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Des nouvelles d’Oncle Bernie

Aimons-les vivants : Bernard Chapuis


Des nouvelles d’Oncle Bernie
Prix Littéraire Roger Nimier attribué à Bernard Chapuis pour son roman « La Vie Parlée », Paris, 25 mai 2005 © BENAROCH/SIPA

Durant cet été, Monsieur Nostalgie poursuit sa galerie de portraits d’écrivains vivants dont l’œuvre tend à disparaître dans les milieux autorisés. Cette semaine, il nous parle de Bernard Chapuis, 80 ans, journaliste d’élite des salles de rédaction et écrivain de l’enfance en demi-teinte…


J’ai fait la découverte de Bernie, voix nasillarde et cheveux ondulants, mi-sérieux, mi-godelureau, faussement sage, l’œil rieur, sur le plateau d’Apostrophes en 1987. Bernard Pivot avait intitulé son émission « Qualité France » et invité des représentants du génie cocardier, toutes disciplines confondues. Michel Platini était assis à côté d’André Brunelin, le biographe de Jean Gabin et face à Yvan Audouard, le thuriféraire de Pagnol à l’accent chantant, le numéro 10 évoqua, ce jour-là, l’agression de Battiston. Raymond Peynet se souvenait que ses amoureux étaient nés de son imagination au temps vert-de-gris de la ligne de démarcation. L’assemblée était un joyeux bazar. Un duo d’auteurs composé de Bernard Chapuis et d’Ermine Herscher était venu présenter leur beau livre Qualités – Objets d’en France paru aux éditions du May, 116, rue du Bac, Paris 7ème arrondissement.

Ils avaient recensé pas moins de 74 objets usuels qu’ « un homme ou une femme possède ou a possédé au moins une fois dans sa vie ». Cet inventaire à la Prévert démarrait par les pâtes alphabet Rivoire et Carret et se terminait par la clé Facom. Une vraie féérie ménagère à la nostalgie Manufrance défilait sous nos yeux, la culotte Petit Bateau, le petit-beurre Lu, le cachou Lajaunie, la cocotte Seb ou la sardine Rödel. Cohabitaient dans cet ouvrage rehaussé par les photographies de François Boissonnet aussi bien le béret basque que les mocassins Weston fabriqués à Limoges, le bas Dim jetable que le carré Hermès successoral. Le verre Duralex, toujours attaché à sa terre du Loiret, n’était pas oublié dans cette liste. On apprenait que Guy Cotten avait fondé avec sa femme Françoise leur société à Concarneau qui allait bientôt populariser le ciré jaune à travers toutes les mers du monde. Et que le poêle Godin délivrait alors une chaleur de 6 500 W ; « chargé de bois ou de charbon [du] soir à vingt-deux heures jusqu’à huit heures le lendemain matin ». Autant d’informations précieuses pour mieux connaître son pays et activer la création littéraire. J’ai toujours estimé que cette série de livres sur les objets était plus que nécessaire au paquetage d’un écrivain en détresse qu’un Lagarde et Michard. À la fois comme source d’inspiration, fertile au roman et comme cadre de pensée. L’objet est ce mystère permanent au cœur des connexions humaines. Il est susceptible de refaire surface, une décennie plus tard.

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Ainsi, Bernard Chapuis qui avait interviewé Coluche quelques années auparavant, décrivait en 1987 le succès de la salopette Adolphe Lafont entre le quart Perrier et le K-Way. L’humoriste mort une année plus tôt avait porté une salopette bleue à rayures blanches lors de son premier sketch en 1974. La collection des éditions du May s’exporta par la suite, les objets italiens furent notamment préfacés par Fellini, Bernard Rapp s’intéressa à l’Angleterre dans Objets d’en Face et le couple Labro nous donna des nouvelles d’Amérique. Plus tard, beaucoup plus tard, je revis Bernard Chapuis pousser la chansonnette chez Ruquier à la télévision lors d’une tournée de promotion ou en acteur d’appoint dans les films de Pascal Thomas. En 1987, le collégien attiré par les foudres de la presse écrite que j’étais, avait été bluffé par le CV du personnage. Les salles de rédaction semblaient être son habitat naturel. Il avait épuisé sa pointe Bic Cristal (pages 72-73) dans tous les journaux de la capitale, à Elle, Combat, en tant que chef de service « Enquêtes et reportages » au Quotidien de Paris, au Canard Enchaîné, au Nouvel Observateur, à VSD, à l’Événement du Jeudi ou à la direction de la rédaction de Vogues Hommes.

J’aurais rêvé de déclarer à une conseillère d’orientation qui m’incitait à m’engager dans une carrière commerciale ou juridique : « plus tard, madame, je serai billettiste ». Car Bernard Chapuis s’était fait connaître comme billettiste au journal Le Monde. Né en 1945 à Alger, Bernard Chapuis était un « cumulard ». Il avait écrit des centaines d’articles et publié des romans principalement chez Stock (L’année dernière, La Vie parlée, Vieux garçon, Le Rêve entouré d’eau), qui lui valurent quelques prix de prestige (Nimier, Freustié, Deux Magots). Je m’étais même procuré son Terminus Paris aux Éditions Les formes du secret, 102, boulevard de la Villette, Paris 19ème arrondissement.

En ce début d’été, il faut relire ce vieux garçon plein de charme et de malice dont les romans « parisiens » sont des bulles de champagne légèrement éventées qui oscillent entre tristesse d’instinct et douce fantaisie, ils retiennent le parfum d’un monde oublié. Chapuis est comme Modiano, un homme de la petite ceinture au passé carafé.

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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