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Soft Story

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Mercredi matin, Éric Dupond-Moretti, fidèle à sa rougeoyante manie d’exagérer les défauts de la droite, et visant MM. Retailleau et Darmanin, a parlé de « totalitarisme ». S’il était le seul à jouer avec ce feu, tout irait bien. Hélas, nous en sommes loin.


Bock-Côté, Delsol, bien d’autres encore : il se trouve des voix à droite pour considérer que la France est devenue un pays totalitaire, ou est en passe de l’être. L’accusation est suffisamment grave — puisqu’en politique aucune n’est plus lourde — pour que nous nous y intéressions de très près. La question est donc : notre pays est-il vraiment totalitaire, ou un petit peu, ou pas du tout ? Essayons d’y répondre en laissant de côté opinions instinctives et intérêts partisans.

Commençons par un peu de bon sens et de pragmatisme. Faites un test tout simple. Allez à votre fenêtre, ouvrez-la en grand, penchez-vous au dehors et criez de toutes vos forces : « Macron est un xxxxxxx ! » (remplacez xxxxxxx par le nom d’oiseau de votre choix). Observez alors ce qui se produit. Voyez-vous, dans les heures qui suivent, débarquer chez vous la maréchaussée qui vous emmène en garde à vue en serrant très fort les menottes? Ou bien êtes-vous, trois semaines plus tard, victime d’un contrôle fiscal entraînant la saisie de vos biens ? Vos enfants sont-ils exclus de l’école ? Vous interdit-on l’accès à l’hôpital ? Perdez-vous le droit de vote ? Vous propose-t-on de quitter le pays ? Que nenni. Il ne vous arrive rien. Au pire, si votre voisin de palier est encarté chez Renaissance, il crèvera vos pneus. S’il est culturiste et aviné, il vous giflera peut-être sur le moment. Mais ce sera au nom de sa bêtise et de sa mauvaise humeur, pas sur ordre de la place Beauvau.

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Pour vous éviter tout désagrément, abordons la chose sous un autre angle. Dans un régime totalitaire, la plupart des auteurs de Causeur seraient placés sous haute surveillance et leurs concierges noteraient toutes leurs allées et venues. Certains fuiraient à l’étranger. D’autres décéderaient soudainement dans des circonstances inexpliquées. Peut-être certains se tairaient-ils — et nul ne songerait à le leur reprocher, car la perspective de la torture a eu raison de bien des témérités intellectuelles. Or, rien de tout cela ne se produit. Vous êtes en train de lire Causeur sans VPN et vous n’avez pas les mains moites. On peut donc, à Paris sous Emmanuel Macron, se situer dans l’opposition franche et assumée sans glisser dans sa baignoire ni passer sous un autobus. C’est heureux.

Oxymore

Mais cela ne suffit pas à convaincre les esprits qui dénoncent, le regard sombre et la voix grave, le totalitarisme français contemporain. Car, selon eux, la nature profonde du système totalitaire a évolué depuis le temps de Hannah Arendt, et sa définition a muté. Autrefois, il s’agissait d’un système politique où l’État interdisait toute forme de pensée libre et d’initiative individuelle, imposait une idéologie de parti unique et instaurait la nationalisation et la Terreur. Aujourd’hui, le totalitarisme serait devenu — chez nous, tout du moins — flou, imperceptible, louvoyant, bref : soft.

Le totalitarisme soft serait ainsi le nouveau visage du pire régime de tous les temps. Il remplacerait la coercition pure du communisme et du nazisme par la manipulation mentale et médiatique. Il ne tuerait plus franchement. Il vous placerait sous une perfusion d’anesthésiants qui vous rendent stupide et vous paralysent jusqu’à l’extinction lente de votre âme et l’abolition consentante de votre liberté. Il vous installerait dans une fosse commune beaucoup plus confortable que l’ancienne : équipée du Wi-Fi, on vous y gaverait d’hyperconsommation jusqu’à ce qu’obésité et infarctus s’ensuivent. Dans ce camp sans barbelés, il serait strictement interdit de critiquer l’immigration si le pouvoir en place est de gauche, ou le capitalisme s’il est de droite.

Car, oui, notons-le : dans cette configuration, chaque camp accuse ses ennemis d’incarner le nouveau monstre. Nul n’est à l’abri de ce soupçon ultime, pas même les centristes les plus mous, supposés incarner la version la plus hypocrite — donc la plus perverse — du totalitarisme soft.

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Là où le bât blesse, c’est que les mots ont un sens, et que « totalitarisme soft » est le pire oxymore de la pensée contemporaine. Douceur et totalitarisme sont aussi incompatibles que le jour et la nuit. Il n’y a pas d’Auschwitz homéopathique. Il n’y a pas de goulag rigolo. Il n’y a pas de balle dans la tête indolore. Il n’y a pas de visions supportables de femmes suppliciées par le Hamas le 7-Octobre. Le totalitarisme est, dans son essence même, sauvage, cruel et abject. Et s’il a trouvé tant de sympathisants au cours de l’Histoire, ce n’est jamais en raison d’une beauté propre, mais à cause de l’effroyable bêtise, mêlée de vice et de cruauté, de ses encenseurs.

Lorsque Roland Barthes louait les charmes du Petit livre rouge, il lui aurait suffi d’ouvrir un peu les yeux pour constater avec effroi et honte que le maoïsme fut la plus vaste entreprise d’extermination sous le ciel. S’il ne voulait pas le voir, ce n’était pas parce que le Grand Bond en avant paraissait aimable, mais parce que le sémiologue germanopratin éprouvait une attirance quasi érotique pour le mal. « Ce n’est pas en dépit du bain de sang, mais en raison du bain de sang, qu’ils vont à la révolution », dit Alain Besançon. Le problème psychiatrique est le même aujourd’hui chez les racailles du 93 qui trouvent du charme à la version afghane de la charia, ou chez nos bourgeois des beaux quartiers qui considèrent Poutine comme un émouvant défenseur de la civilisation chrétienne.

Il est extraordinaire que lesdites racailles et lesdits bourgeois dénoncent en chœur, tout en se haïssant réciproquement, le « totalitarisme soft » de la France de 2025. Nous ne devons jamais cesser de nous en étonner. Jusqu’au moment où nous comprenons pourquoi.

Mises en garde

Faisons un sort à l’idée selon laquelle il existerait un demi-totalitarisme, un totalitarisme inachevé ou en voie de formation, dont nous serions victimes. Car, bien sûr, les tenants de cette thèse n’ont pas le ridicule d’affirmer que la France est l’Allemagne nazie de 1941 ou un stalinisme en vitesse de croisière en 1933. Seuls les plus rageurs osent le dire, et personne de sensé ne les écoute.

Les autres se contentent de nous mettre en garde : le totalitarisme serait déjà parmi nous, en puissance et même en acte ; il aurait infiltré nos institutions, pénétré nos médias, aboli notre insolence, et il serait sur le point de rafler tout le reste à la première occasion. Nous vivrions, en quelque sorte, en régime semi-totalitaire, ou pré-totalitaire. Eh bien, cela est un mensonge. Le terme de totalitarisme est clair et distinct : tout doit disparaître. Or, l’économie française n’a pas été entièrement nationalisée, loin de là. La bureaucratie pèse peut-être de plus en plus lourd, mais il est encore largement possible de créer et de s’enrichir à force d’ingéniosité et de travail, sans adhérer à Renaissance. Causeur, CNews, Valeurs actuelles, le Journal du dimanche, Europe 1 existent, et leur public grandit chaque jour. Les opinions les plus risquées, les plus excentriquement anti-macronistes — et aussi les plus laides — pullulent sur les réseaux sociaux sans que la censure songe ou parvienne à les rattraper.

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Jean-François Revel a eu le génie de parler de la « tentation totalitaire ». Il a été un de nos meilleurs lanceurs d’alerte : oui, le monde évolue vers le socialisme, et tout au bout du socialisme, il y a le communisme, et nous serions bien inspirés de tirer sur le frein à main avant de franchir cette frontière, car elle n’autorise aucun retour en arrière. Oui, la France du confinement a étrangement ressemblé, par bien des traits, à la Chine de Xi Jinping, laquelle est bel et bien totalitaire. Oui, les wokes sont des gardes rouges, et l’on sait ce que ces gens font aux innocents lorsqu’ils prennent le pouvoir. Mais ce qui est, est, nous enseigne Aristote, et il est aisé d’en déduire que ce qui n’est pas encore n’est pas encore.

Autrement dit : nous ne vivons pas du tout en régime totalitaire. L’accumulation quantitative chère à Hegel n’a pas provoqué le renversement qualitatif final. La tentation n’a pas atteint le stade de la possession. Cela viendra peut-être. Mais, tant que cela ne sera pas venu, dire que c’est réglé d’avance constitue une insulte à la vérité historique et aux pauvres gens qui croupissent, au moment même où vous lisez ces lignes, dans les geôles nord-coréennes. Eux savent que le totalitarisme n’est pas soft. Et s’ils avaient l’heur de visiter notre pays, il leur suffirait d’une phrase pour vous faire regarder la France comme une démocratie. Imparfaite, lamentable, corrompue, pénible, mais une démocratie.

Alors, pourquoi tant d’entre nous ont-ils cette vilaine tendance à voir du totalitarisme où il n’y en a pas ? Parce que cela fait de nous des dissidents, des résistants, des héros ou des prophètes. Et parce que l’orgueil de ceux qui défendent la liberté n’est pas moindre, ni moins trompeur, que celui de leurs adversaires. Nos rêves de grandeur personnelle nous rendent souvent aussi petits que nos contradicteurs. Mais en nous trompant pour nous trouver beaux, nous servons la cause du faux. Le jour venu, si nous en avons le cran, nous marcherons dans les pas de Soljenitsyne. En attendant, faute de mieux, contentons-nous de faire preuve de sobriété, contrairement à M. Dupond-Moretti.

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Derrière l’horizon…

Jean-René Van der Plaetsen se fait à la fois moraliste et conteur, sensuel et patriote, mondain et fraternel dans un recueil de nouvelles La vie à contre-courant qui paraît le 1er octobre aux éditions du Rocher…


On est toujours un peu fébrile et impatient quand on aborde des nouvelles. Y aura-t-il une continuité dans l’éparpillement des textes ? Une forme de cohérence ou un désaxage ? Un ton, une ambiance, un décor, une couleur ? Surtout quand ces textes s’étendent sur une si longue période, certains datent du siècle dernier, 1989 et d’autres sont du millésime 2025. L’homme et l’écrivain partagent-ils les mêmes doutes sur l’existence ? L’apprenti journaliste, hussard d’esprit et de style, a-t-il encore quelque chose à voir avec l’installé directeur délégué de la rédaction du Figaro Magazine ? Le poids des années a-t-il effrité, érodé cette mélancolie qui est la marque des moralistes lisibles ? La réussite professionnelle est-elle un frein à la veine créatrice ? Je me posais toutes ces questions avant d’entamer la lecture de La vie à contre-courant qui paraît mercredi prochain dans les librairies.

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Jean-René Van der Plaetsen, auréolé du Prix Interallié et Grand Prix Jean Giono n’est pas homme à tanguer, à varier, à trahir ses élans du passé et à brader l’Histoire de France pour une gamelle ou une prébende. Je l’ai retrouvé tel quel, droit et romantique, dans toute sa panoplie qui va du nostalgique lucide au pasteur bambocheur. Une raideur apparente qui est le voile des pudiques et le sel de la vraie littérature. Comme tout bon militaire, Jean-René est un sentimental qui se contrôle, qui n’a pas peur de ses émotions ; tout en les canalisant, il leur offre un bon de sortie. Il ne ferme aucune porte à l’aventure, à l’incongru, au magique, tout le contraire d’un bourgeois encrouté et fat. Chez Jean-René, on retrouve ce vieux fond de culture qui nous fait tellement défaut aujourd’hui et qui est attaqué par les salisseurs de mémoire. Mais le figer dans la réaction, dans la posture de l’ordre, dans une certaine classe sociale serait une erreur de jugement. Une idiotie. Jean-René est à l’image de ces officiers de terrain qui ont beaucoup côtoyé les hommes, les diplômés du dernier rang et les fils de famille. Dans ce recueil d’automne, on croise les fantômes, les marottes de l’écrivain, une Polonaise tentatrice, des grognards, des chauffeurs de taxi, des dîners mondains, l’illusion de Paris, le Liban, la Normandie, la Coloniale, l’île d’Arz, un adjudant qui marche et qui offre sa vie, une table ripailleuse, un Famas « tiède et bien huilé », des flacons qui scintillent dans la nuit, des demeures ancrées et la vacuité du monde moderne. Jean-René est un antimoderne qui n’a pas le cœur sec. Il s’enthousiasme pour un galon, une bataille perdue, une jambe soyeuse, un amour impossible et la Légion étrangère. Il est traversé par un courant alternatif, très agréable pour le lecteur qui reste en permanence sur le qui-vive, à la fois une forme de classicisme faussement désinvolte et des emballements sincères. Ses héros cabossés, en transit ou en bout de course, sont des hommes seuls, colonel en colère, Russe blanc, célibataire endurci, rebelle et anticonformiste. Cet écrivain-là n’est pas monolithique.

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Éric Neuhoff, dans sa tendre préface, a eu le nez creux de lui mettre le pied à l’encrier. Ce que j’aime particulièrement dans cette série de nouvelles, c’est cet assemblage peu courant, un constat implacable sans le dégoût de la vie. Jean-René n’est pas un écrivain misanthrope, comme si le jeune sexagénaire n’avait rien oublié de sa fougue d’antan, de ses errements de jeunesse, comme s’il était prêt à croquer le fruit défendu alors que ses personnages ont vu tant de malheurs émailler leur vie. Jean-René est un inclassable. Il a puisé et façonné sa propre veine dans plusieurs sources. Il a retenu les leçons de netteté et d’onctuosité de Blondin, de provincialisme assumé chez Tillinac, j’entrevois également un compagnonnage avec les biffins de Jacques Perret, et puis le goût de mêler l’Historie à la psychologie cher à Déon et peut-être étrangement, un cousinage avec François Nourissier. Un attachement à l’homme coincé, au dissident, à celui qui ne communie pas avec la foule, et pourtant, toujours vivace, l’attrait de la beauté d’une femme, d’une maison, d’un foyer, d’un bonheur à portée de main et inatteignable.

Je me rends compte que je ne vous ai pas encore fait entendre cette voix singulière. Le plaisir de la formule racée est la matrice de ce recueil. Jean-René devrait penser à compiler ses maximes : « On ne fréquente pas sans s’infecter la littérature », « il y a une littérature des taxis », « Mon regard s’alanguirait souvent si les femmes ne parlaient pas tant » et ce sublime : « Aujourd’hui encore, on retrouve dans les mentalités iledaraises quelques réminiscences de ce matriarcat qui fonctionnait parfaitement ».  


