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Le G7 2025 atteint des sommets au Canada

À Kananaskis, en Alberta, tous les yeux étaient rivés sur sa Majesté orange, Donald Trump.


En vérité, je vous le dis, si vous avez de la foi, même petite comme un grain de moutarde, vous direz à cette montagne : “Transporte-toi d’ici là !”, et elle se transportera. Rien ne vous sera impossible.
Matthieu 17:20-21

La montagne ne mène que vers ses hauteurs ; arrivés à sa cime, elle se transforme en précipice.
Anise Koltz.


Le cadre est magnifique. Kananaskis, en Alberta, province productrice d’un des pétroles les plus sales au monde. Station balnéaire des montagnes rocheuses opportunément épargnée par un des nombreux feux de forêt qui ravagent l’ouest canadien avec de l’avance sur le calendrier. Un sommet élevé, censé élever.

La présidence en était assurée par le premier ministre canadien, Mark Caney, qui, depuis sa prise du pouvoir, et même avant, avait su courtiser le président américain tout en exprimant humblement son refus de devenir le simple proconsul du 51e état américain; il y a d’ailleurs eu des discussions préalables et parallèles au sommet entre Carney et Trump au sujet des droits de douane. A suivre dans 30 jours, mais l’on peut tenir pour acquis que le ministre Dominic Leblanc, qui exsude l’iode, a su plaider la cause du homard acadien avec force.

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Comme l’on pouvait s’y attendre, Trump, qui a quitté le sommet avant sa conclusion, a encore soutenu, à bord de Air Force One, que devenir le 51e état aurait été la formule idéale pour le Canada, notamment parce qu’il ferait l’économie de 61 milliards $ au titre de la contribution au programme militaire « Dome doré » (oui, après réflexion, le commandant en chef de l’armée américaine a accordé une petite ristourne amicale car il avait auparavant évoqué 71 milliards $). Le seul hic est que les avantages de ce parapluie spatial ne sont pas totalement évidents (tant pour les Etats-Unis que le Canada) vu que les spécialistes y voient plutôt un mirage technologique, sur le plan de l’efficacité, du calendrier, et du coût total (il faudrait sans doute multiplier par 10 le budget global annoncé de 175 milliards). Il s’agit essentellement d’une reprise de la chimérique « Guerre des étoiles » promue jadis par l’ex-acteur de série B, Ronald « The Gipper » Reagan (d’ailleurs le véritable père du slogan « Make America Great Again), dont les plans ont fini dans un tiroir. Ce fut une étoile filante. Mais, parlant de doré, l’industrie militaire donatrice à la caisse électorale républicaine peut compter sur des retombées astronomiques du remake concocté par Trump.

Carney a eu recours aux services de la chanteuse québécoise Charlotte Cardin pour divertir les invités, mais, manifestement, ses cordes vocales et vocalises n’ont pas convaincu le président américain de renoncer à ses velléités annexionistes, encore qu’il reconnaît magnanimement aux Canadiens le droit de choisir leur destin.

A noter aussi la présence de l’Inde, explicable et expliquée par son immense poids économique; on peut supposer que, pour maintenir la bonne ambiance, Carney n’a pas jugé bon d’évoquer devant le Premier ministre Modi, suprémaciste hindouiste et infatigable (pour)chasseur de musulmans, les assassinats politiques de Sikhs perpétrés sur le sol canadien que de mauvaises langues lui attribuent. (On s’est sans doute inspiré de la réhabilitation de Mohamed Ben Salman, qui n’avait rien, mais vraiment rien à voir avec le traquenard et l’élimination avec extrême préjudice de Jamal Khashoggi dans le consulat saoudien à Istanbul, commis par de méprisables électrons libres, cela va de soi). D’ailleurs, au pays du Mahatma Gandhi, on n’a pas exactement la conception canadienne du multiculturalisme, notamment en matière d’« accommodements raisonnables ».

Pour les autres pays de passage, l’idée était évidemment de présenter, avec une génuflexion, leurs suppliques économiques au cours de l’audience quasi-papale gracieusement accordée par Sa Majesté orange. Ils comptaient défiler chacun leur tour; « au suivant » aurait dit Jacques Brel, mais le départ précipité de Trump a bouleversé ces plans.

Trump a commencé par critiquer le cercle trop restreint de ce sommet, trop européen à son goût, auquel aurait dû être conviée la Sainte Russie poutinesque, exclue à tort, selon lui, par Barack Obama et l’insipide Justin Trudeau; sauf que cette mesure fut prise par le très conservateur Premier ministre Stephen Harper, mais, peu importe, l’occasion était encore trop belle pour railler le roi du surf des neiges déchu.

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L’histoire se répète souvent, pas toujours pour les mêmes causes. Le propriétaire de Truth Social a quitté précipitamment le sommet dit économique. Il a pu prendre le président français pour tête de Turc supplémentaire, même si c’est un « chic type » (« nice guy » en v.o.) : « Emmanuel se trompe toujours », dixit Trump… L’époux de Brigitte, qui avait eu l’outrecuidance de visiter auparavant le Groenland, avait attribué le départ prématuré de Trump à sa volonté d’œuvrer sur un cessez-le-feu entre Israël et l’Iran. Que diantre, le président américain a démenti en revendiquant de bien plus hautes ambitions. Sans oublier que le Canada est « une grande nation souveraine » selon l’imprudente déclaration de l’occupant de l’Élysée.

Parlant de mastodontes hirsutes et impulsifs, absents du sommet, il y a aussi le grizzli. Toutes les mesures de sécurité avaient été prises afin d’éviter l’intrusion d’un de ces féroces Ursus horribilis (barrières de sécurité, destruction des arbres fruitiers constituant leur source de nourriture…).

En conclusion, des instructives déclarations de bonnes intentions. Pas un mot sur l’Ukraine. Mais unanimité quant à l’inacceptabilité de la bombe nucléaire iranienne. Le monde y voit déjà plus clair. Un succès confirmé par le président Macron.

Ce sommet a permis aux Etats concernés de redescendre dans leur vallée. Qu’elle est verte!

Absents pour cause d’Aïd?

Vivre-ensemble. Dans la riante bourgade de La Courneuve (93), un directeur d’école affiche la liste des professeurs absents pour cause de fête de l’Aïd (!), puis se voit reprocher de les avoir mis en danger. Le député islamo-gauchiste de la circonscription, le lfiste Aly Diouara se plaint au rectorat et saisit la justice.


Titre du Parisien : « Le directeur affiche le nom des enseignants absents pour l’Aïd1 ». Le 5 juin, la veille de cette fête musulmane, développe ensuite le quotidien, « le directeur de l’école élémentaire Angela-Davis, à la Courneuve, a apposé sur la devanture de son établissement une affiche manuscrite listant, avec leur nom, les huit enseignants absents le lendemain. Problème : il a indiqué que ces absences étaient liées à un motif religieux. » De plus sous la référence Fête religieuse, figure entre-parenthèses cette drôle de précision : « Débarquement de Normandie en 1944. » Allusion plutôt alambiquée à l’épopée libératrice de la France occupée par les nazis.

Exaspération

On a beau comprendre l’exaspération qui peut gagner parfois les cadres de certains établissements scolaires en butte au climat ambiant qui y règne, on aurait beaucoup de mal à regarder l’initiative de ce directeur comme particulièrement bien venue, habile, intelligente, subtile. On ne voit pas non plus où se nicherait son efficacité par rapport à un objectif qui, d’ailleurs, n’apparaît pas beaucoup plus clair.

En réalité, par cette affiche, pour le moins maladroite, le responsable n’a fait que remettre un jeton dans le bastringue. Aussitôt, la « résistance » s’est mise en ordre de marche, bombardant à l’envi la sphère médiatique de ses éléments de langage habituels. Un vrai florilège, vous dis-je.

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Montrant une louable unité, les syndicats du premier degré de Seine-Saint-Denis ont diffusé un communiqué commun pour dénoncer, nous révèle Le Parisien, « une mise en danger de leurs collègues. »

L’ « islamophobie » frappe encore

Et pourquoi seraient-ils mis en danger, ces collègues ? La co-secrétaire départementale du Snuipp-FSU nous éclaire : « On est quand même dans un contexte où l’on voit du terrorisme d’extrême droite, où l’islamophobie est un élément qui revient régulièrement », déclare-t-elle.

Et voilà donc, mine de rien, le terrorisme d’extrême droite institué fléau suprême, voire exclusif, de la nation. Nation, de ce fait en danger. D’ailleurs, chacun est à même de constater, comme moi, que les caniveaux de nos villes, les ruisselets de nos villages ne cessent de charrier à fort régime le sang des victimes de ce terrorisme d’extrême droite… De qui se moque-t-on ?

Puis, dans ce communiqué, nous apprend encore Le Parisien, l’intersyndicale, à propos de la mention « Débarquement de Normandie en 1944 », évoque « un parallèle douteux » qui « fait écho aux théories racistes, conspirationnistes, comme celle du grand remplacement, et participe à une banalisation inquiétante des discours islamophobes. »

Du côté de ladite entente syndicale, on n’allait tout de même pas passer à côté de l’occasion – si belle, si bien offerte sur un plateau – de reléguer une fois encore le thème du grand remplacement dans la fange des délires racistes et conspirationnistes.

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Occasion splendide en effet de saturer l’espace médiatique des poncifs et slogans que, bien évidemment, en Seine-Saint-Denis, nous serons appelés à retrouver en l’état, à la virgule près, dans les propos et les écrits des candidats teintés rouge cramoisi, si bien installés dans ces contrées électorales, lors des scrutins à venir… De ce point de vue, c’est autant d’engrangé d’ores et déjà dans leur besace.

Au fil de l’article, Le Parisien livre une information que pour ma part j’ignorais. « Ces absences pour motif religieux sont parfaitement courantes. Chaque année, un calendrier officiel rassemblant des fêtes juives, musulmanes, bouddhistes, arméniennes et orthodoxes est mis en ligne. Chaque personnel peut ensuite faire une demande d’absence pour les jours qui concernent sa religion. » Les fêtes chrétiennes – autres qu’orthodoxes – n’ont pas à figurer là en raison des jours fériés qui leur correspondent, état de fait qui, d’ailleurs, me semble devoir être considéré comme la preuve absolue de leur suprématie historique, culturelle, spirituelle. Suprématie que, même dans une approche strictement laïque, il serait bien malhonnête de ne pas reconnaître. Or, on en est loin. Passons…

On me pardonnera un clin d’œil personnel. De joyeux compagnons ayant créé voilà trois ou quatre décennies la secte – dormante, très dormante – des Adorateurs de l’Oignon, j’ai une pensée attristée en constatant que l’Éducation nationale va jusqu’à censurer leur calendrier de célébrations. Probablement doit-on voir là la marque d’une oignonphobie d’atmosphère qui n’augure rien de bon.

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  1. https://www.leparisien.fr/seine-saint-denis-93/un-directeur-decole-affiche-le-nom-de-huit-enseignants-absents-pour-laid-tolle-general-a-la-courneuve-17-06-2025-3SUSAHH2ZZCFDJ72JJUEI3SCCU.php ↩︎

Guerre en Iran: néogaullisme et cynisme éclairé

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En s’attaquant au programme nucléaire iranien, Israël a lancé une guerre « préventive » en bafouant le droit international, s’indignent ses adversaires. Mais non, Monsieur de Villepin, le général De Gaulle ne pensait pas que les grands principes passaient avant les intérêts vitaux des nations. Démonstration.


Dans le débat français autour de la guerre en Iran, deux écoles critiques se dessinent. D’un côté, une gauche mélenchoniste pour laquelle l’anti-israélisme constitue un ciment stratégique ; de l’autre, les villepino-gaulliens. Ce second courant est particulièrement intéressant. D’abord parce que ses arguments sont souvent solides, et ses craintes « quelle est la suite ? », « souvenez-vous de la Libye, de l’Irak et de l’Afghanistan » fondées – quoique, le 18 juin 40, qu’aurait fait de Gaulle avec de tels conseillers, prudents comme des banquiers ?

Mais il y a autre chose. De Gérard Araud à Dominique de Villepin, une frustration affleure sous les analyses et l’inquiétude pour la paix du monde et l’avenir de nos enfants, quelle que soit leur religion. Car le paradoxe ou peut-être le comique de la situation actuelle, c’est que l’on peut aisément reconnaître, dans l’attitude israélienne face aux deux piliers de l’ordre mondial issu de 1945, l’ONU et le droit international, des relents, voire davantage, d’esprit gaulliste.

L’ONU, ce machin

Le général de Gaulle a toujours entretenu une relation ambivalente avec les institutions internationales, au premier rang desquelles l’Organisation des Nations unies. S’il ne rejeta jamais frontalement le droit international ni les instances qui l’incarnent, son approche fut néanmoins méfiante, sélective et profondément ancrée dans une conception westphalienne des relations interétatiques. L’ONU, selon lui, devait être un cadre, jamais un pouvoir ; le droit international, un outil, non une norme supérieure à la volonté des nations souveraines.

La plus célèbre formule du général sur l’ONU date du 10 septembre 1960. Interrogé sur le rôle de l’organisation dans la crise congolaise, il prononça cette phrase restée dans les annales: « L’Organisation des Nations unies ? Le machin ! ». Cette déclaration n’était pas l’expression fortuite d’un agacement passager. De Gaulle n’était pas Trump. Elle traduisait un jugement stratégique sur une institution perçue comme impuissante face aux grands enjeux de l’époque (guerre froide, décolonisation, prolifération nucléaire) et dominée par des rapports de force plus que par des principes universels. Pour lui, la paix ne pouvait être assurée que par l’équilibre entre puissances souveraines, non par une instance globale sans moyens ni volonté politique. Il appelait cela « le concert des nations », et redoutait que l’ONU devienne la proie de majorités fluctuantes de petits pays qui se croient les égaux des grands. D’où son attachement au droit de veto des cinq membres permanents du Conseil de sécurité. L’égalité n’a de sens et de pertinence que dans le cadre de l’État.

A lire aussi, du même auteur: Bombe iranienne: divergences entre militaires et renseignement aux États-Unis

Ce scepticisme s’accompagnait d’une critique implicite du droit international. Ce dernier devenait, à ses yeux, suspect dès lors qu’il prétendait se substituer à la décision politique,  c’est-à-dire à la décision du prince souverain. De Gaulle ne croyait pas à l’autonomie du droit : il considérait que les règles internationales ne sauraient primer sur la volonté d’un État légitime, surtout lorsque celui-ci agit au nom d’une certaine idée de la civilisation ou de l’intérêt national. Et cette conception s’applique a fortiori lorsque les intérêts vitaux sont en jeu.

Pour autant, de Gaulle ne s’affranchit pas totalement du droit international : il le mobilise lorsqu’il sert les intérêts français. On pourrait dire qu’il considérait le droit international comme Napoléon la religion : « une chose excellente pour le peuple ». La décolonisation en est la meilleure illustration. Dans ses discours sur l’autodétermination, notamment celui de Constantine en 1958, il invoque implicitement les principes onusiens du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. La résolution 1514 de l’ONU (1960), qui condamne le colonialisme, lui offre un cadre pour orchestrer une sortie ordonnée de l’Empire tout en préservant les intérêts français à long terme. L’indépendance devient ainsi un processus contrôlé par Paris, non imposé de l’extérieur.

