Accueil Site Page 122

Podcast: A-t-on de droit de défendre Israël? Frères musulmans, mission invisible

0

Avec Martin Pimentel, Jean-Baptiste Roques et Jeremy Stubbs.


Notre numéro du mois de juin présente un grand dossier sous le titre, « A-t-on le droit de défendre Israël? » avec les contributions de Georges Bensoussan, Noémie Halioua, Vincent Hervouët, Gil Mihaely, Denis Olivennes et Philippe Val. Dans l’état actuel du débat, il est difficile de faire entendre des voix autres que celles qui dénoncent d’emblée l’État juif. Ceux qui critiquent Israël ne font pas de distinction entre les choix politiques de Benyamin Netanyahou, l’opinion publique israélienne et les Juifs en général. Comme l’a dit Elisabeth Lévy, « Israël est devenu l’autre nom du mal ».

Le dimanche 1er juin, dans la ville américaine de Boulder, au Colorado, un petit groupe de manifestants qui cherchaient à attirer l’attention générale sur le sort des otages israéliens à Gaza a subi une agression au lance-flammes et au cocktail Molotov par un Égyptien qui voulait « tuer tous les sionistes ». Le matraquage médiatique contre Israël finit inévitablement par attiser haines et désirs de vengeance.

Frères musulmans, mission invisible: notre nouveau numéro comprend un mini-dossier qui fait suite à la publication du rapport Gouyette-Courtade sur l’entrisme des Frères en France. Chercheurs universitaires et élus locaux subissent la pression des lobbys islamo-gauchistes sur le terrain. L’exemple du Royaume Uni, dont des gouvernements successifs ont tenté de combattre l’influence de l’islamisme non-violent, montre que nos institutions étatiques, hiérarchisées et centralisées, ont du mal à lutter efficacement contre des réseaux décentralisés et agiles, unis plus par une convergence idéologique que par une alliance formelle.

Laissez-nous travailler, qu’ils disent…

La magistrature fait trop dans le social, peste notre chroniqueur


Les réactions du Premier ministre et du garde des Sceaux sur les peines légères, pour ne pas dire ridicules, prononcées à la suite des violences, vols, incendies et dégradations perpétrés depuis le 31 mai au soir sont tout à fait compréhensibles.

Barbares

En réponse, avec une totale déconnexion par rapport à cette dénonciation politique et au sentiment populaire dominant, la procureure de Paris et le procureur général près la Cour de cassation ont d’une certaine manière cherché à théoriser cette mansuétude judiciaire en développant une argumentation provocatrice dans le contexte de ces événements commis en effet par des « barbares ».

En ce qui concerne Rémy Heitz, personnalité estimable mais limitée par une conception de l’obligation de réserve substituant à l’audace nécessaire une prudente tiédeur, on peut regretter cet appel à la « sérénité », ce conseil de « laisser les magistrats travailler » et cette réflexion maladroite sur l’écart entre les images des exactions, sans la moindre équivoque pourtant, et leur représentation judiciaire. Même si, sur ce plan, il était évident qu’on ne pouvait juger les infractions accomplies sans tenir compte de la personnalité de leurs auteurs.

L’alternative était claire pour les magistrats en charge de ces affaires traitées en comparution immédiate. On appliquait des peines avec sursis et des amendes, sans même ces colifichets genre stages de citoyenneté, à des prévenus pour beaucoup jamais condamnés auparavant et se défendant avec la même tonalité fuyante et irresponsable. Ou alors on considérait – ce qui aurait été mon point de vue – qu’ils avaient participé, chacun à leur niveau, à une explosion collective de vols, violences et saccages et on les sanctionnait en conséquence au-delà même des réquisitions du parquet.

Toujours au sujet de ce deuxième magistrat de France, quel regret, hier, qu’il n’ait pas osé interjeter appel de la relaxe de l’ancien garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti devant la Cour de justice de la République. Et que François Molins et lui-même se soient laissé traîner dans la boue ces dernières semaines sans réagir dans le spectacle du même. Seul Patrice Amar également ciblé, assisté par Me François Saint-Pierre, n’ayant pas tendu l’autre joue !

A lire aussi, Ivan Rioufol: La perte de contrôle de l’État sonne la fin d’un monde

Les polémiques de ces derniers jours, qui ont trouvé un écho médiatique fort sur le plateau de Pascal Praud (CNews), m’ont fait réfléchir sur une donnée qu’on oublie trop souvent – moi le premier – pour expliquer les discordances judiciaires entre la sévérité qu’on attendrait et la faiblesse de certains jugements.

Malgré la catastrophe qu’a représentée le Mur des cons et ses effets collectifs délétères sur l’image de la magistrature, malgré le détournement constant d’un syndicalisme purement professionnel opéré par le Syndicat de la magistrature, en dépit d’une impression ressentie et exprimée par beaucoup, je ne suis pas sûr que la politisation tellement invoquée des juges (malgré quelques exemples qui ont frappé l’opinion) soit la cause principale d’aberrations pénales qu’on peut résumer par le terme de laxisme.

Toujours la faute à la société

Sans doute, malgré la fierté dont je ne cesse de rappeler l’obligation à l’égard de ce magnifique métier de magistrat – « raccommodant les destinées humaines » -, ai-je trop négligé un phénomène qui relève d’une sorte de perception d’un déclassement social, similaire d’ailleurs à celle d’un grand nombre d’avocats, qui ne permet plus aux juges de se poser en surplomb, en arbitres impartiaux, au-dessus de la mêlée sociale, des inégalités et des injustices de notre pays. Mais au contraire de s’y trouver impliqués, de sorte qu’ils comprennent trop bien des argumentations vicieuses tenant à la prétendue culpabilité de la société. Tout cela ayant pour conséquence une miséricorde judiciaire au bénéfice d’individus exonérés de tout.

S’il n’y avait pas cette intégration, à la pratique pénale, d’une solidarité à l’égard de tous ceux plaidant peu ou prou la responsabilité sociale, ajoutée à la conscience qu’ont beaucoup de magistrats de leur chute dans la considération publique, je suis persuadé qu’on n’affronterait pas régulièrement ces chocs résultant de décisions choquantes, désaccordées d’avec une intelligente rigueur souhaitée par une majorité de nos concitoyens.

Je vois dans ces dérives une sorte de lutte des classes au sens banal. Elle rend une part de la magistrature, de bas en haut et bien au-delà du syndicalisme partisan, trop sensible à des propos, à des discours et à des apologies évacuant la responsabilité individuelle au bénéfice d’un confusionnisme social. Alors que le judiciaire est du singulier, on le noie dans un pluriel qui aboutit, par exemple, à certains des jugements erratiques de la période suivant le 31 mai. Notamment je songe à un éducateur spécialisé impliqué dans ces transgressions et qui probablement retrouvera cette fonction pour laquelle à l’évidence il était si peu fait !

Au lieu d’opposer à ces dénaturations de la justice pénale une fermeté et un courage qui seraient validés sans le moindre doute, la haute hiérarchie judiciaire préfère se couler dans le lit d’un vague et mou soutien à l’élargissement du hiatus entre le citoyen et le magistrat. Il y a quelque chose de suicidaire dans cette entreprise qui fait perdre sur tous les tableaux : l’honneur de soi, la confiance du peuple.

Les Frères sous le tapis

Présenté au président de la République, le rapport Gouyette-Courtade fait le point sur l’activisme des Frères musulmans en France. Il décrit des réseaux solides, des stratégies masquées et des menaces réelles. Bien entendu, les médias et la gauche dénoncent l’islamophobie, la stigmatisation et l’amalgame. Pour eux, le problème n’est pas l’islam séparatiste mais la droite Retailleau.


On connaît le scénario. De nouvelles informations sur la contagion islamiste en France apparaissent dans le débat public. Tous ceux qui, depuis des années, sonnent l’alarme sont soulagés : cette fois, personne ne pourra plus nier. Et puis non, caramba, encore raté, on peut toujours. Après un temps variable de sidération, le camp du Bien repart au combat contre le réel. Avec la même rengaine accusatoire : islamophobie, stigmatiation, fantasme, amalgame et maintenant, instrumentalisation, autant de signifiants dont la ronde affoléevise à faire oublier le référent dans la pièce.

Experts en effacement

La parution du rapport Gouyette-Courtade sur les agissements des Frères musulmans en France (qualifiés par les auteurs de « menace pernicieuse et progressive » pour la cohésion nationale) n’a pas dérogé aux habitudes. À peine est-il dévoilé que, du Monde à France Inter, de LFI à Lyon 2, on brode sur les mêmes éléments de langage pour interdire la seule question qui devrait valoir : est-ce que tout cela est vrai ? Quelle est l’ampleur de la menace ? On convoque les experts en effacement, les spécialistes en euphémisation et les savants en excuses sociologisantes. « Il n’y a pas d’agenda caché pour instaurer un califat en Europe », tranche le chercheur Franck Frégosi, sur qui se sont précipités France Inter, France Info, Libération, Mediapart et La Vie.

Car voyez-vous, le problème de notre pays, ce n’est pas l’islam séparatiste qui séduit tant de jeunes Français, c’est Bruno Retailleau. Le Monde redoute une « surenchère politique », qui permettrait au ministre de l’Intérieur de mettre en « majesté sa riposte » et de « conforter les réflexes conditionnés de la droite qui tend à présenter chaque personne issue de l’immigration comme un islamiste en puissance ». Tout ce qu’ont trouvé les propagandistes du vivre-ensemble, c’est que le nouveau président de LR s’en prend à tous les musulmans parce qu’il veut faire président tout court. Sauf que c’est le contraire : si Retailleau apparaît comme un candidat très sérieux, c’est parce que beaucoup de Français attendent avec inquiétude que le pouvoir s’attaque frontalement à un phénomène qui met en jeu l’avenir du pays.

Colère calculée

Même Emmanuel Macron est soupçonné de couvrir un complot islamophobe au motif qu’il a inscrit le rapport à l’ordre du jour du dernier Conseil de défense et de sécurité nationale (CDSN), comité très sélect – seuls les locataires de Matignon, Beauvau, Brienne et du Quai d’Orsay sont conviés – qui se tient dans la plus grande confidentialité du PC Jupiter, abri antiatomique situé sous l’Élysée. Les visées idéologiques de groupes radicalement opposés à nos mœurs relèvent clairement de la sécurité nationale, donc on voit mal où est le scandale de cette réunion.

L’ennui, c’est que si le chef de l’État a tenu à garder la main, ce n’est sans doute pas pour être sûr que la riposte sera d’une fermeté sans faille, mais plutôt pour garantir qu’elle sera gentillette de façon à n’offusquer personne. Ainsi, d’après Beauvau, c’est l’Élysée qui aurait inspiré les quelques mesures faiblardes recommandées dans le document, toutes déjà possibles en l’état (surveillance des réseaux islamistes, fermeture des mosquées intégristes, expulsions des imams radicaux). Quant au président, après sa colère très calculée lors du CDSN, il aurait exigé des mesures contre les discriminations et… la reconnaissance de l’État de Palestine. On ne voit pas le rapport. Lui, si. C’est bien le problème.

A ne pas manquer: Causeur #135: A-t-on le droit de défendre Israël?

Du côté des lanceurs d’alertes et dans la « réacosphère » (qui, pour un francintérien, commence au Point), beaucoup ont accueilli le rapport sur le mode désabusé – on savait déjà tout ça. Peut-être connaissait-on la logique générale, mais il fourmille de données sur les réseaux, les mécanismes, les institutions qui permettent au frérisme d’avancer. Le problème, comme toujours, c’est ce qu’il ne dit pas. D’abord, il se cantonne à la sphère des Frères musulmans alors que, comme en Angleterre, ceux-ci ont noué des alliances avec des islamistes de diverses obédiences (salafisme, wahhabisme, chiisme, tabligh).

Ensuite, s’il s’efforce de recenser les influenceurs, il se garde de mesurer l’influence, c’est-à-dire l’emprise exercée sur les esprits musulmans, notamment ceux des jeunes biberonnés à TikTok, ce réseau social dont l’algorithme, friand de contenus débiles, vous place en quelques clics face à un prêche fondamentaliste alors que vous aviez simplement tapé « islam ».

Fiction rassurante

Même Retailleau continue largement à vivre avec la fiction rassurante d’une frontière claire entre une petite minorité de fanatiques islamistes et une immense majorité de musulmans républicains. Dans la vraie vie, il y a un continuum, une adhésion plus ou moins forte selon les individus et les circonstances. Le gamin qui refuse de se doucher avec ses camarades après l’entraînement : musulman ou islamiste ? Celui qui trouve que les Charlie devraient être punis par la loi pour avoir insulté le Prophète ? Celui qui se dit que l’interdiction des signes religieux à l’école de la République est la preuve de l’existence d’une islamophobie d’État ? Avec ses insuffisances et son absence de révélations fracassantes, ce rapport a le mérite d’exister et surtout, d’avoir été commandé par le gouvernement – en l’occurrence par Gabriel Attal et Gérald Darmanin. Risquant une métaphore psychanalytique, Philippe Val se réjouit que le gouvernement verbalise enfin son mal. C’est, paraît-il, le début de la guérison. Pour avoir été souvent échaudé, on hésite à partager son optimisme.

Certes, on peut espérer que le duo Retailleau/Darmanin fera tout ce qui peut être fait par la loi et par la force – dissolutions, expulsions, poursuites… Mais on ne détruit pas les mauvaises idées par la force. À l’exception de propos louables et oiseux sur le rétablissement de l’autorité et la promotion de la culture française, personne ne sait comment gagner la bataille pour les cerveaux musulmans. Surtout qu’on peut compter sur le chœur des vierges islamo-progressistes pour s’opposer frénétiquement à ce qu’on puisse la mener.

Le crépuscule des nations: Israël, la France et l’effacement des identités

0

Israël n’est pas seulement au cœur d’un conflit territorial: il incarne une frontière civilisationnelle entre deux visions du monde. Derrière le conflit israélo-palestinien se profile un affrontement plus large, entre le globalisme – qui dissout les identités – et l’enracinement – qui défend les nations, les mémoires, les singularités. Ce combat, trop souvent masqué, concerne autant l’Europe que le Proche-Orient.