La vie à contre-courant de Jean-René Van der Plaetsen – édition du Rocher. 200 pages

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Le quart de Pépère

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Chaque semaine, Philippe Lacoche nous donne des nouvelles de Picardie…


Je me rends compte que je ne suis qu’un cachottier, lectrices et lecteurs adorés. Dans ma dernière chronique consacrée à notre balade, ma Sauvageonne et moi, aux étangs de Méricourt, je ne vous avais pas tout raconté. En effet, nos pérégrinations ne se sont pas arrêtées à la rencontre, sur le chemin de retour, avec le sympathique pêcheur, généreux donateur de la perche éléphantesque capturée dans la vieille Somme. Est-il nécessaire de le rappeler ? Vous le savez, ma Sauvageonne adorée est pleine de ressources et de curiosité. Alors, quand nous traversâmes le village de Chipilly, son attention toujours en éveil fut attirée par le monument aux morts. « Regarde, vieux Yak ! Comme c’est étrange et comme c’est beau ! » fit-elle de sa voix de Brigitte Bardot pleine de sensualité. Elle n’avait pas tort. Le monument représente un soldat britannique en train de consoler son cheval blessé. Comme le souligne le panneau explicatif, à la fin de la Première Guerre mondiale le cheval est traité en véritable héros. D’autres œuvres l’honorent à travers le monde : un cheval en bronze grandeur nature et son soldat lui offrant à boire, à Port Elisabeth en Afrique du Sud ; un cheval s’abreuvant, monument en l’honneur de la 66e division, au Cateau ; une statuette de cheval en bronze, dans l’église St-Judes à Hampstead, dédicacée aux 375 000 chevaux morts à la guerre. Il ne faut jamais oublier : « Nombre d’événements de la Grande Guerre 14-18 a eu pour théâtre la Picardie », est-il encore écrit sur le bienvenu panneau. « Les soldats des armées britanniques et de tout le Commonwealth se sont battus sur le front de la Somme. En 1916, la Bataille de la Somme a provoqué la mort de 107 000 d’entre eux (le chiffre approximatif des pertes étant de près de 500 000 personnes). Après la guerre, ce sont 127 000 sépultures réparties entre 230 cimetières et carrés militaires ainsi que de nombreux monuments qui furent édifiés en hommage aux disparus. » Le monument de Chipilly, lui, a été érigé en l’honneur de la 58e division britannique, la London Division. L’artiste, auteur de l’œuvre est le sculpteur français Henri-Désiré Gauquié (1858-1927). Alors que je contemplais et photographiais dans tous les sens la magnifique création, je me mis à penser à mon grand-père paternel, Alfred Lacoche (je le surnommais Pépère) qui combattit dans la Somme pendant la Grande Guerre. Blessé à deux reprises, il repartit à chaque fois au front. Lorsqu’il rentra du grand carnage, il jura de ne plus manger un gramme de viande de cheval. « Ils nous ont rendu tant de services dans les tranchées », racontait-il. En 2009, lorsqu’on me demanda d’écrire le scénario d’une bande dessinée et que je m’associais au si talentueux Serge Dutfoy, pour l’album collectif Cicatrices de guerre (s) paru aux éditions La Gouttière, ce fut à lui, à Pépère, que je pensais. Et nous nous mîmes, Serge et moi, à raconter un épisode de sa vie : à la fin de sa longue existence, tous les dimanches matins, en compagnie de ma grand-mère, il se rendait chez nous, dans la maison familiale, au 14 de la rue des Pavillons, à Tergnier, petite ville ferroviaire de l’Aisne. Comme Pépère tremblait, mon père le rasait. Dans un cabas de cuir, il apportait son blaireau, le savon à barbe et le quart, le vieux quart qu’il avait ramené des tranchées de la Somme quand il combattait nos bons amis d’Outre-Rhin. Pépère s’asseyait ; mon père attrapait le rasoir, faisait mousser le savon et opérait, tel un barbier professionnel. Parfois, mon grand-père laissait échapper quelques souvenirs. Il se souvenait de ses copains, tombés à ses côtés ; il se souvenait de la bravoure des soldats britanniques. Il se souvenait de la boue. Des chevaux embourbés qu’il fallait abattre d’une balle dans la tête pour qu’ils ne souffrissent pas car on ne pouvait pas les dégager. Il nous parlait parfois de l’attaque du Bois de Maurepas, en août 1916, au cours de laquelle il avait été blessé par un éclat d’obus. La lame passait et repassait sur ses joues ridées. Son regard se perdait dans le vague, dans l’onde d’une infinie tristesse. Je tentais de comprendre ce qu’il ressentait ; je n’avais que l’image. Pas le son émis par sa mémoire. Ce dernier devait se composer de fracas, de canonnades et de cris. A sa mort, mon grand-père a donné le quart à mon père. Au décès de ce dernier, j’en ai hérité. Il est aujourd’hui bien protégé dans un meuble de ma cuisine. Quand un flot de mélancolie ou de désespoir me submerge, je le regarde. Je pense à Pépère, aux tranchées de la Somme, à la souffrance indicible des Poilus. Alors mes petits soucis disparaissent comme par magie.

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Peut-on être un golden boy et gauchiste?

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L’homme d’affaires Matthieu Pigasse était récemment invité sur France 2 à une heure de grande écoute pour commenter la crise budgétaire et l’instabilité politique. Il affirme défendre des idées politiques à l’opposé de ses intérêts financiers.


Le jeudi 11 septembre, sur France 2, la journaliste Caroline Roux a reçu dans son émission « L’Événement » l’homme d’affaires Matthieu Pigasse, qu’elle présente ainsi : « Vous êtes président du groupe de médias Combat, vous êtes aussi banquier d’affaires et à ce titre vous avez conseillé certains gouvernements pendant la crise financière, notamment en Grèce. Vous êtes assez rare à la télé, vous prenez rarement la parole. Je vous remercie d’être là[1]. » Sans doute contrainte par le temps, Mme Roux a omis d’évoquer le parcours politique de son invité, de préciser ce qu’est son groupe de médias Combat et d’indiquer le nom des organes de presse et des agences culturelles qu’il « contrôle » afin de combattre « la droite radicale », selon son propre aveu[2]. Réparons cette erreur.

Viva la revolución !

Énarque influencé à l’époque par Jacques Attali, M. Pigasse est nommé, en 1998, conseiller technique du ministre de l’Économie et des Finances de l’époque, Dominique Strauss-Kahn, puis directeur adjoint du cabinet de son successeur, Laurent Fabius. Il se lance ensuite dans une carrière dans le privé de haut vol. Il est recruté en 2003 par la banque Lazard où il gravit les échelons jusqu’à devenir le responsable mondial des activités de fusions et acquisitions. Il démissionne après 16 ans de bons et lucratifs services. Co-directeur d’une banque d’investissement, membre des conseils d’administration de différentes entreprises, M. Pigasse consacre une partie de son énergie et de ses finances à la construction de ce qu’il espère être un jour un empire médiatique au service de ses opinions. Dans un entretien donné au magazine GQ en 2015, il brosse de lui-même le portrait d’un révolutionnaire qui « vomit l’aristocratie », d’un ancien punk prêt à « renverser la table » et à « mettre le feu », rien de moins. Rappelons quand même que ce révolutionnaire exalté a fait partie des « Young leaders » repérés et formés par la French-American Foundation, qu’il a organisé la vente de Libération à Édouard de Rothschild en 2005, a participé aux travaux de Terra Nova dès sa création en 2008, a ensuite échafaudé avec la Banque Lazard de très juteuses opérations de conseils auprès de gouvernements sud-américains et de nombreuses entreprises françaises et étrangères. De quoi fomenter une révolution aux petits oignons, et à l’abri du besoin.

A lire aussi: La dérive climato-gauchiste de Monique Pinçon-Charlot

M. Pigasse fonde le groupe de médias Combat en 2009. Il rachète Radio Nova, une radio essentiellement musicale qui, en 2024, récupèrera les comiques gauchistes Guillaume Meurice et Aymeric Lompret, anciennes gloires de France Inter. Il reprend Les Inrockuptibles, magazine culturel qui n’intéresse personne hormis Virginie Despentes, les étudiants hébétés de Paris 8 et les militants « déconstructivistes » de Sciences Po, puis Cheek, un média féministe qui se targue de cibler les jeunes femmes « actives et urbaines ». Pour achever de décerveler une jeunesse crétinisée par le wokisme et l’islamo-gauchisme, Matthieu Pigasse fait l’acquisition de « Rock en Seine », un festival musical qui, lors de sa dernière édition, a accueilli Kneecap, un groupe irlandais introduisant et concluant ses concerts aux cris de « Free, free Palestine » et dont l’un des membres est poursuivi par la justice britannique pour s’être couvert d’un drapeau du Hezbollah, organisation classée terroriste au Royaume-Uni, lors d’un concert à Londres en 2024 – rien qui puisse gêner un public habitué à arborer keffiehs et drapeaux palestiniens en toute occasion. L’écologisme faisant partie des idéologies qui ont sa faveur, M. Pigasse s’est approprié « We Love Green », un festival censé allier événement musical et respect de l’environnement, et qui a de surcroît, selon son propriétaire, « le métissage comme horizon » (tweet du 25 juillet). Après avoir écouté les daubes musicales les plus affligeantes du moment, les festivaliers sont invités à participer à des tables rondes sur la transition écologique, à écouter des conférences organisées par Le Monde, à applaudir « des humoristes engagés, qui ont trouvé par le rire une nouvelle manière d’éveiller les consciences » et à se restaurer « sans bouffer la planète, en mode végé ». Enfin, histoire de parachever son œuvre d’abrutissement de la jeunesse, le golden boy a créé Golden Coast, le premier festival de rap en France. 

Le système a aussi du bon…

Sur le site de Combat, on peut lire : « Combat s’engage pour une société ouverte et mixte, pour un avenir responsable et humaniste, en opposant l’exemple à la puissance, avec la volonté d’interroger en permanence par l’expression libre et le débat d’idées l’action des un.e.s et des autres. » Certains lecteurs ne maîtrisant pas la novlangue gauchiste, il nous faut traduire ce texte : « Combat s’engage pour une société multiculturelle, pour un avenir écologiste et totalitaire, en s’appuyant sur la puissance d’une caste ayant la volonté d’empêcher l’expression et les idées de ceuzetceusses qui contredisent son projet progressiste. » C’est plus clair comme ça, non ?

M. Pigasse est également actionnaire du Groupe Le Monde qui comprend, entre autres, Le Monde, Le Nouvel Obs et un magazine télévisuel devenu la quintessence d’une certaine presse atteinte de gauchisme chronique et de wokisme aigu, j’ai nommé Télérama. Tous ces journaux reçoivent de somptueuses subventions publiques. [En 2024 : Le Monde, 7,8 millions d’euros ; Le Nouvel Obs, 1,6 million ; Télérama, 5 millions[3].] L’esprit révolutionnaire semble s’accommoder d’un système récompensant la presse aux ordres d’une caste qui ne rêve que de détruire la France.

A lire aussi, Elisabeth Lévy: L’office du soir

En 2015, Pierre-Antoine Capton, Xavier Niel et Matthieu Pigasse fondent Mediawan, groupe créant et produisant des contenus audiovisuels. Mediawan produit de nombreuses émissions du service public, entre autres « C à vous », « C L’hebdo » et… « C dans l’air », l’émission qu’anime… Caroline Roux. Le jeudi 11 septembre, c’est donc en quelque sorte son patron qu’a complaisamment interviewé la journaliste. Cette subordination est confirmée sur le site de Mediawan, la rubrique Production/Flux étant illustrée par une photo de groupe réunissant des journalistes de la télévision publique (Caroline Roux, Anne-Élisabeth Lemoine, Aurélie Casse et Faustine Bollaert). Il eût été normal d’en avertir les téléspectateurs, vu que c’est avec leur argent que France TV rétribue Mediawan, entreprise médiatico-culturelle au service de la gauche et des ambitions politiques de M. Pigasse. « Un jour je ferai de la politique et je serai président de la république » aurait-il avoué à Alain Minc qui ajoute : « Cinq ans plus tard, un certain Emmanuel Macron me fera exactement la même confidence[4]. »

Bien que montrant des signes de détestation les uns envers les autres au fur et à mesure que le temps passe et que de vieilles rancunes refont surface, MM. Pigasse, Attali ou Macron font partie du même monde, celui des élites déconnectées de la réalité, éloignées des préoccupations de leurs concitoyens, avides de pouvoir et prêtes à tout pour parvenir à leurs fins financières, idéologiques ou politiques. Il faut entendre, lors d’une émission sur France Inter[5], Matthieu Pigasse – directeur de la branche française de Centerview Partners, une banque d’investissement spécialisée dans des activités de conseil aux gouvernements, surtout africains, aux entreprises et aux fonds d’investissement – dénoncer « le capitalisme libéral » et l’accuser d’être « la plus grande machine à créer des inégalités jamais inventées », pour concevoir le degré de cynisme et d’hypocrisie dont sont capables les éminents représentants d’un système financier ne reculant devant rien pour s’engraisser et grâce auquel ils se sont enrichis.

Macron et Bolloré, ses ennemis préférés

Il y a dix ans, sont parus, à quelques mois d’intervalle, deux livres intitulés Révolutions et Révolution. Le premier était signé Matthieu Pigasse, le second, Emmanuel Macron. Lorsque des banquiers d’affaires se mettent à utiliser le mot « révolution », à porter en bandoulière leur présumé humanisme et à louanger le peuple avec des trémolos dans la voix, il y a anguille sous roche ou, comme l’écrit Jean-Claude Michéa, loup dans la bergerie[6]. Les socialistes ont sorti de sa tanière argentée Emmanuel Macron, lequel, après avoir trahi François Hollande, a récompensé les plus méritants, donc les plus intrigants et les plus arrivistes d’entre eux, en leur octroyant d’éminentes fonctions dans nos institutions étatiques et plusieurs de ces postes inutiles mais lucratifs qui encombrent notre dispendieuse administration publique. M. Pigasse, après avoir été un socialiste strauss-kahnien, penche aujourd’hui vers la gauche de la gauche. Le parcours fut sinueux. Le banquier libéral s’est métamorphosé en chantre de l’étatisme. Les réceptions guindées de la haute bourgeoisie financière ont laissé place aux cocktails bobos de la gauche médiatique et aux événements branchés de la gauche culturelle. Le riche bourgeois a encouragé la presse à brosser de lui le portrait d’un homme foncièrement de gauche, un peu punk sur les bords, déterminé à remettre en cause ses privilèges et ceux des bénéficiaires de ses conseils, à renverser la table des riches pour redresser la France des pauvres. Soutien du NFP côté Insoumis, le gauchiste doré sur tranche dénonce sur X « l’islamophobie d’État [qui] tue » et soutient la taxe Zucman. Il s’enflamme au micro de France Inter : « Il faut commencer à préparer à tout péter[7]. » M. Pigasse ne s’est visiblement pas aperçu que les Français qui subissent l’insécurité, les émeutes, l’immigration massive, le narco-trafic, les défaillances de leurs services publics et sociaux, l’islamisation rampante ou la pauvreté généralisée, ne supportent plus ces discours pseudo-révolutionnaires qui ne résolvent rien et ne semblent destinés qu’à ceux qui, d’une manière ou d’une autre, ont participé à la mise à sac du pays.  

A lire aussi, du même auteur: Mercato du PAF: on prend les mêmes et on recommence…

En 2023, M. Pigasse affirmait à la radio être l’anti-modèle de Vincent Bolloré : « Je considère qu’un actionnaire d’un groupe de médias n’a pas à faire passer des messages à travers ses médias. » Deux ans plus tard, changement de ton dans Libération : « Je veux mettre les médias que je contrôle dans le combat contre la droite radicale. » L’homme d’affaires se targue de ne jamais travailler avec « Vincent Bolloré ou avec des proches de sa sphère d’influence » et se félicite d’avoir appelé à voter pour le NFP. « Ouvert » et « progressiste », il exècre Elon Musk, Donald Trump et… la droite nationale, auxquels il reproche, entre autres, de ne pas être assez écologistes et de faire obstacle à la liberté sexuelle et la liberté de genre. M. Pigasse est en vérité un pur produit des élites décrites par Christopher Lasch[8]. L’idéologie du progrès est devenue le vecteur principal du libéralisme moderne, la « philosophie politique » des élites qui voyagent (M. Pigasse se vante de prendre l’avion plusieurs fois par semaine pour se rendre à l’étranger), persiflent les us et coutumes de leurs compatriotes, s’accommodent d’une langue internationalement massacrée, se défient de plus en plus des liens d’appartenance à la famille, au voisinage, au village, à la nation… Celles qui sont attirées par les plus hautes fonctions de l’État ne le sont plus que pour assouvir des ambitions carriéristes et nullement pour défendre des notions qu’elles jugent dépassées, comme la souveraineté d’un pays ou l’intérêt national. « Peuple » est un mot qu’elles utilisent peu, qui ne leur sert que de slogan au moment des élections. Leur adhésion aux idéologies progressistes actuelles, du wokisme à l’ouverture des frontières en passant par l’écologisme, est totale. M. Pigasse a mis sa fortune au service de ces doctrines mortifères. La jeunesse abrutie par le rap et Aya Nakamura est la même que celle qui se teint les cheveux en bleu, se déclare non-binaire et crie « Free Palestine » tout en ignorant où se trouve le Jourdain – le banquier gauchiste a créé des « événements culturels » à la hauteur de sa bêtise hargneuse. Actionnaire d’une presse à sa main, il a discrètement infiltré des médias publics qui partagent avec lui la même idéologie progressiste et la même haine d’une extrême droite fantasmée.

Les dirigeants de Radio France et de France TV ont beau actuellement le nier, l’audiovisuel public est à la solde d’une caste médiatico-politique revendiquant un bouleversement total de notre société, l’effacement progressif des mœurs, la déconstruction de l’histoire ou de la langue d’un peuple lui-même remplacé par un inquiétant conglomérat multiethnique. Tous les Français paient pour la propagande de cette caste qui ne leur veut aucun bien. Il serait peut-être temps que cela cesse.  