Instrumentalisations, entorses…

Mais cette invocation du droit n’exclut ni son instrumentalisation opaque, ni certaines entorses calculées. L’exemple des essais nucléaires français en Algérie après 1962 illustre parfaitement cette tension. En mars 1962, les accords d’Évian, qui préparent l’indépendance algérienne, comportent des clauses secrètes ou ambiguës permettant à la France de conserver temporairement l’usage de certaines installations militaires sur le sol algérien. Parmi elles, le site saharien de Reggane, utilisé pour les essais nucléaires atmosphériques, puis celui d’In Ekker pour les essais souterrains.

Ainsi, bien après l’indépendance formelle de juillet 1962, la France procède à une série d’essais nucléaires sur le territoire d’un État souverain, sous couvert d’un « accord librement consenti ». Apres l’opération « Béryl » en mai 1962, treize autres ont suivi jusqu’en 1966. Ces activités contreviennent pourtant aux principes fondamentaux du droit international, notamment au respect de la souveraineté territoriale et au droit des populations à un environnement sain, d’autant plus qu’un accident grave provoqua une contamination radioactive importante[1].

Face à cette contradiction entre principes et pratique, la France gaullienne invoque la validité d’un traité bilatéral, mais refuse toute supervision internationale. Le primat du politique sur le juridique est ici flagrant : un accord, fût-il inégal, prévaut sur le droit coutumier ou sur les revendications morales.

Ce rejet d’une autorité supérieure, au nom de l’indépendance nationale, traverse toute la diplomatie gaullienne. Il s’exprime aussi dans la politique nucléaire française : en développant la dissuasion hors du cadre du Traité de non-prolifération (TNP, 1968), que la France ne ratifie qu’en 1992, de Gaulle affirme la légitimité des puissances à disposer librement de leur destin stratégique.

De même, lorsque la France quitte le commandement intégré de l’OTAN en 1966, il s’agit d’affirmer que la défense d’une nation ne saurait être déléguée à une organisation multilatérale, fût-elle alliée. L’ONU, l’OTAN, le TNP : toutes ces structures inspirent à de Gaulle une même suspicion, dès lors qu’elles risquent de limiter la liberté d’action nationale. Cette logique continue à inspirer ses héritiers, notamment Jacques Chirac, le mentor politique de Dominique de Villepin.

En 1976, la France signe avec l’Irak un accord de coopération nucléaire civile, qui aboutit à la livraison du réacteur Osirak, officiellement destiné à la recherche. Ce contrat, conclu avec le régime de Saddam Hussein, obéit à une logique diplomatique et commerciale : renforcer les liens avec le monde arabe, promouvoir l’industrie nucléaire française. Mais derrière cette façade légale, les autorités françaises savent que le réacteur offre à Bagdad un accès potentiel à l’arme nucléaire. Un rapport parlementaire évoquera plus tard un « cynisme éclairé ».

A lire ensuite, Gilles-William Goldnadel: Ardisson, Gaza, la pensée mondaine et ses effets débilitants

L’affaire Osirak illustre une tension classique de la diplomatie française : un attachement de façade au droit international, surtout lorsqu’il ne coûte rien, et une lucidité stratégique qui, parfois, frôle l’irresponsabilité. Car juridiquement, rien n’interdisait cette vente : l’Irak était signataire du TNP et le réacteur devait être sous contrôle de l’AIEA. Le droit était respecté, mais l’esprit était violé. Saddam Hussein ne cachait pas son hostilité envers Israël, ni son ambition stratégique dans un Moyen-Orient instable. Tout était aussi « clean » que le « librement consenti » de l’Algérie en 1962.

Le 7 juin 1981, l’armée israélienne lance l’opération Opéra, qui détruit Osirak avant sa mise en service. Pour Israël, il s’agit d’un acte de prévention stratégique. Pour la France, c’est une violation flagrante du droit international, commise sans mandat onusien et contre une installation civile d’un État souverain.

Paris condamne l’attaque, rappelle son ambassadeur, et le ministre Claude Cheysson (à peine installé au Quai après la victoire de Mitterrand) déclare : « Aucun pays ne peut se faire justice lui-même. » Mais cette indignation masque une gêne plus profonde : la France est à la fois concepteur du projet et victime de son échec. En dotant l’Irak d’une capacité nucléaire ambiguë, elle s’exposait à être contredite par ceux qui ne dissocient pas droit et légitimité.

Petite histoire et grande Histoire

Ironie de l’histoire : si Israël avait respecté le droit en 1981, Saddam Hussein, l’homme qui gazera les Kurdes, aurait peut-être possédé la bombe pendant sa guerre contre l’Iran. Autrement dit, Begin criminel, Sadam Hussein en revanche est « un ami personnel et ami de la France ».  Il n’y a qu’un pas à franchir pour dire qu’en détruisant Osirak, Israël a sauvé Khomeiny. Je le franchis allègrement. Donc : Osirak, c’est gentil, Opéra, c’est méchant !

Ce paradoxe éclaire une constante de la politique française : fidélité aux normes, même quand elles protègent des régimes toxiques, réprobation des actions unilatérales, même lorsqu’elles préviennent une catastrophe. Là où certains États revendiquent une doctrine d’exception au nom de la survie, la France maintient une doctrine de principe. Le monde, pense-t-elle, doit être régi par des règles, non par la force.

Mais cette position, moralement cohérente, est politiquement inconfortable. Elle expose la France à une diplomatie à deux vitesses : respect de la lettre du droit, au prix d’une myopie stratégique. Dans le cas d’Osirak, la légalité fut préservée, mais la prudence sacrifiée. Inversement, Israël viola le droit, mais interrompit un programme potentiellement catastrophique, pour Israël, pour l’Iran et la région. Merci qui ? certainement pas le droit international.

Et c’est peut-être là le vrai drame : le déclin de la France crée une situation où les dilemmes entre droit, morale et puissance deviennent de plus en plus rares. C’est le sort des petits pays : leurs mains sont propres parce qu’ils n’ont pas de mains.

Dès lors, pour les néo-gaullistes villepinistes, voir dans la politique israélienne d’aujourd’hui une forme de gaullisme stratégique agit comme un miroir cruel. Le dernier espoir devient alors l’échec d’Israël : ultime triomphe d’une position que la France, désormais, n’a plus les moyens d’incarner. On ne peut qu’espérer que la France retrouve sa grandeur et qu’à nouveau, elle soit en mesure de prendre des décisions moralement compliquées, la véritable marque de la puissance, l’équivalent des « problèmes de riches » en géopolitique. 


[1] Lire https://fr.wikipedia.org/wiki/B%C3%A9ryl_(essai_nucl%C3%A9aire) NDLR

Iran: face aux mollahs, cette France qui se débine

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Alors que le régime des mollahs pourrait vaciller, des figures politiques françaises de premier plan n’ont pas de mots assez durs contre l’État juif et s’enferment dans des postures. Par peur de déplaire à la «rue arabe»? Notre chroniqueur se désole de cette prédominance du «terrorisme intellectuel anti-Israël».


Où sont passées les précieuses ridicules ? En France, ces rebelles du show-biz se filmaient solennellement, en 2022, en train de se couper une mèche de leurs cheveux, symbole de leur soutien aux courageuses iraniennes refusant le voile islamique. Mais aujourd’hui, alors que la tyrannie des mollahs sexistes est à deux doigts de sombrer sous les coups d’Israël, ces féministes de salon de coiffure se gardent d’encourager le peuple oppressé à reprendre sa liberté. Une rhinocérite a gagné les guerrières mondaines. 

A lire aussi, Gil Mihaely: Guerre en Iran: néogaullisme et cynisme éclairé

Pensée molle et pensée mollah

Avec bien d’autres prétendus indignés, elles font la moue sur les méthodes de Benyamin Nétanyahou. Quand Clémentine Autain (extrême gauche) accuse Israël d’être « une menace pour le monde », jetant aux orties ses combats contre l’oppression machiste, l’extrême droite met les sous-titres en dénonçant le poids du « lobby » et en insultant ceux qui soutiennent l’État hébreu dans sa résistance à l’islamisme. Votre serviteur en fait, sur X, l’expérience depuis quelques jours : le terrorisme intellectuel anti-Israël qui s’y exprime est souvent porté, paradoxalement, par ceux qui dénonçaient naguère les discours obligés sur le Covid. En réalité, l’antisémitisme suinte dans les reproches portés à l’État paria, coupable de vouloir se protéger par la force d’un totalitarisme monstrueux. La pensée molle est devenue la pensée mollah1. Rien n’est plus convenu que d’injurier le Premier ministre israélien dans des termes employés par le régime des ayatollahs dingos qui rêvent depuis 1979 d’éliminer « l’entité sioniste génocidaire ».

À lire aussi : Le réveil des consciences

Emmanuel Macron, ombre tremblante, participe à la cabale. Sa faiblesse face à l’ennemi commun qu’est l’islam conquérant confirme son incapacité à mesurer les enjeux d’une histoire qui s’écrit en accéléré. Dans la guerre qui oppose la démocratie juive à la dictature apocalyptique, David est en train de vaincre Goliath. 

Macron pas sourd aux remontrances de la « rue arabe »

Or le chef de l’État se mélenchonise à vue d’œil sous la pression de la rue arabe en France, de son antisionisme présumé et de son poids électoral grandissant. Au Salon du Bourget, qui n’est pas le salon de la dentelle, Israël a été priée lundi par la France de bâcher2 ses cinq stands au prétexte qu’ils exposaient des armes offensives. Les indésirables ont écrit en gros, en guise d’explication (et en anglais) : « Désolé. Nos héros sont en train de défendre le monde »

À lire aussi : La reconnaissance prématurée d’un État palestinien: un risque pour la paix et la stabilité

En fait, Macron fait tout pour accréditer l’idée paresseuse que Nétanyahou en fait trop, dans une fuite en avant répondant à ses intérêts personnels. Alors que le président attise les feux en Ukraine face à la Russie, il réclame, pour l’Iran, de la « retenue », un « cessez-le-feu » et un maintien de la mollarchie. Il explique : « Tous ceux qui croient qu’en frappant avec des bombes depuis l’extérieur on sauve un pays malgré lui-même et contre lui-même, se sont toujours trompés ». Les exemples de l’Irak ou de la Libye lui donnent raison. Mais l’Allemagne nazie et son allié japonais, convertis à la démocratie après des défaites militaires, disent l’inverse. Le peuple iranien semble majoritairement prêt à le démontrer. 
Donald Trump a écrit mardi sur son réseau social Truth Social : « Emmanuel se trompe toujours ». Bien vu.

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  1. Elisabeth Lévy : La gauche mollah (Causeur, 16 juin) ↩︎
  2. https://www.franceinfo.fr/monde/israel/salon-du-bourget-israel-annonce-que-son-pavillon-a-ete-ferme-et-denonce-une-decision-scandaleuse_7317057.html ↩︎

La guerre d’Ukraine en 16 millimètres


Peretjatko, avant de filmer l’Ukraine en guerre, commence par filmer la Russie en paix. Et avant de filmer la Russie en paix, il filme la petite caméra Bolex avec laquelle il a tourné, pour nous dire ceci, et c’est l’essentiel : le formatage d’un docu en 16mm n’est pas le même que celui d’un reportage effectué avec une caméra numérique. Peretjatko explique qu’il faut recharger la bobine de la Bolex, que la durée des prises est très limitée avec cet appareil, qu’on vous regarde comme un ovni vous servir encore d’un tel engin vintage… Bref, extrait de son lointain voyage d’avant-guerre en 2010 à bord du Transsibérien, le prologue baptisé « 5 minutes de Russie » n’a rien d’inconséquent. Car pour commencer, il installe la voix off d’Antonin Peretjatko, omniprésente dans l’heure qui suit : Andreï, l’ami du cinéaste, s’y fera le passeur du spectacle de l’Ukraine à l’orée de la guerre, en 2022, décrivant le contraste saisissant entre l’arrière et le front, montrant le calvaire intime de ces exilés de l’intérieur que sont les artistes… Une sorte de candeur bienveillante se dégage du propos, nimbé de motifs de Bach et de Beethoven, l’orgue et le piano s’offrant comme ponctuation d’un regard en rien assimilable à un reportage de guerre.

A lire aussi: Les plumes du paon

Le sens aigu du saugrenu, de la loufoquerie qui habitent de loin en loin les longs métrages de fiction d’Antonin Peretjatko – La Fille du 14 juillet (2013), La Loi de la jungle (2016), La Pièce rapportée (2020) – trouvent en quelque sorte ici leur contrepoint sur le mode mineur et le versant tragique, pour greffer sur le réel un grain doublement anachronique : celui d’une pellicule hors saison ; celui du commentaire rétrospectif sur ces périples effectués à neuf mois de distance l’un de l’autre, voici trois ans déjà. Godardien, dirait-on, par sa facture délibérément atypique, est ce voyage si intensément vécu, et qui jette par-dessus bords tous les attendus du genre.


Voyage au bord de la guerre. Documentaire d’Antonin Peretjatko. France, Ukraine, couleur, 2024. Durée : 1h02. En salles le 18 juin 2025.

La reconnaissance prématurée d’un État palestinien: un risque pour la paix et la stabilité

Officiellement, les frappes israéliennes en Iran ont conduit l’Élysée à repousser sine die la grande messe onusienne prévue ce 18 juin à New York, en présence du très influent prince héritier saoudien, Mohammed Ben Salman. Une rencontre au sommet durant laquelle Emmanuel Macron aurait pu franchir le Rubicon diplomatique en reconnaissant l’État palestinien. Officieusement, il s’agit sans doute d’un contretemps providentiel, tant cette conférence ressemblait à un exercice d’équilibrisme diplomatique périlleux sur le fil tendu du Proche-Orient. Reconnaitre un État dans lequel des otages israéliens sont toujours captifs serait une gifle pour Jérusalem.


Depuis le 7 octobre 2023, date de l’attaque brutale menée par le Hamas contre Israël, la question palestinienne a retrouvé une place centrale sur la scène internationale. Près de deux ans après cette tragédie, marquée par des actes de violence inouïe – viols, tortures, assassinats et enlèvements de plus de 1 400 Israéliens –, la France envisage de reconnaître unilatéralement un État palestinien. Bien que l’escalade actuelle entre l’Iran et Israël ait reporté la conférence sur ce sujet, le président Emmanuel Macron a redoublé d’efforts pour affirmer son intention de reconnaître un État palestinien. Une telle décision, portée par le président Emmanuel Macron, pourrait non seulement compromettre les perspectives de paix au Proche-Orient, mais également avoir des répercussions néfastes en France, en renforçant les mouvements islamistes radicaux. Cette démarche, bien qu’animée par des intentions diplomatiques, risque de récompenser la violence et d’affaiblir les chances d’une coexistence pacifique entre Israéliens et Palestiniens.

