances discrètes entre hauts gradés de l’armée et les réseaux de l’ancien régime entravent tout véritable processus de démocratisation ».

Cette collusion suscite l’inquiétude des mouvements civils armés, tels que le Mouvement pour la justice et l’égalité et l’Armée de libération du Soudan – branche Minni Minawi, qui réclament un rééquilibrage politique fondé sur l’Accord de paix de Juba signé en 2020. Cependant, les rivalités autour du partage du pouvoir et des ressources ont paralysé la transition et rendu toute médiation internationale otage de ces divisions internes.

Tensions ethniques et tribales : le Darfour comme miroir des fractures

Au cœur de la crise, le Darfour subit une intensification des tensions ethniques, notamment contre des groupes non arabes tels que les Zaghawas. Un rapport publié par le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA) en mai 2025 indique que le déplacement forcé des populations zaghawas a dépassé les 220 000 personnes en un an, en raison d’attaques menées par des groupes paramilitaires soutenus par l’armée.

Des analystes estiment que cette marginalisation systématique exacerbe le sentiment d’exclusion parmi plusieurs communautés africaines du Soudan, risquant de transformer le conflit politique en guerre ethnique à grande échelle, difficilement maîtrisable.

Entre idéologie et terrain : polarisation extrême sans issue

Les Forces de soutien rapide ont tenté de se repositionner comme un acteur ouvert au dialogue avec les civils. Elles ont exprimé leur disposition à accepter des revendications politiques liées à un État fédéral, à la justice transitionnelle et à un cessez-le-feu une attitude qui leur a valu un certain soutien parmi la jeunesse, les mouvements civils et les courants laïques.

De leur côté, les forces armées s’appuient sur le soutien des islamistes, qui considèrent les revendications civiles comme une menace à « l’identité islamique de l’État ». Le pays se retrouve ainsi face à deux visions opposées : soit un retour à un pouvoir central dominé par une alliance militaro-islamiste, soit une transition vers un État civil pour tous les Soudanais.

Une paix conditionnelle et des paris risqués

Entre initiatives internationales avortées, ingérences régionales ambiguës et divisions locales profondes, l’avenir du Soudan reste suspendu à une équation difficile à résoudre. Sans consensus interne réel ni pression internationale efficace pour imposer des mécanismes de reddition de comptes et stopper l’afflux d’armes, toute tentative d’apaisement restera une solution de façade.

C’est dans ce contexte que l’appel du Secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, lancé en mai, résonne comme un avertissement stratégique : « Le Soudan n’a pas seulement besoin d’une trêve, mais d’une volonté politique collective capable de reconstruire l’État sur les ruines de la guerre et des divisions. Sans cela, la paix restera un mirage poursuivi par une nation en lente désintégration ».

Musk versus Trump: testostérone et idéologie

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Washington, 11 mars 2025 © Sipa USA/SIPA

Entre Trump et Musk, c’est la fin de la bromance ! Après avoir décoré Musk et loué ses « services incroyables » au sein du DOGE, le président américain propose une loi qui ferait exploser la dette. Musk s’étrangle, insulte le projet, et rêve d’un nouveau parti centriste. Quant à Steve Bannon, il propose désormais d’expulser ce travailleur immigré pas assez docile qui croit qu’un pays se gère comme une startup ! Jeremy Stubbs raconte et analyse.


« On vous l’avait bien dit ! » Tous ceux qui prédisaient que la « bromance » entre Donald Trump et Elon Musk ne pouvait pas durer sont en train de se féliciter. « D’ailleurs, ce qui était surprenant, c’est que leur alliance ait duré si longtemps », ajoutent-ils. Mais, la surprise générale face à cette longévité a été éclipsée par celle inspirée par la rapidité et l’acrimonie de leur rupture. Ces deux hommes, investis d’un pouvoir sans égal (que ce soit un pouvoir politique ou financier), possèdent chacun un égo démesuré, ont à leur disposition un haut-parleur à leur taille (X ou Truth Social) et ont rarement la langue dans leur poche. Ils se sont déjà querellés au cours des dix dernières années, mais jamais avec une pareille violence verbale et émotionnelle. 

Services incroyables

Tout s’est passé en moins d’une semaine. Vendredi 30 mai a lieu une cérémonie dans le Bureau ovale pour marquer la fin du mandat de Musk en tant que conseiller fédéral non-rémunéré, mandat qui a une limite statutaire de 130 jours. Trump remet à son futur ex-collaborateur et ami une clé d’or donnant accès symboliquement à la Maison Blanche, en déclarant : « Elon a rendu des services incroyables. Il n’y a personne comme lui ». A la différence de beaucoup d’autres conseillers de Trump, Musk peut donc partir avec toute sa dignité et les bonnes grâces du Donald. Mais mardi 3 juin, Musk attaque sur X le grand projet de loi que Trump veut faire approuver par le Congrès, projet de loi qui risque fort d’augmenter la dette fédérale. Tous les efforts de Musk au Département d’efficacité gouvernementale ou « DOGE » avaient eu pour objectif de réduire les dépenses de l’État. Non sans une certaine suite dans les idées mais sans aucune retenue dans son langage, Musk qualifie le projet de loi d’« abomination dégoûtante » (« disgusting abomination »), en ajoutant : « Honte à ceux qui ont voté pour lui ».

Deux jours plus tard, jeudi 5 juin, Trump, qui est dans le Bureau ovale où il reçoit le chancelier allemand Friedrich Merz, se dit « très déçu » par les propos de Musk et prétend que ce dernier savait depuis longtemps ce qu’il y avait dans le projet de loi. Musk répond par un post où il demande à ses suiveurs si c’est le moment de créer un nouveau parti politique aux États-Unis qui « représente vraiment les 80% des citoyens du centre » de l’échiquier politique. Il rappelle aussi, comme un avertissement pour les élus Républicains qui soutiennent ou qui sont tentés de soutenir le projet de loi, qu’il ne reste à Trump que trois ans et demi comme président, mais que lui a encore au moins 40 ans de vie devant lui…

Trump riposte sur Truth Social, en insistant sur le fait qu’il avait demandé à Musk de quitter son rôle fédéral, et en attribuant le chagrin de ce dernier au fait que le projet de loi annule beaucoup des crédits qui, jusqu’à présent, encourageaient les automobilistes à acheter des véhicules électriques comme celles que fabrique Tesla. Il ajoute que la façon la plus facile de réduire le budget fédéral est d’annuler les contrats et subventions accordés par l’État aux entreprises de Musk. Il suggère aussi qu’une autre des raisons de la désaffection de Musk, c’est son refus de nommer à la tête de la NASA le candidat préféré du patron de SpaceX.

Musk réplique en affirmant que Trump figure dans les dossiers du milliardaire pédophile, Jeffrey Epstein, et que c’est pour cette raison que ces dossiers n’ont pas encore été rendu publics. Une heure plus tard, il fait semblant d’annoncer que SpaceX va désaffecter son vaisseau Dragon, utilisé pour transporter des astronautes aux stations spatiales et les redescendre sur Terre. Devant l’énormité d’une telle décision, il recule peu de temps après. Trump semble garder son sang-froid : « Ça m’est égal qu’Elon se retourne contre moi, mais il aurait dû le faire il y a des mois ». Musk ne se retient plus, en accusant le président d’« ingratitude », car il n’aurait pas été élu sans lui. Il est vrai que Musk a investi pas loin de 300 millions de dollars dans l’élection de Trump et d’autres campagnes républicaines. Il renchérit en repostant un message d’un partisan qui appelle à destituer Donald Trump et à le remplacer par le vice-président J.D. Vance. Musk finit par prédire que le projet de loi provoquera une récession dans la deuxième moitié de l’année. Plus tard, Trump révèle qu’il pense vendre sa Tesla, qui est restée garée devant la Maison Blanche depuis des semaines. Selon lui, Musk aurait « perdu la raison » (« lost his mind »).