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[1] https://www.france.tv/france-2/l-evenement/7519802-instabilite-politique-crise-budgetaire-la-republique-va-craquer.html

[2] https://www.liberation.fr/economie/medias/matthieu-pigasse-il-y-a-une-connivence-entre-les-dirigeants-de-grandes-entreprises-et-lextreme-droite-20250111_S7KPYZ6JX5FRHCSHA3ZYQTYZCQ/

[3] Site du ministère de la Culture. Tableau des titres aidés en 2024.

[4] https://www.vanityfair.fr/pouvoir/politique/articles/article-mag-matthieu-pigasse-dr-money-mr-cool/55517

[5] Bistroscopie, 23 décembre 2023.

[6] Jean-Claude Michéa, Le Loup dans la bergerie, 2018, Éditons Climats.

[7] https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/bistroscopie/matthieu-pigasse-en-2024-on-commence-a-tout-faire-peter-5730243

[8] Christopher Lasch, La Révolte des élites, 1996, Éditions Climats.

Le pari de l’étranger

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Nouveau peuple et vieilles complaisances internationales


Lors de la présentation, le 16 septembre à Paris, de l’ouvrage collectif Nouveau peuple, nouvelle gauche, publié par La France insoumise, la militante racialiste aux 17 frères et sœurs et trois mères, Assa Traoré, participait à une table ronde sur « les conditions d’une victoire politique du peuple au 21e siècle1 ». Interrogée sur sa présence dans cet aréopage mélenchoniste, composé notamment de Clémence Guetté, Éric Coquerel et Mathilde Panot, la jeune femme a expliqué : « Si nous sommes là [le comité Adama], c’est que, politiquement, ils ne peuvent pas faire sans nous. » Quand il s’agit de « phosphorer », LFI fait confiance aux talents de nos territoires et cela fait grand plaisir à voir !

Assis sur un tas d’or, avec près de 6 millions d’euros d’aides publiques reçues en 2025 grâce à ses bons résultats électoraux, le parti islamo-gauchiste ne se contente pas de frayer avec les forces vives de banlieue. Il cherche aussi l’inspiration au-delà des frontières, quitte à aller trouver ses idées auprès des régimes les plus épouvantables de la planète. En marge des universités d’été du parti, la député Sophia Chikirou, de retour d’un voyage en Chine, a ainsi déclaré au micro de l’émission « Quotidien » : « Je ne considère pas que la Chine est une dictature. […] La liberté d’expression en Chine est aussi menacée que celle qu’on a en France. » Face à la polémique, Mme Chikirou s’est ensuite énervée sur son blog : « Ne vous fiez pas aux montages vidéo truqués de Quotidien et méfiez-vous des perroquets atlantistes. » On sait par ailleurs que l’élue a relayé sur Instagram, il y a un an, un hommage controversé à Ismaël Haniyeh, le chef du Hamas, avant de l’effacer.

A lire aussi: La dérive climato-gauchiste de Monique Pinçon-Charlot

Quant à Mélenchon, il a dénoncé le dalaï-lama comme un autocrate prônant selon lui une « version tibétaine de la charia » et estimé que Taïwan devait revenir dans le giron de Pékin. Autre petit détail : si l’ancien sénateur de l’Essonne tempête tous les jours contre le « génocide » à Gaza, il observe des pudeurs de gazelle quand on le questionne au sujet du sort des Ouïghours. Après avoir vu les panneaux solaires chinois écraser leurs concurrents européens, les Insoumis seront sûrement ravis de rouler en voiture électrique made in China. C’est que la « Nouvelle France » n’a pas tant besoin d’ouvriers que d’immigrés ! Par ailleurs, l’admiration de Mélenchon pour Fidel Castro, Hugo Chávez ou Nicolás Maduro est bien documentée de longue date. Sans oublier que cet été, son ancien chauffeur, désormais député, Sébastien Delogu, a choqué en critiquant la France à la télévision algérienne, sans un mot pour Boualem Sansal ou Christophe Gleizes, injustement emprisonnés par la dictature militaire. La complaisance des Insoumis envers Poutine, ou leur hostilité récente vis-à-vis de Zelensky, ont également surpris : ils dénient à ce dernier toute légitimité au prétexte que l’Ukraine n’a pas organisé d’élections depuis 2022. Auraient-ils dit la même chose de Churchill, resté au pouvoir jusqu’en 1945 malgré des scrutins reportés ?

Enfin, lorsque des têtes de cochon ont été déposées devant des mosquées, début septembre, M. Coquerel a reproché à Bruno Retailleau de minimiser des faits « islamophobes ». Mais l’enquête a rapidement révélé qu’il s’agissait d’agents provocateurs venus de Serbie. Quel odieux extrémiste, parmi nos lecteurs, vient-il de crier : « parti de l’étranger ! » ?

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  1. https://institutlaboetie.fr/conf-lancement-nouveau-peuple-nouvelle-gauche-20250916/ ↩︎

Guinée: un référendum pour renforcer le régime

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Le référendum du 21 septembre a donné une nouvelle Constitution à la Guinée (Guinée Conakry). Loin d’assurer le pluralisme, ce texte renforce les pouvoirs du gouvernement militaire et écarte les oppositions.


« Nous ne ferons pas partie de l’après-transition. Nous ne passerons pas un jour de plus à l’issue des 24 mois de la transition. » Ces mots, prononcés par Mamadi Doumbouya en 2023, résonnent aujourd’hui comme un serment trahi. Car ce 21 septembre 2025, loin de préparer son départ, le chef de la junte a soumis aux Guinéens une nouvelle Constitution qui lui ouvre la voie vers une présidence prolongée. Derrière l’habillage solennel d’une « refondation de la République », le référendum organisé le week-end dernier n’aura été qu’un instrument de légitimation destiné à sacraliser l’accaparement du pouvoir par l’ancien caporal de la Légion étrangère, devenu chef d’État…

Modification des institutions du pays

Le texte adopté modifie en profondeur l’architecture institutionnelle du pays. Il allonge la durée du mandat présidentiel de cinq à sept ans, renouvelable une fois, ce qui offre au chef de l’État une perspective de longévité accrue. Il crée un Sénat censé incarner une nouvelle chambre de réflexion, mais dont un tiers des membres sera nommé directement par le président, amputant d’avance toute velléité d’indépendance. Plus encore, il efface l’une des dispositions phares de la Charte de transition de 2021: l’interdiction faite aux membres de la junte militaire de se présenter aux élections. Cette suppression change tout. Elle autorise désormais Mamadi Doumbouya à briguer légalement la magistrature suprême, lui qui avait juré, en 2021, que les militaires n’étaient que des gestionnaires provisoires et ne chercheraient pas à se maintenir. L’histoire retiendra que la promesse n’a pas duré plus que le temps de se consolider au pouvoir.

A lire aussi: Ni l’Europe ni la France ne sont condamnées à la stagnation

Les chiffres officiels paraissent flatteurs: plus de 70% de participation parmi les 6,7 millions d’électeurs inscrits, et un « oui » triomphal au-delà de 90%. Mais ces données brutes masquent une réalité autrement plus complexe. Car l’opposition, de Cellou Dalein Diallo à Alpha Condé, avait unanimement appelé au boycott, dénonçant un « simulacre de démocratie ». Leurs partis avaient été suspendus ou paralysés par des restrictions administratives. La campagne s’est déroulée sans eux, dans un espace public verrouillé, où radios indépendantes et sites d’information avaient été réduits au silence. Le climat de peur et la surveillance omniprésente des urnes ne laissent guère de doute sur la sincérité du scrutin. Plus qu’un vote libre, il s’agissait d’une mise en scène visant à conférer une légitimité populaire à un processus déjà décidé dans les casernes.

Un régime à la dérive

Au-delà de l’ingénierie constitutionnelle, ce référendum s’inscrit dans une trajectoire où la corruption généralisée est devenue le véritable ciment du régime. L’exemple du projet minier de Simandou illustre cette dérive : en 2024, des révélations de presse ont affirmé qu’une entreprise chinoise impliquée dans l’exploitation du gisement avait versé 75 millions de dollars directement à M. Doumbouya. Le colonel-président, qui s’était présenté en chevalier de la probité, a reproduit à l’identique les méthodes de ses prédécesseurs. L’opacité des contrats, l’enrichissement de la garde rapprochée et la distribution des marchés à des affidés traduisent moins une rupture qu’une continuité dans le pillage des ressources nationales.

Cette réalité s’impose crûment à Conakry : selon les statistiques nationales, seulement 44,1% de la population guinéenne dispose d’un accès à l’électricité, et en milieu rural ce taux tombe à 19,3%. Même dans la capitale, les coupures sont fréquentes, la fourniture instable et le réseau vétuste. En 2023, la production nationale d’électricité atteignait environ 4 048 GWh pour une capacité installée de 1 060 MW, dont une large part provient de l’hydroélectricité. Sur le plan hydrique, la fracture reste colossale : en 2023, 32,1% des Guinéens n’avaient pas accès à une eau gérée de manière sûre, et seuls 13,7% de la population bénéficiaient d’un assainissement de qualité. Selon la Banque mondiale, 63% de la population rurale vit en situation de pauvreté, contre 22% dans les zones urbaines, tandis que le taux de pauvreté global est passé de 46,6% en 2018 à environ 51,4% en 2023.

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Dans le même temps, l’État guinéen tire une part significative de ses revenus des secteurs miniers: la Guinée exporte des minerais pour lesquels le secteur minier représente environ 80% des exportations du pays. Pourtant, ces richesses sont captées par une minorité proche du pouvoir, et très peu redistribuées en infrastructures ou services publics.

Il n’est plus question ici de simples contrastes : ces chiffres témoignent d’un déséquilibre structurel. Tandis que des quartiers résidentiels s’ornent de villas et que des cortèges de 4×4 escortent les élites, la majorité reste plongée dans l’obscurité — littéralement et symboliquement — attendant que l’État livre ce qu’il prétend garantir mais refuse de concrétiser.

Dérive autoritaire

Le référendum du 21 septembre n’est pas une rupture mais l’aboutissement d’une dérive autoritaire engagée dès 2021. Le FNDC, mouvement citoyen qui avait incarné la résistance au troisième mandat d’Alpha Condé, a été dissous sans ménagement. Ses leaders, comme Foniké Menguè ou Billo Bah, ont été emprisonnés ou réduits au silence. Amnesty International et Human Rights Watch ont documenté des dizaines de morts lors de manifestations dispersées par balles à Conakry, Labé ou Nzérékoré. La presse, elle aussi, vit sous la férule: radios suspendues, journalistes intimidés, sites d’information bloqués. À l’extérieur, la situation inquiète. Une plainte pour complicité de torture et homicides volontaires a même été déposée en France contre Doumbouya dès 2022, rappelant que les atteintes aux droits humains ne passent plus inaperçues.

Les réactions internationales à ce référendum sont à l’image des équilibres régionaux: prudentes mais fermes. L’Union africaine a exprimé sa « préoccupation » face à une transition qui ressemble désormais à une présidence à vie déguisée. La CEDEAO, déjà secouée par les coups d’État successifs au Mali, au Burkina Faso et au Niger, a dénoncé un « détournement du processus de transition » et menace de sanctions ciblées le pays si un calendrier électoral crédible n’est pas rapidement annoncé. L’Union européenne évoque un « recul préoccupant de l’État de droit », tandis que Washington parle plus directement d’une « confiscation du processus démocratique ». Le risque est de voir la Guinée rejoindre la catégorie des régimes autoritaires assumés.

La Constitution, loin d’être un outil d’émancipation collective, devient un instrument de pouvoir personnel. À force de confondre la République avec son uniforme, le président risque de n’apparaître que comme caporal devenu despote.

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Macron et la Palestine: entre sincérité et naïveté

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Retour sur le discours historique du président Macron à l’ONU et la reconnaissance de la Palestine


Ce lundi 22 septembre, Emmanuel Macron à la tribune des Nations Unies devait penser que sa vocation n’était désormais plus tellement de présider la France, ce pays ingouvernable, que de réparer le monde. Lui qui n’a aucune expérience militaire, finissait son discours, dont je vais essayer de suivre l’argumentation, par une réflexion sur la guerre destinée à une délégation israélienne ostensiblement absente : «La paix est beaucoup plus exigeante, beaucoup plus difficile que toutes les guerres. Mais le temps est venu…» Il est facile d’exiger pour autrui ce qu’on n’a pas besoin de s’imposer à soi-même. À la France, Emmanuel Macron ne faisait courir aucun risque. Pour Israël, qui fait face à un ennemi entièrement voué à sa perte, il jouait avec sa survie…

Droit à l’erreur

Le président français prétend bâtir la paix. Qui pourrait ne pas souscrire à un tel objectif ? Mais le diable n’est pas dans le projet, il est dans les détails et ceux-ci ont de quoi laisser sceptiques des Israéliens qui n’ont pas le droit à l’erreur.

Le Hamas est déjà vaincu sur le plan militaire, dit le président comme si cela était un acquis définitif et un résultat qui n’aurait guère demandé d’effort à Israël. Il reste à le vaincre sur le plan politique et ce travail difficile, Emmanuel Macron veut en être le maitre d’œuvre. D’ores et déjà, dit-il, la reconnaissance de la Palestine par la France est une défaite du Hamas: message à envoyer à l’organisation terroriste qui ne l’avait probablement pas compris ainsi quand elle s’est réjouie de l’initiative française. Il s’agit de mettre en œuvre un plan de «paix et de sécurité». Dont la première étape, une urgence absolue, consistera à coupler la libération des 48 otages israéliens et la fin des opérations militaires. Pour ce résultat, il suffit, suivant Emmanuel Macron, de compter sur le Qatar et l’Egypte, avec les Etats-Unis en arrière-plan, à condition qu’Israël n’entrave pas leurs efforts. Si tel est le cas, ces préalables devraient être vite réglés, et la France pourrait alors ouvrir son ambassade en Palestine.

A lire aussi, Charles Rojzman: Reconnaissance de la Palestine: pari diplomatique ou suicide vertueux?

Ensuite, il faudra reconstruire Gaza, une tâche à laquelle s’attèleront l’Autorité palestinienne, dont le président Abbas a promis de façon crédible d’adopter un comportement démocratique, efficace et respectueux de son voisin israélien. Quant aux forces de sécurité dont il disposera, elles auront été entrainées par la France et ses alliés, et elles parachèveront le démantèlement du Hamas. Pour parfaire ce travail, Emmanuel Macron envisage une initiative originale: confier à l’ONU une mission de sécurité civile et militaire. Si j’ai bien compris, il s’agirait de faire appel à l’UNWRA dont chacun connait le glorieux palmarès, et de l’associer à une force militaire internationale analogue à la FINUL, cette force d’interposition au Liban qui avait laissé faire le Hezbollah, censé se tenir loin de la frontière.

Si le gouvernement israélien ne s’engageait pas dans un plan si prometteur, la France et l’Europe en tireraient les conséquences sur le plan économique. Actuellement, dit Emmanuel Macron, 142 Etats tendent à Israël une main prête à être serrée. Il ne précise pas si l’Iran est inclus parmi ces Etats…

La sincérité française pas en doute

Je fais partie de ceux qui pensent qu’Emmanuel Macron est parfaitement sincère quand il parle de son admiration pour Israël et quand il fustige l’antisémitisme, mais j’ai été accablé par la naïveté du plan présidentiel. Se fier aux promesses d’une Autorité palestinienne qui a prouvé son incurie (le terme vient d’Emmanuel Macron lui-même), qui n’a cessé de pratiquer le double langage et qui en tout état de cause, si des élections avaient lieu, serait balayée par le Hamas, cela relève de la méthode Coué.

Penser avoir tout compris à la guerre de Gaza parce qu’on a rencontré des victimes, par exemple des Gazaouis réfugiés en Egypte à al-Arich, et adopter le narratif manigancé par une propagande anti-israélienne extraordinairement efficace, témoigne en même temps de présomption et de crédulité.

Ignorer que toute guerre est tragique, qu’une guerre urbaine frappe particulièrement les civils, que ce fut le cas dans la guerre contre Daech où la France était elle-même engagée, que ce l’est encore plus là où les souterrains ajoutent une dimension nouvelle aux opérations mais que jamais un belligérant n’avait encore utilisé la mort de sa propre population comme arme de guerre pour disqualifier l’ennemi, c’est montrer indifférence à l’égard des réalités militaires sur le terrain et aveuglement sur l’objectivité des médias.

