Accueil Monde Reconnaître la Palestine le jour du Nouvel An hébraïque, Roch Hachana, le 22 septembre, appose un sombre sceau dans l’Histoire

Reconnaître la Palestine le jour du Nouvel An hébraïque, Roch Hachana, le 22 septembre, appose un sombre sceau dans l’Histoire


Reconnaître la Palestine le jour du Nouvel An hébraïque, Roch Hachana, le 22 septembre, appose un sombre sceau dans l’Histoire
Malgré l'interdiction préfectorale, des élus de gauche déploient un drapeau palestinien devant l'Hotel de ville de Saint-Denis (93), 22 septembre 2025 © LIONEL URMAN/SIPA

Le président Macron fait le pari fort hasardeux de reconnaitre un État pour les Palestiniens avant d’exiger de leur part de refonder leur représentation politique. Grande analyse.


Le Nouvel An hébraïque, Roch Hachana, célébré du 21 au 23 septembre, inclut le 22 : date qu’Emmanuel Macron a choisie pour annoncer, à l’ONU, la reconnaissance de l’État de Palestine. Or, après le pogrom du 7 octobre 2023, la priorité aurait dû être le démantèlement du Hamas et des autres organisations islamistes. Une telle reconnaissance, purement verbale, n’apportera rien de concret sur le terrain ; elle risque au contraire de transformer cette entité en une “Mecque” mondiale de l’antisémitisme, livrée aux islamistes, tout en affaiblissant la diplomatie française.

Ce choix inscrit une date sombre dans l’Histoire. Il s’ajoute à une véritable guerre des mots, où l’on répète un récit tronqué perçu comme une blessure dans la mémoire collective juive. Victor Klemperer le soulignait déjà : « Les mots peuvent agir comme de minuscules doses d’arsenic : on les avale sans y prendre garde, et leur effet se fait sentir avec le temps. »

Le terme même de “Palestine” illustre cette mécanique. Imposé par l’empereur Hadrien au IIᵉ siècle pour effacer la Judée après la révolte de Bar Kokhba, il reprenait le nom des Philistins, ennemis des Hébreux. Rebaptiser une terre, c’était effacer une mémoire.

Bien plus tard, ce nom fut réactivé pour désigner le territoire placé sous mandat britannique, issu des accords de Sykes-Picot et de la conférence de San Remo. Cette conférence, en avril 1920, consacra le partage des restes de l’Empire ottoman : la Syrie et le Liban furent placés sous mandat français, tandis que la Palestine et l’Irak passèrent sous mandat britannique.

La Société des Nations entérina ces décisions en instituant trois mandats distincts : l’un pour la France sur la Syrie et le Liban, l’autre pour le Royaume-Uni sur la Palestine, et un troisième pour le Royaume-Uni sur l’Irak. Toutefois, le mandat britannique sur la Palestine comportait une clause particulière : les territoires situés à l’est du Jourdain furent exclus de l’application de la Déclaration Balfour. C’est cette disposition qui donna naissance à la Transjordanie, devenue la Jordanie actuelle, conçue dès l’origine comme le foyer arabe distinct du projet national juif prévu à l’ouest du fleuve.

Après l’expulsion de Fayçal de Damas par les troupes du général Gouraud en 1920, son frère Abdallah entra en Transjordanie avec l’appui des tribus du Hedjaz pour venger cette défaite. Les Britanniques reconnurent son autorité en 1921 sur les territoires situés à l’est du Jourdain. Or, dans le même temps, la Palestine mandataire à l’ouest connut, dans les années 1920 et 1930, des violences répétées.

En 1947, la résolution 181 de l’ONU proposa un partage entre un État juif et un État arabe. Israël accepta, les pays arabes refusèrent, et la guerre éclata. Dès lors, la revendication arabe changea de nature : non plus une demande de coexistence, mais une exigence exclusive, concevant l’État palestinien comme instrument contre Israël plutôt que comme partenaire.

Après la guerre de 1947-1948, les régions historiquement connues sous le nom de Judée et de Samarie furent rebaptisées “Cisjordanie”. Restées sous contrôle de la Légion arabe jordanienne, dirigée par des officiers britanniques comme Glubb Pacha, elles furent annexées par la Jordanie en 1950 à la suite de la conférence de Jéricho, au nom de « l’unité des deux rives ».

Cet arrière-plan historique a été totalement occulté dans les déclarations du président de la République. Or, avant de prendre une telle décision, il convient de rappeler que, depuis l’été, la France connaît une recrudescence d’actes antisémites, ainsi que des prises de position hostiles de la part de responsables politiques, en particulier à gauche.

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La décision de la maire écologiste de Strasbourg, Mme Jeanne Barseghian, d’annuler le jumelage avec Ramat Gan, symbole du développement technologique israélien et de sa Silicon Valley, en est un exemple. De même, le premier secrétaire du Parti socialiste, Olivier Faure, a encouragé le pavoisement du drapeau palestinien sur des mairies françaises.

