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Simone Signoret, la nostalgie camarade

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Nous sommes le lundi 30 septembre 1985, au volant de ma vieille Peugeot, j’entends à la radio un flash spécial : Simone Signoret est morte. Ce souvenir reste depuis gravé dans ma mémoire. Il faisait gris et le vent malmenait la voiture. J’aimais beaucoup Signoret, son visage détruit, comme aurait dit Duras, ses rides de la désillusion amoureuse, ses cheveux blancs, non pas ceux de la sagesse, mais de la souffrance imposée par Yves Montand, magicien de la scène à la voix mélancolique et au regard de chien battu, d’un professionnalisme à rendre jaloux les Américains. « Oh, je voudrais tant que tu te souviennes… » Et l’émotion est là, directe.

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Signoret, je la vois immédiatement dans deux rôles. Le premier, dans le long-métrage de Jean-Pierre Melville, L’Armée des ombres. Elle joue le rôle de Mathilde, une résistante éliminée par son propre réseau, en 1943. La scène de sa mort est tournée Avenue Hoche, non loin du parc Monceau. Je m’y suis souvent rendu comme si cet assassinat était réel. Signoret était tellement « naturelle » qu’on oubliait que c’était du cinéma. Le second, dans Police Python 357, de Corneau. Un polar noir, efficace, sur fond de société consumériste. Signoret joue une bourgeoise en fauteuil roulant. Elle est alcoolique, dévastée par le cocufiage de son mari. Elle veut mourir, finit par supplier Montand, qui joue le rôle d’un fic pris dans un engrenage machiavélique, de la tuer. Signoret est tout entière dans ce rôle de femme-épave, le regard injecté de whisky, sans larmes, morte déjà. Elle résume sa vie amoureuse face à la caméra. Elle ne joue pas, elle est Signoret, première actrice française oscarisée, humiliée par son mari chanteur, effacée, croit-elle, par la beauté délétère de Marilyn Monroe, maîtresse d’un soir de celui qu’elle a rencontré le 19 août 1949, à la Colombe d’Or, dans l’arrière-pays niçois, et qu’elle a aimé jusqu’au bout de la déraison.

Pari un peu fou

Signoret fut une immense actrice et une femme malheureuse. À la mort de Marilyn, pourtant, Montand l’appelle, il bafouille au téléphone, paumé. Elle l’écoute, ne raccroche pas. Elle est aussi triste que lui. Elle meurt donc le 30 septembre 1985 d’un cancer du pancréas, dans sa maison d’Autheuil-Anthouillet (27). Elle n’avait que soixante-quatre ans. Elle avait écrit en 1976 une très belle autobiographie, La Nostalgie n’est plus ce qu’elle était. Pivot l’avait reçue à Apostrophes. Elle avait paru timide, presque gênée d’être sur le plateau, elle qui fut l’amie de Sartre et de Simone de Beauvoir, « compagnon » de route du PCF.

De nombreuses biographies ont été écrites sur elle, son couple, sa fille, Catherine Allégret. Nicolas d’Estienne d’Orves, écrivain et critique musical, a pourtant relevé le défi d’en ajouter une nouvelle. Enfin pas tout à fait, il a relevé un pari un peu fou : celui de se mettre dans la peau de Simone, née Kaminker, le 5 mars 1921, à Wiesbaden, et de lui donner la parole. Pari dangereux, car il était difficile alors de se montrer objectif, notamment sur le voyage qu’elle fit avec Montand dans les pays de l’Est, du 16 décembre 1956 à fin mars 1957 – la moindre des choses aurait été de boycotter l’URSS dont on connaissait les massacres de masse organisés par Staline, notamment avec Le Zéro et l’Infini, ouvrage d’Arthur Koestler, et surtout après l’écrasement du soulèvement hongrois par les chars russes, le 4 novembre 1956, à Budapest. Mais pari gagné.

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On finit par lire l’ouvrage comme si c’était Signoret qui l’avait écrit. On la trouve de mauvaise foi – la question sur l’URSS. On la trouve également très sévère à l’égard de Montand – homme colérique certes, mais pas si « enfantin » que cela…

On comprend mieux, cependant, qu’elle ait accepté d’être Mathilde, dans L’Armée des ombres, elle, la demi-juive qui fréquenta Jean Luchaire et d’autres collabos parisiens, histoire de vouloir réparer une errance de jeunesse. Elle apparait entière, excessive, autodestructrice, en un mot, vivante. Et également glaçante. Après la passade Marilyn, Signoret – enfin l’auteur – lance à Montand : « Tu m’as trahi avec une beauté, je vais te faire vivre avec une vieille dame… »

Nicolas d’Estienne d’Orves, Simone Signoret, histoire d’un amour, Calmann-Lévy. 400 pages.

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Tous mineurs isolés!

Avec l’effondrement du cadre familial, l’enfant est devenu un dossier, un cas, une variable. Les parents et l’Éducation nationale ayant renoncé à exercer leur autorité, les écrans, les radicalités religieuses et les cultures d’importation distillent l’anomie chez les petits Français.


Il fut un temps, pas si lointain, où l’on naissait dans un monde déjà habité. Un monde dur, parfois injuste, mais structuré. L’enfant y trouvait sa place à travers la langue des parents, les récits des aînés, les gestes transmis. La verticalité n’était pas un choix : c’était une évidence. On entrait lentement dans la condition humaine, protégé d’abord, puis exposé. La filiation donnait une direction. L’école, la famille, la communauté assuraient une continuité.

Ce monde s’est effondré, et avec lui les piliers qui soutenaient l’enfance. Aujourd’hui, l’enfant moderne naît dans un univers où tout est disponible mais où rien n’est transmis. Saturé d’images, de bruit, d’objets – mais vide de repères, de silence, d’autorité. Il ne reçoit plus de monde à habiter. Il doit le fabriquer seul, en puisant dans des fragments de discours contradictoires, souvent violents.

Captures d’écran de comptes TikTok : la jeunesse française, notamment rurale, est happée par les écrans et l’anomie. DR.

On parle de mineurs isolés pour désigner les jeunes migrants sans famille. Mais ce terme devrait être élargi à toute une génération. Les enfants d’aujourd’hui, en France comme ailleurs, sont eux aussi des mineurs isolés dans leur propre pays. Mineurs, car encore en construction. Isolés, car laissés à eux-mêmes, dans une société déserte d’adultes.

La désintégration commence par le foyer. Le père, autrefois porteur de nom, de loi, de force contenue, a disparu ou s’est effacé. Il n’est plus une autorité, ni même un modèle. Il est un figurant social, parfois violent, souvent absent, presque toujours dépossédé de sa fonction symbolique. La société moderne ne sait plus quoi faire de lui – sinon l’écarter.

La mère, elle, se retrouve seule à tout porter. Elle travaille, élève, organise, console. Mais cette omniprésence n’est pas une victoire. C’est une fatigue. Elle est seule face à l’enfant, au réel, aux injonctions contradictoires. Elle aime, mais ne peut plus élever. Non parce qu’elle ne le veut pas, mais parce que le monde autour d’elle ne tient plus.

Alors on délègue. À l’école. Aux crèches. Aux écrans. Aux algorithmes. L’enfant est confié, pris en charge, mais jamais regardé dans la durée. Il devient un dossier, un cas, une variable. L’autorité est fragmentée, dispersée entre spécialistes et institutions. Et dans cette dilution, l’enfant n’appartient plus à personne.

L’école républicaine aurait pu être le dernier rempart. Elle aurait pu transmettre, structurer, incarner. Mais désarmée par la peur de l’autorité et par l’idéologie de la neutralité absolue, elle a renoncé à éduquer. Elle instruit mal, elle forme sans orienter, elle encadre sans parler au cœur. Le maître n’enseigne plus une culture. Il distribue des compétences. Il n’est plus une figure, mais un agent. Il gère des élèves devenus « publics cibles », dans des classes surchargées, avec des mots filtrés, des livres expurgés, des symboles neutralisés. La France n’est plus racontée. Elle est réduite à un règlement intérieur. Le passé est suspect, l’histoire est morcelée, la langue abîmée.

Et alors, que reste-t-il à l’enfant pour se construire ? Rien qu’un brouhaha idéologique, une jungle de récits concurrents : l’indigénisme, l’ultra-féminisme, l’islamisme culturel, l’utopie technologique. Tout est possible, sauf d’hériter. L’école moderne produit des mineurs sans mémoire.

Ce que la famille et l’école ne transmettent plus, les écrans le prennent en charge. Dès l’âge de 3 ans, parfois avant, l’enfant entre dans une matrice numérique. Il y trouve tout, sauf l’essentiel. Il s’y sent libre, mais est captif. Il croit apprendre, mais il consomme. Il pense choisir, mais il est guidé par des logiques marchandes ou idéologiques.

Le numérique n’est pas neutre. Il colonise l’imaginaire. Il efface le silence, l’ennui, l’intériorité. Il détruit la mémoire. Il crée des identités sans ancrage, des désirs sans fin. L’adolescent ne lit plus. Il scrolle. Il ne parle plus. Il réagit. Il ne rêve plus. Il copie. Et dans cette accélération constante, il perd le sens de lui-même. Il devient étranger à son propre corps, à son propre nom. Il se pense « fluide », « non binaire », « traumatisé », mais ne sait plus ce que signifie devenir adulte. Il devient un être fragmenté, hypersensible, incapable de stabilité ou de projection.

Ce contexte produit une génération fragile, anxieuse, vulnérable aux extrêmes. Beaucoup s’effondrent. D’autres explosent. La psychiatrie infantile est saturée. Les tentatives de suicide augmentent. Les automutilations deviennent banales. Le langage affectif s’efface. La solitude grandit. Pour se sentir vivant, il faut transgresser : violence, sexe, drogue, religion, radicalité. On ne cherche pas seulement un frisson : on cherche un cadre qui tienne. Ce que les institutions ne donnent plus, certains le trouvent dans des récits dangereux – mais clairs. L’islamisme, le virilisme, les communautarismes offrent des lois là où l’État ne propose plus que des valeurs molles.

Dans les cités, la jeunesse trouve une structure dans l’islam, dans la rue, dans la cause palestinienne. Ce n’est pas toujours un choix conscient. C’est une prise en charge. Quand la République ne parle plus, d’autres le font. Le ressentiment se transforme en religion. L’école est méprisée, l’État haï. La France est vue comme une mère morte ou absente.

Dans les zones rurales et les petites villes, une autre jeunesse – blanche, silencieuse, souvent masculine – s’éteint sans bruit. Elle ne brûle rien, elle ne marche pas. Elle reste chez elle, invisible. Les filles s’en vont. Les écrans occupent les jours. L’alcool ou la drogue anesthésient les soirs. Ce jeune homme ne revendique rien. Il constate qu’on ne l’a jamais regardé. Il voit son monde se dissoudre : son accent, sa religion, ses repères. Il sent qu’il est devenu suspect. Il ne comprend pas ce qu’on attend de lui. Il se tait, ou bien il se radicalise en silence.

À ce malaise diffus chez les jeunes hommes blancs s’ajoute un sentiment plus trouble, plus intime, rarement nommé : celui d’un remplacement sexuel. Ce n’est pas seulement la place sociale ou culturelle qui semble leur échapper, mais aussi la place dans l’imaginaire féminin, dans le jeu amoureux, dans la compétition de la virilité. Face à eux, des jeunes issus de l’immigration maghrébine ou subsaharienne apparaissent souvent plus sûrs d’eux, plus affirmés, plus frontaux dans leur rapport au monde. Ils n’ont pas honte de leur masculinité. Leur audace, parfois brutale, tranche avec la timidité d’une jeunesse blanche culpabilisée, castrée symboliquement, paralysée par la peur d’être taxée de sexisme ou de domination.

Cette asymétrie se double d’une représentation médiatique omniprésente : films, séries, publicités, tous mettent en scène des couples mixtes où l’homme est l’exotique, le dominant, le désiré – et où le jeune Blanc n’existe plus, sinon comme rival maladroit ou spectateur frustré. Pour ceux qui restent seuls, invisibles, ce n’est pas l’amour qui fait défaut : c’est la possibilité d’exister comme homme. Ce ressentiment sexuel, bien plus que les discours idéologiques, alimente une rage sourde, une humiliation silencieuse qui pourrait un jour chercher à se venger.

Ce double effondrement est aggravé par un non-dit politique majeur : l’immigration de masse, depuis quarante ans, a profondément bouleversé l’équilibre national. L’assimilation a été abandonnée. La République a remplacé l’exigence par la tolérance passive, puis par la soumission.

Ce n’est pas l’étranger ou le descendant d’immigrés qui est en faute, c’est l’État qui a cessé de transmettre la France. Le vide laissé par ce renoncement a été rempli par des contre-récits puissants : l’oumma, l’indigénisme, la haine du passé. L’école n’y peut rien. L’État n’ose plus rien. Et dans ce vide, la fracture devient culturelle, puis ethnique, puis existentielle.

Face à cela, les jeunes Français issus de souche populaire se sentent effacés. Non pas haïs, mais dépassés, remplacés, oubliés. On leur dit que leur culture n’est pas menacée, mais ils voient qu’elle n’est plus enseignée, ni respectée, ni incarnée. Leur ressentiment est croissant, confus, mais réel.