Ne pas rappeler dans son discours que la haine anti-israélienne ressassée à longueur de temps dans les sociétés palestiniennes, est associée aujourd’hui à un islam de conquête qui risque de prospérer dans le Gaza nouveau qu’il envisage, c’est, enfin, faire preuve d’une légèreté aux conséquences potentiellement funestes.

A lire aussi, Elisabeth Lévy: Pour ou contre les juifs ?

Le président a parlé avec émotion du 7-Octobre, mais il ne semble pas avoir compris que l’horreur du massacre, qui a touché des Israéliens particulièrement attachés à l’idée d’un Etat palestinien, a rendu le soutien à cette idée d’autant plus problématique que chacun a vu l’enthousiasme qu’a suscité cet événement dans les foules palestiniennes.

Il y a bien des arguments juridiques pour être hostile à la reconnaissance de la Palestine. Certains rappellent que dans une période sans gouvernement on ne doit traiter que d’affaires courantes ou urgentes et que cette reconnaissance n’est ni une affaire courante, ni une affaire urgente. D’autres rappellent que l’article IX de l’Accord intérimaire israélo-palestinien de 1995, qu’on appelle Oslo II, interdit à l’autorité palestinienne toute initiative diplomatique. D’autres encore se réfèrent à la réunion de Montevideo en 1933, qui définissait les critères d’un Etat, pour constater que la Palestine actuelle ne les remplit pas. 

Il en est même qui, partisans du grand Israël, signalent que la conférence de San Remo qui  en 1920 a façonné le Moyen Orient après la défaite ottomane, ne parlait pas de foyer arabe en Palestine en même temps qu’elle avalisait la déclaration Balfour.

En ce qui me concerne ces arguments juridiques pèsent peu devant une tragique constatation. Alors que pour les Juifs un second cataclysme émotionnel est survenu à partir du 8 octobre quand ils ont vu se déchainer un antisémitisme contre lequel la frilosité de la réponse judiciaire et politique a été patente, la reconnaissance d’un Etat de Palestine alors que le Hamas n’est pas encore vaincu, suggère que ce massacre a été une bonne idée.

Quoi qu’ils pensent par ailleurs de tel ou tel aspect de la politique israélienne, un tel message est insupportable pour l’immense majorité des Juifs, et, je l’espère, pour la plus grande partie de la population française.

Retrouvez Richard Prasquier au micro de Radio J.

Les hommes préfèrent les trans

En pleine période puritaine, le plus grand bordel de France demeure… le bois de Boulogne ! On vient s’y enivrer de sexe, de stupre et, surtout, on vient y chercher les transsexuelles. Objets de fascination et de trouble désir pour les hétéros, elles sont le trésor du bois sur lequel elles règnent. Immersion dans ces folles nuits où les normes sont abolies.


Pour les vacances, certains sont partis à Marbella, Saint-Tropez ou encore à Mikonos. Moi, c’est au bois de Boulogne que j’ai décidé de passer mon été, du moins beaucoup de mes soirées. Et, pour sûr, il a été bien plus fantastique et dépaysant que celui de mes amis. Lorsque j’avais 20 ans, accompagné d’un camarade ou deux, j’y passais certains soirs des heures entières. Nous étions fascinés par ce monde parallèle, par cette ville clandestine engloutie dans les bois, qui éclot au soleil couché, et va fiévreusement jusqu’au petit matin au rythme des désirs les plus brûlants. Quinze ans plus tard, me voici de retour ! Ô bois de tous les fantasmes, tu n’as pas changé. Le monde s’aseptise, et toi tu ne bouges pas. En plein essor du puritanisme, tes seins, tes fesses, tes langues, tes voyeurs et tes exhibitionnistes sont toujours aussi nombreux. Tes moindres recoins puent le sexe à plein nez. À la porte Maillot, c’est encore la vie normale. Mais voilà qu’un panneau d’indication porte ton nom. Je le suis, je tourne à droite. J’aperçois les premiers arbres… nous voilà en zone libre ! Il est 22 H 45. Quelques femmes seules attendent, dès les premiers mètres dans le bois. Rien de spectaculaire. Peu de passage, presque pas de clients. Ce n’est pas ça qu’on vient chercher ici. Les femmes ordinaires se trouvent déjà dans la vie normale. Le trésor est ailleurs. Ce qui attire la foule, c’est un autre type de femmes. Me voilà maintenant sur l’allée de Longchamp, une des plus grosses artères traversant le bois. J’entre dans le vif du sujet. Fenêtres ouvertes je roule et, non loin, déjà résonne la salsa.

À quelques mètres, un groupe de filles danse sur le bord de la route. Les arbres, auxquels elles tournent le dos, sont leur décor. Les transsexuelles latino-américaines ! Plus de 90 % des filles qui travaillent ici sont trans. C’est pour elles que ce lieu vit la nuit. Pour elles que les voitures sont toutes là, si nombreuses et si lentes, se traînant si lourdes, surchargées de désirs. Ces créatures magnifiques et troublantes sont les objets de toutes les convoitises. Des curiosités les plus obsédantes. Avec quelques guirlandes lumineuses de toutes les couleurs accrochées aux arbres, le groupe de six filles s’est délimité son petit pré carré sur sept ou huit mètres. Certaines sont très belles. Deux types latinos, avec de bonnes gueules sympathiques, sont assis avec elles, rient et boivent. Ce sont en général des hommes de leur entourage qui leur tiennent compagnie et leur assurent un minimum de sécurité. Au bois, les filles trans travaillent de leur plein gré et pour leur compte. Les chicas dansent en se partageant une flasque de whisky. Je ralentis devant elles. Les mains passent dans les cheveux, les langues caressent les lèvres, les mains caressent les seins. Je poursuis ma tournée. D’autres prés carrés lumineux se trouvent en bordure de la route. Sur chacun on écoute de la salsa, de la cumbia ou du merengue, et on y parle en espagnol ou en brésilien. Ici, c’est Cali à Paris. C’est Lima à Boulogne. C’est le bois de Rio. Certaines chicas, assises entre elles, sont en train de dîner. Une femme (biologique, pas une trans) plus toute jeune va et vient chaque soir dans le bois avec une poussette pleine de provisions. Elle vend aux travailleuses de la nuit des plats qu’elle confectionne et met en barquette. Un Pakistanais armé de son énorme thermos vend, lui, les boissons chaudes toute la nuit. D’autres vendent des boissons fraîches. Sur environ deux cents mètres, j’ai croisé une bonne trentaine de filles. Toutes trans. Voici le maxi pré carré ! C’est presque un squelette de chapiteau dessiné en guirlande lumineuse, une petite maison. Un air de guinguette ou de fête foraine. Une quinzaine de filles à demi nues s’y trouvent. J’arrive au croisement avec l’allée de la Reine-Marguerite. La plus prisée. Ici, on ne sait plus où donner du regard, les filles sont partout. Des belles, des moins belles, des menues, des pulpeuses, des grosses ! Les voitures ralentissent, s’arrêtent, repartent. Les vitres se baissent, les filles s’approchent. En se penchant seins en avant à hauteur de conducteur, on négocie à la fenêtre. Les phares se croisent, s’éteignent, se rallument. Nous sommes au cœur du bois. C’est ici qu’il bat le plus fort. Sur un peu moins de deux kilomètres, une bonne centaine de filles tapinent. Quel spectacle ! Elles dansent, découvrent leurs seins à la première voiture qui ralentit, envoient des baisers, miment les pipes… « Viens bébé, je te suce… », me dit l’une avec son accent mélodieux. Et tous ces bons hommes cherchent le stupre. Ils cherchent, ils cherchent. Ils hésitent, ils repartent. Puis reviennent ! La tête leur tourne. Dans quelques minutes, ils craqueront. Question de temps. Ils viennent ici dans le secret qu’ils partagent parfois avec un ami ou deux. Des silhouettes d’homme entrent et sortent d’entre les arbres. Un type jaillit de derrière un tronc, referme sa braguette et remonte dans sa voiture, soulagé. À l’intérieur du bois, derrière les premières rangées d’arbres, là où la lumière des réverbères de la route peine à parvenir, des ombres lentes se promènent. Des types cherchent, feignant la promenade. Ici tout le monde n’est pas client. Certains sont voyeurs. Ici, on aime pisser en étant vu. On aime se promener dans la pénombre, bercé par le bruit des ébats ou des « floc-floc d’enculade » comme l’écrivait le grand Copi. Des types se masturbent dans le noir, admirant discrètement les silhouettes des filles et des clients qui remplissent le contrat. Je tourne, je vais et je viens. Il est une heure, la fête bat son plein. La banlieue débarque au bois. La plupart des hommes présents sont plutôt jeunes, et d’origine maghrébine ou africaine. Les « jeunes de banlieue », comme on dit. Ils sont beaux, pour un bon nombre d’entre eux. Ici, au bois, ce n’est pas la caricature du client gros et vieux. Non ! Ceux-là ne sont pas majoritaires. Les jeunes gens des beaux quartiers, moins nombreux, eux aussi sont présents. La jeunesse se promène à pied, l’air de rien, seuls ou en bande de copains, pour trouver ces filles un peu spéciales. Ces femmes qui n’en sont pas tout à fait. Ces filles qui, presque toutes, ont gardé leur sexe d’homme et ne le cachent pas… au contraire. C’est bien la quête de ces jeunes hétérosexuels. Car il faut bien être hétéro pour désirer ces cheveux longs, ces seins si fiers, ces courbes féminines, toute cette féminité exacerbée. Brunes ou blondes, les hommes préfèrent les trans ! La majorité des types que je croise ont moins de 35 ans. On voit même des mineurs aux visages d’ange passer de fille en fille pour discuter, négocier puis, finalement, s’engouffrer dans le bois. Un jeune homme blond, dans les 15 ans, bcbg, s’engloutit timidement dans une camionnette avec une fille d’une cinquantaine d’années. Il est consentant. Il a même payé ! Ses copains l’attendent au bord de la route en discutant et en riant. Certaines filles sont d’une beauté à couper le souffle. Elles savent sourire avec grand charme et vous retourner le cœur en un seul regard. Je décide d’aller faire un tour un peu plus loin pour me changer les idées. Je file route des Lacs-à-Madrid. C’est là-bas que les hommes – parfois mariés, ou du moins souvent hétéros officiellement, un peu pédés refoulés ou bien bisexuels – viennent chercher une furtive aventure homosexuelle. Et c’est gratuit ! J’arrive porte de Madrid. Un petit rond-point. D’un côté le bois, de l’autre les premières maisons du guindé Neuilly. Je prends la route des Lacs. Elle fait environ deux cents mètres et se termine en cul-de-sac. Une petite route toute calme, l’air désert. Je pénètre en pleins phares. Sur la droite le bois, sur la gauche une quinzaine de voitures stationnées les unes derrière les autres le long du centre équestre. Quelques-unes ont allumé leurs phares dès mon arrivée. Elles me font de l’œil ! Je roule au pas, leur faisant face. Dans chaque voiture, un homme attend. C’est le sex-drive. Je ralentis devant chaque véhicule. Les conducteurs me regardent. On ne me fait ni bonjour ni sourire. On attend juste la proposition ! Des vieux, des jeunes, des voitures de luxe, des vieilles poubelles, il y a de tout. Dans le dernier véhicule, un jeune homme à demi allongé sur le fauteuil conducteur se fait sucer par une transsexuelle. Elle relève la tête, je la reconnais. C’est une fille du bois, une prostituée. Elle a dû proposer au client de venir faire la passe ici, chez les pédés, où ils seraient tranquilles. Un homme d’une quarantaine d’années profite du spectacle en regardant par la fenêtre, ce qui ne semble pas gêner le jeune homme sûrement un peu exhibitionniste. Je fais demi-tour. J’aperçois à quelques mètres de moi, entre deux arbres un jeune Rebeu en survêt, Nike « TN » au pied, qui se masturbe de profil en regardant dans ma direction. Un autre jeune homme du même style le regarde, puis me regarde, et disparaît dans le bois. Beaucoup d’affaires se concluent derrière les arbres. Deux hypothèses. Soit ces deux jeunes de banlieue sont en quête d’aventures homosexuelles (il y en a beaucoup !), soit c’est un guet-apens. Ou les deux en même temps ! C’est fréquent ici. Les types suivent dans les bois une jolie racaille… et se font dépouiller. Mais les racailles joignent parfois l’utile à l’agréable et se laissent faire la gâterie proposée avant de passer aux choses sérieuses. Le vol leur permet de se convaincre qu’ils ne sont pas là pour le sexe. Que le sexe est le prétexte au vol. Alors que c’est évidemment le contraire ! En repartant vers la sortie, je croise un vieux monsieur précieux, cheveux blancs permanentés, au volant de sa petite voiture qui pénètre route des Lacs. Son petit chien l’accompagne sur le fauteuil passager. J’ai envie de voir ce qu’il va faire. Je quitte la route, puis reviens deux minutes plus tard. Au fond, sa voiture est garée près de l’endroit ou zonaient les deux jeunes en survêtement. Il n’est plus dedans. Son petit chihuahua est resté seul. Il gratte à la fenêtre, couinant dans les aigus. Le toutou semble inquiet. Il y a de quoi ! Un autre vieux me tourne autour en vélo. Il a la coupe de cheveux de Montherlant mais porte un short, ça ne peut pas être l’auteur des Jeunes filles. Je me dirige vers la sortie de la route des Lacs. À ma gauche, sur la porte de Madrid se trouve un gros robinet public en métal vert. Un vieux cycliste en T-shirt long tombant au-dessous des fesses mais les jambes nues, s’y arrête. Il l’allume, fait un demi-tour sur lui-même, et s’introduit comme il peut le robinet dans le cul. Je n’en crois pas mes yeux, il se fait un lavement public ! En pleine lumière des réverbères, face aux premiers immeubles de Neuilly. Il prend son temps. Après une ou deux minutes dans cette position (on dirait qu’il skie !) il sort de sa sacoche quelques feuilles de sopalin et se torche. Il remonte sur son vélo, et s’engouffre route des Lacs. Il préparait le terrain ! Je ne boirai plus jamais au robinet.Je retourne allée de la Reine-Marguerite. Il est 2 heures, c’est l’effervescence. Plein de mecs se baladent. Les bandes de jeunes hommes discutent maintenant ouvertement avec les filles. Ils ne font plus semblant de se promener là par hasard. Des voitures en warning sont stationnées de tous côtés. Des groupes de mecs palabrent entre eux, c’est l’heure des conciliabules. « Vas-y on fait quoi ? On essaye ? C’est un trans mais elle est bonne ! Putain, elle est vraiment belle. T’as combien sur toi ? Moi il me reste trente euros. Si t’as dix euros on lui demande si elle peut nous sucer à deux. » À ma droite, la toute petite route de Suresnes s’enfonce dans l’obscurité du bois. Mais jusque loin dans le noir, on aperçoit des petites lumières de couleur. On devine le sexe. J’y pénètre. La route est étroite. Sur les côtés, les grosses fourgonnettes s’enchaînent tous les vingt mètres. À l’intérieur, les filles trans sont comme en vitrine. Ici elles sont plus âgées. Elles ont tapissé leur petite scène-cabine de léopard ou de zèbre et l’ont éclairée de lumière parfois rose ou rouge. Des tableaux de Pierre et Gilles ! Certaines sont sublimes. D’autres monstrueuses, mais tellement spectaculaires qu’elles sont sublimes aussi. Cette petite route-circuit est interminable, ça tourne à gauche, puis à droite, ça n’en finit plus. Un véritable train fantôme du sexe. Il y a la queue devant nous ! Après quelques minutes, la petite route dégueule de nouveau sur l’allée de la Reine-Marguerite. Ça vibre encore plus. Plus il est tard, plus c’est chaud. Passé deux heures, parfois après quelques gorgées d’alcool, les filles veulent appâter le client. Certaines sont maintenant nues. D’autres se caressent entre elles. Les hommes deviennent fous devant ce spectacle. Quelques filles caressent le sexe des types qui leur demandent le prix. D’autres les embrassent langoureusement avec la langue. Ils ne pourront plus résister, même ceux qui étaient venus juste comme ça, pour « voir le bois ». Dois-je dire ici que certains soirs, lors de mes promenades pour écrire cet article, certains de mes copains hétéros, venus juste pour m’accompagner et voir l’endroit, se sont laissé dévorer par le bois et ses créatures ? Le chant des sirènes était trop puissant. Après des heures de seins magnifiques, de formes sur-sexuelles, de cheveux caressants, ils perdent leurs repères. Tant pis si leur « hétérosexualité » doit en prendre un coup !

