Nicolas Sarkozy s’est vu retirer la Légion d’honneur et l’ordre national du Mérite suite à ses démêlés judiciaires. Ne pouvait-on vraiment pas faire autrement? Défendant son père, Louis Sarkozy affirme de son côté qu’ « il est des Légions d’honneur que l’on ne perd pas» comme « celles que l’on reçoit en sauvant des enfants des griffes d’un kamikaze ».
Telle était la formule employée par Nicolas Sarkozy en 2020 sur France 2 suite à une question de David Pujadas l’interrogeant sur ses déboires judiciaires dans le dossier du « financement libyen » de sa campagne.
La règle est la même pour tous
On n’hésite pas à employer la même formule suite au retrait de ses titres en matière de Légion d’honneur et de Mérite. On le sait entre autres sanctions dans l’ « affaire des écoutes », Nicolas Sarkozy a été condamné à un an de prison ferme. Selon les règles en la matière, suite à toute condamnation à de la prison ferme, le récipiendaire doit remettre ses titres. La lecture du site legiondhonneur.fr révèle en effet : « Être distingué d’un ordre honorifique signifie qu’on en accepte les valeurs fondamentales, en premier lieu l’honneur. Le décoré est engagé moralement à ne pas nuire à autrui et au bon fonctionnement de la société. En application du code qui régit les ordres nationaux et la Médaille militaire, toute condamnation pénale ou tout acte contraire à l’honneur commis par un décoré peut justifier une procédure disciplinaire ». En effet selon l’article R91,sont exclues de l’ordre : 1° Les personnes condamnées pour crime ; 2° Celles condamnées à une peine d’emprisonnement sans sursis égale ou supérieure à un an.
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Rappelons que dans le sillage de Robespierre, la Révolution supprima toutes les décorations. Ceci dans un souci, légitime, d’égalité citoyenne. Lorsque Napoléon 1er crée la Légion d’honneur le 19 mai 1802 (le 29 floréal An X, dans le calendrier républicain) c’est pour récompenser les « exploits militaires mais aussi civils1 ».
Ce retrait après condamnation est donc “de droit”, avait souligné en mars dernier le Grand chancelier de la Légion d’honneur, le général François Lecointre, qui a signé l’arrêté privant Nicolas Sarkozy des deux titres dont il était grand-croix, grade le plus élevé. « Exemplarité » avait avancé ce haut gradé. Ce fut exécuté par le ministre de la Justice et celui de la Défense. Depuis la création de la Légion d’honneur en 1802, le chef de l’État occupe la fonction suprême de grand maître. Pendant toute la durée de son mandat, il statue ainsi sur l’ensemble des questions concernant la Légion d’honneur.
Peu de temps après la sanction judiciaire de Nicolas Sarkozy et dans l’hypothèse de ce retrait, le président Macron avait estimé « de mon point de vue, de là où je suis, je pense que ce ne serait pas une bonne décision ». Et de rajouter « je pense que c’est très important que (…) les anciens présidents soient respectés »2. Mieux même. Le jeudi 24 avril, le chef de l’État annonçait qu’il « ne prendra aucune décision » de radiation de l’ancien président de la République, en dépit de sa condamnation.
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Au cours de la procédure, l’ancien président de la République a pu faire valoir ses observations auprès de la Grande chancellerie. « Le Grand chancelier de la Légion d’honneur s’est assuré auprès d’éminents juristes de la bonne application des textes en vigueur à ce cas spécifique », indique-t-on à la Grande chancellerie3. De quels « éminents juristes » parle-t-on ? …
Le choix du Prince…
Théoriquement le président de la République n’a donc voix au chapitre que dans les procédures disciplinaires classiques dans lesquelles les conditions d’un retrait d’office ne sont pas réunies. En pratique, on note que depuis quelques décennies, les promotions élyséennes sont trop souvent peuplées de personnes qui ne sont pas toujours en adéquation avec les « valeurs fondamentales » de l’ordre de la Légion d’honneur. Et l’on s’aperçoit que, à l’Élysée, c’est le choix du prince pour promotionner (ou non). Parfois n’importe qui, et des personnes qui sont loin d’avoir accompli des « exploits civils ».
