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Racisme antiblanc: à quand un débat entre Jean-Pascal Zadi et François Bousquet?

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Le racisme anti‑Blancs demeure un sujet controversé pour certains: reconnu par une partie de l’opinion, il serait limité à des actes individuels et non assimilés à une forme de racisme structurel selon la gauche. L’acteur Jean-Pascal Zadi reconnaît certes que « certains Blancs peuvent être victimes d’insultes ou d’agressions liées à leur couleur de peau », mais cela n’est pas du racisme au sens systémique selon lui: « c’est de l’hostilité ».


Le racisme antiblanc existe si peu que même les saltimbanques s’empressent d’en nier l’existence. Cette fois-ci, c’est Jean-Pascal Zadi qui s’y est collé. Pour vendre son nanar sur une expédition spatiale africaine, Le Grand Déplacement – une sorte de Black Panther made in France, sans super-pouvoirs, mais avec toutes les obsessions racialistes –, il a fait la tournée des médias et des popotes. Le 27 juin, France Info a cru bon de l’interroger sur le racisme antiblanc. Jean-Pascal Zadi a alors pris la pause d’un Frantz Fanon de banlieue et nous a expliqué doctement que « le racisme antiblanc n’existe pas », que c’est une « hérésie » et qu’insulter ou molester un Blanc, c’est – au mieux ou au pire – de l’« hostilité ».

À ce stade, on n’est plus dans la dénégation, mais dans l’inversion. Un néo-suprémacisme décomplexé. Passons sur le fait qu’il n’y a pas loin de l’hérésie au bûcher et de l’hostilité (hostis, l’ennemi en latin) à la guerre. Jean-Pascal Zadi ne pense pas, il régurgite. C’est la voix off de l’idéologie officielle financé par l’argent public. En bon perroquet du prêt-à-penser décolonial, il rabâche les mantras qui font le quotidien des universités, des salles de rédaction et du « wokisme de salon ».

Jean-Pascal Zadi ferait mieux de lire l’enquête de François Bousquet sur le racisme antiblanc : quarante témoignages bruts, crus, à fendre l’âme, dont celui d’un métis, insulté pour sa moitié blanche.

Ce racisme a tellement peu droit de cité qu’il a fallu attendre 2025 pour qu’un journaliste ose enfin donner la parole aux victimes, qui, jusque-là, n’avaient que le droit de se taire et d’encaisser. Ce livre, c’est l’anti-Zadi : il ne moralise pas, il constate – et ce qu’il constate est effrayant.

On suit les témoins de Bousquet à Bobigny, aux Ulis, à Évry, aux Mureaux, dans les quartiers chauds de Lyon ou de Marseille, jusque dans les replis de l’Isère. On se pince pour y croire, tant ce racisme quotidien s’exprime à l’école, dans les stades, dans les bus scolaires, avec une régularité mécanique qui aurait dû interroger les universitaires, les journalistes et les politiques. Pas un jour sans une insulte. Pas une semaine sans une agression. Et toujours le même silence.

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Qu’est-il arrivé à la France pour que, sur son propre sol, la haine antifrançaise soit devenue un sport collectif et le cri de ralliement d’une immigration extra-européenne en rupture de filiation ? « Sale Blanc », « Putain de gwer », « Sale Français » : les insultes pleuvent et les coups suivent. Rackets, humiliations, crachats – avec en prime la morale inversée : la victime doit presque s’excuser d’exister.

Le plus tragique dans cette affaire ? Les agresseurs sont français, mais seulement de papier. Leur carte d’identité dit « République française », mais leur loyauté est ailleurs : tournée contre elle. Ce n’est pas un conflit d’appartenance, c’est une déclaration de guerre intérieure. La France n’est pas tant colonisée que congédiée de l’intérieur. Elle vit un divorce unilatéral. On lui parle dans sa langue, mais pour mieux l’injurier.

Alors, oui, Jean-Pascal Zadi, c’est du racisme antiblanc. Lourd, massif, répété. Une lame de fond qui ne dit pas son nom, parce qu’on l’interdit de parole. Et c’est justement parce qu’on nie ce racisme qu’il acquiert un caractère systémique. Parce qu’il est systématiquement nié, il est tacitement toléré. Et parce qu’il est toléré, il est en réalité autorisé.

François Bousquet le martèle : nier ces violences, c’est déjà y consentir. Ce n’est pas de la neutralité, c’est de la complicité molle. Ceux qui ferment les yeux acquiescent à ce qu’ils refusent de nommer. Ils pourraient dire comme Georgina Dufoix au temps du sang contaminé : « Responsables, mais pas coupables » ! C’est exactement cela. Ils n’insultent pas, mais ils relativisent. Cela fait d’eux les garants respectables d’une violence inavouable, qu’ils rendent possible à force d’en nier l’existence.

Voilà où conduit, cher Jean-Pascal Zadi, la négation du racisme antiblanc : dans le confort capitonné du mensonge idéologique. Lisez, toute affaire cessante, l’enquête de François Bousquet. C’est la France réelle, pas celle des plateaux où, désormais, vous vous complaisez.

Et osez un débat avec lui. On verra alors qui pense, qui fuit, qui récite. On parie que vous déclinerez. Vous n’avez pas l’habitude d’être contredit, surtout pas par les faits. Mais qui sait ? Vous pourriez en sortir grandi. Ce serait votre premier vrai rôle. Il n’est jamais trop tard.

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Des nouvelles d’Oncle Bernie

Durant cet été, Monsieur Nostalgie poursuit sa galerie de portraits d’écrivains vivants dont l’œuvre tend à disparaître dans les milieux autorisés. Cette semaine, il nous parle de Bernard Chapuis, 80 ans, journaliste d’élite des salles de rédaction et écrivain de l’enfance en demi-teinte…


J’ai fait la découverte de Bernie, voix nasillarde et cheveux ondulants, mi-sérieux, mi-godelureau, faussement sage, l’œil rieur, sur le plateau d’Apostrophes en 1987. Bernard Pivot avait intitulé son émission « Qualité France » et invité des représentants du génie cocardier, toutes disciplines confondues. Michel Platini était assis à côté d’André Brunelin, le biographe de Jean Gabin et face à Yvan Audouard, le thuriféraire de Pagnol à l’accent chantant, le numéro 10 évoqua, ce jour-là, l’agression de Battiston. Raymond Peynet se souvenait que ses amoureux étaient nés de son imagination au temps vert-de-gris de la ligne de démarcation. L’assemblée était un joyeux bazar. Un duo d’auteurs composé de Bernard Chapuis et d’Ermine Herscher était venu présenter leur beau livre Qualités – Objets d’en France paru aux éditions du May, 116, rue du Bac, Paris 7ème arrondissement.

Ils avaient recensé pas moins de 74 objets usuels qu’ « un homme ou une femme possède ou a possédé au moins une fois dans sa vie ». Cet inventaire à la Prévert démarrait par les pâtes alphabet Rivoire et Carret et se terminait par la clé Facom. Une vraie féérie ménagère à la nostalgie Manufrance défilait sous nos yeux, la culotte Petit Bateau, le petit-beurre Lu, le cachou Lajaunie, la cocotte Seb ou la sardine Rödel. Cohabitaient dans cet ouvrage rehaussé par les photographies de François Boissonnet aussi bien le béret basque que les mocassins Weston fabriqués à Limoges, le bas Dim jetable que le carré Hermès successoral. Le verre Duralex, toujours attaché à sa terre du Loiret, n’était pas oublié dans cette liste. On apprenait que Guy Cotten avait fondé avec sa femme Françoise leur société à Concarneau qui allait bientôt populariser le ciré jaune à travers toutes les mers du monde. Et que le poêle Godin délivrait alors une chaleur de 6 500 W ; « chargé de bois ou de charbon [du] soir à vingt-deux heures jusqu’à huit heures le lendemain matin ». Autant d’informations précieuses pour mieux connaître son pays et activer la création littéraire. J’ai toujours estimé que cette série de livres sur les objets était plus que nécessaire au paquetage d’un écrivain en détresse qu’un Lagarde et Michard. À la fois comme source d’inspiration, fertile au roman et comme cadre de pensée. L’objet est ce mystère permanent au cœur des connexions humaines. Il est susceptible de refaire surface, une décennie plus tard.

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Ainsi, Bernard Chapuis qui avait interviewé Coluche quelques années auparavant, décrivait en 1987 le succès de la salopette Adolphe Lafont entre le quart Perrier et le K-Way. L’humoriste mort une année plus tôt avait porté une salopette bleue à rayures blanches lors de son premier sketch en 1974. La collection des éditions du May s’exporta par la suite, les objets italiens furent notamment préfacés par Fellini, Bernard Rapp s’intéressa à l’Angleterre dans Objets d’en Face et le couple Labro nous donna des nouvelles d’Amérique. Plus tard, beaucoup plus tard, je revis Bernard Chapuis pousser la chansonnette chez Ruquier à la télévision lors d’une tournée de promotion ou en acteur d’appoint dans les films de Pascal Thomas. En 1987, le collégien attiré par les foudres de la presse écrite que j’étais, avait été bluffé par le CV du personnage. Les salles de rédaction semblaient être son habitat naturel. Il avait épuisé sa pointe Bic Cristal (pages 72-73) dans tous les journaux de la capitale, à Elle, Combat, en tant que chef de service « Enquêtes et reportages » au Quotidien de Paris, au Canard Enchaîné, au Nouvel Observateur, à VSD, à l’Événement du Jeudi ou à la direction de la rédaction de Vogues Hommes.

J’aurais rêvé de déclarer à une conseillère d’orientation qui m’incitait à m’engager dans une carrière commerciale ou juridique : « plus tard, madame, je serai billettiste ». Car Bernard Chapuis s’était fait connaître comme billettiste au journal Le Monde. Né en 1945 à Alger, Bernard Chapuis était un « cumulard ». Il avait écrit des centaines d’articles et publié des romans principalement chez Stock (L’année dernière, La Vie parlée, Vieux garçon, Le Rêve entouré d’eau), qui lui valurent quelques prix de prestige (Nimier, Freustié, Deux Magots). Je m’étais même procuré son Terminus Paris aux Éditions Les formes du secret, 102, boulevard de la Villette, Paris 19ème arrondissement.

En ce début d’été, il faut relire ce vieux garçon plein de charme et de malice dont les romans « parisiens » sont des bulles de champagne légèrement éventées qui oscillent entre tristesse d’instinct et douce fantaisie, ils retiennent le parfum d’un monde oublié. Chapuis est comme Modiano, un homme de la petite ceinture au passé carafé.

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Simon sauvé des eaux tièdes

Michel Simon est mort il y a cinquante ans. Derrière sa gueule épaisse se cachait un être d’une rare sensibilité. Un acteur unique, le plus grand de tous les temps, selon Sacha Guitry, qui surmontait ses angoisses par une boulimie de travail (150 pièces, 140 films), un amour de la nature, et un penchant notable pour la pornographie.


Je dois avoir 10 ans. Je me promène avec mon oncle dans une rue de Noisy-le-Grand. C’est la banlieue tranquille avec le chant des oiseaux et des pavillons en meulière. Au bout de cette rue, il y a une grande demeure avec des cris de singe, de grands arbres et une sorte de jardin d’hiver avec une immense verrière aux vitres brisées. Devant la porte, une silhouette voûtée dans un pardessus crème, une drôle de tête couronnée d’une crinière de lion. Mon oncle le salue. L’homme lui répond d’une voix chevrotante. Il tient à la main un filet à provisions percé. Mon oncle me dit à l’oreille que c’est Michel Simon, un grand acteur. L’image s’incruste dans ma mémoire. Un acteur, pour moi, ressemblera toujours à Michel Simon.