Il faut le dire sans détour, sans cet artifice des âmes tièdes qui veulent encore croire à des accommodements : le Hamas ne veut pas de la solution à deux États. Il ne la veut pas, il ne la peut pas, car son horizon n’est pas celui des nations, pas même celui des peuples, mais celui d’un univers soumis à la seule loi d’Allah. À l’extrême rigueur, il l’accepterait comme une ruse, un délai, une pause stratégique : une étape avant de rayer l’État juif de la carte, avant de dissoudre cette anomalie qu’est Israël dans le grand bain d’un Moyen-Orient musulman de toute éternité. Pour lui, pour l’islamisme, Israël ne saurait être une nation souveraine, juive de surcroît, mais tout au plus un territoire, un espace, une portion de terre où les juifs vivraient en dhimmis, sous le joug discret mais implacable de la charia, tolérés comme on tolère l’ombre du passé sur les ruines du présent.

Sociétés fatiguées

Ce qui se joue là, et que l’on ne veut pas voir – car l’aveuglement, aujourd’hui, est le luxe suprême des sociétés fatiguées –, c’est que cette logique n’est pas circonscrite au conflit israélo-palestinien. Elle travaille aussi, souterrainement, l’Europe, la France, ces vieilles nations qui s’acharnent à nier leur propre chair, leur propre mémoire, leur propre être. Pour l’extrême gauche, pour la gauche qui se laisse entraîner par elle dans un vertige dont elle ne comprend ni l’origine ni le prix, comme pour l’islamisme, les nations sont des fictions à dissoudre, des entraves à l’avènement d’un ordre supérieur : celui de l’oumma pour les uns, celui du marché planétaire pour les autres, celui de l’humanité universelle pour les troisièmes. Et c’est pourquoi l’on comprend aussi pourquoi ces courants si différents en apparence – islamistes, capitalistes, révolutionnaires – se retrouvent paradoxalement à défendre, d’une manière ou d’une autre, une immigration de masse, notamment en provenance de pays majoritairement musulmans : car ce flot humain, en noyant les identités historiques sous une vague démographique, contribue puissamment à dissoudre les repères, à effacer les singularités nationales, à rendre les peuples plus malléables, plus abstraits, plus interchangeables.

Ainsi, ce qu’on veut effacer, ce n’est pas seulement l’État juif ; c’est l’idée même d’État-nation. Le Hamas ne veut pas d’un État juif, il veut bien, peut-être, d’un État d’Israël vidé de sa substance juive, comme l’islamisme peut bien tolérer une République française à condition qu’elle ne soit plus la France des Français, mais un espace abstrait, ouvert, disponible pour le déploiement de l’islam. Car pour l’islamisme, comme pour les idéologues de la globalisation, la nation n’a pas de sens : ce qui compte, c’est l’unité du monde, l’unification sous une loi, fût-elle marchande ou divine, mais toujours hostile aux singularités historiques, aux héritages, aux frontières.

A lire aussi: Lula: un anti-trumpisme d’opérette

Et l’on ne voit pas – et c’est peut-être cela, la tragédie de notre temps, cette incapacité à percevoir les lignes profondes qui structurent les événements – que la France et Israël sont, en vérité, affrontés à un même péril : celui de leur effacement. Effacement sous la poussée islamiste, qui rêve d’un monde où les autres religions seraient soumises ; effacement sous la poussée de la marchandisation, qui rêve d’un monde où tout serait interchangeable, marchandisable, dissolu dans les flux ; effacement sous la poussée d’une gauche encore hantée par les relents du communisme, qui rêve d’un monde où les hommes seraient réduits à leur simple humanité abstraite, sans histoire, sans mémoire, sans identité.

C’est ton destin

Dans cette conjonction inattendue – islamisme, marché, idéologie universaliste – se joue une bataille qui n’est pas seulement politique, mais métaphysique : celle de l’existence des nations. Être une nation, c’est dire non à l’uniformité, non à la dissolution, non à la réduction des êtres humains à de simples unités de désir ou de foi. C’est affirmer une différence, une singularité, une mémoire incarnée dans des lieux, des langues, des rites, des morts. Israël, comme la France, comme l’Europe, se trouve à la croisée des chemins : ou bien elle persiste à exister comme nation, au prix d’un combat douloureux, solitaire, presque désespéré ; ou bien elle consent à disparaître, à se fondre dans le grand magma planétaire, à n’être plus qu’un espace sans épaisseur, sans mémoire, sans visage.

Ce combat, on le mène souvent sans le savoir, ou en croyant qu’il s’agit seulement de cohabitation, de justice sociale, de redistribution économique. Mais il s’agit, en vérité, d’un combat ontologique : il s’agit de savoir si nous voulons continuer à exister comme peuples, comme nations, ou si nous acceptons de n’être plus que des individus sans attaches, soumis aux lois de l’économie, de l’idéologie, ou de la religion totalitaire.

Voilà pourquoi la France et Israël sont liés par un destin commun, que nul ne veut voir. Voilà pourquoi il faut parler, écrire, nommer, contre le flot amnésique du monde contemporain. Voilà pourquoi il faut, peut-être, retrouver cette mélancolie tragique qui fut toujours le propre des civilisations vieillissantes mais lucides.

Il y a, dans cette affaire, une immense fatigue. Fatigue des nations, qui ne savent plus porter le poids de leur histoire ; fatigue des hommes, qui ne croient plus à leur singularité ; fatigue des élites, qui rêvent d’effacer les aspérités pour se fondre dans une humanité sans épaisseur. La France est comme cette vieille demeure que l’on abandonne aux vents, à la pluie, au lierre, et dont on contemple la lente décrépitude avec une fascination morbide, sans trouver en soi l’énergie de la réparer. Israël, quant à lui, connaît une autre réalité : une partie de ses élites rêve parfois d’abandon, mais le cœur du pays résiste encore — porté par une jeunesse ardente, patriote, prête à défendre sa survie. Si certaines zones d’Israël commencent à ressembler à l’épuisement français, le reste du pays, lui, reste en état d’alerte, tendu, debout, face à la menace.

Triple rejet

Car réparer, c’est toujours se souvenir. Réparer, c’est dire : nous avons existé, nous avons un passé, nous avons des morts, des guerres, des larmes, des chants. Réparer, c’est refuser l’oubli dans lequel nous pousse l’époque. Mais l’époque ne veut plus de ce passé. Elle n’en veut plus car il gêne, il embarrasse, il limite. Le passé, pour l’idéologie marchande, est un poids mort ; pour l’idéologie islamiste, il est une impureté ; pour l’idéologie de gauche, il est une faute. Et dans ce triple rejet, il y a une forme d’alliance, une coalition inattendue mais redoutable.

Israël, en tant qu’État juif, incarne le scandale du particulier : une identité historique, religieuse, culturelle, irréductible à l’universalisme abstrait. La France, malgré toutes ses trahisons, toutes ses abdications, reste, aux yeux du monde, une vieille nation façonnée par des siècles de guerres, de littérature, de catholicisme, de révolutions, de fidélité à soi-même. Or, ce sont précisément ces singularités-là qu’il faut abattre.

A lire aussi: Israël, le déchirement

Car le monde qui vient – le monde que veulent les islamistes, les marchands, les idéologues – est un monde sans nations. Un monde de flux : flux de capitaux, flux de marchandises, flux de croyants, flux d’êtres humains réduits à leur fonction économique ou religieuse. Ce que l’on appelle, souvent sans le comprendre, le globalisme, n’est qu’un nom poli pour désigner cette guerre souterraine contre les enracinements. Et l’islamisme, en ce sens, n’est pas l’ennemi du marché ; il en est l’allié paradoxal. Car tous deux veulent effacer les frontières, tous deux veulent un monde unifié, tous deux veulent abolir l’idée même de nation.

Voilà pourquoi il est vain d’opposer naïvement l’un à l’autre. Voilà pourquoi il est illusoire de croire qu’on pourra résoudre le conflit israélo-palestinien, ou la question de l’immigration en Europe, par de simples ajustements politiques, par des compromis, par des arrangements techniques. Car il s’agit d’un combat plus profond : celui de la survie des identités.

Et c’est ici que vient le plus tragique : il est possible que ce combat soit déjà perdu. Non pas par la force des armes, mais par la lassitude intérieure. Car les nations ne sont pas d’abord abattues de l’extérieur ; elles meurent de l’intérieur, par épuisement, par dégoût de soi, par incapacité à se transmettre, à se désirer encore. Regardez la France : elle n’enseigne plus son histoire ; elle n’ose plus dire ce qu’elle est ; elle s’excuse d’exister. Regardez Israël : il vacille entre le besoin de se défendre et la culpabilité de le faire, entre la volonté de survivre et la hantise d’être jugé.

On dit parfois : il faut défendre l’Occident. Mais l’Occident existe-t-il encore ? Est-ce autre chose qu’un souvenir, qu’un mirage, qu’un mot creux ? On dit : il faut sauver les nations. Mais les nations veulent-elles encore être sauvées ? Ont-elles encore en elles le désir de durer, cette obstination, ce sang, cette fidélité, cette mélancolie active qui fut jadis leur force ? Ou bien ont-elles déjà consenti, en silence, à se dissoudre, à s’effacer, à devenir des espaces neutres, des lieux sans mémoire, des zones franches pour le commerce et pour la foi ?

Je ne sais pas. Ou plutôt, je le sais trop bien : il est des moments où les civilisations, comme les hommes, choisissent la mort sans le dire. Elles s’affaissent doucement, avec une lassitude infinie, avec cette nostalgie sans objet qui précède la chute. Peut-être est-ce cela que nous vivons. Peut-être est-ce cela, le cœur battant de notre temps : le crépuscule des nations.

Comment Mohammed VI a lutté contre l’entrisme islamiste

Au Maroc, les accords d’Abraham et le Covid ont eu raison de l’islamisme politique. Pour l’instant.


Printemps 2011. Une révolte populaire inédite ébranle l’ensemble des pays arabes. Née sur les réseaux sociaux, elle n’épargne pas le Maroc. A une constante près toutefois : au royaume chérifien, pas de manifestations monstres, pas de répression sanglante, pas de chute du régime, pas de guerre civile. Car Mohammed VI réagit promptement. En quelques mois, il modifie la constitution, dissout le parlement et convoque des élections anticipées. Son peuple a le sentiment d’avoir été entendu.

PJD : un petit tour et puis s’en va

Le 25 novembre, les urnes parlent. Avec 107 sièges sur 395, le Parti de la justice et du développement (PJD) s’impose comme la première force du pays. Prenant acte de cette percée spectaculaire, le roi n’a d’autre choix que de nommer Abdel-Ilah Benkiran, secrétaire général de la formation islamiste, comme Premier ministre. Et d’accorder plusieurs portefeuilles gouvernementaux importants à d’autres membres du mouvement autrefois interdit. La participation au pouvoir  des intégristes musulmans durera une décennie.

Car en 2021, patatras. Lors de nouvelles législatives, le PJD perd les trois quarts de ses suffrages et ne parvient à maintenir que 13 députés à la chambre basse. Le voilà redevenu un acteur très secondaire de l’opposition. Que s’est-il passé ? Comment expliquer une telle débâcle politique alors que le Maroc donne l’impression d’avoir plutôt progressé durant ces dix ans ?

Pour comprendre ce fiasco, il convient de resituer le PJD. Ses premiers succès remontent aux années 80 quand le Maroc connaît une vague conservatrice aussi puissante que silencieuse. Sans aller jusqu’à vouloir renverser la monarchie, une part importante de la population exprime alors de plus en plus son souhait de revenir à la tradition arabe et musulmane. Porte-parole de cette aspiration plus identitaire que révolutionnaire, le PJD s’oppose au moule habituel, technocratique et occidentalisé, des élites marocaines. Autres caractéristiques : il se méfie des revendications berbères, rejette l’hégémonie de la francophonie et s’inspire des méthodes d’organisation et d’encadrement des Frères Musulmans sans toutefois s’y affilier officiellement.

A lire aussi, Elisabeth Lévy: Israël, le déchirement

Pour toutes ces raisons, le PJD n’a jamais été dans les petits papiers du pouvoir ni de l’establishment marocain au sens large. Le roi, progressiste au sens noble du terme, s’en méfie. La haute administration et les milieux économiques, colbertistes et francisés, sont hostiles à un parti qui n’a pas leurs références mentales.

En 2011, le PJD est donc prévenu : il n’est attendu par personne en haut lieu. Il devra cohabiter. Exercice d’autant plus délicat qu’il arrive certes en tête des élections, mais sans décrocher la majorité absolue, mode de scrutin proportionnel oblige. Son seul avantage à vrai dire est sa légitimité populaire. Il y a en effet alors, sans le moindre doute, un fort désir de PJD au Maroc. La société est moins libérale que dix ou vingt ans auparavant. Une évolution visible à l’œil nu ne serait-ce que par l’extension du port du voile. Les socialistes ont déçu (1998-2007), les islamistes incarnent le changement.

Reculades

Sauf que, à l’épreuve des responsabilités, le PJD se liquéfie en réalité presque aussitôt. Une fois aux affaires, face à l’hostilité polie de l’appareil d’Etat, les islamistes sont constamment forcés de se coucher. Chaque bras de fer ou presque est perdu et se solde par une reculade. En coulisse, le parti perd de son autorité au fur et à mesure qu’il apparaît sur le devant de la scène. Lorsque la pandémie de Covid survient, le processus est déjà achevé : les islamistes, pourtant officiellement au pouvoir, ne contrôlent plus rien, au point d’être contraints de céder toute la gestion de la crise à l’administration et au Palais. Les derniers à encore y croire sont complètement déniaisés lorsque le premier ministre Saad Eddine El Othmani, membre du PJD, signe l’accord de normalisation entre le Maroc et Israël fin 2020. Une scène de science-fiction.

Les islamistes ont manqué de préparation. Ils n’ont pas formé les cadres qui auraient pu mettre en œuvre leur politique et défendre leurs intérêts au sein du système. Comme des amateurs, ils se sont laissés déposséder des rares marges de manœuvre qui leur étaient concédées. Ainsi, au terme d’une crise au sein de sa coalition gouvernementale, ils perdent dès 2016 les portefeuilles clefs de l’économie et des finances, du commerce extérieur et de l’industrie au profit du RNI, le Rassemblement national des indépendants, un parti de notables pro-business, pro-Occident et pro-Palais.

Le piège se referme alors complètement. Les grands chantiers qui font la fierté des Marocains sont mis au crédit du Palais car le roi les a inspirés. Le PJD se retrouve de facto à la tête du ministère des mauvaises nouvelles et de l’immobilisme. Sous ses auspices, l’âge limite de la retraite est repoussé et les subventions accordées à certains produits de première nécessité sont allégées. Au lieu d’être copilote à côté d’un commandant de bord réticent, il est la voix nasillarde qui annonce aux passagers que les sandwiches sont payants et que la climatisation est en panne.

