Cet été, bravons tous les interdits en allant voir F1 le film avec Brad Pitt en pilote sexagénaire. Le blockbuster met à mal toutes les théories sur l’âge, le sexe, la transmission, le risque et le plaisir de rouler très vite à l’air libre…
F1 le film est un cas d’école. Chimiquement pur d’une aliénation masculiniste. Le retour des heures les plus sombres. Tout un travail de réarmement écologique et civilisationnel mis à mal durant deux heures et trente minutes. Toute la prise de conscience de ces quinze dernières années faite de colloques, de tribunes, de pétitions, de marches, de procès, toutes ces actions militantes et salutaires n’auront donc servi à rien. Que la lutte est vaine face à l’état-profond des mentalités. Ils sont inguérissables. Les Hommes ne sont que des enfants capricieux, incontrôlables et vaniteux, leur rééducation est tout bonnement impossible. Tous ces efforts pour réinitialiser les garçons et en arriver à un tel résultat : voir des bagnoles s’affronter sur une piste, se délecter d’une bataille entre mâles alpha courant vers la victoire dans une société hyper-marchande à haute teneur technologique, cet archaïsme sans nom est un aveu d’échec.
Joujou pour attardés
Pendant que la planète brûle, des réfractaires à la décroissance heureuse tentent d’améliorer leur record du tour en jouant sur les appuis aérodynamiques ou la stratégie des arrêts aux stands. C’est pitoyable ! Ce long-métrage a-t-il été commandité par des forces réactionnaires à la manœuvre dans une Amérique viriliste revancharde ? Est-il à la solde d’une coalition ultra-carbonée réunissant constructeurs automobiles, pétroliers et manufacturiers ? N’y a-t-il pas dans son populisme décomplexé les germes d’une révolution égotiste où les plus bas instincts (courage, puissance et dévouement) seraient célébrés dans l’arène des circuits ? Les jeux du cirque n’ont plus cours depuis l’édit de Constantin en 326. Certains demanderont des comptes ou, à minima, une enquête pour révéler le nom des responsables de cette grande opération décadente à base d’accélérations poudreuses, d’accidents spectaculaires et de beaux mecs qui courent le torse nu, dans une érotisation qui va à l’encontre d’une parité mormone. Comment a-t-on pu laisser tourner une telle ode sauvage au plaisir de conduite et à l’absence de conscience sociétale ? Quel échec pour tous les redresseurs et les propagandistes d’une société liquide qui voudraient annihiler les différences.
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Ce film sur les écrans depuis mercredi coche toutes les cases d’un objet cinématographique passéiste à fort relent jouissif où l’adrénaline et la testostérone disputent un bras de fer dans un bar suburbain abandonné d’un vieux pays industriel. Un joujou pour attardés qui font vroum vroum dans leur chambre au lieu de s’inquiéter de l’inclusivité dans les sports mécaniques. Une teuf-teuf pour fous du volant qui ne se sont pas encore convertis au vélo-cargo électrique aussi encombrant dans les rues de Paris qu’un pick-up dans l’Utah. Il fallait oser réaliser un film dans l’une des rares disciplines, la Formule 1, où les femmes n’ont pas encore leur baquet réservé. Il fallait oser mettre en vedette un homme de plus de 60 ans, désinvolte et individualiste, séduisant et vénéneux dans son approche hédoniste de ce sport extrême ; sans calcul et sans reproche, ne courant ni après l’argent, ni après la foule, ce cow-boy solitaire de l’asphalte marche vers un horizon toujours inconnu. Il roule dans un van surélevé et porte des chaussettes dépareillées. Mais Brad possède la classe de ses aînés, il creuse le sillon de Steve McQueen et de Paul Newman. C’est parce qu’il est seul, qu’il a décidé d’être seul, que sa démarche nous émeut. Il fallait oser placer ce film sous le signe de la transmission, le vieux pilote pas toujours très sage tentant d’inculquer son savoir à un rookie turbulent, ce principe d’éducation étant banni de nos jours. Il fallait oser mettre de la verticalité dans l’horizontalité béate. Il fallait oser filmer des monoplaces dans un environnement technique complexe sans abuser d’images virtuelles. Il fallait oser sacraliser l’autorité d’une mère qui, on le sait depuis Camus, est toujours supérieure aux enjeux des sponsors et des réseaux.
Top Gun de la terre ferme
Ce film peut dérouter les tenants du manichéisme ambiant. Il vient d’Hollywood, il est scénarisé et n’en reste pas moins proche de la réalité des Grand Prix qui se disputent chaque dimanche durant la saison, les freinages en bout de ligne droite tapent dans le cœur, la force centrifuge est apnéique, les chicanes brouillent la vue ; ce top-gun de la terre ferme est un manège en forme d’exutoire. Profitez-en avant que ce genre de production ne soit interdit. Dans la salle, toutes les générations, tous les sexes, toutes les classes, sont réunis. En F1, existe l’effet de sol, au cinéma on appelle ça l’effet Brad.
En ce début d’été, un peuple sous canicule en perte de repères a seulement besoin d’un bon film d’action, pas trop moralisant, à l’esthétique soyeuse, qui ne crache pas trop sur le passé et ne mette pas le spectateur dans la peau d’un procureur.
2h 36m. Réalisation : Joseph Kosinski
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