C’est ce qu’on appelle un monstre sacré ; peut-être le plus grand acteur de tous les temps, pour reprendre le jugement de Sacha Guitry, son ami. Il est mort il y a cinquante ans. La maison qu’il habitait avec ses animaux, surtout Zaza, sa guenon, qu’il habillait comme un humain et qu’il emmenait au théâtre, le parc où l’herbe ignorait la tondeuse, sa bibliothèque aux trois mille livres, cette maison-refuge a été rasée. Son fils, François, avait pris la décision de s’en séparer. Il mourut quelques jours plus tard, me confiera l’acteur Maurice Baquet, voisin de Simon. Cette maison, c’était La Cerisaie, tout finissait par s’en aller.

Il aimait la nature car elle le préservait des hommes et de leurs manigances. Ça a un côté rousseauiste. Normal, il est né le 9 avril 1895, à Genève, dans la grand-rue, en face de la maison natale du philosophe. Ses parents sont charcutiers. Lui, l’amoureux des animaux, ils l’envoient travailler aux abattoirs de Genève, où il doit les achever avec un poinçon. Il confesse : « Pendant un an, j’ai assassiné des bêtes. » C’est un mauvais élève, il fait rire ses camarades. Les traits de son visage sont épais. La grâce, il la possède pourtant, dans le regard, mais personne ne la voit. Il en rajoute. Il est frustré, car il veut être le dernier de la classe ; or il est avant-dernier. Il y a toujours un camarade absent, il parvient à lui piquer la place dont il rêvait. C’est un provocateur, râleur, détestant l’ordre. Un jour, il dit, d’une voix malicieuse : « Je n’aime pas les leçons, elles ne servent qu’à violenter les natures. » Il devient soldat. Il connaît le cachot humide. Il sort de cette aventure tuberculeux et antimilitariste. À 17 ans, il est à Paris. Il crèche près de la porte Saint-Martin. Il finit d’être éduqué par des truands. Il s’éprend d’une prostituée, Jeanne. Il en parlera toujours avec tendresse. Pour elle, il refuse d’aller tourner à Hollywood. Elle lui fait découvrir les plaisirs de la chair et de la lecture. Il lit les enquêtes de Nick Carter et dit : « Son auteur a fini fou. Ce n’est pas à la portée des Goncourt. » Son humour l’aide à gommer la laideur de la vie. Il dévore Messieurs les ronds-de-cuir, de Courteline. Lucide, il déclare : « Ce livre préfigurait les grands conflits mondiaux. Du reste, ça se termine dans un cimetière. C’est l’œuvre d’un prophète. » Rabelais lui enseigne l’irrespect ; Aristophane, le désespoir. À propos de Céline, dont il a enregistré Voyage au bout de la nuit, il dit : « Lui, c’est un homme. Les autres n’ont pas d’idées tranchées. Ils pensent à leur clientèle. C’est difficile de trouver un homme en littérature. » Il déteste Descartes. « La logique, c’est absurde », lance-t-il. Il est tour à tour boxeur, photographe, danseur, acrobate, puis comédien, remarqué par Georges Pitoëff, genevois comme lui. Sa carrière est lancée, avec des hauts et des bas. Au total 150 pièces et 140 films.

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Tiens, là, il discute avec Jean Renoir, qui lui a offert ses plus beaux rôles – La Chienne ; Boudu sauvé des eaux –, ils sont dans une guinguette, ils ont picolé. La caméra tourne. Michel dit qu’il n’a jamais trouvé la rue du Conservatoire. Fou rire. Pour Boudu, dont il fut producteur, il rappelle qu’il a failli couler. Le film fut interdit au bout de trois jours. Motif : Boudu mange des sardines à l’huile avec les doigts et s’essuie sur les rideaux. On peut violer la morale, mais le bourgeois ne supporte pas qu’on touche à ses tentures. C’est un instinctif qui offre au personnage le petit « truc » génial – l’interprétation du farfelu Jules dans L’Atalante de Jean Vigo l’atteste. N’a-t-il pas déclaré : « Lorsqu’on chasse le naturel, il ne revient pas toujours. »

Cet angoissé tient en respect sa folie en tournant sans cesse ; c’est aussi un pornographe notoire – sa collection de treize mille pièces, photos et objets érotiques variés dont des godemichets spectaculaires, est légendaire. Il pose nu avec des prostituées, dans des scènes de sexe crues, se travestit. Il sait que l’homme est mauvais, ça le sauve. En 1940, on l’accuse d’être juif, en 1943 d’être communiste, en 1944, on le dénonce comme collabo. Il encaisse. Comme il encaisse les séquelles d’une teinture pour les cheveux qui lui attaque le visage et le cerveau. Il souffre de vertiges, ne peut plus articuler, confond les couleurs. Il met huit ans à s’en remettre. Mais l’homme est solide. Il retrouve le chemin du succès. On dit qu’il ne connaît pas son texte. Dans Drôle de drame, il bluffe pourtant Louis Jouvet, qui déclare : « Il se promenait dans son texte avec volupté. » En 1957, c’est la fin de sa carrière de vedette. On ne veut plus l’assurer, sauf Abel Gance. Cela lui permet de tourner encore quelques grands films dont Le Vieil Homme et l’Enfant, de Claude Berri. Il prend des risques car il joue un antisémite dans un long-métrage dénonçant l’antisémitisme. Le film sera récompensé à Berlin et interdit de projection à Cannes.

Dans la plupart de ses rôles, ce misogyne faussement solitaire déborde d’humanité. L’acteur à la voix si particulière et à la tête démoniaque meurt le 30 mai 1975. Bertrand Blier lui avait proposé un rôle dans Les Valseuses. J’aurais bien aimé voir Depardieu donner la réplique à cet immense comédien qui travaillait sans filet.

Farniente architectural, un paradis perdu

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Natif de Saumur, sorti diplômé de l’école Boulle puis des Arts décoratifs avant d’intégrer l’institut d’Urbanisme de Paris, Henri Quillé (1928-2018) reste un architecte étrangement écarté du panthéon moderniste. En 1962, l’homme découvre l’île alors la plus secrète des Baléares : Formentera. Etabli à Meudon (où il réalise avec l’Atelier 12 le superbe ensemble Les Pierres Levées, dans le quartier de Bellevue, restauré avec soin voici cinq ans), il quitte définitivement la capitale en 1972 pour s’installer à Formentera, où il fait l’acquisition d’une bâtisse vernaculaire, à toit plat, isolée dans la cambrousse, « d’une géométrie simple qui lui confère un charme poétique, reflet de l’art de vivre méditerranéen : une ambiance intérieure faite d’ombre sur les murs chaulés, contrastant avec une forte luminosité extérieure » […] « Sa maison devient le laboratoire de sa démarche ».  Jusqu’en 2004, il multipliera les projets sur l’île, avant de quitter définitivement, en 2010, ce havre de paix désormais arraisonné par le tourisme de masse. Rentré à Paris, il y meurt huit ans plus tard.

À bonne école

Les monographies de chez Norma sont décidément en prise avec l’air du temps. Ainsi par exemple, accompagnant l’exposition qu’avec son flair habituel lui avait consacré Francis Rambert cet hiver à la Cité de l’architecture et du patrimoine (Palais de Chaillot), l’œuvre de Philippe Prost, lauréat en 2022 du Grand Prix national de l’architecture, était-elle célébrée à bon escient : à peine clôturée l’exposition que Prost, hasard malencontreux du calendrier, était, le 27 mars dernier, avec le paysagiste Bruel Delmar, proclamé vainqueur du concours pour le réaménagement de la place de la Concorde. Certainement le moins mauvais choix entre les candidats à ce concours : les travaux que Prost a conduits, à Belle-Ile en Mer tout particulièrement, témoignent d’un authentique respect pour le patrimoine, les vieilles pierres et le paysage. Va-t-il épargner la Concorde du massacre ? C’est vraisemblable. Son projet ne casse ni l’ordonnancement, ni les symétries ni les continuités, réduisant l’emprise de la circulation automobile, mais sans rompre l’harmonie des voies et de ses perspectives, sous prétexte de « végétaliser » à tout prix.  

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Pour en revenir à Quillé, de l’écologie urbaine à l’écologie rurale ne prévaut qu’une seule et même logique, au fond : le respect, la préservation, la valorisation de l’identité traditionnelle du site. Quillé a été à bonne école : dès les années 1960, il s’est lié avec Ricardo Porro, un des quatre architectes des extraordinaires Escuelas de Arte de La Habana –  sans doute l’unique vestige architectural dont pourrait se targuer la sinistre Révolution castriste (que Porro ne tardera pas à fuir, d’ailleurs, pour s’exiler en France et y poursuivre une estimable carrière jusqu’ à sa mort en 2014)…  

Précurseur, Quillé implante dès les années 1960 dans sa maison paysanne les premiers panneaux solaires sur le marché, tout en réunissant des artisans locaux pour imprégner de leurs savoir-faire ancestral ses « maisons organiques » faites de textures brutes, et qui combinent avec une grande élégance lignes courbes, volumes cylindriques, géométries cubiques. Dans les années 1970, une série fait système : dans les pas d’un Le Corbusier, dépourvue de cette prétention rationaliste totalitaire propre à la fameuse « machine à habiter ». Autosuffisantes au plan énergétique dès le seuil des années 1980 !

Lui-même navigateur, Quillé a l’expérience des espaces restreints, d’où l’idée de ces « maisons minimum », en parallèle à des programmes plus ambitieux en termes de taille mais aussi de composition plastique, telle la maison Sandretto (1994), dont une photo illustre la couverture du présent ouvrage – on dirait du Chirico. La maison-atelier construite en 1977 pour le peintre Erro en bordure de la côte nord de l’île était déjà un bel exemple de cette esthétique épurée, qui se déclinera en maints projets réalisés pour d’autres artistes ou entrepreneurs, tel ce « PF-70 », commande de Pietre et Angela Fedell, ou ce «  KG-74 » destiné aux Grohe, cette famille d’industriels allemands à qui vous ne manquez pas de rendre grâce chaque jour en saisissant votre pomme de douche…

Tour du propriétaire

Synergie avec l’environnement, ventilations, simplicité, confort, optimisation des systèmes se retrouvent dans tous les édifices qui essaiment bientôt dans le paysage insulaire –  maisons Valentin, Reiman, Pamela, Dobo, Di Meo, en passant par celle conçue pour l’architecte et urbaniste Raimon Torres, et jusqu’à cette petite maison habillée de pierres, qu’ Andrea Fiorentino réclamera pour lui seul quand il met sa maison principale en location. Un des joyaux tardifs de cette œuvre singulièrement méconnue reste sans aucun doute la vaste demeure bâtie dans les années 1990 pour Giberto Sandretto, un industriel italien, dans la partie la plus étroite de Formentera, à Es Calo, au pied de La Mola, sur un terrain qui descend en pente vers la mer.

A lire ensuite, Thomas Morales: Dans la caravane

De cette diversité, mais aussi de cette continuité remarquable, rendent compte ici photos anciennes, en noir et blanc le plus souvent, alternant avec des photos récentes en couleur, certaines en pleine page, mais également des photos aériennes, des prises de vue des aménagements intérieurs, des plans d’architecte… au fil de ce très « beau livre », dont les pages en papier mat, d’une belle épaisseur texturée, présentent un luxe inhabituel.

Sous la direction de cet homme d’entregent et spécialiste des arts décoratifs du XXème siècle qu’est Guy Bloch-Chamfort, assisté de l’architecte Sophie Cambrillat et de Tanit Quillé, fille d’Henri Quillé et elle-même architecte dépositaire de la mémoire de l’œuvre de son père au sein d’une association dédiée dont elle est présidente, l’ouvrage se présente comme une « visite du propriétaire » : attentive à analyser dans son détail, étape par étape et de site en site, l’exemplarité de chaque édifice. Formentera, au temps du farniente sans la foule. Encore un paradis perdu, –  un de plus ?   