A lire aussi: Londres: tout, sauf froisser l’exquise sensibilité du Hezbollah

La punition électorale de 2021 est certes sévère mais parfaitement justifiée. Elle est fêtée dans tout ce que le pays compte de cercles « modernistes », mais est-ce totalement une bonne nouvelle ?

L’échec du PJD est aussi l’échec de la classe politique dans son ensemble. Pour les Marocains, les élus ne servent plus à rien puisque que tout ce qui avance dans le pays est à leurs yeux inspiré par le Palais et mis en œuvre par les hommes du Roi. Au fond il y a renoncement à l’idée même de démocratie : « rien de bon » ne peut venir d’en-bas. La preuve en est la disparition du débat d’idées. Aujourd’hui dans le pays on ne veut plus entendre parler d’idéologie mais de nombre de Mégawattheures installés. L’époque appartient à l’Etat profond et aux hommes d’affaires venus gérer tel ou tel dossier technico-commercial : le solaire, le dessalement de l’eau, la Coupe du Monde de 2030 etc.  L’horizon collectif est encombré de grues et de poussière d’engins.

Aux pouvoir, le PJD n’a pas seulement liquéfié son capital politique, il a liquidé la politique au Maroc.

La vraie bonne nouvelle, incontestable celle-là, est que la société marocaine n’est pas compatible avec un parti islamiste classique. Elle est trop schizophrène pour cela. Elle veut en même temps l’islam et la modernité, la solidarité avec le peuple palestinien et l’amitié avec les juifs marocains, que l’on reçoit comme des vieux cousins perdus de vue depuis des lustres. Elle est peut-être marocaine avant d’être arabe et islamique, cela lui donne une immunité, fragile, relative certes mais qui marche pour l’instant.

On cherche une vigie de la sécurité…

L’avocat Patrice Spinosi s’inquiète de prétendues dérives illibérales en France et explique, dans son livre Menace sur l’État de droit (Allary Éditions), comment nos institutions pourraient être mises en quelques semaines sous la coupe d’un pouvoir pourtant conquis légalement — par «qui vous savez». À l’heure où les actuels garde des Sceaux et ministre de l’Intérieur dénoncent le laxisme, les alertes de celui que la presse qualifie de «vigie de nos libertés» paraissent totalement déconnectées de la réalité.


Des vigies des libertés, on en a pléthore. Des défenseurs de l’État de droit intangible, on en a une multitude. Des humanistes prêts à faire endurer le pire jusqu’au dernier citoyen français, on en surabonde !

Certes ils n’ont pas tous la même qualité ni le même savoir que Patrice Spinosi, avocat près la Cour de cassation et le Conseil d’État, qui fait l’objet d’un portrait élogieux par Stéphane Durand-Souffland dans Le Figaro et dont le titre est précisément « Patrice Spinosi, vigie des libertés ». Aujourd’hui ce sont des « vigies de la sécurité » qui nous manquent.

Parce que cette exigence fondamentale pour la tranquillité publique, pour la protection des biens et des personnes, pour la sauvegarde des plus modestes qui ont le droit de disposer au moins de cet élémentaire capital qu’est leur sûreté, et pour une démocratie apaisée, n’est pas aujourd’hui servie comme elle le devrait.

Les élites encore épargnées par l’ensauvagement de la société

Dans cet arbitrage sans cesse à effectuer entre nos libertés et notre sécurité, les premières gagnent trop souvent parce qu’elles fleurent bon le progressisme, elles relèvent de l’attitude des belles âmes, des sensibilités délicates et se qualifiant elles-mêmes d’élite, elles ne sont pas gangrenées par la contagion de l’utilitarisme ni du pragmatisme, le réel ne les insupporte pas puisque globalement il leur demeure étranger. La passion pour les libertés est le havre de sérénité et de bonne conscience d’une société privilégiée qui regarde de loin les malheurs de la masse et profondément s’en lave les mains.

A relire, Elisabeth Lévy: L’État de droit, c’est plus fort que toi !

Si on feint de pouvoir cultiver également les libertés et la sécurité, on sait bien que c’est impossible. La sécurité sera toujours perdante puisqu’elle pèse moins dans la tête des pouvoirs et dans l’esprit collectif, malgré les apparences. La rançon de l’État de droit est claire et sans équivoque : il fait mourir la France à petit feu… mais dans les formes…

Il faut reconnaître à Patrice Spinosi le mérite de la franchise. Il manifeste avec éclat et talent ce qui se cache derrière l’obsession actuelle de l’État de droit dont pour ma part je ne souhaite évidemment pas la disparition mais l’adaptation.

L’État de droit : une vache sacrée ?

Ce n’est pas une vache sacrée et l’état de la France, menacé aussi bien de manière interne que par des dangers externes, impose de réfléchir à l’élaboration d’une légalité qui ne ferait pas fi de l’efficacité. Ce qui compte n’est pas la perfection formelle de nos démarches juridiques, quelles que soient les juridictions saisies – le Conseil constitutionnel nous offre assez régulièrement des exemples de pureté totalement détachés de la défense sociale et de la protection des citoyens et de leur identité – mais la manière dont le droit, dans ses structures essentielles sans lesquelles nous serions réduits à une « sauvagerie » légale, peut s’accorder avec la finalité ultime d’une civilisation mise en péril un peu plus gravement, parfois horriblement chaque jour : ne pas sombrer, ne pas disparaître à cause d’une impuissance trop longtemps théorisée en dignité et en tolérance.

Patrice Spinosi, qui voit des populismes partout – ceux qui ne partagent pas sa conception de l’État de droit – décrète « qu’un populiste arrivant au pouvoir considère comme illégitime tout contre-pouvoir. Et impose une dictature de la majorité qui s’en prend prioritairement aux minorités de tous ordres. Or nous sommes tous la minorité de quelqu’un d’autre ».

Le procès expéditif est lancé avec une brillante mauvaise foi. Patrice Spinosi n’est peut-être pas « un activiste » ni un « indigné professionnel », comme l’exclut son ami François Sureau, il demeure que sa définition du populisme est tellement large qu’il intègre dans sa dénonciation « Laurent Wauquiez et d’autres qui désignent l’État de droit comme l’ennemi à abattre ». Personne n’a été assez sot dans le camp conservateur pour aspirer à un tel extrémisme.

A lire aussi, Thomas Morales: Ils étaient nés en 1936…

Derrière son argumentation, Patrice Spinosi cache en réalité la condescendance, voire le mépris des élites pour ce peuple dont la simplicité d’esprit et la vulgarité le conduisent même à s’occuper de ce qui le regarde et qui les indiffère parce qu’elles vivent dans le ciel des abstractions quand la majorité des citoyens sont confrontés à une quotidienneté qui les laisse brutalement sur terre.

Le virage quasi-« populiste » de Philippe Bilger !

Au risque d’être étiqueté membre d’une telle cohorte indigne, des événements récents, sur les plans national et international, loin de me démontrer l’urgence d’un État de droit statufié et impuissant pour mille raisons, m’ont convaincu que le scandale était ailleurs : dans la gravité des transgressions, des crimes et des délits et le caractère ridicule du traitement judiciaire ou administratif qu’on leur appliquait. On prétendait combattre l’enclume avec une mouche.

La remise en cause de l’État de droit, en le dépouillant de ses facettes bureaucratiques, de son incurable lenteur et de ses incompréhensibles contradictions (l’exemple de l’autoroute A69 est éclairant), serait une chance démocratique. Et un bonheur de simplification pour tous. Il n’est donc pas anormal, dans l’alternative entre libertés et sûreté, faute de pouvoir concéder de manière équitable aux deux branches, de s’en tenir fermement à la seconde qui garantira la protection de la société en me privant d’un zeste de ma liberté.

Patrice Spinosi, dont l’intelligence et la finesse sont indiscutables, devrait prendre conscience du fait que c’est en jetant le peuple par la fenêtre de la démocratie qu’on fera entrer par la porte le vrai danger de la République : le risque que face au réel, son déclin soit plus accompagné qu’entravé par un État de droit trop mythifié.

Menace sur l'état de droit

Price: 20,90 €

14 used & new available from 16,47 €

Despentes glissante

Virginie Despentes se lance dans la mise en scène au théâtre, et la critique s’évanouit d’admiration une nouvelle fois ! C’est qu’avec Romancero queer, saluée par France culture comme une «ode aux identités plurielles» , l’écrivaine dynamite les clichés et casse les codes. Succès garanti


Dans le numéro de mai des Inrocks (rédactrice en chef : Juliette Binoche), le journaliste Jean-Marie Durand est très heureux de nous présenter la nouvelle production théâtrale de Virginie Despentes. La chose s’appelle Romancero queer. Elle est censée être « une réflexion galvanisante sur la force du collectif contre les vents réactionnaires ».

C’est alléchant. Ça l’est d’autant plus que Virginie Despentes, en passant du roman au théâtre, n’a rien perdu de « sa nervosité critique », affirme le journaliste culturel en s’interrogeant :« Comment écrire dans un climat général marqué par un nouvel obscurantisme réactionnaire en guerre contre les minorités ? » Heureusement, dressée contre les vents contraires, Virginie Despentes « établit un continuum naturel entre les luttes qu’elle porte ».

A lire aussi: Le festival de Connes

C’est passionnant. Romancero queer conte l’histoire de huit personnages qui se retrouvent pour adapter La Maison de Bernarda Alba, pièce de Federico Garcia Lorca « mise en scène par un sexagénaire hétéro blanc qui souffre d’une sciatique aiguë » – sans doute une manière subtile d’aborder le délicat sujet des pathologies inhérentes au monde théâtral, monde dans lequel intermittents du spectacle vermoulus et metteurs en scène arthrosés se heurtent aux mêmes écueils que le pékin moyen lorsqu’il s’agit de trouver un rhumatologue.

C’est habile. France Culture estime que « Romancero queer est une ode scénique aux luttes et aux identités plurielles ». C’est très intéressant. Télérama s’enflamme : « Virginie Despentes dynamite la scène avec une troupe omnigenre. » Il y a bien « quelques scènes théoriques et longuettes », mais rien qui puisse gâcher le plaisir. Après tout, et c’est le plus important, Virginie Despentes « torpille les clichés sociaux ».

C’est très original. Et puis, écrit encore Jean-Marie Durand pour appâter le révolutionnaire qui sommeille en chacun de nous, « au pays des connards et des fachos, les romances queers donnent de l’ardeur au combat ». C’est très… très… bref, ça vaut sûrement le détour. D’ailleurs, Romancero queer, qui se joue au Théâtre de La Colline jusqu’au 29 juin, affiche d’ores et déjà complet.

Les Gobeurs ne se reposent jamais

Price: 22,00 €

6 used & new available from 22,00 €

L’inattendue

Si ce n’est pas franchement la spécialité de votre gazette préférée, reconnaissons que le sport est parfois magique ! En éliminant hier, mercredi, à Roland-Garros, la Russe Mirra Andreeva, numéro 6 mondiale, la Française Loïs Boisson accède aux demi-finales…


Elle se nomme Loïs Boisson. Voilà encore trente-six ou soixante-douze heures personne ne la connaissait. Du moins en dehors du petit monde des obscurs du circuit tennistique. À présent, on sait tout d’elle, ou presque. Française, née à Dijon (Côte d’Or), vingt-deux ans, 1,75 m, droitière, revers à deux mains, fille du basketteur Yann Boisson.

Deux matchs gagnés, deux matchs de haut niveau nous la révèlent. Qu’importe au fond la suite du tournoi. Ce qui est acquis est acquis, ce qui est engrangé est engrangé. On peut anticiper les titres et commentaires de la presse. « Sur la terre battue de Roland Garros, éclot une étoile », « La renaissance du tennis français au féminin », « La nouvelle petite fiancée de la balle jaune ». Ou bien pire encore en matière de dithyrambe. Nous verrons bien.

Ni starlette, ni grande gueule

Il n’empêche, cette jeune femme nous fait du bien. Pas seulement parce que, issue du fond du classement, arrivée à la porte d’Auteuil sur invitation, elle est parvenue à se hisser là où on ne l’attendait pas, mais surtout par la manière qu’elle a d’être ce qu’elle est, de faire ce qu’elle fait. Simple, résolue, d’une sobriété impressionnante dans ses réactions, exemplaire dans son comportement sur le cours et en dehors. Souriante en interview, mesurée dans ses propos tout en confessant sans forfanterie ni feinte modestie son ambition « d’aller au bout ». Cela nous change des exubérances déplacées et surjouées de certains compétiteurs – Français notamment – au moindre point gagné, au moindre but marqué. Elle, tout au contraire, placide, impassible, faussement nonchalante entre les points, d’apparence presque fragile mais armée d’un sang-froid et d’un flegme qu’on dirait made outre-manche, ne peut que surprendre en effet. Et séduire.

A lire aussi: L’équipe d’Israël menacée, le Tour de France en danger?

Donc, jaillissant de quasi nulle part, surgissant du Diable Vauvert comme se serait certainement enflammé un certain Léon Zitrone de cathodique mémoire, elle rayonne. Tranquillement, sans esbroufe. Et, ça fait rêver.

C’est du délire

Rêver pour le prochain Tour de France. Un Français enfin, de jaune vêtu au sommet de la Butte Montmartre, un gars, lui aussi, échappé du fin fond du peloton, un ci-devant porteur de bidons. Bref, un continuateur sur la voie tracée par notre Loïs (je me permets ce « notre Loïs » parce que dorénavant la France entière l’aura adoptée).

En attendant par ailleurs – mais là on frise le délire – une autre compétition, celle du printemps 2027 où un sans grade ou presque, également sorti du marais, mais rompu aux réalités du pays profond, nanti d’un caractère d’airain et de convictions bien réelles, pourrait venir, impitoyable et magistral, renvoyer la clique des prétendants de profession à leurs chères études. Quel pied ! Comme on dit quand on se lâche à la bonne franquette.

La jeune fille de Roland Garros nous fait certes rêver, nous instillant mine de rien quelque chose comme une espèce d’appétence pour  l’inattendu.