Ces deux jeunesses, que tout oppose en apparence, ont un ennemi commun : l’adulte qui a renoncé. Mais au lieu de se rejoindre, elles pourraient bientôt s’affronter. Car la colère a besoin d’une cible. Et quand l’État ne l’entend pas, la cible devient l’autre.

Tout est en place pour une guerre froide sociale et identitaire. Pas encore une guerre civile, mais une suite de conflits diffus : dans les classes, dans les quartiers, dans les esprits. Chacun enfermé dans son récit. Chacun certain d’avoir été trahi. Le ressentiment, nourri par des années de silence et de mépris, est le carburant de tous les extrémismes à venir. Il suffit d’une étincelle.

Face à ce monde en ruine douce, il reste encore des enfants debout. Pas parce qu’ils sont surdoués. Pas parce qu’ils sont protégés par leur statut social. Mais parce qu’un adulte, quelque part, a tenu debout devant eux. Un père. Une mère. Un professeur. Un prêtre. Un grand frère. Ces enfants debout ne sont pas des héros. Ce sont des survivants. Des enfants qui ont eu la chance d’être regardés, cadrés, nommés. Ce sont eux qui nous rappellent ce que peut encore un adulte : dire non, transmettre une histoire, affirmer une limite, incarner une parole.

Le problème n’est pas technique. Il est civilisationnel. Il ne s’agit pas de créer un nouveau plan pour la jeunesse, ni de multiplier les psychologues scolaires. Il s’agit de redevenir des adultes. De réapprendre à parler, à interdire, à guider. De dire : « Tu viens d’un monde plus ancien que toi. Ce monde est imparfait, mais il est à toi. Tu n’as pas à le détruire pour exister. » Il faut cesser de se cacher derrière des abstractions et des discours inclusifs. Ce qui sauve un enfant, ce n’est pas l’égalité des chances : c’est la présence incarnée.

Tant que nous continuerons à déléguer la parole, à confondre tolérance et renoncement, à abandonner les jeunes à eux-mêmes, ils seront tous, quelles que soient leur origine ou leur foi, des mineurs isolés.

Non pas étrangers par leur naissance, mais étrangers dans leur propre pays. Et ce jour-là, quand ils se lèveront – non pour construire, mais pour juger –, nous ne pourrons plus dire que nous ne savions pas.

Les parapluies d’Islamabad

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Riyad et Islamabad ont scellé un accord militaire stipulant qu’«une attaque contre l’un des deux pays sera considérée comme une attaque contre les deux». Le Pakistan disposerait aujourd’hui de 160 à 170 ogives nucléaires.


Lorsque, le 17 septembre 2025, Islamabad et Riyad ont annoncé leur pacte de défense mutuelle, la réaction internationale a été immédiate. Derrière les formules convenues d’« amitié fraternelle » et de « coopération stratégique », l’ombre de l’arme nucléaire s’est imposée. Depuis plusieurs décennies, l’Arabie saoudite est soupçonnée d’avoir financé en partie le programme atomique pakistanais, et voici que la perspective d’un « parapluie nucléaire » s’esquisse, au moment où l’Iran affiche un enrichissement d’uranium toujours plus avancé et où Israël semble plus déterminé que jamais à refaçonner la région. Et surtout, lorsque la garantie américaine, vieille de quatre-vingts ans, perd de sa fiabilité…

Quelle effectivité ?

Mais que signifie, concrètement, un tel « parapluie » ? La question suppose d’abord d’évaluer la réalité des moyens dont dispose le Pakistan. À la différence des grandes puissances nucléaires, Islamabad dispose d’un arsenal significatif mais limité, moderne mais vulnérable, et contraint par les équilibres régionaux.

Selon les estimations récentes, le Pakistan posséderait environ 160 à 170 têtes nucléaires. Ce stock, conséquent à l’échelle régionale, repose sur plusieurs familles de vecteurs, notamment les missiles balistiques terrestres de la série Shaheen, les missiles à moyenne portée capables d’atteindre le territoire indien ou iranien, et certains vecteurs adaptés pour frapper des cibles régionales. Cette diversité confère au pays une marge de manœuvre opérationnelle, mais il n’est pas extensible à l’infini. Toute extension de la dissuasion à un allié nécessiterait de repenser l’équilibre interne structuré autour de la rivalité avec l’Inde.

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Dès lors, la crédibilité d’un parapluie nucléaire ne se mesure pas uniquement au nombre de têtes disponibles ; elle dépend surtout de la posture opérationnelle : l’état de préparation des forces, le degré d’alerte du commandement, la capacité à projeter rapidement des moyens et à menacer des cibles stratégiques précises. Sans ces éléments, une promesse politique resterait vulnérable au soupçon d’ineffectivité.

Étendre la dissuasion à un tiers impose de revisiter en profondeur la doctrine pakistanaise. Elle devrait intégrer de nouveaux scénarios et préciser de nouvelles conditions d’emploi de l’arme nucléaire au profit d’un allié. Cela soulève la question de la chaîne de décision : qui, du Premier ministre, du chef d’état-major ou du commandement nucléaire, serait en droit d’autoriser une frappe destinée à protéger Riyad ? La question de la « double clé », autrement dit du partage de l’autorisation ultime de tir, serait politiquement explosive.

Au plan technique, un parapluie crédible suppose l’établissement de canaux sécurisés, comparables à ceux de l’OTAN, avec codes d’authentification et procédures d’activation conjointe. Il exigerait aussi des mesures de sécurité physique pour tout prépositionnement éventuel. Enfin, l’efficacité d’un tel dispositif ne pourrait être garantie qu’au prix d’exercices conjoints réguliers. Ces ajustements, complexes et coûteux, multiplient les vulnérabilités : fuites, erreurs humaines, tensions internes.

Les chancelleries occidentales inquiètes

À court terme, une garantie politique pourrait être donnée en quelques jours ou semaines. Elle coûterait peu sur le plan financier, mais beaucoup sur le plan diplomatique, car elle placerait immédiatement Islamabad dans la ligne de mire des chancelleries occidentales et des instances internationales.

Une posture crédible demanderait davantage de temps. Il faudrait négocier les détails techniques, installer des liaisons de commandement, organiser des exercices conjoints et éventuellement prépositionner des moyens logistiques.

Enfin, le scénario du transfert matériel (ogives ou systèmes de livraison) en Arabie saoudite serait long et coûteux. Sa mise en place nécessiterait plusieurs mois, voire plusieurs années. Le prix à payer ne se mesurerait pas seulement en dépenses logistiques ou sécuritaires, mais aussi en conséquences économiques et politiques. Comme le rappelle le Washington Institute, le coût véritable d’un parapluie nucléaire pakistanais n’est pas technique mais systémique, et réside dans le bouleversement des équilibres géopolitiques et économiques que cette décision entraînerait.

Étendre la dissuasion à Riyad signifierait non seulement partager une partie de son outil nucléaire, mais aussi assumer les conséquences d’une confrontation élargie avec l’Iran, d’une crispation accrue avec l’Inde et d’un isolement probable sur la scène internationale. Plus qu’une démonstration de puissance, ce parapluie serait une fuite en avant dont Islamabad et Riyad ne maîtriseraient pas toutes les retombées.

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L’Arabie saoudite, quant à elle, peut trouver dans cette option une solution à la principale menace : l’Iran. Depuis 1979 et la révolution islamiste, les deux pays mènent une guerre larvée pour l’hégémonie du monde musulman. Pour les Saoud, le défi lancé par Khamenei est une question de légitimité et donc de survie politique. C’est au nom de principes religieux que le grand-père du prince héritier Mohamed ben Salmane a détrôné les Hachémites, pourtant issus en ligne directe de la famille du Prophète, de leur rôle de gardiens de La Mecque et de Médine. C’est en voulant se protéger que les Saoud se sont lancés dans une surenchère de radicalisation islamiste face aux mollahs, y compris en soutenant l’islamisation du Pakistan menée par le général Zia ul-Haq.

Riyad pourrait donc se réjouir de voir son rival iranien confronté à une menace directe, mais le parapluie nucléaire protège autant qu’il attire le feu. En s’adossant au Pakistan, Riyad deviendrait une cible prioritaire pour Téhéran, qui pourrait multiplier les frappes de missiles, l’usage de drones ou l’action de ses supplétifs régionaux. Un conflit régional limité risquerait de se transformer en affrontement direct, avec un Pakistan aspiré dans une guerre qui n’est pas la sienne. Les Houthis, déjà capables de menacer les installations pétrolières saoudiennes, trouveraient un prétexte pour intensifier leurs opérations. Enfin, la relation avec l’Inde, partenaire économique majeur du Golfe, serait fragilisée : New Delhi pourrait interpréter cette extension de la dissuasion pakistanaise comme une provocation.

La tentation est grande pour les deux capitales de trouver, dans l’atome pakistanais, un raccourci stratégique. Mais ce raccourci mène droit dans un labyrinthe d’incertitudes politiques, militaires, diplomatiques et économiques. La dissuasion étendue peut fonctionner lorsqu’elle repose sur une puissance dominante disposant d’un réseau d’alliances et d’une économie capable d’absorber les chocs. Le Pakistan n’a ni la marge de manœuvre économique des États-Unis, ni la capacité diplomatique de l’OTAN. Nous assistons donc à une expérimentation grandeur nature de la géopolitique d’un monde multipolaire.

Nicolas Sarkozy: une «haine» dont on relève appel…

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Même s’il partage la stupeur des citoyens, quant à l’exécution provisoire du mandat de dépôt (à organiser dans le délai d’un mois) et qui mènera l’ancien chef de l’État en prison, notre chroniqueur récuse l’argument de la « haine » des magistrats à son endroit évoqué par Nicolas Sarkozy.


Je ne suis pas Marine Tondelier et je me garderai bien de toute moquerie, de la moindre dérision à l’encontre de Nicolas Sarkozy et de la droite, comme elle le fait lourdement. Comme si la gauche et l’extrême gauche avaient des leçons de morale publique à donner !

Comme Nicolas Sarkozy a décidé d’interjeter appel du jugement de 400 pages rendu le 25 septembre, je ne me prononcerai pas sur le fond. Je vais seulement m’autoriser à contredire certaines affirmations de l’ancien président sur cette juridiction qui l’a très partiellement condamné.

Je relève qu’il évoque « une justice invraisemblable », ce qui est offensant, et qu’il ajoute, comble de l’outrance, « la haine n’a décidément aucune limite ».

Il use d’un argument pauvre et très démagogique en dénonçant la durée de dix ans de cette affaire et en prétendant que des fonds ont été dilapidés qui auraient mérité un meilleur usage. Comme s’il n’était pas nécessaire, au regard de la justice et de la démocratie, de déterminer ce que valaient les présomptions d’avoir commis des délits gravissimes dans une relation avec la Libye.

Une haine ? Nicolas Sarkozy, lorsqu’il a été condamné, a usé de plusieurs argumentations polémiques pour décrédibiliser les décisions. Les juges rouges, le Syndicat de la magistrature, la partialité des magistrats à son encontre : il avait tout à fait le droit d’invoquer de telles explications pour justifier les insuccès des plaidoiries de ses avocats et de ses propres dénégations. Mais à la longue, cela perdait de sa vigueur pour convaincre !

Mais la haine ?

Nicolas Sarkozy a été relaxé pour trois chefs d’accusation importants : les délits de corruption passive, de détournement de fonds publics libyens et de financement illicite de campagne électorale.

Haine encore ?

Le tribunal a considéré comme probablement faux un document originel – validé pourtant à deux reprises par la Justice -, émanant de Moussa Koussa (haut personnage du pouvoir libyen), et base de l’affaire (article de Mediapart).

En retenant l’association de malfaiteurs et un pacte corruptif à l’encontre de Nicolas Sarkozy, entre 2005 et 2007, dans l’obligatoire connaissance qu’il avait des démarches troubles de Claude Guéant et de Brice Hortefeux en Libye, il me semble – mais ce sera discuté devant la juridiction d’appel – que le tribunal a répudié à juste titre l’invraisemblance d’actions engageant la France sur un mode délétère sans que Nicolas Sarkozy en ait été informé. Pacte corruptif et non corruption puisque, élu président de la République, Nicolas Sarkozy n’a pas dérogé à la politique traditionnelle à l’égard de la Libye. Ce jugement « n’humilie pas la France ni l’image de la France ». Il n’humilie personne, même si l’on peut à nouveau mettre en cause cette exécution provisoire pour le mandat de dépôt différé à organiser dans le délai d’un mois, avec le probable aménagement que son âge facilitera. On sait déjà qu’il est convoqué par le PNF le 13 octobre et qu’il sera incarcéré dans un délai relativement proche.

On ne parle pas de « haine » pour un jugement dont on relève immédiatement appel. Il ne faut surtout pas se moquer de ses protestations d’innocence : celles d’un innocent ou d’un homme, ancien président, qui ne se supporte pas coupable ? La droite, avec Laurent Wauquiez, est démagogique ; avec Bruno Retailleau, heureusement minimaliste : « soutien et amitié ». Vivement l’appel !

Ni l’Europe ni la France ne sont condamnées à la stagnation

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Économiquement, nous ne sommes pas condamnés à être un musée et à regarder les autres nous écraser


Pendant trop longtemps, nous avons accepté une idée aussi paresseuse que fausse selon laquelle la « vieille Europe » serait vouée à croître lentement. Or le ralentissement n’a rien de naturel. Il résulte de nos choix. Quand on protège les rentes au lieu d’ouvrir les marchés, quand on centralise au lieu de faire confiance aux territoires, quand on empile taxes et normes au lieu de libérer l’investissement et le travail, on obtient exactement ce que l’on observe : des factures d’énergie trop élevées, des salaires nets trop faibles, des usines qui hésitent, des jeunes qui partent.

