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Légion d’horreur

Le regard libre d’Elisabeth Lévy


Légion d’horreur
La surveillante de collège Mélanie G., ancienne coiffeuse, assassinée à Nogent. DR.

La surveillante d’éducation de 31 ans a été poignardée à mort par un élève de 14 ans, le 10 juin à Nogent (Haute-Marne), lors d’un contrôle des sacs effectué en présence des gendarmes. Les obsèques de Mélanie G. auront lieu aujourd’hui. Mère d’un petit garçon de quatre ans, ancienne coiffeuse reconvertie dans l’éducation depuis la rentrée 2024, elle était très appréciée au sein de son établissement. L’élève a été mis en examen pour meurtre et placé en détention provisoire le 12 juin. Elisabeth Borne remettra à Mélanie G. la Légion d’honneur à titre posthume. Si le destin de Mélanie est tragique et ses qualités unanimement reconnues, notre directrice de la rédaction voit toutefois dans cette démarche le triomphe du statut de victime dans la société sur la reconnaissance des mérites. Nous vous proposons d’écouter sa chronique.


Mélanie, surveillante poignardée à mort par un élève de 14 ans va recevoir la Légion d’honneur à titre posthume. Elisabeth Borne présidera la cérémonie.

Mélanie était visiblement formidable et généreuse. Elle mérite les hommages, la compassion de la nation et sa famille, notre solidarité. Puisqu’elle a été tuée dans l’exercice d’une mission de service public, c’est très bien que son petit garçon soit pupille de la nation, on doit pouvoir faire ça par décret.

Juste quelqu’un de bien…

Mais la Légion d’Honneur récompense les services éminents rendus à la nation. Pour être chevalier, il faut par exemple justifier de 20 ans de services publics ou d’activités professionnelles avec mérites éminents. Pendant longtemps, elle était décernée à titre posthume seulement aux morts au champ d’honneur. La décerner à Mélanie n’a pas de sens, sauf à considérer que la France est un champ de bataille.

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Mais elle rendait service à la nation, me dit-on. Alors donnons la Légion d’honneur à tous les professeurs, policiers, pompiers, juges et pourquoi pas aux pêcheurs et aux infirmières qui rendent aussi des services à la nation. Si on la décerne à Mélanie, ce n’est pas pour ses mérites mais parce qu’elle a été victime d’un crime odieux dans l’enceinte de l’école. Comme si être victime faisait de vous un héros. Les attentats de 2015 ont certainement tué des nigauds, des salauds et des pleutres, paix à leur âme. Le pogrom du 7-Octobre en Israël, aussi. On peut être victime parce qu’on a refusé de se laisser intimider, comme Samuel Paty, mais généralement, c’est parce qu’on appartient au mauvais groupe ou parce qu’on est au mauvais endroit au mauvais moment. Cela n’est pas une preuve de courage. Les participants du festival Nova dans le Sud d’Israël ne voulaient pas être le symbole de la barbarie djihadiste. Ils voulaient danser.

Consolation nationale

Mélanie semblait attirer l’amour. Juste quelqu’un de bien comme dit la chanson. Cette Légion d’honneur n’est pas un scandale mais une incongruité. Elle est révélatrice du sacre de la victime, d’un état d’esprit. Être victime devient un statut auquel tout le monde aspire ; des chiffres sont cités triomphalement (50 % des femmes victimes de ceci ou cela) ; et finalement un totem d’immunité contre la critique dans la vie publique.

Mélanie ne voulait pas être une victime, elle voulait vivre. Au lieu de nous donner bonne conscience avec une médaille posthume, on devrait plutôt essayer de comprendre comment nous avons collectivement échoué à la protéger.


Cette chronique a été diffusée sur Sud Radio

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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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