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Le réveil des consciences

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La débâcle militaire en cours de l’Iran laisse entrevoir un éventuel affaiblissement du géant chiite – qui était aussi un spécialiste des coups tordus un peu partout autour du globe.


Le régime des Mollahs, la République Islamique d’Iran est le miroir de nos faiblesses et de notre lâcheté. Sa création il y a presque cinquante ans doit en partie son succès à l’accueil favorable que fit Valéry Giscard d’Estaing à l’ayatollah Khomeini puis à son envoi en Iran prendre le pouvoir. 

L’État harceleur

Les Iraniens entretiennent depuis 40 ans un réseau d’intelligence, d’actions terroristes, de subversion anti-occidentale, sans doute jamais connu dans notre Histoire. Son soutien actif au régime syrien, l’armement et le financement du Hezbollah au Liban et du Hamas à Gaza sont son œuvre la plus durable avec un objectif réitéré : détruire l’Etat d’Israël. Il n’y est pas encore parvenu mais ses milices déléguées harcèlent Israël depuis 20 ans en tirant chaque semaine des dizaines de missiles ou de roquettes contre les populations civiles israéliennes. Sans véritable succès car Israël dépense des dizaines de milliards de dollars pour se protéger. Ceci excuse-t-il cela ? Peut-on blâmer les Israéliens d’être plus ingénieux, plus organisés, plus courageux que les ennemis qui veulent les détruire ? Quel Etat un tant soit peu structuré accepterait de vivre depuis des années sous ce harcèlement continuel ?

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Plus récemment encore, l’Iran arme les rebelles Houthis au Yémen, qui outre les missiles qu’ils envoient régulièrement sur le territoire israélien, harcèlent les bateaux empruntant la route maritime la plus recherchée du monde qui passe par le golfe d’Aden. La France qui a des intérêts dans l’Océan indien a-t-elle réagi ? Non… alors que nous entretenons à grands frais une marine de guerre dont un porte-avions nucléaire censé être utile pour résoudre ce genre de crise.  Seuls les États-Unis ont bombardé les Houthis, sans grands succès pour l’instant puisqu’ils envoient encore des missiles en Mer rouge et sur Israël. Qu’attend-on pour les pulvériser ?

Pourquoi tant de pusillanimité vis à vis du régime des mollahs avec lequel nous ne partageons absolument aucune valeur, c’est le moins qu’on puisse dire ? Même les Américains qui ont pourtant été humiliés il y a 40 ans lors de la prise d’otage de l’ambassade n’ont jamais cherché à contrecarrer ce régime d’abrutis moyen-âgeux. Au contraire, ils ont commis une faute historique majeure : s’en prendre sans aucune raison légitime à l’Irak qui était un régime, certes autocratique, mais laïque et surtout l’ennemi millénaire de l’Iran. Résultat, l’Irak est devenu un relai chiite et un terrain de démultiplication des coups tordus iraniens.

Le changement c’est maintenant

En Occident, en Europe, en France en particulier, les partisans de la lâcheté sont nombreux et se recrutent depuis plus de quarante ans, Giscard ayant été le plus actif recruteur, Chirac lui disputant la palme. Aujourd’hui, c’est la gauche extrême qui donne le ton : on la laisse définir les lignes du bien et du mal, de la guerre et du « génocide », de la « résistance » et du terrorisme. Elle donne à toute notre jeunesse le la de ce qu’il faut penser. A tort. Car tous ses repères moraux sont viciés par le grand revirement idéologique qui fut le sien au tournant des années 90, le moment où elle a décidé d’échanger la défense des travailleurs nationaux pour l’encouragement de l’immigration et la protection morale apportée aux activistes musulmans. Avec pour résultat son soutien aux régimes les plus arriérés du Venezuela de Chavez à l’Iran des mollahs, son abandon de toute lucidité face au terrorisme, son aveuglement face aux pratiques régressives, du voile à la ségrégation communautaire. Son ascendant sur les gouvernements européens et l’administration de l’UE est tel que jusqu’à une période récente la norme diplomatique était le renvoi dos à dos d’Israël et de l’Iran. D’un pays libre et d’un pays qui foule aux pieds la liberté et les droits de l’Homme.

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Mais heureusement la situation est en train de changer. Grâce à Israël. Car la force va à la force. Israël montre une telle détermination face à son destin, un tel courage moral face aux objurgations des lâches, une telle puissance en comparaison de sa taille, que les plus peureux finissent par se rallier à lui. La conférence de presse d’Emmanuel Macron vendredi 13 juin en est une illustration heureuse. Le président français a bien été forcé de reconnaître la justesse du droit d’Israël à se défendre préventivement contre un Etat qui travaille à sa perte depuis de si nombreuses années. Le temps est venu du réveil face aux obscurantistes, de la force face à la terreur, de la liberté face à la soumission. Ceux qui s’y opposent, par idéologie ou aveuglement finiront dans les poubelles de l’Histoire. Merci à Israël de mener ce combat et de nous ouvrir les yeux.

Quelle indignité!

Nicolas Sarkozy s’est vu retirer la Légion d’honneur et l’ordre national du Mérite suite à ses démêlés judiciaires. Ne pouvait-on vraiment pas faire autrement? Défendant son père, Louis Sarkozy affirme de son côté qu’ « il est des Légions d’honneur que l’on ne perd pas» comme « celles que l’on reçoit en sauvant des enfants des griffes d’un kamikaze ».


Telle était la formule employée par Nicolas Sarkozy en 2020 sur France 2 suite à une question de David Pujadas l’interrogeant sur ses déboires judiciaires dans le dossier du « financement libyen » de sa campagne.

La règle est la même pour tous

On n’hésite pas à employer la même formule suite au retrait de ses titres en matière de Légion d’honneur et de Mérite. On le sait entre autres sanctions dans l’ « affaire des écoutes », Nicolas Sarkozy a été condamné à un an de prison ferme. Selon les règles en la matière, suite à toute condamnation à de la prison ferme, le récipiendaire doit remettre ses titres. La lecture du site legiondhonneur.fr révèle en effet : « Être distingué d’un ordre honorifique signifie qu’on en accepte les valeurs fondamentales, en premier lieu l’honneur. Le décoré est engagé moralement à ne pas nuire à autrui et au bon fonctionnement de la société. En application du code qui régit les ordres nationaux et la Médaille militaire, toute condamnation pénale ou tout acte contraire à l’honneur commis par un décoré peut justifier une procédure disciplinaire ». En effet selon l’article R91,sont exclues de l’ordre : 1° Les personnes condamnées pour crime ; 2° Celles condamnées à une peine d’emprisonnement sans sursis égale ou supérieure à un an.

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Rappelons que dans le sillage de Robespierre, la Révolution supprima toutes les décorations. Ceci dans un souci, légitime, d’égalité citoyenne. Lorsque Napoléon 1er crée la Légion d’honneur le 19 mai 1802 (le 29 floréal An X, dans le calendrier républicain) c’est pour récompenser les « exploits militaires mais aussi civils1 ».

Ce retrait après condamnation est donc “de droit”, avait souligné en mars dernier le Grand chancelier de la Légion d’honneur, le général François Lecointre, qui a signé l’arrêté privant Nicolas Sarkozy des deux titres dont il était grand-croix, grade le plus élevé. « Exemplarité » avait avancé ce haut gradé. Ce fut exécuté par le ministre de la Justice et celui de la Défense. Depuis la création de la Légion d’honneur en 1802, le chef de l’État occupe la fonction suprême de grand maître. Pendant toute la durée de son mandat, il statue ainsi sur l’ensemble des questions concernant la Légion d’honneur.

Peu de temps après la sanction judiciaire de Nicolas Sarkozy et dans l’hypothèse de ce retrait, le président Macron avait estimé « de mon point de vue, de là où je suis, je pense que ce ne serait pas une bonne décision ». Et de rajouter « je pense que c’est très important que (…) les anciens présidents soient respectés »2Mieux même. Le jeudi 24 avril, le chef de l’État annonçait qu’il « ne prendra aucune décision » de radiation de l’ancien président de la République, en dépit de sa condamnation.

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Au cours de la procédure, l’ancien président de la République a pu faire valoir ses observations auprès de la Grande chancellerie. « Le Grand chancelier de la Légion d’honneur s’est assuré auprès d’éminents juristes de la bonne application des textes en vigueur à ce cas spécifique », indique-t-on à la Grande chancellerie3. De quels « éminents juristes » parle-t-on ? …

Le choix du Prince…

Théoriquement le président de la République n’a donc voix au chapitre que dans les procédures disciplinaires classiques dans lesquelles les conditions d’un retrait d’office ne sont pas réunies. En pratique, on note que depuis quelques décennies, les promotions élyséennes sont trop souvent peuplées de personnes qui ne sont pas toujours en adéquation avec les « valeurs fondamentales » de l’ordre de la Légion d’honneur. Et l’on s’aperçoit que, à l’Élysée, c’est le choix du prince pour promotionner (ou non). Parfois n’importe qui, et des personnes qui sont loin d’avoir accompli des « exploits civils ».

Dès lors, il était loisible à Emmanuel Macron d’éviter cette indignité à son prédécesseur indirect. Il pouvait créer un précédent au titre de ses pouvoirs en la matière. Et même de son pouvoir réglementaire. Un simple décret suffisait pour annuler l’arrêté pris par les ministres de la Justice et de la Défense. Un peu de courage politique, aussi. Mais ce n’est pas la principale qualité de l’actuel locataire de l’Élysée. Quant à Monsieur Darmanin, garde des Sceaux, il a singulièrement la mémoire courte, lui qui doit l’essentiel de sa carrière politique à son ex-mentor. « L’ingratitude en politique est devenue une valeur refuge » aimait à dire de Gaulle.

Inédit depuis… Pétain !

Là où l’indignité devient infamie, c’est que cette exclusion des grands ordres est la seconde de notre histoire présidentielle. En effet, Nicolas Sarkozy est ainsi le deuxième chef de l’État français privé de cette distinction après le maréchal Pétain, à qui la Légion d’honneur avait été retirée après sa condamnation en août 1945 pour haute trahison et intelligence avec l’ennemi. On peut adresser de nombreux reproches à Nicolas Sarkozy. Nous ne nous sommes pas gênés, quand il le fallait. La justice ne s’en prive pas, et de façon parfois démesurée. Ainsi, le suspendre de ses droits paternels est une peine complémentaire abjecte qui n’a strictement rien à voir avec les faits qui lui sont reprochés. Elle a beaucoup affecté l’intéressé, qui a une fille de 14 ans. Nous avons toujours dit que dans tous ses procès, l’ancien président payait aussi ses saillies verbales (« petits pois »), parfois maladroites il est vrai, contre les juges. Le Syndicat de la Magistrature orchestrant cela avec le zèle militant qu’on lui connait… Et en condamnant Nicolas Sarkozy à un an ferme, même avec bracelet, le tribunal savait pertinemment qu’au bout il y avait aussi cette déchéance de décorations. Comme une cerise sur le gâteau, en quelque sorte.

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On nous dira que cette exclusion des titres de l’ancien président est automatique et qu’on ne peut faire autrement. Qu’à cela ne tienne. Il n’est qu’à réviser le Code, d’un autre âge, qui régit les ordres nationaux et la Médaille militaire, en faisant une exception pour les anciens présidents qui ont servi et représenté la France. Car est-il plus noble et inestimable mission ? Certes certains l’accomplissent, il est vrai, moins bien que d’autres. Et puis, cette excuse de ne pouvoir faire autrement nous interpelle. N’a-t-elle pas aussi servi au soutien de Papon et Bousquet pour justifier leurs exactions de collaborateurs ? Heureusement que certains, comme par exemple Jean Moulin ou Jean Zay, choisirent l’honneur de ne pas servir l’ennemi. Mais notons que la conduite de Papon sous « Vichy » ne l’a pas empêché de devenir préfet, ministre et même d’être décoré de la Légion d’honneur par de Gaulle ensuite… Elle lui sera retirée en 1999, suite à sa condamnation pour crime contre l’humanité par la Cour d’Assises de Bordeaux un an avant. De son côté, s’il ne fut décoré « que » de la Francisque par « Vichy », Bousquet, préfet de la zone occupée, ancien secrétaire général de la police de Vichy, fut un ami proche de François Mitterrand (détenteur lui aussi de la Francisque) ainsi que de diverses personnalités de la Ve. La Légion d’honneur qu’il obtint en 1930 des mains du président Doumergue lui sera retirée à l’issue de son procès devant la Haute Cour de Justice en 1949. Eh bien en 1957, le Conseil d’état consent à lui rendre sa Légion d’honneur, et l’ancien secrétaire général à la police de Vichy est même amnistié le 17 janvier 1958. Il est des décorations qui a minima sèment le doute…

Pour terminer sur le cas du président Sarkozy, par la voix de son avocat Patrice Spinosi, ce dernier a déclaré « prendre acte » du retrait de la Légion d’honneur, tout en signalant que la Cour européenne des droits de l’homme devait toujours examiner son recours. En effet une éventuelle condamnation de la France par la CEDH « impliquera la révision de la condamnation pénale prononcée à l’encontre [de Nicolas Sarkozy] en même temps que l’exclusion de l’ordre de la Légion d’honneur, l’une n’étant que la conséquence de l’autre », a énoncé l’avocat à l’AFP.

« Je m’indigne, donc je suis. » (Gyorgy Balint).

  1. https://www.napoleon.org ↩︎
  2. https://www.bfmtv.com/politique/elysee/emmanuel-macron-estime-que-dechoir-nicolas-sarkozy-de-la-legion-d-honneur-ne-serait-pas-une-bonne-decision_AV-202504240702.html ↩︎
  3. https://www.huffingtonpost.fr, 15/06/2025 ↩︎

Nucléaire iranien: minuit moins cinq sur une montre en panne?

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Depuis vendredi dernier, Israël frappe l’Iran en plein cœur. Selon le Premier ministre Nétanyahou, c’est en effet le programme nucléaire iranien qui constitue la véritable « menace existentielle » pour son pays — non pas la Palestine, ni les Arabes. Pourtant, dans toutes les chancelleries et les journaux du monde entier, on s’interroge sur l’état réel d’avancement du programme nucléaire du régime de Téhéran. L’incertitude radicale propre aux projets complexes comme un programme nucléaire — aggravée par les limites du renseignement et les enjeux politiques — rend impossible toute estimation absolument fiable, rappelle notre directeur de la publication.


Dans la nuit du 12 au 13 juin, le programme nucléaire iranien a-t-il atteint ce que certains appellent « minuit moins cinq », le point critique, la dernière minute avant que la République islamique ne devienne une puissance nucléaire ? La réponse la plus honnête est que personne au monde, pas même Georges Malbrunot ou Gérard Araud, ne peut l’affirmer. Et pour cause.

Des manifestants iraniens dévoilent un compte à rebours numérique indiquant 8 411 jours avant la destruction d’Israël, sur la place de la Palestine, à Téhéran, en Iran, le vendredi 23 juin 2017 Photo : Ebrahim Noroozi/AP/SIPA Numéro de photo : ap22069488_000019

Téhéran : c’est notre projet !

Tout d’abord, parce qu’il s’agit d’un projet, un mot que l’on emploie souvent sans en mesurer pleinement le sens. Un projet n’est pas une chaîne de production. Cette distinction est essentielle, car elle entraîne des différences fondamentales en matière de délais, de coûts, et surtout, d’incertitude.

Une chaîne de production repose sur la répétition maîtrisée d’opérations techniques et économiques. Elle est conçue pour produire à l’identique un même bien ou service, dans un environnement stable et prévisible. Cette stabilité permet d’optimiser les procédés, d’automatiser les tâches, de fiabiliser les délais et de maîtriser les coûts. Le travail devient alors une science de l’anticipation.

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Le projet, au contraire, est l’aventure du nouveau. Il s’agit d’un ensemble temporaire d’activités coordonnées, visant à atteindre un objectif unique, souvent inédit. Qu’il s’agisse de développer un logiciel, de bâtir un gratte-ciel ou de construire un réacteur nucléaire, chaque projet est un prototype. Il n’existe pas de manuel universel. L’incertitude en est la règle, et non l’exception.