Jusqu’à la fin de la nuit on croise et recroise les mêmes personnes. Ici, on vient zoner. On s’oublie un peu, on brise les tabous. On vient s’enivrer de délices et faire la fête. Car le bois est une fête. Quelque chose de joyeux, malgré tout, y règne. La vie n’est pas toujours rose pour les filles qui y travaillent. Mais le travail du sexe semble moins douloureux pour ces filles trans que pour les femmes « biologiques». Ou du moins, chez les trans on assume plus souvent de prendre parfois du plaisir avec les clients que chez les femmes. Une Brésilienne historique du bois m’a raconté ceci : « J’aime faire la pute. Ça me plaît. Au fond, je suis quand même un peu un homme. Et les hommes aiment le sexe. La plupart des clients que je fais, ça me plaît de les faire. Quand je vais avec eux, je suis excitée. Pas avec tous, mais avec beaucoup. Être payée pour faire l’amour, la nuit, dans ce bois magnifique, moi ça me plaît. Je trouve cela excitant. » Mais depuis plus de dix ans, la clientèle chic a un peu disparu. Les prix ont baissé. On fait aujourd’hui la pipe pour vingt euros et la totale pour quarante. Parfois moins. Et puis, il y a les agressions, les meurtres. Trop de filles ces dernières années ont été tuées. Quelquefois, des bandes viennent racketter les filles et les clients. Certaines travailleuses ne font pas cela la joie au cœur. Elles aimeraient faire autre chose. Chaque pute est différente. Mais ce bois, beaucoup de celles qui y travaillent ou qui y ont travaillé l’aiment malgré tout. Splendeur et misère du bois de Boulogne. « Les hommes nous désirent, on les rend fous. C’est valorisant, m’a expliquél’une d’elles. Quand je vois tous ces mecs prêts à payer pour moi, c’est flatteur. Pour nous les filles trans, ce n’est pas toujours facile de trouver un copain. Quelqu’un qui assume vraiment d’être avec une trans. Alors, les caresses des clients qui nous plaisent, leurs baisers, parfois on les prend avec plaisir. Mais lorsqu’on rentre chez nous, qu’on enlève les faux cils, le maquillage, c’est là qu’on aurait besoin de quelqu’un. Et très souvent, il n’y a personne. Pour la plupart des hommes, nous ne sommes qu’un objet de fantasmes, une parenthèse sexuelle. C’est le revers de notre médaille. C’est le tragique de notre histoire. »

Vincent Campredon: l’océan pour passion

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Directeur du Musée national de la Marine, Vincent Campredon, de l’Académie de Marine, nous conte avec style et panache son amour de la mer.


Avec Le voyage en mer, Vincent Campredon, de l’Académie de Marine, directeur du Musée national de la Marine, explore les raisons de son goût insatiable pour la navigation et l’océan.

Issu d’une famille de marins, il a passé son enfance et son adolescence à Brest et à Toulon, puis il s’est engagé à son tour.

Il a navigué sur tous les océans ; il a également participé à de nombreuses courses au large.

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De l’eau salée dans les veines

Que nous raconte-t-il dans cet opus qui tient autant du récit que de l’essai ? Après six ans de très importants travaux, à la fin d’octobre 2023, le nouveau musée de la Marine ouvre ses portes au grand public sur la place du Trocadéro, à Paris. « Ce n’est pas à une visite de ses exceptionnelles collections (plus de 1000 œuvres) que nous convie Vincent Campredon, son directeur, mais à une étonnante traversée », explique l’éditeur Grasset. « Le voyage en mer n’est pas un voyage sur les eaux, fussent-elles rêvées ou rugissantes, qu’elles apaisent ou engloutissent. C’est un appel, une attente de vivre, de découvrir, de prendre ses distances, de se transformer. Voici le livre d’une vie et d’une passion, où l’on suit, entre autres guides imparfaits, Bougainville, Cook, Surcouf et Lapérouse… »

Marin et Officier de Marine émérite, Vincent Campredon nous fait découvrir les légendes des corsaires, l’invention de la carte marine et les plus incroyables batailles navales. Il évoque la découverte de la longitude, le rêve fou de Magellan et les courses transatlantiques à la voile, « ces dernières aventures modernes qui laissent les femmes et les hommes hors de toute portée… » On le suit au Cap Horn, dans les profondeurs de l’Atlantique avec les sous-mariniers, en mer de Chine sur La Jeanne, à Tahiti… Il nous convie sur le rivage, et au musée où il rêve devant les maquettes, dessine des goélettes, s’intéresse au guide des nœuds et découvre le mystère des marées. Il dit tout de ces océans que pourtant on maltraite et qu’il est si nécessaire de protéger. 

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L’homme manie avec autant de dextérité l’écriture que le gouvernail. Il ne manque pas de style. « J’ai de l’eau salée dans les veines. Je suis un « cul salé », comme on dit dans le Finistère. La mer me parle. M’inspire. M’irrigue. Elle rythme ma vie depuis l’enfance et les affectations de mon père, l’amiral Jacques Campredon, en Tunisie, à Toulon et à Brest. L’océan m’aspire. C’est mon jardin, mon ailleurs. C’est une sorte de porte vers l’infini. » Un voyage en mer et en mots pas comme les autres.

Le voyage en mer, Vincent Campredon ; Grasset ; 166 p.

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Simone Signoret, la nostalgie camarade

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Nous sommes le lundi 30 septembre 1985, au volant de ma vieille Peugeot, j’entends à la radio un flash spécial : Simone Signoret est morte. Ce souvenir reste depuis gravé dans ma mémoire. Il faisait gris et le vent malmenait la voiture. J’aimais beaucoup Signoret, son visage détruit, comme aurait dit Duras, ses rides de la désillusion amoureuse, ses cheveux blancs, non pas ceux de la sagesse, mais de la souffrance imposée par Yves Montand, magicien de la scène à la voix mélancolique et au regard de chien battu, d’un professionnalisme à rendre jaloux les Américains. « Oh, je voudrais tant que tu te souviennes… » Et l’émotion est là, directe.

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Signoret, je la vois immédiatement dans deux rôles. Le premier, dans le long-métrage de Jean-Pierre Melville, L’Armée des ombres. Elle joue le rôle de Mathilde, une résistante éliminée par son propre réseau, en 1943. La scène de sa mort est tournée Avenue Hoche, non loin du parc Monceau. Je m’y suis souvent rendu comme si cet assassinat était réel. Signoret était tellement « naturelle » qu’on oubliait que c’était du cinéma. Le second, dans Police Python 357, de Corneau. Un polar noir, efficace, sur fond de société consumériste. Signoret joue une bourgeoise en fauteuil roulant. Elle est alcoolique, dévastée par le cocufiage de son mari. Elle veut mourir, finit par supplier Montand, qui joue le rôle d’un fic pris dans un engrenage machiavélique, de la tuer. Signoret est tout entière dans ce rôle de femme-épave, le regard injecté de whisky, sans larmes, morte déjà. Elle résume sa vie amoureuse face à la caméra. Elle ne joue pas, elle est Signoret, première actrice française oscarisée, humiliée par son mari chanteur, effacée, croit-elle, par la beauté délétère de Marilyn Monroe, maîtresse d’un soir de celui qu’elle a rencontré le 19 août 1949, à la Colombe d’Or, dans l’arrière-pays niçois, et qu’elle a aimé jusqu’au bout de la déraison.

Pari un peu fou

Signoret fut une immense actrice et une femme malheureuse. À la mort de Marilyn, pourtant, Montand l’appelle, il bafouille au téléphone, paumé. Elle l’écoute, ne raccroche pas. Elle est aussi triste que lui. Elle meurt donc le 30 septembre 1985 d’un cancer du pancréas, dans sa maison d’Autheuil-Anthouillet (27). Elle n’avait que soixante-quatre ans. Elle avait écrit en 1976 une très belle autobiographie, La Nostalgie n’est plus ce qu’elle était. Pivot l’avait reçue à Apostrophes. Elle avait paru timide, presque gênée d’être sur le plateau, elle qui fut l’amie de Sartre et de Simone de Beauvoir, « compagnon » de route du PCF.

De nombreuses biographies ont été écrites sur elle, son couple, sa fille, Catherine Allégret. Nicolas d’Estienne d’Orves, écrivain et critique musical, a pourtant relevé le défi d’en ajouter une nouvelle. Enfin pas tout à fait, il a relevé un pari un peu fou : celui de se mettre dans la peau de Simone, née Kaminker, le 5 mars 1921, à Wiesbaden, et de lui donner la parole. Pari dangereux, car il était difficile alors de se montrer objectif, notamment sur le voyage qu’elle fit avec Montand dans les pays de l’Est, du 16 décembre 1956 à fin mars 1957 – la moindre des choses aurait été de boycotter l’URSS dont on connaissait les massacres de masse organisés par Staline, notamment avec Le Zéro et l’Infini, ouvrage d’Arthur Koestler, et surtout après l’écrasement du soulèvement hongrois par les chars russes, le 4 novembre 1956, à Budapest. Mais pari gagné.

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On finit par lire l’ouvrage comme si c’était Signoret qui l’avait écrit. On la trouve de mauvaise foi – la question sur l’URSS. On la trouve également très sévère à l’égard de Montand – homme colérique certes, mais pas si « enfantin » que cela…

On comprend mieux, cependant, qu’elle ait accepté d’être Mathilde, dans L’Armée des ombres, elle, la demi-juive qui fréquenta Jean Luchaire et d’autres collabos parisiens, histoire de vouloir réparer une errance de jeunesse. Elle apparait entière, excessive, autodestructrice, en un mot, vivante. Et également glaçante. Après la passade Marilyn, Signoret – enfin l’auteur – lance à Montand : « Tu m’as trahi avec une beauté, je vais te faire vivre avec une vieille dame… »

Nicolas d’Estienne d’Orves, Simone Signoret, histoire d’un amour, Calmann-Lévy. 400 pages.

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Soft Story

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L'ancien ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti, 2024, Montage IA © Jacques Witt/SIPA

Mercredi matin, Éric Dupond-Moretti, fidèle à sa rougeoyante manie d’exagérer les défauts de la droite, et visant MM. Retailleau et Darmanin, a parlé de « totalitarisme ». S’il était le seul à jouer avec ce feu, tout irait bien. Hélas, nous en sommes loin.


Bock-Côté, Delsol, bien d’autres encore : il se trouve des voix à droite pour considérer que la France est devenue un pays totalitaire, ou est en passe de l’être. L’accusation est suffisamment grave — puisqu’en politique aucune n’est plus lourde — pour que nous nous y intéressions de très près. La question est donc : notre pays est-il vraiment totalitaire, ou un petit peu, ou pas du tout ? Essayons d’y répondre en laissant de côté opinions instinctives et intérêts partisans.

Commençons par un peu de bon sens et de pragmatisme. Faites un test tout simple. Allez à votre fenêtre, ouvrez-la en grand, penchez-vous au dehors et criez de toutes vos forces : « Macron est un xxxxxxx ! » (remplacez xxxxxxx par le nom d’oiseau de votre choix). Observez alors ce qui se produit. Voyez-vous, dans les heures qui suivent, débarquer chez vous la maréchaussée qui vous emmène en garde à vue en serrant très fort les menottes? Ou bien êtes-vous, trois semaines plus tard, victime d’un contrôle fiscal entraînant la saisie de vos biens ? Vos enfants sont-ils exclus de l’école ? Vous interdit-on l’accès à l’hôpital ? Perdez-vous le droit de vote ? Vous propose-t-on de quitter le pays ? Que nenni. Il ne vous arrive rien. Au pire, si votre voisin de palier est encarté chez Renaissance, il crèvera vos pneus. S’il est culturiste et aviné, il vous giflera peut-être sur le moment. Mais ce sera au nom de sa bêtise et de sa mauvaise humeur, pas sur ordre de la place Beauvau.

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Pour vous éviter tout désagrément, abordons la chose sous un autre angle. Dans un régime totalitaire, la plupart des auteurs de Causeur seraient placés sous haute surveillance et leurs concierges noteraient toutes leurs allées et venues. Certains fuiraient à l’étranger. D’autres décéderaient soudainement dans des circonstances inexpliquées. Peut-être certains se tairaient-ils — et nul ne songerait à le leur reprocher, car la perspective de la torture a eu raison de bien des témérités intellectuelles. Or, rien de tout cela ne se produit. Vous êtes en train de lire Causeur sans VPN et vous n’avez pas les mains moites. On peut donc, à Paris sous Emmanuel Macron, se situer dans l’opposition franche et assumée sans glisser dans sa baignoire ni passer sous un autobus. C’est heureux.

Oxymore

Mais cela ne suffit pas à convaincre les esprits qui dénoncent, le regard sombre et la voix grave, le totalitarisme français contemporain. Car, selon eux, la nature profonde du système totalitaire a évolué depuis le temps de Hannah Arendt, et sa définition a muté. Autrefois, il s’agissait d’un système politique où l’État interdisait toute forme de pensée libre et d’initiative individuelle, imposait une idéologie de parti unique et instaurait la nationalisation et la Terreur. Aujourd’hui, le totalitarisme serait devenu — chez nous, tout du moins — flou, imperceptible, louvoyant, bref : soft.

Le totalitarisme soft serait ainsi le nouveau visage du pire régime de tous les temps. Il remplacerait la coercition pure du communisme et du nazisme par la manipulation mentale et médiatique. Il ne tuerait plus franchement. Il vous placerait sous une perfusion d’anesthésiants qui vous rendent stupide et vous paralysent jusqu’à l’extinction lente de votre âme et l’abolition consentante de votre liberté. Il vous installerait dans une fosse commune beaucoup plus confortable que l’ancienne : équipée du Wi-Fi, on vous y gaverait d’hyperconsommation jusqu’à ce qu’obésité et infarctus s’ensuivent. Dans ce camp sans barbelés, il serait strictement interdit de critiquer l’immigration si le pouvoir en place est de gauche, ou le capitalisme s’il est de droite.

Car, oui, notons-le : dans cette configuration, chaque camp accuse ses ennemis d’incarner le nouveau monstre. Nul n’est à l’abri de ce soupçon ultime, pas même les centristes les plus mous, supposés incarner la version la plus hypocrite — donc la plus perverse — du totalitarisme soft.

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Là où le bât blesse, c’est que les mots ont un sens, et que « totalitarisme soft » est le pire oxymore de la pensée contemporaine. Douceur et totalitarisme sont aussi incompatibles que le jour et la nuit. Il n’y a pas d’Auschwitz homéopathique. Il n’y a pas de goulag rigolo. Il n’y a pas de balle dans la tête indolore. Il n’y a pas de visions supportables de femmes suppliciées par le Hamas le 7-Octobre. Le totalitarisme est, dans son essence même, sauvage, cruel et abject. Et s’il a trouvé tant de sympathisants au cours de l’Histoire, ce n’est jamais en raison d’une beauté propre, mais à cause de l’effroyable bêtise, mêlée de vice et de cruauté, de ses encenseurs.

Lorsque Roland Barthes louait les charmes du Petit livre rouge, il lui aurait suffi d’ouvrir un peu les yeux pour constater avec effroi et honte que le maoïsme fut la plus vaste entreprise d’extermination sous le ciel. S’il ne voulait pas le voir, ce n’était pas parce que le Grand Bond en avant paraissait aimable, mais parce que le sémiologue germanopratin éprouvait une attirance quasi érotique pour le mal. « Ce n’est pas en dépit du bain de sang, mais en raison du bain de sang, qu’ils vont à la révolution », dit Alain Besançon. Le problème psychiatrique est le même aujourd’hui chez les racailles du 93 qui trouvent du charme à la version afghane de la charia, ou chez nos bourgeois des beaux quartiers qui considèrent Poutine comme un émouvant défenseur de la civilisation chrétienne.

Il est extraordinaire que lesdites racailles et lesdits bourgeois dénoncent en chœur, tout en se haïssant réciproquement, le « totalitarisme soft » de la France de 2025. Nous ne devons jamais cesser de nous en étonner. Jusqu’au moment où nous comprenons pourquoi.

Mises en garde

Faisons un sort à l’idée selon laquelle il existerait un demi-totalitarisme, un totalitarisme inachevé ou en voie de formation, dont nous serions victimes. Car, bien sûr, les tenants de cette thèse n’ont pas le ridicule d’affirmer que la France est l’Allemagne nazie de 1941 ou un stalinisme en vitesse de croisière en 1933. Seuls les plus rageurs osent le dire, et personne de sensé ne les écoute.