Corones

Sans surprise, les médias et les internautes se déchaînent, en se moquant de la fin de cette « bromance », comme le fait le New York Post :

En revanche, certains célèbrent le machisme de ces échanges musclés et virils, comme le fervent partisan du mouvement MAGA, Joey Mannarino : « Vous regardez deux hommes avec des couilles grosses comme la lune débattre d’une question. C’est ça, la masculinité ». Selon lui, dans ces conditions, une réconciliation est toujours possible entre deux hommes aussi masculins.

Il se peut bien qu’il y ait des raisons personnelles derrière cette brouille et aussi que des événements se passant dans les coulisses, que le public ignore, aient précipité la rupture. Mais il y a aussi des raisons idéologiques profondes qu’on ne peut pas ignorer.

Un Département de l’efficacité gouvernementale inefficace ?

En acceptant sa mission au sein du DOGE nouvellement créé en janvier, Musk avait fixé pour objectif d’éliminer les dépenses excessives et de réduire le budget fédéral de deux mille milliards de dollars – le terme américain est plus simple : deux trillions de dollars. Devant la difficulté extrême de la tâche, il a réduit le chiffre à un trillion. Depuis le mois d’avril, différents chiffres ont été cités par le gouvernement dans différents contextes : 170 milliards, 160, 150… Même ces chiffres seraient exagérés, selon certains commentateurs. Au moins un expert pense que le total des économies réalisées par le DOGE jusqu’à présent se situerait entre 10 et 30 milliards de dollars. Et même ce chiffre pourrait être réduit par les coûts induits par l’opération, car la réduction des effectifs du Trésor public pourrait rendre plus difficile la collecte des impôts. D’autres spécialistes prétendent quand même que la culture de la parcimonie promue par le DOGE aura des conséquences bénéfiques. Quoi qu’il en soit, l’action de Musk consistant à sabrer les budgets des agences fédérales de manière apparemment aléatoire se révèle moins efficace que prévue. Trump lui-même a compris que cette activité fébrile et mal contrôlée n’était pas adaptée à la situation réelle. Quand Musk apparaît sur une scène avec une tronçonneuse, Trump affirme qu’il faut y avec une « bistouri » plutôt qu’avec une « hache ».

L’échec, qu’il soit partiel ou total, de Musk résulte du fait que le gouvernement exécutif ne fonctionne pas comme une entreprise. Musk n’avait pas sur les agences fédérales le contrôle quasi-total qu’il a sur ses propres entreprises. Même son père, Errol, a déclaré qu’on ne gère pas un pays comme on gère une usine. En politique, il faut trouver des alliés et agir à travers eux, ce que Musk n’a pas fait. Il a reconnu lui-même qu’il ne s’est pas fait que des amis. Cette approche qui marche mieux dans le secteur privé que dans les institutions de l’État, est encore moins bien adaptée quand il s’agit d’un entrepreneur de la Silicon Valley. Les innovateurs du monde de la tech ont l’habitude, selon l’expression consacrée, de « bouger vite et casser des choses » (« move fast and break things »). Peu importe si une start-up échoue et perd de l’argent, il y aura une autre qui marchera ; un mauvais projet sera suivi d’un autre qui réussit. Au niveau fédéral, Musk n’a pas trouvé les victoires faciles qu’il espérait. Le gaspillage gouvernemental s’est révélé plus diffus et intangible qu’il ne croyait. Pour lui, la bureaucratie d’État était trop rigide pour accepter ses mesures ; mais en même temps, lui n’avait pas vraiment compris les rouages du gouvernement.

Cette collision avec la réalité politique s’est exprimée aussi à travers des confrontations acrimonieuses avec des figures-clés de l’administration, comme Marco Rubio, le secrétaire d’État, et Scott Bessent, le secrétaire au Trésor. Musk a eu aussi des mots durs pour Peter Navarro, le Conseiller du président sur des questions de commerce. C’est ainsi que, après s’être comporté un peu comme un éléphant dans un magasin de porcelaine, Musk a fini sa mission sur une déception et en partant avec le sentiment que les mondes du fonctionnariat et de la politique étaient rangés contre lui. Et à travers son projet de loi « grand et beau » – qu’il a surnommé son « Big, Beautiful Bill » ou « BBB » – Trump, aux yeux de Musk, a fini par être du côté des politiciens et des gratte-papiers de Washington.

L’État criblé de dettes

En même temps que Musk se sépare du monde politique, une scission commence à se dessiner au sein du mouvement MAGA. Steve Bannon, qui prétend incarner le versant le plus populiste du mouvement MAGA, n’a jamais caché sa détestation de Musk et a profité de la brouille entre lui et Trump pour appeler à ce que Musk, né en Afrique du Sud, soit expulsé des États-Unis en tant qu’immigré. La distance entre les positions de MM. Musk et Bannon représente deux attitudes différentes qui cohabitent non sans difficulté à l’intérieur de l’alliance relativement fragile qu’est le mouvement MAGA. Si les deux ont des points de vue similaires sur les effets négatifs de l’immigration de masse et de la culture wokiste, ils diffèrent sur le protectionnisme. Musk était mal à l’aise sur la question des tarifs, car Tesla a besoin de la Chine comme marché et comme source de matières premières. Il était contre l’idée de limiter le nombre de visas accordés à des immigrés hautement qualifiés dont ont besoin les entreprises du secteur de la tech mais que Bannon considère comme occupant des postes qui devraient revenir aux citoyens américains. Trump fait grand cas de la nécessité de réindustrialiser l’Amérique, mais les besoins de l’industrie lourde et de la Silicon Valley ne sont pas nécessairement les mêmes.

Musk incarne aussi, dans une certaine mesure, l’esprit libertarien des entrepreneurs de la tech qui rejettent toute intervention excessive de l’État dans leurs affaires et insistent sur le fait que le gouvernement fédéral devrait gérer ses dépenses comme le fait une entreprise. Ils sont, comme le président Reagan, contre le « big government ». Le DOGE était censé être l’expression ultime de cette ambition de réduire à la fois la dette du gouvernement et sa capacité de nuisance. C’est ainsi que le « Big, Beautiful Bill » de Trump apparaît, aux yeux de Musk, comme le contraire de son opération DOGE et le fossoyeur définitif de ses propres ambitions en termes de politique. La dette fédérale des États-Unis s’élève actuellement à 36 trillions de dollars (36 mille milliards). Le projet de loi, qui comporte des réductions d’impôts importantes, mais des réductions de dépenses de l’État très modestes, risque d’augmenter cette dette de 2,4 trillions sur dix ans. Le raisonnement de Musk est assez cohérent : comment Trump peut-il se prétendre contre l’État dépensier et lancer un tel projet de loi ? A moins qu’il ne soit hypocrite ?