C’est là que surgit la première difficulté majeure : l’imprévisibilité. Elle pèse directement sur deux variables cruciales : le temps et l’argent. De nombreux projets ambitieux se heurtent à une dure réalité : les délais sont dépassés, les budgets explosent. Pourquoi ? Parce que le projet mobilise des ressources et des technologies parfois mal maîtrisées et se déploie dans un contexte mouvant.

Appréciations…

Revenons à l’Iran. Puisque le programme nucléaire iranien est un projet, même l’Ayatollah Khamenei ne sait pas s’il est minuit moins dix, moins cinq ou déjà passé. De la même manière, le chef du chantier EPR de Flamanville ne pouvait pas, en 2015, affirmer avec certitude que le réacteur serait opérationnel en 2022. À un président de la République qui lui aurait posé la question, il aurait sans doute répondu : « Monsieur le président, nous sommes à minuit moins vingt. » En réalité, il était encore 19h30.

Imaginons maintenant que le Mossad se soit infiltré dans le projet Flamanville en 2015 et, grâce à une technologie révolutionnaire, ait pu lire dans le cerveau du chef de projet. Il aurait alors alerté Jérusalem : « La France est à minuit moins le quart ! », une erreur d’appréciation majeure, fondée pourtant sur une source infaillible, le rêve éveillé de tout espion.

Car ici se pose une deuxième couche d’incertitude. Contrairement au chef de projet, qui dispose d’un accès complet et fiable à l’information, un service de renseignement doit travailler dur pour approcher ce niveau de connaissance, sans jamais être certain de tout savoir, ni d’être à l’abri de fausses informations. À l’incertitude inhérente au projet s’ajoute celle du regard extérieur : espionnage, désinformation, secrets bien gardés, contre-espionnage. Churchill parlait d’un « bodyguard of lies », une garde rapprochée de mensonges.

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Et ce n’est pas fini. Une fois les données recueillies, et traversés ces deux niveaux d’incertitude, le décideur politique se tourne vers ses experts militaires pour leur demander : quelles sont les options ? Quels sont les risques ? Il est alors possible que les planificateurs estiment qu’au-delà d’un certain seuil, toute frappe serait trop risquée : trop d’incertitudes, trop de pertes collatérales, risque de contamination radioactive. Leur recommandation pourrait donc être : intervenir avant minuit moins 28.

Enfin, rappelons que pour notre décideur, une mauvaise décision sur cette question peut avoir des conséquences irréversibles, touchant aux intérêts vitaux de la nation. D’où la multiplicité des avis, des rapports, des interprétations. D’où aussi la difficulté, et la gravité, d’une décision éventuelle.

Ainsi, on comprend mieux pourquoi la question «L’Iran est-il proche de la bombe?» suscite autant de débats… et autant de réponses différentes.

Légion d’horreur

La surveillante d’éducation de 31 ans a été poignardée à mort par un élève de 14 ans, le 10 juin à Nogent (Haute-Marne), lors d’un contrôle des sacs effectué en présence des gendarmes. Les obsèques de Mélanie G. auront lieu aujourd’hui. Mère d’un petit garçon de quatre ans, ancienne coiffeuse reconvertie dans l’éducation depuis la rentrée 2024, elle était très appréciée au sein de son établissement. L’élève a été mis en examen pour meurtre et placé en détention provisoire le 12 juin. Elisabeth Borne remettra à Mélanie G. la Légion d’honneur à titre posthume. Si le destin de Mélanie est tragique et ses qualités unanimement reconnues, notre directrice de la rédaction voit toutefois dans cette démarche le triomphe du statut de victime dans la société sur la reconnaissance des mérites. Nous vous proposons d’écouter sa chronique.


Mélanie, surveillante poignardée à mort par un élève de 14 ans va recevoir la Légion d’honneur à titre posthume. Elisabeth Borne présidera la cérémonie.

Mélanie était visiblement formidable et généreuse. Elle mérite les hommages, la compassion de la nation et sa famille, notre solidarité. Puisqu’elle a été tuée dans l’exercice d’une mission de service public, c’est très bien que son petit garçon soit pupille de la nation, on doit pouvoir faire ça par décret.

Juste quelqu’un de bien…

Mais la Légion d’Honneur récompense les services éminents rendus à la nation. Pour être chevalier, il faut par exemple justifier de 20 ans de services publics ou d’activités professionnelles avec mérites éminents. Pendant longtemps, elle était décernée à titre posthume seulement aux morts au champ d’honneur. La décerner à Mélanie n’a pas de sens, sauf à considérer que la France est un champ de bataille.

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Mais elle rendait service à la nation, me dit-on. Alors donnons la Légion d’honneur à tous les professeurs, policiers, pompiers, juges et pourquoi pas aux pêcheurs et aux infirmières qui rendent aussi des services à la nation. Si on la décerne à Mélanie, ce n’est pas pour ses mérites mais parce qu’elle a été victime d’un crime odieux dans l’enceinte de l’école. Comme si être victime faisait de vous un héros. Les attentats de 2015 ont certainement tué des nigauds, des salauds et des pleutres, paix à leur âme. Le pogrom du 7-Octobre en Israël, aussi. On peut être victime parce qu’on a refusé de se laisser intimider, comme Samuel Paty, mais généralement, c’est parce qu’on appartient au mauvais groupe ou parce qu’on est au mauvais endroit au mauvais moment. Cela n’est pas une preuve de courage. Les participants du festival Nova dans le Sud d’Israël ne voulaient pas être le symbole de la barbarie djihadiste. Ils voulaient danser.

Consolation nationale

Mélanie semblait attirer l’amour. Juste quelqu’un de bien comme dit la chanson. Cette Légion d’honneur n’est pas un scandale mais une incongruité. Elle est révélatrice du sacre de la victime, d’un état d’esprit. Être victime devient un statut auquel tout le monde aspire ; des chiffres sont cités triomphalement (50 % des femmes victimes de ceci ou cela) ; et finalement un totem d’immunité contre la critique dans la vie publique.

Mélanie ne voulait pas être une victime, elle voulait vivre. Au lieu de nous donner bonne conscience avec une médaille posthume, on devrait plutôt essayer de comprendre comment nous avons collectivement échoué à la protéger.


Cette chronique a été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale

«Être juif, c’est une exigence morale. Même pour un État»

Denis Olivennes a jugé légitime la riposte d’Israël au Hamas. Mais face à la tournure du conflit, le chef d’entreprise dénonce désormais la politique menée par Benyamin Netanyahou qu’il estime prisonnier de l’extrême droite. Le risque étant de voir l’État juif devenir un État paria


Causeur. Le 11 mai vous avez initié un texte, signé avec Kamel Daoud, Pascal Bruckner, Michel Hazanavicius et d’autres, intitulé « Agir pour la situation avant qu’il ne soit trop tard ». Jamais Israël n’a été aussi isolé, réprouvé, attaqué. Était-ce vraiment le moment de se joindre à ce funeste cœur des vierges ?

Denis Olivennes. Avant de vous répondre, je tiens à préciser que je m’exprime ici en tant que Français, patriote, qui ne conçoit pas son destin ailleurs que dans son pays, mais qui s’estime lié à Israël par le « pacte d’Auschwitz », comme disait Emmanuel Lévinas. Il y a donc une différence ontologique entre ceux qui fustigent l’État juif par antisionisme ou antisémitisme et ma critique de la politique du gouvernement de Benjamin Nétanyahou. Si j’ai été avec quelques-uns à l’initiative de la tribune que vous mentionnez, c’est parce que j’aime Israël, j’admire Israël et je veux qu’Israël existe. Alors était-ce le moment, me demandez-vous ? Longtemps j’ai fait mienne une maxime d’Elie Wiesel : « Je ne dis jamais de mal en public d’Israël, c’est le prix que je paye pour ne pas y vivre. » J’ai tenu cette position jusqu’à récemment car Israël était injustement mis au ban des nations. Mais tout a basculé quand le gouvernement Nétanyahou a cessé de respecter le droit international. À présent, il doit être fermement condamné car il emprunte une voie insupportable.

Vous mettez sur le même plan Israël et la bande Hamas-Hezbollah-Houthis ?

Je ne confonds pas l’agresseur et l’agressé, le totalitarisme et la démocratie. Mais on ne combat pas un monstre en devenant un monstre soi-même.

Êtes-vous conscient que, si le Hezbollah avait attaqué massivement le 8 octobre, l’existence d’Israël était menacée. L’obsession de nombre d’Israéliens est que le Hamas ne puisse pas recommencer.

Je suis parfaitement conscient de la barbarie du Hamas. De son alliance avec le Hezbollah. De sa pénétration dans la profondeur d’Israël lors de l’attaque du 7 octobre 2023. De l’effet de surprise provoqué par cette opération. Tout cela a montré combien Israël était fragile et pouvait être détruit. De sorte que la légitime défense de l’État juif me paraît absolument incontestable. Et que le but de guerre consistant à éliminer le Hamas ne me pose aucun problème. Mais nous sommes arrivés à une nouvelle phase de la riposte, qui a changé non pas d’intensité, mais de nature. Israël mène la plus longue guerre de son histoire, la plus meurtrière aussi avec des milliers de victimes civiles, sans qu’on en voie l’efficacité puisque davantage d’otages ont été libérés par le Hamas lors des cessez-le-feu que lors des bombardements. Ensuite, l’élection de Donald Trump semble avoir donné des ailes à Nétanyahou, qui a limogé le ministre de la Défense et le patron du Shin Bet, attaqué l’État de droit et montré une grande complaisance vis-à-vis des exactions commises par les colons en Cisjordanie. Troisième élément de contexte : Tsahal fait obstacle à l’aide humanitaire à Gaza, ce qui est inouï, même si je sais bien que le Hamas utilise la nourriture comme moyen de pression sur les Palestiniens qui lui sont hostiles, cela ne légitime pas que l’on risque d’affamer une population. Et dans ce climat déjà suffocant, des membres du gouvernement israélien font encore monter la température en proclamant carrément que le but de guerre n’est plus d’éliminer le Hamas, mais d’occuper Gaza et de déplacer massivement sa population. Ce faisant, on sort du cadre du droit international. On passe d’une guerre de légitime défense face au Hamas à une guerre conquérante, impériale, peut-être messianique, inspirée par des ministres fascistes dont Nétanyahou est le prisonnier. J’ai bien peur que l’horreur du 7-Octobre ait diffusé un poison dans l’esprit de beaucoup d’Israéliens, qui ne voient plus les Palestiniens comme des êtres humains. Avant, quand j’allais en Israël, la plupart des gens me disaient qu’il fallait qu’on trouve une solution avec ce peuple voisin. Mais à présent, je vois bien que, pour un grand nombre d’entre eux, les Palestiniens ont disparu de l’horizon. Or aussi légitime soit la revendication immémoriale des juifs de revenir dans leur foyer national en Palestine, il ne faut pas oublier qu’ils sont arrivés dans une terre où vivaient d’autres habitants qui eux aussi ont le droit d’avoir leur État. Et il y a assez de place pour tout le monde.

Et ces autres habitants n’ont jamais manifesté un franc enthousiasme pour la coexistence. Parce que vous aimez Israël, vous attendez qu’il soit moralement supérieur aux autres. Comme l’a écrit le sociologue Charles Rozjman, reprenant le jugement de Péguy sur Kant, cela ne revient-il pas à souhaiter que l’État juif ait les mains blanches, donc qu’il n’ait pas de mains ?

Ma référence n’est pas Kant, mais Lévinas. Je ne demande pas à l’État d’Israël d’être angélique. Je ne lui demande pas de ne pas être un État. Je lui demande juste d’être un État démocratique et un État qui respecte les règles du droit international, des conventions de la guerre en particulier, ou du moins qui s’efforce de le faire. Israël a presque toujours eu cette boussole. Mais là franchement…

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Pourquoi l’État juif devrait-il être un meilleur État que les autres ?

Parce que la tradition juive consiste principalement dans le récit de la révélation divine d’une loi morale. Donc oui, être juif, c’est avoir une exigence morale. Ça ne veut pas dire que l’État juif n’a pas le droit de se défendre, qu’il n’a pas le droit d’avoir une armée, mais cela signifie qu’il doit considérer autrui avec respect, avec esprit de responsabilité. Je l’attends de n’importe quel État démocratique. Et je l’attends en particulier d’un État juif.

Le nombre de victimes civiles est épouvantable. Cependant, le Hamas a reconnu que 72 % d’entre elles étaient des hommes en âge de combattre.

Cette guerre est-elle proportionnée ? Elle l’est sans doute encore. Lorsque les alliés ont défait le nazisme, les bombardements ont causé entre 1,5 et 2 millions de victimes civiles en Allemagne, soit à peu près 1 à 2 % de la population, comme à Gaza. Mais les armées avançaient et Hitler a fini par se suicider. Alors que dans la guerre actuelle, malgré les promesses renouvelées chaque semaine, on ne progresse pas, on n’en finit pas avec le Hamas. La situation s’apparente plutôt à l’enlisement de la guerre du Vietnam.

Nous avons du mal à croire que l’armée israélienne s’amuse à faire durer les choses pour le plaisir cruel d’assassiner un maximum d’Arabes…

Vous avez raison. Même s’il existe quand même de la cruauté en Cisjordanie chez bon nombre de colons, qui ont été dénoncés dès 1967 par le grand philosophe Yeshayahou Leibowitz. À quoi s’ajoute qu’aujourd’hui le gouvernement israélien est entre les mains d’une aile extrémiste et suprémaciste qui parle des Palestiniens comme s’ils étaient des animaux ou des nazis. Tout cela conduit Israël à rompre avec ses principes. Je ne sais plus quel était ce rabbin, dont tous les enfants avaient péri pendant la Shoah, et à qui ses amis disaient que rien de pire n’aurait pu lui arriver. Il avait répondu : « Si, il aurait pu m’arriver quelque chose de pire : que ce soit moi le tueur. »

Manifestation pour réclamer un cessez-le-feu et un accord sur la libération des otages, Tel-Aviv,
27 décembre 2024. Depuis 2023, des rassemblements hebdomadaires critiquent la politique de Netanyahou et de ses ministres d’extrême droite, notamment Ben Gvir et Smotrich © SOPA Images/SIPA

Ce qui est sûr, c’est qu’il y a dans la société israélienne une terrible indifférence qui n’existait pas dans les précédentes guerres. En 1993, de nombreux Israéliens croyaient encore au processus d’Oslo. Mais depuis, à chaque petite ouverture, les dirigeants palestiniens ont fait obstacle. Quand Israël a quitté Gaza, ils en ont fait une base terroriste. Au Sud-Liban, ils ont soutenu le Hezbollah. Il faut être deux pour danser le tango. Or on ne voit nulle part en Palestine des partenaires possibles, à part quelques intellectuels.

Je ne dirais pas le contraire. Tant que les Palestiniens n’intégreront pas l’idée qu’Israël a droit à l’existence, tant qu’ils considéreront que cette nation est une aberration, une création coloniale dont il faut se débarrasser, la paix sera impossible. Mais il faut garder espoir. Relisez le fameux discours de Victor Hugo en 1849 au Congrès mondial de la paix, où il lance aux Européens : « Vous verrez qu’un jour, vous ne vous ferez plus la guerre. » Il est déjà arrivé, sur d’autres continents, à d’autres époques, que des peuples trouvent le chemin de la réconciliation alors qu’ils se haïssaient mutuellement et s’étaient entretués pendant des générations. Je ne prétends pas que c’est simple, mais si on renonce à cette idée, on verse dans la barbarie. Ce qui me paraît inacceptable au plan moral et voué à l’échec sur le plan pratique. Avec ses projets destructeurs, l’extrême droite israélienne est en train de démolir l’image du pays, d’en faire un État paria. Résultat, le Hamas pourrait gagner la guerre de l’opinion… Cela dit, je reste optimiste. Car j’ai gardé, malgré tous mes efforts, un vieux reste de marxisme. Je suis persuadé que les conditions matérielles sont déterminantes dans l’Histoire. Si on crée la possibilité d’un État palestinien qui se développerait économiquement, vous verrez, le désir de paix l’emportera sur le désir de guerre, la pulsion de vie sur la pulsion de mort. Il me semble que la population palestinienne aspire à cela du reste. Qu’elle ne se reconnaît pas dans le bellicisme furieux de ses représentants.