LES TÊTES MOLLES - HONTE ET RUINE DE LA FRANCE

Price: 14,77 €

5 used & new available from 10,78 €

Israël, le déchirement

Jamais la réprobation d’Israël n’avait atteint un tel paroxysme. L’accusation de génocide se banalise, bien au-delà des cercles islamo-mélenchonistes. Et l’interminable guerre de Gaza divise les soutiens d’Israël. À l’instar de Delphine Horvilleur, certains dénoncent publiquement la poursuite de la guerre et les attaques de Netanyahou contre l’État de droit, suscitant colère et désarroi dans la rue juive


C’est un torrent, un déferlement, un tsunami. Israël est devenu l’autre nom du mal. À l’Eurovision, de grandes âmes défendent les enfants palestiniens en insultant une jeune femme qui a eu le mauvais goût de survivre au 7-Octobre, cachée sous les corps de ses amis. Au Festival de Cannes, à défaut de robes coquines proscrites par mesure de décence, la Palestine se porte en bandoulière, et pas la Palestine-deux-États, la Palestine-de-la-Mer-au-Jourdain. Sur les campus européens et américains, on affiche sa compassion en vomissant l’État juif à jet continu. Chaque jour, une corporation monte au créneau pour dénoncer un prétendu génocide, chaque jour des voix se lèvent pour exiger qu’Israël soit mis au ban des nations, chaque jour, les terribles nouvelles de Gaza effacent un peu plus les corps suppliciés le 7-Octobre. Et chaque jour, une déclaration épouvantable émanant de l’un des « ministres maléfiques » du gouvernement Netanyahou, pour reprendre la formule d’Alain Finkielkraut, est brandie pour justifier la libération de la parole antisémite.1 Smotrich est raciste, donc Israël est raciste, donc les juifs sont racistes.

Macron botte en touche

Curieusement, la gaffe de Thierry Ardisson proférant « Gaza, c’est Auschwitz » a fait scandale. Or elle a exactement la même signification que l’accusation de « génocide » – Israël = SS. Si Israël commet un génocide, donc quelque chose qui ressemble à la Shoah, alors oui Gaza ressemble à Auschwitz. Or, désormais, ce terme infamant, qui porte une demande de sanctions et de lâchage, fait florès bien au-delà des cercles islamo-mélenchonistes qui l’ont acclimaté. Trois cents écrivains, parmi lesquels les inévitables Annie Ernaux et Nicolas Mathieu, demandent, dans un texte collectif, des sanctions contre Israël.2

On dira que ce sont les grandes âmes professionnelles. Sans doute. Mais on ne peut pas leur reprocher d’ignorer les victimes juives : « Tout comme il était urgent de qualifier les crimes commis contre des civils le 7 octobre 2023 de crimes de guerre et contre l’humanité, il faut aujourd’hui nommer le “génocide”», écrivent-ils. Sur TF1, le président de la République botte en touche, mais ne récuse pas le terme. Jamais Israël n’a été aussi réprouvé. Et jamais le monde juif, là-bas comme ici, n’a été aussi déchiré : entre laïques et religieux, juifs de gauche et juifs de droite, populo et notables (voir le texte de Noémie Halioua). En France, c’est Delphine Horvilleur qui ouvre le feu et cristallise les passions avec un réquisitoire où il est question d’une « politique suprémaciste et raciste qui trahit violemment notre Histoire ».3

L’esprit du débat talmudique mis à l’épreuve

On dirait que cette personnalité insoupçonnable a levé un interdit, car dans la foulée de nombreux amis de l’État juif, juifs ou pas, s’expriment publiquement dans le même sens, déclenchant en retour une salve de ripostes émanant de personnalités très diverses. Bien entendu, les critiques d’Horvilleur et des autres ne peuvent en aucun cas être confondues avec les vociférations mélenchonistes. On peut les contester, pas mettre en doute le fait que leurs auteurs veulent le bien d’Israël. Personne n’a le monopole du sionisme et de sa définition. Refusant que ces désaccords, aussi douloureux soient-ils, rendent le dialogue impossible, nous avons tenu à donner la parole à toutes les sensibilités. C’est le moment de se rappeler que les juifs ont inventé la discussion talmudique. C’est précisément quand un désaccord est âpre qu’il faut se faire violence pour comprendre la position adverse.

Dans le monde juif et « pro-juif » français, la discorde ne peut être réduite à une opposition entre contempteurs et admirateurs inconditionnels de Bibi. Pour tous ceux qui sont attachés à l’existence d’un État juif et démocratique, chaque manquement israélien, chaque brèche dans l’image de « l’armée la plus morale du monde », chaque image de famille détruite est un crève-cœur. La propagande existe, mais elle n’explique pas tout. De plus, alors que Netanyahou joue un jeu dangereux avec la Cour suprême, on a des raisons de penser que, dans « la seule démocratie du Proche Orient », l’État de droit est menacé. Le désaccord porte donc moins sur le fond que sur l’opportunité. Alors qu’Israël est lâché de tous côtés, y compris par l’Amérique et ne parlons pas de l’Europe, où nombre de pays songent sérieusement à reconnaître la Palestine alors que, comme l’a souligné Franck Tapiro, créateur du groupe militant DDF (Diaspora Defense Forces), ladite Palestine détient toujours des otages, fallait-il prendre le risquer de conforter ses ennemis ?

Deux gauches, deux approches, une même inquiétude

Denis Olivennes et Philippe Val appartiennent à la même famille idéologique, la gauche libérale et républicaine. Pourtant le premier est convaincu qu’il faut parler des fautes israéliennes pour le bien d’Israël, quand le second préfère se taire de peur de faire tourner le moulin antisémite.

Finalement, c’est la vieille question de Camus qui ressurgit : entre ta mère et la Justice, entre ta mère et la vérité, que choisis-tu ? Chacun doit répondre pour soi. Alain Finkielkraut n’a aucun doute : « Jamais je n’ai renoncé et jamais je ne renoncerai à l’exigence de vérité pour des raisons d’opportunité », tonne-t-il au cours d’une discussion passablement orageuse. Le philosophe entend continuer à se battre sur deux fronts : contre la haine d’Israël et des juifs d’un côté, contre la politique désastreuse d’Israël de l’autre. Reste à espérer qu’il ne perdra pas les deux batailles.


  1. Alain Finkielkraut : « Une bonne conscience antisémite s’installe un peu partout dans le monde », Le Figaro, 26 mai 2025. ↩︎
  2. « Nous ne pouvons plus nous contenter du mot “horreur”, il faut aujourd’hui nommer le “génocide” à Gaza », par 300 écrivains, AFP, 26 mai 2025. ↩︎
  3. « Gaza/Israël : Aimer (vraiment) son prochain, ne plus se taire », Delphine Horvilleur, Tenoua, 7 mai 2025. ↩︎

Lula: un anti-trumpisme d’opérette

0

Au Brésil, le président Lula se pose en adversaire résolu de Donald Trump. D’après notre correspondant à Sao Paulo, ces bruyantes protestations permettent surtout au leader socialiste de ne pas parler de son système verrouillé de l’intérieur et insignifiant à l’extérieur.


Dans la famille da Silva, je vous présente Rosangela, l’épouse du président Lula. Tout le monde l’appelle « Janja ». Ancienne cadre dans le secteur de l’énergie, elle aurait, dit-on, inventé le slogan de réélection de son mari  (« L’amour vaincra la haine »), peu de temps après l’avoir épousé en 2022. Mais c’est avec une formule beaucoup moins amène que la quinquagénaire a accédé à la notoriété planétaire, le 16 novembre à Rio de Janeiro lors d’un colloque altermondialiste.

Ce jour-là, alors que Janja s’exprimait, micro à la main, au milieu de jeunes gens acquis à sa cause, un bruit étrange a soudain retenti dans la salle. Rien de grave, sans doute une ampoule qui venait d’éclater. Sauf que l’espace d’un instant, l’hypothèse fantaisiste d’un attentat fomenté par Elon Musk a traversé l’esprit de la première dame, qui, pour faire rire son auditoire, a lancé, en anglais, sous les applaudissements : « Fuck you, Elon Musk ! »

Étalement de vertu

On ne saurait mieux résumer l’état d’esprit de l’élite brésilienne de gauche face à l’alternance politique qui vient d’avoir lieu aux États-Unis. Dans le pays, colère, rage et hystérie sont partout. Par exemple, si vous ouvrez votre poste, vous verrez les présentatrices Daniela Lima et Andreia Sadi, équivalentes respectives de Léa Salamé et d’Apolline de Malherbe, faire la moue à chaque fois qu’elles prononcent le nom de Donald Trump. Un étalement de vertu beaucoup plus décomplexé que ce que l’on observe en Europe dans les milieux médiatico-politiques. Au Brésil, si les progressistes sont indignés par le nouveau locataire de la Maison-Blanche, ce n’est pas à cause de ses positions sur l’Ukraine, Gaza ou le libre-échange, mais parce qu’il a sorti brutalement Lula de sa zone de confort.

A lire aussi, du même auteur: Sonia Mabrouk: dernier appel avant la catastrophe

Durant le mandat de Joe Biden, le président brésilien jouissait du « parapluie médiatique et diplomatique américain ». Il était applaudi à Washington à chaque fois qu’il arrivait à mettre des bâtons dans les roues, avec ses méthodes déloyales, de quiconque, dans le camp conservateur, avait une chance de le battre lors de la prochaine élection en 2026, à commencer par Jair Bolsonaro, son prédécesseur, condamné en 2023 à huit ans d’inéligibilité par le Tribunal supérieur électoral (TSE). Censure, entorses aux droits de la défense, poursuites engagées sur la base de crimes qui n’existent pas dans le code pénal, tout était pardonné à Lula au nom de la lutte contre le populisme, les fake news et les « discours de haine ».

Occupée par des dossiers plus brûlants, la nouvelle administration Trump n’a pas encore eu le temps de traiter le cas du Brésil. Mais tout porte à croire que plusieurs opérations mijotent à feu doux. En mars, des membres républicains du Congrès de Washington ont déposé un projet de loi pour annuler le visa d’Alexandre de Moraes, le président du TSE. Un élu républicain, Rich McCormick, vient même de suggérer à Trump de confisquer tous les biens enregistrés aux États-Unis au nom de ce précieux allié de Lula. Sueurs froides dans les cercles du pouvoir brésilien, où l’on apprécie la Floride et ses belles propriétés en bord de mer.

Le Sud global ne se laisse pas faire

Face à ces signes avant-coureurs d’hostilité, Lula riposte d’ores et déjà. « Il ne sert à rien que Trump élève la voix depuis là où il est, j’ai appris à ne pas avoir peur des gens qui gesticulent et menacent », a-t-il déclaré, certes plus poliment que sa femme, dans un discours à Belo Horizonte le 11 mars.

Quelques jours auparavant, il s’était adressé à ses homologues des BRICS (le groupe des pays émergents les plus riches de la planète) pour les appeler à constituer une alternative au« chaos » et à « l’incertitude » provoqués selon lui par Trump. Lors de cette intervention, le président brésilien n’avait que le mot « multilatéralisme » à la bouche, comme on invoque le nom d’un saint lorsqu’on est dans une mauvaise passe. Pas sûr toutefois qu’il ait été entendu : quinze jours après, loin des instances internationales et des formats de négociation internationale classiques, la Russie, membre fondateur des BRICS, a entamé, en Arabie Saoudite, elle aussi ralliée au club, des pourparlers sur l’Ukraine avec les États-Unis.

A lire aussi, Dominique Labarrière: État mental délabré. Et ta sœur ! répond Trump

Lula, lui, n’est à l’aise que dans les grands forums mondiaux où l’on brasse du vent en appelant, avec des trémolos dans la voix, à l’avènement d’un futur radieux, d’une monnaie commune internationale et de Nations unies réformées. Seulement, dès que l’on met ces chimères de côté et que l’on rentre dans le concret, le président brésilien n’a aucun projet d’influence en Amérique latine, aucun désir de tisser des liens avec l’Afrique (dont son pays est pourtant l’enfant légitime), pas davantage l’intention d’occuper la place qui devrait être la sienne dans la géopolitique de l’Atlantique, ni de s’exprimer sur le choc des civilisations alors que son pays incarne une diversité relativement heureuse. Tout juste se contente-t-il d’afficher sa proximité avec Vladimir Poutine, à côté de qui il a assisté le 9 mai à Moscou à la parade de 80 ans de la victoire sur le nazisme, en présence d’une brochette de leaders autoritaires du « Sud global » : Xi Jinping, Nicolas Maduro, Alexandre Loukachenko…

Quand le Brésil se réveillera (ou pas)…

Au fond, la bourgeoisie pro-Lula veut tout simplement qu’on la laisse tranquille, isolée dans son coin, barricadée derrière les tarifs douaniers, l’insécurité juridique et l’ultra-violence de son pays. Elle veut bien des capitaux spéculatifs (des transferts d’argent d’une place boursière à une autre) mais pas d’investisseurs directs qui pourraient faire de l’ombre aux champions nationaux. Un huis clos qui profite à l’oligarchie locale. Il faut dire que le banquet est immense : services financiers, télécoms, mines, agriculture etc. On croit le Brésil ouvert sur le monde, il n’est qu’entrouvert, juste ce qu’il faut pour éviter que l’argent change de mains.

Alors certes, Trump a donné un coup de taser à l’ordre mondial et Lula, comme bien d’autres, s’est réveillé les cheveux en bataille. Mais le président brésilien est un pragmatique. Il comprendra tôt ou tard qu’il faut lâcher du lest sur la répression politique de ses opposants de droite, histoire de ne pas attirer sur lui les foudres des milieux conservateurs américains. Et il se rendra vite compte que Trump, un pragmatique comme lui, a besoin d’un Brésil faible et insignifiant, incapable de tenir son rang dans l’hémisphère ouest. En gesticulant comme il le fait, Lula rassure l’oncle Donald, car il continue ainsi de saboter son pays et de lui interdire, encore et toujours, de transformer son immense potentiel en réalité.

Le Sud global à la dérive: Entre décolonialisme et antisémitisme

Price: 13,00 €

11 used & new available from 9,47 €

Podcast: A-t-on de droit de défendre Israël? Frères musulmans, mission invisible

0
Un passant touche le drapeau israélien scotché sur un plot près du tribunal de Boulder, Colorado, au lendemain de l'attentat au cocktail Molotov commis contre un groupe de manifestants qui voulaient attirer l'attention publique sur le sort des otages israéliens à Gaza, le 2 juin 2025. David Zalubowski/AP/SIPA

Avec Martin Pimentel, Jean-Baptiste Roques et Jeremy Stubbs.