Le « Big, Beautiful Bill » a été approuvé par la Chambre des représentants mais doit être approuvé par le Sénat où non seulement tous les démocrates s’y opposent, mais aussi un certain nombre de sénateurs républicains. Ces derniers sont soit des conservateurs sur le plan fiscal (« fiscally conservative ») soit des populistes voulant protéger les prestations sociales pour leurs électeurs des classes ouvrières. Musk menace les sénateurs républicains qui soutiennent le projet de loi de faire campagne contre eux à l’avenir, en laissant entendre qu’il pourrait sortir son chéquier pour aider leurs adversaires.

La brouille entre Musk et Trump a des conséquences graves pour chacun d’eux. Musk se retrouve sans allié à la Maison Blanche et même, potentiellement, sans allié politique de quelque bord que ce soit. Ses entreprises ont toujours eu besoin d’amis haut placés, et ce besoin va s’accentuer. Jeudi, le prix de l’action de Tesla chuté de 14%, réduisant la capitalisation boursière de l’entreprise de plus de 150 milliards de dollars et la fortune personnelle de Musk de 24 milliards. Certes, tout n’est pas fini. Si la compagnie a perdu 25% de sa valeur depuis le début de l’année, elle a gagné 60% au cours des 12 derniers mois, et elle reste très profitable. Mais, les tendances actuelles du marché ne lui sont pas favorables et Musk se trouve isolé, du moins pour le moment.

De son côté, Trump a perdu un soutien au portefeuille bien garni, un soutien qui risque maintenant de se transformer en un adversaire capable de saborder non seulement son beau projet de loi au Sénat, mais aussi la campagne des Républicains lors des élections de mi-mandat de 2026… Des rumeurs ont circulé, hier vendredi, selon lesquelles les deux ex-amis allaient se parler au téléphone, mais Trump les a finalement démenties. Son ancien grand ami s’était toujours présenté, non comme un partisan « MAGA », mais comme « Dark MAGA », le MAGA de l’ombre. Un titre désormais approprié pour un frère ennemi…

Pénélope Marsh, rédemptrice?

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Le romancier Anixa Carrie. DR.

Un parfum d’été dans l’air, et on a envie de se nettoyer les neurones avec un roman noir, mais un bon, écrit par un styliste aux inspirations bluffantes, qui signe une intrigue originale, ce qui n’est pas toujours le cas dans cette catégorie surchargée. Les Éditions Kubik proposent une collection exigeante intitulée « Outrenoir ». La maison, située dans le XIIe arrondissement de Paris, relancée en 2022, après une période de mise en sommeil, est dirigée par Christian Carisey, philosophe de formation, auteur de plusieurs romans, dont L’opération Jackson Pollock (Kubik, janvier 2025). Parmi le catalogue, après hésitation, tant les résumés des ouvrages publiés cette année sont alléchants, j’ai jeté mon dévolu sur L’Affaire Pénélope Marsh, et j’avoue ne pas avoir été déçu.

Pénélope Marsh entend des voix depuis la fin de l’enfance, de mauvaises voix qui lui ordonnent de tuer, et non de sauver comme Jeanne d’Arc. De tuer d’abord des poules parce que « ça pue, ça fait du boucan ». Alors Pénélope Marsh s’exécute, elle tape dans la poule idiote. C’est le début, ça va s’intensifier. Pamela a vingt-deux ans, elle est née dans une ferme, elle est myope, avec un nez de furet. Elle a obtenu son bac avec mention, elle n’est pas idiote, ça aggrave son cas. Son père est mort dans un accident de la route, cadavre en bouillie, méconnaissable. Sa mère rencontre un « gros, un transpirant ». Elle lui est soumise, jeu sado-maso, pas tendance Catherine Robbe-Grillet, tendance bien dégueu. Paméla le saigne comme un porc. Puis elle étouffe sa mère, toute creusée par le cancer. Elle obéit aux voix qui « squattent » au fond de son crâne. Elle a une mission, en fait, elle lutte contre les parasites, les nuisibles. Il y a du boulot. Les voix insistent : « Tu dois libérer les esprits tourmentés. »

Vaste programme. Elle bute une fille blonde, mauvais genre, prostituée et camée. Le hic, c’est que l’auteur, Anixa Carrie, instille dans l’esprit du lecteur le doute. A-t-elle rêvé son meurtre ou a-t-elle vraiment liquidé la blondasse à grosses fesses, vulgaire ? La réalité est souvent trompeuse. Le rêve peut paraître davantage certain. Pénélope continue à subir les oukases des voix, avec « des mots à balles réelles ». L’auteur a du souffle, il nous tient en haleine, on ne lâche pas l’affaire. On suit la jeune exaltée dans sa vieille Dodge « couleur eau sale ». La schizophrène achète, avec l’héritage de sa mère, une maison au bord d’une rivière. Elle finit par tuer dans des conditions atroces le propriétaire, un vicieux qui lisait des revues pornos. Mais voici l’arrivée d’un flic, l’inspecteur Clévelin. Un méticuleux. La fille nous raconte son histoire sanglante, elle se repasse les scènes, elle est en boucle, ça donne le tournis au lecteur, il finit par être contaminé par le mécanisme déréglé de Pénélope qu’on n’arrive pas à détester complètement. Elle balance : « C’est la vision que j’ai de la vie. Une garce bien pire que la mort. » Ou encore : « Il y a une multitude de morts. Il n’y a pas une unique image de la mort, c’est faux. » Est-elle totalement condamnable ? Est-elle une rédemptrice qui mérite notre clémence, dans un monde où la perversité domine ? Est-elle totalement cintrée ? On veut savoir, on poursuit dans la noirceur à peine éclairée par « la lumière pisseuse des phares poussiéreux de la Dodge ». Cette bagnole achetée à la casse, elle est bizarre, elle finit par avancer toute seule, direction un cimetière. Le flic réapparait, c’est bien un fouineur, il a retrouvé le porte-clés de la vieille bagnole sur le lieu d’un des crimes de Pénélope. La suite réserve son lot de surprises, jusqu’à la dernière ligne.

Anixa Carrie, L’Affaire Pénélope Marsh, Kubik Éditions. 168 pages

Aimez-vous Brahms ?

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DR.

Il faut saluer encore et encore le travail exemplaire de la Fondation Singer-Polignac – entre gens bien élevés, on prononce « singé-polignac », et surtout pas « singère » ! – sis dans l’écrin tout à la fois opulent et discret de l’hôtel particulier néo XVIIIème de l’avenue Georges Mandel, héritage, comme l’on sait, de Winnaretta Singer, princesse de Polignac (1865-1943). Créée il y a presque vingt ans, la résidence musicale soutient la musique de chambre et orchestrale, accueillant en outre au quotidien les répétitions des artistes mais leur donnant, surtout, la chance de se produire sous les ors du somptueux Salon de musique, dans le cadre du Festival Singer Polignac dont la 6ème édition s’achève ce dimanche 8 juin. 

 « Juin ton soleil ardente lyre/ brûle mes doigts endoloris… », chantait Apollinaire. Ce jeudi 5 juin, une pluie battante attendait plutôt les invités triés sur le volet venant assister au concert vespéral ouvrant les festivités, à l’enseigne de Vivaldi. L’essentiel étant que ce concert, tout comme tous ceux de la manifestation, filmés dans un grand raffinement de régie par le réalisateur Guillaume Klein, sont non seulement diffusés en direct et en libre accès sur la plateforme singer-polignac.tv, mais également retransmis en ligne et promis à rester disponibles en replay  sur la plateforme de streaming de medici.tv, partenaire de la maison, jusqu’à la fin de l’année 2025.  