Alors attendons que la grâce tombe sur les Palestiniens et que leur amour de leurs enfants ou de leur vie soit plus fort que leur détestation des juifs ! Les Israéliens ont-ils entendu une voix palestinienne dénoncer le 7-Octobre ? Une seule ? Pour ne pas être déshumanisé, mieux vaut avoir un peu d’humanité ! Peut-être êtes-vous sujet à la naïveté habituelle de la gauche face à l’islam politique, en France comme en Israël. Votre famille idéologique a eu plus que du mal à reconnaître l’antisémitisme qui ronge l’islam en France.

Je ne pense pas m’illusionner sur le Hamas, sur son idéologie mortifère, sur les fautes commises par les Palestiniens depuis soixante-dix ans, l’impasse dans laquelle ils se sont enfermés cependant que le cancer de l’occupation de la Cisjordanie empoisonnait le sang d’Israël. Je ne suis pas aveugle non plus s’agissant de l’antisémitisme chez certains de nos compatriotes musulmans. Les Français sont globalement l’un des peuples les moins antisémites au monde, mais je reconnais que la haine du juif est trois à quatre fois plus importante au sein de deux franges du pays : la jeunesse et la communauté musulmane. Il faut prendre à bras-le-corps ce sujet, dénoncer l’influence néfaste de La France insoumise, qui a trahi l’héritage de la gauche : l’émancipation des juifs en 1791, les dreyfusards, Léon Blum… Et il faut reconnaître que l’antisémitisme est un problème qui se pose à l’islam, sans craindre d’être traité d’islamophobe. De même, on doit pouvoir dire qu’Israël se fourvoie à Gaza sans craindre d’être accusé d’être des alliés objectifs du Hamas.

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Venons-en à la tribune de Delphine Horvilleur, qui est plus sévère que la vôtre puisqu’elle parle de « politique suprémaciste et raciste » en Israël. N’est-elle pas allée trop loin ?

Elle est rabbin. Elle parle de là où elle est. J’imagine que tous les samedis – je ne mets pas les pieds à la synagogue –, elle doit prêcher les principes censés animer les juifs. Or au bout d’un moment, alors que la guerre à Gaza continue de faire des victimes civiles sans que son objectif soit atteint, si un rabbin dit « je n’ai pas envie de voir ça, je n’ai pas envie qu’on coupe l’aide humanitaire », il me semble être tout à fait dans son rôle. Qui pense sérieusement que Delphine Horvilleur est une ennemie d’Israël ? Une fois encore j’affirme que des reproches comme les siens ou comme les miens sont formulés non pas pour nuire à l’État juif, mais pour l’aider. Quand elle critique Israël, Delphine Horvilleur ne peut pas être confondue avec cette gauche qui, sous couvert d’antisionisme, a réenchanté l’antisémitisme.

Évidemment, mais elle peut être récupérée. Approuvez-vous le président quand il dit que c’est le bon moment pour reconnaître l’existence d’un État palestinien ? J’ai signé il y a un an une tribune rédigée par Ofer Bronstein qui plaide pour une reconnaissance simultanée : la reconnaissance d’un État de Palestine en échange de la reconnaissance d’Israël par tous les pays arabes. La reconnaissance est un fusil à un coup. Il faut obtenir qu’elle soit mutuelle, car c’est la vraie clé de la paix. La France a un rôle capital à jouer, mais elle ne le peut que si elle est fidèle à l’esprit remarquable du général de Gaulle, qui, malgré la légende noire, a fait en la matière des déclarations très justes, notamment lors de la fameuse conférence de presse du 27 novembre 1967, admiratif d’Israël qui se rétablissait sur « le site de son ancienne grandeur ». Ou dans celui de François Mitterrand. Elle doit parler aux Israéliens en tant qu’amie de la cause palestinienne et acteur de la construction de l’État palestinien. Et elle doit parler aux Arabes en tant qu’amie et en tant qu’alliée d’Israël inconditionnellement attachée à son droit à l’existence et à sa sécurité.

Le franc-parler, dernière élégance intellectuelle

Le 2e Printemps de la liberté d’expression se tient à partir de vendredi à Perpignan, et recevra de nombreux intellectuels et penseurs, plutôt classés à droite. Gilles-William Goldnadel devrait y recevoir un prix. Quand le débat d’idées rejoint la liberté de pensée… Entrée libre, et Mathieu Bock-Côté en invité d’honneur.


En ces tristes temps de morosité intellectuelle, d’indigence philosophique, de médiocrité politique et de conformisme ambiant, où la glorieuse France des Lumières – celle qui vit jadis naître Voltaire et son admirable Traité sur la Tolérance, Montesquieu avec son indépassable Esprit des Lois ou Diderot et sa monumentale Encyclopédie – n’est plus que l’indigne, terne et pitoyable ombre d’elle-même, la belle ville de Perpignan, où se déroule, ces 20, 21 et 22 juin 2025, au Palais des Congrès, la deuxième édition du « Printemps de la liberté d’expression », apparaît, à l’inverse, comme un nouveau, riche, inespéré et salutaire foyer de réflexion critique, lucide et courageuse, au sens le plus noble du terme.

La Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen, petit rappel

C’est d’ailleurs là le sens profond, très exactement, de la devise, tel un éminent rappel philosophique plus encore que moral, de cette importante, et désormais annuelle, manifestation culturelle : liberté d’expression ! C’est là, du reste, l’essence même de l’insigne article 11 de la « Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen », rédigée en 1789, année de la démocratique Révolution française et donc, précisément, en pleine époque des Lumières : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme » stipule-t-il, en effet, à juste raison.
Bref : une manière, effectivement, d’unir le fécond débat d’idées à l’essentielle liberté de pensée !

Intelligentsia française

Ainsi, est-ce près d’une trentaine d’auteurs majeurs au sein de l’intelligentsia française qui, placés là sous la présidence éclairée d’Eric Naulleau, se réunissent, pendant trois jours, lors de cette deuxième édition de ce fameux « Printemps de la liberté d’expression ». Impossible, certes, de mentionner de façon exhaustive, dans le contexte forcément restreint d’une tribune médiatique, tous les noms des participants, dont on retiendra cependant ici quelques voix particulièrement fortes en la matière, dont, outre votre serviteur en ces lignes, celles de (par ordre alphabétique) Fabrice Balanche, Jérôme Besnard, Mathieu Bock-Côté, Pierre Botton, Maxime Chaix, Gabrielle Cluzel, Stéphane Courtois, Xavier Driencourt, David Duquesne, David Engels, Renée Fregosi, Driss Ghali, Gilles-William Goldnadel, Lisa Hirsig, Jacques Hogard, Régis Le Sommier, Olivier Maulin, Olivia Maurel, Sabrina Medjebeur, Jean-Claude Rolinat, Romaric Sangars, Olivier Sebban, Jean Sévillia, Daniel Sibony, Jean Szlamowicz, Éric Tegner…

Tolérance et raison: les deux moteurs intellectuels d’un nouvel humanisme pour notre civilisation

Quant aux nombreux thèmes qui sont abordés en ces échanges entre quelques-uns des meilleurs et plus fins esprits de l’intelligentsia française, ils sont aussi diversifiés que cruciaux, si tant est que l’objectif ouvertement assumé de ces réflexions critiques est de contribuer pour leur modeste part, humblement mais résolument, à une meilleure marche, sinon du monde, du moins de ce beau et grand pays que demeure, nonobstant ses actuelles vicissitudes politiques et autres dérives idéologiques, la France.

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De fait, c’est autour de thématiques, sous forme de tables-rondes, telles que notamment, et parmi bien d’autres, les nouveaux conformismes, la censure (y compris l’auto-censure) médiatique, le terrorisme intellectuel, la guerre en Ukraine et les conflits ethniques en Syrie, les difficiles relations franco-algériennes, Israël face à la menace islamiste, l’inquiétante recrudescence de l’antisémitisme, les dangers de l’islamo-gauchisme, la question de l’identité nationale face aux crises migratoires, que ces divers débats d’idées s’articulent dans une totale liberté de pensée, sans préjugés d’aucune sorte ni opinions préconçues, mais animés d’une réelle, sincère et utile volonté d’œuvrer ainsi, au seul nom d’une tolérance qui n’a d’autre moteur intellectuel que la raison, au progrès de notre humanité, sinon de la civilisation en son ensemble. 
Oui, c’est bien cela auquel ce « Printemps de la liberté d’expression », au cœur donc de Perpignan, aspire, idéalement, en dernière analyse mais, à la fois, en première ambition : la définition, sinon la refonte, d’un nouvel humanisme, calqué sur les imprescriptibles, inaliénables et impérieux idéaux, d’ancestrale mais noble mémoire, de la Renaissance !
Mieux : un nouvel humanisme en guise de résistance intellectuelle à la barbarie présente, sinon, peut-être plus grave encore, à venir !

Le prix littéraire du « franc-parler »

C’est donc à la lumière de cet ambitieux mais primordial projet philosophico-éthique qu’il faut comprendre, à sa juste valeur et véritable portée, le sens ultime du beau prix littéraire – le prix du « franc-parler », dont je m’honore de faire partie du jury – qui, connexe et même intimement lié à ce « Printemps de la liberté d’expression », est également organisé à cette occasion.
Ainsi le lauréat de cette deuxième édition, là aussi, de ce prix du « franc-parler » est-il, très méritoirement, Gilles-William Goldnadel, polémiste talentueux et avocat de réputation nationale, pour son excellent et dernier livre :une dystopie, récit sur fond de fiction aux contours cependant très réalistes, intitulée, certes métaphoriquement mais néanmoins emblématiquement, « Journal d’un prisonnier (Editions Fayard, Paris, 2025). Ce prix lui sera remis ce samedi 21 juin, à 19h, au Palais des Congrès de Perpignan. De son côté, le professeur Fabrice Balanche est gratifié d’une mention spéciale du jury.

Hommage public: pour la libération de Boualem Sansal et des otages israéliens à Gaza   

Davantage : parallèlement à cette prestigieuse remise du prix littéraire du « franc-parler » aura également lieu, à la même heure ce samedi 21 juin encore, et au Palais des Congrès de Perpignan toujours, un hommage public, où je prendrai aussi personnellement la parole afin de réclamer son immédiate libération (comme celle, tout aussi nécessaire et urgente, des otages israéliens encore captifs dans la bande de Gaza), à notre cher ami Boualem Sansal, immense écrivain franco-algérien, candidat au prix Nobel de littérature, retenu arbitrairement prisonnier, depuis plus de sept mois maintenant, dans une infâme et obscure geôle aux mains du pouvoir islamiste, totalitaire et même fascisant, d’Alger.
À lire d’ailleurs, à ce douloureux mais impératif sujet, l’ouvrage collectif (comprenant, sous la direction de Pascal Bruckner et de Michel Gad Wolkowicz, soixante intellectuels majeurs), auquel je m’honore, là aussi, de participer avec un texte : « Pour Boualem Sansal » (Éditions David Reinharc, Paris, 2025) !

Éloge des idéaux démocratiques, valeurs morales et principes universels

Ainsi, lors de cette deuxième édition du « Printemps de la liberté d’expression » de Perpignan (voir, ci-dessous, l’affiche et le programme complet), où des séances de dédicaces de livres sont également prévues pour les auteurs présents, bienvenue à tous les hommes et toutes les femmes de bonne volonté, épris des seuls idéaux démocratiques, valeurs morales et principes universels, de justice, de tolérance, de paix et de raison ! Nous vous y attendons volontiers, et avec grand plaisir, nombreux, ces 20, 21 et 22 juin 2025 donc, dans le vaste mais confortable auditoire du Palais des Congrès, où l’entrée, malgré d’importantes et compréhensibles mesures de sécurité au vu de l’actuel, particulièrement tendu, contexte socio-politique à l’échelon national et international, est elle aussi – cela va de soi ! – libre.

Journal d'un prisonnier

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Maximilien Friche ou la folle espérance d’un salut par le Verbe

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Dans Fol, le nouveau roman de Maximilien Friche, l’amour chaste est à l’honneur. Mais c’est surtout, à travers cette passion impossible, un récit initiatique sur la vocation d’un écrivain et la manière dont la littérature peut habiter une vie, dans notre société contemporaine. 


Renaud a 16 ans. Il ne se sent pas tout à fait à sa place parmi ses condisciples, dans un prestigieux lycée de Toulouse. Alors il fait le malin, il provoque, il raconte des histoires, pour se distinguer de la plèbe. Il a assez de talent pour séduire Alix, une élève studieuse. Une de ces filles de bonne famille pour qui la route royale est déjà tracée. Sans doute qu’avec ce garçon, elle s’encanaille. Elle joue à se faire peur. On flirt avec le bizarre, mais on ne se donne pas à lui. Sa relation avec Renaud ne sera donc jamais consommée. Leur liaison existera par les lettres qu’ils s’échangent, jusqu’à leur rupture. Tout est à la fois vécu sur le mode du sublime et du grotesque. Néanmoins, Alix accomplit par là son rôle spirituel. Elle a dit à Renaud qu’il devrait écrire et c’est ce qu’il fera, en mémoire de leur amour avorté. Elle l’a baptisé par cette liaison désincarnée et pour toujours inassouvie. C’est l’infini de la ligne d’horizon planté dans la chair. La femme qui l’a engendré peut dès lors renaître en cette créature poétique qui va hanter Renaud. Elle lui a fait l’offrande de ces quelques scènes qu’il passera les années suivantes à essayer de réécrire. La vie figée dans une courte parenthèse entre l’enfance et l’âge adulte. L’existence n’est supportable qu’à la condition de n’être jamais vécue. Renaud sera donc écrivain.

Quoiqu’un écrivain qui ne s’accomplira peut-être jamais. Un écrivain dont la vocation semblera toujours à moitié exaucée, se disputant avec les obligations matérielles. Dans la deuxième partie du livre, en effet, à 45 ans Renaud est chef de cabinet, dans une entreprise, à Lyon. Sa situation professionnelle ne l’intéresse guère. Tout l’exaspère au dehors de son amour de ses seize ans. Son ancienne flamme est désormais la plaie autour de laquelle s’est enroulé son rêve intérieur. Le reste est enduré dans un sentiment de médiocrité, voire d’insignifiance.

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Mais ce n’est pas simplement la vie matérielle qui est devenue fausse. La littérature aussi se révèle vulgaire. L’âge adulte, c’est passer de la pureté des intentions à la réalité sociale. Basculer de la foi des débuts aux obligations contingentes. Nous sommes hantés par un livre et voilà qu’on se gaspille. Nous n’achevons que la pâle copie de l’œuvre dont on brûlait. Pire, nous ne ratons pas même le sublime que l’on portait en nous, nous écrivons pour rien, pour briller, pour nous distinguer, encore une fois. Le Verbe devient inessentiel. On se perd pour une vague renommée qui n’atteint jamais à la reconnaissance. Et nous voilà obligés de naviguer dans un monde où la littérature se trouve rejetée à l’état de distraction, sinon de simple passe-temps. Le moi du romancier n’est plus seulement étouffé par le moi social, il en est corrompu jusqu’à la moelle. Et c’est de là l’Idéal qui pourrit de la tête au pied. 

Écrire aujourd’hui, pour Maximilien Friche, dans Fol, c’est donc avancer entre le risible et le sacré. Un rêve dont on ne sait jamais à quel point il est sincère. Ni quel sens il peut encore conserver. Au fond, on peut même se demander si le drame sentimental de Renaud ne se réduit pas à un mirage ou à une anecdote dérisoire. De l’insignifiance montée à l’état de regret pour se donner matière à délirer. Trouver une transcendance en toc dans un monde terriblement dépourvu d’absolu. Alors, tout l’amour idéalisé du personnage n’aura représenté, littéralement, qu’un prétexte. Et en ce sens, la littérature serait la recherche d’une existence enfin justifiée par la grandeur du verbe, au risque ne se réaliser que dans une sorte d’imposture. Mais malgré l’écueil, c’est bien ce à quoi invite Friche dans son livre. Rejouer sans cesse la blessure initiale, avec les vieux sentiments mille fois recuits, dans l’espoir que, justement, de ce ridicule, de cette humiliation du ratage, et sans être tout à fait dupe de nos ambiguïtés, on puisse en tirer, un jour, une œuvre sincère. Car peut-être existe-t-il dans la fausseté d’un amour perdu et à moitié inventé, une vérité inaccomplie, qui ne peut trouver son achèvement que transfigurée par la littérature. 