Notre numéro du mois de juin présente un grand dossier sous le titre, « A-t-on le droit de défendre Israël? » avec les contributions de Georges Bensoussan, Noémie Halioua, Vincent Hervouët, Gil Mihaely, Denis Olivennes et Philippe Val. Dans l’état actuel du débat, il est difficile de faire entendre des voix autres que celles qui dénoncent d’emblée l’État juif. Ceux qui critiquent Israël ne font pas de distinction entre les choix politiques de Benyamin Netanyahou, l’opinion publique israélienne et les Juifs en général. Comme l’a dit Elisabeth Lévy, « Israël est devenu l’autre nom du mal ».

Le dimanche 1er juin, dans la ville américaine de Boulder, au Colorado, un petit groupe de manifestants qui cherchaient à attirer l’attention générale sur le sort des otages israéliens à Gaza a subi une agression au lance-flammes et au cocktail Molotov par un Égyptien qui voulait « tuer tous les sionistes ». Le matraquage médiatique contre Israël finit inévitablement par attiser haines et désirs de vengeance.

Frères musulmans, mission invisible: notre nouveau numéro comprend un mini-dossier qui fait suite à la publication du rapport Gouyette-Courtade sur l’entrisme des Frères en France. Chercheurs universitaires et élus locaux subissent la pression des lobbys islamo-gauchistes sur le terrain. L’exemple du Royaume Uni, dont des gouvernements successifs ont tenté de combattre l’influence de l’islamisme non-violent, montre que nos institutions étatiques, hiérarchisées et centralisées, ont du mal à lutter efficacement contre des réseaux décentralisés et agiles, unis plus par une convergence idéologique que par une alliance formelle.

Laissez-nous travailler, qu’ils disent…

0
Paris, 31 mai 2025 © Thomas Padilla/AP/SIPA

La magistrature fait trop dans le social, peste notre chroniqueur


Les réactions du Premier ministre et du garde des Sceaux sur les peines légères, pour ne pas dire ridicules, prononcées à la suite des violences, vols, incendies et dégradations perpétrés depuis le 31 mai au soir sont tout à fait compréhensibles.

Barbares

En réponse, avec une totale déconnexion par rapport à cette dénonciation politique et au sentiment populaire dominant, la procureure de Paris et le procureur général près la Cour de cassation ont d’une certaine manière cherché à théoriser cette mansuétude judiciaire en développant une argumentation provocatrice dans le contexte de ces événements commis en effet par des « barbares ».

En ce qui concerne Rémy Heitz, personnalité estimable mais limitée par une conception de l’obligation de réserve substituant à l’audace nécessaire une prudente tiédeur, on peut regretter cet appel à la « sérénité », ce conseil de « laisser les magistrats travailler » et cette réflexion maladroite sur l’écart entre les images des exactions, sans la moindre équivoque pourtant, et leur représentation judiciaire. Même si, sur ce plan, il était évident qu’on ne pouvait juger les infractions accomplies sans tenir compte de la personnalité de leurs auteurs.

L’alternative était claire pour les magistrats en charge de ces affaires traitées en comparution immédiate. On appliquait des peines avec sursis et des amendes, sans même ces colifichets genre stages de citoyenneté, à des prévenus pour beaucoup jamais condamnés auparavant et se défendant avec la même tonalité fuyante et irresponsable. Ou alors on considérait – ce qui aurait été mon point de vue – qu’ils avaient participé, chacun à leur niveau, à une explosion collective de vols, violences et saccages et on les sanctionnait en conséquence au-delà même des réquisitions du parquet.

Toujours au sujet de ce deuxième magistrat de France, quel regret, hier, qu’il n’ait pas osé interjeter appel de la relaxe de l’ancien garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti devant la Cour de justice de la République. Et que François Molins et lui-même se soient laissé traîner dans la boue ces dernières semaines sans réagir dans le spectacle du même. Seul Patrice Amar également ciblé, assisté par Me François Saint-Pierre, n’ayant pas tendu l’autre joue !

A lire aussi, Ivan Rioufol: La perte de contrôle de l’État sonne la fin d’un monde

Les polémiques de ces derniers jours, qui ont trouvé un écho médiatique fort sur le plateau de Pascal Praud (CNews), m’ont fait réfléchir sur une donnée qu’on oublie trop souvent – moi le premier – pour expliquer les discordances judiciaires entre la sévérité qu’on attendrait et la faiblesse de certains jugements.

Malgré la catastrophe qu’a représentée le Mur des cons et ses effets collectifs délétères sur l’image de la magistrature, malgré le détournement constant d’un syndicalisme purement professionnel opéré par le Syndicat de la magistrature, en dépit d’une impression ressentie et exprimée par beaucoup, je ne suis pas sûr que la politisation tellement invoquée des juges (malgré quelques exemples qui ont frappé l’opinion) soit la cause principale d’aberrations pénales qu’on peut résumer par le terme de laxisme.

Toujours la faute à la société

Sans doute, malgré la fierté dont je ne cesse de rappeler l’obligation à l’égard de ce magnifique métier de magistrat – « raccommodant les destinées humaines » -, ai-je trop négligé un phénomène qui relève d’une sorte de perception d’un déclassement social, similaire d’ailleurs à celle d’un grand nombre d’avocats, qui ne permet plus aux juges de se poser en surplomb, en arbitres impartiaux, au-dessus de la mêlée sociale, des inégalités et des injustices de notre pays. Mais au contraire de s’y trouver impliqués, de sorte qu’ils comprennent trop bien des argumentations vicieuses tenant à la prétendue culpabilité de la société. Tout cela ayant pour conséquence une miséricorde judiciaire au bénéfice d’individus exonérés de tout.

S’il n’y avait pas cette intégration, à la pratique pénale, d’une solidarité à l’égard de tous ceux plaidant peu ou prou la responsabilité sociale, ajoutée à la conscience qu’ont beaucoup de magistrats de leur chute dans la considération publique, je suis persuadé qu’on n’affronterait pas régulièrement ces chocs résultant de décisions choquantes, désaccordées d’avec une intelligente rigueur souhaitée par une majorité de nos concitoyens.

Je vois dans ces dérives une sorte de lutte des classes au sens banal. Elle rend une part de la magistrature, de bas en haut et bien au-delà du syndicalisme partisan, trop sensible à des propos, à des discours et à des apologies évacuant la responsabilité individuelle au bénéfice d’un confusionnisme social. Alors que le judiciaire est du singulier, on le noie dans un pluriel qui aboutit, par exemple, à certains des jugements erratiques de la période suivant le 31 mai. Notamment je songe à un éducateur spécialisé impliqué dans ces transgressions et qui probablement retrouvera cette fonction pour laquelle à l’évidence il était si peu fait !

Au lieu d’opposer à ces dénaturations de la justice pénale une fermeté et un courage qui seraient validés sans le moindre doute, la haute hiérarchie judiciaire préfère se couler dans le lit d’un vague et mou soutien à l’élargissement du hiatus entre le citoyen et le magistrat. Il y a quelque chose de suicidaire dans cette entreprise qui fait perdre sur tous les tableaux : l’honneur de soi, la confiance du peuple.

Les Frères sous le tapis

Emmanuel Macron, Gérald Darmanin, Bruno Retailleau et Amélie de Montchalin en visite à l’État-major de lutte contre le crime organisé à Nanterre, 14 mai 2025 © Christian Liewig-POOL/SIPA

Présenté au président de la République, le rapport Gouyette-Courtade fait le point sur l’activisme des Frères musulmans en France. Il décrit des réseaux solides, des stratégies masquées et des menaces réelles. Bien entendu, les médias et la gauche dénoncent l’islamophobie, la stigmatisation et l’amalgame. Pour eux, le problème n’est pas l’islam séparatiste mais la droite Retailleau.


On connaît le scénario. De nouvelles informations sur la contagion islamiste en France apparaissent dans le débat public. Tous ceux qui, depuis des années, sonnent l’alarme sont soulagés : cette fois, personne ne pourra plus nier. Et puis non, caramba, encore raté, on peut toujours. Après un temps variable de sidération, le camp du Bien repart au combat contre le réel. Avec la même rengaine accusatoire : islamophobie, stigmatiation, fantasme, amalgame et maintenant, instrumentalisation, autant de signifiants dont la ronde affoléevise à faire oublier le référent dans la pièce.

Experts en effacement

La parution du rapport Gouyette-Courtade sur les agissements des Frères musulmans en France (qualifiés par les auteurs de « menace pernicieuse et progressive » pour la cohésion nationale) n’a pas dérogé aux habitudes. À peine est-il dévoilé que, du Monde à France Inter, de LFI à Lyon 2, on brode sur les mêmes éléments de langage pour interdire la seule question qui devrait valoir : est-ce que tout cela est vrai ? Quelle est l’ampleur de la menace ? On convoque les experts en effacement, les spécialistes en euphémisation et les savants en excuses sociologisantes. « Il n’y a pas d’agenda caché pour instaurer un califat en Europe », tranche le chercheur Franck Frégosi, sur qui se sont précipités France Inter, France Info, Libération, Mediapart et La Vie.

Car voyez-vous, le problème de notre pays, ce n’est pas l’islam séparatiste qui séduit tant de jeunes Français, c’est Bruno Retailleau. Le Monde redoute une « surenchère politique », qui permettrait au ministre de l’Intérieur de mettre en « majesté sa riposte » et de « conforter les réflexes conditionnés de la droite qui tend à présenter chaque personne issue de l’immigration comme un islamiste en puissance ». Tout ce qu’ont trouvé les propagandistes du vivre-ensemble, c’est que le nouveau président de LR s’en prend à tous les musulmans parce qu’il veut faire président tout court. Sauf que c’est le contraire : si Retailleau apparaît comme un candidat très sérieux, c’est parce que beaucoup de Français attendent avec inquiétude que le pouvoir s’attaque frontalement à un phénomène qui met en jeu l’avenir du pays.

Colère calculée

Même Emmanuel Macron est soupçonné de couvrir un complot islamophobe au motif qu’il a inscrit le rapport à l’ordre du jour du dernier Conseil de défense et de sécurité nationale (CDSN), comité très sélect – seuls les locataires de Matignon, Beauvau, Brienne et du Quai d’Orsay sont conviés – qui se tient dans la plus grande confidentialité du PC Jupiter, abri antiatomique situé sous l’Élysée. Les visées idéologiques de groupes radicalement opposés à nos mœurs relèvent clairement de la sécurité nationale, donc on voit mal où est le scandale de cette réunion.

L’ennui, c’est que si le chef de l’État a tenu à garder la main, ce n’est sans doute pas pour être sûr que la riposte sera d’une fermeté sans faille, mais plutôt pour garantir qu’elle sera gentillette de façon à n’offusquer personne. Ainsi, d’après Beauvau, c’est l’Élysée qui aurait inspiré les quelques mesures faiblardes recommandées dans le document, toutes déjà possibles en l’état (surveillance des réseaux islamistes, fermeture des mosquées intégristes, expulsions des imams radicaux). Quant au président, après sa colère très calculée lors du CDSN, il aurait exigé des mesures contre les discriminations et… la reconnaissance de l’État de Palestine. On ne voit pas le rapport. Lui, si. C’est bien le problème.

A ne pas manquer: Causeur #135: A-t-on le droit de défendre Israël?

Du côté des lanceurs d’alertes et dans la « réacosphère » (qui, pour un francintérien, commence au Point), beaucoup ont accueilli le rapport sur le mode désabusé – on savait déjà tout ça. Peut-être connaissait-on la logique générale, mais il fourmille de données sur les réseaux, les mécanismes, les institutions qui permettent au frérisme d’avancer. Le problème, comme toujours, c’est ce qu’il ne dit pas. D’abord, il se cantonne à la sphère des Frères musulmans alors que, comme en Angleterre, ceux-ci ont noué des alliances avec des islamistes de diverses obédiences (salafisme, wahhabisme, chiisme, tabligh).

Ensuite, s’il s’efforce de recenser les influenceurs, il se garde de mesurer l’influence, c’est-à-dire l’emprise exercée sur les esprits musulmans, notamment ceux des jeunes biberonnés à TikTok, ce réseau social dont l’algorithme, friand de contenus débiles, vous place en quelques clics face à un prêche fondamentaliste alors que vous aviez simplement tapé « islam ».

Fiction rassurante

Même Retailleau continue largement à vivre avec la fiction rassurante d’une frontière claire entre une petite minorité de fanatiques islamistes et une immense majorité de musulmans républicains. Dans la vraie vie, il y a un continuum, une adhésion plus ou moins forte selon les individus et les circonstances. Le gamin qui refuse de se doucher avec ses camarades après l’entraînement : musulman ou islamiste ? Celui qui trouve que les Charlie devraient être punis par la loi pour avoir insulté le Prophète ? Celui qui se dit que l’interdiction des signes religieux à l’école de la République est la preuve de l’existence d’une islamophobie d’État ? Avec ses insuffisances et son absence de révélations fracassantes, ce rapport a le mérite d’exister et surtout, d’avoir été commandé par le gouvernement – en l’occurrence par Gabriel Attal et Gérald Darmanin. Risquant une métaphore psychanalytique, Philippe Val se réjouit que le gouvernement verbalise enfin son mal. C’est, paraît-il, le début de la guérison. Pour avoir été souvent échaudé, on hésite à partager son optimisme.

Certes, on peut espérer que le duo Retailleau/Darmanin fera tout ce qui peut être fait par la loi et par la force – dissolutions, expulsions, poursuites… Mais on ne détruit pas les mauvaises idées par la force. À l’exception de propos louables et oiseux sur le rétablissement de l’autorité et la promotion de la culture française, personne ne sait comment gagner la bataille pour les cerveaux musulmans. Surtout qu’on peut compter sur le chœur des vierges islamo-progressistes pour s’opposer frénétiquement à ce qu’on puisse la mener.

Le crépuscule des nations: Israël, la France et l’effacement des identités

0
Manifestation pour la Palestine à Gand, Belgique, 24 mai 2025 © Shutterstock/SIPA

Israël n’est pas seulement au cœur d’un conflit territorial: il incarne une frontière civilisationnelle entre deux visions du monde. Derrière le conflit israélo-palestinien se profile un affrontement plus large, entre le globalisme – qui dissout les identités – et l’enracinement – qui défend les nations, les mémoires, les singularités. Ce combat, trop souvent masqué, concerne autant l’Europe que le Proche-Orient.