Qu’est-ce qui, concrètement, empêche la concurrence de jouer pleinement son rôle ? Il y a des facteurs qu’on peut qualifier de « distorsions anti‑concurrentielles ». Elles prennent des formes variées — barrières réglementaires, fiscalité qui décourage l’effort, procédures trop lentes, normes extraterritoriales qui ferment des débouchés — mais elles ont le même effet : moins de pression concurrentielle, donc des prix plus élevés, moins d’innovation et des salaires qui stagnent.

Trois verrous pèsent particulièrement sur l’Europe.

Premier verrou : l’énergie devenue un luxe. Nous avons voulu faire porter à nos ménages et à nos usines le coût d’une transition mal ordonnée. Résultat : des prix de l’électricité et du gaz durablement supérieurs à ceux de nos concurrents. Or sans énergie abordable et fiable, il n’y a ni industrie, ni artisanat, ni transports compétitifs. Une politique sérieuse part d’un principe de neutralité technologique : le carbone doit baisser, certes, mais par l’innovation et l’investissement, pas par la raréfaction et des mesures punitives. Il faut sécuriser nos approvisionnements, moderniser nos réseaux et assumer nos atouts — au premier rang desquels le nucléaire.

Deuxième verrou : la règlementation excessive. Nous parlons beaucoup de « marché unique », mais l’esprit de reconnaissance mutuelle a trop souvent cédé la place au réflexe de l’harmonisation lourde. Dans de nombreux secteurs, des règles pensées pour les grands acteurs deviennent des barrières pour les nouveaux entrants. Là où l’on voulait protéger le consommateur, on protège en réalité l’installé. Le résultat se voit : trop de paperasse, trop peu de créations d’entreprises, trop de freins administratifs, et des innovations qui partent ailleurs.

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Troisième verrou : un marché du travail rigide. Nous avons fait de la protection de l’emploi une protection de postes, quand il faudrait protéger les personnes et leurs parcours. Simplifier l’embauche et le dialogue social, rendre le coût du travail moins punitif, faire de la formation une responsabilité partagée et efficace : ce sont des réformes pro‑travail, pro‑salaires et pro‑dignité. Là où l’on a libéré l’apprentissage, bâti des passerelles simples entre chômage et emploi, et cessé d’empiler les contraintes, l’activité repart et les salaires suivent.

Faut‑il pour autant renoncer au modèle social français ? Non. Il s’agit de le sauver de son inertie. Un modèle qui dépense toujours plus sans produire plus finit par s’autodétruire : dettes, impôts, exode des talents. L’Europe centrale nous donne une leçon de bon sens : moins de dette, des impôts plus lisibles, des règles plus claires, et la croissance suit. Plusieurs pays partis de plus bas rattrapent déjà l’Ouest. Ce n’est pas un miracle : c’est l’effet cumulatif de choix pro‑concurrence.

Que faire donc pour relancer la France et, avec elle, l’Europe ?

Baisser la facture d’énergie en assumant une stratégie de sécurité et de coût. Stop aux dispositifs qui renchérissent sans réduire efficacement les émissions. Priorité au nucléaire, aux réseaux, aux contrats d’achat à long terme et à la concurrence dans la fourniture.

Libérer le travail : simplifier le code là où il bloque l’embauche, alléger les charges sur les bas et moyens salaires, récompenser les heures supplémentaires, fluidifier la négociation dans l’entreprise. Protégeons les personnes, pas les statuts.

Accélérer la création d’entreprise : guichet unique réel, délais garantis, droit à l’erreur, formalités numériques simples, faillite rapide et sans stigmate pour rebondir. Orientons l’épargne longue (assurance‑vie, retraites) vers l’investissement productif français.

Stabiliser la fiscalité : moins de taxes qui changent chaque année, plus d’incitations visibles et pérennes à investir, innover et embaucher. La stabilité est la première condition pour convaincre un entrepreneur d’avancer.

Réviser nos normes avec un filtre pro‑concurrence : toute règle devrait prouver qu’elle ouvre le marché au lieu de le fermer. Instaurons un réexamen périodique : si une norme ne démontre pas son utilité, elle disparaît.

Retrouver l’esprit de subsidiarité : la centralisation, à Paris comme à Bruxelles, n’est pas synonyme d’efficacité. Laissons régions et villes expérimenter ; copions ce qui marche. La concurrence entre régulateurs peut être aussi saine que la concurrence entre entreprises.

Ouvrir plus largement nos débouchés par des accords fondés sur la reconnaissance mutuelle et l’équivalence, plutôt que sur l’exportation unilatérale de nos règles. Moins de guerres de normes, plus d’accès réciproques. C’est particulièrement vrai avec les États‑Unis et l’Inde.

Réorienter la dépense publique : arrêter d’opposer réformes et solidarité. En luttant contre les rentes et les gaspillages, on peut à la fois soulager le contribuable et mieux cibler l’aide. Un euro économisé sur l’inefficace, c’est un euro pour la sécurité, l’école, la justice et la défense.

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Faire de l’école‑travail un continuum : valoriser l’apprentissage, l’alternance, les filières techniques d’excellence, et reconnecter l’université avec le tissu productif. Chaque jeune doit sortir des études avec une compétence monnayable et une trajectoire lisible.

Ce programme n’est pas une « austérité joyeuse ». C’est un projet de prospérité par la liberté économique ordonnée. Il ne s’agit pas de privatiser la vie, mais d’aligner nos politiques sur ce qui marche : la concurrence loyale, la propriété, l’ouverture, la responsabilité. À ceux qui craignent que la concurrence abîme la France, on peut répondre que la concurrence est l’alliée du consommateur, de l’ouvrier qualifié, de l’artisan, de l’agriculteur, du créateur de PME. Elle brise les rentes, fait baisser les prix, stimule l’investissement et reconnaît le mérite.

La France a des atouts rarissimes : énergie nucléaire, savoir‑faire industriel, épargne abondante, écosystème tech en montée, État capable de décider quand il le veut. Ce qui lui manque, ce n’est pas une « grande stratégie » de plus, c’est la décision d’enlever les cailloux dans la chaussure de ceux qui produisent, embauchent et exportent.

Nous avons, collectivement, un choix simple à faire. Continuer à gérer le déclin, à coup de rustines fiscales et de normes punitives, en espérant des miracles qui n’arriveront pas. Ou bien choisir la compétition, la subsidiarité et l’ouverture, et retrouver le mouvement ascendant des nations qui croient en elles. L’écart de niveau de vie avec les économies les plus dynamiques n’est pas une fatalité : c’est un écart de politiques.

Rien n’oblige l’Europe à être un musée. Elle peut redevenir un continent de croissance, d’emplois et de salaires en hausse. La recette tient en quelques mots : énergie abordable, travail libéré, marchés ouverts, règles simples. C’est exigeant, mais c’est à notre portée. Et cela commence par une volonté : laisser la France qui entreprend, qui innove et qui travaille, respirer enfin.

Une décision infamante

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Hier, la 32ème chambre correctionnelle du tribunal de Paris a prononcé à l’encontre de l’ancien chef de l’État une peine de prison provisoire, extrêmement surprenante.


C’est une immense secousse politique. Pour la première fois depuis Philippe Pétain, il a été décidé en France de placer un ancien chef de l’État en détention. Ce jeudi, Nicolas Sarkozy a, dans l’affaire dite du « financement libyen » de sa campagne présidentielle de 2007, été condamné pour association de malfaiteurs à cinq ans de prison ferme, 100 000 euros d’amende et une privation de ses droits civiques, civils et de famille pendant cinq ans ainsi qu’une inéligibilité de cinq ans.

Présumé coupable

Sitôt après l’annonce au Tribunal judiciaire de Paris, l’ex-président a fait une allocution devant la presse pour qualifier la décision d’« injustice scandaleuse » et annoncer qu’il ferait appel. Toujours présumé innocent, il n’échappera pourtant pas à une mise sous écrou, car les juges ont assorti leur peine d’une exécution provisoire !

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Concrètement, un mandat de dépôt « à effet différé » a été prononcé, qui oblige Nicolas Sarkozy à se présenter devant le Parquet national financier le 13 octobre prochain pour se faire notifier la date et le lieu de son incarcération (très probablement la maison d’arrêt de la Santé à Paris). Il pourra toutefois dès ce jour-là déposer une demande de remise en liberté, à laquelle la Cour d’appel pourra éventuellement répondre en ordonnant la pose d’un bracelet électronique.

Incompréhensible

Reste que cette exécution provisoire n’avait pas été demandée par le ministère public. Comment interpréter la sévérité exceptionnelle des magistrats du siège ? L’ancien chef de l’État est-il susceptible de récidiver ? De suborner des témoins ? Pour des faits datant d’il y a une vingtaine d’années, ces hypothèses sont absurdes. Seulement, les juges ont considéré, de façon incompréhensible, que Nicolas Sarkozy était un justiciable à l’esprit trop frondeur, notoirement prompt à critiquer les décisions de justice en public et à utiliser toutes les voies de recours, y compris devant les cours européennes. Un homme si indocile présente à leurs yeux un risque de fuite à l’étranger. Lunaire.

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Quant au dossier lui-même, Nicolas Sarkozy a été relaxé des chefs de corruption passive, de détournement de fonds publics libyens et de financement illicite de campagne électorale. Autrement dit, le jugement reconnaît qu’il n’y a aucune trace de sommes suspectes ni aucune preuve que des consignes aient même été données par l’ex-président pour obtenir des fonds auprès du régime dictatorial de Mouammar Kadhafi. Les juges ont également estimé que le fameux document publié par Mediapart, censé être accablant, est un « probable faux ».

En fin de compte, il est reproché à l’ancien chef de l’État d’avoir été entouré de collaborateurs, Claude Guéant et Brice Hortefeux (eux aussi condamnés hier), aux intentions hautement délictueuses et dont il ne pouvait ignorer les agissements répréhensibles. Ce que le Code pénal appelle « association de malfaiteurs », qualification judiciaire habituellement réservée aux mafieux et jamais employée jusque-là pour punir des hommes politiques. Résultat, Nicolas Sarkozy pourrait, selon ses propres termes, « sans doute comparaître les menottes aux mains devant la cour d’appel ». Si tel devait être le cas, pas sûr que l’image de votre pays en sorte grandie.

Podcast: Pourquoi nos sociétés s’effondrent de l’intérieur

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Etienne-Alexandre Beauregard présente son nouveau livre, Anti-civilisation. Avec Jeremy Stubbs.


Etienne-Alexandre Beauregard, ancienne plume du Premier ministre du Québec et auteur déjà de deux essais portant sur la question nationaliste au Québec, vient de publier Anti-civilisation. Pourquoi nos sociétés s’effondrent de l’intérieur, aux Presses de la Cité avec une préface de Mathieu Bock-Côté.

Il nous présente son livre qui explique, d’abord, comment le monde occidental est devenu « civilisé », non seulement en découvrant la démocratie, mais aussi en persuadant les individus à contraindre leurs pulsions et à tisser un réseau de relations de dépendance mutuelle qui nous permettent de faire société. Malheureusement, depuis l’époque des années 1960 et 1970, des penseurs, militants et politiques, surtout de la gauche et l’extrême-gauche, encouragent leurs concitoyens à libérer leurs pulsions et à rompre les liens d’interdépendance. Et ce, au nom d’une multitude d’identités communautaires. Sitôt construite et portée à son apogée, la civilisation est ainsi entrée en déclin. L’homme « ordinaire » et « normal », jusqu’ici porteur de valeurs partagées transmises de génération en génération, est désormais présenté par les thuriféraires des nouvelles élites globalistes comme un être réactionnaire et inculte. Il n’est plus considéré comme le sel de la terre, mais comme un frein qui empêche le progrès de l’homme « nouveau », sans tradition et sans racines, voué à la seule poursuite de son bon plaisir.

Pourtant, il est toujours possible de sauver la civilisation, en reconstruisant le bien commun qui a été longtemps le fondement de nos sociétés. À cet égard, le rôle de l’État reste fondamental, un État régalien fort dirigé par des personnes qui se mettent au service de leurs concitoyens au lieu de les exploiter. Que ce soit en Amérique du Nord ou en Europe, il faut réconcilier le peuple et l’élite, tâche que seuls des conservateurs, conscients de l’importance de l’identité nationale, peuvent accomplir.

Le schisme identitaire - Guerre culturelle et imaginaire québécois

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Catherine Millet, une mère en images

Catherine Millet avait remisé photos et correspondance de famille au lendemain du suicide de sa mère, Simone Émonet. Quarante ans plus tard, ce carton à souvenirs lui inspire de bouleversantes confessions. 


Si les livres de Catherine Millet sont toujours surprenants, c’est que l’on comprend, une fois refermés, qu’ils ne furent que rarement suscités, « déclenchés » par un désir suprême de leur auteur, un désir irréfragable ou même une urgence, une douleur enfouie ou une joie irrépressible, mais par une situation, des circonstances, c’est-à-dire l’Occasion. Occasion est une divinité allégorique qui préside au moment opportun pour réussir dans une entreprise. On la représente sous la figure d’une jeune femme nue et chauve par-derrière, et avec une longue tresse de cheveux par-devant, un pied en l’air, l’autre sur une roue, tenant un rasoir d’une main et une voile tendue au vent de l’autre, et quelquefois marchant rapidement sur le fil du rasoir sans se blesser. Saisir le moment favorable, donc, tient à un cheveu, à un fil. Dans le cas qui nous occupe, « à une faille dérisoire de la mémoire ».