90 pages

La haine, un devoir international?

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Dans un entretien récent, Marc Bonnant, le «Bossuet des tribunaux» affirme qu’il espère que le christianisme en Europe saura résister au temps, comme le judaïsme. Il ajoute : « Je ne suis pas juif, hélas, j’aurais voulu le devenir, mais c’était un peu compliqué… »


Marc Bonnant, un formidable avocat suisse, s’est livré dans un entretien au JDD[1] sur le mode brillamment réactionnaire et provocateur qui a toujours été le sien. J’ai eu le bonheur il y a plusieurs années de pouvoir dialoguer avec lui à Genève et ce fut un régal d’avoir la chance d’être parfois contredit par lui.

Inévitable

Questionné sur le christianisme et l’islam, il répond que « …l’islam est prosélyte et expansionniste. En France, il y a peut-être trop de honte dans le christianisme, trop de repentir, trop de repentance pour qu’il puisse faire face à un islam conquérant… » et il conclut son propos par un hommage au peuple juif « …qui mérite d’être honoré indépendamment de la question palestinienne ou de Gaza. Il suffit de regarder n’importe quelle bibliothèque pour mesurer la contribution du génie juif à notre civilisation. J’aime passionnément les juifs ».

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Tout en reconnaissant ce qu’il y a de pertinent dans cet enthousiasme, on n’est pas obligé de le pousser aussi loin. Il demeure cependant que, comme aujourd’hui il y a un antisémitisme compulsif de l’extrême gauche derrière l’antisionisme revendiqué, il y a à rebours une défense systématique d’Israël dans la plupart de ses entreprises guerrières, avec une admiration certaine pour plusieurs de ses hauts faits. Comme si l’incroyable capacité à la fois d’audace et de résistance de ce petit pays démocratique à l’existence toujours menacée permettait à beaucoup de satisfaire, par procuration, une haine internationale ciblée.

En tout cas c’est le sentiment qui m’habite. La haine n’est pas à recommander sur le plan humain mais dans le domaine géopolitique, elle peut apparaître presque comme inévitable. Il y a un tel degré de malfaisance, de cruauté, de cynisme et de mauvaise foi dans la conduite de quelques personnalités et régimes, que la simple contestation politique est dépassée au profit d’un extrémisme de l’hostilité, qui mue le champ international en une exécration humaine contre laquelle on n’a aucune envie de résister. Bien au contraire.

Je ne suis pas diplomate de profession

J’ai attendu avec impatience que Vladimir Poutine paie l’invasion de l’Ukraine et les crimes multiples que sa dictature sans limite ni morale a perpétrés. Et il a osé se proposer comme médiateur entre l’Iran et Israël!

Mais je crains fort que mon espérance ne soit déçue et que le président Trump, de moins en moins Matamore et de plus en plus sur le recul, ne puisse pas faire bouger d’un pouce l’ordre international. Je n’ai pas honte pourtant de cette haine à l’égard de Poutine et toutes les considérations des experts noyant les culpabilités sous les analyses n’y pourront rien changer.

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Je hais également le régime des mollahs et l’ayatollah Ali Khamenei cherchant à se mettre de plus en plus à l’abri des frappes israéliennes qui ont déjà décimé une part de la hiérarchie politique et militaire iranienne. La riposte inévitable de l’Iran a tué un certain nombre d’Israéliens mais il semble que l’initiative préventive d’Israël pour empêcher une « Shoah nucléaire » soit globalement couronnée de succès.

À supposer que la finalité ultime de ces ciblages renouvelés et organisés de longue date ne soit pas l’éradication de cette dictature intégriste étouffant le grand peuple iranien sous des injonctions de plus en plus rejetées. Chaque jour démontre, en réalité, cette ambition purificatrice dont, si elle parvenait à son terme, Israël serait secrètement ou officiellement félicité.

J’aime cet État d’Israël qui m’autorise, avec une satisfaction dont je ne méconnais pas le caractère indécent, à me réjouir de l’affaiblissement et de la chute programmée d’une caste n’ayant pas lésiné sur les exécutions et le sang des opposants. Le régime iranien a ma haine comme Poutine.

Loin de m’attrister sur mon éthique personnelle, cette haine que j’éprouve est comme un devoir international. Je laisse volontiers aux diplomates et aux experts les calculs et les froideurs.


[1] https://www.lejdd.fr/Societe/marc-bonnant-notre-epoque-celebre-le-deracinement-159222

Mélenchon devenu un «salopard d’antisémite»…

Samedi 13 juin, à la tribune du congrès du Parti socialiste, Jérôme Guedj a violemment attaqué Jean-Luc Mélenchon, le qualifiant de « salopard antisémite ». En réponse, Jean-Luc Mélenchon a exigé hier des excuses officielles de la part du PS. Pendant ce temps, Olivier Faure et Nicolas Mayer-Rossignol se sont affrontés sur la stratégie à adopter vis-à-vis de La France insoumise, dans l’éventualité de législatives anticipées. Incapables de s’accorder sur un texte de synthèse, les deux camps sont finalement repartis dos à dos.


Ce n’est pas Causeur qui le dit mais Jérôme Guedj, naguère proche parmi les proches du matamore islamolâtre. Cet anathème, il le lance depuis la tribune du congrès du Parti socialiste qui se tenait ce week-end à Nancy, non pas dans l’arrière-salle du Café du Commerce qui aurait largement suffi, mais ailleurs, dans un lieu d’un standing plus flatteur.

Le congrès des cœurs brisés

« J’ai une meurtrissure profonde terrible à dire devant ce congrès que, pour la première fois de ma vie, j’ai dû dire de l’homme que j’ai aimé profondément qu’il est devenu un salopard d’antisémite, avec des propos qui sont pour nous absolument insoutenables », a donc lancé l’orateur, ouvrant noblement son cœur. Cœur blessé, de toute évidence. On n’est pas loin des termes si douloureux du dépit amoureux. Il est vrai que la politique est parfois – aussi – affaire de passion.

La rupture est intervenue à la suite du pogrom du 7 octobre 2023 perpétré par le Hamas contre les populations civiles d’Israël (pudiquement – hypocritement devrais-je dire – qualifié de simple « attaque » ce dimanche encore par Le Monde et l’AFP).

« Quand je dis à Jean-Luc Mélenchon qu’il n’est pas possible et souhaitable de défendre la revendication de la Palestine de la mer à la rivière, argumente le parlementaire, je défends la position historique des socialistes, notamment celle de François Mitterrand à la Knesset en 1982 (…) Et à ce moment-là, je deviens le sioniste génocidaire pour Jean-Luc Mélenchon et les siens ».

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On se souvient des propos effectivement tenus par le chef suprême des Insoumis, accusant son ex-ami et étroit collaborateur d’être un « lâche, de cette variété humaine que l’on connaît tous, les délateurs (…) L’intéressant est de le voir s’agiter autour du piquet où le retient la laisse de ses adhésions », ajoutait-il, féroce.

En d’autres termes, Guedj ne serait pas, lui, une conscience libre exprimant ses propres convictions et opinions, mais un roquet en laisse, un pleutre sous influence.

Qui ? Qui ?

Ce thème-là a manifestement ces temps-ci la faveur de l’imprécateur. Il l’a repris avec délectation et emphase ce 11 juin au pupitre d’un meeting à Rouen alors qu’il évoquait la galéjade du mouille-cul de la paix où étaient embarquées Rima Hassan et Greta Thunberg pour le trophée, si âprement convoité, de celle qui pourra s’auréoler de la plus reluisante vertu woko-progressiste du monde.

« Tous ceux que vous aurez entendu parler de croisière, tonne Chef Jean-Luc, ont récité des éléments de langage qui leur ont été distribués. Demandez-vous si c’est seulement l’ambassade d’Israël qui les leur a donnés ou si c’est aussi d’autres. » Là encore, seuls des êtres en laisse, des « cervelles fatiguées » (sic) et manipulées peuvent, selon lui, s’exprimer de la sorte. La bonne vieille théorie de la manipulation sans frontières, du complot planétaire en mode Protocole des Sages de Sions n’est pas loin. Une force obscure – et juive, cela va sans dire – serait à la manœuvre.

Vilaines figures

Puis le même d’ajouter, menaçant : « Jeunes gens, rappelez-vous leurs noms, regardez leur vilaine figure ! » Là, on croit entendre l’inimitable Fouquier-Tinville. On perçoit en fond sonore le terrifiant leitmotiv révolutionnaire, de 93 sans doute mais aussi de toutes les fureurs du même tonneau : « Il ne suffit pas de dire que des têtes vont tomber ! Il faut dire lesquelles ! » Des noms, il faut des noms. Les noms de ceux dont, le moment venu, le sang (impur, forcément impur) abreuvera nos sillons. La version Terreur à la Robespierre du don du sang, si l’on veut. Donc, connaître et retenir les noms n’est pas qu’un détail, c’est la base même du job. Ne nous y trompons pas.

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Tout cela n’est guère nouveau, en effet. Et Jérôme Guedj n’est en fait que l’agneau utile de Mélenchon. La victime sacrificielle idéale. Idéale parce qu’elle concentre les deux pôles d’exercice de la violence révolutionnaire. Violence interne reposant sur la constante et nécessaire dénonciation de saboteurs, de traîtres, de « délateurs ». Cette terreur d’appareil qui sert à justifier les purges pour tout motif, à commencer par la suspicion de tiédeur idéologique. Violence dirigée vers l’extérieur également. Traditionnellement en direction du Juif. Là, encore un grand classique. Une seule référence historique : lorsque Staline voit sa toute-puissance quelque peu écornée – n’aura-t-il pas alors ce mot extraordinaire : « Tout est fini : je ne me fais même plus confiance à moi-même ! – lorsqu’il sent son trône vaciller sous ses fesses de Petit Père des Peuples, disais-je c’est un complot juif qu’il va inventer de toutes pièces pour tenter de faire diversion et se remettre en selle. Le célèbre faux complot des Blouses Blanches, qu’il me semble bien avoir évoqué ici-même.

Bref, ce sont toujours les mêmes pratiques éculées, les mêmes aberrations mentales, l’instrumentalisation du même vertige irrationnel saturé de haine, qui sont convoqués au tribunal révolutionnaire. Et cela, à d’infimes variantes près, selon la même rhétorique, la même dialectique. Surtout, au fond dans les mêmes termes… À se demander qui peut bien les distribuer dans les cervelles fatiguées des Mélenchon et affidés, ces pathétiques éléments de langage répétés à l’envi ?

LES TÊTES MOLLES - HONTE ET RUINE DE LA FRANCE

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Ce que le réel révèle: la fracture, la peur, le déni — ou l’insoutenable légèreté de l’élite française

Séparatisme. La France est entrée dans l’ère du mensonge poli, où les mots sont devenus suspects.


Il y a dans le regard que la France porte sur elle-même quelque chose d’exténué, de trouble, comme si, à force de nier le réel, elle avait fini par s’exiler d’elle-même.

La surdité tranquille

Depuis des décennies, les classes populaires — cette France périphérique que l’on ne nomme plus que pour s’en prémunir — cherchent à dire quelque chose, à articuler une plainte sourde, un cri contenu, un refus d’être reléguées à l’invisible. Leur voix, trop longtemps tenue pour vulgaire ou dangereuse, s’est portée sur un vote que l’on dit « extrême », faute de mieux, mais qui n’est que le dernier refuge d’une parole qui ne trouve plus d’asile dans les salons républicains.

Ce vote n’est ni nostalgique ni haineux, pas plus qu’il n’est le symptôme d’une quelconque pathologie morale : il est d’abord un appel à la reconnaissance. Mais les élites, qui vivent hors-sol, dans une République désincarnée, n’ont voulu y voir qu’une rechute du Mal. Elles ont disqualifié, injurié, psychiatrisé — tout ce qui permet d’éviter d’écouter. La sociologie, devenue prêche idéologique, s’est érigée en douane morale, rejetant toute inquiétude populaire au rang de préjugé, toute angoisse identitaire au rang de xénophobie.

Ainsi s’est installée une surdité tranquille. On s’est moqué du « sentiment d’insécurité ». On a ri, dans les amphis et les chaînes publiques, de ceux qui voyaient leur quartier changer de visage, leur langue devenir étrangère, leur culture minoritaire. La peur, pourtant fondée, a été traitée comme une faute. Et le réel, ce réel que la littérature n’a jamais cessé d’habiter, fut relégué dans l’indicible.

Nouvelle morale

La gauche, ivre de sa morale post-coloniale, s’est enfermée dans une grille de lecture binaire, brutale, presque théologique : les dominés ont raison, les dominants ont tort. Cette foi aveugle a engendré une lâcheté nouvelle — celle qui, au nom du Bien, refuse de voir le Mal. L’islamisme, pourtant quotidien, palpable, n’était qu’une « invention médiatique ». Le voile n’était pas un symptôme mais une « liberté ». La République n’était plus qu’un mot, vidé de sa substance, réduit à quelques incantations sans force.

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Plus grave encore : certains ont pactisé. La France Insoumise, par électoralisme ou par fascination pour l’Autre, a cédé aux sirènes du communautarisme, trahissant la laïcité au nom d’un peuple fantasmatique. Ce n’est plus seulement un aveuglement : c’est une complicité tranquille, un renoncement travesti en courage.

Et pendant ce temps, une partie des élites juives françaises, pétrie de mémoire, hantée par les spectres du XXe siècle, n’a vu dans la montée du RN qu’un retour du passé. Leur peur, si compréhensible soit-elle, les a enfermées dans un antiracisme désincarné, devenant parfois les otages involontaires d’un discours qui nie les nouvelles formes de haine — celles qui ne viennent pas de l’extrême droite, mais des franges radicalisées d’un islam politique conquérant.

Les mots deviennent suspects

Nous vivons une ère du mensonge poli. La violence, le repli, la sécession territoriale ne sont plus des fantasmes : ce sont des réalités, perceptibles par tous ceux qui n’ont pas le luxe de les fuir. Mais les mots, eux, sont devenus suspects. Dire, c’est déjà trahir.

Alors la confiance se délite. Le peuple, abandonné, se retire dans un silence lourd, ou dans un vote que l’on appelle « populiste » pour ne pas dire « désespéré ». Ce ne sont pas les partis extrêmes qui minent la démocratie : c’est l’abandon du réel, la peur de nommer, l’extinction du courage.

George Orwell, ce pessimiste lucide, l’avait vu venir : les élites, lorsqu’elles préfèrent l’idéologie à l’expérience, deviennent ennemies du peuple. Nous y sommes. Et c’est pourquoi la fracture n’est pas simplement politique : elle est existentielle. Elle dit le divorce entre ceux qui vivent le réel et ceux qui l’exècrent.

Il faut, non pas réenchanter le monde, comme le répètent les poètes subventionnés, mais réapprendre à nommer. A regarder ce qui est, non ce qu’on voudrait qu’il soit. Et cela suppose une parole débarrassée de ses fictions morales, une parole nue, risquée, — la seule qui puisse encore rassembler ceux qui le peuvent.

Le réveil des consciences

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Téhéran, 16 juin 2025 © UPI/Newscom/SIPA

La débâcle militaire en cours de l’Iran laisse entrevoir un éventuel affaiblissement du géant chiite – qui était aussi un spécialiste des coups tordus un peu partout autour du globe.


Le régime des Mollahs, la République Islamique d’Iran est le miroir de nos faiblesses et de notre lâcheté. Sa création il y a presque cinquante ans doit en partie son succès à l’accueil favorable que fit Valéry Giscard d’Estaing à l’ayatollah Khomeini puis à son envoi en Iran prendre le pouvoir. 