Il faut le dire sans détour, sans cet artifice des âmes tièdes qui veulent encore croire à des accommodements : le Hamas ne veut pas de la solution à deux États. Il ne la veut pas, il ne la peut pas, car son horizon n’est pas celui des nations, pas même celui des peuples, mais celui d’un univers soumis à la seule loi d’Allah. À l’extrême rigueur, il l’accepterait comme une ruse, un délai, une pause stratégique : une étape avant de rayer l’État juif de la carte, avant de dissoudre cette anomalie qu’est Israël dans le grand bain d’un Moyen-Orient musulman de toute éternité. Pour lui, pour l’islamisme, Israël ne saurait être une nation souveraine, juive de surcroît, mais tout au plus un territoire, un espace, une portion de terre où les juifs vivraient en dhimmis, sous le joug discret mais implacable de la charia, tolérés comme on tolère l’ombre du passé sur les ruines du présent.

Sociétés fatiguées

Ce qui se joue là, et que l’on ne veut pas voir – car l’aveuglement, aujourd’hui, est le luxe suprême des sociétés fatiguées –, c’est que cette logique n’est pas circonscrite au conflit israélo-palestinien. Elle travaille aussi, souterrainement, l’Europe, la France, ces vieilles nations qui s’acharnent à nier leur propre chair, leur propre mémoire, leur propre être. Pour l’extrême gauche, pour la gauche qui se laisse entraîner par elle dans un vertige dont elle ne comprend ni l’origine ni le prix, comme pour l’islamisme, les nations sont des fictions à dissoudre, des entraves à l’avènement d’un ordre supérieur : celui de l’oumma pour les uns, celui du marché planétaire pour les autres, celui de l’humanité universelle pour les troisièmes. Et c’est pourquoi l’on comprend aussi pourquoi ces courants si différents en apparence – islamistes, capitalistes, révolutionnaires – se retrouvent paradoxalement à défendre, d’une manière ou d’une autre, une immigration de masse, notamment en provenance de pays majoritairement musulmans : car ce flot humain, en noyant les identités historiques sous une vague démographique, contribue puissamment à dissoudre les repères, à effacer les singularités nationales, à rendre les peuples plus malléables, plus abstraits, plus interchangeables.

Ainsi, ce qu’on veut effacer, ce n’est pas seulement l’État juif ; c’est l’idée même d’État-nation. Le Hamas ne veut pas d’un État juif, il veut bien, peut-être, d’un État d’Israël vidé de sa substance juive, comme l’islamisme peut bien tolérer une République française à condition qu’elle ne soit plus la France des Français, mais un espace abstrait, ouvert, disponible pour le déploiement de l’islam. Car pour l’islamisme, comme pour les idéologues de la globalisation, la nation n’a pas de sens : ce qui compte, c’est l’unité du monde, l’unification sous une loi, fût-elle marchande ou divine, mais toujours hostile aux singularités historiques, aux héritages, aux frontières.

A lire aussi: Lula: un anti-trumpisme d’opérette

Et l’on ne voit pas – et c’est peut-être cela, la tragédie de notre temps, cette incapacité à percevoir les lignes profondes qui structurent les événements – que la France et Israël sont, en vérité, affrontés à un même péril : celui de leur effacement. Effacement sous la poussée islamiste, qui rêve d’un monde où les autres religions seraient soumises ; effacement sous la poussée de la marchandisation, qui rêve d’un monde où tout serait interchangeable, marchandisable, dissolu dans les flux ; effacement sous la poussée d’une gauche encore hantée par les relents du communisme, qui rêve d’un monde où les hommes seraient réduits à leur simple humanité abstraite, sans histoire, sans mémoire, sans identité.

C’est ton destin

Dans cette conjonction inattendue – islamisme, marché, idéologie universaliste – se joue une bataille qui n’est pas seulement politique, mais métaphysique : celle de l’existence des nations. Être une nation, c’est dire non à l’uniformité, non à la dissolution, non à la réduction des êtres humains à de simples unités de désir ou de foi. C’est affirmer une différence, une singularité, une mémoire incarnée dans des lieux, des langues, des rites, des morts. Israël, comme la France, comme l’Europe, se trouve à la croisée des chemins : ou bien elle persiste à exister comme nation, au prix d’un combat douloureux, solitaire, presque désespéré ; ou bien elle consent à disparaître, à se fondre dans le grand magma planétaire, à n’être plus qu’un espace sans épaisseur, sans mémoire, sans visage.

Ce combat, on le mène souvent sans le savoir, ou en croyant qu’il s’agit seulement de cohabitation, de justice sociale, de redistribution économique. Mais il s’agit, en vérité, d’un combat ontologique : il s’agit de savoir si nous voulons continuer à exister comme peuples, comme nations, ou si nous acceptons de n’être plus que des individus sans attaches, soumis aux lois de l’économie, de l’idéologie, ou de la religion totalitaire.

Voilà pourquoi la France et Israël sont liés par un destin commun, que nul ne veut voir. Voilà pourquoi il faut parler, écrire, nommer, contre le flot amnésique du monde contemporain. Voilà pourquoi il faut, peut-être, retrouver cette mélancolie tragique qui fut toujours le propre des civilisations vieillissantes mais lucides.

Il y a, dans cette affaire, une immense fatigue. Fatigue des nations, qui ne savent plus porter le poids de leur histoire ; fatigue des hommes, qui ne croient plus à leur singularité ; fatigue des élites, qui rêvent d’effacer les aspérités pour se fondre dans une humanité sans épaisseur. La France est comme cette vieille demeure que l’on abandonne aux vents, à la pluie, au lierre, et dont on contemple la lente décrépitude avec une fascination morbide, sans trouver en soi l’énergie de la réparer. Israël, quant à lui, connaît une autre réalité : une partie de ses élites rêve parfois d’abandon, mais le cœur du pays résiste encore — porté par une jeunesse ardente, patriote, prête à défendre sa survie. Si certaines zones d’Israël commencent à ressembler à l’épuisement français, le reste du pays, lui, reste en état d’alerte, tendu, debout, face à la menace.

Triple rejet

Car réparer, c’est toujours se souvenir. Réparer, c’est dire : nous avons existé, nous avons un passé, nous avons des morts, des guerres, des larmes, des chants. Réparer, c’est refuser l’oubli dans lequel nous pousse l’époque. Mais l’époque ne veut plus de ce passé. Elle n’en veut plus car il gêne, il embarrasse, il limite. Le passé, pour l’idéologie marchande, est un poids mort ; pour l’idéologie islamiste, il est une impureté ; pour l’idéologie de gauche, il est une faute. Et dans ce triple rejet, il y a une forme d’alliance, une coalition inattendue mais redoutable.

Israël, en tant qu’État juif, incarne le scandale du particulier : une identité historique, religieuse, culturelle, irréductible à l’universalisme abstrait. La France, malgré toutes ses trahisons, toutes ses abdications, reste, aux yeux du monde, une vieille nation façonnée par des siècles de guerres, de littérature, de catholicisme, de révolutions, de fidélité à soi-même. Or, ce sont précisément ces singularités-là qu’il faut abattre.

A lire aussi: Israël, le déchirement

Car le monde qui vient – le monde que veulent les islamistes, les marchands, les idéologues – est un monde sans nations. Un monde de flux : flux de capitaux, flux de marchandises, flux de croyants, flux d’êtres humains réduits à leur fonction économique ou religieuse. Ce que l’on appelle, souvent sans le comprendre, le globalisme, n’est qu’un nom poli pour désigner cette guerre souterraine contre les enracinements. Et l’islamisme, en ce sens, n’est pas l’ennemi du marché ; il en est l’allié paradoxal. Car tous deux veulent effacer les frontières, tous deux veulent un monde unifié, tous deux veulent abolir l’idée même de nation.

Voilà pourquoi il est vain d’opposer naïvement l’un à l’autre. Voilà pourquoi il est illusoire de croire qu’on pourra résoudre le conflit israélo-palestinien, ou la question de l’immigration en Europe, par de simples ajustements politiques, par des compromis, par des arrangements techniques. Car il s’agit d’un combat plus profond : celui de la survie des identités.

Et c’est ici que vient le plus tragique : il est possible que ce combat soit déjà perdu. Non pas par la force des armes, mais par la lassitude intérieure. Car les nations ne sont pas d’abord abattues de l’extérieur ; elles meurent de l’intérieur, par épuisement, par dégoût de soi, par incapacité à se transmettre, à se désirer encore. Regardez la France : elle n’enseigne plus son histoire ; elle n’ose plus dire ce qu’elle est ; elle s’excuse d’exister. Regardez Israël : il vacille entre le besoin de se défendre et la culpabilité de le faire, entre la volonté de survivre et la hantise d’être jugé.

On dit parfois : il faut défendre l’Occident. Mais l’Occident existe-t-il encore ? Est-ce autre chose qu’un souvenir, qu’un mirage, qu’un mot creux ? On dit : il faut sauver les nations. Mais les nations veulent-elles encore être sauvées ? Ont-elles encore en elles le désir de durer, cette obstination, ce sang, cette fidélité, cette mélancolie active qui fut jadis leur force ? Ou bien ont-elles déjà consenti, en silence, à se dissoudre, à s’effacer, à devenir des espaces neutres, des lieux sans mémoire, des zones franches pour le commerce et pour la foi ?

Je ne sais pas. Ou plutôt, je le sais trop bien : il est des moments où les civilisations, comme les hommes, choisissent la mort sans le dire. Elles s’affaissent doucement, avec une lassitude infinie, avec cette nostalgie sans objet qui précède la chute. Peut-être est-ce cela que nous vivons. Peut-être est-ce cela, le cœur battant de notre temps : le crépuscule des nations.

Comment Mohammed VI a lutté contre l’entrisme islamiste

0
Abdel-Ilah Benkiran et son épouse, Washington, août 2014 © MIKE THEILER/NEWSCOM/SIPA

Au Maroc, les accords d’Abraham et le Covid ont eu raison de l’islamisme politique. Pour l’instant.


Printemps 2011. Une révolte populaire inédite ébranle l’ensemble des pays arabes. Née sur les réseaux sociaux, elle n’épargne pas le Maroc. A une constante près toutefois : au royaume chérifien, pas de manifestations monstres, pas de répression sanglante, pas de chute du régime, pas de guerre civile. Car Mohammed VI réagit promptement. En quelques mois, il modifie la constitution, dissout le parlement et convoque des élections anticipées. Son peuple a le sentiment d’avoir été entendu.

PJD : un petit tour et puis s’en va

Le 25 novembre, les urnes parlent. Avec 107 sièges sur 395, le Parti de la justice et du développement (PJD) s’impose comme la première force du pays. Prenant acte de cette percée spectaculaire, le roi n’a d’autre choix que de nommer Abdel-Ilah Benkiran, secrétaire général de la formation islamiste, comme Premier ministre. Et d’accorder plusieurs portefeuilles gouvernementaux importants à d’autres membres du mouvement autrefois interdit. La participation au pouvoir  des intégristes musulmans durera une décennie.

Car en 2021, patatras. Lors de nouvelles législatives, le PJD perd les trois quarts de ses suffrages et ne parvient à maintenir que 13 députés à la chambre basse. Le voilà redevenu un acteur très secondaire de l’opposition. Que s’est-il passé ? Comment expliquer une telle débâcle politique alors que le Maroc donne l’impression d’avoir plutôt progressé durant ces dix ans ?

Pour comprendre ce fiasco, il convient de resituer le PJD. Ses premiers succès remontent aux années 80 quand le Maroc connaît une vague conservatrice aussi puissante que silencieuse. Sans aller jusqu’à vouloir renverser la monarchie, une part importante de la population exprime alors de plus en plus son souhait de revenir à la tradition arabe et musulmane. Porte-parole de cette aspiration plus identitaire que révolutionnaire, le PJD s’oppose au moule habituel, technocratique et occidentalisé, des élites marocaines. Autres caractéristiques : il se méfie des revendications berbères, rejette l’hégémonie de la francophonie et s’inspire des méthodes d’organisation et d’encadrement des Frères Musulmans sans toutefois s’y affilier officiellement.

A lire aussi, Elisabeth Lévy: Israël, le déchirement

Pour toutes ces raisons, le PJD n’a jamais été dans les petits papiers du pouvoir ni de l’establishment marocain au sens large. Le roi, progressiste au sens noble du terme, s’en méfie. La haute administration et les milieux économiques, colbertistes et francisés, sont hostiles à un parti qui n’a pas leurs références mentales.

En 2011, le PJD est donc prévenu : il n’est attendu par personne en haut lieu. Il devra cohabiter. Exercice d’autant plus délicat qu’il arrive certes en tête des élections, mais sans décrocher la majorité absolue, mode de scrutin proportionnel oblige. Son seul avantage à vrai dire est sa légitimité populaire. Il y a en effet alors, sans le moindre doute, un fort désir de PJD au Maroc. La société est moins libérale que dix ou vingt ans auparavant. Une évolution visible à l’œil nu ne serait-ce que par l’extension du port du voile. Les socialistes ont déçu (1998-2007), les islamistes incarnent le changement.

Reculades

Sauf que, à l’épreuve des responsabilités, le PJD se liquéfie en réalité presque aussitôt. Une fois aux affaires, face à l’hostilité polie de l’appareil d’Etat, les islamistes sont constamment forcés de se coucher. Chaque bras de fer ou presque est perdu et se solde par une reculade. En coulisse, le parti perd de son autorité au fur et à mesure qu’il apparaît sur le devant de la scène. Lorsque la pandémie de Covid survient, le processus est déjà achevé : les islamistes, pourtant officiellement au pouvoir, ne contrôlent plus rien, au point d’être contraints de céder toute la gestion de la crise à l’administration et au Palais. Les derniers à encore y croire sont complètement déniaisés lorsque le premier ministre Saad Eddine El Othmani, membre du PJD, signe l’accord de normalisation entre le Maroc et Israël fin 2020. Une scène de science-fiction.

Les islamistes ont manqué de préparation. Ils n’ont pas formé les cadres qui auraient pu mettre en œuvre leur politique et défendre leurs intérêts au sein du système. Comme des amateurs, ils se sont laissés déposséder des rares marges de manœuvre qui leur étaient concédées. Ainsi, au terme d’une crise au sein de sa coalition gouvernementale, ils perdent dès 2016 les portefeuilles clefs de l’économie et des finances, du commerce extérieur et de l’industrie au profit du RNI, le Rassemblement national des indépendants, un parti de notables pro-business, pro-Occident et pro-Palais.

Le piège se referme alors complètement. Les grands chantiers qui font la fierté des Marocains sont mis au crédit du Palais car le roi les a inspirés. Le PJD se retrouve de facto à la tête du ministère des mauvaises nouvelles et de l’immobilisme. Sous ses auspices, l’âge limite de la retraite est repoussé et les subventions accordées à certains produits de première nécessité sont allégées. Au lieu d’être copilote à côté d’un commandant de bord réticent, il est la voix nasillarde qui annonce aux passagers que les sandwiches sont payants et que la climatisation est en panne.