Nouvelle équation

L’attaque du 7 octobre 2023, orchestrée par le Hamas, visait à replacer la cause palestinienne au cœur des débats internationaux par un acte spectaculaire. Khalil al-Hayya, haut responsable du Hamas basé à Doha, l’a clairement expliqué au New York Times en novembre 2023 : « Il fallait changer l’équation tout entière, et pas seulement mener un affrontement. Nous avons réussi à remettre la question palestinienne sur la table, et aujourd’hui, personne dans la région ne connaît la tranquillité. » Selon lui, un « grand acte » était nécessaire pour empêcher la cause palestinienne de sombrer dans l’oubli. Malgré une légère baisse de popularité du Hamas en raison des souffrances causées par la guerre à Gaza, des sondages publiés en mai 2025 par le Centre palestinien pour la politique et les études montrent que le Hamas reste la faction la plus populaire. Près de la moitié des Palestiniens approuvent encore la décision du Hamas de lancer l’attaque du 7 octobre, et quatre Palestiniens sur cinq estiment que la « résistance armée » (c’est-à-dire le terrorisme) est le moyen le plus efficace pour obtenir un État. Face à cette réalité, une majorité écrasante d’Israéliens s’oppose désormais à la création d’un État palestinien, tandis que certains alliés traditionnels d’Israël, au lieu de condamner le terrorisme palestinien, ont choisi de sanctionner Israël, envoyant ainsi un message dangereux : la violence est une stratégie payante.

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Lors de l’effondrement de l’Union soviétique en 1990, la Communauté européenne avait établi des critères clairs pour la reconnaissance des nouveaux États d’Europe de l’Est. Ces critères incluaient le respect de l’État de droit, de la démocratie, des droits humains, des droits des minorités et de l’inviolabilité des frontières. Un État palestinien, dans les conditions actuelles, serait loin de répondre à ces exigences fondamentales. L’idéologie antisémite et djihadiste du Hamas est évidente, mais le rejet fervent de l’autodétermination juive et de l’État d’Israël est largement partagé au sein de la société palestinienne. Par le passé, les offres israéliennes de création d’un État palestinien ont échoué en raison du refus des dirigeants palestiniens de reconnaître les liens historiques des Juifs avec cette terre. En 2000, lors des négociations de Camp David, Yasser Arafat a stupéfié le président américain Bill Clinton en niant l’existence d’un temple juif à Jérusalem. En 2008, l’offre généreuse du Premier ministre israélien Ehud Olmert a été rejetée par Mahmoud Abbas, qui exigeait un « droit au retour » pour des millions de descendants des Arabes ayant fui la Palestine mandataire en 1948 – une revendication qui, en pratique, mettrait fin à la majorité juive en Israël. Même Benjamin Netanyahou, dans son discours de Bar-Ilan en 2009, avait accepté le principe d’un État palestinien, mais Abbas a refusé de négocier, déclarant qu’il ne reconnaîtrait jamais Israël comme un État juif.

Un État palestinien inenvisageable tant que la coexistence de deux peuples n’est pas entérinée

Tant le Fatah de Mahmoud Abbas que le Hamas considèrent les Juifs comme des envahisseurs coloniaux sans lien légitime avec la Palestine, comparant Israël à un royaume croisé voué à disparaître. Sans une réconciliation de la société palestinienne avec l’idée de coexister avec un État juif, un État palestinien deviendrait une plateforme pour une guerre perpétuelle. L’attaque du 7 octobre s’inscrivait dans une vision revancharde visant à inverser la défaite palestinienne de 1948. Reconnaître un État palestinien sans exiger de concessions de la part des Palestiniens ne ferait que renforcer leurs positions maximalistes.

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Les conséquences d’une reconnaissance prématurée par la France ne se limiteraient pas à la région du Proche-Orient. Selon des rapports récents du ministère français de l’Intérieur, la confrérie des Frères musulmans représente une menace pour la stabilité et la cohésion de la République. Certains suggèrent que la reconnaissance d’un État palestinien pourrait apaiser les électeurs musulmans et affaiblir l’attrait des Frères musulmans. Or, le Hamas est précisément la branche palestinienne de cette confrérie. Ali al-Qaradaghi, éminent érudit de l’Union internationale des savants musulmans, affiliée aux Frères musulmans, a émis une fatwa appelant tous les musulmans à mener un « djihad » contre Israël. Son prédécesseur, Yusuf al-Qaradawi, considérait la Palestine comme « la cause de chaque musulman ». En validant la stratégie du Hamas, la France risque de renforcer les forces islamistes radicales sur son propre territoire, augmentant ainsi l’influence des Frères musulmans.

La reconnaissance unilatérale d’un État palestinien par la France, bien que motivée par un désir de justice, risque de produire l’effet inverse de celui escompté. En récompensant la violence du Hamas, elle enverrait un message désastreux : le terrorisme est une voie légitime vers la reconnaissance internationale. Plutôt que de précipiter une décision symbolique, la France devrait exiger des réformes profondes au sein de la société palestinienne, notamment l’acceptation de l’existence d’Israël comme État juif et le rejet de la violence comme outil politique. Ce n’est qu’en posant ces conditions que la France pourra contribuer à une paix durable au Proche-Orient tout en préservant la cohésion et la sécurité de sa propre société. La voie vers la paix passe par la responsabilité, non par des gestes hâtifs qui risquent d’alimenter les extrémismes.

Ils viennent jusque dans nos campagnes

L’islam politique tend d’abord sa toile au niveau local. Pour consolider leur base électorale, des élus municipaux cèdent au clientélisme communautaire. Ces voix se monnaient en échange d’avantages divers, de places au cabinet du maire, jusqu’à laisser les islamistes imposer leurs normes.


Vous connaissez Molenbeek, riante commune de l’agglomération bruxelloise, où le contrôle social des islamistes sur la population est acté grâce à leur alliance avec la gauche ? Si ce quartier est si célèbre, c’est parce qu’il a été la base arrière de l’attentat du 13-Novembre à Paris et qu’il a fait découvrir l’ampleur de la mainmise des Frères musulmans dans le système politique, administratif, judiciaire et universitaire belge. Au point que plus personne ne sourcille quand certains parlent de Belgistan.

Or à Molenbeek, l’appropriation territoriale s’est faite d’abord par le bas. C’est précisément la méthode que dénonce le rapport « Frères musulmans et islamisme politique en France », qui affirme que, « d’ici une dizaine d’années, certaines municipalités seront à la main d’islamistes, comme en Belgique. » C’est dire si les élections municipales qui s’annoncent en 2026 nécessiteront une attention accrue de la part des renseignements territoriaux.

C’est en effet l’un des principaux enseignements du rapport : la diffusion de l’islamisme se joue surtout au niveau local « autour d’une mosquée, offrant généralement des cours d’éducation coranique […], comprenant souvent des associations caritatives, culturelles, qui voisinent parfois avec des commerces communautaires ou des activités sportives distinctes de la mosquée, avant d’investir le champ de l’enseignement privé. » Un environnement construit par des militants aguerris qui se retrouvent très vite en position de négocier avec les élus municipaux pour imposer leurs normes dans le cadre d’une relation clientéliste. C’est de cette façon que, petit à petit, « des normes sociales s’imposent (voile, barbe, vêtements couvrants, respect du jeûne du ramadan) », comme l’écrivent les auteurs.

Un clientélisme islamique peu coûteux

La crise démocratique contemporaine rend du reste de plus en plus rentable pour les islamistes, le marché consistant à échanger leurs votes contre de l’influence territoriale et politique. Quand seuls 25 à 40 % des citoyens en droit de voter participent au scrutin, des villes de 50 000 habitants peuvent basculer grâce à l’apport de quelques centaines de voix.

Il faut dire que pour un élu, le clientélisme islamiste peut sembler, dans un premier temps, peu coûteux : votez pour moi et en échange je prête une salle, j’autorise l’ouverture d’un magasin communautaire, je subventionne une association d’aide aux devoirs et à l’insertion, et bien sûr je nomme deux ou trois représentants islamistes, parmi les plus habiles en stock, dans mon équipe municipale, voire au sein de mon cabinet du maire ou dans une direction technique de la Ville. Les services jeunesse, association, éducation, animation ou même le social représentent de bons incubateurs pour cela. Le rapport décrit le phénomène en ces termes : « L’augmentation importante de l’influence municipale gagnée ces dernières années par les islamistes laisse présager le passage d’une gestion électorale de la communauté, au moyen duquel certains élus locaux consolidaient leur base électorale contre avantages, à des alliances plus étroites pouvant notamment comprendre l’incorporation d’islamistes à des positions importantes sur les listes électorales ou dans les cabinets d’élus. »

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Les auteurs se penchent même sur un cas d’école : la ville de Colombes, emblématique de cette démarche d’islamisation.

L’histoire commence quand, en 2014, la mairie socialiste de cette commune des Hauts-de-Seine est sollicitée par un converti islamiste, qui obtient une salle municipale pour une association. Ladite salle est très vite soupçonnée d’être un lieu de prière. Mais la même année, lors des élections municipales, la ville change de bord. La nouvelle maire, une LR moins naïve que son prédécesseur PS, ferme la salle de prière clandestine et annule la cession à titre gracieux d’un terrain qui avait été promis pour la création d’une école soi-disant Montessori, mais en réalité islamiste et coranique. Face à cette hostilité, l’association MUSC (Musulmans de Colombes) demande à la gauche locale de l’aider à récupérer son pouvoir et son influence en échange de ses voix lors du prochain suffrage. Patrick Chaimovitch, un écologiste, se porte volontaire. Et ça marche ! Stéphane Tchouan, le président de l’association, réussit à mobiliser les quartiers à majorité arabo-musulmane de sorte qu’en 2020, l’écologiste est élu. Et qui nomme-t-il directeur de cabinet ? Le président de l’association MUSC, Stéphane Tchouan… 

« Nécessité fait souvent loi« 

S’il y a peu de doute quant à la volonté des Frères musulmans de monter en puissance dans les municipalités, les coucous islamistes iront donc probablement, à l’image de Colombes, pondre leurs œufs à l’intérieur des listes des partis classiques. Un célèbre connaisseur de la carte électorale que nous avons interrogé, mais qui veut garder l’anonymat, risque ce pronostic : « Il y aura des listes qui afficheront clairement leur orientation religieuse, d’autres qui la dissimuleront sous l’appellation “liste citoyenne”. Mais dans l’ensemble, la progression de la représentation islamiste se fera par une présence des leaders communautaires sur les listes des formations traditionnelles. Elle sera encore renforcée à gauche par l’entrisme local dans les partis, et surtout par la dynamique de l’alliance LFI-islamiste qui affaiblit les autres succursales. »

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Je lui fais toutefois remarquer que le clientélisme islamiste se porte aussi au centre, en particulier à l’UDI, avec des élus comme Jean-Christophe Lagarde à Drancy (Seine-Saint-Denis), Bruno Beschizza à Aulnay-sous-Bois (idem) ou Julien Polat à Voiron (Isère). « C’est vrai, convient-il, mais peu se risquent à cela à droite car un clientélisme si voyant risque de tuer leurs ambitions nationales. Toutefois, localement, nécessité fait souvent loi. Lorsque votre place, donc votre avenir, dépend d’abord du renouvellement de vos alliances, vous êtes moins regardant. Et puis on finit toujours par pardonner aux vainqueurs en politique. »

Quoi qu’il en soit, une seule conclusion s’impose, le vote islamiste est devenu un vote communautariste puissant, qui rapporte gros dans certaines enclaves. Il sera donc présent en 2026, et progressera mécaniquement et mathématiquement. Surtout avec un président à la fois ambigu et impuissant.

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«Kärcher»: 20 ans après

Passer le Kärcher dans les ghettos urbains ? Comment enfin transformer les paroles en actes, en faisant sauter les cinq verrous qui contraignent l’action publique. Une analyse du think tank Le Millénaire.


Il y a 20 ans, jour pour jour, Nicolas Sarkozy promettait de « nettoyer au Kärcher » la cité des 4 000 à La Courneuve. Cette formule a marqué un tournant dans la parole publique sur la question des territoires perdus de la République pour reprendre l’expression de Georges Bensoussan. Seulement, 20 ans plus tard, rien n’a changé. Ou plutôt, tout a empiré. Les ghettos se sont durcis, les réseaux criminels se sont consolidés, et les violences se sont banalisées. Le Kärcher n’a jamais été sorti du garage.

Du Kärcher à la pommade : 20 ans de renoncement

Le terme « Kärcher » est devenu le symbole de l’impuissance publique alors qu’il proclamait paradoxalement l’inverse. Répété sans cesse et sans suite, même par des figures de droite modérée comme Valérie Pécresse, il ne fait plus peur à personne. Pas même à ceux qu’il visait. En effet, tous les indicateurs d’insécurité et de criminalité sont dans le rouge. Un exemple : le taux d’agressions graves par année pour 100 000 habitants, bien meilleur indicateur que le taux d’homicides car plus représentatif de la violence, a augmenté de 160%, passant de 241 actes de violences pour 100 000 habitants en 2005, à 628 pour 100 000 habitants en 2023. Le « Kärcher » est devenu une métaphore inopérante, révélatrice de l’impuissance d’un pouvoir politique, incapable d’assumer ce qu’il proclame.

Et pour cause, en lieu et place du Kärcher, on a versé de la pommade dans les quartiers « sensibles ». Deux logiques aussi néfastes l’une que l’autre ont dominé l’action publique. 

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D’une part, la logique de l’apaisement, qui recule devant chaque flambée de violence pour « ne pas faire de vague », et qui excuse systématiquement le délinquant par la précarité, le racisme, la victimisation et les supposées « violences policières ». D’autre part, il s’agit d’une logique d’infantilisation politique, selon laquelle les fauteurs de troubles ne sont jamais responsables mais toujours « discriminés », « stéréotypés » et maintenant « racisés ». En d’autres termes : le Kärcher est resté une menace rhétorique. Et la pommade est devenue une stratégie.

Une combinaison de verrous qui empêche toute reconquête

Cinq verrous majeurs ont neutralisé l’action de l’État et désarmé la République.

Le droit pénal (verrou n°1), dans sa philosophie actuelle, est inadapté aux évolutions des quartiers. Centré sur l’individualisation des peines et la réinsertion, il est incapable de répondre à la violence de masse, à la délinquance de bande ou à la criminalité organisée. Il en résulte un décrochage entre la norme juridique et l’attente sociale de sécurité et de justice qui se symbolise par un écart de plus en plus important constaté entre la peine encourue, la peine prononcée par le juge et enfin la peine réellement effectuée par le délinquant.

Les trois autres verrous ont créé une situation d’impuissance spécifique aux quartiers. Le narcotrafic (verrou n°2) a corrompu le tissu local. Dans de nombreuses cités, le trafic de stupéfiants constitue une économie parallèle, estimée entre 3 à 6 milliards d’euros annuels selon l’OFDT. Ce système, générant des violences endémiques constitue une forme d’intégration locale, là où l’école, l’entreprise ou la puissance publique ont échoué. De surcroît, la décentralisation (verrou n°3), mal structurée, a complexifié l’action publique jusqu’à l’inertie tout en donnant des pouvoirs à des élus locaux parfois tentés d’acheter la paix sociale. Or, au-delà de la rénovation urbaine ou des millions déversés sur le social, la politique de la ville est un immense guichet aux associations (verrou n°4). Résultat, personne n’a intérêt à passer le Kärcher : ni les narcotrafiquants, ni certains élus, ni certaines associations. 