L’État harceleur

Les Iraniens entretiennent depuis 40 ans un réseau d’intelligence, d’actions terroristes, de subversion anti-occidentale, sans doute jamais connu dans notre Histoire. Son soutien actif au régime syrien, l’armement et le financement du Hezbollah au Liban et du Hamas à Gaza sont son œuvre la plus durable avec un objectif réitéré : détruire l’Etat d’Israël. Il n’y est pas encore parvenu mais ses milices déléguées harcèlent Israël depuis 20 ans en tirant chaque semaine des dizaines de missiles ou de roquettes contre les populations civiles israéliennes. Sans véritable succès car Israël dépense des dizaines de milliards de dollars pour se protéger. Ceci excuse-t-il cela ? Peut-on blâmer les Israéliens d’être plus ingénieux, plus organisés, plus courageux que les ennemis qui veulent les détruire ? Quel Etat un tant soit peu structuré accepterait de vivre depuis des années sous ce harcèlement continuel ?

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Plus récemment encore, l’Iran arme les rebelles Houthis au Yémen, qui outre les missiles qu’ils envoient régulièrement sur le territoire israélien, harcèlent les bateaux empruntant la route maritime la plus recherchée du monde qui passe par le golfe d’Aden. La France qui a des intérêts dans l’Océan indien a-t-elle réagi ? Non… alors que nous entretenons à grands frais une marine de guerre dont un porte-avions nucléaire censé être utile pour résoudre ce genre de crise.  Seuls les États-Unis ont bombardé les Houthis, sans grands succès pour l’instant puisqu’ils envoient encore des missiles en Mer rouge et sur Israël. Qu’attend-on pour les pulvériser ?

Pourquoi tant de pusillanimité vis à vis du régime des mollahs avec lequel nous ne partageons absolument aucune valeur, c’est le moins qu’on puisse dire ? Même les Américains qui ont pourtant été humiliés il y a 40 ans lors de la prise d’otage de l’ambassade n’ont jamais cherché à contrecarrer ce régime d’abrutis moyen-âgeux. Au contraire, ils ont commis une faute historique majeure : s’en prendre sans aucune raison légitime à l’Irak qui était un régime, certes autocratique, mais laïque et surtout l’ennemi millénaire de l’Iran. Résultat, l’Irak est devenu un relai chiite et un terrain de démultiplication des coups tordus iraniens.

Le changement c’est maintenant

En Occident, en Europe, en France en particulier, les partisans de la lâcheté sont nombreux et se recrutent depuis plus de quarante ans, Giscard ayant été le plus actif recruteur, Chirac lui disputant la palme. Aujourd’hui, c’est la gauche extrême qui donne le ton : on la laisse définir les lignes du bien et du mal, de la guerre et du « génocide », de la « résistance » et du terrorisme. Elle donne à toute notre jeunesse le la de ce qu’il faut penser. A tort. Car tous ses repères moraux sont viciés par le grand revirement idéologique qui fut le sien au tournant des années 90, le moment où elle a décidé d’échanger la défense des travailleurs nationaux pour l’encouragement de l’immigration et la protection morale apportée aux activistes musulmans. Avec pour résultat son soutien aux régimes les plus arriérés du Venezuela de Chavez à l’Iran des mollahs, son abandon de toute lucidité face au terrorisme, son aveuglement face aux pratiques régressives, du voile à la ségrégation communautaire. Son ascendant sur les gouvernements européens et l’administration de l’UE est tel que jusqu’à une période récente la norme diplomatique était le renvoi dos à dos d’Israël et de l’Iran. D’un pays libre et d’un pays qui foule aux pieds la liberté et les droits de l’Homme.

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Mais heureusement la situation est en train de changer. Grâce à Israël. Car la force va à la force. Israël montre une telle détermination face à son destin, un tel courage moral face aux objurgations des lâches, une telle puissance en comparaison de sa taille, que les plus peureux finissent par se rallier à lui. La conférence de presse d’Emmanuel Macron vendredi 13 juin en est une illustration heureuse. Le président français a bien été forcé de reconnaître la justesse du droit d’Israël à se défendre préventivement contre un Etat qui travaille à sa perte depuis de si nombreuses années. Le temps est venu du réveil face aux obscurantistes, de la force face à la terreur, de la liberté face à la soumission. Ceux qui s’y opposent, par idéologie ou aveuglement finiront dans les poubelles de l’Histoire. Merci à Israël de mener ce combat et de nous ouvrir les yeux.

Quelle indignité!

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Nicolas Sarkozy lors du procès de l'affaire du financement libyen, Tribunal correctionnel de Paris, 27 mars 2025 © CYRIL PECQUENARD/SIPA

Nicolas Sarkozy s’est vu retirer la Légion d’honneur et l’ordre national du Mérite suite à ses démêlés judiciaires. Ne pouvait-on vraiment pas faire autrement? Défendant son père, Louis Sarkozy affirme de son côté qu’ « il est des Légions d’honneur que l’on ne perd pas» comme « celles que l’on reçoit en sauvant des enfants des griffes d’un kamikaze ».


Telle était la formule employée par Nicolas Sarkozy en 2020 sur France 2 suite à une question de David Pujadas l’interrogeant sur ses déboires judiciaires dans le dossier du « financement libyen » de sa campagne.

La règle est la même pour tous

On n’hésite pas à employer la même formule suite au retrait de ses titres en matière de Légion d’honneur et de Mérite. On le sait entre autres sanctions dans l’ « affaire des écoutes », Nicolas Sarkozy a été condamné à un an de prison ferme. Selon les règles en la matière, suite à toute condamnation à de la prison ferme, le récipiendaire doit remettre ses titres. La lecture du site legiondhonneur.fr révèle en effet : « Être distingué d’un ordre honorifique signifie qu’on en accepte les valeurs fondamentales, en premier lieu l’honneur. Le décoré est engagé moralement à ne pas nuire à autrui et au bon fonctionnement de la société. En application du code qui régit les ordres nationaux et la Médaille militaire, toute condamnation pénale ou tout acte contraire à l’honneur commis par un décoré peut justifier une procédure disciplinaire ». En effet selon l’article R91,sont exclues de l’ordre : 1° Les personnes condamnées pour crime ; 2° Celles condamnées à une peine d’emprisonnement sans sursis égale ou supérieure à un an.

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Rappelons que dans le sillage de Robespierre, la Révolution supprima toutes les décorations. Ceci dans un souci, légitime, d’égalité citoyenne. Lorsque Napoléon 1er crée la Légion d’honneur le 19 mai 1802 (le 29 floréal An X, dans le calendrier républicain) c’est pour récompenser les « exploits militaires mais aussi civils1 ».

Ce retrait après condamnation est donc “de droit”, avait souligné en mars dernier le Grand chancelier de la Légion d’honneur, le général François Lecointre, qui a signé l’arrêté privant Nicolas Sarkozy des deux titres dont il était grand-croix, grade le plus élevé. « Exemplarité » avait avancé ce haut gradé. Ce fut exécuté par le ministre de la Justice et celui de la Défense. Depuis la création de la Légion d’honneur en 1802, le chef de l’État occupe la fonction suprême de grand maître. Pendant toute la durée de son mandat, il statue ainsi sur l’ensemble des questions concernant la Légion d’honneur.

Peu de temps après la sanction judiciaire de Nicolas Sarkozy et dans l’hypothèse de ce retrait, le président Macron avait estimé « de mon point de vue, de là où je suis, je pense que ce ne serait pas une bonne décision ». Et de rajouter « je pense que c’est très important que (…) les anciens présidents soient respectés »2Mieux même. Le jeudi 24 avril, le chef de l’État annonçait qu’il « ne prendra aucune décision » de radiation de l’ancien président de la République, en dépit de sa condamnation.

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Au cours de la procédure, l’ancien président de la République a pu faire valoir ses observations auprès de la Grande chancellerie. « Le Grand chancelier de la Légion d’honneur s’est assuré auprès d’éminents juristes de la bonne application des textes en vigueur à ce cas spécifique », indique-t-on à la Grande chancellerie3. De quels « éminents juristes » parle-t-on ? …

Le choix du Prince…

Théoriquement le président de la République n’a donc voix au chapitre que dans les procédures disciplinaires classiques dans lesquelles les conditions d’un retrait d’office ne sont pas réunies. En pratique, on note que depuis quelques décennies, les promotions élyséennes sont trop souvent peuplées de personnes qui ne sont pas toujours en adéquation avec les « valeurs fondamentales » de l’ordre de la Légion d’honneur. Et l’on s’aperçoit que, à l’Élysée, c’est le choix du prince pour promotionner (ou non). Parfois n’importe qui, et des personnes qui sont loin d’avoir accompli des « exploits civils ».

Dès lors, il était loisible à Emmanuel Macron d’éviter cette indignité à son prédécesseur indirect. Il pouvait créer un précédent au titre de ses pouvoirs en la matière. Et même de son pouvoir réglementaire. Un simple décret suffisait pour annuler l’arrêté pris par les ministres de la Justice et de la Défense. Un peu de courage politique, aussi. Mais ce n’est pas la principale qualité de l’actuel locataire de l’Élysée. Quant à Monsieur Darmanin, garde des Sceaux, il a singulièrement la mémoire courte, lui qui doit l’essentiel de sa carrière politique à son ex-mentor. « L’ingratitude en politique est devenue une valeur refuge » aimait à dire de Gaulle.

Inédit depuis… Pétain !

Là où l’indignité devient infamie, c’est que cette exclusion des grands ordres est la seconde de notre histoire présidentielle. En effet, Nicolas Sarkozy est ainsi le deuxième chef de l’État français privé de cette distinction après le maréchal Pétain, à qui la Légion d’honneur avait été retirée après sa condamnation en août 1945 pour haute trahison et intelligence avec l’ennemi. On peut adresser de nombreux reproches à Nicolas Sarkozy. Nous ne nous sommes pas gênés, quand il le fallait. La justice ne s’en prive pas, et de façon parfois démesurée. Ainsi, le suspendre de ses droits paternels est une peine complémentaire abjecte qui n’a strictement rien à voir avec les faits qui lui sont reprochés. Elle a beaucoup affecté l’intéressé, qui a une fille de 14 ans. Nous avons toujours dit que dans tous ses procès, l’ancien président payait aussi ses saillies verbales (« petits pois »), parfois maladroites il est vrai, contre les juges. Le Syndicat de la Magistrature orchestrant cela avec le zèle militant qu’on lui connait… Et en condamnant Nicolas Sarkozy à un an ferme, même avec bracelet, le tribunal savait pertinemment qu’au bout il y avait aussi cette déchéance de décorations. Comme une cerise sur le gâteau, en quelque sorte.

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On nous dira que cette exclusion des titres de l’ancien président est automatique et qu’on ne peut faire autrement. Qu’à cela ne tienne. Il n’est qu’à réviser le Code, d’un autre âge, qui régit les ordres nationaux et la Médaille militaire, en faisant une exception pour les anciens présidents qui ont servi et représenté la France. Car est-il plus noble et inestimable mission ? Certes certains l’accomplissent, il est vrai, moins bien que d’autres. Et puis, cette excuse de ne pouvoir faire autrement nous interpelle. N’a-t-elle pas aussi servi au soutien de Papon et Bousquet pour justifier leurs exactions de collaborateurs ? Heureusement que certains, comme par exemple Jean Moulin ou Jean Zay, choisirent l’honneur de ne pas servir l’ennemi. Mais notons que la conduite de Papon sous « Vichy » ne l’a pas empêché de devenir préfet, ministre et même d’être décoré de la Légion d’honneur par de Gaulle ensuite… Elle lui sera retirée en 1999, suite à sa condamnation pour crime contre l’humanité par la Cour d’Assises de Bordeaux un an avant. De son côté, s’il ne fut décoré « que » de la Francisque par « Vichy », Bousquet, préfet de la zone occupée, ancien secrétaire général de la police de Vichy, fut un ami proche de François Mitterrand (détenteur lui aussi de la Francisque) ainsi que de diverses personnalités de la Ve. La Légion d’honneur qu’il obtint en 1930 des mains du président Doumergue lui sera retirée à l’issue de son procès devant la Haute Cour de Justice en 1949. Eh bien en 1957, le Conseil d’état consent à lui rendre sa Légion d’honneur, et l’ancien secrétaire général à la police de Vichy est même amnistié le 17 janvier 1958. Il est des décorations qui a minima sèment le doute…

Pour terminer sur le cas du président Sarkozy, par la voix de son avocat Patrice Spinosi, ce dernier a déclaré « prendre acte » du retrait de la Légion d’honneur, tout en signalant que la Cour européenne des droits de l’homme devait toujours examiner son recours. En effet une éventuelle condamnation de la France par la CEDH « impliquera la révision de la condamnation pénale prononcée à l’encontre [de Nicolas Sarkozy] en même temps que l’exclusion de l’ordre de la Légion d’honneur, l’une n’étant que la conséquence de l’autre », a énoncé l’avocat à l’AFP.

« Je m’indigne, donc je suis. » (Gyorgy Balint).

  1. https://www.napoleon.org ↩︎
  2. https://www.bfmtv.com/politique/elysee/emmanuel-macron-estime-que-dechoir-nicolas-sarkozy-de-la-legion-d-honneur-ne-serait-pas-une-bonne-decision_AV-202504240702.html ↩︎
  3. https://www.huffingtonpost.fr, 15/06/2025 ↩︎

Nucléaire iranien: minuit moins cinq sur une montre en panne?

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Téhéran, 14 juin 2025 © Vahid Salemi/AP/SIPA

Depuis vendredi dernier, Israël frappe l’Iran en plein cœur. Selon le Premier ministre Nétanyahou, c’est en effet le programme nucléaire iranien qui constitue la véritable « menace existentielle » pour son pays — non pas la Palestine, ni les Arabes. Pourtant, dans toutes les chancelleries et les journaux du monde entier, on s’interroge sur l’état réel d’avancement du programme nucléaire du régime de Téhéran. L’incertitude radicale propre aux projets complexes comme un programme nucléaire — aggravée par les limites du renseignement et les enjeux politiques — rend impossible toute estimation absolument fiable, rappelle notre directeur de la publication.


Dans la nuit du 12 au 13 juin, le programme nucléaire iranien a-t-il atteint ce que certains appellent « minuit moins cinq », le point critique, la dernière minute avant que la République islamique ne devienne une puissance nucléaire ? La réponse la plus honnête est que personne au monde, pas même Georges Malbrunot ou Gérard Araud, ne peut l’affirmer. Et pour cause.

Des manifestants iraniens dévoilent un compte à rebours numérique indiquant 8 411 jours avant la destruction d’Israël, sur la place de la Palestine, à Téhéran, en Iran, le vendredi 23 juin 2017 Photo : Ebrahim Noroozi/AP/SIPA Numéro de photo : ap22069488_000019

Téhéran : c’est notre projet !

Tout d’abord, parce qu’il s’agit d’un projet, un mot que l’on emploie souvent sans en mesurer pleinement le sens. Un projet n’est pas une chaîne de production. Cette distinction est essentielle, car elle entraîne des différences fondamentales en matière de délais, de coûts, et surtout, d’incertitude.

Une chaîne de production repose sur la répétition maîtrisée d’opérations techniques et économiques. Elle est conçue pour produire à l’identique un même bien ou service, dans un environnement stable et prévisible. Cette stabilité permet d’optimiser les procédés, d’automatiser les tâches, de fiabiliser les délais et de maîtriser les coûts. Le travail devient alors une science de l’anticipation.

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Le projet, au contraire, est l’aventure du nouveau. Il s’agit d’un ensemble temporaire d’activités coordonnées, visant à atteindre un objectif unique, souvent inédit. Qu’il s’agisse de développer un logiciel, de bâtir un gratte-ciel ou de construire un réacteur nucléaire, chaque projet est un prototype. Il n’existe pas de manuel universel. L’incertitude en est la règle, et non l’exception.