A lire aussi: Londres: tout, sauf froisser l’exquise sensibilité du Hezbollah

La punition électorale de 2021 est certes sévère mais parfaitement justifiée. Elle est fêtée dans tout ce que le pays compte de cercles « modernistes », mais est-ce totalement une bonne nouvelle ?

L’échec du PJD est aussi l’échec de la classe politique dans son ensemble. Pour les Marocains, les élus ne servent plus à rien puisque que tout ce qui avance dans le pays est à leurs yeux inspiré par le Palais et mis en œuvre par les hommes du Roi. Au fond il y a renoncement à l’idée même de démocratie : « rien de bon » ne peut venir d’en-bas. La preuve en est la disparition du débat d’idées. Aujourd’hui dans le pays on ne veut plus entendre parler d’idéologie mais de nombre de Mégawattheures installés. L’époque appartient à l’Etat profond et aux hommes d’affaires venus gérer tel ou tel dossier technico-commercial : le solaire, le dessalement de l’eau, la Coupe du Monde de 2030 etc.  L’horizon collectif est encombré de grues et de poussière d’engins.

Aux pouvoir, le PJD n’a pas seulement liquéfié son capital politique, il a liquidé la politique au Maroc.

La vraie bonne nouvelle, incontestable celle-là, est que la société marocaine n’est pas compatible avec un parti islamiste classique. Elle est trop schizophrène pour cela. Elle veut en même temps l’islam et la modernité, la solidarité avec le peuple palestinien et l’amitié avec les juifs marocains, que l’on reçoit comme des vieux cousins perdus de vue depuis des lustres. Elle est peut-être marocaine avant d’être arabe et islamique, cela lui donne une immunité, fragile, relative certes mais qui marche pour l’instant.

On cherche une vigie de la sécurité…

0
L'avocat Patrice Spinosi © NIVIERE/SIPA

L’avocat Patrice Spinosi s’inquiète de prétendues dérives illibérales en France et explique, dans son livre Menace sur l’État de droit (Allary Éditions), comment nos institutions pourraient être mises en quelques semaines sous la coupe d’un pouvoir pourtant conquis légalement — par «qui vous savez». À l’heure où les actuels garde des Sceaux et ministre de l’Intérieur dénoncent le laxisme, les alertes de celui que la presse qualifie de «vigie de nos libertés» paraissent totalement déconnectées de la réalité.


Des vigies des libertés, on en a pléthore. Des défenseurs de l’État de droit intangible, on en a une multitude. Des humanistes prêts à faire endurer le pire jusqu’au dernier citoyen français, on en surabonde !

Certes ils n’ont pas tous la même qualité ni le même savoir que Patrice Spinosi, avocat près la Cour de cassation et le Conseil d’État, qui fait l’objet d’un portrait élogieux par Stéphane Durand-Souffland dans Le Figaro et dont le titre est précisément « Patrice Spinosi, vigie des libertés ». Aujourd’hui ce sont des « vigies de la sécurité » qui nous manquent.

Parce que cette exigence fondamentale pour la tranquillité publique, pour la protection des biens et des personnes, pour la sauvegarde des plus modestes qui ont le droit de disposer au moins de cet élémentaire capital qu’est leur sûreté, et pour une démocratie apaisée, n’est pas aujourd’hui servie comme elle le devrait.

Les élites encore épargnées par l’ensauvagement de la société

Dans cet arbitrage sans cesse à effectuer entre nos libertés et notre sécurité, les premières gagnent trop souvent parce qu’elles fleurent bon le progressisme, elles relèvent de l’attitude des belles âmes, des sensibilités délicates et se qualifiant elles-mêmes d’élite, elles ne sont pas gangrenées par la contagion de l’utilitarisme ni du pragmatisme, le réel ne les insupporte pas puisque globalement il leur demeure étranger. La passion pour les libertés est le havre de sérénité et de bonne conscience d’une société privilégiée qui regarde de loin les malheurs de la masse et profondément s’en lave les mains.

A relire, Elisabeth Lévy: L’État de droit, c’est plus fort que toi !

Si on feint de pouvoir cultiver également les libertés et la sécurité, on sait bien que c’est impossible. La sécurité sera toujours perdante puisqu’elle pèse moins dans la tête des pouvoirs et dans l’esprit collectif, malgré les apparences. La rançon de l’État de droit est claire et sans équivoque : il fait mourir la France à petit feu… mais dans les formes…

Il faut reconnaître à Patrice Spinosi le mérite de la franchise. Il manifeste avec éclat et talent ce qui se cache derrière l’obsession actuelle de l’État de droit dont pour ma part je ne souhaite évidemment pas la disparition mais l’adaptation.

L’État de droit : une vache sacrée ?

Ce n’est pas une vache sacrée et l’état de la France, menacé aussi bien de manière interne que par des dangers externes, impose de réfléchir à l’élaboration d’une légalité qui ne ferait pas fi de l’efficacité. Ce qui compte n’est pas la perfection formelle de nos démarches juridiques, quelles que soient les juridictions saisies – le Conseil constitutionnel nous offre assez régulièrement des exemples de pureté totalement détachés de la défense sociale et de la protection des citoyens et de leur identité – mais la manière dont le droit, dans ses structures essentielles sans lesquelles nous serions réduits à une « sauvagerie » légale, peut s’accorder avec la finalité ultime d’une civilisation mise en péril un peu plus gravement, parfois horriblement chaque jour : ne pas sombrer, ne pas disparaître à cause d’une impuissance trop longtemps théorisée en dignité et en tolérance.

Patrice Spinosi, qui voit des populismes partout – ceux qui ne partagent pas sa conception de l’État de droit – décrète « qu’un populiste arrivant au pouvoir considère comme illégitime tout contre-pouvoir. Et impose une dictature de la majorité qui s’en prend prioritairement aux minorités de tous ordres. Or nous sommes tous la minorité de quelqu’un d’autre ».

Le procès expéditif est lancé avec une brillante mauvaise foi. Patrice Spinosi n’est peut-être pas « un activiste » ni un « indigné professionnel », comme l’exclut son ami François Sureau, il demeure que sa définition du populisme est tellement large qu’il intègre dans sa dénonciation « Laurent Wauquiez et d’autres qui désignent l’État de droit comme l’ennemi à abattre ». Personne n’a été assez sot dans le camp conservateur pour aspirer à un tel extrémisme.

A lire aussi, Thomas Morales: Ils étaient nés en 1936…

Derrière son argumentation, Patrice Spinosi cache en réalité la condescendance, voire le mépris des élites pour ce peuple dont la simplicité d’esprit et la vulgarité le conduisent même à s’occuper de ce qui le regarde et qui les indiffère parce qu’elles vivent dans le ciel des abstractions quand la majorité des citoyens sont confrontés à une quotidienneté qui les laisse brutalement sur terre.

Le virage quasi-« populiste » de Philippe Bilger !

Au risque d’être étiqueté membre d’une telle cohorte indigne, des événements récents, sur les plans national et international, loin de me démontrer l’urgence d’un État de droit statufié et impuissant pour mille raisons, m’ont convaincu que le scandale était ailleurs : dans la gravité des transgressions, des crimes et des délits et le caractère ridicule du traitement judiciaire ou administratif qu’on leur appliquait. On prétendait combattre l’enclume avec une mouche.

La remise en cause de l’État de droit, en le dépouillant de ses facettes bureaucratiques, de son incurable lenteur et de ses incompréhensibles contradictions (l’exemple de l’autoroute A69 est éclairant), serait une chance démocratique. Et un bonheur de simplification pour tous. Il n’est donc pas anormal, dans l’alternative entre libertés et sûreté, faute de pouvoir concéder de manière équitable aux deux branches, de s’en tenir fermement à la seconde qui garantira la protection de la société en me privant d’un zeste de ma liberté.

Patrice Spinosi, dont l’intelligence et la finesse sont indiscutables, devrait prendre conscience du fait que c’est en jetant le peuple par la fenêtre de la démocratie qu’on fera entrer par la porte le vrai danger de la République : le risque que face au réel, son déclin soit plus accompagné qu’entravé par un État de droit trop mythifié.

Menace sur l'état de droit

Price: 20,90 €

14 used & new available from 16,47 €

Despentes glissante

0
© Teresa Suarez

Virginie Despentes se lance dans la mise en scène au théâtre, et la critique s’évanouit d’admiration une nouvelle fois ! C’est qu’avec Romancero queer, saluée par France culture comme une «ode aux identités plurielles» , l’écrivaine dynamite les clichés et casse les codes. Succès garanti


Dans le numéro de mai des Inrocks (rédactrice en chef : Juliette Binoche), le journaliste Jean-Marie Durand est très heureux de nous présenter la nouvelle production théâtrale de Virginie Despentes. La chose s’appelle Romancero queer. Elle est censée être « une réflexion galvanisante sur la force du collectif contre les vents réactionnaires ».

C’est alléchant. Ça l’est d’autant plus que Virginie Despentes, en passant du roman au théâtre, n’a rien perdu de « sa nervosité critique », affirme le journaliste culturel en s’interrogeant :« Comment écrire dans un climat général marqué par un nouvel obscurantisme réactionnaire en guerre contre les minorités ? » Heureusement, dressée contre les vents contraires, Virginie Despentes « établit un continuum naturel entre les luttes qu’elle porte ».

A lire aussi: Le festival de Connes

C’est passionnant. Romancero queer conte l’histoire de huit personnages qui se retrouvent pour adapter La Maison de Bernarda Alba, pièce de Federico Garcia Lorca « mise en scène par un sexagénaire hétéro blanc qui souffre d’une sciatique aiguë » – sans doute une manière subtile d’aborder le délicat sujet des pathologies inhérentes au monde théâtral, monde dans lequel intermittents du spectacle vermoulus et metteurs en scène arthrosés se heurtent aux mêmes écueils que le pékin moyen lorsqu’il s’agit de trouver un rhumatologue.

C’est habile. France Culture estime que « Romancero queer est une ode scénique aux luttes et aux identités plurielles ». C’est très intéressant. Télérama s’enflamme : « Virginie Despentes dynamite la scène avec une troupe omnigenre. » Il y a bien « quelques scènes théoriques et longuettes », mais rien qui puisse gâcher le plaisir. Après tout, et c’est le plus important, Virginie Despentes « torpille les clichés sociaux ».

C’est très original. Et puis, écrit encore Jean-Marie Durand pour appâter le révolutionnaire qui sommeille en chacun de nous, « au pays des connards et des fachos, les romances queers donnent de l’ardeur au combat ». C’est très… très… bref, ça vaut sûrement le détour. D’ailleurs, Romancero queer, qui se joue au Théâtre de La Colline jusqu’au 29 juin, affiche d’ores et déjà complet.

Les Gobeurs ne se reposent jamais

Price: 22,00 €

6 used & new available from 22,00 €

L’inattendue

0
La nouvelle petite fiancée des Français, la tenniswoman Loïs Boisson, a de sacrés biscotos ! Paris, 4 juin 2025 © Christophe Ena/AP/SIPA

Si ce n’est pas franchement la spécialité de votre gazette préférée, reconnaissons que le sport est parfois magique ! En éliminant hier, mercredi, à Roland-Garros, la Russe Mirra Andreeva, numéro 6 mondiale, la Française Loïs Boisson accède aux demi-finales…


Elle se nomme Loïs Boisson. Voilà encore trente-six ou soixante-douze heures personne ne la connaissait. Du moins en dehors du petit monde des obscurs du circuit tennistique. À présent, on sait tout d’elle, ou presque. Française, née à Dijon (Côte d’Or), vingt-deux ans, 1,75 m, droitière, revers à deux mains, fille du basketteur Yann Boisson.

Deux matchs gagnés, deux matchs de haut niveau nous la révèlent. Qu’importe au fond la suite du tournoi. Ce qui est acquis est acquis, ce qui est engrangé est engrangé. On peut anticiper les titres et commentaires de la presse. « Sur la terre battue de Roland Garros, éclot une étoile », « La renaissance du tennis français au féminin », « La nouvelle petite fiancée de la balle jaune ». Ou bien pire encore en matière de dithyrambe. Nous verrons bien.

Ni starlette, ni grande gueule

Il n’empêche, cette jeune femme nous fait du bien. Pas seulement parce que, issue du fond du classement, arrivée à la porte d’Auteuil sur invitation, elle est parvenue à se hisser là où on ne l’attendait pas, mais surtout par la manière qu’elle a d’être ce qu’elle est, de faire ce qu’elle fait. Simple, résolue, d’une sobriété impressionnante dans ses réactions, exemplaire dans son comportement sur le cours et en dehors. Souriante en interview, mesurée dans ses propos tout en confessant sans forfanterie ni feinte modestie son ambition « d’aller au bout ». Cela nous change des exubérances déplacées et surjouées de certains compétiteurs – Français notamment – au moindre point gagné, au moindre but marqué. Elle, tout au contraire, placide, impassible, faussement nonchalante entre les points, d’apparence presque fragile mais armée d’un sang-froid et d’un flegme qu’on dirait made outre-manche, ne peut que surprendre en effet. Et séduire.

A lire aussi: L’équipe d’Israël menacée, le Tour de France en danger?

Donc, jaillissant de quasi nulle part, surgissant du Diable Vauvert comme se serait certainement enflammé un certain Léon Zitrone de cathodique mémoire, elle rayonne. Tranquillement, sans esbroufe. Et, ça fait rêver.

C’est du délire

Rêver pour le prochain Tour de France. Un Français enfin, de jaune vêtu au sommet de la Butte Montmartre, un gars, lui aussi, échappé du fin fond du peloton, un ci-devant porteur de bidons. Bref, un continuateur sur la voie tracée par notre Loïs (je me permets ce « notre Loïs » parce que dorénavant la France entière l’aura adoptée).

En attendant par ailleurs – mais là on frise le délire – une autre compétition, celle du printemps 2027 où un sans grade ou presque, également sorti du marais, mais rompu aux réalités du pays profond, nanti d’un caractère d’airain et de convictions bien réelles, pourrait venir, impitoyable et magistral, renvoyer la clique des prétendants de profession à leurs chères études. Quel pied ! Comme on dit quand on se lâche à la bonne franquette.