Enfin et non des moindres, la pression médiatique (verrou n°5) et la peur politique paralysent l’action publique. Toute parole ferme est taxée de « stigmatisante », toute décision répressive dénoncée comme « discriminatoire ». Cette situation explique pourquoi lorsque le président Macron doit affronter les gilets Jaunes, il parle de « Gaulois réfractaires », mais qu’il appelle immédiatement à l’apaisement face aux émeutes urbaines de l’été 2023.

Débordements en marge d’une manifestation à Nanterre suite à la mort de Naël, 29 juin 2023 © ISA HARSIN/SIPA

Comment passer (enfin) le Kärcher ?

Face à la gravité de la situation, il est urgent de sortir du symbolique pour passer à l’action. Le Kärcher ne doit plus être un mot, mais une méthode. Cette méthode reposerait sur trois piliers fondamentaux visant à libérer l’action publique de ces verrous qui la paralysent. 

Premièrement, il faut mettre en place une série de mesures permettant de dessiner les contours d’un régime juridique républicain d’exception compte tenu de la situation. Ainsi, il faut supprimer l’article 723-15 du Code de procédure pénale, qui impose ces aménagements pour les peines inférieures à un an, et instaurer des peines planchers obligatoires avec un minimum de trois ans de prison pour les violences contre les forces de l’ordre, les trafics de stupéfiants ou les émeutes. Dans les zones à reconquérir, aucune remise de peine ne devrait être possible pour des délits commis en bande. Toute récidive dans les cinq ans devrait automatiquement entraîner un doublement de la peine minimale. À ces mesures s’ajoute l’urgence de moderniser l’appareil judiciaire : élargissement des comparutions immédiates aux mineurs, réduction des délais à moins de 72 heures pour les faits graves commis en contexte de troubles collectifs, et création d’un statut pénal spécifique pour les territoires les plus sensibles. Et pour restaurer la confiance, un rapport annuel sur l’application effective des peines devra être présenté et débattu au Parlement, afin que les Français sachent si la justice passe réellement.

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Deuxièmement, l’échec patent de la politique de la ville impose un changement de doctrine immédiat : fini la distribution de subventions sans évaluation ni contrôle pour acheter la paix sociale ! Il faut donc geler toutes les subventions associatives dont l’efficacité n’est pas démontrée, mettre fin au saupoudrage clientéliste de fonds publics, et interdire strictement le financement d’associations à risque, notamment celles qui entretiennent des logiques communautaristes ou se montrent ambigües sur les principes de la République. Cela passe par une renationalisation de la politique de la ville.

Enfin, il faut offrir un nouvel horizon à la reconquête. Elle ne sera possible que si les citoyens ont confiance dans l’action publique. C’est pourquoi, il faut déclarer une véritable « War on drugs » à la française, avec un plan d’action national pour démanteler les réseaux et prévenir toute forme d’infiltration dans les institutions. Surtout, il faut protéger ceux qui organiseront concrètement la reconquête, à savoir les policiers, les préfets, les professeurs, les magistrats et les maires. Trop souvent isolés, exposés à la pression médiatique ou à la peur des représailles, ils doivent savoir que l’État est de leur côté, sans ambiguïté, par l’octroi d’un statut de protection renforcée. 

La reconquête ne pourra se faire sans prendre des risques. La France ne manque ni de lois, ni d’argent, ni d’hommes. Elle manque de courage. « Passer enfin le Kärcher » comporte des risques et des coûts mais produira des bénéfices bien plus grands : le retour de la paix civile pour tous et la réconciliation de toutes les France car aujourd’hui une France révoltée, celle des gilets Jaunes, n’a le droit à rien en comparaison des quartiers à qui l’on donne tout.  


Maxime Kindroz, Analyste au Millénaire, co-auteur de la note « Comment passer le Kärcher ? » 

Matthieu Hocque, Directeur adjoint des Études du Millénaire, spécialiste en politiques publiques, co-auteur de la note « Comment passer le Kärcher ? 

Les plumes du paon


Au cœur de l’Autriche urbaine, opulente et aseptisée de 2025, Matthias, bel et blond germain bien peigné et court moustachu, partage avec Sofia, sa jeune compagne, un confortable appartement high tech ultra-connecté.

Sur le site de l’agence « « My Companion » dont il est manifestement l’élément moteur, le garçon peut se targuer d’excellents « retours clientèle ». Profession ? Louer ses services (platoniques) de comédien pour arrondir les angles, sur commande : passer pour l’ami idéalement cultivé au sortir d’un concert ultra-mondain de musique expérimentale, ou pour le fils modèle d’un financier lors d’un dîner de gala que ce dernier préside avec sa femme. Ou encore coacher une épouse tétanisée par son vieux mari, mais désireuse de reprendre le dessus sans trop savoir comment s’y prendre. Matthias endosse ses emplois successifs avec une plasticité remarquable. Jusqu’à ne plus être personne à force de se prendre à son propre jeu : son couple ne résiste pas à cette déréalisation schizophrène…

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Premier long métrage de Bernhard Wenger, 32 ans, natif de Salzbourg et établi à Vienne, Peacock (« paon » en français) privilégie le plan fixe et joue assez habilement du hors champ ou de la séquence saugrenue, incrustant une bande-son millimétrée dans un montage découpé au scalpel. Grinçante, décalée, portée par le jeu très construit d’Albrecht Schuch dans le rôle du bellâtre qui fait la roue, la comédie acide vire graduellement au noir.  

Si l’intention du film est exagérément transparente – critiquer la tyrannie de l’apparence, l’invasion du virtuel qui lamine le réel… – on savoure l’exercice de style.


Peacock. Film de Bernhard Wenger. Avec Albrecht Schuch, Julian Franz Richter…  Autriche, couleur, 2024. Durée : 1h42

En salles le 18 juin 2025.  

Bombe iranienne: divergences entre militaires et renseignement aux États-Unis

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En atteignant un enrichissement de l’uranium à 60 %, l’Iran s’est retrouvé dans une position de puissance nucléaire du seuil : capable d’aller jusqu’au bout en cas de crise aiguë, tout en maintenant une ambiguïté suffisante pour préserver une certaine marge de manœuvre diplomatique, explique Gil Mihaely. Les analyses divergentes de la CIA, des militaires américains ou israéliens sur l’urgence d’une intervention préventive contre l’Iran ne sont contradictoires qu’en apparence.


Selon plusieurs organes de presse, dont CNN et Reuters, un nouveau rapport du renseignement américain indique que l’Iran est encore à environ trois ans d’être en mesure de produire et de déployer une bombe nucléaire opérationnelle. Et donc,contrairement à l’évaluation alarmiste d’Israël, qui estime que Téhéran serait à quelques mois de l’arme nucléaire, les services de renseignement américains jugent ce scénario moins imminent, mentionnant un délai de l’ordre de plusieurs années.Mélenchon a donc raison ? Pas nécessairement voire pas du tout. 

Le 10 juin 2025, le général Michael “Erik” Kurilla, commandant du Centcom[1], déclarait devant le Congrès que l’Iran pourrait produire suffisamment de matière fissile pour une bombe nucléaire en moins de deux semaines. Cette déclaration choc, loin d’être isolée, s’inscrit dans une stratégie d’alerte visant à préparer l’opinion publique et les décideurs à un éventuel recours à la force contre la République islamique. Mais elle contraste sensiblement avec les analyses les plus récentes de la CIA et de la communauté du renseignement américain, qui affirment, dans leur rapport annuel publié en mars, que Téhéran n’a pas repris à ce jour son programme d’armement nucléaire.

Faut-il y voir une contradiction, une divergence d’appréciation, ou simplement deux angles de lecture différents d’une même réalité stratégique ?

Le point de départ est factuel : selon l’AIEA, l’Iran possède aujourd’hui des stocks d’uranium enrichi à 60 % suffisants pour produire plusieurs bombes nucléaires. Or, le seuil d’enrichissement pour un usage militaire est de 90 %, mais la conversion de 60 % à 90 % est une étape techniquement rapide pour un État qui en aurait fait le choix politique.

La question de l’enrichissement

Depuis que l’Agence internationale de l’énergie atomique a confirmé que l’Iran possède des stocks d’uranium enrichi à 60 %, un chiffre revient de manière insistante dans les évaluations militaires : deux semaines. C’est le temps qu’il faudrait, selon les experts du Centcom, à la République islamique pour franchir la dernière marche menant au combustible d’une bombe nucléaire. Pourtant, dans le débat public, cette étape reste souvent floue, perçue comme une donnée technique parmi d’autres. Or, c’est précisément dans ce passage, entre 60 % et 90 %, entre le seuil critique et l’irréversible, que se joue une large part de la stratégie nucléaire de l’Iran. Cette progression n’est pas qu’une affaire de chiffres : elle est un enchaînement de transformations physiques, de choix technologiques et d’arbitrages politiques.

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Pour comprendre la portée de ce basculement, il faut d’abord rappeler que l’enrichissement de l’uranium ne consiste pas à « fabriquer une bombe » mais à accroître la proportion d’un isotope rare, l’uranium 235, dans un matériau initialement dominé par l’uranium 238, plus stable mais non fissile. L’uranium naturel contient à peine 0,7 % de U-235. Une centrale nucléaire civile fonctionne avec un combustible enrichi à environ 3 à 5 %. Pour une arme atomique, il faut franchir le cap des 90 % d’U-235, seuil à partir duquel une réaction nucléaire en chaîne devient possible dans une configuration critique. Or, l’Iran, en atteignant 60 %, a déjà effectué l’immense majorité du travail isotopique.

Techniquement, l’uranium ne se laisse pas facilement trier. Pour séparer les isotopes, il faut d’abord transformer le solide en gaz : l’uranium est converti en hexafluorure d’uranium (UF₆), une substance gazeuse à température modérée. Ce gaz est ensuite injecté dans les célèbres  centrifugeuses, machines rotatives à très haute vitesse, qui exploitent la très légère différence de masse entre U-235 et U-238 pour concentrer progressivement le premier. Une seule centrifugeuse ne suffit pas : on les aligne en cascades, chaque machine augmentant marginalement le taux d’enrichissement à la sortie de la précédente. L’Iran maîtrise ces cascades depuis longtemps. C’est cette infrastructure, discrète mais cruciale, qui lui permet d’évoluer rapidement d’un niveau à l’autre.

Le paradoxe est que le passage de 60 % à 90 % est, en termes techniques, beaucoup plus facile que les étapes précédentes. En effet, enrichir de 0,7 % à 20 % représente plus des deux tiers du « travail de séparation », alors que passer de 60 à 90 % est une tâche relativement légère, faisable en quelques jours avec des cascades bien configurées. Cela signifie que le temps d’alerte stratégique est désormais extrêmement court, rendant toute surveillance ou intervention militaire plus difficile à calibrer.

C’est sur ce point que le général Kurilla insiste : le « breakout time », le temps nécessaire pour produire le cœur d’une bombe, serait inférieur à deux semaines.

Mais atteindre 90 % d’enrichissement ne suffit pas à produire une arme. L’uranium enrichi à 90 % est toujours sous forme gazeuse (UF₆). Il faut ensuite le reconvertir chimiquement en uranium métal (solide), le mouler, le compacter, le stabiliser. Ce retour à l’état solide, à des fins militaires, implique des savoir-faire métallurgiques complexes.

Mais fabriquer une arme nucléaire ne se réduit pas à produire de la matière fissile. Il faut ensuite développer un dispositif de détonation fiable, miniaturiser l’arme pour qu’elle puisse être montée sur un vecteur (généralement un missile), puis tester et sécuriser la chaîne de commandement nucléaire. Ces étapes, relevant de la « weaponization », prennent des mois, voire des années. En revanche, il est plus facile à dissimuler. Ainsi, Kurilla lui-même le reconnaît dans son témoignage : l’Iran ne dispose pas encore d’une arme opérationnelle.

C’est votre dernier mot ?

C’est pourquoi le renseignement américain, notamment la CIA, considère qu’en dépit de cette avancée technique, l’Iran ne dispose pas encore d’une arme nucléaire opérationnelle, et n’a pas encore pris la décision politique d’en produire une. Mais du point de vue militaire, l’existence de stocks à 60 % constitue une capacité latente, un potentiel de « breakout » extrêmement court. En somme, l’Iran se trouve dans une position de puissance nucléaire du seuil, capable d’aller jusqu’au bout en cas de crise aiguë, mais suffisamment ambiguë pour conserver une certaine marge diplomatique.

Cette ambiguïté est précisément au cœur de la stratégie iranienne : conserver la réversibilité apparente tout en s’approchant structurellement de l’irréversible. Les centrifugeuses tournent, les stocks s’accumulent, les lignes rouges se déplacent… Dans ce contexte, le passage de 60 à 90 % n’est pas qu’une affaire de tuyauterie nucléaire : c’est un acte de souveraineté potentielle, une déclaration d’autonomie stratégique prête à être activée. Et le monde, pris entre vigilance et paralysie, regarde un gaz devenir métal, et une capacité devenir menace.

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La CIA adopte ainsi une posture de prudence, fondée sur les signaux concrets, tandis que le Centcom, bras armé de la présence militaire américaine au Moyen-Orient, adopte une lecture préventive de la menace, fondée sur la possibilité d’une bascule rapide vers l’arme. Cette même logique guide aussi les décideurs israéliens.

Le général Kurilla fait ainsi écho à une inquiétude israélienne croissante : le « point de non-retour » n’est pas atteint, mais il se rapproche d’autant plus que la marge d’erreur doit être prise en compte. Le temps qu’on peut accorder à la diplomatie est ipso facto compté surtout quand en face on joue la montre.   

La divergence entre le Centcom et la CIA reflète un dilemme stratégique plus large auquel est confrontée l’administration américaine : faut-il agir sur la base des capacités, ou attendre une intention manifeste ? En d’autres termes, une stratégie fondée sur l’évaluation technique du risque justifie une intervention préventive, tandis qu’une stratégie fondée sur l’analyse comportementale préconise d’attendre la preuve d’un franchissement politique clair. Israël, échaudé par l’échec de l’évaluation selon les intentions de l’ennemi et non pas ses capacités, ne souhaite prendre le risque d’un 7-Octobre nucléaire.  

Le programme nucléaire iranien est aujourd’hui moins une question technologique que politique. L’Iran semble avoir adopté une stratégie du seuil, maintenir l’ambiguïté tout en raccourcissant le temps nécessaire de transformer le potentiel en arme et consolidant sa position régionale. Dans ce jeu d’équilibre, les divergences entre les discours du Centcom et ceux de la CIA ne sont ainsi pas nécessairement contradictoires, mais complémentaires dans une stratégie de contrôle et de gestion du risque.


[1] Commandement central des États-Unis NDLR

Le G7 2025 atteint des sommets au Canada

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De gauche à droite, Emmanuel Macron, Mark Carney et Donald Trump, Kananaskis, Canada, 17 juin 2025 © Suzanne Plunkett/AP/SIPA

À Kananaskis, en Alberta, tous les yeux étaient rivés sur sa Majesté orange, Donald Trump.