Sous les ondées et sous le signe du Caravage – Il Caravaggio, nom de la formation orchestrale dirigée par la cheffe claveciniste Camille Delaforge – , un programme Vivaldi, joué sur instruments d’époque, réunissait quelques joyaux inégalement célèbres du compositeur vénitien, dont certains morceaux écrits pour le castrat Farinelli, et que chantait ici la superbe mezzo française Eva Zaïcik. Le week-end de Pentecôte s’ouvrait vendredi soir dans le jardin ensoleillé de l’hôtel de Polignac où un verre était servi avant un double concert d’exception, consacré, cette fois, à Brahms. Avec en hors d’œuvre le trio n°2 pour piano, violon et violoncelle, précédé de la sublime sonate pour violon et piano n°3 et, en guise de digestif, dans un adorable arrangement pour trio, une courte pièce de Mendelssohn extraite des Romances sans parole originellement écrites pour piano (au clavier, Arhtur Hinnewinkel, 24 ans, en résidence à la Fondation, Emmanuel Colley au violon, Stéphanie Huang au violoncelle). Le plat de résistance était, sans conteste, en deuxième partie de soirée, le célèbre Quintette pour clarinette et cordes opus 115, mais dans l’arrangement pour alto de Brahms lui-même, interprété ici à la perfection par le Quatuor Agate, formation spécialisée dans le répertoire brahmsien, avec l’altiste virtuose Adrien La Marca, associé à la Fondation, lequel donnait à ce chef-d’œuvre absolu une vibration, une intensité confondantes. En conclusion de ce second concert de vendredi, la sonate n°1 pour alto et piano était l’occasion de découvrir le talent de Jérémie Moreau, pianiste âgé de 25 ans, au physique de jeune premier, qui a pratiqué la danse classique et, associé à ses frères et sœurs au sein du « trio Moreau », est actuellement en résidence à la Fondation. 

On ne laissera pas de vous recommander de suivre à distance la suite et fin du Festival Singer-Polignac, ouverte à d’autres champs de la composition « savante » : l’ensemble Les Illuminations, voyage au long cours à travers les siècles autour du violoncelle, puis un programme éclectique réunissant Mendelssohn, Rafael Catala et Schumann, par le Trio Zadig ce samedi. Dimanche, Gérard Grisey, Tristan Murail, Imsi Choi, Philippe Hurel, musique spectrale donnée par l’Ensemble Ecoute sous la direction de Fernando Palomeque ; et enfin Bakthi, musique mixte signée Jonathan Harvey, concert dirigé par Maxime Pascal à la tête de la formation Le Balcon, concert retransmis en direct sur medici.tv   

Fondation Singer-Polignac. 43 avenue Georges Mandel 75116 Paris. 

Sertraline: une seule molécule vous manque, et le monde est dépeuplé

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Image d'illustration © SINTESI/SIPA

Pénurie de psychotropes : pourquoi un médicament très utilisé comme la sertraline est-il de plus en plus difficile à trouver en France, et pas ailleurs ? De nombreux malades mentaux se retrouvent ainsi abandonnés, alertent les psychiatres[1].


Depuis plusieurs mois, la France est confrontée à une pénurie préoccupante de sertraline, l’un des antidépresseurs les plus prescrits dans le pays. Des milliers de Français souffrant de dépression, d’anxiété ou de troubles obsessionnels compulsifs peinent à accéder à leur traitement habituel, contraints d’en interrompre la prise ou de le remplacer dans l’urgence, notamment par le Déroxat (paroxétine) et le célèbre Prozac.

Wanted : Zoloft ®

Mais cette crise ne se limite pas à l’Hexagone. Plusieurs pays dont les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada, l’Allemagne ou encore l’Australie, ont eux aussi connu ces dernières années des tensions ou des ruptures dans l’approvisionnement en sertraline. Ces pénuries récurrentes révèlent une vulnérabilité systémique. La fabrication de la molécule repose sur un nombre restreint de producteurs du principe actif, principalement installés en Chine et en Inde. Ainsi, un incident localisé dans un site de production peut entraîner une onde de choc à l’échelle mondiale.

Depuis son autorisation de mise sur le marché au début des années 1990, la sertraline s’est imposée comme l’un des traitements antidépresseurs les plus prescrits au monde. Appartenant à la classe des inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS), elle incarne une nouvelle ère de la psychiatrie pharmaceutique, marquée par son efficacité, une tolérance supérieure aux anciens antidépresseurs tricycliques, et une large palette d’indications thérapeutiques. Derrière son succès clinique se cachent cependant des contraintes industrielles, géopolitiques et économiques.

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La sertraline est découverte dans les années 1970 au sein des laboratoires Pfizer par Reinhard Sarges et Kenneth Koe, deux chercheurs engagés dans la course à l’« antidépresseur idéal », moins toxique et mieux toléré que les tricycliques ou les inhibiteurs de la monoamine oxydase (IMAO) comme le Laroxyl (amitriptyline), Anafranil (clomipramine), Moclamine (moclobémide).  Après des années de développement, elle est approuvée par la FDA (Food and Drug Administration) en 1991 sous le nom commercial Zoloft.

Ce succès s’explique par sa grande efficacité sur une large gamme de troubles mentaux (dépression, anxiété, TOC, trouble panique, TSPT, phobie sociale), mais aussi par sa bonne tolérance, sa faible toxicité en cas de surdosage et son profil métabolique relativement stable. Cette spécificité contribue à réduire les effets secondaires liés à l’agitation, aux troubles du sommeil ou à la prise de poids, souvent observés avec d’autres molécules.

La sertraline est également l’un des ISRS les plus utilisés en périnatalité, notamment chez les femmes enceintes, en raison d’un meilleur rapport bénéfices / risques documenté.

Brevet ayant pris fin en 2006

Cependant, synthétiser la sertraline n’est pas simple. Sa structure chimique complexe nécessite des procédés industriels avancés, notamment pour garantir l’obtention de la seule pharmacologiquement active. Plusieurs étapes critiques requièrent un savoir-faire chimique poussé et des équipements spécialisés.

Depuis la levée du brevet de Pfizer en 2006, la production de sertraline s’est fortement diversifiée. Plusieurs laboratoires génériques – Teva (Israël), Mylan/Vitaris (États-Unis), Aurobindo (Inde), ou encore Sandoz (Suisse) – fabriquent désormais cette molécule. Toutefois, en dépit de cette diversité apparente, la production industrielle reste concentrée dans quelques régions du monde : la Chine et l’Inde pour les matières premières et les principes actifs (API), l’Europe et les États-Unis pour la formulation et le conditionnement.

La sertraline est l’un des antidépresseurs les plus prescrits au monde. En France, elle se classe parmi les trois ISRS les plus utilisés avec la fluoxétine (Prozac) et l’escitalopram (Seroplex). Aux États-Unis, elle figure depuis plusieurs années dans le top 20 des médicaments les plus prescrits, toutes classes confondues.

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Selon les estimations, le marché mondial de la sertraline générait, avant expiration du brevet, environ 3 milliards de dollars par an pour Pfizer. Aujourd’hui, le chiffre d’affaires est réparti entre plusieurs producteurs de génériques, mais demeure important du fait de la consommation massive : on estime que des dizaines de millions de patients en prennent régulièrement dans le monde.