La jeune fille de Roland Garros nous fait certes rêver, nous instillant mine de rien quelque chose comme une espèce d’appétence pour  l’inattendu.

LES TÊTES MOLLES - HONTE ET RUINE DE LA FRANCE

Price: 14,77 €

5 used & new available from 10,78 €

Israël, le déchirement

0
Des soldats israéliens en opération dans la bande de Gaza, 19 mai 2025 © srael Defense Forces/Handout via Xinhua/SIPA

Jamais la réprobation d’Israël n’avait atteint un tel paroxysme. L’accusation de génocide se banalise, bien au-delà des cercles islamo-mélenchonistes. Et l’interminable guerre de Gaza divise les soutiens d’Israël. À l’instar de Delphine Horvilleur, certains dénoncent publiquement la poursuite de la guerre et les attaques de Netanyahou contre l’État de droit, suscitant colère et désarroi dans la rue juive


C’est un torrent, un déferlement, un tsunami. Israël est devenu l’autre nom du mal. À l’Eurovision, de grandes âmes défendent les enfants palestiniens en insultant une jeune femme qui a eu le mauvais goût de survivre au 7-Octobre, cachée sous les corps de ses amis. Au Festival de Cannes, à défaut de robes coquines proscrites par mesure de décence, la Palestine se porte en bandoulière, et pas la Palestine-deux-États, la Palestine-de-la-Mer-au-Jourdain. Sur les campus européens et américains, on affiche sa compassion en vomissant l’État juif à jet continu. Chaque jour, une corporation monte au créneau pour dénoncer un prétendu génocide, chaque jour des voix se lèvent pour exiger qu’Israël soit mis au ban des nations, chaque jour, les terribles nouvelles de Gaza effacent un peu plus les corps suppliciés le 7-Octobre. Et chaque jour, une déclaration épouvantable émanant de l’un des « ministres maléfiques » du gouvernement Netanyahou, pour reprendre la formule d’Alain Finkielkraut, est brandie pour justifier la libération de la parole antisémite.1 Smotrich est raciste, donc Israël est raciste, donc les juifs sont racistes.

Macron botte en touche

Curieusement, la gaffe de Thierry Ardisson proférant « Gaza, c’est Auschwitz » a fait scandale. Or elle a exactement la même signification que l’accusation de « génocide » – Israël = SS. Si Israël commet un génocide, donc quelque chose qui ressemble à la Shoah, alors oui Gaza ressemble à Auschwitz. Or, désormais, ce terme infamant, qui porte une demande de sanctions et de lâchage, fait florès bien au-delà des cercles islamo-mélenchonistes qui l’ont acclimaté. Trois cents écrivains, parmi lesquels les inévitables Annie Ernaux et Nicolas Mathieu, demandent, dans un texte collectif, des sanctions contre Israël.2

On dira que ce sont les grandes âmes professionnelles. Sans doute. Mais on ne peut pas leur reprocher d’ignorer les victimes juives : « Tout comme il était urgent de qualifier les crimes commis contre des civils le 7 octobre 2023 de crimes de guerre et contre l’humanité, il faut aujourd’hui nommer le “génocide”», écrivent-ils. Sur TF1, le président de la République botte en touche, mais ne récuse pas le terme. Jamais Israël n’a été aussi réprouvé. Et jamais le monde juif, là-bas comme ici, n’a été aussi déchiré : entre laïques et religieux, juifs de gauche et juifs de droite, populo et notables (voir le texte de Noémie Halioua). En France, c’est Delphine Horvilleur qui ouvre le feu et cristallise les passions avec un réquisitoire où il est question d’une « politique suprémaciste et raciste qui trahit violemment notre Histoire ».3

L’esprit du débat talmudique mis à l’épreuve

On dirait que cette personnalité insoupçonnable a levé un interdit, car dans la foulée de nombreux amis de l’État juif, juifs ou pas, s’expriment publiquement dans le même sens, déclenchant en retour une salve de ripostes émanant de personnalités très diverses. Bien entendu, les critiques d’Horvilleur et des autres ne peuvent en aucun cas être confondues avec les vociférations mélenchonistes. On peut les contester, pas mettre en doute le fait que leurs auteurs veulent le bien d’Israël. Personne n’a le monopole du sionisme et de sa définition. Refusant que ces désaccords, aussi douloureux soient-ils, rendent le dialogue impossible, nous avons tenu à donner la parole à toutes les sensibilités. C’est le moment de se rappeler que les juifs ont inventé la discussion talmudique. C’est précisément quand un désaccord est âpre qu’il faut se faire violence pour comprendre la position adverse.

Dans le monde juif et « pro-juif » français, la discorde ne peut être réduite à une opposition entre contempteurs et admirateurs inconditionnels de Bibi. Pour tous ceux qui sont attachés à l’existence d’un État juif et démocratique, chaque manquement israélien, chaque brèche dans l’image de « l’armée la plus morale du monde », chaque image de famille détruite est un crève-cœur. La propagande existe, mais elle n’explique pas tout. De plus, alors que Netanyahou joue un jeu dangereux avec la Cour suprême, on a des raisons de penser que, dans « la seule démocratie du Proche Orient », l’État de droit est menacé. Le désaccord porte donc moins sur le fond que sur l’opportunité. Alors qu’Israël est lâché de tous côtés, y compris par l’Amérique et ne parlons pas de l’Europe, où nombre de pays songent sérieusement à reconnaître la Palestine alors que, comme l’a souligné Franck Tapiro, créateur du groupe militant DDF (Diaspora Defense Forces), ladite Palestine détient toujours des otages, fallait-il prendre le risquer de conforter ses ennemis ?

Deux gauches, deux approches, une même inquiétude

Denis Olivennes et Philippe Val appartiennent à la même famille idéologique, la gauche libérale et républicaine. Pourtant le premier est convaincu qu’il faut parler des fautes israéliennes pour le bien d’Israël, quand le second préfère se taire de peur de faire tourner le moulin antisémite.

Finalement, c’est la vieille question de Camus qui ressurgit : entre ta mère et la Justice, entre ta mère et la vérité, que choisis-tu ? Chacun doit répondre pour soi. Alain Finkielkraut n’a aucun doute : « Jamais je n’ai renoncé et jamais je ne renoncerai à l’exigence de vérité pour des raisons d’opportunité », tonne-t-il au cours d’une discussion passablement orageuse. Le philosophe entend continuer à se battre sur deux fronts : contre la haine d’Israël et des juifs d’un côté, contre la politique désastreuse d’Israël de l’autre. Reste à espérer qu’il ne perdra pas les deux batailles.


  1. Alain Finkielkraut : « Une bonne conscience antisémite s’installe un peu partout dans le monde », Le Figaro, 26 mai 2025. ↩︎
  2. « Nous ne pouvons plus nous contenter du mot “horreur”, il faut aujourd’hui nommer le “génocide” à Gaza », par 300 écrivains, AFP, 26 mai 2025. ↩︎
  3. « Gaza/Israël : Aimer (vraiment) son prochain, ne plus se taire », Delphine Horvilleur, Tenoua, 7 mai 2025. ↩︎

Lula: un anti-trumpisme d’opérette

0
Le président Lula et son épouse Rosangela à Brasilia, le 7 septembre 2023 © Eraldo Peres/AP/SIPA

Au Brésil, le président Lula se pose en adversaire résolu de Donald Trump. D’après notre correspondant à Sao Paulo, ces bruyantes protestations permettent surtout au leader socialiste de ne pas parler de son système verrouillé de l’intérieur et insignifiant à l’extérieur.


Dans la famille da Silva, je vous présente Rosangela, l’épouse du président Lula. Tout le monde l’appelle « Janja ». Ancienne cadre dans le secteur de l’énergie, elle aurait, dit-on, inventé le slogan de réélection de son mari  (« L’amour vaincra la haine »), peu de temps après l’avoir épousé en 2022. Mais c’est avec une formule beaucoup moins amène que la quinquagénaire a accédé à la notoriété planétaire, le 16 novembre à Rio de Janeiro lors d’un colloque altermondialiste.

Ce jour-là, alors que Janja s’exprimait, micro à la main, au milieu de jeunes gens acquis à sa cause, un bruit étrange a soudain retenti dans la salle. Rien de grave, sans doute une ampoule qui venait d’éclater. Sauf que l’espace d’un instant, l’hypothèse fantaisiste d’un attentat fomenté par Elon Musk a traversé l’esprit de la première dame, qui, pour faire rire son auditoire, a lancé, en anglais, sous les applaudissements : « Fuck you, Elon Musk ! »

Étalement de vertu

On ne saurait mieux résumer l’état d’esprit de l’élite brésilienne de gauche face à l’alternance politique qui vient d’avoir lieu aux États-Unis. Dans le pays, colère, rage et hystérie sont partout. Par exemple, si vous ouvrez votre poste, vous verrez les présentatrices Daniela Lima et Andreia Sadi, équivalentes respectives de Léa Salamé et d’Apolline de Malherbe, faire la moue à chaque fois qu’elles prononcent le nom de Donald Trump. Un étalement de vertu beaucoup plus décomplexé que ce que l’on observe en Europe dans les milieux médiatico-politiques. Au Brésil, si les progressistes sont indignés par le nouveau locataire de la Maison-Blanche, ce n’est pas à cause de ses positions sur l’Ukraine, Gaza ou le libre-échange, mais parce qu’il a sorti brutalement Lula de sa zone de confort.

A lire aussi, du même auteur: Sonia Mabrouk: dernier appel avant la catastrophe

Durant le mandat de Joe Biden, le président brésilien jouissait du « parapluie médiatique et diplomatique américain ». Il était applaudi à Washington à chaque fois qu’il arrivait à mettre des bâtons dans les roues, avec ses méthodes déloyales, de quiconque, dans le camp conservateur, avait une chance de le battre lors de la prochaine élection en 2026, à commencer par Jair Bolsonaro, son prédécesseur, condamné en 2023 à huit ans d’inéligibilité par le Tribunal supérieur électoral (TSE). Censure, entorses aux droits de la défense, poursuites engagées sur la base de crimes qui n’existent pas dans le code pénal, tout était pardonné à Lula au nom de la lutte contre le populisme, les fake news et les « discours de haine ».

Occupée par des dossiers plus brûlants, la nouvelle administration Trump n’a pas encore eu le temps de traiter le cas du Brésil. Mais tout porte à croire que plusieurs opérations mijotent à feu doux. En mars, des membres républicains du Congrès de Washington ont déposé un projet de loi pour annuler le visa d’Alexandre de Moraes, le président du TSE. Un élu républicain, Rich McCormick, vient même de suggérer à Trump de confisquer tous les biens enregistrés aux États-Unis au nom de ce précieux allié de Lula. Sueurs froides dans les cercles du pouvoir brésilien, où l’on apprécie la Floride et ses belles propriétés en bord de mer.

Le Sud global ne se laisse pas faire

Face à ces signes avant-coureurs d’hostilité, Lula riposte d’ores et déjà. « Il ne sert à rien que Trump élève la voix depuis là où il est, j’ai appris à ne pas avoir peur des gens qui gesticulent et menacent », a-t-il déclaré, certes plus poliment que sa femme, dans un discours à Belo Horizonte le 11 mars.

Quelques jours auparavant, il s’était adressé à ses homologues des BRICS (le groupe des pays émergents les plus riches de la planète) pour les appeler à constituer une alternative au« chaos » et à « l’incertitude » provoqués selon lui par Trump. Lors de cette intervention, le président brésilien n’avait que le mot « multilatéralisme » à la bouche, comme on invoque le nom d’un saint lorsqu’on est dans une mauvaise passe. Pas sûr toutefois qu’il ait été entendu : quinze jours après, loin des instances internationales et des formats de négociation internationale classiques, la Russie, membre fondateur des BRICS, a entamé, en Arabie Saoudite, elle aussi ralliée au club, des pourparlers sur l’Ukraine avec les États-Unis.

A lire aussi, Dominique Labarrière: État mental délabré. Et ta sœur ! répond Trump

Lula, lui, n’est à l’aise que dans les grands forums mondiaux où l’on brasse du vent en appelant, avec des trémolos dans la voix, à l’avènement d’un futur radieux, d’une monnaie commune internationale et de Nations unies réformées. Seulement, dès que l’on met ces chimères de côté et que l’on rentre dans le concret, le président brésilien n’a aucun projet d’influence en Amérique latine, aucun désir de tisser des liens avec l’Afrique (dont son pays est pourtant l’enfant légitime), pas davantage l’intention d’occuper la place qui devrait être la sienne dans la géopolitique de l’Atlantique, ni de s’exprimer sur le choc des civilisations alors que son pays incarne une diversité relativement heureuse. Tout juste se contente-t-il d’afficher sa proximité avec Vladimir Poutine, à côté de qui il a assisté le 9 mai à Moscou à la parade de 80 ans de la victoire sur le nazisme, en présence d’une brochette de leaders autoritaires du « Sud global » : Xi Jinping, Nicolas Maduro, Alexandre Loukachenko…

Quand le Brésil se réveillera (ou pas)…

Au fond, la bourgeoisie pro-Lula veut tout simplement qu’on la laisse tranquille, isolée dans son coin, barricadée derrière les tarifs douaniers, l’insécurité juridique et l’ultra-violence de son pays. Elle veut bien des capitaux spéculatifs (des transferts d’argent d’une place boursière à une autre) mais pas d’investisseurs directs qui pourraient faire de l’ombre aux champions nationaux. Un huis clos qui profite à l’oligarchie locale. Il faut dire que le banquet est immense : services financiers, télécoms, mines, agriculture etc. On croit le Brésil ouvert sur le monde, il n’est qu’entrouvert, juste ce qu’il faut pour éviter que l’argent change de mains.

Alors certes, Trump a donné un coup de taser à l’ordre mondial et Lula, comme bien d’autres, s’est réveillé les cheveux en bataille. Mais le président brésilien est un pragmatique. Il comprendra tôt ou tard qu’il faut lâcher du lest sur la répression politique de ses opposants de droite, histoire de ne pas attirer sur lui les foudres des milieux conservateurs américains. Et il se rendra vite compte que Trump, un pragmatique comme lui, a besoin d’un Brésil faible et insignifiant, incapable de tenir son rang dans l’hémisphère ouest. En gesticulant comme il le fait, Lula rassure l’oncle Donald, car il continue ainsi de saboter son pays et de lui interdire, encore et toujours, de transformer son immense potentiel en réalité.

Le Sud global à la dérive: Entre décolonialisme et antisémitisme

Price: 13,00 €

11 used & new available from 9,47 €