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Un jour, Catherine avise, dans son grenier, une boîte de carton laqué bordeaux dans laquelle elle avait fait tenir, au lendemain du suicide de sa mère au printemps 1982, documents de famille, correspondance en vrac et photos. Certes, elle ne l’avait pas oubliée, mais le motif pour lequel elle tira cette boîte de son « réduit » et la fouillait demeure à ce jour énigmatique. Qu’importe ! Voici « l’étincelle qui me fait écrire en ce moment, qui me fait chercher les mots qui, plus que de raccommoder la mémoire, convertissent le temps sans retour de la vie en un panorama fascinant, un espace circulaire où je me tiens en ce moment même, à tout jamais inassouvie, asservie, captive. Un lent carrousel, où l’enfant réclame de faire encore un tour. » Attention : les mots et leur manège vont métamorphoser le temps qui surgit ! Et voilà, en effet, que s’offre à Catherine Millet, qui nous le transmet, un panorama, soit « une peinture développée circulairement sur le mur intérieur d’une rotonde et donnant l’illusion de la réalité par des effets de perspective et de trompe-l’œil ».

Simone Émonet, l’un des plus beaux livres de Catherine Millet, est un double récit initiatique : elle y fait l’expérience de retrouver des images du corps de sa mère malade quand cette dernière a mis fin à ses jours pour n’avoir plus d’image de ce corps.

L’auteur d’Une enfance de rêve (Flammarion, 2014) confesse n’avoir jamais regardé cette mère comme elle la regarde aujourd’hui sur les photos découvertes dans la boîte de carton laqué bordeaux : « Depuis la révolution Kodak, la sensibilité technique surimpressionne la mémoire et y fait son travail de termite. »

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Que cherche Catherine Millet avec ses confessions ? À convertir le temps. À métaboliser le poison du souvenir du corps « possédé » de sa mère : « Le corps de ma mère enfoui dans un lit d’hôpital, c’était la vérité entropique de la vie qui s’exposait sous mes yeux et qu’elle assumait si douloureusement. »

On ne sort pas indemne de la lecture de ce livre qui amène, immanquablement, à questionner sa propre histoire.


Simone Émonet, Catherine Millet, Flammarion, 2025. 176 pages.

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L’art d’être père par temps troublés

Pas facile d’être un père, même d’une fille sage dans une ville tranquille. Minée par les réseaux sociaux, les messageries instantanées et des comportements collectifs parfois dangereux et imprévisibles, la vie d’une ado nécessite une vigilance constante. Témoignage.


L’autre jour, alors qu’Isa faisait du lèche-vitrine avec ses copines dans un centre commercial près de Paris, l’employée d’une agence de publicité l’a accostée. « Mademoiselle, que diriez-vous de poser pour la campagne d’une grande marque de lingerie ? » lui a-t-elle demandé. Quoique flattée, la lycéenne a poliment refusé. Pas question de laisser des photos d’elle en sous-vêtements s’étaler sur les abribus !

Isa, c’est ma fille aînée, et je dois dire que je suis assez fier d’elle. Comme on l’a compris, elle est très jolie, sans que cela l’ait rendue prétentieuse ni paresseuse. Plutôt bonne élève, elle s’entend bien avec sa petite sœur et a entamé depuis quelques mois une crise d’adolescence très supportable, qui consiste principalement à écouter à tue-tête, dans sa chambre située au premier étage de notre pavillon de banlieue, ce rap français qui plaît tant à la jeunesse de notre pays.

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Ajoutez à cela qu’Isa ne supporte pas l’alcool et qu’elle ne fume pas, et vous comprendrez peut-être pourquoi sa mère et moi, d’un naturel confiant, sommes peu sévères avec elle, si ce n’est pour lui interdire d’utiliser son smartphone la nuit. Afin d’éviter toute tentation, l’appareil est dûment déposé chaque soir à 22 heures sur une table au rez-de-chaussée. Que demander de plus à une enfant si sage ?

Nos illusions de quiétude parentale ont toutefois récemment disparu. Il y a trois mois environ, nous retrouvons un soir notre fille en pleurs, sans raison apparente. Que s’est-il passé ? Le lendemain, sa meilleure amie me donne le fin mot de l’histoire : en notre absence, une demi-douzaine de jeunes du lycée a débarqué en hurlant à notre domicile pour demander à Lisa des comptes suite à son flirt avec un garçon de sa classe. Oui, vous avez bien lu. Sans doute inspirés par l’esprit néopuritain de l’époque et par le culte contemporain de la transparence, les jeunes gens ont estimé avoir un droit de censure sentimentale sur leur camarade ! Laquelle a courageusement refusé de courber l’échine ? Certes au prix de graves déconvenues. Préférant se conformer à la réprobation générale, la moitié de ses amis ne lui adressent désormais plus la parole. « Il ne me reste que le bon grain », philosophe-t-elle.

Pour la consoler, un mois plus tard, à l’occasion de son quinzième anniversaire, nous lui proposons d’organiser une fête à la maison tandis que nous irons dîner dehors. Seule contrainte : pas plus de vingt invités et fin des réjouissances à minuit. Erreur funeste… Le soir venu, alors que nous sommes à table avec ma femme dans un restaurant japonais à cinq minutes à pied, mon téléphone sonne. C’est notre voisine. « Il y a au moins une centaine de jeunes devant votre portail ! » s’écrie-t-elle. Nous quittons sur-le-champ l’établissement pour regagner à la hâte notre logis. Sur place, quatre officiers de la BAC, intervenus en urgence, sont déjà en train de disperser, avec calme et fermeté, la horde juvénile.

Sitôt les troubles terminés, je remercie vivement les policiers et demande à Isa, catastrophée, comment une telle masse humaine a pu déferler si vite. Plusieurs de ses hôtes, m’explique-t-elle, ont innocemment partagé des images de la soirée sur les messageries instantanées. De quoi donner immédiatement à tous les gamins désœuvrés des alentours des envies de « projet X » – c’est ainsi que l’on appelle une rave-party sauvage quand elle a lieu dans une résidence particulière laissée sans surveillance.

Le lendemain, la sœur d’Isa me montre des vidéos prises quelques heures plus tôt chez nous, et qui circulent à présent sur les réseaux sociaux. On y voit qu’au moins cinquante jeunes étaient parvenus à s’incruster dans notre salon, où, serrés les uns contre les autres, ils se sont mis à sauter sur place en éructant : « Chargez ! Chargez ! » De mon temps, on appelait cela un « pogo » et on réservait ce genre de débordements aux concerts de rock. Aujourd’hui, ils ont manifestement encore plus de saveur quand ils se déroulent chez Monsieur Tartempion.

Quelques jours après, lorsqu’Isa me fait part de son intention de se rendre à la Fête de la musique à Saint-Germain-en-Laye, je lui donne mon accord, mais en la prévenant toutefois que, échaudé par ses mésaventures récentes, j’y assisterai aussi. Le 21 juin au soir, me voilà au cœur de la ville natale de Louis XIV, envahie par la foule.

Alors que le soleil se couche et que ma fille écoute un guitariste amateur enchaîner sous un lampadaire les reprises de Téléphone, mon attention est attirée par un groupe de jeunes qui, dans un coin beaucoup plus sombre, improvise un pogo – encore un ! Soudain, au milieu de la cohue, composée quasi exclusivement de mineurs de moins de 15 ans, une explosion retentit, suivie d’un départ de fusée d’artifice, qui achève son vol à quelques mètres seulement dans un auvent. Heureusement le projectile, tiré par quelque imbécile prépubère, n’a blessé personne, ni déclenché d’incendie. Mais on a frôlé la catastrophe.

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Cet incident me confirme que je suis un père trop irresponsable et que je dois contrôler davantage ce que fait ma fille lorsqu’elle se déplace en terrain inconnu. Aussi, quand, la semaine suivante, Isa me demande la permission d’aller au festival Solidays, qui se tient chaque année à l’hippodrome de Longchamp, je lui indique que, cette fois encore, je rôderai dans les parages.

Aux Solidays, je constate vite que la sécurité est garantie. Le ticket coûte cher (129 euros pour trois jours), ce qui maintient toute une population à l’écart. L’ambiance s’apparente en somme à celle des JO de Paris. À la nuance près toutefois que le public n’est pas fouillé à l’entrée. Résultat, certains peuvent se glisser dans l’enceinte avec des objets dangereux, tels ce jeune homme qui, durant la prestation sur scène du chanteur Leto, allume sous mes yeux un fumigène, avant d’être prestement appréhendé par deux énergiques vigiles, qui désactivent aussitôt l’engin.

En observant ce dénouement heureux, j’arrive à la conclusion que, pour mon propre bien-être, le mieux serait de prier ma fille de se borner, du moins jusqu’à sa majorité, à s’amuser dans des événements payants de ce type et d’éviter les rassemblements populaires. Que ce soit en matière d’enseignement (mes enfants sont inscrits dans des écoles catho) ou de divertissement, le privé me semble décidément la formule la mieux indiquée pour ma progéniture.

Macron, Villepin: les bons élèves…

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Face à l’islamisme, le président Macron se «pétainiserait»-il, se demande notre chroniqueur?


« Vous devez défendre vos propres citoyens » : en rappelant cette idée simple aux dirigeants rassemblés avant-hier à l’ONU, Donald Trump a accusé en creux les mondialistes au pouvoir de trahir les peuples qu’ils sont censés protéger. Leur passivité face à l’immigration de peuplement est, de fait, en train de bouleverser les identités des sociétés de l’Europe de l’Ouest. « Vos pays sont en train d’être détruits par les migrants (…)  L’Europe est envahie », a rappelé le président des États-Unis, en accusant même le maire de Londres de vouloir y « imposer la charia (la loi islamique) ». « Vos pays vont en enfer », a-t-il ajouté. Son vice-président, J.D. Vance, avait déjà, dans son discours du 14 février 2025 à Munich, posé les bases messianiques de la Révolution conservatrice américaine. Il avait invité les dirigeants européens à « ne pas avoir peur des peuples », en leur rappelant l’urgence du défi représenté par « l’immigration de masse ».

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Emmanuel Macron n’a pu que se sentir désavoué par son « ami », qui a rappelé que la reconnaissance d’un État de Palestine, acté la veille par le président français, était une « récompense » pour les « atrocités » commises par les « terroristes » du Hamas. La prestation de Trump, pourfendant avec jubilation l’ONU et le politiquement correct y compris sur le changement climatique (« la plus grande arnaque du monde »), a replacé Macron au rang des dirigeants falots, prêts aux compromissions électoralistes avec l’islamisme qui s’est infiltré au sein des nations européennes.

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La posture de résistant du chef de l’Etat face à la Russie de Poutine est un leurre. Derrière cette communication guerrière se dissimule une capitulation face au djihadisme du sabre. En reconnaissant la Palestine à l’ONU, Macron ne s’est pas contenté de lâcher Israël dans son combat pour sa survie et de banaliser le pogrom du 7-Octobre 2023. Le président a également satisfait le Hamas terroriste, les islamistes judéophobes, les anti-occidentaux revanchards, l’extrême gauche antisémite. Sans oublier Jean-Luc Mélenchon lui-même, qui s’est promu leader de la cause palestinienne et antisioniste en France. Les alertes de Macron contre « l’extrême droite » le rangent en réalité parmi les collaborateurs d’une idéologie totalitaire et invasive. Pétain avait semblablement choisi de pacifier avec le régime nazi au lieu de lui résister. Cette bascule, qui s’est vue lundi aux drapeaux palestiniens flottant sur 86 mairies de gauche comme le ferait une puissance occupante, est une menace pour la France, son identité, sa démocratie. Quand Dominique de Villepin explique, le 21 septembre sur Radio J : « Je ne mets pas de signe égal entre le RN et l’extrême gauche (…) L’extrême gauche se situe bien davantage dans l’arc républicain et dans l’esprit républicain que le RN », l’ancien Premier ministre confirme la connivence de bien des élites face aux nouveaux ennemis intérieurs. Ces gens-là traitent Trump de « fasciste » et la droite anti-immigration de « raciste ». Les stratèges de l’islamisme colonisateur peuvent être fiers d’avoir produit de si bons élèves.

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Simone Signoret, la nostalgie camarade

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Roschdy Zem et Marina Foïs grimmés en Yves Montand et Simone Signoret, dans le film de Diane Kurys actuellement en salles "Moi qui t'aimais" © David Koskas / New Light Films

Nous sommes le lundi 30 septembre 1985, au volant de ma vieille Peugeot, j’entends à la radio un flash spécial : Simone Signoret est morte. Ce souvenir reste depuis gravé dans ma mémoire. Il faisait gris et le vent malmenait la voiture. J’aimais beaucoup Signoret, son visage détruit, comme aurait dit Duras, ses rides de la désillusion amoureuse, ses cheveux blancs, non pas ceux de la sagesse, mais de la souffrance imposée par Yves Montand, magicien de la scène à la voix mélancolique et au regard de chien battu, d’un professionnalisme à rendre jaloux les Américains. « Oh, je voudrais tant que tu te souviennes… » Et l’émotion est là, directe.