Comparée à la fluoxétine (Prozac), première star des ISRS, la sertraline est souvent préférée pour traiter les troubles anxieux, les TOC ou les TSPT. Elle induit moins d’activation psychomotrice, un effet parfois problématique avec le Prozac, notamment en début de traitement. En revanche, la fluoxétine possède une demi-vie beaucoup plus longue (environ une semaine), ce qui la rend utile pour les patients à risque de non-observance, mais plus délicate à gérer en cas de changement thérapeutique ou d’effets indésirables.

La pénurie de sertraline révèle bien plus qu’un simple défaut logistique. Molécule sûre, efficace, et irremplaçable pour des millions de patients, la sertraline est un paradoxe : essentielle sur le plan médical, mais de moins en moins viable économiquement dans certains marchés comme la France.

Pas assez cher, mon fils !

La faible rentabilité de la sertraline en France s’explique par un modèle économique du médicament fondé sur la régulation étatique des prix, la promotion des génériques et le contrôle strict des dépenses de santé. Depuis la fin du brevet de la molécule, le prix de la boîte a été drastiquement réduit, parfois à moins de deux euros, ce qui laisse aux laboratoires des marges extrêmement faibles une fois déduits les coûts de production, de conditionnement, de conformité réglementaire et de distribution. Dans ces conditions, une politique publique visant à garantir un large accès aux soins, place le marché français en bas de la hiérarchie des priorités commerciales des groupes pharmaceutiques, surtout en comparaison avec d’autres pays européens comme l’Allemagne ou l’Italie, où la même molécule peut être vendue deux à trois fois plus cher.

À cela s’ajoutent des mécanismes spécifiques au système français, tels que les remises obligatoires aux pouvoirs publics, les clauses de régulation du chiffre d’affaires, les contraintes administratives lourdes et l’absence de différenciation commerciale entre génériques concurrents. Ce dernier point est l’un des traits distinctifs du marché pharmaceutique français, et l’un de ses paradoxes les plus silencieux. En théorie comme en pratique, toutes les spécialités génériques d’une même molécule sont considérées comme équivalentes : elles ont le même principe actif, le même dosage, la même forme galénique, et bénéficient du même taux de remboursement. Cette logique d’interchangeabilité est renforcée par le droit du pharmacien à substituer librement une marque par une autre, sans que le patient ou le médecin n’en soit informé (sauf mention explicite). Mais ce système élimine aussi toute incitation à l’investissement différencié dans la qualité du service, la robustesse de la chaîne logistique ou la réactivité en cas de pénurie. Puisque aucun fabricant ne peut valoriser ses efforts ni par le prix, ni par la visibilité de la marque, ils sont tous enfermés dans une logique de réduction des coûts. Pensé pour contenir les dépenses publiques, ce modèle uniformise, sans garantir la sécurité et ainsi finit par fragiliser la disponibilité des médicaments essentiels. Dans ce contexte, les laboratoires sont souvent tentés de réduire leurs volumes, de retarder les relances de production ou même de quitter le marché, notamment lorsqu’une tension mondiale apparaît sur les principes actifs. Ainsi, la crise de la sertraline révèle aussi les limites d’un système de régulation qui, à force de viser l’efficience économique, finit par compromettre la disponibilité continue de traitements fondamentaux pour des millions de patients.


[1] https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/04/15/les-reponses-des-pouvoirs-publics-restent-insuffisantes-face-aux-penuries-de-medicaments-essentiels-en-psychiatrie_6596297_3232.html

De la politesse en politique

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Bruxelles, mai 2010 © Michel Euler/AP/SIPA

En politique, la politesse c’est comme le cirage sur des chaussures usées: ça ne change pas la démarche, mais ça évite les éclaboussures. Malheureusement, tout comme on préfère aujourd’hui les baskets à lacets défaits, mon bon Monsieur, elle se perd…


Un Nicolas Sarkozy qui, en visite en Allemagne, parle de « Monsieur Merkel » à sa présumée épouse et chancelière, alors que nul époux ne répond à ce nom ; un jeune chargé de mission qui, seul au milieu de ses collègues en rang d’oignons, se fend d’un impromptu baise-main à une Danielle Mitterrand peu accoutumée à la chose, et qui, faute de contrôler la dynamique des gestes, si l’on peut dire, se récolte une main dans le nez ; la présidente de l’Assemblée nationale qui, le 6 février dernier, victime d’un cerveau dont on ne saurait dire s’il est binaire ou primaire, commet un sacré ou, plutôt, très laïque lapsus, en évoquant, lors d’un colloque consacré au Proche-Orient, les « talibanais », voilà des exemples de fautes à cheval sur le savoir-vivre, la civilité et la politesse, toutes notions qui se recouvrent et dont l’étude et l’application, contrairement à ce que l’on pourrait supposer de prime abord, relèvent plus de la science exacte que de l’art.

Chose au monde de moins en moins partagée

C’est l’enseignement que nous retirons de ces deux précis de composition (au sens où l’on sait que l’on doit ‘‘se composer’’ une attitude, une manière d’être, de dire et de faire, selon les lieux, les pays, les circonstances et les gens à qui l’on a à faire).

« Il est poli d’être gai » prétendait Voltaire. Si la gaité ne doit pas nécessairement être considérée comme une composante intrinsèque de la politesse, pour le moins, au contraire, pouvons-nous estimer indispensable que l’homme politique, plus largement, l’homme du politique (l’éminence grise, le diplomate tout autant que le député d’une circonscription ingrate) soit pénétré de l’intérêt qui est le sien (et de ses ouailles) d’être, en tous ses agissements, empreint de componction et de ce vernis de politesse qui, à la longue, deviendra une seconde nature.

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Il se déduit de l’origine très peu rousseauiste du mot « politesse » que cette dernière n’est pas naturelle à l’homme « républicain », pétri de la vertu d’égalité et de transparence démocratique. En effet, étymologiquement parlant, nous enseigne le lexicologue Jean Pruvost, cette fameuse politesse, qui devient chose au monde de moins en moins partagée (parce que plus guère inculquée), « correspond au fait de passer au fouloir une étoffe usagée pour la remettre à neuf (…). D’où l’idée de falsification. » Cette politesse n’est donc nullement naturelle à l’homme. Elle répond à l’ « état de culture », s’apprend et s’entretient. A l’état brut, si l’on ose s’exprimer ainsi, elle est feinte, artificieuse ; tout l’art du bon homme poli consistera à donner une patine de « vieilli », de douceur et de naturel à ce qui ne l’est donc point. En son origine, la politesse est donc d’ordre artisanal et a ainsi partie liée avec le façonnage, le « fait main », les bonnes et mauvaises façons et manières, la contrefaçon. Sans surprise, on apprend que cette politesse s’épanouira au XIVème siècle, en Italie, en tant que synonyme de propreté physique pour s’élargir, toujours florentine et romaine, à celui du « raffinement d’une œuvre d’art ou littéraire ». En une juste extrapolation, pouvons-nous de la sorte estimer qu’encore de nos jours, un ouvrage comportant de nombreux mots imprimés en italiques traduit (sans, ainsi, directement l’exprimer) un propos d’une subtile politesse.