A lire :

Henri Quillé. Formentera, par Guy Bloch-Champtort, Sophie Cambrillat, Tanit Quillé. Norma éditions, 224p. 2025. (texte bilingue français espagnol)

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Philippe Prost, architecte. La mémoire vive, sous la direction de Francis Rambert. Norma éditions, 195p. 2024

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Défonce sans frontières

Bienvenue au centre de rétention du Canet, où des délinquants multirécidivistes venus du Maghreb attendent mollement une expulsion qui ne viendra jamais, en se battant pour des cachetons.


Le 23 avril, le contrôleur général des lieux de privation de liberté, rôle confié par Macron à Dominique Simonnot, ancienne journaliste de… Libération et du Canardenchaîné, a rendu public un rapport sur le centre de rétention administrative du Canet à Marseille. La clientèle: 125 hommes, déjà tous connus et poursuivis et rattrapés pour « troubles à l’ordre public », dont 63 Algériens, 27 Tunisiens et 11 Marocains, au total 20 nationalités représentées. Qui, en attendant une hypothétique expulsion, se tapent dessus. Le rapport évoque « les violences qui sont nombreuses entre retenus ». Une agressivité qui est due au manque, pas le manque de liberté, mais le manque de drogue… car la majorité des « retenus » est accro, pas à la coke ou à l’héro, mais aux drogues du pauvre, des médicaments bon marché comme la prégabaline et le tramadol qui, pris à haute dose, ont fini par leur taper sur le système… Incorrigibles, ils refusent pourtant de suivre les traitements de sevrage que l’équipe médicale leur propose.

À lire aussi, Patrick Eudeline : Un peuple de junkies: antalgiques, somnifères, neuroleptiques, opioïdes…

En France, le tramadol et la prégabaline sont en effet délivrés uniquement sur ordonnance. D’où un marché noir pour ravitailler les narco-migrants. À Nantes, le procureur de la République précise que les trois dernières années, 94 procédures pénales ont été dénombrées, « portant sur du trafic de prégabaline ou des agressions commises sous l’effet de cette substance ». Nantes, où un médecin de 61 ans, jusqu’ici toujours blanc comme neige, est poursuivi pour avoir délivré des ordonnances douteuses de prégabaline à une centaine d’« impatients » pas immatriculés à la Sécu. Pour sa défense, il dit avoir agi sous la menace…

Une étude du docteur suisse Jochen Mutscler établit que la prégabaline est privilégiée par les migrants venant des pays d’Afrique du Nord, où le médicament est disponible sans ordonnance, et que c’est déjà camés, sous l’influence du « bola hamra », le nom arabe donné aux pilules, qu’ils débarquent en Europe. On arrive à comprendre que leurs pays ne soient pas pressés de récupérer ces défoncés…

Quadraversitaire et pigeon à une patte

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Chaque semaine, Philippe Lacoche nous donne des nouvelles de Picardie…


Une personne proche de ma Sauvageonne nous a invités, il y a peu, au concert qu’a donné l’Orchestre universitaire de Picardie, à l’occasion de son quarantième anniversaire sur la place Gambetta, à Amiens. Il y avait beaucoup de monde ; des gens avaient sorti les transats, les sièges ; d’autres étaient assis dans l’herbe urbaine produite par notre grasse terre picarde. La personne proche avait réservé une table entière, Au Forum, l’un des bars les plus connus de l’endroit. C’était le soir ; la canicule avait baissé d’un ton son assommant caquet. Nous étions bien. Avant que le concert ne commençât, mon attention fut attirée par un pigeon qui s’était posé sur le gazon à quelques mètres de notre table ; la pauvre bestiole n’avait qu’une patte. Accident ? Malformation ? Je n’eus pas la présence d’esprit de lui poser la question. Ma Sauvageonne l’observa aussi, encore plus attendrie que moi. « Tu penses que ça l’empêche de voler ? » lui demandai-je, plus idiot qu’à mon habitude. Sa réponse ne se fit pas attendre : « Il ne vole pas avec ses pattes, mais avec ses ailes, Vieux Yak », sourit-elle, surprise par tant de bêtise de ma part. L’oiseau continuait de nous observer avec ses petits yeux sombres qui me faisaient penser à ceux de Daniel Auteuil. M’avait-il entendu ? M’avait-il compris ? Il prit soudain son envol comme pour me rassurer. Ce fut à ce moment-là que le concert commença. Il y avait longtemps que je n’avais pas assisté au concert d’un grand orchestre, moi qui suis plus habitué aux riffs du bon vieux rock’n’roll. Je ne fus pas déçu. Nappes liquides de violons, cuivres rougeoyants… avec sa baguette, le chef semblait écrire sur le tableau sombre du ciel des paroles sur la délicieuse musique qui – au début tout au moins – n’en possédait pourtant point. La formation universitaire interpréta notamment la « Valse des Fleurs », de Piotr Ilitch Tchaïkovski, « Sicilienne », de Gabriel Fauré, « Uptown Funk », de Bruno Mars et Mark Ronson. On nous donna également à entendre « September », de Earth Wind & Fire, et le sublime « Summertime », de George Gershwin, sans oublier « Shéhérazade IV », de Nikolaï Rimski-Korsakov. Il y en avait donc pour tous les goûts. En quittant les lieux, je ne cessais de penser au pigeon à une patte. Accident ? Malformation ? Je regrettai déjà de ne pas lui avoir posé la question.

Étincelles de guerre civile?

À Saint-Just en Chaussée (60), l’influenceuse arabo-musulmane raciste s’en prend à la boulangerie. À Paris, Rima Hassan n’aime pas les « sionistes » – des agents immobiliers aussi haineux qu’elle le lui rendent bien dans le 10e arrondissement. Pendant ce temps, les jeunes deviennent incontrôlables dans les parcs aquatiques.


Elle voulait un sandwich au thon, il était au poulet. Le drame absolu ! La catastrophe des catastrophes. Elle exigeait qu’on le lui change, rapport à sa religion et à ses tabous alimentaires, n’est-ce pas.

La scène se passe dans une boulangerie de France. Non halal, précisons-le. Il y a encore en France des débits d’alimentation non totalement halalisés. Comment est-ce possible ? C’est ce que la jeune femme au sandwich ne peut probablement pas accepter. Devant le refus des commerçants d’accéder à son exigence – on ignore sur quel ton le thon aura été réclamé, encore qu’on puisse le deviner au vu de celui qui a été employé par la suite – la voilà qui se rue sur TikTok, cette chambre d’écho de la haine et de la bêtise (voir vidéo en bas de page). « Je vais dire quelque chose de raciste », tient-elle à préciser, au cas où on imputerait sa démarche à la simple sottise. Non, elle tient à ce qu’on n’ignore pas qu’elle est bien consciente de la connotation raciste des mots qu’elle va lâcher. « C’est toujours comme ça dans les boulangeries de blancs. » Et de nous exposer que, ailleurs, là où une échoppe est tenue par un « rebeu » (sic), ça ne se serait pas passé comme ça, qu’elle aurait eu droit non seulement à l’échange mais aussi à de plates excuses. Du genre, ma sœur, ceci, cela, et patati et patata.

Face à face

Un conseil à cette jeune personne dont on sait à présent qu’un de ses passe-temps est de nous cracher à la gueule, à nous autres Français de France, sur les réseaux dits sociaux (Il faut bien qu’une jeunesse à l’utilité sociale des plus incertaines trouve à s’occuper). Oui, un conseil tout de même à cette pétulante croisée de l’anti-France et du racisme anti blanc : pour ne pas avoir à subir les boulangeries et autres commerces de blancs, aller planter ses pénates à Ouagadougou, Alger, Téhéran, Islamabad ou Kaboul serait un excellent moyen. TikTok étant mis en alerte, c’est le déferlement de haine, de menaces habituelles qui s’abat sur les commerçants de la boulangerie. Messages de soutien, aussi, heureusement. Deux camps, donc, s’affrontent. Une sorte d’esquisse de guerre civile sur fond de sandwich au poulet. On croit rêver ! Ah, la belle France d’aujourd’hui…

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Rima Hassan n’aime pas les « sionistes » qui le lui rendent bien

Mêmes réjouissances avec la star des médias de ces temps-ci Rima Hassan, toute surprise de se voir invectivée, assez rudement ma foi, par des personnels d’une agence immobilière Orpi quelque peu horripilés de son antisémitisme maquillé en antisionisme, de son soutien exalté au projet palestinien d’éradiquer l’État d’Israël, car dans ce que défend l’intéressée, c’est évidemment cela qui est au programme. Là, dessus, bien entendu, l’enseigne Orpi devient la cible des aimables contingents embrigadés sous la bannière du keffieh de la dame. On vandalise, on incendie. On fait payer. Il faut que le blanc paie. Paie, quoi, tout. La colonisation, la décolonisation, l’esclavage et son abolition, le tout et son contraire. Là-dessus, peut-être un peu gênée tout de même aux entournures, Mme Hassan tente d’expliquer qu’un de ces incendies serait le fait de l’intelligence artificielle. La bêtise en majesté, vous dis-je ! (Encore un truc de blanc, ça, l’intelligence artificielle, non?)

La bêtise, la haine et en face, quoi ? Rien ou si peu. Un président de pacotille, un Premier ministre qui dort debout, des ministres de l’Intérieur et de la Justice réduits au ministère de la parole, congelés en une impuissance glaçante. On en est, en haut lieu, à considérer ces évidentes prémices de guerre civile comme de simples faits divers. Circulez, dormez bonnes gens, il ne se passe rien.  Nous sommes là et nous employons les bons moyens. La preuve, lorsque des sauvageons livrés à eux-mêmes, élevés dans l’idée que casser la France est le meilleur des divertissements estivaux qu’ils puissent trouver, saccagent la piscine et les installations afférentes qui les accueillent, que fait-on ? Sanctionne-t-on ? Botte-ton le cul de ces futurs insurgés ? Que non pas. On ferme boutique. Lâchement. Victoire éclatante pour les petits merdeux. Une honte de plus pour la France, le pays, pour nous. Avec celle, ô combien brûlante, que nous vaut l’incapacité tragique de l’État à sortir Boualem Sansal de l’enfer où Tebboune et sa clique le tiennent reclus. Eux tous, Tebboune, la fille au poulet, les ensauvagés de la piscine doivent bien rigoler. Eh oui !

Finalement, on en arriverait presque à se demander si ce ne serait pas la France entière qu’il conviendrait de fermer. Puisqu’on en est là.

