Notre chroniqueur relève chez le leader de la France Insoumise une posture d’intellectuel peu reluisante, qui lui fait penser à celle récemment mise en lumière par Samuel Fitoussi dans son ouvrage Pourquoi les intellectuels se trompent. Enfermé dans sa propre fiction politique, le chef de file de l’extrême gauche semble chaque jour s’enfoncer davantage — jusqu’à oser comparer Rima Hassan à Victor Hugo !
Jean-Luc Mélenchon, le gourou de La France Insoumise, m’est toujours apparu, depuis qu’il a dépouillé sa défroque conventionnelle de socialiste et d’admirateur éperdu de François Mitterrand, comme une personnalité à double-face : l’extrémiste jouant à la révolution et l’intellectuel qui théorise. Il me semble que les absurdités du premier lui sont souvent pardonnées grâce à la prime donnée au second.
LFI se ridiculise
Quand Jean-Luc Mélenchon ose comparer le retour de Rima Hassan en France à Victor Hugo revenant de Guernesey, il devrait nous faire exploser de rire ou nous étouffer d’indignation. Si on s’est moqué de lui et de son tweet, c’est peu par rapport à ce qu’une telle insanité aurait dû susciter qui dévoie la vie politique, l’écrivain emblématique et ses combats partie intégrante de la légende de notre pays.
Comble d’indécence qui ose comparer cette équipée touristique de quelques heures à peine entravée par une nation démocratique avec le destin exceptionnel d’un géant. Décidément LFI manque d’une qualité essentielle que l’affrontement des oppositions et le heurt des idéologies ne devraient pas supprimer : le sens du ridicule.
Je me suis penché sur cet épisode burlesque et la leçon grotesque qu’en a tirée Jean-Luc Mélenchon parce que j’ai été inspiré par Samuel Fitoussi dont le dernier livre : Pourquoi les intellectuels se trompent, dénonce « les mécanismes sociaux, culturels et cognitifs qui conduisent les intellectuels à l’aveuglement… ».
À lire aussi : Mélenchon devenu un «salopard d’antisémite»…
George Orwell n’avait-il pas écrit « que certaines idées sont tellement absurdes que seuls les intellectuels peuvent y croire » ? Pour Samuel Fitoussi « non seulement l’intelligence ne protège pas de l’erreur mais elle peut y prédisposer ».
Un intellectuel est voué à dépeindre la réalité comme un enfer
À dire vrai, avant d’avoir pu écouter et questionner Samuel Fitoussi sur le plateau de Midi News sur CNews, j’avais seulement été un lecteur assidu de ses chroniques souvent hilarantes du lundi dans Le Figaro, dont une merveille amère et sarcastique, malheureusement plausible, de la soirée du 31 mai, pastiche de Mediapart.
Sur CNews j’avais eu tendance à minimiser le caractère novateur de son ouvrage – je ne l’avais pas encore lu – parce qu’il me paraissait s’inscrire dans la lignée d’un chef-d’oeuvre, L’Opium des intellectuels, dans lequel Raymond Aron pourfendait avec brio les intellectuels et les philosophes de gauche et d’extrême gauche saisis par le marxisme. Or, par certains côtés, l’ouvrage de Samuel Fitoussi va plus loin, déborde le cadre purement idéologique et montre comme la qualité d’intellectuel et le statut d’excellence qui lui est donné par principe en France constituent presque structurellement des opportunités pour les erreurs, les préjugés, les partialités, les occultations du réel et une vision implacablement misérabiliste et hémiplégique de la société où les riches et les puissants sont stigmatisés, la lutte des classes encensée et la révolution détestée autant que le réformisme est méprisé.
À lire aussi : La gauche mollah
Ce qui est très éclairant dans la réflexion de Samuel Fitoussi est qu’elle s’appuie sur un certain nombre de travaux scientifiques et sociologiques dont les conclusions sont unanimes : un intellectuel est voué à dépeindre la réalité comme un enfer pour justifier ainsi le rôle qu’il se prête – devenir le justicier qu’on espérait pour rénover de fond en comble une société insupportable. S’il la voyait, il ne pourrait plus l’annoncer !
Si les intellectuels ne se trompaient pas et prenaient l’existence collective comme elle est, sans enlever la complexité des choses et des êtres, leur rôle serait moindre. Il y a dans l’approche de Samuel Fitoussi une sorte de compréhension résignée à leur égard : il faut leur pardonner car à quelques exceptions près (Orwell et Aron par exemple) ils ne pouvaient faire autrement. Jean-Paul Sartre et surtout Simone de Beauvoir sont de parfaites illustrations de cette cécité internationale.
Je ne fais donc pas un rapprochement incongru avec Jean-Luc Mélenchon quand j’appréhende une part de celui-ci comme celle d’un intellectuel qui, ayant quitté le terrain solide du fait et des contraintes, s’acharne à les nier pour se livrer à des fulgurances souvent odieuses mais couvertes par une immunité spécifique : pour nous faire espérer le grand soir, il faut bien que le jour il ne voie rien !