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Signoret, je la vois immédiatement dans deux rôles. Le premier, dans le long-métrage de Jean-Pierre Melville, L’Armée des ombres. Elle joue le rôle de Mathilde, une résistante éliminée par son propre réseau, en 1943. La scène de sa mort est tournée Avenue Hoche, non loin du parc Monceau. Je m’y suis souvent rendu comme si cet assassinat était réel. Signoret était tellement « naturelle » qu’on oubliait que c’était du cinéma. Le second, dans Police Python 357, de Corneau. Un polar noir, efficace, sur fond de société consumériste. Signoret joue une bourgeoise en fauteuil roulant. Elle est alcoolique, dévastée par le cocufiage de son mari. Elle veut mourir, finit par supplier Montand, qui joue le rôle d’un fic pris dans un engrenage machiavélique, de la tuer. Signoret est tout entière dans ce rôle de femme-épave, le regard injecté de whisky, sans larmes, morte déjà. Elle résume sa vie amoureuse face à la caméra. Elle ne joue pas, elle est Signoret, première actrice française oscarisée, humiliée par son mari chanteur, effacée, croit-elle, par la beauté délétère de Marilyn Monroe, maîtresse d’un soir de celui qu’elle a rencontré le 19 août 1949, à la Colombe d’Or, dans l’arrière-pays niçois, et qu’elle a aimé jusqu’au bout de la déraison.

Pari un peu fou

Signoret fut une immense actrice et une femme malheureuse. À la mort de Marilyn, pourtant, Montand l’appelle, il bafouille au téléphone, paumé. Elle l’écoute, ne raccroche pas. Elle est aussi triste que lui. Elle meurt donc le 30 septembre 1985 d’un cancer du pancréas, dans sa maison d’Autheuil-Anthouillet (27). Elle n’avait que soixante-quatre ans. Elle avait écrit en 1976 une très belle autobiographie, La Nostalgie n’est plus ce qu’elle était. Pivot l’avait reçue à Apostrophes. Elle avait paru timide, presque gênée d’être sur le plateau, elle qui fut l’amie de Sartre et de Simone de Beauvoir, « compagnon » de route du PCF.

De nombreuses biographies ont été écrites sur elle, son couple, sa fille, Catherine Allégret. Nicolas d’Estienne d’Orves, écrivain et critique musical, a pourtant relevé le défi d’en ajouter une nouvelle. Enfin pas tout à fait, il a relevé un pari un peu fou : celui de se mettre dans la peau de Simone, née Kaminker, le 5 mars 1921, à Wiesbaden, et de lui donner la parole. Pari dangereux, car il était difficile alors de se montrer objectif, notamment sur le voyage qu’elle fit avec Montand dans les pays de l’Est, du 16 décembre 1956 à fin mars 1957 – la moindre des choses aurait été de boycotter l’URSS dont on connaissait les massacres de masse organisés par Staline, notamment avec Le Zéro et l’Infini, ouvrage d’Arthur Koestler, et surtout après l’écrasement du soulèvement hongrois par les chars russes, le 4 novembre 1956, à Budapest. Mais pari gagné.

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On finit par lire l’ouvrage comme si c’était Signoret qui l’avait écrit. On la trouve de mauvaise foi – la question sur l’URSS. On la trouve également très sévère à l’égard de Montand – homme colérique certes, mais pas si « enfantin » que cela…

On comprend mieux, cependant, qu’elle ait accepté d’être Mathilde, dans L’Armée des ombres, elle, la demi-juive qui fréquenta Jean Luchaire et d’autres collabos parisiens, histoire de vouloir réparer une errance de jeunesse. Elle apparait entière, excessive, autodestructrice, en un mot, vivante. Et également glaçante. Après la passade Marilyn, Signoret – enfin l’auteur – lance à Montand : « Tu m’as trahi avec une beauté, je vais te faire vivre avec une vieille dame… »

Nicolas d’Estienne d’Orves, Simone Signoret, histoire d’un amour, Calmann-Lévy. 400 pages.

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Tous mineurs isolés!

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La mosquée des Bleuets, à Marseille, mai 2025. Pour une partie de la jeunesse des cités, l’islam devient la boussole de substitution quand famille, école et République s’effacent © Frederic MUNSCH/SIPA

Avec l’effondrement du cadre familial, l’enfant est devenu un dossier, un cas, une variable. Les parents et l’Éducation nationale ayant renoncé à exercer leur autorité, les écrans, les radicalités religieuses et les cultures d’importation distillent l’anomie chez les petits Français.


Il fut un temps, pas si lointain, où l’on naissait dans un monde déjà habité. Un monde dur, parfois injuste, mais structuré. L’enfant y trouvait sa place à travers la langue des parents, les récits des aînés, les gestes transmis. La verticalité n’était pas un choix : c’était une évidence. On entrait lentement dans la condition humaine, protégé d’abord, puis exposé. La filiation donnait une direction. L’école, la famille, la communauté assuraient une continuité.

Ce monde s’est effondré, et avec lui les piliers qui soutenaient l’enfance. Aujourd’hui, l’enfant moderne naît dans un univers où tout est disponible mais où rien n’est transmis. Saturé d’images, de bruit, d’objets – mais vide de repères, de silence, d’autorité. Il ne reçoit plus de monde à habiter. Il doit le fabriquer seul, en puisant dans des fragments de discours contradictoires, souvent violents.

Captures d’écran de comptes TikTok : la jeunesse française, notamment rurale, est happée par les écrans et l’anomie. DR.

On parle de mineurs isolés pour désigner les jeunes migrants sans famille. Mais ce terme devrait être élargi à toute une génération. Les enfants d’aujourd’hui, en France comme ailleurs, sont eux aussi des mineurs isolés dans leur propre pays. Mineurs, car encore en construction. Isolés, car laissés à eux-mêmes, dans une société déserte d’adultes.

La désintégration commence par le foyer. Le père, autrefois porteur de nom, de loi, de force contenue, a disparu ou s’est effacé. Il n’est plus une autorité, ni même un modèle. Il est un figurant social, parfois violent, souvent absent, presque toujours dépossédé de sa fonction symbolique. La société moderne ne sait plus quoi faire de lui – sinon l’écarter.

La mère, elle, se retrouve seule à tout porter. Elle travaille, élève, organise, console. Mais cette omniprésence n’est pas une victoire. C’est une fatigue. Elle est seule face à l’enfant, au réel, aux injonctions contradictoires. Elle aime, mais ne peut plus élever. Non parce qu’elle ne le veut pas, mais parce que le monde autour d’elle ne tient plus.

Alors on délègue. À l’école. Aux crèches. Aux écrans. Aux algorithmes. L’enfant est confié, pris en charge, mais jamais regardé dans la durée. Il devient un dossier, un cas, une variable. L’autorité est fragmentée, dispersée entre spécialistes et institutions. Et dans cette dilution, l’enfant n’appartient plus à personne.

L’école républicaine aurait pu être le dernier rempart. Elle aurait pu transmettre, structurer, incarner. Mais désarmée par la peur de l’autorité et par l’idéologie de la neutralité absolue, elle a renoncé à éduquer. Elle instruit mal, elle forme sans orienter, elle encadre sans parler au cœur. Le maître n’enseigne plus une culture. Il distribue des compétences. Il n’est plus une figure, mais un agent. Il gère des élèves devenus « publics cibles », dans des classes surchargées, avec des mots filtrés, des livres expurgés, des symboles neutralisés. La France n’est plus racontée. Elle est réduite à un règlement intérieur. Le passé est suspect, l’histoire est morcelée, la langue abîmée.

Et alors, que reste-t-il à l’enfant pour se construire ? Rien qu’un brouhaha idéologique, une jungle de récits concurrents : l’indigénisme, l’ultra-féminisme, l’islamisme culturel, l’utopie technologique. Tout est possible, sauf d’hériter. L’école moderne produit des mineurs sans mémoire.

Ce que la famille et l’école ne transmettent plus, les écrans le prennent en charge. Dès l’âge de 3 ans, parfois avant, l’enfant entre dans une matrice numérique. Il y trouve tout, sauf l’essentiel. Il s’y sent libre, mais est captif. Il croit apprendre, mais il consomme. Il pense choisir, mais il est guidé par des logiques marchandes ou idéologiques.

Le numérique n’est pas neutre. Il colonise l’imaginaire. Il efface le silence, l’ennui, l’intériorité. Il détruit la mémoire. Il crée des identités sans ancrage, des désirs sans fin. L’adolescent ne lit plus. Il scrolle. Il ne parle plus. Il réagit. Il ne rêve plus. Il copie. Et dans cette accélération constante, il perd le sens de lui-même. Il devient étranger à son propre corps, à son propre nom. Il se pense « fluide », « non binaire », « traumatisé », mais ne sait plus ce que signifie devenir adulte. Il devient un être fragmenté, hypersensible, incapable de stabilité ou de projection.

Ce contexte produit une génération fragile, anxieuse, vulnérable aux extrêmes. Beaucoup s’effondrent. D’autres explosent. La psychiatrie infantile est saturée. Les tentatives de suicide augmentent. Les automutilations deviennent banales. Le langage affectif s’efface. La solitude grandit. Pour se sentir vivant, il faut transgresser : violence, sexe, drogue, religion, radicalité. On ne cherche pas seulement un frisson : on cherche un cadre qui tienne. Ce que les institutions ne donnent plus, certains le trouvent dans des récits dangereux – mais clairs. L’islamisme, le virilisme, les communautarismes offrent des lois là où l’État ne propose plus que des valeurs molles.

Dans les cités, la jeunesse trouve une structure dans l’islam, dans la rue, dans la cause palestinienne. Ce n’est pas toujours un choix conscient. C’est une prise en charge. Quand la République ne parle plus, d’autres le font. Le ressentiment se transforme en religion. L’école est méprisée, l’État haï. La France est vue comme une mère morte ou absente.

Dans les zones rurales et les petites villes, une autre jeunesse – blanche, silencieuse, souvent masculine – s’éteint sans bruit. Elle ne brûle rien, elle ne marche pas. Elle reste chez elle, invisible. Les filles s’en vont. Les écrans occupent les jours. L’alcool ou la drogue anesthésient les soirs. Ce jeune homme ne revendique rien. Il constate qu’on ne l’a jamais regardé. Il voit son monde se dissoudre : son accent, sa religion, ses repères. Il sent qu’il est devenu suspect. Il ne comprend pas ce qu’on attend de lui. Il se tait, ou bien il se radicalise en silence.

À ce malaise diffus chez les jeunes hommes blancs s’ajoute un sentiment plus trouble, plus intime, rarement nommé : celui d’un remplacement sexuel. Ce n’est pas seulement la place sociale ou culturelle qui semble leur échapper, mais aussi la place dans l’imaginaire féminin, dans le jeu amoureux, dans la compétition de la virilité. Face à eux, des jeunes issus de l’immigration maghrébine ou subsaharienne apparaissent souvent plus sûrs d’eux, plus affirmés, plus frontaux dans leur rapport au monde. Ils n’ont pas honte de leur masculinité. Leur audace, parfois brutale, tranche avec la timidité d’une jeunesse blanche culpabilisée, castrée symboliquement, paralysée par la peur d’être taxée de sexisme ou de domination.

Cette asymétrie se double d’une représentation médiatique omniprésente : films, séries, publicités, tous mettent en scène des couples mixtes où l’homme est l’exotique, le dominant, le désiré – et où le jeune Blanc n’existe plus, sinon comme rival maladroit ou spectateur frustré. Pour ceux qui restent seuls, invisibles, ce n’est pas l’amour qui fait défaut : c’est la possibilité d’exister comme homme. Ce ressentiment sexuel, bien plus que les discours idéologiques, alimente une rage sourde, une humiliation silencieuse qui pourrait un jour chercher à se venger.

Ce double effondrement est aggravé par un non-dit politique majeur : l’immigration de masse, depuis quarante ans, a profondément bouleversé l’équilibre national. L’assimilation a été abandonnée. La République a remplacé l’exigence par la tolérance passive, puis par la soumission.

Ce n’est pas l’étranger ou le descendant d’immigrés qui est en faute, c’est l’État qui a cessé de transmettre la France. Le vide laissé par ce renoncement a été rempli par des contre-récits puissants : l’oumma, l’indigénisme, la haine du passé. L’école n’y peut rien. L’État n’ose plus rien. Et dans ce vide, la fracture devient culturelle, puis ethnique, puis existentielle.

Face à cela, les jeunes Français issus de souche populaire se sentent effacés. Non pas haïs, mais dépassés, remplacés, oubliés. On leur dit que leur culture n’est pas menacée, mais ils voient qu’elle n’est plus enseignée, ni respectée, ni incarnée. Leur ressentiment est croissant, confus, mais réel.

Ces deux jeunesses, que tout oppose en apparence, ont un ennemi commun : l’adulte qui a renoncé. Mais au lieu de se rejoindre, elles pourraient bientôt s’affronter. Car la colère a besoin d’une cible. Et quand l’État ne l’entend pas, la cible devient l’autre.