Visage poli

Ce n’est qu’au début du règne du Grand roi (que nous ne saurions, sauf à commettre l’impolitesse qui consisterait à sous-estimer la culture historique de nos lecteurs, désigner plus avant) que le terme prendra l’acception – dont on ne sait si elle est encore vraiment d’actualité – de qualité «nécessaire dans le commerce des honnêtes gens », une qualité, précise-t-on, qui les « empêche d’être choqués et de choquer les autres par de certaines façons de parler trop sèches et trop dures, qui échappent souvent sans y penser (…) ». Où l’on retrouve cette idée que l’homme poli par excellence est celui dont l’enveloppe est semblable à cette pierre au fond de la rivière, tellement polie par les ans et par les eaux que sur elle tout glisse et qu’ainsi vous ne serez pas susceptible d’être blessé

Il est vrai qu’il ne faudrait tout de même pas pousser trop loin la métaphore car, à force de montrer un visage poli, de faire montre de politesse, on risque de ressembler au savon qui vous glisse entre les doigts, qui vous échappe, on risque de se faire percevoir insaisissable, ce qui pourrait bien être une forme, et non des moindres… d’impolitesse.

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Science toute humaine tout autant qu’art, on pourrait dire de la politesse ce que Napoléon Ier disait de la guerre, qu’elle est un art tout d’exécution, – ce qui nous semble synonyme : d’adaptation. Pour trancher – manière de parler car, en la matière, à l’échelle des siècles, rien n’est arrêté ! –  de certains points litigieux, touchant par exemple aux vins, au baise-main, à l’emploi de certains termes plutôt que d’autres, on s’en remettra à la brochure d’Alix Baboin-Jaubert publiée, est-il écrit sur la première de couverture, par un « éditeur de qualité depuis 1852 ». Comme dirait l’autre, on n’est jamais aussi bien poli que par soi-même.

L’insoumis Louis Boyard refuse de serrer la main au député RN Philippe Ballard, lors du vote pour la présidence de l’Assemblée nationale, Paris, le 28 juin 2022, D.R.

Cela dit, on regrette de ne pouvoir ici s’étendre plus sur les dégâts contemporains de l’impolitesse, d’en dresser une sorte d’état des lieux (lieux communs compris !) illustrés de faits inédits tirés et recensés de l’actualité politique contemporaine ou lointaine, intérieure ou étrangère. On en aurait déduit que la politesse, pour être complète, ne doit pas seulement gouverner nos faits et gestes mais qu’elle doit animer jusqu’à nos pensées, et, mieux, notre impensé. C’est à cette condition, comme nous l’envisagions à l’orée de cet articulet, qu’en application de la fameuse exclamation de Buffon, Le style, c’est l’homme même ! , elle pourrait nous devenir naturelle.

En attendant (d’y parvenir), il est peut-être un moyen d’y suppléer, c’est d’initier, d’encourager et favoriser cette politesse du cœur que développe sur douze pages Jean Pruvost et contre laquelle la très humaine et très évangélique Alix Baboin-Jaubert ne saurait s’inscrire en faux. A cette provenance-là de la politesse, on acquiescera, car elle permet non seulement de ne pas faire de faux pas, mais, en outre, l’amour-propre même s’en satisfera puisque l’exercice de cette ‘qualité d’âme’ est en définitive une mise en application du mot de Marcel Proust, lequel soutenait que « le comble de l’intelligence, c’est la bonté. »

Jean Pruvost, La Politesse – Au fil des mots et de l’histoire, Tallandier, 317 p.

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Alix Baboin-Jaubert Bonnes manières et politesse, Larousse, 64 p.

En attendant Bégaudeau…

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L'écrivain d'extrême gauche François Bégaudeau. Capture YouTube.

… lisez l’enquête de François Bousquet sur le racisme antiblanc


Non seulement il fait partie de cette caste rassemblant les êtres les plus étriqués et les plus sectaires de la prétendue élite intellectuelle de gauche – un mélange hétéroclite de sociologues sous-bourdieusiens, de philosophes sous-foucaldiens, d’universitaires wokes et d’écrivains égocentrés – mais François Bégaudeau en est même une sorte de synthèse. Il se revendique en effet tout à la fois de la sociologie politico-indigente de Geoffroy de Lagasnerie et de Didier Éribon, de la littérature sociologico-nombriliste d’Annie Ernaux et d’Édouard Louis, des réflexions politico-totalitaires de Sartre et d’Alain Badiou. Depuis le succès du film démagogique Entre les murs (Palme d’Or à Cannes en 2008 – logique !) tiré de son roman (Prix France Culture-Télérama en 2006 – normal !), M. Bégaudeau passe son temps dans les médias à palabrer sur la bourgeoisie, qu’il exècre, et le prolétariat, dont il a entendu parler. Car un regret mine depuis toujours ce fils d’enseignants : il n’est pas issu et n’a jamais fait partie de la classe ouvrière. Pire, avouait-il dans un livre intitulé Histoire de ta bêtise, il a acquis un bien tout ce qu’il y a de plus bourgeois, selon lui, un appartement dans le 11ème arrondissement de Paris. M. Bégaudeau tente d’effacer cette tache indélébile en battant sa coulpe et en donnant moult détails sur l’origine des sommes d’argent qui lui ont permis d’accéder à la propriété – un héritage, un emprunt, des droits d’auteur. Il tient à préciser que son statut privilégié ne l’empêche pas d’avoir des envies révolutionnaires : « Mon compte en banque et mon patrimoine dessinent un cadre bourgeois qui devraient m’assimiler à un cadre de pensée bourgeois. Ce n’est pas le cas. J’appartiens à une classe supérieure dont je persiste à envisager, sinon souhaiter, la destitution. Je suis propriétaire et je délégitime la propriété. Les jours de grande morgue, il ne faut pas me servir trop de pintes pour que je préconise son abolition ». On suppose que c’est après une virée bien arrosée entre amis qu’il a, selon son propre aveu, voté pour Besancenot en 2002. En 2007, dessoûlé, il votera pour Ségolène Royal. Sa connaissance des classes laborieuses étant essentiellement livresque et politique, il s’est fait du prolétaire, de l’ouvrier, une image assez particulière, à partir de laquelle il a aménagé et entretient son appartement : un « carton Franprix » lui sert de « table de nuit » ; il semble tout heureux d’avoir des « murs écaillés par un dégât des eaux » ; il évite de faire le ménage : « ici, la règle est le sale ». Aveu inconscient d’un gauchiste imprégné d’une iconographie surannée et imaginant l’ouvrier vivant dans la crasse tandis que le bourgeois se vautre dans une propreté tapageuse, fruit de l’exploitation du prolétariat. Le mépris et la condescendance à l’endroit des Français les plus modestes peuvent prendre différents visages. François Hollande se moquait des « sans-dents », Benjamin Griveaux brocardait les « gars qui fument des clopes et roulent au diesel », Agnès Pannier-Runacher se passe de l’avis des « moins riches » à propos des ZFE parce que, selon elle, « ils n’ont pas de voiture » – François Bégaudeau, lui, est persuadé que les prolétaires sont sales et, pour montrer sa solidarité, n’époussette pas ses meubles en carton.