Ce drapeau, dont l’origine est trop souvent oubliée, fut proclamé par le chérif Hussein de La Mecque lors de la révolte arabe de 1916. Il revendiqua ensuite le titre de calife après l’abolition du califat par Mustafa Kemal Atatürk en 1924. Ses couleurs renvoient aux grandes dynasties de l’islam : le blanc pour les Omeyyades de Damas et de Cordoue, le noir pour les Abbassides de Bagdad, le vert pour les Fatimides du Caire et le rouge pour les Hachémites, descendants du Mahomet.

La situation territoriale actuelle illustre les limites du processus d’Oslo. L’Autorité palestinienne, issue des accords de 1993-1995, n’exerce son autorité que sur les zones A et B de Cisjordanie. La zone A, environ 18 % du territoire, est sous contrôle civil et sécuritaire palestinien ; la zone B, environ 22 %, sous administration civile palestinienne mais avec un contrôle sécuritaire conjoint. La zone C, près de 60 %, reste intégralement sous contrôle israélien.

Depuis le début des années 2000, les négociations de paix sont au point mort, et la division politique a renforcé l’impasse. Depuis 2007, la bande de Gaza échappe à l’Autorité palestinienne et demeure sous le contrôle du Hamas, accentuant la fracture entre Cisjordanie et Gaza.

La difficulté n’est pas seulement territoriale mais représentative. Qui parle au nom des Palestiniens ? Depuis près d’un siècle, les structures qui ont prétendu incarner leur voix se sont effondrées : le Haut Comité arabe d’Amin al-Husseini, compromis par ses liens avec le nazisme ; le Haut Conseil arabe, qui proclama en 1948 un « gouvernement de toute la Palestine » fantomatique ; enfin l’OLP, créée en 1964 par Nasser, instrumentalisée par les régimes arabes et vite dominée par Yasser Arafat.

Yitzakh Rabin, Yasser Arafat et Bil Clinton, lors de la signature des accords d’Oslo à Wahsington, 13 septembre 1993. ©J. David Ake

Arafat incarna la duplicité politique. Aux Occidentaux, il se présentait comme partenaire de paix ; aux Arabes, comme chef de guerre ; aux Soviétiques, comme allié révolutionnaire ; aux monarchies du Golfe, comme bénéficiaire d’une rente indispensable. Il abrogea certains articles hostiles mais refusa de reconnaître l’histoire juive de Jérusalem. Il signa Oslo mais entretint les manuels glorifiant le terrorisme. Il parla de réconciliation mais s’appuya sur un appareil sécuritaire fondé sur la corruption et la violence. L’Autorité palestinienne, née de ces accords, devint une bureaucratie autoritaire, dépendante de l’aide internationale et minée par le népotisme.

Mahmoud Abbas, son successeur, verrouilla encore davantage le système. Il multiplia les propos antisémites, entretint un clientélisme paralysant et conserva les réflexes autoritaires. Le désenchantement grandit, ouvrant un espace immense aux islamistes. Hamas et Jihad islamique s’imposèrent à Gaza, nourris par l’échec des institutions. Leur victoire électorale en 2006 puis leur coup de force en 2007 illustrent la faillite de la représentation dite laïque. La corruption nourrit l’islamisme, et l’islamisme prospère sur la faillite du politique.

Reconnaître un État palestinien aujourd’hui, c’est entériner une illusion dangereuse. Trois scénarios sont plausibles : un État failli, rongé par la corruption et les luttes inter-palestiniennes ; un émirat islamique dirigé par le Hamas ou le Jihad islamique, institutionnalisant l’antisémitisme et menaçant Israël ; ou encore un État sous tutelle régionale, dépendant du Qatar, de la Turquie ou de l’Arabie saoudite. Dans tous les cas, il deviendrait un foyer idéologique de l’antisémitisme, catalyseur des haines anciennes et nouvelles.

La déclaration du chef de l’État en faveur d’un “État palestinien” plutôt qu’un “État binational” ne résiste pas à l’examen. Il ne revient pas à Paris, éloigné de la réalité du terrorisme, de décider à la place de ceux qui vivent ce conflit. Les résolutions 242 et 338, fondées sur le chapitre VI de la Charte de l’ONU, appellent à des négociations : la priorité doit être d’établir une représentation palestinienne crédible pour engager de véritables pourparlers.

Un État ne naît pas d’une proclamation, mais d’institutions légitimes, capables de gouverner sans corruption, de résister à l’islam politique et de s’affranchir des manipulations régionales. La paix ne se décrète pas ; elle suppose une culture politique nouvelle. Tant que l’éducation glorifiera la violence et que l’histoire juive sera niée, aucune paix ne sera possible. Tant que le langage officiel restera prisonnier de la haine, la société palestinienne restera prisonnière de la violence.

En annonçant cette reconnaissance, la France confond le mot et la réalité et sacrifie la vérité à une illusion diplomatique. La paix exige au contraire de refonder la représentation palestinienne, de limiter l’ingérence régionale et de conditionner l’aide internationale à de vraies réformes. Sans cela, reconnaître un État palestinien ne serait pas un pas vers l’avenir, mais une marche vers l’abîme.



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Né à Damas en 1974, Anas-Emmanuel Faour est philosophe et ingénieur en informatique, ancien professeur en Syrie, ancien secrétaire général de l’Union générale des étudiants de Palestine et ancien membre du Conseil national du Parti de Gauche

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