Tout est en place pour une guerre froide sociale et identitaire. Pas encore une guerre civile, mais une suite de conflits diffus : dans les classes, dans les quartiers, dans les esprits. Chacun enfermé dans son récit. Chacun certain d’avoir été trahi. Le ressentiment, nourri par des années de silence et de mépris, est le carburant de tous les extrémismes à venir. Il suffit d’une étincelle.

Face à ce monde en ruine douce, il reste encore des enfants debout. Pas parce qu’ils sont surdoués. Pas parce qu’ils sont protégés par leur statut social. Mais parce qu’un adulte, quelque part, a tenu debout devant eux. Un père. Une mère. Un professeur. Un prêtre. Un grand frère. Ces enfants debout ne sont pas des héros. Ce sont des survivants. Des enfants qui ont eu la chance d’être regardés, cadrés, nommés. Ce sont eux qui nous rappellent ce que peut encore un adulte : dire non, transmettre une histoire, affirmer une limite, incarner une parole.

Le problème n’est pas technique. Il est civilisationnel. Il ne s’agit pas de créer un nouveau plan pour la jeunesse, ni de multiplier les psychologues scolaires. Il s’agit de redevenir des adultes. De réapprendre à parler, à interdire, à guider. De dire : « Tu viens d’un monde plus ancien que toi. Ce monde est imparfait, mais il est à toi. Tu n’as pas à le détruire pour exister. » Il faut cesser de se cacher derrière des abstractions et des discours inclusifs. Ce qui sauve un enfant, ce n’est pas l’égalité des chances : c’est la présence incarnée.

Tant que nous continuerons à déléguer la parole, à confondre tolérance et renoncement, à abandonner les jeunes à eux-mêmes, ils seront tous, quelles que soient leur origine ou leur foi, des mineurs isolés.

Non pas étrangers par leur naissance, mais étrangers dans leur propre pays. Et ce jour-là, quand ils se lèveront – non pour construire, mais pour juger –, nous ne pourrons plus dire que nous ne savions pas.

Les parapluies d’Islamabad

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Sur cette photo officielle, le Premier ministre pakistanais Shehbaz Sharif, à gauche, étreint le prince héritier d’Arabie saoudite, Mohammed ben Salmane, après la signature d’un pacte de défense conjoint à Riyad, en Arabie saoudite, le mercredi 17 septembre 2025 © Saudi Press Agency/AP/SIPA

Riyad et Islamabad ont scellé un accord militaire stipulant qu’«une attaque contre l’un des deux pays sera considérée comme une attaque contre les deux». Le Pakistan disposerait aujourd’hui de 160 à 170 ogives nucléaires.


Lorsque, le 17 septembre 2025, Islamabad et Riyad ont annoncé leur pacte de défense mutuelle, la réaction internationale a été immédiate. Derrière les formules convenues d’« amitié fraternelle » et de « coopération stratégique », l’ombre de l’arme nucléaire s’est imposée. Depuis plusieurs décennies, l’Arabie saoudite est soupçonnée d’avoir financé en partie le programme atomique pakistanais, et voici que la perspective d’un « parapluie nucléaire » s’esquisse, au moment où l’Iran affiche un enrichissement d’uranium toujours plus avancé et où Israël semble plus déterminé que jamais à refaçonner la région. Et surtout, lorsque la garantie américaine, vieille de quatre-vingts ans, perd de sa fiabilité…

Quelle effectivité ?

Mais que signifie, concrètement, un tel « parapluie » ? La question suppose d’abord d’évaluer la réalité des moyens dont dispose le Pakistan. À la différence des grandes puissances nucléaires, Islamabad dispose d’un arsenal significatif mais limité, moderne mais vulnérable, et contraint par les équilibres régionaux.

Selon les estimations récentes, le Pakistan posséderait environ 160 à 170 têtes nucléaires. Ce stock, conséquent à l’échelle régionale, repose sur plusieurs familles de vecteurs, notamment les missiles balistiques terrestres de la série Shaheen, les missiles à moyenne portée capables d’atteindre le territoire indien ou iranien, et certains vecteurs adaptés pour frapper des cibles régionales. Cette diversité confère au pays une marge de manœuvre opérationnelle, mais il n’est pas extensible à l’infini. Toute extension de la dissuasion à un allié nécessiterait de repenser l’équilibre interne structuré autour de la rivalité avec l’Inde.

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Dès lors, la crédibilité d’un parapluie nucléaire ne se mesure pas uniquement au nombre de têtes disponibles ; elle dépend surtout de la posture opérationnelle : l’état de préparation des forces, le degré d’alerte du commandement, la capacité à projeter rapidement des moyens et à menacer des cibles stratégiques précises. Sans ces éléments, une promesse politique resterait vulnérable au soupçon d’ineffectivité.

Étendre la dissuasion à un tiers impose de revisiter en profondeur la doctrine pakistanaise. Elle devrait intégrer de nouveaux scénarios et préciser de nouvelles conditions d’emploi de l’arme nucléaire au profit d’un allié. Cela soulève la question de la chaîne de décision : qui, du Premier ministre, du chef d’état-major ou du commandement nucléaire, serait en droit d’autoriser une frappe destinée à protéger Riyad ? La question de la « double clé », autrement dit du partage de l’autorisation ultime de tir, serait politiquement explosive.

Au plan technique, un parapluie crédible suppose l’établissement de canaux sécurisés, comparables à ceux de l’OTAN, avec codes d’authentification et procédures d’activation conjointe. Il exigerait aussi des mesures de sécurité physique pour tout prépositionnement éventuel. Enfin, l’efficacité d’un tel dispositif ne pourrait être garantie qu’au prix d’exercices conjoints réguliers. Ces ajustements, complexes et coûteux, multiplient les vulnérabilités : fuites, erreurs humaines, tensions internes.

Les chancelleries occidentales inquiètes

À court terme, une garantie politique pourrait être donnée en quelques jours ou semaines. Elle coûterait peu sur le plan financier, mais beaucoup sur le plan diplomatique, car elle placerait immédiatement Islamabad dans la ligne de mire des chancelleries occidentales et des instances internationales.

Une posture crédible demanderait davantage de temps. Il faudrait négocier les détails techniques, installer des liaisons de commandement, organiser des exercices conjoints et éventuellement prépositionner des moyens logistiques.

Enfin, le scénario du transfert matériel (ogives ou systèmes de livraison) en Arabie saoudite serait long et coûteux. Sa mise en place nécessiterait plusieurs mois, voire plusieurs années. Le prix à payer ne se mesurerait pas seulement en dépenses logistiques ou sécuritaires, mais aussi en conséquences économiques et politiques. Comme le rappelle le Washington Institute, le coût véritable d’un parapluie nucléaire pakistanais n’est pas technique mais systémique, et réside dans le bouleversement des équilibres géopolitiques et économiques que cette décision entraînerait.

Étendre la dissuasion à Riyad signifierait non seulement partager une partie de son outil nucléaire, mais aussi assumer les conséquences d’une confrontation élargie avec l’Iran, d’une crispation accrue avec l’Inde et d’un isolement probable sur la scène internationale. Plus qu’une démonstration de puissance, ce parapluie serait une fuite en avant dont Islamabad et Riyad ne maîtriseraient pas toutes les retombées.

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L’Arabie saoudite, quant à elle, peut trouver dans cette option une solution à la principale menace : l’Iran. Depuis 1979 et la révolution islamiste, les deux pays mènent une guerre larvée pour l’hégémonie du monde musulman. Pour les Saoud, le défi lancé par Khamenei est une question de légitimité et donc de survie politique. C’est au nom de principes religieux que le grand-père du prince héritier Mohamed ben Salmane a détrôné les Hachémites, pourtant issus en ligne directe de la famille du Prophète, de leur rôle de gardiens de La Mecque et de Médine. C’est en voulant se protéger que les Saoud se sont lancés dans une surenchère de radicalisation islamiste face aux mollahs, y compris en soutenant l’islamisation du Pakistan menée par le général Zia ul-Haq.

Riyad pourrait donc se réjouir de voir son rival iranien confronté à une menace directe, mais le parapluie nucléaire protège autant qu’il attire le feu. En s’adossant au Pakistan, Riyad deviendrait une cible prioritaire pour Téhéran, qui pourrait multiplier les frappes de missiles, l’usage de drones ou l’action de ses supplétifs régionaux. Un conflit régional limité risquerait de se transformer en affrontement direct, avec un Pakistan aspiré dans une guerre qui n’est pas la sienne. Les Houthis, déjà capables de menacer les installations pétrolières saoudiennes, trouveraient un prétexte pour intensifier leurs opérations. Enfin, la relation avec l’Inde, partenaire économique majeur du Golfe, serait fragilisée : New Delhi pourrait interpréter cette extension de la dissuasion pakistanaise comme une provocation.

La tentation est grande pour les deux capitales de trouver, dans l’atome pakistanais, un raccourci stratégique. Mais ce raccourci mène droit dans un labyrinthe d’incertitudes politiques, militaires, diplomatiques et économiques. La dissuasion étendue peut fonctionner lorsqu’elle repose sur une puissance dominante disposant d’un réseau d’alliances et d’une économie capable d’absorber les chocs. Le Pakistan n’a ni la marge de manœuvre économique des États-Unis, ni la capacité diplomatique de l’OTAN. Nous assistons donc à une expérimentation grandeur nature de la géopolitique d’un monde multipolaire.

Nicolas Sarkozy: une «haine» dont on relève appel…

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Philippe Bilger © Pierre Olivier

Même s’il partage la stupeur des citoyens, quant à l’exécution provisoire du mandat de dépôt (à organiser dans le délai d’un mois) et qui mènera l’ancien chef de l’État en prison, notre chroniqueur récuse l’argument de la « haine » des magistrats à son endroit évoqué par Nicolas Sarkozy.


Je ne suis pas Marine Tondelier et je me garderai bien de toute moquerie, de la moindre dérision à l’encontre de Nicolas Sarkozy et de la droite, comme elle le fait lourdement. Comme si la gauche et l’extrême gauche avaient des leçons de morale publique à donner !

Comme Nicolas Sarkozy a décidé d’interjeter appel du jugement de 400 pages rendu le 25 septembre, je ne me prononcerai pas sur le fond. Je vais seulement m’autoriser à contredire certaines affirmations de l’ancien président sur cette juridiction qui l’a très partiellement condamné.

Je relève qu’il évoque « une justice invraisemblable », ce qui est offensant, et qu’il ajoute, comble de l’outrance, « la haine n’a décidément aucune limite ».

Il use d’un argument pauvre et très démagogique en dénonçant la durée de dix ans de cette affaire et en prétendant que des fonds ont été dilapidés qui auraient mérité un meilleur usage. Comme s’il n’était pas nécessaire, au regard de la justice et de la démocratie, de déterminer ce que valaient les présomptions d’avoir commis des délits gravissimes dans une relation avec la Libye.

Une haine ? Nicolas Sarkozy, lorsqu’il a été condamné, a usé de plusieurs argumentations polémiques pour décrédibiliser les décisions. Les juges rouges, le Syndicat de la magistrature, la partialité des magistrats à son encontre : il avait tout à fait le droit d’invoquer de telles explications pour justifier les insuccès des plaidoiries de ses avocats et de ses propres dénégations. Mais à la longue, cela perdait de sa vigueur pour convaincre !

Mais la haine ?

Nicolas Sarkozy a été relaxé pour trois chefs d’accusation importants : les délits de corruption passive, de détournement de fonds publics libyens et de financement illicite de campagne électorale.

Haine encore ?

Le tribunal a considéré comme probablement faux un document originel – validé pourtant à deux reprises par la Justice -, émanant de Moussa Koussa (haut personnage du pouvoir libyen), et base de l’affaire (article de Mediapart).

En retenant l’association de malfaiteurs et un pacte corruptif à l’encontre de Nicolas Sarkozy, entre 2005 et 2007, dans l’obligatoire connaissance qu’il avait des démarches troubles de Claude Guéant et de Brice Hortefeux en Libye, il me semble – mais ce sera discuté devant la juridiction d’appel – que le tribunal a répudié à juste titre l’invraisemblance d’actions engageant la France sur un mode délétère sans que Nicolas Sarkozy en ait été informé. Pacte corruptif et non corruption puisque, élu président de la République, Nicolas Sarkozy n’a pas dérogé à la politique traditionnelle à l’égard de la Libye. Ce jugement « n’humilie pas la France ni l’image de la France ». Il n’humilie personne, même si l’on peut à nouveau mettre en cause cette exécution provisoire pour le mandat de dépôt différé à organiser dans le délai d’un mois, avec le probable aménagement que son âge facilitera. On sait déjà qu’il est convoqué par le PNF le 13 octobre et qu’il sera incarcéré dans un délai relativement proche.

On ne parle pas de « haine » pour un jugement dont on relève immédiatement appel. Il ne faut surtout pas se moquer de ses protestations d’innocence : celles d’un innocent ou d’un homme, ancien président, qui ne se supporte pas coupable ? La droite, avec Laurent Wauquiez, est démagogique ; avec Bruno Retailleau, heureusement minimaliste : « soutien et amitié ». Vivement l’appel !