Le wokisme n’existe pas, les prolos en rajoutent sur l’insécurité…

M. Bégaudeau assure qu’il est un « intellectuel anarchiste » proche du peuple et non un « bourgeois ». La preuve : « Je ne remplacerai pas les quatre lattes défoncées de mon parquet, mais je me sentirais personnellement blessé par un texte qui défonce Deleuze. » Les pages d’Histoire de ta bêtise, fastidieuses, rébarbatives, adoptent un style tantôt trivial et supposément populaire, tantôt lourdement didactique et censément politico-révolutionnaire. Il s’y glisse quelques séances de molle auto-flagellation immédiatement recouvertes par des justifications ridicules censées dédouaner le bourgeois qu’il est devenu mais qu’il abhorre presque autant que cette gauche embourgeoisée, social-démocrate, socialiste ou convertie au macronisme, qu’il qualifie de « bête » et à laquelle il réserve ses diatribes les plus mordantes. En parlant de bêtise…

À propos du wokisme, M. Bégaudeau affirme, dans l’émission Les Incorrectibles animée par le journaliste Éric Morillot, que « c’est un truc assez improbable à définir » mais que « c’est un mot qui – attention ! tenez-vous les côtes, ça va secouer ! – a très bien circulé parce que c’est un cadeau à la droite. C’est la meilleure façon qu’a trouvé la droite de ne surtout pas discuter ou avoir à répondre avec ce qui est son vrai ennemi et ce qu’elle a toujours identifié comme le camp véritablement dangereux pour elle, à savoir le camp communiste, au sens le plus littoral du terme, celui qui veut exproprier ceux qui possèdent. C’est ça que les bourgeois craignent depuis toujours. Comme ils n’ont rien à dire à l’hypothèse communiste – parce qu’ils sont pris la main dans le sac par le communisme, quand même – alors ils préfèrent détourner un peu l’attention et ils vont un peu recolorer la gauche à leur manière, ils vont un peu la ridiculiser, ils vont aller chercher des éléments ridicules dans ce qui se présente comme étant de gauche, et ils vont appeler ça le wokisme[1]. » Bravo à Éric Morillot qui a pu écouter cette marmelade sans éclater de rire. Et merci à lui de nous avoir offert la preuve ultime que M. Bégaudeau est bien ce qu’il paraît être et que la décence m’interdit d’écrire ici.

Récemment, sur la chaîne YouTube Crépuscule[2], entre de courtes considérations philosophiques et littéraires d’une pauvreté analytique consternante, M. Bégaudeau a livré cette fois le fond de sa pensée sur les Français qui subissent les effets délétères de la submersion migratoire et qui ne veulent plus se taire. Pour lui, la crainte de l’insécurité liée à l’immigration ne peut être qu’un « stress », une « fébrilité » sans réel fondement ; les prolos et les ploucs ont tendance à en rajouter, surtout s’ils écoutent certains médias : « Il n’y a qu’à écouter les gens quand on s’attarde dans un PMU, dans un rade, ça va très vite. Et puis moi, j’en ai dans ma famille donc je vois à peu près à quoi ça ressemble. » Ce ça, proféré avec une moue de dégoût, révèle le principal sentiment qui anime le bourgeois gauchiste : la haine des « petits Blancs ». D’après lui, les seuls qui parlent sérieusement de l’immigration, « ce sont les gens de gauche. Les gens de droite ne parlent pas de la question de l’immigration. Ils parlent d’une seule chose qui est : dans quelle mesure est-ce que les Noirs et les Arabes vont me compliquer ma vie à moi, petit Blanc de France. » Adepte des thèses décolonialistes d’Houria Bouteldja, M. Bégaudeau reprend à son compte l’idée d’un racisme systémique dans la société française et considère que la peur de l’immigration n’est qu’une « petite panique pseudo-identitaire et raciste de petits Blancs paniqués ». Ces derniers, dit-il, n’ont aucune raison de s’alarmer : « Vous qui vous inquiétez de savoir si vraiment la submersion migratoire va liquéfier la culture française, liquéfier nos vies, violer nos femmes, multiplier la délinquance… calmez-vous un peu ! » 

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Voici venu le moment de donner un conseil de lecture à M. Bégaudeau. Le racisme antiblanc, de François Bousquet, est sorti en avril 2025 et jouit d’un succès mérité – Gilles-William Goldnadel, qui connaît ce sujet à fond et a été un des premiers à le traiter sérieusement[3], en a fait l’éloge dans ces colonnes.

Dans le chapitre intitulé Théorie du grand Blanc et construction sociale du petit Blanc, François Bousquet explique, et cela devrait fortement intéresser M. Bégaudeau, qu’il y a effectivement deux types de Blancs, que tout oppose : le grand Blanc et le petit Blanc. Il rappelle que « petit blanc » est une expression méprisante née dans les colonies et désignant un individu blanc « au bas de l’échelle du pouvoir, coincé entre les indigènes qu’il encadrait et les élites coloniales qui le toisaient ». Les colonies ayant disparu, l’ancienne élite coloniale « s’est muée en élite universitaire dont le grand Blanc est l’aboutissement. Son mépris pour le petit Blanc est intact et son ascendant culturel sur lui absolu. » Bégaudeau fait naturellement partie des grands Blancs qui considèrent que le petit Blanc est un « concentré de ringardise franchouillarde » ; comme ses congénères, il analyse « les préjugés d’appartenance tribale du petit Blanc avec la morgue d’un ethnologue colonial devant une peuplade attardée ». Le grand Blanc, écrit François Bousquet, est une « belle âme » qui s’émeut du sort des « racisés » – dont en réalité il n’a rien à faire – pour se donner une bonne conscience dont il attend « des gratifications symboliques et des rentes statutaires ». Les grands Blancs se retrouvent entre eux, dans les médias, dans les universités, dans les salons littéraires, dans les clubs politiques, et s’octroient mutuellement des billets d’honneur moraux tout en méprisantles petits Blancs qu’ils sermonnent. 

Le racisme antiblanc, pas son affaire

Du haut de leur position sociale avantageuse, tout en faisant semblant de se préoccuper encore un peu de son sort, les grands Blancs accusent le petit Blanc de toutes les tares réactionnaires et racistes, surtout depuis qu’il ne vote plus à gauche. Ils haïssent cet être leucoderme, trop français, trop conservateur, trop provincial, trop attaché à ce qu’ils considèrent être les restes d’une société arriérée : des racines chrétiennes, une identité régionale, une histoire nationale, une langue, une culture – ils lui préfèrent maintenant un être qu’ils parent de toutes les vertus et qui leur permet de montrer leur supériorité morale sur le petit Blanc et de briller dans les milieux progressistes : le migrant. Mais pas n’importe lequel. Le migrant « racisé » et musulman a leur préférence. Les vertus dont ils le parent sont paradoxalement celles qu’ils refusent au petit Blanc : la fierté identitaire, la solidarité communautaire, des principes familiaux et religieux solides, une culture ancestrale. Bien entendu, rappelle François Bousquet, ces grands Blancs politiques, médiatiques ou universitaires ne vivent pas, à l’inverse des petits Blancs, avec ces nouveaux venus dont les plus jeunes et les plus violents ont compris une chose : le petit Blanc, cette « face de craie », ce « gwer », ce « babtou », est une proie facile. On peut l’insulter, le voler, le frapper, le violer, sans craindre grand-chose – les grands Blancs de gauche veillent : la culpabilité ne se partage pas et incombe entièrement aux petits Blancs accusés d’être racistes et islamophobes, incapables de concevoir ce fameux vivre-ensemble que les grands Blancs promeuvent tout en restant à distance des lieux, de plus en plus nombreux, où il apparait que cette expression est en réalité un oxymore. M. Bégaudeau, comme tous les grands Blancs de gauche, nie l’existence du racisme anti-blanc qui se répand à l’école, dans les salles de sport, sur les terrains de foot, dans les quartiers où la population d’origine immigrée devient trop importante pour endiguer les phénomènes d’islamisation et de délinquance qui accompagnent ceux du racisme anti-blanc et anti-français. M. Bégaudeau se fiche de tout cela. Marxiste, il ne fait pas de différence, dit-il, entre les « prolétaires migrants » et les « prolétaires pas migrants ». Jamais, ajoute-t-il, il ne reconnaîtra que les petits Blancs sont les principales victimes de l’immigration, jamais il n’incriminera des immigrés : « Je ne veux pas m’attirer la sympathie du prolétaire blanc à ce prix-là. » Tout est dit. La réalité quotidienne  des Français et les dizaines de terrifiants témoignages recueillis par François Bousquet ne le feront pas changer d’avis. Les violences, les insultes, les rackets, les vols, les viols, les agressions au couteau et à la machette dans les nombreux territoires perdus de la République ? Bégaudeau n’en a rien à faire – ça ne colle pas avec son idéologie. Quant aux femmes musulmanes tyrannisées par des hommes appliquant strictement la charia, qu’elles ne comptent pas non plus sur M. Bégaudeau pour les défendre. Sur le média en ligne QG[4], M. Bégaudeau, tout à son envie d’accabler la France plutôt que certaines mœurs rétrogrades importées, justifie ainsi cet état de fait : « L’oppression qui est imposée aux femmes dans certaines configurations musulmanes ou certaines de ces acceptions peut être un contrecoup d’une pression coloniale ou d’une domination que subissent ces populations-là en France ou en Occident ». D’ailleurs, ajoute-t-il pour expliquer les excès des mâles musulmans, « le sur-virilisme dans certains quartiers populaires à forte densité migratoire et où on trouve beaucoup de racisés, donc beaucoup de musulmans, vient de la fragilisation de ces hommes par le pouvoir policier qui les harcèle depuis un certain nombre de décennies. »