En vérité, je vous le dis, si vous avez de la foi, même petite comme un grain de moutarde, vous direz à cette montagne : “Transporte-toi d’ici là !”, et elle se transportera. Rien ne vous sera impossible.
Matthieu 17:20-21

La montagne ne mène que vers ses hauteurs ; arrivés à sa cime, elle se transforme en précipice.
Anise Koltz.


Le cadre est magnifique. Kananaskis, en Alberta, province productrice d’un des pétroles les plus sales au monde. Station balnéaire des montagnes rocheuses opportunément épargnée par un des nombreux feux de forêt qui ravagent l’ouest canadien avec de l’avance sur le calendrier. Un sommet élevé, censé élever.

La présidence en était assurée par le premier ministre canadien, Mark Caney, qui, depuis sa prise du pouvoir, et même avant, avait su courtiser le président américain tout en exprimant humblement son refus de devenir le simple proconsul du 51e état américain; il y a d’ailleurs eu des discussions préalables et parallèles au sommet entre Carney et Trump au sujet des droits de douane. A suivre dans 30 jours, mais l’on peut tenir pour acquis que le ministre Dominic Leblanc, qui exsude l’iode, a su plaider la cause du homard acadien avec force.

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Comme l’on pouvait s’y attendre, Trump, qui a quitté le sommet avant sa conclusion, a encore soutenu, à bord de Air Force One, que devenir le 51e état aurait été la formule idéale pour le Canada, notamment parce qu’il ferait l’économie de 61 milliards $ au titre de la contribution au programme militaire « Dome doré » (oui, après réflexion, le commandant en chef de l’armée américaine a accordé une petite ristourne amicale car il avait auparavant évoqué 71 milliards $). Le seul hic est que les avantages de ce parapluie spatial ne sont pas totalement évidents (tant pour les Etats-Unis que le Canada) vu que les spécialistes y voient plutôt un mirage technologique, sur le plan de l’efficacité, du calendrier, et du coût total (il faudrait sans doute multiplier par 10 le budget global annoncé de 175 milliards). Il s’agit essentellement d’une reprise de la chimérique « Guerre des étoiles » promue jadis par l’ex-acteur de série B, Ronald « The Gipper » Reagan (d’ailleurs le véritable père du slogan « Make America Great Again), dont les plans ont fini dans un tiroir. Ce fut une étoile filante. Mais, parlant de doré, l’industrie militaire donatrice à la caisse électorale républicaine peut compter sur des retombées astronomiques du remake concocté par Trump.

Carney a eu recours aux services de la chanteuse québécoise Charlotte Cardin pour divertir les invités, mais, manifestement, ses cordes vocales et vocalises n’ont pas convaincu le président américain de renoncer à ses velléités annexionistes, encore qu’il reconnaît magnanimement aux Canadiens le droit de choisir leur destin.

A noter aussi la présence de l’Inde, explicable et expliquée par son immense poids économique; on peut supposer que, pour maintenir la bonne ambiance, Carney n’a pas jugé bon d’évoquer devant le Premier ministre Modi, suprémaciste hindouiste et infatigable (pour)chasseur de musulmans, les assassinats politiques de Sikhs perpétrés sur le sol canadien que de mauvaises langues lui attribuent. (On s’est sans doute inspiré de la réhabilitation de Mohamed Ben Salman, qui n’avait rien, mais vraiment rien à voir avec le traquenard et l’élimination avec extrême préjudice de Jamal Khashoggi dans le consulat saoudien à Istanbul, commis par de méprisables électrons libres, cela va de soi). D’ailleurs, au pays du Mahatma Gandhi, on n’a pas exactement la conception canadienne du multiculturalisme, notamment en matière d’« accommodements raisonnables ».

Pour les autres pays de passage, l’idée était évidemment de présenter, avec une génuflexion, leurs suppliques économiques au cours de l’audience quasi-papale gracieusement accordée par Sa Majesté orange. Ils comptaient défiler chacun leur tour; « au suivant » aurait dit Jacques Brel, mais le départ précipité de Trump a bouleversé ces plans.

Trump a commencé par critiquer le cercle trop restreint de ce sommet, trop européen à son goût, auquel aurait dû être conviée la Sainte Russie poutinesque, exclue à tort, selon lui, par Barack Obama et l’insipide Justin Trudeau; sauf que cette mesure fut prise par le très conservateur Premier ministre Stephen Harper, mais, peu importe, l’occasion était encore trop belle pour railler le roi du surf des neiges déchu.

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L’histoire se répète souvent, pas toujours pour les mêmes causes. Le propriétaire de Truth Social a quitté précipitamment le sommet dit économique. Il a pu prendre le président français pour tête de Turc supplémentaire, même si c’est un « chic type » (« nice guy » en v.o.) : « Emmanuel se trompe toujours », dixit Trump… L’époux de Brigitte, qui avait eu l’outrecuidance de visiter auparavant le Groenland, avait attribué le départ prématuré de Trump à sa volonté d’œuvrer sur un cessez-le-feu entre Israël et l’Iran. Que diantre, le président américain a démenti en revendiquant de bien plus hautes ambitions. Sans oublier que le Canada est « une grande nation souveraine » selon l’imprudente déclaration de l’occupant de l’Élysée.

Parlant de mastodontes hirsutes et impulsifs, absents du sommet, il y a aussi le grizzli. Toutes les mesures de sécurité avaient été prises afin d’éviter l’intrusion d’un de ces féroces Ursus horribilis (barrières de sécurité, destruction des arbres fruitiers constituant leur source de nourriture…).

En conclusion, des instructives déclarations de bonnes intentions. Pas un mot sur l’Ukraine. Mais unanimité quant à l’inacceptabilité de la bombe nucléaire iranienne. Le monde y voit déjà plus clair. Un succès confirmé par le président Macron.

Ce sommet a permis aux Etats concernés de redescendre dans leur vallée. Qu’elle est verte!

Absents pour cause d’Aïd?

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Image d'illustration © CAVALLERA/SIPA

Vivre-ensemble. Dans la riante bourgade de La Courneuve (93), un directeur d’école affiche la liste des professeurs absents pour cause de fête de l’Aïd (!), puis se voit reprocher de les avoir mis en danger. Le député islamo-gauchiste de la circonscription, le lfiste Aly Diouara se plaint au rectorat et saisit la justice.


Titre du Parisien : « Le directeur affiche le nom des enseignants absents pour l’Aïd1 ». Le 5 juin, la veille de cette fête musulmane, développe ensuite le quotidien, « le directeur de l’école élémentaire Angela-Davis, à la Courneuve, a apposé sur la devanture de son établissement une affiche manuscrite listant, avec leur nom, les huit enseignants absents le lendemain. Problème : il a indiqué que ces absences étaient liées à un motif religieux. » De plus sous la référence Fête religieuse, figure entre-parenthèses cette drôle de précision : « Débarquement de Normandie en 1944. » Allusion plutôt alambiquée à l’épopée libératrice de la France occupée par les nazis.

Exaspération

On a beau comprendre l’exaspération qui peut gagner parfois les cadres de certains établissements scolaires en butte au climat ambiant qui y règne, on aurait beaucoup de mal à regarder l’initiative de ce directeur comme particulièrement bien venue, habile, intelligente, subtile. On ne voit pas non plus où se nicherait son efficacité par rapport à un objectif qui, d’ailleurs, n’apparaît pas beaucoup plus clair.

En réalité, par cette affiche, pour le moins maladroite, le responsable n’a fait que remettre un jeton dans le bastringue. Aussitôt, la « résistance » s’est mise en ordre de marche, bombardant à l’envi la sphère médiatique de ses éléments de langage habituels. Un vrai florilège, vous dis-je.

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Montrant une louable unité, les syndicats du premier degré de Seine-Saint-Denis ont diffusé un communiqué commun pour dénoncer, nous révèle Le Parisien, « une mise en danger de leurs collègues. »

L’ « islamophobie » frappe encore

Et pourquoi seraient-ils mis en danger, ces collègues ? La co-secrétaire départementale du Snuipp-FSU nous éclaire : « On est quand même dans un contexte où l’on voit du terrorisme d’extrême droite, où l’islamophobie est un élément qui revient régulièrement », déclare-t-elle.

Et voilà donc, mine de rien, le terrorisme d’extrême droite institué fléau suprême, voire exclusif, de la nation. Nation, de ce fait en danger. D’ailleurs, chacun est à même de constater, comme moi, que les caniveaux de nos villes, les ruisselets de nos villages ne cessent de charrier à fort régime le sang des victimes de ce terrorisme d’extrême droite… De qui se moque-t-on ?

Puis, dans ce communiqué, nous apprend encore Le Parisien, l’intersyndicale, à propos de la mention « Débarquement de Normandie en 1944 », évoque « un parallèle douteux » qui « fait écho aux théories racistes, conspirationnistes, comme celle du grand remplacement, et participe à une banalisation inquiétante des discours islamophobes. »

Du côté de ladite entente syndicale, on n’allait tout de même pas passer à côté de l’occasion – si belle, si bien offerte sur un plateau – de reléguer une fois encore le thème du grand remplacement dans la fange des délires racistes et conspirationnistes.

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Occasion splendide en effet de saturer l’espace médiatique des poncifs et slogans que, bien évidemment, en Seine-Saint-Denis, nous serons appelés à retrouver en l’état, à la virgule près, dans les propos et les écrits des candidats teintés rouge cramoisi, si bien installés dans ces contrées électorales, lors des scrutins à venir… De ce point de vue, c’est autant d’engrangé d’ores et déjà dans leur besace.

Au fil de l’article, Le Parisien livre une information que pour ma part j’ignorais. « Ces absences pour motif religieux sont parfaitement courantes. Chaque année, un calendrier officiel rassemblant des fêtes juives, musulmanes, bouddhistes, arméniennes et orthodoxes est mis en ligne. Chaque personnel peut ensuite faire une demande d’absence pour les jours qui concernent sa religion. » Les fêtes chrétiennes – autres qu’orthodoxes – n’ont pas à figurer là en raison des jours fériés qui leur correspondent, état de fait qui, d’ailleurs, me semble devoir être considéré comme la preuve absolue de leur suprématie historique, culturelle, spirituelle. Suprématie que, même dans une approche strictement laïque, il serait bien malhonnête de ne pas reconnaître. Or, on en est loin. Passons…

On me pardonnera un clin d’œil personnel. De joyeux compagnons ayant créé voilà trois ou quatre décennies la secte – dormante, très dormante – des Adorateurs de l’Oignon, j’ai une pensée attristée en constatant que l’Éducation nationale va jusqu’à censurer leur calendrier de célébrations. Probablement doit-on voir là la marque d’une oignonphobie d’atmosphère qui n’augure rien de bon.

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  1. https://www.leparisien.fr/seine-saint-denis-93/un-directeur-decole-affiche-le-nom-de-huit-enseignants-absents-pour-laid-tolle-general-a-la-courneuve-17-06-2025-3SUSAHH2ZZCFDJ72JJUEI3SCCU.php ↩︎

Guerre en Iran: néogaullisme et cynisme éclairé

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L'ancien Premier ministre Dominique de Villepin invité au journal de 20 heures de France 2, 17 juin 2025. Capture.

En s’attaquant au programme nucléaire iranien, Israël a lancé une guerre « préventive » en bafouant le droit international, s’indignent ses adversaires. Mais non, Monsieur de Villepin, le général De Gaulle ne pensait pas que les grands principes passaient avant les intérêts vitaux des nations. Démonstration.


Dans le débat français autour de la guerre en Iran, deux écoles critiques se dessinent. D’un côté, une gauche mélenchoniste pour laquelle l’anti-israélisme constitue un ciment stratégique ; de l’autre, les villepino-gaulliens. Ce second courant est particulièrement intéressant. D’abord parce que ses arguments sont souvent solides, et ses craintes « quelle est la suite ? », « souvenez-vous de la Libye, de l’Irak et de l’Afghanistan » fondées – quoique, le 18 juin 40, qu’aurait fait de Gaulle avec de tels conseillers, prudents comme des banquiers ?

Mais il y a autre chose. De Gérard Araud à Dominique de Villepin, une frustration affleure sous les analyses et l’inquiétude pour la paix du monde et l’avenir de nos enfants, quelle que soit leur religion. Car le paradoxe ou peut-être le comique de la situation actuelle, c’est que l’on peut aisément reconnaître, dans l’attitude israélienne face aux deux piliers de l’ordre mondial issu de 1945, l’ONU et le droit international, des relents, voire davantage, d’esprit gaulliste.

L’ONU, ce machin

Le général de Gaulle a toujours entretenu une relation ambivalente avec les institutions internationales, au premier rang desquelles l’Organisation des Nations unies. S’il ne rejeta jamais frontalement le droit international ni les instances qui l’incarnent, son approche fut néanmoins méfiante, sélective et profondément ancrée dans une conception westphalienne des relations interétatiques. L’ONU, selon lui, devait être un cadre, jamais un pouvoir ; le droit international, un outil, non une norme supérieure à la volonté des nations souveraines.

La plus célèbre formule du général sur l’ONU date du 10 septembre 1960. Interrogé sur le rôle de l’organisation dans la crise congolaise, il prononça cette phrase restée dans les annales: « L’Organisation des Nations unies ? Le machin ! ». Cette déclaration n’était pas l’expression fortuite d’un agacement passager. De Gaulle n’était pas Trump. Elle traduisait un jugement stratégique sur une institution perçue comme impuissante face aux grands enjeux de l’époque (guerre froide, décolonisation, prolifération nucléaire) et dominée par des rapports de force plus que par des principes universels. Pour lui, la paix ne pouvait être assurée que par l’équilibre entre puissances souveraines, non par une instance globale sans moyens ni volonté politique. Il appelait cela « le concert des nations », et redoutait que l’ONU devienne la proie de majorités fluctuantes de petits pays qui se croient les égaux des grands. D’où son attachement au droit de veto des cinq membres permanents du Conseil de sécurité. L’égalité n’a de sens et de pertinence que dans le cadre de l’État.

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Ce scepticisme s’accompagnait d’une critique implicite du droit international. Ce dernier devenait, à ses yeux, suspect dès lors qu’il prétendait se substituer à la décision politique,  c’est-à-dire à la décision du prince souverain. De Gaulle ne croyait pas à l’autonomie du droit : il considérait que les règles internationales ne sauraient primer sur la volonté d’un État légitime, surtout lorsque celui-ci agit au nom d’une certaine idée de la civilisation ou de l’intérêt national. Et cette conception s’applique a fortiori lorsque les intérêts vitaux sont en jeu.

Pour autant, de Gaulle ne s’affranchit pas totalement du droit international : il le mobilise lorsqu’il sert les intérêts français. On pourrait dire qu’il considérait le droit international comme Napoléon la religion : « une chose excellente pour le peuple ». La décolonisation en est la meilleure illustration. Dans ses discours sur l’autodétermination, notamment celui de Constantine en 1958, il invoque implicitement les principes onusiens du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. La résolution 1514 de l’ONU (1960), qui condamne le colonialisme, lui offre un cadre pour orchestrer une sortie ordonnée de l’Empire tout en préservant les intérêts français à long terme. L’indépendance devient ainsi un processus contrôlé par Paris, non imposé de l’extérieur.