@laafemmesigma Est la boulangerie artisanale de saint juste en chausee dans l’Oise les gars !!! Faites de la pub partager et repbliez au max svp merci #fyp #pourtoii #videoviral #viralditiktok #france🇫🇷 #french #😱 ♬ son original – laafemmesigma

LES TÊTES MOLLES - HONTE ET RUINE DE LA FRANCE

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Je suis solognot mais je me soigne

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Thriller glauque dans une Chine abolie


La première partie nous ramène en 1997, dans la ville de Fentum, au nord-est de l’Empire du Milieu : grisaille, misère, laideur, c’est encore la Chine héritée de la Révolution culturelle ; y perdure un sous-développement qui paraît suinter des murs, s’imprimer jusque sur les visages. L’image assez cradoque du film, d’un bout à l’autre, semble y faire curieusement écho, d’ailleurs. C’est un autre monde, à des années-lumière de l’actuelle puissance économique faramineuse qu’on connaît – commerçante, numérisée, dominatrice, aux métropoles hérissées de tours dupliquées sans fin à l’identique…  

Au milieu de cette crasse d’un autre temps et dans cette déprime gluante, une noria de taxis, boîtes à savons peintes en rouge, attendent le client. Il advient que des chauffeurs sont assassinés, leurs véhicules incendiés – meurtres inexpliqués ; l’enquête piétine, tandis que Li Fei rêve de quitter Fentum pour le Sud du continent, alors perçu comme un eldorado… Dans une seconde partie, Des feux dans la plaine se transporte en 2005, à l’époque où le Parti communiste décrète en quelque sorte la loi de la jungle, sous le slogan « Réforme & Ouverture ». Un jeune policier décide de rouvrir le dossier enterré huit ans plus tôt…

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Sous l’alibi d’un thriller qui finit par prendre un tour de violence incendiaire, horrifique, à la limite du gore, le cinéaste s’attache surtout, semble-t-il, à porter un regard rétrospectif sur la métamorphose radicale de son pays au tournant du millénaire. Assez confuse, laborieuse et touffue, l’intrigue laisse dubitatif, même si le portrait reste saisissant dans son extrême cruauté.       


Des feux dans la plaine. Film de Zhong Ji. Chine, couleur, 2024. Durée : 1h41.

En salles le 9 juillet 2025.

Écriture thérapeutique

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Alors que fait rage la guerre en Ukraine, que se poursuit le conflit au Proche- Orient, une femme se bat sur d’autres fronts. Son nom Nayla Chidiac. Docteur en psychopathologie, psychologue clinicienne spécialiste du trauma, elle est aussi poète et écrivaine. Dans son cabinet du 7ème arrondissement de Paris, elle reçoit des patients pas comme les autres. Certains reviennent de théâtres de guerre, d’autres de captivité, tous ont en commun d’avoir vu la mort de près et d’en être revenus profondément traumatisés. C’est là que Nayla Chidiac entre en scène « l’un des désastres majeurs de la guerre est la destruction de la pensée -explique-t-elle. La pensée est trouée, gelée, parasitée ». L’écriture thérapeutique va donc permettre de la restaurer.

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Dans L’écriture qui guérit, livre aussi poignant qu’érudit, celle qui a fondé les ateliers d’écriture thérapeutique à l’Hôpital Sainte Anne à Paris il y a trente ans s’interroge sur le lien entre l’écriture et la guerre à partir de son expérience mais aussi de celle de vingt-six écrivains majeurs dont Blaise Cendrars, Tolstoï ou Marguerite Yourcenar. Son incroyable odyssée débute dans les années 1990. Nayla Chidiac souhaite alors faire une thèse sur les traumas de guerre. Mais le Général Louis Crocq, psychiatre des armées qu’elle considère comme son maître, l’en dissuade. Jusqu’en 1995 où, suite à une série d’attentats, il crée avec Xavier Emmanuelli, sur instruction du Président Jacques Chirac, les CUMP, Cellules d’urgence médico-psychologique, et fait appel à ses services. Dès lors elle ne cessera d’intervenir sur les lieux de catastrophe. Lorsqu’on aborde son parcours personnel la psychologue se rétracte. Tout juste concède t’elle qu’elle est née en 1966 au Liban puis a suivi une scolarité très « hachurée » entre Beyrouth et Londres. « La guerre, je la connais, -écrit-elle-j ’ai passé ma vie à faire comme si elle et moi étions étrangères affectivement mais intimes intellectuellement ». Alors oui, elle finit par l’admettre : elle était en quelque sorte prédestinée à travailler sur les traumas. « Je viens d’un pays constamment en guerre– souligne- t-elle- j’avais une pulsion de vie immense et un désir profond de soigner. » Elle pense un temps devenir psychologue pour enfants mais comprend dès son premier stage qu’elle est trop touchée émotionnellement pour en faire un métier. Elle sait en revanche qu’elle est qualifiée « pour tout ce qui est grave, urgent, rapide, or le trauma c’est ça. Une discipline passionnante qui vous confronte chaque fois à des vies différentes ». En 1984 elle arrive à Paris après de longs moments passés dans les abris d’un Beyrouth bombardé et fait une rencontre d’importance : le théâtre d’Eugène Ionesco. Pour la jeune Libanaise élevée dans une famille assez traditionnelle qu’elle reconnaît avoir été « la découverte de l’Absurde fut déterminante. Car qui y a-t-il de plus absurde que la guerre ? ». À partir de là, confesse-t-elle, « les écrits de Ionesco (ont été) des clignotants dans les différentes tempêtes de ma vie ». Jorge Semprun sera l’autre rendez vous marquant de son existence. Elle se souvient de l’avoir croisé lors d’une séance de dédicace : « Son regard était celui que j’imaginais, un regard pareil à celui de ces patients qui ont « vu ». Son livre L’écriture ou la vie est à la source de mon désir d’écrire cet ouvrage », confie-t-elle avant de préciser l’essentiel : « Semprun explique qu’il lui a fallu quinze ans. Quinze ans pour comprendre que s’il écrivait sur le sujet il mourrait et s’il n’écrivait pas, il mourrait aussi. Ce n’est pas qu’il avait peur, c’est qu’il ne savait pas comment faire. Alors pendant toutes ces années, il a écrit d’abord sur « avant le camp » puis sur « après le camp » mais le camp en lui-même, il ne pouvait pas. Il était dans ce que nous les psys nous appelons dans notre jargon une impasse psychique. Il a finalement pu écrire et a été libéré. Pour moi c’est donc l’écriture ET la vie et non L’écriture OU la vie. » Si elle est souvent intervenue sur des lieux de guerre, Nayla Chidiac exerce désormais son activité à Paris, ce qui ne l’empêche pas d’accompagner des patients toujours sur le front. Le suivi se fait alors par visio ou par Whatsapp parfois même par textos. À ces femmes et ces hommes en plein chaos, elle donne un cadre. « Je leur propose d’écrire, de préférence à la main soit une nouvelle soit un poème soit un haïku et pendant trente minutes ils oublient tout. Y compris les bombes ». Un travail dont elle rappelle qu’il n’a pas de visée esthétique. « Seul compte le processus de création. C’est lui qui assouplit le psychisme. C’est lui qui guérit ». Écrire est donc possible en temps de guerre, même essentiel, pour pouvoir continuer à penser. Tenir un Journal en est la preuve. « Si j’écris je suis vivant, explique la psychologue. Dans l’idée du Journal il y a celle de la temporalité. J’espère être là demain et après-demain. Il y a quelque chose de l’ordre de l’espérance. » Celui d’Anne Franck en est un bel exemple ainsi que celui, plus proche de nous, de la jeune Ukrainienne Yeva Skalietska. « Se projeter étant difficile en temps de guerre, écrire de la fiction s’avère quasiment impossible » précise la thérapeute. Pour preuve le retour au Journal du romancier Ukrainien Andreï Kourkov. Reste la poésie, genre souvent pratiqué comme le fit avec maestria Guillaume Apollinaire depuis les tranchées. Et Nayla Chidiac de rappeler « Quand vous avez vécu un traumatisme vous êtes victime. Donc passif. Dès que vous prenez la plume vous redevenez actif et maître de votre histoire. Cela change considérablement la donne. » L’écrivain Salman Rushdie, sauvagement poignardé lors d’une conférence en 2022, l’a admirablement prouvé publiant, deux ans après son agression, un récit salvateur intitulé Le couteau. « L’écriture guérit et permet de se rétablir » écrit le romancier japonais Kenzaburô Oé dont l’enfance fut marquée par la Seconde Guerre. Une conviction qui anime Nayla Chidiac depuis plus de trente ans et qu’elle nous fait partager avec une passion peu commune.

L’écriture qui guérit, Nayla Chidiac, Odile Jacob, 2025. 288 pages.

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[1] https://www.causeur.fr/salman-rushdie-la-traversee-282657

Hemingway, sudiste de cœur

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Les cartes postales de l’été de Pascal Louvrier (1)


La table de travail est protégée du soleil par le feuillage du tilleul en fleurs. Les glaçons fondent lentement dans le Campari. La boisson me ramène en 1999, à Venise. Je suis avec Sollers. On dine léger. Mais un peu trop d’alcool. Soudain, il me parle du plus grand livre selon lui d’Hemingway, Au-delà du fleuve et sous les arbres. Je ne l’ai pas lu. Sollers : « C’est une erreur. Demain, vous irez l’acheter. » Il me raconte la dernière scène du roman qui explique le titre. Il ajoute : « On n’invente pas ça, et on écrit ça, ici. » Sa main baguée, dans un mouvement ample, désigne le canal de la Giudecca, la Salute bulbeuse, le ciel encre de seiche.

On résume : il a cinquante balais, elle en a dix-neuf. Lui, c’est un colonel en retraite, couturé, tenant des propos à l’opposé des idéaux virilistes, proche du détachement absolu, même s’il n’en a pas fini avec le bas-ventre. Ce qui compte, c’est le temps qui ne compte plus. Elle, c’est Renata, très belle, surtout ses yeux qui « vous regardent bien en face, sans coquetterie. » Une histoire d’amour qui se dit platonique. Personne n’y croit. Le désir sexuel est trop puissant, il annonce la mise à mort du colonel Richard Cantwell. Leur baiser, du reste, a le « goût du désespoir. » Le militaire va mourir lors d’une chasse aux canards.

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Hemingway n’avait rien écrit depuis plus de dix ans quand il rencontra Adriana Ivancich, une comtesse de la région de Trieste – clin d’œil du destin à Joyce – dont il tomba amoureux. Il dit : « Tu m’as rendu la possibilité d’écrire ». Il précise : « J’ai pu finir mon livre et j’ai donné ton visage à l’héroïne ». Un écrivain ne peut pas faire de plus bel aveu à une femme. Hemingway, à peine dissimulé sous les traits de Cantwell, signe son roman le plus personnel, qui tourne le dos à Chicago, le gris du ciel, son enfance, le protestantisme en affirmant son désir du Sud. C’est le cœur de l’Espagne qui bat dans ce roman dont l’intrigue avance par petites touches de courts dialogues ciselés. Hemingway est au sommet de son art. Comme le résume Sollers : « C’est l’apparence des choses qui a raison. Pas le fond. C’est un renversement absolu. » La critique, unanime, descendit le roman. Hemingway révélait sa vraie nature, brouillait les cartes, et ça n’était pas supportable. Jubilation, pourtant, de Cantwell/Hemingway : « Cela me donne la sensation d’être exposé sur une colline dénudée, trop rocheuse pour qu’on y creuse un trou et c’est du roc lisse, sans une saillie, sans une bosse, mais tout à coup, au lieu d’être perché, là, nu, je suis blindé. » Hemingway, avec cette histoire crépusculaire, rendait les armes et disait adieu à ses lecteurs, avant d’armer l’un de ses fusils de chasse et de se faire sauter la boite crânienne, le 2 juillet 1961.

Adriana, quant à elle, finit par se pendre dans le jardin de sa propriété à Trieste, après avoir brûlé toute sa correspondance avec Hemingway.

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Racisme antiblanc: à quand un débat entre Jean-Pascal Zadi et François Bousquet?

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Jean-Pascal Zadi à l'affiche du film "Le grand déplacement", 2025 © Mika Cotellon © 2024 GAUMONT – DOUZE DOIGTS PRODUCTIONS – FRANCE 2 CINEMA

Le racisme anti‑Blancs demeure un sujet controversé pour certains: reconnu par une partie de l’opinion, il serait limité à des actes individuels et non assimilés à une forme de racisme structurel selon la gauche. L’acteur Jean-Pascal Zadi reconnaît certes que « certains Blancs peuvent être victimes d’insultes ou d’agressions liées à leur couleur de peau », mais cela n’est pas du racisme au sens systémique selon lui: « c’est de l’hostilité ».