Ni l’Europe ni la France ne sont condamnées à la stagnation

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La "Station F", incubateur de jeunes entreprises dans le 13e arrondissement à Paris, 2021 © ISA HARSIN/SIPA

Économiquement, nous ne sommes pas condamnés à être un musée et à regarder les autres nous écraser


Pendant trop longtemps, nous avons accepté une idée aussi paresseuse que fausse selon laquelle la « vieille Europe » serait vouée à croître lentement. Or le ralentissement n’a rien de naturel. Il résulte de nos choix. Quand on protège les rentes au lieu d’ouvrir les marchés, quand on centralise au lieu de faire confiance aux territoires, quand on empile taxes et normes au lieu de libérer l’investissement et le travail, on obtient exactement ce que l’on observe : des factures d’énergie trop élevées, des salaires nets trop faibles, des usines qui hésitent, des jeunes qui partent.

Qu’est-ce qui, concrètement, empêche la concurrence de jouer pleinement son rôle ? Il y a des facteurs qu’on peut qualifier de « distorsions anti‑concurrentielles ». Elles prennent des formes variées — barrières réglementaires, fiscalité qui décourage l’effort, procédures trop lentes, normes extraterritoriales qui ferment des débouchés — mais elles ont le même effet : moins de pression concurrentielle, donc des prix plus élevés, moins d’innovation et des salaires qui stagnent.

Trois verrous pèsent particulièrement sur l’Europe.

Premier verrou : l’énergie devenue un luxe. Nous avons voulu faire porter à nos ménages et à nos usines le coût d’une transition mal ordonnée. Résultat : des prix de l’électricité et du gaz durablement supérieurs à ceux de nos concurrents. Or sans énergie abordable et fiable, il n’y a ni industrie, ni artisanat, ni transports compétitifs. Une politique sérieuse part d’un principe de neutralité technologique : le carbone doit baisser, certes, mais par l’innovation et l’investissement, pas par la raréfaction et des mesures punitives. Il faut sécuriser nos approvisionnements, moderniser nos réseaux et assumer nos atouts — au premier rang desquels le nucléaire.

Deuxième verrou : la règlementation excessive. Nous parlons beaucoup de « marché unique », mais l’esprit de reconnaissance mutuelle a trop souvent cédé la place au réflexe de l’harmonisation lourde. Dans de nombreux secteurs, des règles pensées pour les grands acteurs deviennent des barrières pour les nouveaux entrants. Là où l’on voulait protéger le consommateur, on protège en réalité l’installé. Le résultat se voit : trop de paperasse, trop peu de créations d’entreprises, trop de freins administratifs, et des innovations qui partent ailleurs.

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Troisième verrou : un marché du travail rigide. Nous avons fait de la protection de l’emploi une protection de postes, quand il faudrait protéger les personnes et leurs parcours. Simplifier l’embauche et le dialogue social, rendre le coût du travail moins punitif, faire de la formation une responsabilité partagée et efficace : ce sont des réformes pro‑travail, pro‑salaires et pro‑dignité. Là où l’on a libéré l’apprentissage, bâti des passerelles simples entre chômage et emploi, et cessé d’empiler les contraintes, l’activité repart et les salaires suivent.

Faut‑il pour autant renoncer au modèle social français ? Non. Il s’agit de le sauver de son inertie. Un modèle qui dépense toujours plus sans produire plus finit par s’autodétruire : dettes, impôts, exode des talents. L’Europe centrale nous donne une leçon de bon sens : moins de dette, des impôts plus lisibles, des règles plus claires, et la croissance suit. Plusieurs pays partis de plus bas rattrapent déjà l’Ouest. Ce n’est pas un miracle : c’est l’effet cumulatif de choix pro‑concurrence.

Que faire donc pour relancer la France et, avec elle, l’Europe ?

Baisser la facture d’énergie en assumant une stratégie de sécurité et de coût. Stop aux dispositifs qui renchérissent sans réduire efficacement les émissions. Priorité au nucléaire, aux réseaux, aux contrats d’achat à long terme et à la concurrence dans la fourniture.

Libérer le travail : simplifier le code là où il bloque l’embauche, alléger les charges sur les bas et moyens salaires, récompenser les heures supplémentaires, fluidifier la négociation dans l’entreprise. Protégeons les personnes, pas les statuts.

Accélérer la création d’entreprise : guichet unique réel, délais garantis, droit à l’erreur, formalités numériques simples, faillite rapide et sans stigmate pour rebondir. Orientons l’épargne longue (assurance‑vie, retraites) vers l’investissement productif français.

Stabiliser la fiscalité : moins de taxes qui changent chaque année, plus d’incitations visibles et pérennes à investir, innover et embaucher. La stabilité est la première condition pour convaincre un entrepreneur d’avancer.

Réviser nos normes avec un filtre pro‑concurrence : toute règle devrait prouver qu’elle ouvre le marché au lieu de le fermer. Instaurons un réexamen périodique : si une norme ne démontre pas son utilité, elle disparaît.

Retrouver l’esprit de subsidiarité : la centralisation, à Paris comme à Bruxelles, n’est pas synonyme d’efficacité. Laissons régions et villes expérimenter ; copions ce qui marche. La concurrence entre régulateurs peut être aussi saine que la concurrence entre entreprises.

Ouvrir plus largement nos débouchés par des accords fondés sur la reconnaissance mutuelle et l’équivalence, plutôt que sur l’exportation unilatérale de nos règles. Moins de guerres de normes, plus d’accès réciproques. C’est particulièrement vrai avec les États‑Unis et l’Inde.

Réorienter la dépense publique : arrêter d’opposer réformes et solidarité. En luttant contre les rentes et les gaspillages, on peut à la fois soulager le contribuable et mieux cibler l’aide. Un euro économisé sur l’inefficace, c’est un euro pour la sécurité, l’école, la justice et la défense.

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Faire de l’école‑travail un continuum : valoriser l’apprentissage, l’alternance, les filières techniques d’excellence, et reconnecter l’université avec le tissu productif. Chaque jeune doit sortir des études avec une compétence monnayable et une trajectoire lisible.

Ce programme n’est pas une « austérité joyeuse ». C’est un projet de prospérité par la liberté économique ordonnée. Il ne s’agit pas de privatiser la vie, mais d’aligner nos politiques sur ce qui marche : la concurrence loyale, la propriété, l’ouverture, la responsabilité. À ceux qui craignent que la concurrence abîme la France, on peut répondre que la concurrence est l’alliée du consommateur, de l’ouvrier qualifié, de l’artisan, de l’agriculteur, du créateur de PME. Elle brise les rentes, fait baisser les prix, stimule l’investissement et reconnaît le mérite.

La France a des atouts rarissimes : énergie nucléaire, savoir‑faire industriel, épargne abondante, écosystème tech en montée, État capable de décider quand il le veut. Ce qui lui manque, ce n’est pas une « grande stratégie » de plus, c’est la décision d’enlever les cailloux dans la chaussure de ceux qui produisent, embauchent et exportent.

Nous avons, collectivement, un choix simple à faire. Continuer à gérer le déclin, à coup de rustines fiscales et de normes punitives, en espérant des miracles qui n’arriveront pas. Ou bien choisir la compétition, la subsidiarité et l’ouverture, et retrouver le mouvement ascendant des nations qui croient en elles. L’écart de niveau de vie avec les économies les plus dynamiques n’est pas une fatalité : c’est un écart de politiques.

Rien n’oblige l’Europe à être un musée. Elle peut redevenir un continent de croissance, d’emplois et de salaires en hausse. La recette tient en quelques mots : énergie abordable, travail libéré, marchés ouverts, règles simples. C’est exigeant, mais c’est à notre portée. Et cela commence par une volonté : laisser la France qui entreprend, qui innove et qui travaille, respirer enfin.

Une décision infamante

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Le président Sarkozy, aux côtés de son épouse Carla, s’exprime après que le tribunal l’a condamné à 5 ans de prison et a déclaré qu’il serait incarcéré même s’il fait appel, après l’avoir reconnu coupable lors de son procès pour financement électoral illégal présumé par la Libye, jeudi 25 septembre 2025 à Paris © Michel Euler/AP/SIPA

Hier, la 32ème chambre correctionnelle du tribunal de Paris a prononcé à l’encontre de l’ancien chef de l’État une peine de prison provisoire, extrêmement surprenante.


C’est une immense secousse politique. Pour la première fois depuis Philippe Pétain, il a été décidé en France de placer un ancien chef de l’État en détention. Ce jeudi, Nicolas Sarkozy a, dans l’affaire dite du « financement libyen » de sa campagne présidentielle de 2007, été condamné pour association de malfaiteurs à cinq ans de prison ferme, 100 000 euros d’amende et une privation de ses droits civiques, civils et de famille pendant cinq ans ainsi qu’une inéligibilité de cinq ans.

Présumé coupable

Sitôt après l’annonce au Tribunal judiciaire de Paris, l’ex-président a fait une allocution devant la presse pour qualifier la décision d’« injustice scandaleuse » et annoncer qu’il ferait appel. Toujours présumé innocent, il n’échappera pourtant pas à une mise sous écrou, car les juges ont assorti leur peine d’une exécution provisoire !

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Concrètement, un mandat de dépôt « à effet différé » a été prononcé, qui oblige Nicolas Sarkozy à se présenter devant le Parquet national financier le 13 octobre prochain pour se faire notifier la date et le lieu de son incarcération (très probablement la maison d’arrêt de la Santé à Paris). Il pourra toutefois dès ce jour-là déposer une demande de remise en liberté, à laquelle la Cour d’appel pourra éventuellement répondre en ordonnant la pose d’un bracelet électronique.

Incompréhensible

Reste que cette exécution provisoire n’avait pas été demandée par le ministère public. Comment interpréter la sévérité exceptionnelle des magistrats du siège ? L’ancien chef de l’État est-il susceptible de récidiver ? De suborner des témoins ? Pour des faits datant d’il y a une vingtaine d’années, ces hypothèses sont absurdes. Seulement, les juges ont considéré, de façon incompréhensible, que Nicolas Sarkozy était un justiciable à l’esprit trop frondeur, notoirement prompt à critiquer les décisions de justice en public et à utiliser toutes les voies de recours, y compris devant les cours européennes. Un homme si indocile présente à leurs yeux un risque de fuite à l’étranger. Lunaire.

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Quant au dossier lui-même, Nicolas Sarkozy a été relaxé des chefs de corruption passive, de détournement de fonds publics libyens et de financement illicite de campagne électorale. Autrement dit, le jugement reconnaît qu’il n’y a aucune trace de sommes suspectes ni aucune preuve que des consignes aient même été données par l’ex-président pour obtenir des fonds auprès du régime dictatorial de Mouammar Kadhafi. Les juges ont également estimé que le fameux document publié par Mediapart, censé être accablant, est un « probable faux ».

En fin de compte, il est reproché à l’ancien chef de l’État d’avoir été entouré de collaborateurs, Claude Guéant et Brice Hortefeux (eux aussi condamnés hier), aux intentions hautement délictueuses et dont il ne pouvait ignorer les agissements répréhensibles. Ce que le Code pénal appelle « association de malfaiteurs », qualification judiciaire habituellement réservée aux mafieux et jamais employée jusque-là pour punir des hommes politiques. Résultat, Nicolas Sarkozy pourrait, selon ses propres termes, « sans doute comparaître les menottes aux mains devant la cour d’appel ». Si tel devait être le cas, pas sûr que l’image de votre pays en sorte grandie.

Podcast: Pourquoi nos sociétés s’effondrent de l’intérieur

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Etienne-Alexandre Beauregard. D.R.

Etienne-Alexandre Beauregard présente son nouveau livre, Anti-civilisation. Avec Jeremy Stubbs.


Etienne-Alexandre Beauregard, ancienne plume du Premier ministre du Québec et auteur déjà de deux essais portant sur la question nationaliste au Québec, vient de publier Anti-civilisation. Pourquoi nos sociétés s’effondrent de l’intérieur, aux Presses de la Cité avec une préface de Mathieu Bock-Côté.

Il nous présente son livre qui explique, d’abord, comment le monde occidental est devenu « civilisé », non seulement en découvrant la démocratie, mais aussi en persuadant les individus à contraindre leurs pulsions et à tisser un réseau de relations de dépendance mutuelle qui nous permettent de faire société. Malheureusement, depuis l’époque des années 1960 et 1970, des penseurs, militants et politiques, surtout de la gauche et l’extrême-gauche, encouragent leurs concitoyens à libérer leurs pulsions et à rompre les liens d’interdépendance. Et ce, au nom d’une multitude d’identités communautaires. Sitôt construite et portée à son apogée, la civilisation est ainsi entrée en déclin. L’homme « ordinaire » et « normal », jusqu’ici porteur de valeurs partagées transmises de génération en génération, est désormais présenté par les thuriféraires des nouvelles élites globalistes comme un être réactionnaire et inculte. Il n’est plus considéré comme le sel de la terre, mais comme un frein qui empêche le progrès de l’homme « nouveau », sans tradition et sans racines, voué à la seule poursuite de son bon plaisir.

Pourtant, il est toujours possible de sauver la civilisation, en reconstruisant le bien commun qui a été longtemps le fondement de nos sociétés. À cet égard, le rôle de l’État reste fondamental, un État régalien fort dirigé par des personnes qui se mettent au service de leurs concitoyens au lieu de les exploiter. Que ce soit en Amérique du Nord ou en Europe, il faut réconcilier le peuple et l’élite, tâche que seuls des conservateurs, conscients de l’importance de l’identité nationale, peuvent accomplir.

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Catherine Millet, une mère en images

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Catherine Millet publie "Simone Emonet" © ZIHNIOGLU KAMIL/LE MONDE/SIPA

Catherine Millet avait remisé photos et correspondance de famille au lendemain du suicide de sa mère, Simone Émonet. Quarante ans plus tard, ce carton à souvenirs lui inspire de bouleversantes confessions. 