Les autres se contentent de nous mettre en garde : le totalitarisme serait déjà parmi nous, en puissance et même en acte ; il aurait infiltré nos institutions, pénétré nos médias, aboli notre insolence, et il serait sur le point de rafler tout le reste à la première occasion. Nous vivrions, en quelque sorte, en régime semi-totalitaire, ou pré-totalitaire. Eh bien, cela est un mensonge. Le terme de totalitarisme est clair et distinct : tout doit disparaître. Or, l’économie française n’a pas été entièrement nationalisée, loin de là. La bureaucratie pèse peut-être de plus en plus lourd, mais il est encore largement possible de créer et de s’enrichir à force d’ingéniosité et de travail, sans adhérer à Renaissance. Causeur, CNews, Valeurs actuelles, le Journal du dimanche, Europe 1 existent, et leur public grandit chaque jour. Les opinions les plus risquées, les plus excentriquement anti-macronistes — et aussi les plus laides — pullulent sur les réseaux sociaux sans que la censure songe ou parvienne à les rattraper.

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Jean-François Revel a eu le génie de parler de la « tentation totalitaire ». Il a été un de nos meilleurs lanceurs d’alerte : oui, le monde évolue vers le socialisme, et tout au bout du socialisme, il y a le communisme, et nous serions bien inspirés de tirer sur le frein à main avant de franchir cette frontière, car elle n’autorise aucun retour en arrière. Oui, la France du confinement a étrangement ressemblé, par bien des traits, à la Chine de Xi Jinping, laquelle est bel et bien totalitaire. Oui, les wokes sont des gardes rouges, et l’on sait ce que ces gens font aux innocents lorsqu’ils prennent le pouvoir. Mais ce qui est, est, nous enseigne Aristote, et il est aisé d’en déduire que ce qui n’est pas encore n’est pas encore.

Autrement dit : nous ne vivons pas du tout en régime totalitaire. L’accumulation quantitative chère à Hegel n’a pas provoqué le renversement qualitatif final. La tentation n’a pas atteint le stade de la possession. Cela viendra peut-être. Mais, tant que cela ne sera pas venu, dire que c’est réglé d’avance constitue une insulte à la vérité historique et aux pauvres gens qui croupissent, au moment même où vous lisez ces lignes, dans les geôles nord-coréennes. Eux savent que le totalitarisme n’est pas soft. Et s’ils avaient l’heur de visiter notre pays, il leur suffirait d’une phrase pour vous faire regarder la France comme une démocratie. Imparfaite, lamentable, corrompue, pénible, mais une démocratie.

Alors, pourquoi tant d’entre nous ont-ils cette vilaine tendance à voir du totalitarisme où il n’y en a pas ? Parce que cela fait de nous des dissidents, des résistants, des héros ou des prophètes. Et parce que l’orgueil de ceux qui défendent la liberté n’est pas moindre, ni moins trompeur, que celui de leurs adversaires. Nos rêves de grandeur personnelle nous rendent souvent aussi petits que nos contradicteurs. Mais en nous trompant pour nous trouver beaux, nous servons la cause du faux. Le jour venu, si nous en avons le cran, nous marcherons dans les pas de Soljenitsyne. En attendant, faute de mieux, contentons-nous de faire preuve de sobriété, contrairement à M. Dupond-Moretti.

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Derrière l’horizon…

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Le journaliste et écrivain français Jean-René Van der Plaetsen © ISA HARSIN/SIPA

Jean-René Van der Plaetsen se fait à la fois moraliste et conteur, sensuel et patriote, mondain et fraternel dans un recueil de nouvelles La vie à contre-courant qui paraît le 1er octobre aux éditions du Rocher…


On est toujours un peu fébrile et impatient quand on aborde des nouvelles. Y aura-t-il une continuité dans l’éparpillement des textes ? Une forme de cohérence ou un désaxage ? Un ton, une ambiance, un décor, une couleur ? Surtout quand ces textes s’étendent sur une si longue période, certains datent du siècle dernier, 1989 et d’autres sont du millésime 2025. L’homme et l’écrivain partagent-ils les mêmes doutes sur l’existence ? L’apprenti journaliste, hussard d’esprit et de style, a-t-il encore quelque chose à voir avec l’installé directeur délégué de la rédaction du Figaro Magazine ? Le poids des années a-t-il effrité, érodé cette mélancolie qui est la marque des moralistes lisibles ? La réussite professionnelle est-elle un frein à la veine créatrice ? Je me posais toutes ces questions avant d’entamer la lecture de La vie à contre-courant qui paraît mercredi prochain dans les librairies.

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Jean-René Van der Plaetsen, auréolé du Prix Interallié et Grand Prix Jean Giono n’est pas homme à tanguer, à varier, à trahir ses élans du passé et à brader l’Histoire de France pour une gamelle ou une prébende. Je l’ai retrouvé tel quel, droit et romantique, dans toute sa panoplie qui va du nostalgique lucide au pasteur bambocheur. Une raideur apparente qui est le voile des pudiques et le sel de la vraie littérature. Comme tout bon militaire, Jean-René est un sentimental qui se contrôle, qui n’a pas peur de ses émotions ; tout en les canalisant, il leur offre un bon de sortie. Il ne ferme aucune porte à l’aventure, à l’incongru, au magique, tout le contraire d’un bourgeois encrouté et fat. Chez Jean-René, on retrouve ce vieux fond de culture qui nous fait tellement défaut aujourd’hui et qui est attaqué par les salisseurs de mémoire. Mais le figer dans la réaction, dans la posture de l’ordre, dans une certaine classe sociale serait une erreur de jugement. Une idiotie. Jean-René est à l’image de ces officiers de terrain qui ont beaucoup côtoyé les hommes, les diplômés du dernier rang et les fils de famille. Dans ce recueil d’automne, on croise les fantômes, les marottes de l’écrivain, une Polonaise tentatrice, des grognards, des chauffeurs de taxi, des dîners mondains, l’illusion de Paris, le Liban, la Normandie, la Coloniale, l’île d’Arz, un adjudant qui marche et qui offre sa vie, une table ripailleuse, un Famas « tiède et bien huilé », des flacons qui scintillent dans la nuit, des demeures ancrées et la vacuité du monde moderne. Jean-René est un antimoderne qui n’a pas le cœur sec. Il s’enthousiasme pour un galon, une bataille perdue, une jambe soyeuse, un amour impossible et la Légion étrangère. Il est traversé par un courant alternatif, très agréable pour le lecteur qui reste en permanence sur le qui-vive, à la fois une forme de classicisme faussement désinvolte et des emballements sincères. Ses héros cabossés, en transit ou en bout de course, sont des hommes seuls, colonel en colère, Russe blanc, célibataire endurci, rebelle et anticonformiste. Cet écrivain-là n’est pas monolithique.

A lire ensuite: Question de vie et de More

Éric Neuhoff, dans sa tendre préface, a eu le nez creux de lui mettre le pied à l’encrier. Ce que j’aime particulièrement dans cette série de nouvelles, c’est cet assemblage peu courant, un constat implacable sans le dégoût de la vie. Jean-René n’est pas un écrivain misanthrope, comme si le jeune sexagénaire n’avait rien oublié de sa fougue d’antan, de ses errements de jeunesse, comme s’il était prêt à croquer le fruit défendu alors que ses personnages ont vu tant de malheurs émailler leur vie. Jean-René est un inclassable. Il a puisé et façonné sa propre veine dans plusieurs sources. Il a retenu les leçons de netteté et d’onctuosité de Blondin, de provincialisme assumé chez Tillinac, j’entrevois également un compagnonnage avec les biffins de Jacques Perret, et puis le goût de mêler l’Historie à la psychologie cher à Déon et peut-être étrangement, un cousinage avec François Nourissier. Un attachement à l’homme coincé, au dissident, à celui qui ne communie pas avec la foule, et pourtant, toujours vivace, l’attrait de la beauté d’une femme, d’une maison, d’un foyer, d’un bonheur à portée de main et inatteignable.

Je me rends compte que je ne vous ai pas encore fait entendre cette voix singulière. Le plaisir de la formule racée est la matrice de ce recueil. Jean-René devrait penser à compiler ses maximes : « On ne fréquente pas sans s’infecter la littérature », « il y a une littérature des taxis », « Mon regard s’alanguirait souvent si les femmes ne parlaient pas tant » et ce sublime : « Aujourd’hui encore, on retrouve dans les mentalités iledaraises quelques réminiscences de ce matriarcat qui fonctionnait parfaitement ».  


La vie à contre-courant de Jean-René Van der Plaetsen – édition du Rocher. 200 pages

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Le quart de Pépère

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Chipilly (80) © Philippe Lacoche

Chaque semaine, Philippe Lacoche nous donne des nouvelles de Picardie…


Je me rends compte que je ne suis qu’un cachottier, lectrices et lecteurs adorés. Dans ma dernière chronique consacrée à notre balade, ma Sauvageonne et moi, aux étangs de Méricourt, je ne vous avais pas tout raconté. En effet, nos pérégrinations ne se sont pas arrêtées à la rencontre, sur le chemin de retour, avec le sympathique pêcheur, généreux donateur de la perche éléphantesque capturée dans la vieille Somme. Est-il nécessaire de le rappeler ? Vous le savez, ma Sauvageonne adorée est pleine de ressources et de curiosité. Alors, quand nous traversâmes le village de Chipilly, son attention toujours en éveil fut attirée par le monument aux morts. « Regarde, vieux Yak ! Comme c’est étrange et comme c’est beau ! » fit-elle de sa voix de Brigitte Bardot pleine de sensualité. Elle n’avait pas tort. Le monument représente un soldat britannique en train de consoler son cheval blessé. Comme le souligne le panneau explicatif, à la fin de la Première Guerre mondiale le cheval est traité en véritable héros. D’autres œuvres l’honorent à travers le monde : un cheval en bronze grandeur nature et son soldat lui offrant à boire, à Port Elisabeth en Afrique du Sud ; un cheval s’abreuvant, monument en l’honneur de la 66e division, au Cateau ; une statuette de cheval en bronze, dans l’église St-Judes à Hampstead, dédicacée aux 375 000 chevaux morts à la guerre. Il ne faut jamais oublier : « Nombre d’événements de la Grande Guerre 14-18 a eu pour théâtre la Picardie », est-il encore écrit sur le bienvenu panneau. « Les soldats des armées britanniques et de tout le Commonwealth se sont battus sur le front de la Somme. En 1916, la Bataille de la Somme a provoqué la mort de 107 000 d’entre eux (le chiffre approximatif des pertes étant de près de 500 000 personnes). Après la guerre, ce sont 127 000 sépultures réparties entre 230 cimetières et carrés militaires ainsi que de nombreux monuments qui furent édifiés en hommage aux disparus. » Le monument de Chipilly, lui, a été érigé en l’honneur de la 58e division britannique, la London Division. L’artiste, auteur de l’œuvre est le sculpteur français Henri-Désiré Gauquié (1858-1927). Alors que je contemplais et photographiais dans tous les sens la magnifique création, je me mis à penser à mon grand-père paternel, Alfred Lacoche (je le surnommais Pépère) qui combattit dans la Somme pendant la Grande Guerre. Blessé à deux reprises, il repartit à chaque fois au front. Lorsqu’il rentra du grand carnage, il jura de ne plus manger un gramme de viande de cheval. « Ils nous ont rendu tant de services dans les tranchées », racontait-il. En 2009, lorsqu’on me demanda d’écrire le scénario d’une bande dessinée et que je m’associais au si talentueux Serge Dutfoy, pour l’album collectif Cicatrices de guerre (s) paru aux éditions La Gouttière, ce fut à lui, à Pépère, que je pensais. Et nous nous mîmes, Serge et moi, à raconter un épisode de sa vie : à la fin de sa longue existence, tous les dimanches matins, en compagnie de ma grand-mère, il se rendait chez nous, dans la maison familiale, au 14 de la rue des Pavillons, à Tergnier, petite ville ferroviaire de l’Aisne. Comme Pépère tremblait, mon père le rasait. Dans un cabas de cuir, il apportait son blaireau, le savon à barbe et le quart, le vieux quart qu’il avait ramené des tranchées de la Somme quand il combattait nos bons amis d’Outre-Rhin. Pépère s’asseyait ; mon père attrapait le rasoir, faisait mousser le savon et opérait, tel un barbier professionnel. Parfois, mon grand-père laissait échapper quelques souvenirs. Il se souvenait de ses copains, tombés à ses côtés ; il se souvenait de la bravoure des soldats britanniques. Il se souvenait de la boue. Des chevaux embourbés qu’il fallait abattre d’une balle dans la tête pour qu’ils ne souffrissent pas car on ne pouvait pas les dégager. Il nous parlait parfois de l’attaque du Bois de Maurepas, en août 1916, au cours de laquelle il avait été blessé par un éclat d’obus. La lame passait et repassait sur ses joues ridées. Son regard se perdait dans le vague, dans l’onde d’une infinie tristesse. Je tentais de comprendre ce qu’il ressentait ; je n’avais que l’image. Pas le son émis par sa mémoire. Ce dernier devait se composer de fracas, de canonnades et de cris. A sa mort, mon grand-père a donné le quart à mon père. Au décès de ce dernier, j’en ai hérité. Il est aujourd’hui bien protégé dans un meuble de ma cuisine. Quand un flot de mélancolie ou de désespoir me submerge, je le regarde. Je pense à Pépère, aux tranchées de la Somme, à la souffrance indicible des Poilus. Alors mes petits soucis disparaissent comme par magie.

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Peut-on être un golden boy et gauchiste?

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Matthieu Pigasse reçu sur France 2 par la journaliste Caroline Roux. Capture d'écran.

L’homme d’affaires Matthieu Pigasse était récemment invité sur France 2 à une heure de grande écoute pour commenter la crise budgétaire et l’instabilité politique. Il affirme défendre des idées politiques à l’opposé de ses intérêts financiers.


Le jeudi 11 septembre, sur France 2, la journaliste Caroline Roux a reçu dans son émission « L’Événement » l’homme d’affaires Matthieu Pigasse, qu’elle présente ainsi : « Vous êtes président du groupe de médias Combat, vous êtes aussi banquier d’affaires et à ce titre vous avez conseillé certains gouvernements pendant la crise financière, notamment en Grèce. Vous êtes assez rare à la télé, vous prenez rarement la parole. Je vous remercie d’être là[1]. » Sans doute contrainte par le temps, Mme Roux a omis d’évoquer le parcours politique de son invité, de préciser ce qu’est son groupe de médias Combat et d’indiquer le nom des organes de presse et des agences culturelles qu’il « contrôle » afin de combattre « la droite radicale », selon son propre aveu[2]. Réparons cette erreur.

Viva la revolución !

Énarque influencé à l’époque par Jacques Attali, M. Pigasse est nommé, en 1998, conseiller technique du ministre de l’Économie et des Finances de l’époque, Dominique Strauss-Kahn, puis directeur adjoint du cabinet de son successeur, Laurent Fabius. Il se lance ensuite dans une carrière dans le privé de haut vol. Il est recruté en 2003 par la banque Lazard où il gravit les échelons jusqu’à devenir le responsable mondial des activités de fusions et acquisitions. Il démissionne après 16 ans de bons et lucratifs services. Co-directeur d’une banque d’investissement, membre des conseils d’administration de différentes entreprises, M. Pigasse consacre une partie de son énergie et de ses finances à la construction de ce qu’il espère être un jour un empire médiatique au service de ses opinions. Dans un entretien donné au magazine GQ en 2015, il brosse de lui-même le portrait d’un révolutionnaire qui « vomit l’aristocratie », d’un ancien punk prêt à « renverser la table » et à « mettre le feu », rien de moins. Rappelons quand même que ce révolutionnaire exalté a fait partie des « Young leaders » repérés et formés par la French-American Foundation, qu’il a organisé la vente de Libération à Édouard de Rothschild en 2005, a participé aux travaux de Terra Nova dès sa création en 2008, a ensuite échafaudé avec la Banque Lazard de très juteuses opérations de conseils auprès de gouvernements sud-américains et de nombreuses entreprises françaises et étrangères. De quoi fomenter une révolution aux petits oignons, et à l’abri du besoin.