Le racisme antiblanc existe si peu que même les saltimbanques s’empressent d’en nier l’existence. Cette fois-ci, c’est Jean-Pascal Zadi qui s’y est collé. Pour vendre son nanar sur une expédition spatiale africaine, Le Grand Déplacement – une sorte de Black Panther made in France, sans super-pouvoirs, mais avec toutes les obsessions racialistes –, il a fait la tournée des médias et des popotes. Le 27 juin, France Info a cru bon de l’interroger sur le racisme antiblanc. Jean-Pascal Zadi a alors pris la pause d’un Frantz Fanon de banlieue et nous a expliqué doctement que « le racisme antiblanc n’existe pas », que c’est une « hérésie » et qu’insulter ou molester un Blanc, c’est – au mieux ou au pire – de l’« hostilité ».

À ce stade, on n’est plus dans la dénégation, mais dans l’inversion. Un néo-suprémacisme décomplexé. Passons sur le fait qu’il n’y a pas loin de l’hérésie au bûcher et de l’hostilité (hostis, l’ennemi en latin) à la guerre. Jean-Pascal Zadi ne pense pas, il régurgite. C’est la voix off de l’idéologie officielle financé par l’argent public. En bon perroquet du prêt-à-penser décolonial, il rabâche les mantras qui font le quotidien des universités, des salles de rédaction et du « wokisme de salon ».

Jean-Pascal Zadi ferait mieux de lire l’enquête de François Bousquet sur le racisme antiblanc : quarante témoignages bruts, crus, à fendre l’âme, dont celui d’un métis, insulté pour sa moitié blanche.

Ce racisme a tellement peu droit de cité qu’il a fallu attendre 2025 pour qu’un journaliste ose enfin donner la parole aux victimes, qui, jusque-là, n’avaient que le droit de se taire et d’encaisser. Ce livre, c’est l’anti-Zadi : il ne moralise pas, il constate – et ce qu’il constate est effrayant.

On suit les témoins de Bousquet à Bobigny, aux Ulis, à Évry, aux Mureaux, dans les quartiers chauds de Lyon ou de Marseille, jusque dans les replis de l’Isère. On se pince pour y croire, tant ce racisme quotidien s’exprime à l’école, dans les stades, dans les bus scolaires, avec une régularité mécanique qui aurait dû interroger les universitaires, les journalistes et les politiques. Pas un jour sans une insulte. Pas une semaine sans une agression. Et toujours le même silence.

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Qu’est-il arrivé à la France pour que, sur son propre sol, la haine antifrançaise soit devenue un sport collectif et le cri de ralliement d’une immigration extra-européenne en rupture de filiation ? « Sale Blanc », « Putain de gwer », « Sale Français » : les insultes pleuvent et les coups suivent. Rackets, humiliations, crachats – avec en prime la morale inversée : la victime doit presque s’excuser d’exister.

Le plus tragique dans cette affaire ? Les agresseurs sont français, mais seulement de papier. Leur carte d’identité dit « République française », mais leur loyauté est ailleurs : tournée contre elle. Ce n’est pas un conflit d’appartenance, c’est une déclaration de guerre intérieure. La France n’est pas tant colonisée que congédiée de l’intérieur. Elle vit un divorce unilatéral. On lui parle dans sa langue, mais pour mieux l’injurier.

Alors, oui, Jean-Pascal Zadi, c’est du racisme antiblanc. Lourd, massif, répété. Une lame de fond qui ne dit pas son nom, parce qu’on l’interdit de parole. Et c’est justement parce qu’on nie ce racisme qu’il acquiert un caractère systémique. Parce qu’il est systématiquement nié, il est tacitement toléré. Et parce qu’il est toléré, il est en réalité autorisé.

François Bousquet le martèle : nier ces violences, c’est déjà y consentir. Ce n’est pas de la neutralité, c’est de la complicité molle. Ceux qui ferment les yeux acquiescent à ce qu’ils refusent de nommer. Ils pourraient dire comme Georgina Dufoix au temps du sang contaminé : « Responsables, mais pas coupables » ! C’est exactement cela. Ils n’insultent pas, mais ils relativisent. Cela fait d’eux les garants respectables d’une violence inavouable, qu’ils rendent possible à force d’en nier l’existence.

Voilà où conduit, cher Jean-Pascal Zadi, la négation du racisme antiblanc : dans le confort capitonné du mensonge idéologique. Lisez, toute affaire cessante, l’enquête de François Bousquet. C’est la France réelle, pas celle des plateaux où, désormais, vous vous complaisez.

Et osez un débat avec lui. On verra alors qui pense, qui fuit, qui récite. On parie que vous déclinerez. Vous n’avez pas l’habitude d’être contredit, surtout pas par les faits. Mais qui sait ? Vous pourriez en sortir grandi. Ce serait votre premier vrai rôle. Il n’est jamais trop tard.

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Des nouvelles d’Oncle Bernie

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Prix Littéraire Roger Nimier attribué à Bernard Chapuis pour son roman « La Vie Parlée », Paris, 25 mai 2005 © BENAROCH/SIPA

Durant cet été, Monsieur Nostalgie poursuit sa galerie de portraits d’écrivains vivants dont l’œuvre tend à disparaître dans les milieux autorisés. Cette semaine, il nous parle de Bernard Chapuis, 80 ans, journaliste d’élite des salles de rédaction et écrivain de l’enfance en demi-teinte…


J’ai fait la découverte de Bernie, voix nasillarde et cheveux ondulants, mi-sérieux, mi-godelureau, faussement sage, l’œil rieur, sur le plateau d’Apostrophes en 1987. Bernard Pivot avait intitulé son émission « Qualité France » et invité des représentants du génie cocardier, toutes disciplines confondues. Michel Platini était assis à côté d’André Brunelin, le biographe de Jean Gabin et face à Yvan Audouard, le thuriféraire de Pagnol à l’accent chantant, le numéro 10 évoqua, ce jour-là, l’agression de Battiston. Raymond Peynet se souvenait que ses amoureux étaient nés de son imagination au temps vert-de-gris de la ligne de démarcation. L’assemblée était un joyeux bazar. Un duo d’auteurs composé de Bernard Chapuis et d’Ermine Herscher était venu présenter leur beau livre Qualités – Objets d’en France paru aux éditions du May, 116, rue du Bac, Paris 7ème arrondissement.

Ils avaient recensé pas moins de 74 objets usuels qu’ « un homme ou une femme possède ou a possédé au moins une fois dans sa vie ». Cet inventaire à la Prévert démarrait par les pâtes alphabet Rivoire et Carret et se terminait par la clé Facom. Une vraie féérie ménagère à la nostalgie Manufrance défilait sous nos yeux, la culotte Petit Bateau, le petit-beurre Lu, le cachou Lajaunie, la cocotte Seb ou la sardine Rödel. Cohabitaient dans cet ouvrage rehaussé par les photographies de François Boissonnet aussi bien le béret basque que les mocassins Weston fabriqués à Limoges, le bas Dim jetable que le carré Hermès successoral. Le verre Duralex, toujours attaché à sa terre du Loiret, n’était pas oublié dans cette liste. On apprenait que Guy Cotten avait fondé avec sa femme Françoise leur société à Concarneau qui allait bientôt populariser le ciré jaune à travers toutes les mers du monde. Et que le poêle Godin délivrait alors une chaleur de 6 500 W ; « chargé de bois ou de charbon [du] soir à vingt-deux heures jusqu’à huit heures le lendemain matin ». Autant d’informations précieuses pour mieux connaître son pays et activer la création littéraire. J’ai toujours estimé que cette série de livres sur les objets était plus que nécessaire au paquetage d’un écrivain en détresse qu’un Lagarde et Michard. À la fois comme source d’inspiration, fertile au roman et comme cadre de pensée. L’objet est ce mystère permanent au cœur des connexions humaines. Il est susceptible de refaire surface, une décennie plus tard.

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Ainsi, Bernard Chapuis qui avait interviewé Coluche quelques années auparavant, décrivait en 1987 le succès de la salopette Adolphe Lafont entre le quart Perrier et le K-Way. L’humoriste mort une année plus tôt avait porté une salopette bleue à rayures blanches lors de son premier sketch en 1974. La collection des éditions du May s’exporta par la suite, les objets italiens furent notamment préfacés par Fellini, Bernard Rapp s’intéressa à l’Angleterre dans Objets d’en Face et le couple Labro nous donna des nouvelles d’Amérique. Plus tard, beaucoup plus tard, je revis Bernard Chapuis pousser la chansonnette chez Ruquier à la télévision lors d’une tournée de promotion ou en acteur d’appoint dans les films de Pascal Thomas. En 1987, le collégien attiré par les foudres de la presse écrite que j’étais, avait été bluffé par le CV du personnage. Les salles de rédaction semblaient être son habitat naturel. Il avait épuisé sa pointe Bic Cristal (pages 72-73) dans tous les journaux de la capitale, à Elle, Combat, en tant que chef de service « Enquêtes et reportages » au Quotidien de Paris, au Canard Enchaîné, au Nouvel Observateur, à VSD, à l’Événement du Jeudi ou à la direction de la rédaction de Vogues Hommes.

J’aurais rêvé de déclarer à une conseillère d’orientation qui m’incitait à m’engager dans une carrière commerciale ou juridique : « plus tard, madame, je serai billettiste ». Car Bernard Chapuis s’était fait connaître comme billettiste au journal Le Monde. Né en 1945 à Alger, Bernard Chapuis était un « cumulard ». Il avait écrit des centaines d’articles et publié des romans principalement chez Stock (L’année dernière, La Vie parlée, Vieux garçon, Le Rêve entouré d’eau), qui lui valurent quelques prix de prestige (Nimier, Freustié, Deux Magots). Je m’étais même procuré son Terminus Paris aux Éditions Les formes du secret, 102, boulevard de la Villette, Paris 19ème arrondissement.

En ce début d’été, il faut relire ce vieux garçon plein de charme et de malice dont les romans « parisiens » sont des bulles de champagne légèrement éventées qui oscillent entre tristesse d’instinct et douce fantaisie, ils retiennent le parfum d’un monde oublié. Chapuis est comme Modiano, un homme de la petite ceinture au passé carafé.

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Simon sauvé des eaux tièdes

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Michel Simon dans « La Poison » de Sacha Guitry, 1951 © SIPA

Michel Simon est mort il y a cinquante ans. Derrière sa gueule épaisse se cachait un être d’une rare sensibilité. Un acteur unique, le plus grand de tous les temps, selon Sacha Guitry, qui surmontait ses angoisses par une boulimie de travail (150 pièces, 140 films), un amour de la nature, et un penchant notable pour la pornographie.


Je dois avoir 10 ans. Je me promène avec mon oncle dans une rue de Noisy-le-Grand. C’est la banlieue tranquille avec le chant des oiseaux et des pavillons en meulière. Au bout de cette rue, il y a une grande demeure avec des cris de singe, de grands arbres et une sorte de jardin d’hiver avec une immense verrière aux vitres brisées. Devant la porte, une silhouette voûtée dans un pardessus crème, une drôle de tête couronnée d’une crinière de lion. Mon oncle le salue. L’homme lui répond d’une voix chevrotante. Il tient à la main un filet à provisions percé. Mon oncle me dit à l’oreille que c’est Michel Simon, un grand acteur. L’image s’incruste dans ma mémoire. Un acteur, pour moi, ressemblera toujours à Michel Simon.

