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Du ballast à l’amour courtois

Aimons-les vivants : Gérard Pussey


Du ballast à l’amour courtois
Le romancier français Gérard Pussey. DR.

N’en déplaise à son étiquette de passéiste patenté, Monsieur Nostalgie aime les écrivains vivants. Ceux dont le nom s’échange discrètement dans les cercles les mieux informés de la capitale. Ce dimanche, il démarre une nouvelle série en posant sa plume sur Gérard Pussey, un romantique dessalé à la tendresse ébréchée. Le mariage tonique entre Marivaux et Marcel Aymé…


Les auteurs morts, c’est barbant à la longue. L’accueil est toujours un peu le même, glaçant. Très impersonnel. A la limite de l’impolitesse. Ces gens-là ne sont pas chaleureux et très expansifs. Lorsqu’on critique leurs livres, on ne reçoit ni caisse de Pouilly-sur-Loire à la maison, ni billet doux dans notre messagerie, pourtant nos seules gratifications professionnelles. Silence radio sur toute la ligne. Vous croyez que leurs éditeurs nous enverraient un mail de remerciement en guise d’accusé de réception. Nada. Même pas une lettre-type avec une formule du genre « mes sentiments les plus distingués ». Ils ne nous engueuleront pas pour souligner la médiocrité de notre papier et l’inanité de notre jugement. On n’existe pas tout simplement. On écrit dans le vide. Ce n’est pas la peine d’être sarcastique, en plus.

Entrée en résistance

Le monde du livre, dans son ensemble, tous les rouages de la chaîne, du manutentionnaire au libraire, de la stagiaire au juré, mis bout à bout, exige de la nouveauté et de l’actualité, les deux plus grands fléaux de la littérature française qui ne demande rien d’autre que maturation et sédimentation pour fermenter donc s’élever. Si on ne joue pas le jeu, on passe pour un original. Un déviant à la cause. Une sorte de bredin de Saint-Germain-des-Prés. Un ahuri de la rive gauche. Notre économie déjà fragilisée par la concurrence du jeu vidéo et des plateformes repose sur le renouvellement du stock, mon p’tit pote. Il faut du flux qui génèrera du cash à la caisse, des piles sur les tables et des queues aux séances de signatures, explique-t-on dans les comités de direction. La survie du secteur en dépend.

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Les décédés, ce n’est plus un marché porteur. Trop d’anxiété. Pas assez vendeur. Préférez les catéchumènes, les ravis de la crèche, les premiers romans ficelés comme des mariés de l’An II ; du cuissot rosé et ferme, de la jaquette lustrée et des sourires de communiants à l’écran. N’allez pas courir après vos vieilles lunes Monsieur Nostalgie, le style et le toucher de plume, vous n’êtes pas Jean-Paul Loth analysant le coup droit à deux mains de Monica Seles, on vous demande juste de résumer un bouquin. Ne soyez pas si doctrinaire avec les livres à la mode ! Pourquoi les dédaignez-vous à ce point ? Ne seriez-vous pas jaloux de leur succès ? Ces coups bas-là me font mal. Laissez-vous plutôt guider par cette prose filandreuse et victimaire, tellement « novatrice » et « inspirante » du millésime 2025, ne jugez plus si sévèrement les transfuges de classe et les pleureuses des arrière-boutiques. Écrire sur ses propres malheurs dans une langue pauvre, ça demande du courage et c’est un droit constitutionnel inaliénable. Révisez votre code civil ! Face à cette machine folle qui a perdu la tête, n’étant plus capable de faire la différence entre l’amas de mots et la phrase cajoleuse, j’ai décidé d’entrer en résistance et de partir à la recherche de ces quelques auteurs vivants qui se glissent dans les conversations. Au fil du repas, la parole se libère tandis que la digestion du jambon persillé commence à gargouiller, on touche au but, c’est-à-dire à la vérité de la littérature.

Et là, un nom fuse

Nous sommes au pousse-café entre amis « lettrés », nous avons épuisé toutes les méchancetés sur les nouvelles gloires du livre, on s’est défoulés, la mouise nous rapproche, entre exclus on se serre les coudes, on a évoqué chaleureusement la création du Prix Paul-Jean Toulet dans le pays basque et son jury de belle allure ; et là, un nom fuse, comme un lapin de garenne sort du bois à toute berzingue, ce nom sied à l’assemblée. Les têtes dodelinent avec componction. On félicite le confrère de cette trouvaille. Ce nom, c’est Gérard Pussey de Villeneuve-Saint-Georges, nœud ferroviaire bien connu de la banlieue Sud-est, le neveu de Fallet comme sa fiche Wikipédia s’empresse de signaler, on n’échappe pas à sa destinée familiale. L’homme a eu des prix par le passé, des prestigieux, le Nimier et le Vialatte entre autres, rappelle un confrère. Il a navigué dans le livre jeunesse et dans le polar, ajoute un autre. Ça fera bientôt cinquante ans qu’il écrit. Il était critique à Elle, n’est-ce pas ? Un mieux informé que les autres, friand d’anecdotes, se souvient qu’il avait hérité de la Rolex de son oncle. Et puis, les titres surgissent de la mémoire, en cascade, L’Homme d’intérieur, Ma virée avec mon père, Les Succursales du ciel, Camille et François (dommage qu’il n’existe pas en poche celui-ci).

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On m’apprend qu’il sortira bientôt un nouveau roman. C’est un Simenon nervalien avance un camarade, l’effet de la prune est dévastateur en milieu d’après-midi sous le soleil de cette fin du mois de mai. Pussey est un tailleur d’histoires à hauteur d’hommes. A la différence des burineurs, sa phrase ne sent pas la sueur. Elle file droite et rusée. Pas tortueuse, ni ennuyeuse pour un sou. Maligne. Mélancolique et charnelle. Elle est pure, classique par essence, sans ajouts disgracieux, pas mondaine pour autant, ni académique, car Pussey s’autorise toutes les facéties, tous les tortillards des relations amoureuses. Il sait raconter et consolider ses personnages, il les façonne à l’ancienne, à la glaise, modelant leurs aspérités psychologiques. C’est un travail de patience. Chez d’autres, l’imagerie populaire, le monde d’avant celui de Brassens, des truites arc-en-ciel et du Vel d’Hiv, pourrait tendre vers le folklore musette, chez lui, cette veine est contrebalancée par un romantisme d’atmosphère. Il n’est dupe de rien.  Jamais mielleux. Des traces de fabliaux du Moyen-âge et des élans déchirants, oui c’est ça. Vous m’avez donné faim, il faut absolument que je le (re)lise.

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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