Accueil Édition Abonné Ce que le réel révèle: la fracture, la peur, le déni — ou l’insoutenable légèreté de l’élite française

Ce que le réel révèle: la fracture, la peur, le déni — ou l’insoutenable légèreté de l’élite française


Ce que le réel révèle: la fracture, la peur, le déni — ou l’insoutenable légèreté de l’élite française
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Séparatisme. La France est entrée dans l’ère du mensonge poli, où les mots sont devenus suspects.


Il y a dans le regard que la France porte sur elle-même quelque chose d’exténué, de trouble, comme si, à force de nier le réel, elle avait fini par s’exiler d’elle-même.

La surdité tranquille

Depuis des décennies, les classes populaires — cette France périphérique que l’on ne nomme plus que pour s’en prémunir — cherchent à dire quelque chose, à articuler une plainte sourde, un cri contenu, un refus d’être reléguées à l’invisible. Leur voix, trop longtemps tenue pour vulgaire ou dangereuse, s’est portée sur un vote que l’on dit « extrême », faute de mieux, mais qui n’est que le dernier refuge d’une parole qui ne trouve plus d’asile dans les salons républicains.

Ce vote n’est ni nostalgique ni haineux, pas plus qu’il n’est le symptôme d’une quelconque pathologie morale : il est d’abord un appel à la reconnaissance. Mais les élites, qui vivent hors-sol, dans une République désincarnée, n’ont voulu y voir qu’une rechute du Mal. Elles ont disqualifié, injurié, psychiatrisé — tout ce qui permet d’éviter d’écouter. La sociologie, devenue prêche idéologique, s’est érigée en douane morale, rejetant toute inquiétude populaire au rang de préjugé, toute angoisse identitaire au rang de xénophobie.

Ainsi s’est installée une surdité tranquille. On s’est moqué du « sentiment d’insécurité ». On a ri, dans les amphis et les chaînes publiques, de ceux qui voyaient leur quartier changer de visage, leur langue devenir étrangère, leur culture minoritaire. La peur, pourtant fondée, a été traitée comme une faute. Et le réel, ce réel que la littérature n’a jamais cessé d’habiter, fut relégué dans l’indicible.

Nouvelle morale

La gauche, ivre de sa morale post-coloniale, s’est enfermée dans une grille de lecture binaire, brutale, presque théologique : les dominés ont raison, les dominants ont tort. Cette foi aveugle a engendré une lâcheté nouvelle — celle qui, au nom du Bien, refuse de voir le Mal. L’islamisme, pourtant quotidien, palpable, n’était qu’une « invention médiatique ». Le voile n’était pas un symptôme mais une « liberté ». La République n’était plus qu’un mot, vidé de sa substance, réduit à quelques incantations sans force.

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Plus grave encore : certains ont pactisé. La France Insoumise, par électoralisme ou par fascination pour l’Autre, a cédé aux sirènes du communautarisme, trahissant la laïcité au nom d’un peuple fantasmatique. Ce n’est plus seulement un aveuglement : c’est une complicité tranquille, un renoncement travesti en courage.

Et pendant ce temps, une partie des élites juives françaises, pétrie de mémoire, hantée par les spectres du XXe siècle, n’a vu dans la montée du RN qu’un retour du passé. Leur peur, si compréhensible soit-elle, les a enfermées dans un antiracisme désincarné, devenant parfois les otages involontaires d’un discours qui nie les nouvelles formes de haine — celles qui ne viennent pas de l’extrême droite, mais des franges radicalisées d’un islam politique conquérant.

Les mots deviennent suspects

Nous vivons une ère du mensonge poli. La violence, le repli, la sécession territoriale ne sont plus des fantasmes : ce sont des réalités, perceptibles par tous ceux qui n’ont pas le luxe de les fuir. Mais les mots, eux, sont devenus suspects. Dire, c’est déjà trahir.

Alors la confiance se délite. Le peuple, abandonné, se retire dans un silence lourd, ou dans un vote que l’on appelle « populiste » pour ne pas dire « désespéré ». Ce ne sont pas les partis extrêmes qui minent la démocratie : c’est l’abandon du réel, la peur de nommer, l’extinction du courage.

George Orwell, ce pessimiste lucide, l’avait vu venir : les élites, lorsqu’elles préfèrent l’idéologie à l’expérience, deviennent ennemies du peuple. Nous y sommes. Et c’est pourquoi la fracture n’est pas simplement politique : elle est existentielle. Elle dit le divorce entre ceux qui vivent le réel et ceux qui l’exècrent.

Il faut, non pas réenchanter le monde, comme le répètent les poètes subventionnés, mais réapprendre à nommer. A regarder ce qui est, non ce qu’on voudrait qu’il soit. Et cela suppose une parole débarrassée de ses fictions morales, une parole nue, risquée, — la seule qui puisse encore rassembler ceux qui le peuvent.




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Essayiste et fondateur d'une approche et d'une école de psychologie politique clinique, " la Thérapie sociale", exercée en France et dans de nombreux pays en prévention ou en réconciliation de violences individuelles et collectives.

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