C’est ce qu’on appelle un monstre sacré ; peut-être le plus grand acteur de tous les temps, pour reprendre le jugement de Sacha Guitry, son ami. Il est mort il y a cinquante ans. La maison qu’il habitait avec ses animaux, surtout Zaza, sa guenon, qu’il habillait comme un humain et qu’il emmenait au théâtre, le parc où l’herbe ignorait la tondeuse, sa bibliothèque aux trois mille livres, cette maison-refuge a été rasée. Son fils, François, avait pris la décision de s’en séparer. Il mourut quelques jours plus tard, me confiera l’acteur Maurice Baquet, voisin de Simon. Cette maison, c’était La Cerisaie, tout finissait par s’en aller.

Il aimait la nature car elle le préservait des hommes et de leurs manigances. Ça a un côté rousseauiste. Normal, il est né le 9 avril 1895, à Genève, dans la grand-rue, en face de la maison natale du philosophe. Ses parents sont charcutiers. Lui, l’amoureux des animaux, ils l’envoient travailler aux abattoirs de Genève, où il doit les achever avec un poinçon. Il confesse : « Pendant un an, j’ai assassiné des bêtes. » C’est un mauvais élève, il fait rire ses camarades. Les traits de son visage sont épais. La grâce, il la possède pourtant, dans le regard, mais personne ne la voit. Il en rajoute. Il est frustré, car il veut être le dernier de la classe ; or il est avant-dernier. Il y a toujours un camarade absent, il parvient à lui piquer la place dont il rêvait. C’est un provocateur, râleur, détestant l’ordre. Un jour, il dit, d’une voix malicieuse : « Je n’aime pas les leçons, elles ne servent qu’à violenter les natures. » Il devient soldat. Il connaît le cachot humide. Il sort de cette aventure tuberculeux et antimilitariste. À 17 ans, il est à Paris. Il crèche près de la porte Saint-Martin. Il finit d’être éduqué par des truands. Il s’éprend d’une prostituée, Jeanne. Il en parlera toujours avec tendresse. Pour elle, il refuse d’aller tourner à Hollywood. Elle lui fait découvrir les plaisirs de la chair et de la lecture. Il lit les enquêtes de Nick Carter et dit : « Son auteur a fini fou. Ce n’est pas à la portée des Goncourt. » Son humour l’aide à gommer la laideur de la vie. Il dévore Messieurs les ronds-de-cuir, de Courteline. Lucide, il déclare : « Ce livre préfigurait les grands conflits mondiaux. Du reste, ça se termine dans un cimetière. C’est l’œuvre d’un prophète. » Rabelais lui enseigne l’irrespect ; Aristophane, le désespoir. À propos de Céline, dont il a enregistré Voyage au bout de la nuit, il dit : « Lui, c’est un homme. Les autres n’ont pas d’idées tranchées. Ils pensent à leur clientèle. C’est difficile de trouver un homme en littérature. » Il déteste Descartes. « La logique, c’est absurde », lance-t-il. Il est tour à tour boxeur, photographe, danseur, acrobate, puis comédien, remarqué par Georges Pitoëff, genevois comme lui. Sa carrière est lancée, avec des hauts et des bas. Au total 150 pièces et 140 films.

À lire aussi : Une histoire du cinéma français

Tiens, là, il discute avec Jean Renoir, qui lui a offert ses plus beaux rôles – La Chienne ; Boudu sauvé des eaux –, ils sont dans une guinguette, ils ont picolé. La caméra tourne. Michel dit qu’il n’a jamais trouvé la rue du Conservatoire. Fou rire. Pour Boudu, dont il fut producteur, il rappelle qu’il a failli couler. Le film fut interdit au bout de trois jours. Motif : Boudu mange des sardines à l’huile avec les doigts et s’essuie sur les rideaux. On peut violer la morale, mais le bourgeois ne supporte pas qu’on touche à ses tentures. C’est un instinctif qui offre au personnage le petit « truc » génial – l’interprétation du farfelu Jules dans L’Atalante de Jean Vigo l’atteste. N’a-t-il pas déclaré : « Lorsqu’on chasse le naturel, il ne revient pas toujours. »

Cet angoissé tient en respect sa folie en tournant sans cesse ; c’est aussi un pornographe notoire – sa collection de treize mille pièces, photos et objets érotiques variés dont des godemichets spectaculaires, est légendaire. Il pose nu avec des prostituées, dans des scènes de sexe crues, se travestit. Il sait que l’homme est mauvais, ça le sauve. En 1940, on l’accuse d’être juif, en 1943 d’être communiste, en 1944, on le dénonce comme collabo. Il encaisse. Comme il encaisse les séquelles d’une teinture pour les cheveux qui lui attaque le visage et le cerveau. Il souffre de vertiges, ne peut plus articuler, confond les couleurs. Il met huit ans à s’en remettre. Mais l’homme est solide. Il retrouve le chemin du succès. On dit qu’il ne connaît pas son texte. Dans Drôle de drame, il bluffe pourtant Louis Jouvet, qui déclare : « Il se promenait dans son texte avec volupté. » En 1957, c’est la fin de sa carrière de vedette. On ne veut plus l’assurer, sauf Abel Gance. Cela lui permet de tourner encore quelques grands films dont Le Vieil Homme et l’Enfant, de Claude Berri. Il prend des risques car il joue un antisémite dans un long-métrage dénonçant l’antisémitisme. Le film sera récompensé à Berlin et interdit de projection à Cannes.

Dans la plupart de ses rôles, ce misogyne faussement solitaire déborde d’humanité. L’acteur à la voix si particulière et à la tête démoniaque meurt le 30 mai 1975. Bertrand Blier lui avait proposé un rôle dans Les Valseuses. J’aurais bien aimé voir Depardieu donner la réplique à cet immense comédien qui travaillait sans filet.

Farniente architectural, un paradis perdu

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L'architecte Henri Quillé découpe des plans reproduits par diazographie solaire, dans sa première maison à Formentera, années 1970 © Piero Fedeli © Fonds d’archives Henri Quillé

Natif de Saumur, sorti diplômé de l’école Boulle puis des Arts décoratifs avant d’intégrer l’institut d’Urbanisme de Paris, Henri Quillé (1928-2018) reste un architecte étrangement écarté du panthéon moderniste. En 1962, l’homme découvre l’île alors la plus secrète des Baléares : Formentera. Etabli à Meudon (où il réalise avec l’Atelier 12 le superbe ensemble Les Pierres Levées, dans le quartier de Bellevue, restauré avec soin voici cinq ans), il quitte définitivement la capitale en 1972 pour s’installer à Formentera, où il fait l’acquisition d’une bâtisse vernaculaire, à toit plat, isolée dans la cambrousse, « d’une géométrie simple qui lui confère un charme poétique, reflet de l’art de vivre méditerranéen : une ambiance intérieure faite d’ombre sur les murs chaulés, contrastant avec une forte luminosité extérieure » […] « Sa maison devient le laboratoire de sa démarche ».  Jusqu’en 2004, il multipliera les projets sur l’île, avant de quitter définitivement, en 2010, ce havre de paix désormais arraisonné par le tourisme de masse. Rentré à Paris, il y meurt huit ans plus tard.

À bonne école

Les monographies de chez Norma sont décidément en prise avec l’air du temps. Ainsi par exemple, accompagnant l’exposition qu’avec son flair habituel lui avait consacré Francis Rambert cet hiver à la Cité de l’architecture et du patrimoine (Palais de Chaillot), l’œuvre de Philippe Prost, lauréat en 2022 du Grand Prix national de l’architecture, était-elle célébrée à bon escient : à peine clôturée l’exposition que Prost, hasard malencontreux du calendrier, était, le 27 mars dernier, avec le paysagiste Bruel Delmar, proclamé vainqueur du concours pour le réaménagement de la place de la Concorde. Certainement le moins mauvais choix entre les candidats à ce concours : les travaux que Prost a conduits, à Belle-Ile en Mer tout particulièrement, témoignent d’un authentique respect pour le patrimoine, les vieilles pierres et le paysage. Va-t-il épargner la Concorde du massacre ? C’est vraisemblable. Son projet ne casse ni l’ordonnancement, ni les symétries ni les continuités, réduisant l’emprise de la circulation automobile, mais sans rompre l’harmonie des voies et de ses perspectives, sous prétexte de « végétaliser » à tout prix.  

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Pour en revenir à Quillé, de l’écologie urbaine à l’écologie rurale ne prévaut qu’une seule et même logique, au fond : le respect, la préservation, la valorisation de l’identité traditionnelle du site. Quillé a été à bonne école : dès les années 1960, il s’est lié avec Ricardo Porro, un des quatre architectes des extraordinaires Escuelas de Arte de La Habana –  sans doute l’unique vestige architectural dont pourrait se targuer la sinistre Révolution castriste (que Porro ne tardera pas à fuir, d’ailleurs, pour s’exiler en France et y poursuivre une estimable carrière jusqu’ à sa mort en 2014)…  

Précurseur, Quillé implante dès les années 1960 dans sa maison paysanne les premiers panneaux solaires sur le marché, tout en réunissant des artisans locaux pour imprégner de leurs savoir-faire ancestral ses « maisons organiques » faites de textures brutes, et qui combinent avec une grande élégance lignes courbes, volumes cylindriques, géométries cubiques. Dans les années 1970, une série fait système : dans les pas d’un Le Corbusier, dépourvue de cette prétention rationaliste totalitaire propre à la fameuse « machine à habiter ». Autosuffisantes au plan énergétique dès le seuil des années 1980 !

Lui-même navigateur, Quillé a l’expérience des espaces restreints, d’où l’idée de ces « maisons minimum », en parallèle à des programmes plus ambitieux en termes de taille mais aussi de composition plastique, telle la maison Sandretto (1994), dont une photo illustre la couverture du présent ouvrage – on dirait du Chirico. La maison-atelier construite en 1977 pour le peintre Erro en bordure de la côte nord de l’île était déjà un bel exemple de cette esthétique épurée, qui se déclinera en maints projets réalisés pour d’autres artistes ou entrepreneurs, tel ce « PF-70 », commande de Pietre et Angela Fedell, ou ce «  KG-74 » destiné aux Grohe, cette famille d’industriels allemands à qui vous ne manquez pas de rendre grâce chaque jour en saisissant votre pomme de douche…

Tour du propriétaire

Synergie avec l’environnement, ventilations, simplicité, confort, optimisation des systèmes se retrouvent dans tous les édifices qui essaiment bientôt dans le paysage insulaire –  maisons Valentin, Reiman, Pamela, Dobo, Di Meo, en passant par celle conçue pour l’architecte et urbaniste Raimon Torres, et jusqu’à cette petite maison habillée de pierres, qu’ Andrea Fiorentino réclamera pour lui seul quand il met sa maison principale en location. Un des joyaux tardifs de cette œuvre singulièrement méconnue reste sans aucun doute la vaste demeure bâtie dans les années 1990 pour Giberto Sandretto, un industriel italien, dans la partie la plus étroite de Formentera, à Es Calo, au pied de La Mola, sur un terrain qui descend en pente vers la mer.

A lire ensuite, Thomas Morales: Dans la caravane

De cette diversité, mais aussi de cette continuité remarquable, rendent compte ici photos anciennes, en noir et blanc le plus souvent, alternant avec des photos récentes en couleur, certaines en pleine page, mais également des photos aériennes, des prises de vue des aménagements intérieurs, des plans d’architecte… au fil de ce très « beau livre », dont les pages en papier mat, d’une belle épaisseur texturée, présentent un luxe inhabituel.