A lire aussi: La dérive climato-gauchiste de Monique Pinçon-Charlot

M. Pigasse fonde le groupe de médias Combat en 2009. Il rachète Radio Nova, une radio essentiellement musicale qui, en 2024, récupèrera les comiques gauchistes Guillaume Meurice et Aymeric Lompret, anciennes gloires de France Inter. Il reprend Les Inrockuptibles, magazine culturel qui n’intéresse personne hormis Virginie Despentes, les étudiants hébétés de Paris 8 et les militants « déconstructivistes » de Sciences Po, puis Cheek, un média féministe qui se targue de cibler les jeunes femmes « actives et urbaines ». Pour achever de décerveler une jeunesse crétinisée par le wokisme et l’islamo-gauchisme, Matthieu Pigasse fait l’acquisition de « Rock en Seine », un festival musical qui, lors de sa dernière édition, a accueilli Kneecap, un groupe irlandais introduisant et concluant ses concerts aux cris de « Free, free Palestine » et dont l’un des membres est poursuivi par la justice britannique pour s’être couvert d’un drapeau du Hezbollah, organisation classée terroriste au Royaume-Uni, lors d’un concert à Londres en 2024 – rien qui puisse gêner un public habitué à arborer keffiehs et drapeaux palestiniens en toute occasion. L’écologisme faisant partie des idéologies qui ont sa faveur, M. Pigasse s’est approprié « We Love Green », un festival censé allier événement musical et respect de l’environnement, et qui a de surcroît, selon son propriétaire, « le métissage comme horizon » (tweet du 25 juillet). Après avoir écouté les daubes musicales les plus affligeantes du moment, les festivaliers sont invités à participer à des tables rondes sur la transition écologique, à écouter des conférences organisées par Le Monde, à applaudir « des humoristes engagés, qui ont trouvé par le rire une nouvelle manière d’éveiller les consciences » et à se restaurer « sans bouffer la planète, en mode végé ». Enfin, histoire de parachever son œuvre d’abrutissement de la jeunesse, le golden boy a créé Golden Coast, le premier festival de rap en France. 

Le système a aussi du bon…

Sur le site de Combat, on peut lire : « Combat s’engage pour une société ouverte et mixte, pour un avenir responsable et humaniste, en opposant l’exemple à la puissance, avec la volonté d’interroger en permanence par l’expression libre et le débat d’idées l’action des un.e.s et des autres. » Certains lecteurs ne maîtrisant pas la novlangue gauchiste, il nous faut traduire ce texte : « Combat s’engage pour une société multiculturelle, pour un avenir écologiste et totalitaire, en s’appuyant sur la puissance d’une caste ayant la volonté d’empêcher l’expression et les idées de ceuzetceusses qui contredisent son projet progressiste. » C’est plus clair comme ça, non ?

M. Pigasse est également actionnaire du Groupe Le Monde qui comprend, entre autres, Le Monde, Le Nouvel Obs et un magazine télévisuel devenu la quintessence d’une certaine presse atteinte de gauchisme chronique et de wokisme aigu, j’ai nommé Télérama. Tous ces journaux reçoivent de somptueuses subventions publiques. [En 2024 : Le Monde, 7,8 millions d’euros ; Le Nouvel Obs, 1,6 million ; Télérama, 5 millions[3].] L’esprit révolutionnaire semble s’accommoder d’un système récompensant la presse aux ordres d’une caste qui ne rêve que de détruire la France.

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En 2015, Pierre-Antoine Capton, Xavier Niel et Matthieu Pigasse fondent Mediawan, groupe créant et produisant des contenus audiovisuels. Mediawan produit de nombreuses émissions du service public, entre autres « C à vous », « C L’hebdo » et… « C dans l’air », l’émission qu’anime… Caroline Roux. Le jeudi 11 septembre, c’est donc en quelque sorte son patron qu’a complaisamment interviewé la journaliste. Cette subordination est confirmée sur le site de Mediawan, la rubrique Production/Flux étant illustrée par une photo de groupe réunissant des journalistes de la télévision publique (Caroline Roux, Anne-Élisabeth Lemoine, Aurélie Casse et Faustine Bollaert). Il eût été normal d’en avertir les téléspectateurs, vu que c’est avec leur argent que France TV rétribue Mediawan, entreprise médiatico-culturelle au service de la gauche et des ambitions politiques de M. Pigasse. « Un jour je ferai de la politique et je serai président de la république » aurait-il avoué à Alain Minc qui ajoute : « Cinq ans plus tard, un certain Emmanuel Macron me fera exactement la même confidence[4]. »

Bien que montrant des signes de détestation les uns envers les autres au fur et à mesure que le temps passe et que de vieilles rancunes refont surface, MM. Pigasse, Attali ou Macron font partie du même monde, celui des élites déconnectées de la réalité, éloignées des préoccupations de leurs concitoyens, avides de pouvoir et prêtes à tout pour parvenir à leurs fins financières, idéologiques ou politiques. Il faut entendre, lors d’une émission sur France Inter[5], Matthieu Pigasse – directeur de la branche française de Centerview Partners, une banque d’investissement spécialisée dans des activités de conseil aux gouvernements, surtout africains, aux entreprises et aux fonds d’investissement – dénoncer « le capitalisme libéral » et l’accuser d’être « la plus grande machine à créer des inégalités jamais inventées », pour concevoir le degré de cynisme et d’hypocrisie dont sont capables les éminents représentants d’un système financier ne reculant devant rien pour s’engraisser et grâce auquel ils se sont enrichis.

Macron et Bolloré, ses ennemis préférés

Il y a dix ans, sont parus, à quelques mois d’intervalle, deux livres intitulés Révolutions et Révolution. Le premier était signé Matthieu Pigasse, le second, Emmanuel Macron. Lorsque des banquiers d’affaires se mettent à utiliser le mot « révolution », à porter en bandoulière leur présumé humanisme et à louanger le peuple avec des trémolos dans la voix, il y a anguille sous roche ou, comme l’écrit Jean-Claude Michéa, loup dans la bergerie[6]. Les socialistes ont sorti de sa tanière argentée Emmanuel Macron, lequel, après avoir trahi François Hollande, a récompensé les plus méritants, donc les plus intrigants et les plus arrivistes d’entre eux, en leur octroyant d’éminentes fonctions dans nos institutions étatiques et plusieurs de ces postes inutiles mais lucratifs qui encombrent notre dispendieuse administration publique. M. Pigasse, après avoir été un socialiste strauss-kahnien, penche aujourd’hui vers la gauche de la gauche. Le parcours fut sinueux. Le banquier libéral s’est métamorphosé en chantre de l’étatisme. Les réceptions guindées de la haute bourgeoisie financière ont laissé place aux cocktails bobos de la gauche médiatique et aux événements branchés de la gauche culturelle. Le riche bourgeois a encouragé la presse à brosser de lui le portrait d’un homme foncièrement de gauche, un peu punk sur les bords, déterminé à remettre en cause ses privilèges et ceux des bénéficiaires de ses conseils, à renverser la table des riches pour redresser la France des pauvres. Soutien du NFP côté Insoumis, le gauchiste doré sur tranche dénonce sur X « l’islamophobie d’État [qui] tue » et soutient la taxe Zucman. Il s’enflamme au micro de France Inter : « Il faut commencer à préparer à tout péter[7]. » M. Pigasse ne s’est visiblement pas aperçu que les Français qui subissent l’insécurité, les émeutes, l’immigration massive, le narco-trafic, les défaillances de leurs services publics et sociaux, l’islamisation rampante ou la pauvreté généralisée, ne supportent plus ces discours pseudo-révolutionnaires qui ne résolvent rien et ne semblent destinés qu’à ceux qui, d’une manière ou d’une autre, ont participé à la mise à sac du pays.  

A lire aussi, du même auteur: Mercato du PAF: on prend les mêmes et on recommence…

En 2023, M. Pigasse affirmait à la radio être l’anti-modèle de Vincent Bolloré : « Je considère qu’un actionnaire d’un groupe de médias n’a pas à faire passer des messages à travers ses médias. » Deux ans plus tard, changement de ton dans Libération : « Je veux mettre les médias que je contrôle dans le combat contre la droite radicale. » L’homme d’affaires se targue de ne jamais travailler avec « Vincent Bolloré ou avec des proches de sa sphère d’influence » et se félicite d’avoir appelé à voter pour le NFP. « Ouvert » et « progressiste », il exècre Elon Musk, Donald Trump et… la droite nationale, auxquels il reproche, entre autres, de ne pas être assez écologistes et de faire obstacle à la liberté sexuelle et la liberté de genre. M. Pigasse est en vérité un pur produit des élites décrites par Christopher Lasch[8]. L’idéologie du progrès est devenue le vecteur principal du libéralisme moderne, la « philosophie politique » des élites qui voyagent (M. Pigasse se vante de prendre l’avion plusieurs fois par semaine pour se rendre à l’étranger), persiflent les us et coutumes de leurs compatriotes, s’accommodent d’une langue internationalement massacrée, se défient de plus en plus des liens d’appartenance à la famille, au voisinage, au village, à la nation… Celles qui sont attirées par les plus hautes fonctions de l’État ne le sont plus que pour assouvir des ambitions carriéristes et nullement pour défendre des notions qu’elles jugent dépassées, comme la souveraineté d’un pays ou l’intérêt national. « Peuple » est un mot qu’elles utilisent peu, qui ne leur sert que de slogan au moment des élections. Leur adhésion aux idéologies progressistes actuelles, du wokisme à l’ouverture des frontières en passant par l’écologisme, est totale. M. Pigasse a mis sa fortune au service de ces doctrines mortifères. La jeunesse abrutie par le rap et Aya Nakamura est la même que celle qui se teint les cheveux en bleu, se déclare non-binaire et crie « Free Palestine » tout en ignorant où se trouve le Jourdain – le banquier gauchiste a créé des « événements culturels » à la hauteur de sa bêtise hargneuse. Actionnaire d’une presse à sa main, il a discrètement infiltré des médias publics qui partagent avec lui la même idéologie progressiste et la même haine d’une extrême droite fantasmée.

Les dirigeants de Radio France et de France TV ont beau actuellement le nier, l’audiovisuel public est à la solde d’une caste médiatico-politique revendiquant un bouleversement total de notre société, l’effacement progressif des mœurs, la déconstruction de l’histoire ou de la langue d’un peuple lui-même remplacé par un inquiétant conglomérat multiethnique. Tous les Français paient pour la propagande de cette caste qui ne leur veut aucun bien. Il serait peut-être temps que cela cesse.  

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[1] https://www.france.tv/france-2/l-evenement/7519802-instabilite-politique-crise-budgetaire-la-republique-va-craquer.html

[2] https://www.liberation.fr/economie/medias/matthieu-pigasse-il-y-a-une-connivence-entre-les-dirigeants-de-grandes-entreprises-et-lextreme-droite-20250111_S7KPYZ6JX5FRHCSHA3ZYQTYZCQ/

[3] Site du ministère de la Culture. Tableau des titres aidés en 2024.

[4] https://www.vanityfair.fr/pouvoir/politique/articles/article-mag-matthieu-pigasse-dr-money-mr-cool/55517

[5] Bistroscopie, 23 décembre 2023.

[6] Jean-Claude Michéa, Le Loup dans la bergerie, 2018, Éditons Climats.

[7] https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/bistroscopie/matthieu-pigasse-en-2024-on-commence-a-tout-faire-peter-5730243

[8] Christopher Lasch, La Révolte des élites, 1996, Éditions Climats.

Le pari de l’étranger

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Le leader d'extrème gauche Jean-Luc Mélenchon photographié à Paris le 1er mai 2025 © Chang Martin/SIPA

Nouveau peuple et vieilles complaisances internationales


Lors de la présentation, le 16 septembre à Paris, de l’ouvrage collectif Nouveau peuple, nouvelle gauche, publié par La France insoumise, la militante racialiste aux 17 frères et sœurs et trois mères, Assa Traoré, participait à une table ronde sur « les conditions d’une victoire politique du peuple au 21e siècle1 ». Interrogée sur sa présence dans cet aréopage mélenchoniste, composé notamment de Clémence Guetté, Éric Coquerel et Mathilde Panot, la jeune femme a expliqué : « Si nous sommes là [le comité Adama], c’est que, politiquement, ils ne peuvent pas faire sans nous. » Quand il s’agit de « phosphorer », LFI fait confiance aux talents de nos territoires et cela fait grand plaisir à voir !

Assis sur un tas d’or, avec près de 6 millions d’euros d’aides publiques reçues en 2025 grâce à ses bons résultats électoraux, le parti islamo-gauchiste ne se contente pas de frayer avec les forces vives de banlieue. Il cherche aussi l’inspiration au-delà des frontières, quitte à aller trouver ses idées auprès des régimes les plus épouvantables de la planète. En marge des universités d’été du parti, la député Sophia Chikirou, de retour d’un voyage en Chine, a ainsi déclaré au micro de l’émission « Quotidien » : « Je ne considère pas que la Chine est une dictature. […] La liberté d’expression en Chine est aussi menacée que celle qu’on a en France. » Face à la polémique, Mme Chikirou s’est ensuite énervée sur son blog : « Ne vous fiez pas aux montages vidéo truqués de Quotidien et méfiez-vous des perroquets atlantistes. » On sait par ailleurs que l’élue a relayé sur Instagram, il y a un an, un hommage controversé à Ismaël Haniyeh, le chef du Hamas, avant de l’effacer.

A lire aussi: La dérive climato-gauchiste de Monique Pinçon-Charlot

Quant à Mélenchon, il a dénoncé le dalaï-lama comme un autocrate prônant selon lui une « version tibétaine de la charia » et estimé que Taïwan devait revenir dans le giron de Pékin. Autre petit détail : si l’ancien sénateur de l’Essonne tempête tous les jours contre le « génocide » à Gaza, il observe des pudeurs de gazelle quand on le questionne au sujet du sort des Ouïghours. Après avoir vu les panneaux solaires chinois écraser leurs concurrents européens, les Insoumis seront sûrement ravis de rouler en voiture électrique made in China. C’est que la « Nouvelle France » n’a pas tant besoin d’ouvriers que d’immigrés ! Par ailleurs, l’admiration de Mélenchon pour Fidel Castro, Hugo Chávez ou Nicolás Maduro est bien documentée de longue date. Sans oublier que cet été, son ancien chauffeur, désormais député, Sébastien Delogu, a choqué en critiquant la France à la télévision algérienne, sans un mot pour Boualem Sansal ou Christophe Gleizes, injustement emprisonnés par la dictature militaire. La complaisance des Insoumis envers Poutine, ou leur hostilité récente vis-à-vis de Zelensky, ont également surpris : ils dénient à ce dernier toute légitimité au prétexte que l’Ukraine n’a pas organisé d’élections depuis 2022. Auraient-ils dit la même chose de Churchill, resté au pouvoir jusqu’en 1945 malgré des scrutins reportés ?

Enfin, lorsque des têtes de cochon ont été déposées devant des mosquées, début septembre, M. Coquerel a reproché à Bruno Retailleau de minimiser des faits « islamophobes ». Mais l’enquête a rapidement révélé qu’il s’agissait d’agents provocateurs venus de Serbie. Quel odieux extrémiste, parmi nos lecteurs, vient-il de crier : « parti de l’étranger ! » ?

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  1. https://institutlaboetie.fr/conf-lancement-nouveau-peuple-nouvelle-gauche-20250916/ ↩︎

Guinée: un référendum pour renforcer le régime

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Le chef de l'État Mamadi Doumbouya (avec la caquette et les lunettes de soleil) et son épouse Lauriane au bureau de vote à Conakry, le 21 septembre 2025 © Misper Apawu/AP/SIPA

Le référendum du 21 septembre a donné une nouvelle Constitution à la Guinée (Guinée Conakry). Loin d’assurer le pluralisme, ce texte renforce les pouvoirs du gouvernement militaire et écarte les oppositions.


« Nous ne ferons pas partie de l’après-transition. Nous ne passerons pas un jour de plus à l’issue des 24 mois de la transition. » Ces mots, prononcés par Mamadi Doumbouya en 2023, résonnent aujourd’hui comme un serment trahi. Car ce 21 septembre 2025, loin de préparer son départ, le chef de la junte a soumis aux Guinéens une nouvelle Constitution qui lui ouvre la voie vers une présidence prolongée. Derrière l’habillage solennel d’une « refondation de la République », le référendum organisé le week-end dernier n’aura été qu’un instrument de légitimation destiné à sacraliser l’accaparement du pouvoir par l’ancien caporal de la Légion étrangère, devenu chef d’État…

Modification des institutions du pays

Le texte adopté modifie en profondeur l’architecture institutionnelle du pays. Il allonge la durée du mandat présidentiel de cinq à sept ans, renouvelable une fois, ce qui offre au chef de l’État une perspective de longévité accrue. Il crée un Sénat censé incarner une nouvelle chambre de réflexion, mais dont un tiers des membres sera nommé directement par le président, amputant d’avance toute velléité d’indépendance. Plus encore, il efface l’une des dispositions phares de la Charte de transition de 2021: l’interdiction faite aux membres de la junte militaire de se présenter aux élections. Cette suppression change tout. Elle autorise désormais Mamadi Doumbouya à briguer légalement la magistrature suprême, lui qui avait juré, en 2021, que les militaires n’étaient que des gestionnaires provisoires et ne chercheraient pas à se maintenir. L’histoire retiendra que la promesse n’a pas duré plus que le temps de se consolider au pouvoir.