Dès lors, il était loisible à Emmanuel Macron d’éviter cette indignité à son prédécesseur indirect. Il pouvait créer un précédent au titre de ses pouvoirs en la matière. Et même de son pouvoir réglementaire. Un simple décret suffisait pour annuler l’arrêté pris par les ministres de la Justice et de la Défense. Un peu de courage politique, aussi. Mais ce n’est pas la principale qualité de l’actuel locataire de l’Élysée. Quant à Monsieur Darmanin, garde des Sceaux, il a singulièrement la mémoire courte, lui qui doit l’essentiel de sa carrière politique à son ex-mentor. « L’ingratitude en politique est devenue une valeur refuge » aimait à dire de Gaulle.
Inédit depuis… Pétain !
Là où l’indignité devient infamie, c’est que cette exclusion des grands ordres est la seconde de notre histoire présidentielle. En effet, Nicolas Sarkozy est ainsi le deuxième chef de l’État français privé de cette distinction après le maréchal Pétain, à qui la Légion d’honneur avait été retirée après sa condamnation en août 1945 pour haute trahison et intelligence avec l’ennemi. On peut adresser de nombreux reproches à Nicolas Sarkozy. Nous ne nous sommes pas gênés, quand il le fallait. La justice ne s’en prive pas, et de façon parfois démesurée. Ainsi, le suspendre de ses droits paternels est une peine complémentaire abjecte qui n’a strictement rien à voir avec les faits qui lui sont reprochés. Elle a beaucoup affecté l’intéressé, qui a une fille de 14 ans. Nous avons toujours dit que dans tous ses procès, l’ancien président payait aussi ses saillies verbales (« petits pois »), parfois maladroites il est vrai, contre les juges. Le Syndicat de la Magistrature orchestrant cela avec le zèle militant qu’on lui connait… Et en condamnant Nicolas Sarkozy à un an ferme, même avec bracelet, le tribunal savait pertinemment qu’au bout il y avait aussi cette déchéance de décorations. Comme une cerise sur le gâteau, en quelque sorte.
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On nous dira que cette exclusion des titres de l’ancien président est automatique et qu’on ne peut faire autrement. Qu’à cela ne tienne. Il n’est qu’à réviser le Code, d’un autre âge, qui régit les ordres nationaux et la Médaille militaire, en faisant une exception pour les anciens présidents qui ont servi et représenté la France. Car est-il plus noble et inestimable mission ? Certes certains l’accomplissent, il est vrai, moins bien que d’autres. Et puis, cette excuse de ne pouvoir faire autrement nous interpelle. N’a-t-elle pas aussi servi au soutien de Papon et Bousquet pour justifier leurs exactions de collaborateurs ? Heureusement que certains, comme par exemple Jean Moulin ou Jean Zay, choisirent l’honneur de ne pas servir l’ennemi. Mais notons que la conduite de Papon sous « Vichy » ne l’a pas empêché de devenir préfet, ministre et même d’être décoré de la Légion d’honneur par de Gaulle ensuite… Elle lui sera retirée en 1999, suite à sa condamnation pour crime contre l’humanité par la Cour d’Assises de Bordeaux un an avant. De son côté, s’il ne fut décoré « que » de la Francisque par « Vichy », Bousquet, préfet de la zone occupée, ancien secrétaire général de la police de Vichy, fut un ami proche de François Mitterrand (détenteur lui aussi de la Francisque) ainsi que de diverses personnalités de la Ve. La Légion d’honneur qu’il obtint en 1930 des mains du président Doumergue lui sera retirée à l’issue de son procès devant la Haute Cour de Justice en 1949. Eh bien en 1957, le Conseil d’état consent à lui rendre sa Légion d’honneur, et l’ancien secrétaire général à la police de Vichy est même amnistié le 17 janvier 1958. Il est des décorations qui a minima sèment le doute…
Pour terminer sur le cas du président Sarkozy, par la voix de son avocat Patrice Spinosi, ce dernier a déclaré « prendre acte » du retrait de la Légion d’honneur, tout en signalant que la Cour européenne des droits de l’homme devait toujours examiner son recours. En effet une éventuelle condamnation de la France par la CEDH « impliquera la révision de la condamnation pénale prononcée à l’encontre [de Nicolas Sarkozy] en même temps que l’exclusion de l’ordre de la Légion d’honneur, l’une n’étant que la conséquence de l’autre », a énoncé l’avocat à l’AFP.
« Je m’indigne, donc je suis. » (Gyorgy Balint).
- https://www.napoleon.org ↩︎
- https://www.bfmtv.com/politique/elysee/emmanuel-macron-estime-que-dechoir-nicolas-sarkozy-de-la-legion-d-honneur-ne-serait-pas-une-bonne-decision_AV-202504240702.html ↩︎
- https://www.huffingtonpost.fr, 15/06/2025 ↩︎
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