C’est là que surgit la première difficulté majeure : l’imprévisibilité. Elle pèse directement sur deux variables cruciales : le temps et l’argent. De nombreux projets ambitieux se heurtent à une dure réalité : les délais sont dépassés, les budgets explosent. Pourquoi ? Parce que le projet mobilise des ressources et des technologies parfois mal maîtrisées et se déploie dans un contexte mouvant.

Appréciations…

Revenons à l’Iran. Puisque le programme nucléaire iranien est un projet, même l’Ayatollah Khamenei ne sait pas s’il est minuit moins dix, moins cinq ou déjà passé. De la même manière, le chef du chantier EPR de Flamanville ne pouvait pas, en 2015, affirmer avec certitude que le réacteur serait opérationnel en 2022. À un président de la République qui lui aurait posé la question, il aurait sans doute répondu : « Monsieur le président, nous sommes à minuit moins vingt. » En réalité, il était encore 19h30.

Imaginons maintenant que le Mossad se soit infiltré dans le projet Flamanville en 2015 et, grâce à une technologie révolutionnaire, ait pu lire dans le cerveau du chef de projet. Il aurait alors alerté Jérusalem : « La France est à minuit moins le quart ! », une erreur d’appréciation majeure, fondée pourtant sur une source infaillible, le rêve éveillé de tout espion.

Car ici se pose une deuxième couche d’incertitude. Contrairement au chef de projet, qui dispose d’un accès complet et fiable à l’information, un service de renseignement doit travailler dur pour approcher ce niveau de connaissance, sans jamais être certain de tout savoir, ni d’être à l’abri de fausses informations. À l’incertitude inhérente au projet s’ajoute celle du regard extérieur : espionnage, désinformation, secrets bien gardés, contre-espionnage. Churchill parlait d’un « bodyguard of lies », une garde rapprochée de mensonges.

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Et ce n’est pas fini. Une fois les données recueillies, et traversés ces deux niveaux d’incertitude, le décideur politique se tourne vers ses experts militaires pour leur demander : quelles sont les options ? Quels sont les risques ? Il est alors possible que les planificateurs estiment qu’au-delà d’un certain seuil, toute frappe serait trop risquée : trop d’incertitudes, trop de pertes collatérales, risque de contamination radioactive. Leur recommandation pourrait donc être : intervenir avant minuit moins 28.

Enfin, rappelons que pour notre décideur, une mauvaise décision sur cette question peut avoir des conséquences irréversibles, touchant aux intérêts vitaux de la nation. D’où la multiplicité des avis, des rapports, des interprétations. D’où aussi la difficulté, et la gravité, d’une décision éventuelle.

Ainsi, on comprend mieux pourquoi la question «L’Iran est-il proche de la bombe?» suscite autant de débats… et autant de réponses différentes.

Légion d’horreur

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La surveillante de collège Mélanie G., ancienne coiffeuse, assassinée à Nogent. DR.

La surveillante d’éducation de 31 ans a été poignardée à mort par un élève de 14 ans, le 10 juin à Nogent (Haute-Marne), lors d’un contrôle des sacs effectué en présence des gendarmes. Les obsèques de Mélanie G. auront lieu aujourd’hui. Mère d’un petit garçon de quatre ans, ancienne coiffeuse reconvertie dans l’éducation depuis la rentrée 2024, elle était très appréciée au sein de son établissement. L’élève a été mis en examen pour meurtre et placé en détention provisoire le 12 juin. Elisabeth Borne remettra à Mélanie G. la Légion d’honneur à titre posthume. Si le destin de Mélanie est tragique et ses qualités unanimement reconnues, notre directrice de la rédaction voit toutefois dans cette démarche le triomphe du statut de victime dans la société sur la reconnaissance des mérites. Nous vous proposons d’écouter sa chronique.


Mélanie, surveillante poignardée à mort par un élève de 14 ans va recevoir la Légion d’honneur à titre posthume. Elisabeth Borne présidera la cérémonie.

Mélanie était visiblement formidable et généreuse. Elle mérite les hommages, la compassion de la nation et sa famille, notre solidarité. Puisqu’elle a été tuée dans l’exercice d’une mission de service public, c’est très bien que son petit garçon soit pupille de la nation, on doit pouvoir faire ça par décret.

Juste quelqu’un de bien…

Mais la Légion d’Honneur récompense les services éminents rendus à la nation. Pour être chevalier, il faut par exemple justifier de 20 ans de services publics ou d’activités professionnelles avec mérites éminents. Pendant longtemps, elle était décernée à titre posthume seulement aux morts au champ d’honneur. La décerner à Mélanie n’a pas de sens, sauf à considérer que la France est un champ de bataille.

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Mais elle rendait service à la nation, me dit-on. Alors donnons la Légion d’honneur à tous les professeurs, policiers, pompiers, juges et pourquoi pas aux pêcheurs et aux infirmières qui rendent aussi des services à la nation. Si on la décerne à Mélanie, ce n’est pas pour ses mérites mais parce qu’elle a été victime d’un crime odieux dans l’enceinte de l’école. Comme si être victime faisait de vous un héros. Les attentats de 2015 ont certainement tué des nigauds, des salauds et des pleutres, paix à leur âme. Le pogrom du 7-Octobre en Israël, aussi. On peut être victime parce qu’on a refusé de se laisser intimider, comme Samuel Paty, mais généralement, c’est parce qu’on appartient au mauvais groupe ou parce qu’on est au mauvais endroit au mauvais moment. Cela n’est pas une preuve de courage. Les participants du festival Nova dans le Sud d’Israël ne voulaient pas être le symbole de la barbarie djihadiste. Ils voulaient danser.

Consolation nationale

Mélanie semblait attirer l’amour. Juste quelqu’un de bien comme dit la chanson. Cette Légion d’honneur n’est pas un scandale mais une incongruité. Elle est révélatrice du sacre de la victime, d’un état d’esprit. Être victime devient un statut auquel tout le monde aspire ; des chiffres sont cités triomphalement (50 % des femmes victimes de ceci ou cela) ; et finalement un totem d’immunité contre la critique dans la vie publique.

Mélanie ne voulait pas être une victime, elle voulait vivre. Au lieu de nous donner bonne conscience avec une médaille posthume, on devrait plutôt essayer de comprendre comment nous avons collectivement échoué à la protéger.


Cette chronique a été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale

«Être juif, c’est une exigence morale. Même pour un État»

Denis Olivennes © GUERICOLAS/MPP/SIPA

Denis Olivennes a jugé légitime la riposte d’Israël au Hamas. Mais face à la tournure du conflit, le chef d’entreprise dénonce désormais la politique menée par Benyamin Netanyahou qu’il estime prisonnier de l’extrême droite. Le risque étant de voir l’État juif devenir un État paria


Causeur. Le 11 mai vous avez initié un texte, signé avec Kamel Daoud, Pascal Bruckner, Michel Hazanavicius et d’autres, intitulé « Agir pour la situation avant qu’il ne soit trop tard ». Jamais Israël n’a été aussi isolé, réprouvé, attaqué. Était-ce vraiment le moment de se joindre à ce funeste cœur des vierges ?

Denis Olivennes. Avant de vous répondre, je tiens à préciser que je m’exprime ici en tant que Français, patriote, qui ne conçoit pas son destin ailleurs que dans son pays, mais qui s’estime lié à Israël par le « pacte d’Auschwitz », comme disait Emmanuel Lévinas. Il y a donc une différence ontologique entre ceux qui fustigent l’État juif par antisionisme ou antisémitisme et ma critique de la politique du gouvernement de Benjamin Nétanyahou. Si j’ai été avec quelques-uns à l’initiative de la tribune que vous mentionnez, c’est parce que j’aime Israël, j’admire Israël et je veux qu’Israël existe. Alors était-ce le moment, me demandez-vous ? Longtemps j’ai fait mienne une maxime d’Elie Wiesel : « Je ne dis jamais de mal en public d’Israël, c’est le prix que je paye pour ne pas y vivre. » J’ai tenu cette position jusqu’à récemment car Israël était injustement mis au ban des nations. Mais tout a basculé quand le gouvernement Nétanyahou a cessé de respecter le droit international. À présent, il doit être fermement condamné car il emprunte une voie insupportable.

Vous mettez sur le même plan Israël et la bande Hamas-Hezbollah-Houthis ?

Je ne confonds pas l’agresseur et l’agressé, le totalitarisme et la démocratie. Mais on ne combat pas un monstre en devenant un monstre soi-même.

Êtes-vous conscient que, si le Hezbollah avait attaqué massivement le 8 octobre, l’existence d’Israël était menacée. L’obsession de nombre d’Israéliens est que le Hamas ne puisse pas recommencer.

Je suis parfaitement conscient de la barbarie du Hamas. De son alliance avec le Hezbollah. De sa pénétration dans la profondeur d’Israël lors de l’attaque du 7 octobre 2023. De l’effet de surprise provoqué par cette opération. Tout cela a montré combien Israël était fragile et pouvait être détruit. De sorte que la légitime défense de l’État juif me paraît absolument incontestable. Et que le but de guerre consistant à éliminer le Hamas ne me pose aucun problème. Mais nous sommes arrivés à une nouvelle phase de la riposte, qui a changé non pas d’intensité, mais de nature. Israël mène la plus longue guerre de son histoire, la plus meurtrière aussi avec des milliers de victimes civiles, sans qu’on en voie l’efficacité puisque davantage d’otages ont été libérés par le Hamas lors des cessez-le-feu que lors des bombardements. Ensuite, l’élection de Donald Trump semble avoir donné des ailes à Nétanyahou, qui a limogé le ministre de la Défense et le patron du Shin Bet, attaqué l’État de droit et montré une grande complaisance vis-à-vis des exactions commises par les colons en Cisjordanie. Troisième élément de contexte : Tsahal fait obstacle à l’aide humanitaire à Gaza, ce qui est inouï, même si je sais bien que le Hamas utilise la nourriture comme moyen de pression sur les Palestiniens qui lui sont hostiles, cela ne légitime pas que l’on risque d’affamer une population. Et dans ce climat déjà suffocant, des membres du gouvernement israélien font encore monter la température en proclamant carrément que le but de guerre n’est plus d’éliminer le Hamas, mais d’occuper Gaza et de déplacer massivement sa population. Ce faisant, on sort du cadre du droit international. On passe d’une guerre de légitime défense face au Hamas à une guerre conquérante, impériale, peut-être messianique, inspirée par des ministres fascistes dont Nétanyahou est le prisonnier. J’ai bien peur que l’horreur du 7-Octobre ait diffusé un poison dans l’esprit de beaucoup d’Israéliens, qui ne voient plus les Palestiniens comme des êtres humains. Avant, quand j’allais en Israël, la plupart des gens me disaient qu’il fallait qu’on trouve une solution avec ce peuple voisin. Mais à présent, je vois bien que, pour un grand nombre d’entre eux, les Palestiniens ont disparu de l’horizon. Or aussi légitime soit la revendication immémoriale des juifs de revenir dans leur foyer national en Palestine, il ne faut pas oublier qu’ils sont arrivés dans une terre où vivaient d’autres habitants qui eux aussi ont le droit d’avoir leur État. Et il y a assez de place pour tout le monde.

Et ces autres habitants n’ont jamais manifesté un franc enthousiasme pour la coexistence. Parce que vous aimez Israël, vous attendez qu’il soit moralement supérieur aux autres. Comme l’a écrit le sociologue Charles Rozjman, reprenant le jugement de Péguy sur Kant, cela ne revient-il pas à souhaiter que l’État juif ait les mains blanches, donc qu’il n’ait pas de mains ?

Ma référence n’est pas Kant, mais Lévinas. Je ne demande pas à l’État d’Israël d’être angélique. Je ne lui demande pas de ne pas être un État. Je lui demande juste d’être un État démocratique et un État qui respecte les règles du droit international, des conventions de la guerre en particulier, ou du moins qui s’efforce de le faire. Israël a presque toujours eu cette boussole. Mais là franchement…

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Pourquoi l’État juif devrait-il être un meilleur État que les autres ?

Parce que la tradition juive consiste principalement dans le récit de la révélation divine d’une loi morale. Donc oui, être juif, c’est avoir une exigence morale. Ça ne veut pas dire que l’État juif n’a pas le droit de se défendre, qu’il n’a pas le droit d’avoir une armée, mais cela signifie qu’il doit considérer autrui avec respect, avec esprit de responsabilité. Je l’attends de n’importe quel État démocratique. Et je l’attends en particulier d’un État juif.

Le nombre de victimes civiles est épouvantable. Cependant, le Hamas a reconnu que 72 % d’entre elles étaient des hommes en âge de combattre.

Cette guerre est-elle proportionnée ? Elle l’est sans doute encore. Lorsque les alliés ont défait le nazisme, les bombardements ont causé entre 1,5 et 2 millions de victimes civiles en Allemagne, soit à peu près 1 à 2 % de la population, comme à Gaza. Mais les armées avançaient et Hitler a fini par se suicider. Alors que dans la guerre actuelle, malgré les promesses renouvelées chaque semaine, on ne progresse pas, on n’en finit pas avec le Hamas. La situation s’apparente plutôt à l’enlisement de la guerre du Vietnam.

Nous avons du mal à croire que l’armée israélienne s’amuse à faire durer les choses pour le plaisir cruel d’assassiner un maximum d’Arabes…

Vous avez raison. Même s’il existe quand même de la cruauté en Cisjordanie chez bon nombre de colons, qui ont été dénoncés dès 1967 par le grand philosophe Yeshayahou Leibowitz. À quoi s’ajoute qu’aujourd’hui le gouvernement israélien est entre les mains d’une aile extrémiste et suprémaciste qui parle des Palestiniens comme s’ils étaient des animaux ou des nazis. Tout cela conduit Israël à rompre avec ses principes. Je ne sais plus quel était ce rabbin, dont tous les enfants avaient péri pendant la Shoah, et à qui ses amis disaient que rien de pire n’aurait pu lui arriver. Il avait répondu : « Si, il aurait pu m’arriver quelque chose de pire : que ce soit moi le tueur. »

Manifestation pour réclamer un cessez-le-feu et un accord sur la libération des otages, Tel-Aviv,
27 décembre 2024. Depuis 2023, des rassemblements hebdomadaires critiquent la politique de Netanyahou et de ses ministres d’extrême droite, notamment Ben Gvir et Smotrich © SOPA Images/SIPA

Ce qui est sûr, c’est qu’il y a dans la société israélienne une terrible indifférence qui n’existait pas dans les précédentes guerres. En 1993, de nombreux Israéliens croyaient encore au processus d’Oslo. Mais depuis, à chaque petite ouverture, les dirigeants palestiniens ont fait obstacle. Quand Israël a quitté Gaza, ils en ont fait une base terroriste. Au Sud-Liban, ils ont soutenu le Hezbollah. Il faut être deux pour danser le tango. Or on ne voit nulle part en Palestine des partenaires possibles, à part quelques intellectuels.

Je ne dirais pas le contraire. Tant que les Palestiniens n’intégreront pas l’idée qu’Israël a droit à l’existence, tant qu’ils considéreront que cette nation est une aberration, une création coloniale dont il faut se débarrasser, la paix sera impossible. Mais il faut garder espoir. Relisez le fameux discours de Victor Hugo en 1849 au Congrès mondial de la paix, où il lance aux Européens : « Vous verrez qu’un jour, vous ne vous ferez plus la guerre. » Il est déjà arrivé, sur d’autres continents, à d’autres époques, que des peuples trouvent le chemin de la réconciliation alors qu’ils se haïssaient mutuellement et s’étaient entretués pendant des générations. Je ne prétends pas que c’est simple, mais si on renonce à cette idée, on verse dans la barbarie. Ce qui me paraît inacceptable au plan moral et voué à l’échec sur le plan pratique. Avec ses projets destructeurs, l’extrême droite israélienne est en train de démolir l’image du pays, d’en faire un État paria. Résultat, le Hamas pourrait gagner la guerre de l’opinion… Cela dit, je reste optimiste. Car j’ai gardé, malgré tous mes efforts, un vieux reste de marxisme. Je suis persuadé que les conditions matérielles sont déterminantes dans l’Histoire. Si on crée la possibilité d’un État palestinien qui se développerait économiquement, vous verrez, le désir de paix l’emportera sur le désir de guerre, la pulsion de vie sur la pulsion de mort. Il me semble que la population palestinienne aspire à cela du reste. Qu’elle ne se reconnaît pas dans le bellicisme furieux de ses représentants.

