Dans les années 60, près de Limoges, et ailleurs en France, tout était plus lent. Et ce n’était pas plus mal, à en croire Laurent Bourdelas.

Certains écrivains s’attardent sur leur enfance meurtrie. C’est le cas d’Angelo Rinaldi, récemment disparu. On est ému en lisant La Dernière fête de l’Empire. D’autres romanciers, à l’instar de Malraux, tentent de la gommer. François Mauriac, péremptoire, déclare : « l’enfance est le tout d’une vie, puisqu’elle nous en donne la clef. » Je ne sais pas si Laurent Bourdelas partage cet avis, mais il signe un livre mélancolique et touchant qu’il résume par le titre : Mémoires d’un garçon des années 1960. À la fin de son récit, il avoue : « La ville dont il est question ici est Limoges, entre 1962 et 1975. Mais finalement, ce pourrait être n’importe quelle ville de France en ces années-là … » Même si Limoges est une ville qui tient une place importante dans mon existence, je confirme que ce livre qui pénètre l’humus de l’enfance ne laissera indifférent personne. Au « je me souviens », on y associe le « ça me rappelle ».
Le bon temps ?
Quand l’auteur évoque certains objets, immédiatement, notre mémoire, cette gelée mystérieuse, délivre quelques moments qu’on croyait à tout jamais disparus. Extrait : « Pour les garçons que nous étions – l’école n’était pas mixte – les voitures étaient souvent un sujet de conversation, depuis les Dinky Toys jusqu’aux aventures de Michel Vaillant ou de Steve McQueen dans le film Le Mans. » Plus en amont de sa jeune existence, Laurent Bourdelas, écrivain, photographe, poète, se souvient du goûter composé de BN et de chocolat chaud. Il scandait alors en compagnie de quelques camarades « Pompidou des sous ! » sous le regard amusé des adultes. Les parents de Laurent habitaient un appartement situé près de la cathédrale et sa chambre, « un petit paradis », était remplie de jouets et de livres. Internet n’existait pas, il n’y avait que deux chaines de télévision, la lecture était la principale source d’évasion. La radio distillait ses mauvaises nouvelles, mais elles ne parasitaient pas l’univers des rêveries – on pouvait rêver en ce temps-là – et les prés offraient, le soir, la plus belle des récompenses : l’insouciance anxieuse. C’était le bon temps ? Pas certain, mais c’était le temps de la découverte, et ça, c’était magique.
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Laurent Bourdelas parle longuement de son père, cheminot. Il évoque les machines à vapeur, les luttes sociales, la mort de Charles de Gaulle, et tant d’autres souvenirs, en écoutant Michel Delpech, Joe Dassin ou encore Les élucubrations d’Antoine. Son récit a la saveur du pain d’épice et la douceur des baignades dans la Vézère, l’été. Quelques photographies du père illustrent le récit. La télévision joue un rôle pédagogique avec des émissions de qualité, comme « La vie des animaux », de Frédéric Rossif, ou la série « Les Rois maudits ». Sans oublier « Apostrophe », le fameux salon littéraire du vendredi soir, animé par Bernard Pivot. Il y a aussi les premières vacances au bord de la mer, les voyages en train, dans les compartiments avec photos en noir et blanc, et rideaux qui flottent au vent. « Ne pas se pencher au dehors, e pericoloso sporgersi. » Ne me dites pas que ça ne vous rappelle rien…
On n’envoie plus de cartes postales
Bourdelas évoque également les maquis du Limousin. Le claquement sec des armes y résonne encore, sur la place du village, devant le monument aux morts. Il faut rendre hommage à ces femmes et ces hommes qui surent dire non à l’occupant nazi. Bourdelas : « Et puis il y avait le Reggiane 2002, l’avion allemand qui s’était crashé dans la campagne alentour, fixé sur un socle de pierre, qui m’impressionnait beaucoup. Mon père tentait de m’expliquer la guerre, mais j’étais trop petit. » Transmettre les valeurs qui ont sauvé la France du déshonneur, ce n’est pas rien.
Et puis c’était le temps des cartes postales. Tout était plus lent, et parfois ce n’était pas plus mal. Le temps de guetter le facteur au bout du chemin. Le temps de vivre au rythme des saisons, attentif à la nature, à ses signes, à son silence. Malgré la spectaculaire métamorphose de notre société, il demeure quelques précieux souvenirs auxquels il faut s’accrocher. Ils préservent l’essence de la vie.
Comme l’écrit si délicatement Angelo Rinaldi dans La Dernière fête de l’Empire : « c’est ainsi qu’un jour par hasard, nous nous rappelons tant de visages, tant de choses, mais il n’y a plus personne pour se souvenir de nous, et nous sommes encore vivants. »
Laurent Bourdelas, Mémoires d’un garçon des années 1960, Les Moissons. 192 pages