Si les livres de Catherine Millet sont toujours surprenants, c’est que l’on comprend, une fois refermés, qu’ils ne furent que rarement suscités, « déclenchés » par un désir suprême de leur auteur, un désir irréfragable ou même une urgence, une douleur enfouie ou une joie irrépressible, mais par une situation, des circonstances, c’est-à-dire l’Occasion. Occasion est une divinité allégorique qui préside au moment opportun pour réussir dans une entreprise. On la représente sous la figure d’une jeune femme nue et chauve par-derrière, et avec une longue tresse de cheveux par-devant, un pied en l’air, l’autre sur une roue, tenant un rasoir d’une main et une voile tendue au vent de l’autre, et quelquefois marchant rapidement sur le fil du rasoir sans se blesser. Saisir le moment favorable, donc, tient à un cheveu, à un fil. Dans le cas qui nous occupe, « à une faille dérisoire de la mémoire ».

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Un jour, Catherine avise, dans son grenier, une boîte de carton laqué bordeaux dans laquelle elle avait fait tenir, au lendemain du suicide de sa mère au printemps 1982, documents de famille, correspondance en vrac et photos. Certes, elle ne l’avait pas oubliée, mais le motif pour lequel elle tira cette boîte de son « réduit » et la fouillait demeure à ce jour énigmatique. Qu’importe ! Voici « l’étincelle qui me fait écrire en ce moment, qui me fait chercher les mots qui, plus que de raccommoder la mémoire, convertissent le temps sans retour de la vie en un panorama fascinant, un espace circulaire où je me tiens en ce moment même, à tout jamais inassouvie, asservie, captive. Un lent carrousel, où l’enfant réclame de faire encore un tour. » Attention : les mots et leur manège vont métamorphoser le temps qui surgit ! Et voilà, en effet, que s’offre à Catherine Millet, qui nous le transmet, un panorama, soit « une peinture développée circulairement sur le mur intérieur d’une rotonde et donnant l’illusion de la réalité par des effets de perspective et de trompe-l’œil ».

Simone Émonet, l’un des plus beaux livres de Catherine Millet, est un double récit initiatique : elle y fait l’expérience de retrouver des images du corps de sa mère malade quand cette dernière a mis fin à ses jours pour n’avoir plus d’image de ce corps.

L’auteur d’Une enfance de rêve (Flammarion, 2014) confesse n’avoir jamais regardé cette mère comme elle la regarde aujourd’hui sur les photos découvertes dans la boîte de carton laqué bordeaux : « Depuis la révolution Kodak, la sensibilité technique surimpressionne la mémoire et y fait son travail de termite. »

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Que cherche Catherine Millet avec ses confessions ? À convertir le temps. À métaboliser le poison du souvenir du corps « possédé » de sa mère : « Le corps de ma mère enfoui dans un lit d’hôpital, c’était la vérité entropique de la vie qui s’exposait sous mes yeux et qu’elle assumait si douloureusement. »

On ne sort pas indemne de la lecture de ce livre qui amène, immanquablement, à questionner sa propre histoire.


Simone Émonet, Catherine Millet, Flammarion, 2025. 176 pages.

Simone Émonet

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L’art d’être père par temps troublés

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Festival Solidays, pelouse de l’hippodrome de Longchamp, Paris, 27 juin 2025 © SADAKA EDMOND/SIPA

Pas facile d’être un père, même d’une fille sage dans une ville tranquille. Minée par les réseaux sociaux, les messageries instantanées et des comportements collectifs parfois dangereux et imprévisibles, la vie d’une ado nécessite une vigilance constante. Témoignage.


L’autre jour, alors qu’Isa faisait du lèche-vitrine avec ses copines dans un centre commercial près de Paris, l’employée d’une agence de publicité l’a accostée. « Mademoiselle, que diriez-vous de poser pour la campagne d’une grande marque de lingerie ? » lui a-t-elle demandé. Quoique flattée, la lycéenne a poliment refusé. Pas question de laisser des photos d’elle en sous-vêtements s’étaler sur les abribus !

Isa, c’est ma fille aînée, et je dois dire que je suis assez fier d’elle. Comme on l’a compris, elle est très jolie, sans que cela l’ait rendue prétentieuse ni paresseuse. Plutôt bonne élève, elle s’entend bien avec sa petite sœur et a entamé depuis quelques mois une crise d’adolescence très supportable, qui consiste principalement à écouter à tue-tête, dans sa chambre située au premier étage de notre pavillon de banlieue, ce rap français qui plaît tant à la jeunesse de notre pays.

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Ajoutez à cela qu’Isa ne supporte pas l’alcool et qu’elle ne fume pas, et vous comprendrez peut-être pourquoi sa mère et moi, d’un naturel confiant, sommes peu sévères avec elle, si ce n’est pour lui interdire d’utiliser son smartphone la nuit. Afin d’éviter toute tentation, l’appareil est dûment déposé chaque soir à 22 heures sur une table au rez-de-chaussée. Que demander de plus à une enfant si sage ?

Nos illusions de quiétude parentale ont toutefois récemment disparu. Il y a trois mois environ, nous retrouvons un soir notre fille en pleurs, sans raison apparente. Que s’est-il passé ? Le lendemain, sa meilleure amie me donne le fin mot de l’histoire : en notre absence, une demi-douzaine de jeunes du lycée a débarqué en hurlant à notre domicile pour demander à Lisa des comptes suite à son flirt avec un garçon de sa classe. Oui, vous avez bien lu. Sans doute inspirés par l’esprit néopuritain de l’époque et par le culte contemporain de la transparence, les jeunes gens ont estimé avoir un droit de censure sentimentale sur leur camarade ! Laquelle a courageusement refusé de courber l’échine ? Certes au prix de graves déconvenues. Préférant se conformer à la réprobation générale, la moitié de ses amis ne lui adressent désormais plus la parole. « Il ne me reste que le bon grain », philosophe-t-elle.

Pour la consoler, un mois plus tard, à l’occasion de son quinzième anniversaire, nous lui proposons d’organiser une fête à la maison tandis que nous irons dîner dehors. Seule contrainte : pas plus de vingt invités et fin des réjouissances à minuit. Erreur funeste… Le soir venu, alors que nous sommes à table avec ma femme dans un restaurant japonais à cinq minutes à pied, mon téléphone sonne. C’est notre voisine. « Il y a au moins une centaine de jeunes devant votre portail ! » s’écrie-t-elle. Nous quittons sur-le-champ l’établissement pour regagner à la hâte notre logis. Sur place, quatre officiers de la BAC, intervenus en urgence, sont déjà en train de disperser, avec calme et fermeté, la horde juvénile.

Sitôt les troubles terminés, je remercie vivement les policiers et demande à Isa, catastrophée, comment une telle masse humaine a pu déferler si vite. Plusieurs de ses hôtes, m’explique-t-elle, ont innocemment partagé des images de la soirée sur les messageries instantanées. De quoi donner immédiatement à tous les gamins désœuvrés des alentours des envies de « projet X » – c’est ainsi que l’on appelle une rave-party sauvage quand elle a lieu dans une résidence particulière laissée sans surveillance.

Le lendemain, la sœur d’Isa me montre des vidéos prises quelques heures plus tôt chez nous, et qui circulent à présent sur les réseaux sociaux. On y voit qu’au moins cinquante jeunes étaient parvenus à s’incruster dans notre salon, où, serrés les uns contre les autres, ils se sont mis à sauter sur place en éructant : « Chargez ! Chargez ! » De mon temps, on appelait cela un « pogo » et on réservait ce genre de débordements aux concerts de rock. Aujourd’hui, ils ont manifestement encore plus de saveur quand ils se déroulent chez Monsieur Tartempion.

Quelques jours après, lorsqu’Isa me fait part de son intention de se rendre à la Fête de la musique à Saint-Germain-en-Laye, je lui donne mon accord, mais en la prévenant toutefois que, échaudé par ses mésaventures récentes, j’y assisterai aussi. Le 21 juin au soir, me voilà au cœur de la ville natale de Louis XIV, envahie par la foule.

Alors que le soleil se couche et que ma fille écoute un guitariste amateur enchaîner sous un lampadaire les reprises de Téléphone, mon attention est attirée par un groupe de jeunes qui, dans un coin beaucoup plus sombre, improvise un pogo – encore un ! Soudain, au milieu de la cohue, composée quasi exclusivement de mineurs de moins de 15 ans, une explosion retentit, suivie d’un départ de fusée d’artifice, qui achève son vol à quelques mètres seulement dans un auvent. Heureusement le projectile, tiré par quelque imbécile prépubère, n’a blessé personne, ni déclenché d’incendie. Mais on a frôlé la catastrophe.

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Cet incident me confirme que je suis un père trop irresponsable et que je dois contrôler davantage ce que fait ma fille lorsqu’elle se déplace en terrain inconnu. Aussi, quand, la semaine suivante, Isa me demande la permission d’aller au festival Solidays, qui se tient chaque année à l’hippodrome de Longchamp, je lui indique que, cette fois encore, je rôderai dans les parages.

Aux Solidays, je constate vite que la sécurité est garantie. Le ticket coûte cher (129 euros pour trois jours), ce qui maintient toute une population à l’écart. L’ambiance s’apparente en somme à celle des JO de Paris. À la nuance près toutefois que le public n’est pas fouillé à l’entrée. Résultat, certains peuvent se glisser dans l’enceinte avec des objets dangereux, tels ce jeune homme qui, durant la prestation sur scène du chanteur Leto, allume sous mes yeux un fumigène, avant d’être prestement appréhendé par deux énergiques vigiles, qui désactivent aussitôt l’engin.

En observant ce dénouement heureux, j’arrive à la conclusion que, pour mon propre bien-être, le mieux serait de prier ma fille de se borner, du moins jusqu’à sa majorité, à s’amuser dans des événements payants de ce type et d’éviter les rassemblements populaires. Que ce soit en matière d’enseignement (mes enfants sont inscrits dans des écoles catho) ou de divertissement, le privé me semble décidément la formule la mieux indiquée pour ma progéniture.

Macron, Villepin: les bons élèves…

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Face à l’islamisme, le président Macron se «pétainiserait»-il, se demande notre chroniqueur?


« Vous devez défendre vos propres citoyens » : en rappelant cette idée simple aux dirigeants rassemblés avant-hier à l’ONU, Donald Trump a accusé en creux les mondialistes au pouvoir de trahir les peuples qu’ils sont censés protéger. Leur passivité face à l’immigration de peuplement est, de fait, en train de bouleverser les identités des sociétés de l’Europe de l’Ouest. « Vos pays sont en train d’être détruits par les migrants (…)  L’Europe est envahie », a rappelé le président des États-Unis, en accusant même le maire de Londres de vouloir y « imposer la charia (la loi islamique) ». « Vos pays vont en enfer », a-t-il ajouté. Son vice-président, J.D. Vance, avait déjà, dans son discours du 14 février 2025 à Munich, posé les bases messianiques de la Révolution conservatrice américaine. Il avait invité les dirigeants européens à « ne pas avoir peur des peuples », en leur rappelant l’urgence du défi représenté par « l’immigration de masse ».

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Emmanuel Macron n’a pu que se sentir désavoué par son « ami », qui a rappelé que la reconnaissance d’un État de Palestine, acté la veille par le président français, était une « récompense » pour les « atrocités » commises par les « terroristes » du Hamas. La prestation de Trump, pourfendant avec jubilation l’ONU et le politiquement correct y compris sur le changement climatique (« la plus grande arnaque du monde »), a replacé Macron au rang des dirigeants falots, prêts aux compromissions électoralistes avec l’islamisme qui s’est infiltré au sein des nations européennes.

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La posture de résistant du chef de l’Etat face à la Russie de Poutine est un leurre. Derrière cette communication guerrière se dissimule une capitulation face au djihadisme du sabre. En reconnaissant la Palestine à l’ONU, Macron ne s’est pas contenté de lâcher Israël dans son combat pour sa survie et de banaliser le pogrom du 7-Octobre 2023. Le président a également satisfait le Hamas terroriste, les islamistes judéophobes, les anti-occidentaux revanchards, l’extrême gauche antisémite. Sans oublier Jean-Luc Mélenchon lui-même, qui s’est promu leader de la cause palestinienne et antisioniste en France. Les alertes de Macron contre « l’extrême droite » le rangent en réalité parmi les collaborateurs d’une idéologie totalitaire et invasive. Pétain avait semblablement choisi de pacifier avec le régime nazi au lieu de lui résister. Cette bascule, qui s’est vue lundi aux drapeaux palestiniens flottant sur 86 mairies de gauche comme le ferait une puissance occupante, est une menace pour la France, son identité, sa démocratie. Quand Dominique de Villepin explique, le 21 septembre sur Radio J : « Je ne mets pas de signe égal entre le RN et l’extrême gauche (…) L’extrême gauche se situe bien davantage dans l’arc républicain et dans l’esprit républicain que le RN », l’ancien Premier ministre confirme la connivence de bien des élites face aux nouveaux ennemis intérieurs. Ces gens-là traitent Trump de « fasciste » et la droite anti-immigration de « raciste ». Les stratèges de l’islamisme colonisateur peuvent être fiers d’avoir produit de si bons élèves.

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