Alors attendons que la grâce tombe sur les Palestiniens et que leur amour de leurs enfants ou de leur vie soit plus fort que leur détestation des juifs ! Les Israéliens ont-ils entendu une voix palestinienne dénoncer le 7-Octobre ? Une seule ? Pour ne pas être déshumanisé, mieux vaut avoir un peu d’humanité ! Peut-être êtes-vous sujet à la naïveté habituelle de la gauche face à l’islam politique, en France comme en Israël. Votre famille idéologique a eu plus que du mal à reconnaître l’antisémitisme qui ronge l’islam en France.

Je ne pense pas m’illusionner sur le Hamas, sur son idéologie mortifère, sur les fautes commises par les Palestiniens depuis soixante-dix ans, l’impasse dans laquelle ils se sont enfermés cependant que le cancer de l’occupation de la Cisjordanie empoisonnait le sang d’Israël. Je ne suis pas aveugle non plus s’agissant de l’antisémitisme chez certains de nos compatriotes musulmans. Les Français sont globalement l’un des peuples les moins antisémites au monde, mais je reconnais que la haine du juif est trois à quatre fois plus importante au sein de deux franges du pays : la jeunesse et la communauté musulmane. Il faut prendre à bras-le-corps ce sujet, dénoncer l’influence néfaste de La France insoumise, qui a trahi l’héritage de la gauche : l’émancipation des juifs en 1791, les dreyfusards, Léon Blum… Et il faut reconnaître que l’antisémitisme est un problème qui se pose à l’islam, sans craindre d’être traité d’islamophobe. De même, on doit pouvoir dire qu’Israël se fourvoie à Gaza sans craindre d’être accusé d’être des alliés objectifs du Hamas.

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Venons-en à la tribune de Delphine Horvilleur, qui est plus sévère que la vôtre puisqu’elle parle de « politique suprémaciste et raciste » en Israël. N’est-elle pas allée trop loin ?

Elle est rabbin. Elle parle de là où elle est. J’imagine que tous les samedis – je ne mets pas les pieds à la synagogue –, elle doit prêcher les principes censés animer les juifs. Or au bout d’un moment, alors que la guerre à Gaza continue de faire des victimes civiles sans que son objectif soit atteint, si un rabbin dit « je n’ai pas envie de voir ça, je n’ai pas envie qu’on coupe l’aide humanitaire », il me semble être tout à fait dans son rôle. Qui pense sérieusement que Delphine Horvilleur est une ennemie d’Israël ? Une fois encore j’affirme que des reproches comme les siens ou comme les miens sont formulés non pas pour nuire à l’État juif, mais pour l’aider. Quand elle critique Israël, Delphine Horvilleur ne peut pas être confondue avec cette gauche qui, sous couvert d’antisionisme, a réenchanté l’antisémitisme.

Évidemment, mais elle peut être récupérée. Approuvez-vous le président quand il dit que c’est le bon moment pour reconnaître l’existence d’un État palestinien ? J’ai signé il y a un an une tribune rédigée par Ofer Bronstein qui plaide pour une reconnaissance simultanée : la reconnaissance d’un État de Palestine en échange de la reconnaissance d’Israël par tous les pays arabes. La reconnaissance est un fusil à un coup. Il faut obtenir qu’elle soit mutuelle, car c’est la vraie clé de la paix. La France a un rôle capital à jouer, mais elle ne le peut que si elle est fidèle à l’esprit remarquable du général de Gaulle, qui, malgré la légende noire, a fait en la matière des déclarations très justes, notamment lors de la fameuse conférence de presse du 27 novembre 1967, admiratif d’Israël qui se rétablissait sur « le site de son ancienne grandeur ». Ou dans celui de François Mitterrand. Elle doit parler aux Israéliens en tant qu’amie de la cause palestinienne et acteur de la construction de l’État palestinien. Et elle doit parler aux Arabes en tant qu’amie et en tant qu’alliée d’Israël inconditionnellement attachée à son droit à l’existence et à sa sécurité.

Le franc-parler, dernière élégance intellectuelle

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Le Palais des Congrès de Perpignan organise son deuxième 2e Printemps de la liberté d’expression. DR.

Le 2e Printemps de la liberté d’expression se tient à partir de vendredi à Perpignan, et recevra de nombreux intellectuels et penseurs, plutôt classés à droite. Gilles-William Goldnadel devrait y recevoir un prix. Quand le débat d’idées rejoint la liberté de pensée… Entrée libre, et Mathieu Bock-Côté en invité d’honneur.


En ces tristes temps de morosité intellectuelle, d’indigence philosophique, de médiocrité politique et de conformisme ambiant, où la glorieuse France des Lumières – celle qui vit jadis naître Voltaire et son admirable Traité sur la Tolérance, Montesquieu avec son indépassable Esprit des Lois ou Diderot et sa monumentale Encyclopédie – n’est plus que l’indigne, terne et pitoyable ombre d’elle-même, la belle ville de Perpignan, où se déroule, ces 20, 21 et 22 juin 2025, au Palais des Congrès, la deuxième édition du « Printemps de la liberté d’expression », apparaît, à l’inverse, comme un nouveau, riche, inespéré et salutaire foyer de réflexion critique, lucide et courageuse, au sens le plus noble du terme.

La Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen, petit rappel

C’est d’ailleurs là le sens profond, très exactement, de la devise, tel un éminent rappel philosophique plus encore que moral, de cette importante, et désormais annuelle, manifestation culturelle : liberté d’expression ! C’est là, du reste, l’essence même de l’insigne article 11 de la « Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen », rédigée en 1789, année de la démocratique Révolution française et donc, précisément, en pleine époque des Lumières : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme » stipule-t-il, en effet, à juste raison.
Bref : une manière, effectivement, d’unir le fécond débat d’idées à l’essentielle liberté de pensée !

Intelligentsia française

Ainsi, est-ce près d’une trentaine d’auteurs majeurs au sein de l’intelligentsia française qui, placés là sous la présidence éclairée d’Eric Naulleau, se réunissent, pendant trois jours, lors de cette deuxième édition de ce fameux « Printemps de la liberté d’expression ». Impossible, certes, de mentionner de façon exhaustive, dans le contexte forcément restreint d’une tribune médiatique, tous les noms des participants, dont on retiendra cependant ici quelques voix particulièrement fortes en la matière, dont, outre votre serviteur en ces lignes, celles de (par ordre alphabétique) Fabrice Balanche, Jérôme Besnard, Mathieu Bock-Côté, Pierre Botton, Maxime Chaix, Gabrielle Cluzel, Stéphane Courtois, Xavier Driencourt, David Duquesne, David Engels, Renée Fregosi, Driss Ghali, Gilles-William Goldnadel, Lisa Hirsig, Jacques Hogard, Régis Le Sommier, Olivier Maulin, Olivia Maurel, Sabrina Medjebeur, Jean-Claude Rolinat, Romaric Sangars, Olivier Sebban, Jean Sévillia, Daniel Sibony, Jean Szlamowicz, Éric Tegner…

Tolérance et raison: les deux moteurs intellectuels d’un nouvel humanisme pour notre civilisation

Quant aux nombreux thèmes qui sont abordés en ces échanges entre quelques-uns des meilleurs et plus fins esprits de l’intelligentsia française, ils sont aussi diversifiés que cruciaux, si tant est que l’objectif ouvertement assumé de ces réflexions critiques est de contribuer pour leur modeste part, humblement mais résolument, à une meilleure marche, sinon du monde, du moins de ce beau et grand pays que demeure, nonobstant ses actuelles vicissitudes politiques et autres dérives idéologiques, la France.

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De fait, c’est autour de thématiques, sous forme de tables-rondes, telles que notamment, et parmi bien d’autres, les nouveaux conformismes, la censure (y compris l’auto-censure) médiatique, le terrorisme intellectuel, la guerre en Ukraine et les conflits ethniques en Syrie, les difficiles relations franco-algériennes, Israël face à la menace islamiste, l’inquiétante recrudescence de l’antisémitisme, les dangers de l’islamo-gauchisme, la question de l’identité nationale face aux crises migratoires, que ces divers débats d’idées s’articulent dans une totale liberté de pensée, sans préjugés d’aucune sorte ni opinions préconçues, mais animés d’une réelle, sincère et utile volonté d’œuvrer ainsi, au seul nom d’une tolérance qui n’a d’autre moteur intellectuel que la raison, au progrès de notre humanité, sinon de la civilisation en son ensemble. 
Oui, c’est bien cela auquel ce « Printemps de la liberté d’expression », au cœur donc de Perpignan, aspire, idéalement, en dernière analyse mais, à la fois, en première ambition : la définition, sinon la refonte, d’un nouvel humanisme, calqué sur les imprescriptibles, inaliénables et impérieux idéaux, d’ancestrale mais noble mémoire, de la Renaissance !
Mieux : un nouvel humanisme en guise de résistance intellectuelle à la barbarie présente, sinon, peut-être plus grave encore, à venir !

Le prix littéraire du « franc-parler »

C’est donc à la lumière de cet ambitieux mais primordial projet philosophico-éthique qu’il faut comprendre, à sa juste valeur et véritable portée, le sens ultime du beau prix littéraire – le prix du « franc-parler », dont je m’honore de faire partie du jury – qui, connexe et même intimement lié à ce « Printemps de la liberté d’expression », est également organisé à cette occasion.
Ainsi le lauréat de cette deuxième édition, là aussi, de ce prix du « franc-parler » est-il, très méritoirement, Gilles-William Goldnadel, polémiste talentueux et avocat de réputation nationale, pour son excellent et dernier livre :une dystopie, récit sur fond de fiction aux contours cependant très réalistes, intitulée, certes métaphoriquement mais néanmoins emblématiquement, « Journal d’un prisonnier (Editions Fayard, Paris, 2025). Ce prix lui sera remis ce samedi 21 juin, à 19h, au Palais des Congrès de Perpignan. De son côté, le professeur Fabrice Balanche est gratifié d’une mention spéciale du jury.

Hommage public: pour la libération de Boualem Sansal et des otages israéliens à Gaza   

Davantage : parallèlement à cette prestigieuse remise du prix littéraire du « franc-parler » aura également lieu, à la même heure ce samedi 21 juin encore, et au Palais des Congrès de Perpignan toujours, un hommage public, où je prendrai aussi personnellement la parole afin de réclamer son immédiate libération (comme celle, tout aussi nécessaire et urgente, des otages israéliens encore captifs dans la bande de Gaza), à notre cher ami Boualem Sansal, immense écrivain franco-algérien, candidat au prix Nobel de littérature, retenu arbitrairement prisonnier, depuis plus de sept mois maintenant, dans une infâme et obscure geôle aux mains du pouvoir islamiste, totalitaire et même fascisant, d’Alger.
À lire d’ailleurs, à ce douloureux mais impératif sujet, l’ouvrage collectif (comprenant, sous la direction de Pascal Bruckner et de Michel Gad Wolkowicz, soixante intellectuels majeurs), auquel je m’honore, là aussi, de participer avec un texte : « Pour Boualem Sansal » (Éditions David Reinharc, Paris, 2025) !

Éloge des idéaux démocratiques, valeurs morales et principes universels

Ainsi, lors de cette deuxième édition du « Printemps de la liberté d’expression » de Perpignan (voir, ci-dessous, l’affiche et le programme complet), où des séances de dédicaces de livres sont également prévues pour les auteurs présents, bienvenue à tous les hommes et toutes les femmes de bonne volonté, épris des seuls idéaux démocratiques, valeurs morales et principes universels, de justice, de tolérance, de paix et de raison ! Nous vous y attendons volontiers, et avec grand plaisir, nombreux, ces 20, 21 et 22 juin 2025 donc, dans le vaste mais confortable auditoire du Palais des Congrès, où l’entrée, malgré d’importantes et compréhensibles mesures de sécurité au vu de l’actuel, particulièrement tendu, contexte socio-politique à l’échelon national et international, est elle aussi – cela va de soi ! – libre.

Journal d'un prisonnier

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Maximilien Friche ou la folle espérance d’un salut par le Verbe

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Maximilien Friche © D.R.

Dans Fol, le nouveau roman de Maximilien Friche, l’amour chaste est à l’honneur. Mais c’est surtout, à travers cette passion impossible, un récit initiatique sur la vocation d’un écrivain et la manière dont la littérature peut habiter une vie, dans notre société contemporaine. 


Renaud a 16 ans. Il ne se sent pas tout à fait à sa place parmi ses condisciples, dans un prestigieux lycée de Toulouse. Alors il fait le malin, il provoque, il raconte des histoires, pour se distinguer de la plèbe. Il a assez de talent pour séduire Alix, une élève studieuse. Une de ces filles de bonne famille pour qui la route royale est déjà tracée. Sans doute qu’avec ce garçon, elle s’encanaille. Elle joue à se faire peur. On flirt avec le bizarre, mais on ne se donne pas à lui. Sa relation avec Renaud ne sera donc jamais consommée. Leur liaison existera par les lettres qu’ils s’échangent, jusqu’à leur rupture. Tout est à la fois vécu sur le mode du sublime et du grotesque. Néanmoins, Alix accomplit par là son rôle spirituel. Elle a dit à Renaud qu’il devrait écrire et c’est ce qu’il fera, en mémoire de leur amour avorté. Elle l’a baptisé par cette liaison désincarnée et pour toujours inassouvie. C’est l’infini de la ligne d’horizon planté dans la chair. La femme qui l’a engendré peut dès lors renaître en cette créature poétique qui va hanter Renaud. Elle lui a fait l’offrande de ces quelques scènes qu’il passera les années suivantes à essayer de réécrire. La vie figée dans une courte parenthèse entre l’enfance et l’âge adulte. L’existence n’est supportable qu’à la condition de n’être jamais vécue. Renaud sera donc écrivain.

Quoiqu’un écrivain qui ne s’accomplira peut-être jamais. Un écrivain dont la vocation semblera toujours à moitié exaucée, se disputant avec les obligations matérielles. Dans la deuxième partie du livre, en effet, à 45 ans Renaud est chef de cabinet, dans une entreprise, à Lyon. Sa situation professionnelle ne l’intéresse guère. Tout l’exaspère au dehors de son amour de ses seize ans. Son ancienne flamme est désormais la plaie autour de laquelle s’est enroulé son rêve intérieur. Le reste est enduré dans un sentiment de médiocrité, voire d’insignifiance.

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Mais ce n’est pas simplement la vie matérielle qui est devenue fausse. La littérature aussi se révèle vulgaire. L’âge adulte, c’est passer de la pureté des intentions à la réalité sociale. Basculer de la foi des débuts aux obligations contingentes. Nous sommes hantés par un livre et voilà qu’on se gaspille. Nous n’achevons que la pâle copie de l’œuvre dont on brûlait. Pire, nous ne ratons pas même le sublime que l’on portait en nous, nous écrivons pour rien, pour briller, pour nous distinguer, encore une fois. Le Verbe devient inessentiel. On se perd pour une vague renommée qui n’atteint jamais à la reconnaissance. Et nous voilà obligés de naviguer dans un monde où la littérature se trouve rejetée à l’état de distraction, sinon de simple passe-temps. Le moi du romancier n’est plus seulement étouffé par le moi social, il en est corrompu jusqu’à la moelle. Et c’est de là l’Idéal qui pourrit de la tête au pied. 