Instrumentalisations, entorses…

Mais cette invocation du droit n’exclut ni son instrumentalisation opaque, ni certaines entorses calculées. L’exemple des essais nucléaires français en Algérie après 1962 illustre parfaitement cette tension. En mars 1962, les accords d’Évian, qui préparent l’indépendance algérienne, comportent des clauses secrètes ou ambiguës permettant à la France de conserver temporairement l’usage de certaines installations militaires sur le sol algérien. Parmi elles, le site saharien de Reggane, utilisé pour les essais nucléaires atmosphériques, puis celui d’In Ekker pour les essais souterrains.

Ainsi, bien après l’indépendance formelle de juillet 1962, la France procède à une série d’essais nucléaires sur le territoire d’un État souverain, sous couvert d’un « accord librement consenti ». Apres l’opération « Béryl » en mai 1962, treize autres ont suivi jusqu’en 1966. Ces activités contreviennent pourtant aux principes fondamentaux du droit international, notamment au respect de la souveraineté territoriale et au droit des populations à un environnement sain, d’autant plus qu’un accident grave provoqua une contamination radioactive importante[1].

Face à cette contradiction entre principes et pratique, la France gaullienne invoque la validité d’un traité bilatéral, mais refuse toute supervision internationale. Le primat du politique sur le juridique est ici flagrant : un accord, fût-il inégal, prévaut sur le droit coutumier ou sur les revendications morales.

Ce rejet d’une autorité supérieure, au nom de l’indépendance nationale, traverse toute la diplomatie gaullienne. Il s’exprime aussi dans la politique nucléaire française : en développant la dissuasion hors du cadre du Traité de non-prolifération (TNP, 1968), que la France ne ratifie qu’en 1992, de Gaulle affirme la légitimité des puissances à disposer librement de leur destin stratégique.

De même, lorsque la France quitte le commandement intégré de l’OTAN en 1966, il s’agit d’affirmer que la défense d’une nation ne saurait être déléguée à une organisation multilatérale, fût-elle alliée. L’ONU, l’OTAN, le TNP : toutes ces structures inspirent à de Gaulle une même suspicion, dès lors qu’elles risquent de limiter la liberté d’action nationale. Cette logique continue à inspirer ses héritiers, notamment Jacques Chirac, le mentor politique de Dominique de Villepin.

En 1976, la France signe avec l’Irak un accord de coopération nucléaire civile, qui aboutit à la livraison du réacteur Osirak, officiellement destiné à la recherche. Ce contrat, conclu avec le régime de Saddam Hussein, obéit à une logique diplomatique et commerciale : renforcer les liens avec le monde arabe, promouvoir l’industrie nucléaire française. Mais derrière cette façade légale, les autorités françaises savent que le réacteur offre à Bagdad un accès potentiel à l’arme nucléaire. Un rapport parlementaire évoquera plus tard un « cynisme éclairé ».

A lire ensuite, Gilles-William Goldnadel: Ardisson, Gaza, la pensée mondaine et ses effets débilitants

L’affaire Osirak illustre une tension classique de la diplomatie française : un attachement de façade au droit international, surtout lorsqu’il ne coûte rien, et une lucidité stratégique qui, parfois, frôle l’irresponsabilité. Car juridiquement, rien n’interdisait cette vente : l’Irak était signataire du TNP et le réacteur devait être sous contrôle de l’AIEA. Le droit était respecté, mais l’esprit était violé. Saddam Hussein ne cachait pas son hostilité envers Israël, ni son ambition stratégique dans un Moyen-Orient instable. Tout était aussi « clean » que le « librement consenti » de l’Algérie en 1962.

Le 7 juin 1981, l’armée israélienne lance l’opération Opéra, qui détruit Osirak avant sa mise en service. Pour Israël, il s’agit d’un acte de prévention stratégique. Pour la France, c’est une violation flagrante du droit international, commise sans mandat onusien et contre une installation civile d’un État souverain.

Paris condamne l’attaque, rappelle son ambassadeur, et le ministre Claude Cheysson (à peine installé au Quai après la victoire de Mitterrand) déclare : « Aucun pays ne peut se faire justice lui-même. » Mais cette indignation masque une gêne plus profonde : la France est à la fois concepteur du projet et victime de son échec. En dotant l’Irak d’une capacité nucléaire ambiguë, elle s’exposait à être contredite par ceux qui ne dissocient pas droit et légitimité.

Petite histoire et grande Histoire

Ironie de l’histoire : si Israël avait respecté le droit en 1981, Saddam Hussein, l’homme qui gazera les Kurdes, aurait peut-être possédé la bombe pendant sa guerre contre l’Iran. Autrement dit, Begin criminel, Sadam Hussein en revanche est « un ami personnel et ami de la France ».  Il n’y a qu’un pas à franchir pour dire qu’en détruisant Osirak, Israël a sauvé Khomeiny. Je le franchis allègrement. Donc : Osirak, c’est gentil, Opéra, c’est méchant !

Ce paradoxe éclaire une constante de la politique française : fidélité aux normes, même quand elles protègent des régimes toxiques, réprobation des actions unilatérales, même lorsqu’elles préviennent une catastrophe. Là où certains États revendiquent une doctrine d’exception au nom de la survie, la France maintient une doctrine de principe. Le monde, pense-t-elle, doit être régi par des règles, non par la force.

Mais cette position, moralement cohérente, est politiquement inconfortable. Elle expose la France à une diplomatie à deux vitesses : respect de la lettre du droit, au prix d’une myopie stratégique. Dans le cas d’Osirak, la légalité fut préservée, mais la prudence sacrifiée. Inversement, Israël viola le droit, mais interrompit un programme potentiellement catastrophique, pour Israël, pour l’Iran et la région. Merci qui ? certainement pas le droit international.

Et c’est peut-être là le vrai drame : le déclin de la France crée une situation où les dilemmes entre droit, morale et puissance deviennent de plus en plus rares. C’est le sort des petits pays : leurs mains sont propres parce qu’ils n’ont pas de mains.

Dès lors, pour les néo-gaullistes villepinistes, voir dans la politique israélienne d’aujourd’hui une forme de gaullisme stratégique agit comme un miroir cruel. Le dernier espoir devient alors l’échec d’Israël : ultime triomphe d’une position que la France, désormais, n’a plus les moyens d’incarner. On ne peut qu’espérer que la France retrouve sa grandeur et qu’à nouveau, elle soit en mesure de prendre des décisions moralement compliquées, la véritable marque de la puissance, l’équivalent des « problèmes de riches » en géopolitique. 


[1] Lire https://fr.wikipedia.org/wiki/B%C3%A9ryl_(essai_nucl%C3%A9aire) NDLR

Iran: face aux mollahs, cette France qui se débine

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Le 16 juin, sur Sud Radio, la députée et candidate à l'élection présidentielle Clémentine Autain a affirmé qu'Israël est une "menace pour le monde" © Capture d'écran YouTube

Alors que le régime des mollahs pourrait vaciller, des figures politiques françaises de premier plan n’ont pas de mots assez durs contre l’État juif et s’enferment dans des postures. Par peur de déplaire à la «rue arabe»? Notre chroniqueur se désole de cette prédominance du «terrorisme intellectuel anti-Israël».


Où sont passées les précieuses ridicules ? En France, ces rebelles du show-biz se filmaient solennellement, en 2022, en train de se couper une mèche de leurs cheveux, symbole de leur soutien aux courageuses iraniennes refusant le voile islamique. Mais aujourd’hui, alors que la tyrannie des mollahs sexistes est à deux doigts de sombrer sous les coups d’Israël, ces féministes de salon de coiffure se gardent d’encourager le peuple oppressé à reprendre sa liberté. Une rhinocérite a gagné les guerrières mondaines. 

A lire aussi, Gil Mihaely: Guerre en Iran: néogaullisme et cynisme éclairé

Pensée molle et pensée mollah

Avec bien d’autres prétendus indignés, elles font la moue sur les méthodes de Benyamin Nétanyahou. Quand Clémentine Autain (extrême gauche) accuse Israël d’être « une menace pour le monde », jetant aux orties ses combats contre l’oppression machiste, l’extrême droite met les sous-titres en dénonçant le poids du « lobby » et en insultant ceux qui soutiennent l’État hébreu dans sa résistance à l’islamisme. Votre serviteur en fait, sur X, l’expérience depuis quelques jours : le terrorisme intellectuel anti-Israël qui s’y exprime est souvent porté, paradoxalement, par ceux qui dénonçaient naguère les discours obligés sur le Covid. En réalité, l’antisémitisme suinte dans les reproches portés à l’État paria, coupable de vouloir se protéger par la force d’un totalitarisme monstrueux. La pensée molle est devenue la pensée mollah1. Rien n’est plus convenu que d’injurier le Premier ministre israélien dans des termes employés par le régime des ayatollahs dingos qui rêvent depuis 1979 d’éliminer « l’entité sioniste génocidaire ».

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Emmanuel Macron, ombre tremblante, participe à la cabale. Sa faiblesse face à l’ennemi commun qu’est l’islam conquérant confirme son incapacité à mesurer les enjeux d’une histoire qui s’écrit en accéléré. Dans la guerre qui oppose la démocratie juive à la dictature apocalyptique, David est en train de vaincre Goliath. 

Macron pas sourd aux remontrances de la « rue arabe »

Or le chef de l’État se mélenchonise à vue d’œil sous la pression de la rue arabe en France, de son antisionisme présumé et de son poids électoral grandissant. Au Salon du Bourget, qui n’est pas le salon de la dentelle, Israël a été priée lundi par la France de bâcher2 ses cinq stands au prétexte qu’ils exposaient des armes offensives. Les indésirables ont écrit en gros, en guise d’explication (et en anglais) : « Désolé. Nos héros sont en train de défendre le monde »

À lire aussi : La reconnaissance prématurée d’un État palestinien: un risque pour la paix et la stabilité

En fait, Macron fait tout pour accréditer l’idée paresseuse que Nétanyahou en fait trop, dans une fuite en avant répondant à ses intérêts personnels. Alors que le président attise les feux en Ukraine face à la Russie, il réclame, pour l’Iran, de la « retenue », un « cessez-le-feu » et un maintien de la mollarchie. Il explique : « Tous ceux qui croient qu’en frappant avec des bombes depuis l’extérieur on sauve un pays malgré lui-même et contre lui-même, se sont toujours trompés ». Les exemples de l’Irak ou de la Libye lui donnent raison. Mais l’Allemagne nazie et son allié japonais, convertis à la démocratie après des défaites militaires, disent l’inverse. Le peuple iranien semble majoritairement prêt à le démontrer. 
Donald Trump a écrit mardi sur son réseau social Truth Social : « Emmanuel se trompe toujours ». Bien vu.

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  1. Elisabeth Lévy : La gauche mollah (Causeur, 16 juin) ↩︎
  2. https://www.franceinfo.fr/monde/israel/salon-du-bourget-israel-annonce-que-son-pavillon-a-ete-ferme-et-denonce-une-decision-scandaleuse_7317057.html ↩︎

La guerre d’Ukraine en 16 millimètres

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© Leopard Films Distribution.

Peretjatko, avant de filmer l’Ukraine en guerre, commence par filmer la Russie en paix. Et avant de filmer la Russie en paix, il filme la petite caméra Bolex avec laquelle il a tourné, pour nous dire ceci, et c’est l’essentiel : le formatage d’un docu en 16mm n’est pas le même que celui d’un reportage effectué avec une caméra numérique. Peretjatko explique qu’il faut recharger la bobine de la Bolex, que la durée des prises est très limitée avec cet appareil, qu’on vous regarde comme un ovni vous servir encore d’un tel engin vintage… Bref, extrait de son lointain voyage d’avant-guerre en 2010 à bord du Transsibérien, le prologue baptisé « 5 minutes de Russie » n’a rien d’inconséquent. Car pour commencer, il installe la voix off d’Antonin Peretjatko, omniprésente dans l’heure qui suit : Andreï, l’ami du cinéaste, s’y fera le passeur du spectacle de l’Ukraine à l’orée de la guerre, en 2022, décrivant le contraste saisissant entre l’arrière et le front, montrant le calvaire intime de ces exilés de l’intérieur que sont les artistes… Une sorte de candeur bienveillante se dégage du propos, nimbé de motifs de Bach et de Beethoven, l’orgue et le piano s’offrant comme ponctuation d’un regard en rien assimilable à un reportage de guerre.

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Le sens aigu du saugrenu, de la loufoquerie qui habitent de loin en loin les longs métrages de fiction d’Antonin Peretjatko – La Fille du 14 juillet (2013), La Loi de la jungle (2016), La Pièce rapportée (2020) – trouvent en quelque sorte ici leur contrepoint sur le mode mineur et le versant tragique, pour greffer sur le réel un grain doublement anachronique : celui d’une pellicule hors saison ; celui du commentaire rétrospectif sur ces périples effectués à neuf mois de distance l’un de l’autre, voici trois ans déjà. Godardien, dirait-on, par sa facture délibérément atypique, est ce voyage si intensément vécu, et qui jette par-dessus bords tous les attendus du genre.


Voyage au bord de la guerre. Documentaire d’Antonin Peretjatko. France, Ukraine, couleur, 2024. Durée : 1h02. En salles le 18 juin 2025.

La reconnaissance prématurée d’un État palestinien: un risque pour la paix et la stabilité

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Paris, 13 juin 2025 © Eric Tschaen -Pool/SIPA

Officiellement, les frappes israéliennes en Iran ont conduit l’Élysée à repousser sine die la grande messe onusienne prévue ce 18 juin à New York, en présence du très influent prince héritier saoudien, Mohammed Ben Salman. Une rencontre au sommet durant laquelle Emmanuel Macron aurait pu franchir le Rubicon diplomatique en reconnaissant l’État palestinien. Officieusement, il s’agit sans doute d’un contretemps providentiel, tant cette conférence ressemblait à un exercice d’équilibrisme diplomatique périlleux sur le fil tendu du Proche-Orient. Reconnaitre un État dans lequel des otages israéliens sont toujours captifs serait une gifle pour Jérusalem.


Depuis le 7 octobre 2023, date de l’attaque brutale menée par le Hamas contre Israël, la question palestinienne a retrouvé une place centrale sur la scène internationale. Près de deux ans après cette tragédie, marquée par des actes de violence inouïe – viols, tortures, assassinats et enlèvements de plus de 1 400 Israéliens –, la France envisage de reconnaître unilatéralement un État palestinien. Bien que l’escalade actuelle entre l’Iran et Israël ait reporté la conférence sur ce sujet, le président Emmanuel Macron a redoublé d’efforts pour affirmer son intention de reconnaître un État palestinien. Une telle décision, portée par le président Emmanuel Macron, pourrait non seulement compromettre les perspectives de paix au Proche-Orient, mais également avoir des répercussions néfastes en France, en renforçant les mouvements islamistes radicaux. Cette démarche, bien qu’animée par des intentions diplomatiques, risque de récompenser la violence et d’affaiblir les chances d’une coexistence pacifique entre Israéliens et Palestiniens.