Sous la direction de cet homme d’entregent et spécialiste des arts décoratifs du XXème siècle qu’est Guy Bloch-Chamfort, assisté de l’architecte Sophie Cambrillat et de Tanit Quillé, fille d’Henri Quillé et elle-même architecte dépositaire de la mémoire de l’œuvre de son père au sein d’une association dédiée dont elle est présidente, l’ouvrage se présente comme une « visite du propriétaire » : attentive à analyser dans son détail, étape par étape et de site en site, l’exemplarité de chaque édifice. Formentera, au temps du farniente sans la foule. Encore un paradis perdu, –  un de plus ?   

A lire :

Henri Quillé. Formentera, par Guy Bloch-Champtort, Sophie Cambrillat, Tanit Quillé. Norma éditions, 224p. 2025. (texte bilingue français espagnol)

Henri Quillé: Formentera

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Philippe Prost, architecte. La mémoire vive, sous la direction de Francis Rambert. Norma éditions, 195p. 2024

Philippe Prost, architecte: La mémoire vive

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Défonce sans frontières

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Bienvenue au centre de rétention du Canet, où des délinquants multirécidivistes venus du Maghreb attendent mollement une expulsion qui ne viendra jamais, en se battant pour des cachetons.


Le 23 avril, le contrôleur général des lieux de privation de liberté, rôle confié par Macron à Dominique Simonnot, ancienne journaliste de… Libération et du Canardenchaîné, a rendu public un rapport sur le centre de rétention administrative du Canet à Marseille. La clientèle: 125 hommes, déjà tous connus et poursuivis et rattrapés pour « troubles à l’ordre public », dont 63 Algériens, 27 Tunisiens et 11 Marocains, au total 20 nationalités représentées. Qui, en attendant une hypothétique expulsion, se tapent dessus. Le rapport évoque « les violences qui sont nombreuses entre retenus ». Une agressivité qui est due au manque, pas le manque de liberté, mais le manque de drogue… car la majorité des « retenus » est accro, pas à la coke ou à l’héro, mais aux drogues du pauvre, des médicaments bon marché comme la prégabaline et le tramadol qui, pris à haute dose, ont fini par leur taper sur le système… Incorrigibles, ils refusent pourtant de suivre les traitements de sevrage que l’équipe médicale leur propose.

À lire aussi, Patrick Eudeline : Un peuple de junkies: antalgiques, somnifères, neuroleptiques, opioïdes…

En France, le tramadol et la prégabaline sont en effet délivrés uniquement sur ordonnance. D’où un marché noir pour ravitailler les narco-migrants. À Nantes, le procureur de la République précise que les trois dernières années, 94 procédures pénales ont été dénombrées, « portant sur du trafic de prégabaline ou des agressions commises sous l’effet de cette substance ». Nantes, où un médecin de 61 ans, jusqu’ici toujours blanc comme neige, est poursuivi pour avoir délivré des ordonnances douteuses de prégabaline à une centaine d’« impatients » pas immatriculés à la Sécu. Pour sa défense, il dit avoir agi sous la menace…

Une étude du docteur suisse Jochen Mutscler établit que la prégabaline est privilégiée par les migrants venant des pays d’Afrique du Nord, où le médicament est disponible sans ordonnance, et que c’est déjà camés, sous l’influence du « bola hamra », le nom arabe donné aux pilules, qu’ils débarquent en Europe. On arrive à comprendre que leurs pays ne soient pas pressés de récupérer ces défoncés…

Quadraversitaire et pigeon à une patte

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© Photo : Philippe Lacoche

Chaque semaine, Philippe Lacoche nous donne des nouvelles de Picardie…


Une personne proche de ma Sauvageonne nous a invités, il y a peu, au concert qu’a donné l’Orchestre universitaire de Picardie, à l’occasion de son quarantième anniversaire sur la place Gambetta, à Amiens. Il y avait beaucoup de monde ; des gens avaient sorti les transats, les sièges ; d’autres étaient assis dans l’herbe urbaine produite par notre grasse terre picarde. La personne proche avait réservé une table entière, Au Forum, l’un des bars les plus connus de l’endroit. C’était le soir ; la canicule avait baissé d’un ton son assommant caquet. Nous étions bien. Avant que le concert ne commençât, mon attention fut attirée par un pigeon qui s’était posé sur le gazon à quelques mètres de notre table ; la pauvre bestiole n’avait qu’une patte. Accident ? Malformation ? Je n’eus pas la présence d’esprit de lui poser la question. Ma Sauvageonne l’observa aussi, encore plus attendrie que moi. « Tu penses que ça l’empêche de voler ? » lui demandai-je, plus idiot qu’à mon habitude. Sa réponse ne se fit pas attendre : « Il ne vole pas avec ses pattes, mais avec ses ailes, Vieux Yak », sourit-elle, surprise par tant de bêtise de ma part. L’oiseau continuait de nous observer avec ses petits yeux sombres qui me faisaient penser à ceux de Daniel Auteuil. M’avait-il entendu ? M’avait-il compris ? Il prit soudain son envol comme pour me rassurer. Ce fut à ce moment-là que le concert commença. Il y avait longtemps que je n’avais pas assisté au concert d’un grand orchestre, moi qui suis plus habitué aux riffs du bon vieux rock’n’roll. Je ne fus pas déçu. Nappes liquides de violons, cuivres rougeoyants… avec sa baguette, le chef semblait écrire sur le tableau sombre du ciel des paroles sur la délicieuse musique qui – au début tout au moins – n’en possédait pourtant point. La formation universitaire interpréta notamment la « Valse des Fleurs », de Piotr Ilitch Tchaïkovski, « Sicilienne », de Gabriel Fauré, « Uptown Funk », de Bruno Mars et Mark Ronson. On nous donna également à entendre « September », de Earth Wind & Fire, et le sublime « Summertime », de George Gershwin, sans oublier « Shéhérazade IV », de Nikolaï Rimski-Korsakov. Il y en avait donc pour tous les goûts. En quittant les lieux, je ne cessais de penser au pigeon à une patte. Accident ? Malformation ? Je regrettai déjà de ne pas lui avoir posé la question.

Étincelles de guerre civile?

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TikTok

À Saint-Just en Chaussée (60), l’influenceuse arabo-musulmane raciste s’en prend à la boulangerie. À Paris, Rima Hassan n’aime pas les « sionistes » – des agents immobiliers aussi haineux qu’elle le lui rendent bien dans le 10e arrondissement. Pendant ce temps, les jeunes deviennent incontrôlables dans les parcs aquatiques.


Elle voulait un sandwich au thon, il était au poulet. Le drame absolu ! La catastrophe des catastrophes. Elle exigeait qu’on le lui change, rapport à sa religion et à ses tabous alimentaires, n’est-ce pas.

La scène se passe dans une boulangerie de France. Non halal, précisons-le. Il y a encore en France des débits d’alimentation non totalement halalisés. Comment est-ce possible ? C’est ce que la jeune femme au sandwich ne peut probablement pas accepter. Devant le refus des commerçants d’accéder à son exigence – on ignore sur quel ton le thon aura été réclamé, encore qu’on puisse le deviner au vu de celui qui a été employé par la suite – la voilà qui se rue sur TikTok, cette chambre d’écho de la haine et de la bêtise (voir vidéo en bas de page). « Je vais dire quelque chose de raciste », tient-elle à préciser, au cas où on imputerait sa démarche à la simple sottise. Non, elle tient à ce qu’on n’ignore pas qu’elle est bien consciente de la connotation raciste des mots qu’elle va lâcher. « C’est toujours comme ça dans les boulangeries de blancs. » Et de nous exposer que, ailleurs, là où une échoppe est tenue par un « rebeu » (sic), ça ne se serait pas passé comme ça, qu’elle aurait eu droit non seulement à l’échange mais aussi à de plates excuses. Du genre, ma sœur, ceci, cela, et patati et patata.

Face à face

Un conseil à cette jeune personne dont on sait à présent qu’un de ses passe-temps est de nous cracher à la gueule, à nous autres Français de France, sur les réseaux dits sociaux (Il faut bien qu’une jeunesse à l’utilité sociale des plus incertaines trouve à s’occuper). Oui, un conseil tout de même à cette pétulante croisée de l’anti-France et du racisme anti blanc : pour ne pas avoir à subir les boulangeries et autres commerces de blancs, aller planter ses pénates à Ouagadougou, Alger, Téhéran, Islamabad ou Kaboul serait un excellent moyen. TikTok étant mis en alerte, c’est le déferlement de haine, de menaces habituelles qui s’abat sur les commerçants de la boulangerie. Messages de soutien, aussi, heureusement. Deux camps, donc, s’affrontent. Une sorte d’esquisse de guerre civile sur fond de sandwich au poulet. On croit rêver ! Ah, la belle France d’aujourd’hui…

A lire aussi, Philippe Bilger: Le maire de Nanterre nous donne le coup de grâce!

Rima Hassan n’aime pas les « sionistes » qui le lui rendent bien

Mêmes réjouissances avec la star des médias de ces temps-ci Rima Hassan, toute surprise de se voir invectivée, assez rudement ma foi, par des personnels d’une agence immobilière Orpi quelque peu horripilés de son antisémitisme maquillé en antisionisme, de son soutien exalté au projet palestinien d’éradiquer l’État d’Israël, car dans ce que défend l’intéressée, c’est évidemment cela qui est au programme. Là, dessus, bien entendu, l’enseigne Orpi devient la cible des aimables contingents embrigadés sous la bannière du keffieh de la dame. On vandalise, on incendie. On fait payer. Il faut que le blanc paie. Paie, quoi, tout. La colonisation, la décolonisation, l’esclavage et son abolition, le tout et son contraire. Là-dessus, peut-être un peu gênée tout de même aux entournures, Mme Hassan tente d’expliquer qu’un de ces incendies serait le fait de l’intelligence artificielle. La bêtise en majesté, vous dis-je ! (Encore un truc de blanc, ça, l’intelligence artificielle, non?)

La bêtise, la haine et en face, quoi ? Rien ou si peu. Un président de pacotille, un Premier ministre qui dort debout, des ministres de l’Intérieur et de la Justice réduits au ministère de la parole, congelés en une impuissance glaçante. On en est, en haut lieu, à considérer ces évidentes prémices de guerre civile comme de simples faits divers. Circulez, dormez bonnes gens, il ne se passe rien.  Nous sommes là et nous employons les bons moyens. La preuve, lorsque des sauvageons livrés à eux-mêmes, élevés dans l’idée que casser la France est le meilleur des divertissements estivaux qu’ils puissent trouver, saccagent la piscine et les installations afférentes qui les accueillent, que fait-on ? Sanctionne-t-on ? Botte-ton le cul de ces futurs insurgés ? Que non pas. On ferme boutique. Lâchement. Victoire éclatante pour les petits merdeux. Une honte de plus pour la France, le pays, pour nous. Avec celle, ô combien brûlante, que nous vaut l’incapacité tragique de l’État à sortir Boualem Sansal de l’enfer où Tebboune et sa clique le tiennent reclus. Eux tous, Tebboune, la fille au poulet, les ensauvagés de la piscine doivent bien rigoler. Eh oui !

Finalement, on en arriverait presque à se demander si ce ne serait pas la France entière qu’il conviendrait de fermer. Puisqu’on en est là.