Écrire aujourd’hui, pour Maximilien Friche, dans Fol, c’est donc avancer entre le risible et le sacré. Un rêve dont on ne sait jamais à quel point il est sincère. Ni quel sens il peut encore conserver. Au fond, on peut même se demander si le drame sentimental de Renaud ne se réduit pas à un mirage ou à une anecdote dérisoire. De l’insignifiance montée à l’état de regret pour se donner matière à délirer. Trouver une transcendance en toc dans un monde terriblement dépourvu d’absolu. Alors, tout l’amour idéalisé du personnage n’aura représenté, littéralement, qu’un prétexte. Et en ce sens, la littérature serait la recherche d’une existence enfin justifiée par la grandeur du verbe, au risque ne se réaliser que dans une sorte d’imposture. Mais malgré l’écueil, c’est bien ce à quoi invite Friche dans son livre. Rejouer sans cesse la blessure initiale, avec les vieux sentiments mille fois recuits, dans l’espoir que, justement, de ce ridicule, de cette humiliation du ratage, et sans être tout à fait dupe de nos ambiguïtés, on puisse en tirer, un jour, une œuvre sincère. Car peut-être existe-t-il dans la fausseté d’un amour perdu et à moitié inventé, une vérité inaccomplie, qui ne peut trouver son achèvement que transfigurée par la littérature. 

90 pages

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La haine, un devoir international?

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L'avocat suisse Marc Bonnant dans son bureau, à Genève, le 29 juillet 2014 © NIVIERE/SIPA Numéro de reportage : 00690309_000025

Dans un entretien récent, Marc Bonnant, le «Bossuet des tribunaux» affirme qu’il espère que le christianisme en Europe saura résister au temps, comme le judaïsme. Il ajoute : « Je ne suis pas juif, hélas, j’aurais voulu le devenir, mais c’était un peu compliqué… »


Marc Bonnant, un formidable avocat suisse, s’est livré dans un entretien au JDD[1] sur le mode brillamment réactionnaire et provocateur qui a toujours été le sien. J’ai eu le bonheur il y a plusieurs années de pouvoir dialoguer avec lui à Genève et ce fut un régal d’avoir la chance d’être parfois contredit par lui.

Inévitable

Questionné sur le christianisme et l’islam, il répond que « …l’islam est prosélyte et expansionniste. En France, il y a peut-être trop de honte dans le christianisme, trop de repentir, trop de repentance pour qu’il puisse faire face à un islam conquérant… » et il conclut son propos par un hommage au peuple juif « …qui mérite d’être honoré indépendamment de la question palestinienne ou de Gaza. Il suffit de regarder n’importe quelle bibliothèque pour mesurer la contribution du génie juif à notre civilisation. J’aime passionnément les juifs ».

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Tout en reconnaissant ce qu’il y a de pertinent dans cet enthousiasme, on n’est pas obligé de le pousser aussi loin. Il demeure cependant que, comme aujourd’hui il y a un antisémitisme compulsif de l’extrême gauche derrière l’antisionisme revendiqué, il y a à rebours une défense systématique d’Israël dans la plupart de ses entreprises guerrières, avec une admiration certaine pour plusieurs de ses hauts faits. Comme si l’incroyable capacité à la fois d’audace et de résistance de ce petit pays démocratique à l’existence toujours menacée permettait à beaucoup de satisfaire, par procuration, une haine internationale ciblée.

En tout cas c’est le sentiment qui m’habite. La haine n’est pas à recommander sur le plan humain mais dans le domaine géopolitique, elle peut apparaître presque comme inévitable. Il y a un tel degré de malfaisance, de cruauté, de cynisme et de mauvaise foi dans la conduite de quelques personnalités et régimes, que la simple contestation politique est dépassée au profit d’un extrémisme de l’hostilité, qui mue le champ international en une exécration humaine contre laquelle on n’a aucune envie de résister. Bien au contraire.

Je ne suis pas diplomate de profession

J’ai attendu avec impatience que Vladimir Poutine paie l’invasion de l’Ukraine et les crimes multiples que sa dictature sans limite ni morale a perpétrés. Et il a osé se proposer comme médiateur entre l’Iran et Israël!

Mais je crains fort que mon espérance ne soit déçue et que le président Trump, de moins en moins Matamore et de plus en plus sur le recul, ne puisse pas faire bouger d’un pouce l’ordre international. Je n’ai pas honte pourtant de cette haine à l’égard de Poutine et toutes les considérations des experts noyant les culpabilités sous les analyses n’y pourront rien changer.

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Je hais également le régime des mollahs et l’ayatollah Ali Khamenei cherchant à se mettre de plus en plus à l’abri des frappes israéliennes qui ont déjà décimé une part de la hiérarchie politique et militaire iranienne. La riposte inévitable de l’Iran a tué un certain nombre d’Israéliens mais il semble que l’initiative préventive d’Israël pour empêcher une « Shoah nucléaire » soit globalement couronnée de succès.

À supposer que la finalité ultime de ces ciblages renouvelés et organisés de longue date ne soit pas l’éradication de cette dictature intégriste étouffant le grand peuple iranien sous des injonctions de plus en plus rejetées. Chaque jour démontre, en réalité, cette ambition purificatrice dont, si elle parvenait à son terme, Israël serait secrètement ou officiellement félicité.

J’aime cet État d’Israël qui m’autorise, avec une satisfaction dont je ne méconnais pas le caractère indécent, à me réjouir de l’affaiblissement et de la chute programmée d’une caste n’ayant pas lésiné sur les exécutions et le sang des opposants. Le régime iranien a ma haine comme Poutine.

Loin de m’attrister sur mon éthique personnelle, cette haine que j’éprouve est comme un devoir international. Je laisse volontiers aux diplomates et aux experts les calculs et les froideurs.


[1] https://www.lejdd.fr/Societe/marc-bonnant-notre-epoque-celebre-le-deracinement-159222

Mélenchon devenu un «salopard d’antisémite»…

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Le député de l'Essonne Jérôme Guedj, Nancy, 14 juin 2025 © ISA HARSIN/SIPA

Samedi 13 juin, à la tribune du congrès du Parti socialiste, Jérôme Guedj a violemment attaqué Jean-Luc Mélenchon, le qualifiant de « salopard antisémite ». En réponse, Jean-Luc Mélenchon a exigé hier des excuses officielles de la part du PS. Pendant ce temps, Olivier Faure et Nicolas Mayer-Rossignol se sont affrontés sur la stratégie à adopter vis-à-vis de La France insoumise, dans l’éventualité de législatives anticipées. Incapables de s’accorder sur un texte de synthèse, les deux camps sont finalement repartis dos à dos.


Ce n’est pas Causeur qui le dit mais Jérôme Guedj, naguère proche parmi les proches du matamore islamolâtre. Cet anathème, il le lance depuis la tribune du congrès du Parti socialiste qui se tenait ce week-end à Nancy, non pas dans l’arrière-salle du Café du Commerce qui aurait largement suffi, mais ailleurs, dans un lieu d’un standing plus flatteur.

Le congrès des cœurs brisés

« J’ai une meurtrissure profonde terrible à dire devant ce congrès que, pour la première fois de ma vie, j’ai dû dire de l’homme que j’ai aimé profondément qu’il est devenu un salopard d’antisémite, avec des propos qui sont pour nous absolument insoutenables », a donc lancé l’orateur, ouvrant noblement son cœur. Cœur blessé, de toute évidence. On n’est pas loin des termes si douloureux du dépit amoureux. Il est vrai que la politique est parfois – aussi – affaire de passion.

La rupture est intervenue à la suite du pogrom du 7 octobre 2023 perpétré par le Hamas contre les populations civiles d’Israël (pudiquement – hypocritement devrais-je dire – qualifié de simple « attaque » ce dimanche encore par Le Monde et l’AFP).

« Quand je dis à Jean-Luc Mélenchon qu’il n’est pas possible et souhaitable de défendre la revendication de la Palestine de la mer à la rivière, argumente le parlementaire, je défends la position historique des socialistes, notamment celle de François Mitterrand à la Knesset en 1982 (…) Et à ce moment-là, je deviens le sioniste génocidaire pour Jean-Luc Mélenchon et les siens ».

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On se souvient des propos effectivement tenus par le chef suprême des Insoumis, accusant son ex-ami et étroit collaborateur d’être un « lâche, de cette variété humaine que l’on connaît tous, les délateurs (…) L’intéressant est de le voir s’agiter autour du piquet où le retient la laisse de ses adhésions », ajoutait-il, féroce.

En d’autres termes, Guedj ne serait pas, lui, une conscience libre exprimant ses propres convictions et opinions, mais un roquet en laisse, un pleutre sous influence.

Qui ? Qui ?

Ce thème-là a manifestement ces temps-ci la faveur de l’imprécateur. Il l’a repris avec délectation et emphase ce 11 juin au pupitre d’un meeting à Rouen alors qu’il évoquait la galéjade du mouille-cul de la paix où étaient embarquées Rima Hassan et Greta Thunberg pour le trophée, si âprement convoité, de celle qui pourra s’auréoler de la plus reluisante vertu woko-progressiste du monde.

« Tous ceux que vous aurez entendu parler de croisière, tonne Chef Jean-Luc, ont récité des éléments de langage qui leur ont été distribués. Demandez-vous si c’est seulement l’ambassade d’Israël qui les leur a donnés ou si c’est aussi d’autres. » Là encore, seuls des êtres en laisse, des « cervelles fatiguées » (sic) et manipulées peuvent, selon lui, s’exprimer de la sorte. La bonne vieille théorie de la manipulation sans frontières, du complot planétaire en mode Protocole des Sages de Sions n’est pas loin. Une force obscure – et juive, cela va sans dire – serait à la manœuvre.

Vilaines figures

Puis le même d’ajouter, menaçant : « Jeunes gens, rappelez-vous leurs noms, regardez leur vilaine figure ! » Là, on croit entendre l’inimitable Fouquier-Tinville. On perçoit en fond sonore le terrifiant leitmotiv révolutionnaire, de 93 sans doute mais aussi de toutes les fureurs du même tonneau : « Il ne suffit pas de dire que des têtes vont tomber ! Il faut dire lesquelles ! » Des noms, il faut des noms. Les noms de ceux dont, le moment venu, le sang (impur, forcément impur) abreuvera nos sillons. La version Terreur à la Robespierre du don du sang, si l’on veut. Donc, connaître et retenir les noms n’est pas qu’un détail, c’est la base même du job. Ne nous y trompons pas.

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Tout cela n’est guère nouveau, en effet. Et Jérôme Guedj n’est en fait que l’agneau utile de Mélenchon. La victime sacrificielle idéale. Idéale parce qu’elle concentre les deux pôles d’exercice de la violence révolutionnaire. Violence interne reposant sur la constante et nécessaire dénonciation de saboteurs, de traîtres, de « délateurs ». Cette terreur d’appareil qui sert à justifier les purges pour tout motif, à commencer par la suspicion de tiédeur idéologique. Violence dirigée vers l’extérieur également. Traditionnellement en direction du Juif. Là, encore un grand classique. Une seule référence historique : lorsque Staline voit sa toute-puissance quelque peu écornée – n’aura-t-il pas alors ce mot extraordinaire : « Tout est fini : je ne me fais même plus confiance à moi-même ! – lorsqu’il sent son trône vaciller sous ses fesses de Petit Père des Peuples, disais-je c’est un complot juif qu’il va inventer de toutes pièces pour tenter de faire diversion et se remettre en selle. Le célèbre faux complot des Blouses Blanches, qu’il me semble bien avoir évoqué ici-même.

Bref, ce sont toujours les mêmes pratiques éculées, les mêmes aberrations mentales, l’instrumentalisation du même vertige irrationnel saturé de haine, qui sont convoqués au tribunal révolutionnaire. Et cela, à d’infimes variantes près, selon la même rhétorique, la même dialectique. Surtout, au fond dans les mêmes termes… À se demander qui peut bien les distribuer dans les cervelles fatiguées des Mélenchon et affidés, ces pathétiques éléments de langage répétés à l’envi ?

LES TÊTES MOLLES - HONTE ET RUINE DE LA FRANCE

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Ce que le réel révèle: la fracture, la peur, le déni — ou l’insoutenable légèreté de l’élite française

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Séparatisme. La France est entrée dans l’ère du mensonge poli, où les mots sont devenus suspects.


Il y a dans le regard que la France porte sur elle-même quelque chose d’exténué, de trouble, comme si, à force de nier le réel, elle avait fini par s’exiler d’elle-même.

La surdité tranquille

Depuis des décennies, les classes populaires — cette France périphérique que l’on ne nomme plus que pour s’en prémunir — cherchent à dire quelque chose, à articuler une plainte sourde, un cri contenu, un refus d’être reléguées à l’invisible. Leur voix, trop longtemps tenue pour vulgaire ou dangereuse, s’est portée sur un vote que l’on dit « extrême », faute de mieux, mais qui n’est que le dernier refuge d’une parole qui ne trouve plus d’asile dans les salons républicains.

Ce vote n’est ni nostalgique ni haineux, pas plus qu’il n’est le symptôme d’une quelconque pathologie morale : il est d’abord un appel à la reconnaissance. Mais les élites, qui vivent hors-sol, dans une République désincarnée, n’ont voulu y voir qu’une rechute du Mal. Elles ont disqualifié, injurié, psychiatrisé — tout ce qui permet d’éviter d’écouter. La sociologie, devenue prêche idéologique, s’est érigée en douane morale, rejetant toute inquiétude populaire au rang de préjugé, toute angoisse identitaire au rang de xénophobie.

Ainsi s’est installée une surdité tranquille. On s’est moqué du « sentiment d’insécurité ». On a ri, dans les amphis et les chaînes publiques, de ceux qui voyaient leur quartier changer de visage, leur langue devenir étrangère, leur culture minoritaire. La peur, pourtant fondée, a été traitée comme une faute. Et le réel, ce réel que la littérature n’a jamais cessé d’habiter, fut relégué dans l’indicible.

Nouvelle morale

La gauche, ivre de sa morale post-coloniale, s’est enfermée dans une grille de lecture binaire, brutale, presque théologique : les dominés ont raison, les dominants ont tort. Cette foi aveugle a engendré une lâcheté nouvelle — celle qui, au nom du Bien, refuse de voir le Mal. L’islamisme, pourtant quotidien, palpable, n’était qu’une « invention médiatique ». Le voile n’était pas un symptôme mais une « liberté ». La République n’était plus qu’un mot, vidé de sa substance, réduit à quelques incantations sans force.

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Plus grave encore : certains ont pactisé. La France Insoumise, par électoralisme ou par fascination pour l’Autre, a cédé aux sirènes du communautarisme, trahissant la laïcité au nom d’un peuple fantasmatique. Ce n’est plus seulement un aveuglement : c’est une complicité tranquille, un renoncement travesti en courage.

Et pendant ce temps, une partie des élites juives françaises, pétrie de mémoire, hantée par les spectres du XXe siècle, n’a vu dans la montée du RN qu’un retour du passé. Leur peur, si compréhensible soit-elle, les a enfermées dans un antiracisme désincarné, devenant parfois les otages involontaires d’un discours qui nie les nouvelles formes de haine — celles qui ne viennent pas de l’extrême droite, mais des franges radicalisées d’un islam politique conquérant.

Les mots deviennent suspects

Nous vivons une ère du mensonge poli. La violence, le repli, la sécession territoriale ne sont plus des fantasmes : ce sont des réalités, perceptibles par tous ceux qui n’ont pas le luxe de les fuir. Mais les mots, eux, sont devenus suspects. Dire, c’est déjà trahir.

Alors la confiance se délite. Le peuple, abandonné, se retire dans un silence lourd, ou dans un vote que l’on appelle « populiste » pour ne pas dire « désespéré ». Ce ne sont pas les partis extrêmes qui minent la démocratie : c’est l’abandon du réel, la peur de nommer, l’extinction du courage.

George Orwell, ce pessimiste lucide, l’avait vu venir : les élites, lorsqu’elles préfèrent l’idéologie à l’expérience, deviennent ennemies du peuple. Nous y sommes. Et c’est pourquoi la fracture n’est pas simplement politique : elle est existentielle. Elle dit le divorce entre ceux qui vivent le réel et ceux qui l’exècrent.

Il faut, non pas réenchanter le monde, comme le répètent les poètes subventionnés, mais réapprendre à nommer. A regarder ce qui est, non ce qu’on voudrait qu’il soit. Et cela suppose une parole débarrassée de ses fictions morales, une parole nue, risquée, — la seule qui puisse encore rassembler ceux qui le peuvent.