Nouvelle équation

L’attaque du 7 octobre 2023, orchestrée par le Hamas, visait à replacer la cause palestinienne au cœur des débats internationaux par un acte spectaculaire. Khalil al-Hayya, haut responsable du Hamas basé à Doha, l’a clairement expliqué au New York Times en novembre 2023 : « Il fallait changer l’équation tout entière, et pas seulement mener un affrontement. Nous avons réussi à remettre la question palestinienne sur la table, et aujourd’hui, personne dans la région ne connaît la tranquillité. » Selon lui, un « grand acte » était nécessaire pour empêcher la cause palestinienne de sombrer dans l’oubli. Malgré une légère baisse de popularité du Hamas en raison des souffrances causées par la guerre à Gaza, des sondages publiés en mai 2025 par le Centre palestinien pour la politique et les études montrent que le Hamas reste la faction la plus populaire. Près de la moitié des Palestiniens approuvent encore la décision du Hamas de lancer l’attaque du 7 octobre, et quatre Palestiniens sur cinq estiment que la « résistance armée » (c’est-à-dire le terrorisme) est le moyen le plus efficace pour obtenir un État. Face à cette réalité, une majorité écrasante d’Israéliens s’oppose désormais à la création d’un État palestinien, tandis que certains alliés traditionnels d’Israël, au lieu de condamner le terrorisme palestinien, ont choisi de sanctionner Israël, envoyant ainsi un message dangereux : la violence est une stratégie payante.

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Lors de l’effondrement de l’Union soviétique en 1990, la Communauté européenne avait établi des critères clairs pour la reconnaissance des nouveaux États d’Europe de l’Est. Ces critères incluaient le respect de l’État de droit, de la démocratie, des droits humains, des droits des minorités et de l’inviolabilité des frontières. Un État palestinien, dans les conditions actuelles, serait loin de répondre à ces exigences fondamentales. L’idéologie antisémite et djihadiste du Hamas est évidente, mais le rejet fervent de l’autodétermination juive et de l’État d’Israël est largement partagé au sein de la société palestinienne. Par le passé, les offres israéliennes de création d’un État palestinien ont échoué en raison du refus des dirigeants palestiniens de reconnaître les liens historiques des Juifs avec cette terre. En 2000, lors des négociations de Camp David, Yasser Arafat a stupéfié le président américain Bill Clinton en niant l’existence d’un temple juif à Jérusalem. En 2008, l’offre généreuse du Premier ministre israélien Ehud Olmert a été rejetée par Mahmoud Abbas, qui exigeait un « droit au retour » pour des millions de descendants des Arabes ayant fui la Palestine mandataire en 1948 – une revendication qui, en pratique, mettrait fin à la majorité juive en Israël. Même Benjamin Netanyahou, dans son discours de Bar-Ilan en 2009, avait accepté le principe d’un État palestinien, mais Abbas a refusé de négocier, déclarant qu’il ne reconnaîtrait jamais Israël comme un État juif.

Un État palestinien inenvisageable tant que la coexistence de deux peuples n’est pas entérinée

Tant le Fatah de Mahmoud Abbas que le Hamas considèrent les Juifs comme des envahisseurs coloniaux sans lien légitime avec la Palestine, comparant Israël à un royaume croisé voué à disparaître. Sans une réconciliation de la société palestinienne avec l’idée de coexister avec un État juif, un État palestinien deviendrait une plateforme pour une guerre perpétuelle. L’attaque du 7 octobre s’inscrivait dans une vision revancharde visant à inverser la défaite palestinienne de 1948. Reconnaître un État palestinien sans exiger de concessions de la part des Palestiniens ne ferait que renforcer leurs positions maximalistes.

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Les conséquences d’une reconnaissance prématurée par la France ne se limiteraient pas à la région du Proche-Orient. Selon des rapports récents du ministère français de l’Intérieur, la confrérie des Frères musulmans représente une menace pour la stabilité et la cohésion de la République. Certains suggèrent que la reconnaissance d’un État palestinien pourrait apaiser les électeurs musulmans et affaiblir l’attrait des Frères musulmans. Or, le Hamas est précisément la branche palestinienne de cette confrérie. Ali al-Qaradaghi, éminent érudit de l’Union internationale des savants musulmans, affiliée aux Frères musulmans, a émis une fatwa appelant tous les musulmans à mener un « djihad » contre Israël. Son prédécesseur, Yusuf al-Qaradawi, considérait la Palestine comme « la cause de chaque musulman ». En validant la stratégie du Hamas, la France risque de renforcer les forces islamistes radicales sur son propre territoire, augmentant ainsi l’influence des Frères musulmans.

La reconnaissance unilatérale d’un État palestinien par la France, bien que motivée par un désir de justice, risque de produire l’effet inverse de celui escompté. En récompensant la violence du Hamas, elle enverrait un message désastreux : le terrorisme est une voie légitime vers la reconnaissance internationale. Plutôt que de précipiter une décision symbolique, la France devrait exiger des réformes profondes au sein de la société palestinienne, notamment l’acceptation de l’existence d’Israël comme État juif et le rejet de la violence comme outil politique. Ce n’est qu’en posant ces conditions que la France pourra contribuer à une paix durable au Proche-Orient tout en préservant la cohésion et la sécurité de sa propre société. La voie vers la paix passe par la responsabilité, non par des gestes hâtifs qui risquent d’alimenter les extrémismes.

Ils viennent jusque dans nos campagnes

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Nangis, Saintes-et-Marne, mai 2022 © Yannis Ezziadi

L’islam politique tend d’abord sa toile au niveau local. Pour consolider leur base électorale, des élus municipaux cèdent au clientélisme communautaire. Ces voix se monnaient en échange d’avantages divers, de places au cabinet du maire, jusqu’à laisser les islamistes imposer leurs normes.


Vous connaissez Molenbeek, riante commune de l’agglomération bruxelloise, où le contrôle social des islamistes sur la population est acté grâce à leur alliance avec la gauche ? Si ce quartier est si célèbre, c’est parce qu’il a été la base arrière de l’attentat du 13-Novembre à Paris et qu’il a fait découvrir l’ampleur de la mainmise des Frères musulmans dans le système politique, administratif, judiciaire et universitaire belge. Au point que plus personne ne sourcille quand certains parlent de Belgistan.

Or à Molenbeek, l’appropriation territoriale s’est faite d’abord par le bas. C’est précisément la méthode que dénonce le rapport « Frères musulmans et islamisme politique en France », qui affirme que, « d’ici une dizaine d’années, certaines municipalités seront à la main d’islamistes, comme en Belgique. » C’est dire si les élections municipales qui s’annoncent en 2026 nécessiteront une attention accrue de la part des renseignements territoriaux.

C’est en effet l’un des principaux enseignements du rapport : la diffusion de l’islamisme se joue surtout au niveau local « autour d’une mosquée, offrant généralement des cours d’éducation coranique […], comprenant souvent des associations caritatives, culturelles, qui voisinent parfois avec des commerces communautaires ou des activités sportives distinctes de la mosquée, avant d’investir le champ de l’enseignement privé. » Un environnement construit par des militants aguerris qui se retrouvent très vite en position de négocier avec les élus municipaux pour imposer leurs normes dans le cadre d’une relation clientéliste. C’est de cette façon que, petit à petit, « des normes sociales s’imposent (voile, barbe, vêtements couvrants, respect du jeûne du ramadan) », comme l’écrivent les auteurs.

Un clientélisme islamique peu coûteux

La crise démocratique contemporaine rend du reste de plus en plus rentable pour les islamistes, le marché consistant à échanger leurs votes contre de l’influence territoriale et politique. Quand seuls 25 à 40 % des citoyens en droit de voter participent au scrutin, des villes de 50 000 habitants peuvent basculer grâce à l’apport de quelques centaines de voix.

Il faut dire que pour un élu, le clientélisme islamiste peut sembler, dans un premier temps, peu coûteux : votez pour moi et en échange je prête une salle, j’autorise l’ouverture d’un magasin communautaire, je subventionne une association d’aide aux devoirs et à l’insertion, et bien sûr je nomme deux ou trois représentants islamistes, parmi les plus habiles en stock, dans mon équipe municipale, voire au sein de mon cabinet du maire ou dans une direction technique de la Ville. Les services jeunesse, association, éducation, animation ou même le social représentent de bons incubateurs pour cela. Le rapport décrit le phénomène en ces termes : « L’augmentation importante de l’influence municipale gagnée ces dernières années par les islamistes laisse présager le passage d’une gestion électorale de la communauté, au moyen duquel certains élus locaux consolidaient leur base électorale contre avantages, à des alliances plus étroites pouvant notamment comprendre l’incorporation d’islamistes à des positions importantes sur les listes électorales ou dans les cabinets d’élus. »

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Les auteurs se penchent même sur un cas d’école : la ville de Colombes, emblématique de cette démarche d’islamisation.

L’histoire commence quand, en 2014, la mairie socialiste de cette commune des Hauts-de-Seine est sollicitée par un converti islamiste, qui obtient une salle municipale pour une association. Ladite salle est très vite soupçonnée d’être un lieu de prière. Mais la même année, lors des élections municipales, la ville change de bord. La nouvelle maire, une LR moins naïve que son prédécesseur PS, ferme la salle de prière clandestine et annule la cession à titre gracieux d’un terrain qui avait été promis pour la création d’une école soi-disant Montessori, mais en réalité islamiste et coranique. Face à cette hostilité, l’association MUSC (Musulmans de Colombes) demande à la gauche locale de l’aider à récupérer son pouvoir et son influence en échange de ses voix lors du prochain suffrage. Patrick Chaimovitch, un écologiste, se porte volontaire. Et ça marche ! Stéphane Tchouan, le président de l’association, réussit à mobiliser les quartiers à majorité arabo-musulmane de sorte qu’en 2020, l’écologiste est élu. Et qui nomme-t-il directeur de cabinet ? Le président de l’association MUSC, Stéphane Tchouan… 

« Nécessité fait souvent loi« 

S’il y a peu de doute quant à la volonté des Frères musulmans de monter en puissance dans les municipalités, les coucous islamistes iront donc probablement, à l’image de Colombes, pondre leurs œufs à l’intérieur des listes des partis classiques. Un célèbre connaisseur de la carte électorale que nous avons interrogé, mais qui veut garder l’anonymat, risque ce pronostic : « Il y aura des listes qui afficheront clairement leur orientation religieuse, d’autres qui la dissimuleront sous l’appellation “liste citoyenne”. Mais dans l’ensemble, la progression de la représentation islamiste se fera par une présence des leaders communautaires sur les listes des formations traditionnelles. Elle sera encore renforcée à gauche par l’entrisme local dans les partis, et surtout par la dynamique de l’alliance LFI-islamiste qui affaiblit les autres succursales. »

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Je lui fais toutefois remarquer que le clientélisme islamiste se porte aussi au centre, en particulier à l’UDI, avec des élus comme Jean-Christophe Lagarde à Drancy (Seine-Saint-Denis), Bruno Beschizza à Aulnay-sous-Bois (idem) ou Julien Polat à Voiron (Isère). « C’est vrai, convient-il, mais peu se risquent à cela à droite car un clientélisme si voyant risque de tuer leurs ambitions nationales. Toutefois, localement, nécessité fait souvent loi. Lorsque votre place, donc votre avenir, dépend d’abord du renouvellement de vos alliances, vous êtes moins regardant. Et puis on finit toujours par pardonner aux vainqueurs en politique. »

Quoi qu’il en soit, une seule conclusion s’impose, le vote islamiste est devenu un vote communautariste puissant, qui rapporte gros dans certaines enclaves. Il sera donc présent en 2026, et progressera mécaniquement et mathématiquement. Surtout avec un président à la fois ambigu et impuissant.

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«Kärcher»: 20 ans après

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Nicolas Sarkozy alors ministre de l'intérieur à La Courneuve (2005) © Capture INA

Passer le Kärcher dans les ghettos urbains ? Comment enfin transformer les paroles en actes, en faisant sauter les cinq verrous qui contraignent l’action publique. Une analyse du think tank Le Millénaire.


Il y a 20 ans, jour pour jour, Nicolas Sarkozy promettait de « nettoyer au Kärcher » la cité des 4 000 à La Courneuve. Cette formule a marqué un tournant dans la parole publique sur la question des territoires perdus de la République pour reprendre l’expression de Georges Bensoussan. Seulement, 20 ans plus tard, rien n’a changé. Ou plutôt, tout a empiré. Les ghettos se sont durcis, les réseaux criminels se sont consolidés, et les violences se sont banalisées. Le Kärcher n’a jamais été sorti du garage.

Du Kärcher à la pommade : 20 ans de renoncement

Le terme « Kärcher » est devenu le symbole de l’impuissance publique alors qu’il proclamait paradoxalement l’inverse. Répété sans cesse et sans suite, même par des figures de droite modérée comme Valérie Pécresse, il ne fait plus peur à personne. Pas même à ceux qu’il visait. En effet, tous les indicateurs d’insécurité et de criminalité sont dans le rouge. Un exemple : le taux d’agressions graves par année pour 100 000 habitants, bien meilleur indicateur que le taux d’homicides car plus représentatif de la violence, a augmenté de 160%, passant de 241 actes de violences pour 100 000 habitants en 2005, à 628 pour 100 000 habitants en 2023. Le « Kärcher » est devenu une métaphore inopérante, révélatrice de l’impuissance d’un pouvoir politique, incapable d’assumer ce qu’il proclame.

Et pour cause, en lieu et place du Kärcher, on a versé de la pommade dans les quartiers « sensibles ». Deux logiques aussi néfastes l’une que l’autre ont dominé l’action publique. 

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D’une part, la logique de l’apaisement, qui recule devant chaque flambée de violence pour « ne pas faire de vague », et qui excuse systématiquement le délinquant par la précarité, le racisme, la victimisation et les supposées « violences policières ». D’autre part, il s’agit d’une logique d’infantilisation politique, selon laquelle les fauteurs de troubles ne sont jamais responsables mais toujours « discriminés », « stéréotypés » et maintenant « racisés ». En d’autres termes : le Kärcher est resté une menace rhétorique. Et la pommade est devenue une stratégie.

Une combinaison de verrous qui empêche toute reconquête

Cinq verrous majeurs ont neutralisé l’action de l’État et désarmé la République.

Le droit pénal (verrou n°1), dans sa philosophie actuelle, est inadapté aux évolutions des quartiers. Centré sur l’individualisation des peines et la réinsertion, il est incapable de répondre à la violence de masse, à la délinquance de bande ou à la criminalité organisée. Il en résulte un décrochage entre la norme juridique et l’attente sociale de sécurité et de justice qui se symbolise par un écart de plus en plus important constaté entre la peine encourue, la peine prononcée par le juge et enfin la peine réellement effectuée par le délinquant.

Les trois autres verrous ont créé une situation d’impuissance spécifique aux quartiers. Le narcotrafic (verrou n°2) a corrompu le tissu local. Dans de nombreuses cités, le trafic de stupéfiants constitue une économie parallèle, estimée entre 3 à 6 milliards d’euros annuels selon l’OFDT. Ce système, générant des violences endémiques constitue une forme d’intégration locale, là où l’école, l’entreprise ou la puissance publique ont échoué. De surcroît, la décentralisation (verrou n°3), mal structurée, a complexifié l’action publique jusqu’à l’inertie tout en donnant des pouvoirs à des élus locaux parfois tentés d’acheter la paix sociale. Or, au-delà de la rénovation urbaine ou des millions déversés sur le social, la politique de la ville est un immense guichet aux associations (verrou n°4). Résultat, personne n’a intérêt à passer le Kärcher : ni les narcotrafiquants, ni certains élus, ni certaines associations. 