Décidément, cet intellectuel de gauche ose tout – c’est même à ça qu’on le reconnaît… Comme disait Orwell, « il faut être un intellectuel pour croire une chose pareille : quelqu’un d’ordinaire ne pourrait jamais atteindre une telle jobardise. »

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[1] https://www.youtube.com/watch?v=eelrJ0CmcSg

[2] https://www.youtube.com/watch?v=0–oXQWEmN4

[3] Gilles-William Goldnadel, Réflexions sur la question blanche : du racisme blanc au racisme anti-blanc, 2011, Éditions Jean-Claude Gawsewitch.

[4] https://x.com/LibreQg/status/1912838458910953597

Faure, comme la mort ?

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Jean-Luc Mélenchon et Olivier Faure, Paris, 16 octobre 2022 © ISA HARSIN/SIPA

Quelle grande victoire ! À 4h35 du matin, malgré les critiques nourries sur sa soumission humiliante à Jean-Luc Mélenchon, Olivier Faure a finalement annoncé sa réélection à la tête du Parti socialiste. Il s’impose avec seulement 50,9% contre Nicolas Mayer-Rossignol.


Ainsi, Olivier Faure, Premier secrétaire sortant du Parti socialiste, vient d’être réélu à ce poste à l’issue d’un vote des plus serrés. 50,9 % des voix contre 49,1% pour son adversaire, le maire de Rouen, Nicolas Mayer-Rossignol. Cela s’est donc fait dans un mouchoir de poche au sein d’un parti lui-même réduit à peau de chagrin. 39815 militants recensés et 24000 votants lors de cette consultation. Le pire du pire depuis le congrès d’Épinay, en 1971, lorsque François Mitterrand – qui n’était alors même pas adhérent encarté – est allé récupérer le parti dans le caniveau. Or, il semblerait que la situation ne se soit pas améliorée ces derniers temps sous la férule de son Premier secrétaire. Aussi, une question se pose. Est-ce son sauveur qui vient d’être reconduit à sa tête ? Ou est-ce son fossoyeur ? Certains, caustiques, se plairaient à ricaner que ce natif de la Tronche à bel et bien celle de l’emploi.

Une girouette

« De moins en moins de militants, constatait pour sa part le principal concurrent chez nos confrères de Franc-Tireur, peu de monde dans les assemblées générales, des médias indifférents à nos débats, un Premier secrétaire qui les refuse. » Et face à cet état des lieux consternant, Mayer-Rossignol s’empressait d’ajouter : « Je défends l’union sincère de la gauche, la vraie, celle qui ne ment pas et qui agit. »

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Autant dire que nous avons là l’essentiel du procès instruit contre le sortant reconduit. Procès en insincérité, d’abord. Il est vrai qu’on a du mal à s’y retrouver dans le girouettisme de convictions et de ligne stratégique suivi par Faure. On dirait du Mitterrand, mais sans l’inspiration florentine ni le talent du charmeur de serpent. Procès en inaction, ensuite, puisque l’opposant déclare espérer un parti qui agisse pour de bon. Procès en intégrité intellectuelle enfin, le même exprimant une espérance de vérité. C’est beaucoup et la mule Faure se retrouve de ce fait bien chargée.

Cela dit, la vérité selon M. Faure, elle viendra en son temps. Prévisible autant que cruelle. Il a beau déclarer aujourd’hui, juste pour se voir réélire, que « Mélenchon serait en 2027 le plus mauvais candidat pour la gauche », le moment venu il se fera une douce violence de retourner se prosterner à ses pieds et faire allégeance. Il en donne d’ailleurs dès à présent tous les signes. Quand LFI et son Pontife emploient dès les premiers jours le terme « génocide » pour qualifier la situation à Gaza, monsieur le Premier Secrétaire leur emboîte la pas. Quand les mêmes ont le front et la profonde bêtise d’accuser Bruno Retailleau d’instaurer en France « un racisme d’atmosphère », il fait immédiatement sienne cette accusation totalement irresponsable. La raison de ces soumissions à répétition est des plus simples. M. Faure n’a pas plus d’idées que n’en a encore son parti. Autrement dit, rien, nada, nibe, quedale, le vide. Et avec la réélection misérable et sans gloire de son Premier secrétaire, ce déjà fantomatique Parti socialiste vient sans doute de planter lui-même le dernier clou de son cercueil.

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Iago aux petits pieds

Mais là n’est pas l’affaire de M. Faure. Sa grande affaire à lui, c’est la gamelle, l’écharpe parlementaire. Lorsque, lui et son parti seront renvoyés dans leur but à l’issue des présidentielles, dont l’issue ne devrait guère être moins calamiteuse que la dernière fois, se la jouant perso, comme toujours, il ira une fois de plus lécher le gros orteil de M. Mélenchon afin de conserver sa rente de députaillerie de la 11ème circonscription de Seine-et-Marne. Un revirement de plus, une autre trahison de ce Iago aux petits pieds. Le dernier coup de marteau sur le clou sus-évoqué. Et le requiem du pauvre pour la seconde mort des Jaurès, des Blum. Et même d’un certain Mitterrand qui a dû bien rigoler en assistant à la mascarade des nains de jardins à la manœuvre, les Vallaud et consorts, si pathétiques dans le jeu pourtant fort prisé en son parti du « donne-moi la rhubarbe, je te passerai le séné ». On peut penser aussi qu’il aura moins rigolé en constatant que de l’écurie à politiques d’indéniable envergure qu’il avait si bien réussi à faire de son parti, il ne reste plus que la mangeoire. À peu près vide, de surcroît.

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