@laafemmesigma Est la boulangerie artisanale de saint juste en chausee dans l’Oise les gars !!! Faites de la pub partager et repbliez au max svp merci #fyp #pourtoii #videoviral #viralditiktok #france🇫🇷 #french #😱 ♬ son original – laafemmesigma

LES TÊTES MOLLES - HONTE ET RUINE DE LA FRANCE

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Thriller glauque dans une Chine abolie

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© Liao Chia Chi / Memento films

La première partie nous ramène en 1997, dans la ville de Fentum, au nord-est de l’Empire du Milieu : grisaille, misère, laideur, c’est encore la Chine héritée de la Révolution culturelle ; y perdure un sous-développement qui paraît suinter des murs, s’imprimer jusque sur les visages. L’image assez cradoque du film, d’un bout à l’autre, semble y faire curieusement écho, d’ailleurs. C’est un autre monde, à des années-lumière de l’actuelle puissance économique faramineuse qu’on connaît – commerçante, numérisée, dominatrice, aux métropoles hérissées de tours dupliquées sans fin à l’identique…  

Au milieu de cette crasse d’un autre temps et dans cette déprime gluante, une noria de taxis, boîtes à savons peintes en rouge, attendent le client. Il advient que des chauffeurs sont assassinés, leurs véhicules incendiés – meurtres inexpliqués ; l’enquête piétine, tandis que Li Fei rêve de quitter Fentum pour le Sud du continent, alors perçu comme un eldorado… Dans une seconde partie, Des feux dans la plaine se transporte en 2005, à l’époque où le Parti communiste décrète en quelque sorte la loi de la jungle, sous le slogan « Réforme & Ouverture ». Un jeune policier décide de rouvrir le dossier enterré huit ans plus tôt…

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Sous l’alibi d’un thriller qui finit par prendre un tour de violence incendiaire, horrifique, à la limite du gore, le cinéaste s’attache surtout, semble-t-il, à porter un regard rétrospectif sur la métamorphose radicale de son pays au tournant du millénaire. Assez confuse, laborieuse et touffue, l’intrigue laisse dubitatif, même si le portrait reste saisissant dans son extrême cruauté.       


Des feux dans la plaine. Film de Zhong Ji. Chine, couleur, 2024. Durée : 1h41.

En salles le 9 juillet 2025.

Écriture thérapeutique

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Nayla Chidiac publie "L'Ecriture qui guérit: Traumatismes de guerre et littérature". DR.

Alors que fait rage la guerre en Ukraine, que se poursuit le conflit au Proche- Orient, une femme se bat sur d’autres fronts. Son nom Nayla Chidiac. Docteur en psychopathologie, psychologue clinicienne spécialiste du trauma, elle est aussi poète et écrivaine. Dans son cabinet du 7ème arrondissement de Paris, elle reçoit des patients pas comme les autres. Certains reviennent de théâtres de guerre, d’autres de captivité, tous ont en commun d’avoir vu la mort de près et d’en être revenus profondément traumatisés. C’est là que Nayla Chidiac entre en scène « l’un des désastres majeurs de la guerre est la destruction de la pensée -explique-t-elle. La pensée est trouée, gelée, parasitée ». L’écriture thérapeutique va donc permettre de la restaurer.

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Dans L’écriture qui guérit, livre aussi poignant qu’érudit, celle qui a fondé les ateliers d’écriture thérapeutique à l’Hôpital Sainte Anne à Paris il y a trente ans s’interroge sur le lien entre l’écriture et la guerre à partir de son expérience mais aussi de celle de vingt-six écrivains majeurs dont Blaise Cendrars, Tolstoï ou Marguerite Yourcenar. Son incroyable odyssée débute dans les années 1990. Nayla Chidiac souhaite alors faire une thèse sur les traumas de guerre. Mais le Général Louis Crocq, psychiatre des armées qu’elle considère comme son maître, l’en dissuade. Jusqu’en 1995 où, suite à une série d’attentats, il crée avec Xavier Emmanuelli, sur instruction du Président Jacques Chirac, les CUMP, Cellules d’urgence médico-psychologique, et fait appel à ses services. Dès lors elle ne cessera d’intervenir sur les lieux de catastrophe. Lorsqu’on aborde son parcours personnel la psychologue se rétracte. Tout juste concède t’elle qu’elle est née en 1966 au Liban puis a suivi une scolarité très « hachurée » entre Beyrouth et Londres. « La guerre, je la connais, -écrit-elle-j ’ai passé ma vie à faire comme si elle et moi étions étrangères affectivement mais intimes intellectuellement ». Alors oui, elle finit par l’admettre : elle était en quelque sorte prédestinée à travailler sur les traumas. « Je viens d’un pays constamment en guerre– souligne- t-elle- j’avais une pulsion de vie immense et un désir profond de soigner. » Elle pense un temps devenir psychologue pour enfants mais comprend dès son premier stage qu’elle est trop touchée émotionnellement pour en faire un métier. Elle sait en revanche qu’elle est qualifiée « pour tout ce qui est grave, urgent, rapide, or le trauma c’est ça. Une discipline passionnante qui vous confronte chaque fois à des vies différentes ». En 1984 elle arrive à Paris après de longs moments passés dans les abris d’un Beyrouth bombardé et fait une rencontre d’importance : le théâtre d’Eugène Ionesco. Pour la jeune Libanaise élevée dans une famille assez traditionnelle qu’elle reconnaît avoir été « la découverte de l’Absurde fut déterminante. Car qui y a-t-il de plus absurde que la guerre ? ». À partir de là, confesse-t-elle, « les écrits de Ionesco (ont été) des clignotants dans les différentes tempêtes de ma vie ». Jorge Semprun sera l’autre rendez vous marquant de son existence. Elle se souvient de l’avoir croisé lors d’une séance de dédicace : « Son regard était celui que j’imaginais, un regard pareil à celui de ces patients qui ont « vu ». Son livre L’écriture ou la vie est à la source de mon désir d’écrire cet ouvrage », confie-t-elle avant de préciser l’essentiel : « Semprun explique qu’il lui a fallu quinze ans. Quinze ans pour comprendre que s’il écrivait sur le sujet il mourrait et s’il n’écrivait pas, il mourrait aussi. Ce n’est pas qu’il avait peur, c’est qu’il ne savait pas comment faire. Alors pendant toutes ces années, il a écrit d’abord sur « avant le camp » puis sur « après le camp » mais le camp en lui-même, il ne pouvait pas. Il était dans ce que nous les psys nous appelons dans notre jargon une impasse psychique. Il a finalement pu écrire et a été libéré. Pour moi c’est donc l’écriture ET la vie et non L’écriture OU la vie. » Si elle est souvent intervenue sur des lieux de guerre, Nayla Chidiac exerce désormais son activité à Paris, ce qui ne l’empêche pas d’accompagner des patients toujours sur le front. Le suivi se fait alors par visio ou par Whatsapp parfois même par textos. À ces femmes et ces hommes en plein chaos, elle donne un cadre. « Je leur propose d’écrire, de préférence à la main soit une nouvelle soit un poème soit un haïku et pendant trente minutes ils oublient tout. Y compris les bombes ». Un travail dont elle rappelle qu’il n’a pas de visée esthétique. « Seul compte le processus de création. C’est lui qui assouplit le psychisme. C’est lui qui guérit ». Écrire est donc possible en temps de guerre, même essentiel, pour pouvoir continuer à penser. Tenir un Journal en est la preuve. « Si j’écris je suis vivant, explique la psychologue. Dans l’idée du Journal il y a celle de la temporalité. J’espère être là demain et après-demain. Il y a quelque chose de l’ordre de l’espérance. » Celui d’Anne Franck en est un bel exemple ainsi que celui, plus proche de nous, de la jeune Ukrainienne Yeva Skalietska. « Se projeter étant difficile en temps de guerre, écrire de la fiction s’avère quasiment impossible » précise la thérapeute. Pour preuve le retour au Journal du romancier Ukrainien Andreï Kourkov. Reste la poésie, genre souvent pratiqué comme le fit avec maestria Guillaume Apollinaire depuis les tranchées. Et Nayla Chidiac de rappeler « Quand vous avez vécu un traumatisme vous êtes victime. Donc passif. Dès que vous prenez la plume vous redevenez actif et maître de votre histoire. Cela change considérablement la donne. » L’écrivain Salman Rushdie, sauvagement poignardé lors d’une conférence en 2022, l’a admirablement prouvé publiant, deux ans après son agression, un récit salvateur intitulé Le couteau. « L’écriture guérit et permet de se rétablir » écrit le romancier japonais Kenzaburô Oé dont l’enfance fut marquée par la Seconde Guerre. Une conviction qui anime Nayla Chidiac depuis plus de trente ans et qu’elle nous fait partager avec une passion peu commune.

L’écriture qui guérit, Nayla Chidiac, Odile Jacob, 2025. 288 pages.

L'Ecriture qui guérit: Traumatismes de guerre et littérature

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[1] https://www.causeur.fr/salman-rushdie-la-traversee-282657

Hemingway, sudiste de cœur

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Ernest Hemingway, mai 1958 © MARY EVANS/SIPA

Les cartes postales de l’été de Pascal Louvrier (1)


La table de travail est protégée du soleil par le feuillage du tilleul en fleurs. Les glaçons fondent lentement dans le Campari. La boisson me ramène en 1999, à Venise. Je suis avec Sollers. On dine léger. Mais un peu trop d’alcool. Soudain, il me parle du plus grand livre selon lui d’Hemingway, Au-delà du fleuve et sous les arbres. Je ne l’ai pas lu. Sollers : « C’est une erreur. Demain, vous irez l’acheter. » Il me raconte la dernière scène du roman qui explique le titre. Il ajoute : « On n’invente pas ça, et on écrit ça, ici. » Sa main baguée, dans un mouvement ample, désigne le canal de la Giudecca, la Salute bulbeuse, le ciel encre de seiche.

On résume : il a cinquante balais, elle en a dix-neuf. Lui, c’est un colonel en retraite, couturé, tenant des propos à l’opposé des idéaux virilistes, proche du détachement absolu, même s’il n’en a pas fini avec le bas-ventre. Ce qui compte, c’est le temps qui ne compte plus. Elle, c’est Renata, très belle, surtout ses yeux qui « vous regardent bien en face, sans coquetterie. » Une histoire d’amour qui se dit platonique. Personne n’y croit. Le désir sexuel est trop puissant, il annonce la mise à mort du colonel Richard Cantwell. Leur baiser, du reste, a le « goût du désespoir. » Le militaire va mourir lors d’une chasse aux canards.

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Hemingway n’avait rien écrit depuis plus de dix ans quand il rencontra Adriana Ivancich, une comtesse de la région de Trieste – clin d’œil du destin à Joyce – dont il tomba amoureux. Il dit : « Tu m’as rendu la possibilité d’écrire ». Il précise : « J’ai pu finir mon livre et j’ai donné ton visage à l’héroïne ». Un écrivain ne peut pas faire de plus bel aveu à une femme. Hemingway, à peine dissimulé sous les traits de Cantwell, signe son roman le plus personnel, qui tourne le dos à Chicago, le gris du ciel, son enfance, le protestantisme en affirmant son désir du Sud. C’est le cœur de l’Espagne qui bat dans ce roman dont l’intrigue avance par petites touches de courts dialogues ciselés. Hemingway est au sommet de son art. Comme le résume Sollers : « C’est l’apparence des choses qui a raison. Pas le fond. C’est un renversement absolu. » La critique, unanime, descendit le roman. Hemingway révélait sa vraie nature, brouillait les cartes, et ça n’était pas supportable. Jubilation, pourtant, de Cantwell/Hemingway : « Cela me donne la sensation d’être exposé sur une colline dénudée, trop rocheuse pour qu’on y creuse un trou et c’est du roc lisse, sans une saillie, sans une bosse, mais tout à coup, au lieu d’être perché, là, nu, je suis blindé. » Hemingway, avec cette histoire crépusculaire, rendait les armes et disait adieu à ses lecteurs, avant d’armer l’un de ses fusils de chasse et de se faire sauter la boite crânienne, le 2 juillet 1961.

Adriana, quant à elle, finit par se pendre dans le jardin de sa propriété à Trieste, après avoir brûlé toute sa correspondance avec Hemingway.

Ernest Hemingway, Au-delà du fleuve et sous les arbres, Folio. 352 pages

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