Enfin et non des moindres, la pression médiatique (verrou n°5) et la peur politique paralysent l’action publique. Toute parole ferme est taxée de « stigmatisante », toute décision répressive dénoncée comme « discriminatoire ». Cette situation explique pourquoi lorsque le président Macron doit affronter les gilets Jaunes, il parle de « Gaulois réfractaires », mais qu’il appelle immédiatement à l’apaisement face aux émeutes urbaines de l’été 2023.

Débordements en marge d’une manifestation à Nanterre suite à la mort de Naël, 29 juin 2023 © ISA HARSIN/SIPA

Comment passer (enfin) le Kärcher ?

Face à la gravité de la situation, il est urgent de sortir du symbolique pour passer à l’action. Le Kärcher ne doit plus être un mot, mais une méthode. Cette méthode reposerait sur trois piliers fondamentaux visant à libérer l’action publique de ces verrous qui la paralysent. 

Premièrement, il faut mettre en place une série de mesures permettant de dessiner les contours d’un régime juridique républicain d’exception compte tenu de la situation. Ainsi, il faut supprimer l’article 723-15 du Code de procédure pénale, qui impose ces aménagements pour les peines inférieures à un an, et instaurer des peines planchers obligatoires avec un minimum de trois ans de prison pour les violences contre les forces de l’ordre, les trafics de stupéfiants ou les émeutes. Dans les zones à reconquérir, aucune remise de peine ne devrait être possible pour des délits commis en bande. Toute récidive dans les cinq ans devrait automatiquement entraîner un doublement de la peine minimale. À ces mesures s’ajoute l’urgence de moderniser l’appareil judiciaire : élargissement des comparutions immédiates aux mineurs, réduction des délais à moins de 72 heures pour les faits graves commis en contexte de troubles collectifs, et création d’un statut pénal spécifique pour les territoires les plus sensibles. Et pour restaurer la confiance, un rapport annuel sur l’application effective des peines devra être présenté et débattu au Parlement, afin que les Français sachent si la justice passe réellement.

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Deuxièmement, l’échec patent de la politique de la ville impose un changement de doctrine immédiat : fini la distribution de subventions sans évaluation ni contrôle pour acheter la paix sociale ! Il faut donc geler toutes les subventions associatives dont l’efficacité n’est pas démontrée, mettre fin au saupoudrage clientéliste de fonds publics, et interdire strictement le financement d’associations à risque, notamment celles qui entretiennent des logiques communautaristes ou se montrent ambigües sur les principes de la République. Cela passe par une renationalisation de la politique de la ville.

Enfin, il faut offrir un nouvel horizon à la reconquête. Elle ne sera possible que si les citoyens ont confiance dans l’action publique. C’est pourquoi, il faut déclarer une véritable « War on drugs » à la française, avec un plan d’action national pour démanteler les réseaux et prévenir toute forme d’infiltration dans les institutions. Surtout, il faut protéger ceux qui organiseront concrètement la reconquête, à savoir les policiers, les préfets, les professeurs, les magistrats et les maires. Trop souvent isolés, exposés à la pression médiatique ou à la peur des représailles, ils doivent savoir que l’État est de leur côté, sans ambiguïté, par l’octroi d’un statut de protection renforcée. 

La reconquête ne pourra se faire sans prendre des risques. La France ne manque ni de lois, ni d’argent, ni d’hommes. Elle manque de courage. « Passer enfin le Kärcher » comporte des risques et des coûts mais produira des bénéfices bien plus grands : le retour de la paix civile pour tous et la réconciliation de toutes les France car aujourd’hui une France révoltée, celle des gilets Jaunes, n’a le droit à rien en comparaison des quartiers à qui l’on donne tout.  


Maxime Kindroz, Analyste au Millénaire, co-auteur de la note « Comment passer le Kärcher ? » 

Matthieu Hocque, Directeur adjoint des Études du Millénaire, spécialiste en politiques publiques, co-auteur de la note « Comment passer le Kärcher ? 

Les plumes du paon

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© Albin Wildner / Pyramide Distrib.

Au cœur de l’Autriche urbaine, opulente et aseptisée de 2025, Matthias, bel et blond germain bien peigné et court moustachu, partage avec Sofia, sa jeune compagne, un confortable appartement high tech ultra-connecté.

Sur le site de l’agence « « My Companion » dont il est manifestement l’élément moteur, le garçon peut se targuer d’excellents « retours clientèle ». Profession ? Louer ses services (platoniques) de comédien pour arrondir les angles, sur commande : passer pour l’ami idéalement cultivé au sortir d’un concert ultra-mondain de musique expérimentale, ou pour le fils modèle d’un financier lors d’un dîner de gala que ce dernier préside avec sa femme. Ou encore coacher une épouse tétanisée par son vieux mari, mais désireuse de reprendre le dessus sans trop savoir comment s’y prendre. Matthias endosse ses emplois successifs avec une plasticité remarquable. Jusqu’à ne plus être personne à force de se prendre à son propre jeu : son couple ne résiste pas à cette déréalisation schizophrène…

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Premier long métrage de Bernhard Wenger, 32 ans, natif de Salzbourg et établi à Vienne, Peacock (« paon » en français) privilégie le plan fixe et joue assez habilement du hors champ ou de la séquence saugrenue, incrustant une bande-son millimétrée dans un montage découpé au scalpel. Grinçante, décalée, portée par le jeu très construit d’Albrecht Schuch dans le rôle du bellâtre qui fait la roue, la comédie acide vire graduellement au noir.  

Si l’intention du film est exagérément transparente – critiquer la tyrannie de l’apparence, l’invasion du virtuel qui lamine le réel… – on savoure l’exercice de style.


Peacock. Film de Bernhard Wenger. Avec Albrecht Schuch, Julian Franz Richter…  Autriche, couleur, 2024. Durée : 1h42

En salles le 18 juin 2025.  

Bombe iranienne: divergences entre militaires et renseignement aux États-Unis

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Sur cette image tirée d’une vidéo diffusée le 17 avril 2021 par la télévision d’État iranienne, on voit diverses centrifugeuses alignées au sein de l’installation d’enrichissement d’uranium de Natanz, Iran © AP/SIPA

En atteignant un enrichissement de l’uranium à 60 %, l’Iran s’est retrouvé dans une position de puissance nucléaire du seuil : capable d’aller jusqu’au bout en cas de crise aiguë, tout en maintenant une ambiguïté suffisante pour préserver une certaine marge de manœuvre diplomatique, explique Gil Mihaely. Les analyses divergentes de la CIA, des militaires américains ou israéliens sur l’urgence d’une intervention préventive contre l’Iran ne sont contradictoires qu’en apparence.


Selon plusieurs organes de presse, dont CNN et Reuters, un nouveau rapport du renseignement américain indique que l’Iran est encore à environ trois ans d’être en mesure de produire et de déployer une bombe nucléaire opérationnelle. Et donc,contrairement à l’évaluation alarmiste d’Israël, qui estime que Téhéran serait à quelques mois de l’arme nucléaire, les services de renseignement américains jugent ce scénario moins imminent, mentionnant un délai de l’ordre de plusieurs années.Mélenchon a donc raison ? Pas nécessairement voire pas du tout. 

Le 10 juin 2025, le général Michael “Erik” Kurilla, commandant du Centcom[1], déclarait devant le Congrès que l’Iran pourrait produire suffisamment de matière fissile pour une bombe nucléaire en moins de deux semaines. Cette déclaration choc, loin d’être isolée, s’inscrit dans une stratégie d’alerte visant à préparer l’opinion publique et les décideurs à un éventuel recours à la force contre la République islamique. Mais elle contraste sensiblement avec les analyses les plus récentes de la CIA et de la communauté du renseignement américain, qui affirment, dans leur rapport annuel publié en mars, que Téhéran n’a pas repris à ce jour son programme d’armement nucléaire.

Faut-il y voir une contradiction, une divergence d’appréciation, ou simplement deux angles de lecture différents d’une même réalité stratégique ?

Le point de départ est factuel : selon l’AIEA, l’Iran possède aujourd’hui des stocks d’uranium enrichi à 60 % suffisants pour produire plusieurs bombes nucléaires. Or, le seuil d’enrichissement pour un usage militaire est de 90 %, mais la conversion de 60 % à 90 % est une étape techniquement rapide pour un État qui en aurait fait le choix politique.

La question de l’enrichissement

Depuis que l’Agence internationale de l’énergie atomique a confirmé que l’Iran possède des stocks d’uranium enrichi à 60 %, un chiffre revient de manière insistante dans les évaluations militaires : deux semaines. C’est le temps qu’il faudrait, selon les experts du Centcom, à la République islamique pour franchir la dernière marche menant au combustible d’une bombe nucléaire. Pourtant, dans le débat public, cette étape reste souvent floue, perçue comme une donnée technique parmi d’autres. Or, c’est précisément dans ce passage, entre 60 % et 90 %, entre le seuil critique et l’irréversible, que se joue une large part de la stratégie nucléaire de l’Iran. Cette progression n’est pas qu’une affaire de chiffres : elle est un enchaînement de transformations physiques, de choix technologiques et d’arbitrages politiques.

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Pour comprendre la portée de ce basculement, il faut d’abord rappeler que l’enrichissement de l’uranium ne consiste pas à « fabriquer une bombe » mais à accroître la proportion d’un isotope rare, l’uranium 235, dans un matériau initialement dominé par l’uranium 238, plus stable mais non fissile. L’uranium naturel contient à peine 0,7 % de U-235. Une centrale nucléaire civile fonctionne avec un combustible enrichi à environ 3 à 5 %. Pour une arme atomique, il faut franchir le cap des 90 % d’U-235, seuil à partir duquel une réaction nucléaire en chaîne devient possible dans une configuration critique. Or, l’Iran, en atteignant 60 %, a déjà effectué l’immense majorité du travail isotopique.

Techniquement, l’uranium ne se laisse pas facilement trier. Pour séparer les isotopes, il faut d’abord transformer le solide en gaz : l’uranium est converti en hexafluorure d’uranium (UF₆), une substance gazeuse à température modérée. Ce gaz est ensuite injecté dans les célèbres  centrifugeuses, machines rotatives à très haute vitesse, qui exploitent la très légère différence de masse entre U-235 et U-238 pour concentrer progressivement le premier. Une seule centrifugeuse ne suffit pas : on les aligne en cascades, chaque machine augmentant marginalement le taux d’enrichissement à la sortie de la précédente. L’Iran maîtrise ces cascades depuis longtemps. C’est cette infrastructure, discrète mais cruciale, qui lui permet d’évoluer rapidement d’un niveau à l’autre.

Le paradoxe est que le passage de 60 % à 90 % est, en termes techniques, beaucoup plus facile que les étapes précédentes. En effet, enrichir de 0,7 % à 20 % représente plus des deux tiers du « travail de séparation », alors que passer de 60 à 90 % est une tâche relativement légère, faisable en quelques jours avec des cascades bien configurées. Cela signifie que le temps d’alerte stratégique est désormais extrêmement court, rendant toute surveillance ou intervention militaire plus difficile à calibrer.

C’est sur ce point que le général Kurilla insiste : le « breakout time », le temps nécessaire pour produire le cœur d’une bombe, serait inférieur à deux semaines.

Mais atteindre 90 % d’enrichissement ne suffit pas à produire une arme. L’uranium enrichi à 90 % est toujours sous forme gazeuse (UF₆). Il faut ensuite le reconvertir chimiquement en uranium métal (solide), le mouler, le compacter, le stabiliser. Ce retour à l’état solide, à des fins militaires, implique des savoir-faire métallurgiques complexes.

Mais fabriquer une arme nucléaire ne se réduit pas à produire de la matière fissile. Il faut ensuite développer un dispositif de détonation fiable, miniaturiser l’arme pour qu’elle puisse être montée sur un vecteur (généralement un missile), puis tester et sécuriser la chaîne de commandement nucléaire. Ces étapes, relevant de la « weaponization », prennent des mois, voire des années. En revanche, il est plus facile à dissimuler. Ainsi, Kurilla lui-même le reconnaît dans son témoignage : l’Iran ne dispose pas encore d’une arme opérationnelle.

C’est votre dernier mot ?

C’est pourquoi le renseignement américain, notamment la CIA, considère qu’en dépit de cette avancée technique, l’Iran ne dispose pas encore d’une arme nucléaire opérationnelle, et n’a pas encore pris la décision politique d’en produire une. Mais du point de vue militaire, l’existence de stocks à 60 % constitue une capacité latente, un potentiel de « breakout » extrêmement court. En somme, l’Iran se trouve dans une position de puissance nucléaire du seuil, capable d’aller jusqu’au bout en cas de crise aiguë, mais suffisamment ambiguë pour conserver une certaine marge diplomatique.

Cette ambiguïté est précisément au cœur de la stratégie iranienne : conserver la réversibilité apparente tout en s’approchant structurellement de l’irréversible. Les centrifugeuses tournent, les stocks s’accumulent, les lignes rouges se déplacent… Dans ce contexte, le passage de 60 à 90 % n’est pas qu’une affaire de tuyauterie nucléaire : c’est un acte de souveraineté potentielle, une déclaration d’autonomie stratégique prête à être activée. Et le monde, pris entre vigilance et paralysie, regarde un gaz devenir métal, et une capacité devenir menace.

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La CIA adopte ainsi une posture de prudence, fondée sur les signaux concrets, tandis que le Centcom, bras armé de la présence militaire américaine au Moyen-Orient, adopte une lecture préventive de la menace, fondée sur la possibilité d’une bascule rapide vers l’arme. Cette même logique guide aussi les décideurs israéliens.

Le général Kurilla fait ainsi écho à une inquiétude israélienne croissante : le « point de non-retour » n’est pas atteint, mais il se rapproche d’autant plus que la marge d’erreur doit être prise en compte. Le temps qu’on peut accorder à la diplomatie est ipso facto compté surtout quand en face on joue la montre.   

La divergence entre le Centcom et la CIA reflète un dilemme stratégique plus large auquel est confrontée l’administration américaine : faut-il agir sur la base des capacités, ou attendre une intention manifeste ? En d’autres termes, une stratégie fondée sur l’évaluation technique du risque justifie une intervention préventive, tandis qu’une stratégie fondée sur l’analyse comportementale préconise d’attendre la preuve d’un franchissement politique clair. Israël, échaudé par l’échec de l’évaluation selon les intentions de l’ennemi et non pas ses capacités, ne souhaite prendre le risque d’un 7-Octobre nucléaire.  

Le programme nucléaire iranien est aujourd’hui moins une question technologique que politique. L’Iran semble avoir adopté une stratégie du seuil, maintenir l’ambiguïté tout en raccourcissant le temps nécessaire de transformer le potentiel en arme et consolidant sa position régionale. Dans ce jeu d’équilibre, les divergences entre les discours du Centcom et ceux de la CIA ne sont ainsi pas nécessairement contradictoires, mais complémentaires dans une stratégie de contrôle et de gestion du risque.


[1] Commandement central des États-Unis NDLR