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Les chiffres officiels paraissent flatteurs: plus de 70% de participation parmi les 6,7 millions d’électeurs inscrits, et un « oui » triomphal au-delà de 90%. Mais ces données brutes masquent une réalité autrement plus complexe. Car l’opposition, de Cellou Dalein Diallo à Alpha Condé, avait unanimement appelé au boycott, dénonçant un « simulacre de démocratie ». Leurs partis avaient été suspendus ou paralysés par des restrictions administratives. La campagne s’est déroulée sans eux, dans un espace public verrouillé, où radios indépendantes et sites d’information avaient été réduits au silence. Le climat de peur et la surveillance omniprésente des urnes ne laissent guère de doute sur la sincérité du scrutin. Plus qu’un vote libre, il s’agissait d’une mise en scène visant à conférer une légitimité populaire à un processus déjà décidé dans les casernes.

Un régime à la dérive

Au-delà de l’ingénierie constitutionnelle, ce référendum s’inscrit dans une trajectoire où la corruption généralisée est devenue le véritable ciment du régime. L’exemple du projet minier de Simandou illustre cette dérive : en 2024, des révélations de presse ont affirmé qu’une entreprise chinoise impliquée dans l’exploitation du gisement avait versé 75 millions de dollars directement à M. Doumbouya. Le colonel-président, qui s’était présenté en chevalier de la probité, a reproduit à l’identique les méthodes de ses prédécesseurs. L’opacité des contrats, l’enrichissement de la garde rapprochée et la distribution des marchés à des affidés traduisent moins une rupture qu’une continuité dans le pillage des ressources nationales.

Cette réalité s’impose crûment à Conakry : selon les statistiques nationales, seulement 44,1% de la population guinéenne dispose d’un accès à l’électricité, et en milieu rural ce taux tombe à 19,3%. Même dans la capitale, les coupures sont fréquentes, la fourniture instable et le réseau vétuste. En 2023, la production nationale d’électricité atteignait environ 4 048 GWh pour une capacité installée de 1 060 MW, dont une large part provient de l’hydroélectricité. Sur le plan hydrique, la fracture reste colossale : en 2023, 32,1% des Guinéens n’avaient pas accès à une eau gérée de manière sûre, et seuls 13,7% de la population bénéficiaient d’un assainissement de qualité. Selon la Banque mondiale, 63% de la population rurale vit en situation de pauvreté, contre 22% dans les zones urbaines, tandis que le taux de pauvreté global est passé de 46,6% en 2018 à environ 51,4% en 2023.

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Dans le même temps, l’État guinéen tire une part significative de ses revenus des secteurs miniers: la Guinée exporte des minerais pour lesquels le secteur minier représente environ 80% des exportations du pays. Pourtant, ces richesses sont captées par une minorité proche du pouvoir, et très peu redistribuées en infrastructures ou services publics.

Il n’est plus question ici de simples contrastes : ces chiffres témoignent d’un déséquilibre structurel. Tandis que des quartiers résidentiels s’ornent de villas et que des cortèges de 4×4 escortent les élites, la majorité reste plongée dans l’obscurité — littéralement et symboliquement — attendant que l’État livre ce qu’il prétend garantir mais refuse de concrétiser.

Dérive autoritaire

Le référendum du 21 septembre n’est pas une rupture mais l’aboutissement d’une dérive autoritaire engagée dès 2021. Le FNDC, mouvement citoyen qui avait incarné la résistance au troisième mandat d’Alpha Condé, a été dissous sans ménagement. Ses leaders, comme Foniké Menguè ou Billo Bah, ont été emprisonnés ou réduits au silence. Amnesty International et Human Rights Watch ont documenté des dizaines de morts lors de manifestations dispersées par balles à Conakry, Labé ou Nzérékoré. La presse, elle aussi, vit sous la férule: radios suspendues, journalistes intimidés, sites d’information bloqués. À l’extérieur, la situation inquiète. Une plainte pour complicité de torture et homicides volontaires a même été déposée en France contre Doumbouya dès 2022, rappelant que les atteintes aux droits humains ne passent plus inaperçues.

Les réactions internationales à ce référendum sont à l’image des équilibres régionaux: prudentes mais fermes. L’Union africaine a exprimé sa « préoccupation » face à une transition qui ressemble désormais à une présidence à vie déguisée. La CEDEAO, déjà secouée par les coups d’État successifs au Mali, au Burkina Faso et au Niger, a dénoncé un « détournement du processus de transition » et menace de sanctions ciblées le pays si un calendrier électoral crédible n’est pas rapidement annoncé. L’Union européenne évoque un « recul préoccupant de l’État de droit », tandis que Washington parle plus directement d’une « confiscation du processus démocratique ». Le risque est de voir la Guinée rejoindre la catégorie des régimes autoritaires assumés.

La Constitution, loin d’être un outil d’émancipation collective, devient un instrument de pouvoir personnel. À force de confondre la République avec son uniforme, le président risque de n’apparaître que comme caporal devenu despote.

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Macron et la Palestine: entre sincérité et naïveté

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Le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi et le président français Emmanuel Macron visitent l’hôpital d’El-Arich dans le nord du Sinaï, où sont soignés des patients palestiniens, à une cinquantaine de kilomètres de Gaza, le 8 avril 2025 © Eliot Blondet -Pool/SIPA

Retour sur le discours historique du président Macron à l’ONU et la reconnaissance de la Palestine


Ce lundi 22 septembre, Emmanuel Macron à la tribune des Nations Unies devait penser que sa vocation n’était désormais plus tellement de présider la France, ce pays ingouvernable, que de réparer le monde. Lui qui n’a aucune expérience militaire, finissait son discours, dont je vais essayer de suivre l’argumentation, par une réflexion sur la guerre destinée à une délégation israélienne ostensiblement absente : «La paix est beaucoup plus exigeante, beaucoup plus difficile que toutes les guerres. Mais le temps est venu…» Il est facile d’exiger pour autrui ce qu’on n’a pas besoin de s’imposer à soi-même. À la France, Emmanuel Macron ne faisait courir aucun risque. Pour Israël, qui fait face à un ennemi entièrement voué à sa perte, il jouait avec sa survie…

Droit à l’erreur

Le président français prétend bâtir la paix. Qui pourrait ne pas souscrire à un tel objectif ? Mais le diable n’est pas dans le projet, il est dans les détails et ceux-ci ont de quoi laisser sceptiques des Israéliens qui n’ont pas le droit à l’erreur.

Le Hamas est déjà vaincu sur le plan militaire, dit le président comme si cela était un acquis définitif et un résultat qui n’aurait guère demandé d’effort à Israël. Il reste à le vaincre sur le plan politique et ce travail difficile, Emmanuel Macron veut en être le maitre d’œuvre. D’ores et déjà, dit-il, la reconnaissance de la Palestine par la France est une défaite du Hamas: message à envoyer à l’organisation terroriste qui ne l’avait probablement pas compris ainsi quand elle s’est réjouie de l’initiative française. Il s’agit de mettre en œuvre un plan de «paix et de sécurité». Dont la première étape, une urgence absolue, consistera à coupler la libération des 48 otages israéliens et la fin des opérations militaires. Pour ce résultat, il suffit, suivant Emmanuel Macron, de compter sur le Qatar et l’Egypte, avec les Etats-Unis en arrière-plan, à condition qu’Israël n’entrave pas leurs efforts. Si tel est le cas, ces préalables devraient être vite réglés, et la France pourrait alors ouvrir son ambassade en Palestine.

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Ensuite, il faudra reconstruire Gaza, une tâche à laquelle s’attèleront l’Autorité palestinienne, dont le président Abbas a promis de façon crédible d’adopter un comportement démocratique, efficace et respectueux de son voisin israélien. Quant aux forces de sécurité dont il disposera, elles auront été entrainées par la France et ses alliés, et elles parachèveront le démantèlement du Hamas. Pour parfaire ce travail, Emmanuel Macron envisage une initiative originale: confier à l’ONU une mission de sécurité civile et militaire. Si j’ai bien compris, il s’agirait de faire appel à l’UNWRA dont chacun connait le glorieux palmarès, et de l’associer à une force militaire internationale analogue à la FINUL, cette force d’interposition au Liban qui avait laissé faire le Hezbollah, censé se tenir loin de la frontière.

Si le gouvernement israélien ne s’engageait pas dans un plan si prometteur, la France et l’Europe en tireraient les conséquences sur le plan économique. Actuellement, dit Emmanuel Macron, 142 Etats tendent à Israël une main prête à être serrée. Il ne précise pas si l’Iran est inclus parmi ces Etats…

La sincérité française pas en doute

Je fais partie de ceux qui pensent qu’Emmanuel Macron est parfaitement sincère quand il parle de son admiration pour Israël et quand il fustige l’antisémitisme, mais j’ai été accablé par la naïveté du plan présidentiel. Se fier aux promesses d’une Autorité palestinienne qui a prouvé son incurie (le terme vient d’Emmanuel Macron lui-même), qui n’a cessé de pratiquer le double langage et qui en tout état de cause, si des élections avaient lieu, serait balayée par le Hamas, cela relève de la méthode Coué.

Penser avoir tout compris à la guerre de Gaza parce qu’on a rencontré des victimes, par exemple des Gazaouis réfugiés en Egypte à al-Arich, et adopter le narratif manigancé par une propagande anti-israélienne extraordinairement efficace, témoigne en même temps de présomption et de crédulité.

Ignorer que toute guerre est tragique, qu’une guerre urbaine frappe particulièrement les civils, que ce fut le cas dans la guerre contre Daech où la France était elle-même engagée, que ce l’est encore plus là où les souterrains ajoutent une dimension nouvelle aux opérations mais que jamais un belligérant n’avait encore utilisé la mort de sa propre population comme arme de guerre pour disqualifier l’ennemi, c’est montrer indifférence à l’égard des réalités militaires sur le terrain et aveuglement sur l’objectivité des médias.

Ne pas rappeler dans son discours que la haine anti-israélienne ressassée à longueur de temps dans les sociétés palestiniennes, est associée aujourd’hui à un islam de conquête qui risque de prospérer dans le Gaza nouveau qu’il envisage, c’est, enfin, faire preuve d’une légèreté aux conséquences potentiellement funestes.

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Le président a parlé avec émotion du 7-Octobre, mais il ne semble pas avoir compris que l’horreur du massacre, qui a touché des Israéliens particulièrement attachés à l’idée d’un Etat palestinien, a rendu le soutien à cette idée d’autant plus problématique que chacun a vu l’enthousiasme qu’a suscité cet événement dans les foules palestiniennes.

Il y a bien des arguments juridiques pour être hostile à la reconnaissance de la Palestine. Certains rappellent que dans une période sans gouvernement on ne doit traiter que d’affaires courantes ou urgentes et que cette reconnaissance n’est ni une affaire courante, ni une affaire urgente. D’autres rappellent que l’article IX de l’Accord intérimaire israélo-palestinien de 1995, qu’on appelle Oslo II, interdit à l’autorité palestinienne toute initiative diplomatique. D’autres encore se réfèrent à la réunion de Montevideo en 1933, qui définissait les critères d’un Etat, pour constater que la Palestine actuelle ne les remplit pas. 

Il en est même qui, partisans du grand Israël, signalent que la conférence de San Remo qui  en 1920 a façonné le Moyen Orient après la défaite ottomane, ne parlait pas de foyer arabe en Palestine en même temps qu’elle avalisait la déclaration Balfour.

En ce qui me concerne ces arguments juridiques pèsent peu devant une tragique constatation. Alors que pour les Juifs un second cataclysme émotionnel est survenu à partir du 8 octobre quand ils ont vu se déchainer un antisémitisme contre lequel la frilosité de la réponse judiciaire et politique a été patente, la reconnaissance d’un Etat de Palestine alors que le Hamas n’est pas encore vaincu, suggère que ce massacre a été une bonne idée.

Quoi qu’ils pensent par ailleurs de tel ou tel aspect de la politique israélienne, un tel message est insupportable pour l’immense majorité des Juifs, et, je l’espère, pour la plus grande partie de la population française.

Retrouvez Richard Prasquier au micro de Radio J.

Les hommes préfèrent les trans

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Prostituées sur l'allée de Longchamp, bois de Boulogne © Photos: Quentin Verwaerde.

En pleine période puritaine, le plus grand bordel de France demeure… le bois de Boulogne ! On vient s’y enivrer de sexe, de stupre et, surtout, on vient y chercher les transsexuelles. Objets de fascination et de trouble désir pour les hétéros, elles sont le trésor du bois sur lequel elles règnent. Immersion dans ces folles nuits où les normes sont abolies.


Pour les vacances, certains sont partis à Marbella, Saint-Tropez ou encore à Mikonos. Moi, c’est au bois de Boulogne que j’ai décidé de passer mon été, du moins beaucoup de mes soirées. Et, pour sûr, il a été bien plus fantastique et dépaysant que celui de mes amis. Lorsque j’avais 20 ans, accompagné d’un camarade ou deux, j’y passais certains soirs des heures entières. Nous étions fascinés par ce monde parallèle, par cette ville clandestine engloutie dans les bois, qui éclot au soleil couché, et va fiévreusement jusqu’au petit matin au rythme des désirs les plus brûlants. Quinze ans plus tard, me voici de retour ! Ô bois de tous les fantasmes, tu n’as pas changé. Le monde s’aseptise, et toi tu ne bouges pas. En plein essor du puritanisme, tes seins, tes fesses, tes langues, tes voyeurs et tes exhibitionnistes sont toujours aussi nombreux. Tes moindres recoins puent le sexe à plein nez. À la porte Maillot, c’est encore la vie normale. Mais voilà qu’un panneau d’indication porte ton nom. Je le suis, je tourne à droite. J’aperçois les premiers arbres… nous voilà en zone libre ! Il est 22 H 45. Quelques femmes seules attendent, dès les premiers mètres dans le bois. Rien de spectaculaire. Peu de passage, presque pas de clients. Ce n’est pas ça qu’on vient chercher ici. Les femmes ordinaires se trouvent déjà dans la vie normale. Le trésor est ailleurs. Ce qui attire la foule, c’est un autre type de femmes. Me voilà maintenant sur l’allée de Longchamp, une des plus grosses artères traversant le bois. J’entre dans le vif du sujet. Fenêtres ouvertes je roule et, non loin, déjà résonne la salsa.

À quelques mètres, un groupe de filles danse sur le bord de la route. Les arbres, auxquels elles tournent le dos, sont leur décor. Les transsexuelles latino-américaines ! Plus de 90 % des filles qui travaillent ici sont trans. C’est pour elles que ce lieu vit la nuit. Pour elles que les voitures sont toutes là, si nombreuses et si lentes, se traînant si lourdes, surchargées de désirs. Ces créatures magnifiques et troublantes sont les objets de toutes les convoitises. Des curiosités les plus obsédantes. Avec quelques guirlandes lumineuses de toutes les couleurs accrochées aux arbres, le groupe de six filles s’est délimité son petit pré carré sur sept ou huit mètres. Certaines sont très belles. Deux types latinos, avec de bonnes gueules sympathiques, sont assis avec elles, rient et boivent. Ce sont en général des hommes de leur entourage qui leur tiennent compagnie et leur assurent un minimum de sécurité. Au bois, les filles trans travaillent de leur plein gré et pour leur compte. Les chicas dansent en se partageant une flasque de whisky. Je ralentis devant elles. Les mains passent dans les cheveux, les langues caressent les lèvres, les mains caressent les seins. Je poursuis ma tournée. D’autres prés carrés lumineux se trouvent en bordure de la route. Sur chacun on écoute de la salsa, de la cumbia ou du merengue, et on y parle en espagnol ou en brésilien. Ici, c’est Cali à Paris. C’est Lima à Boulogne. C’est le bois de Rio. Certaines chicas, assises entre elles, sont en train de dîner. Une femme (biologique, pas une trans) plus toute jeune va et vient chaque soir dans le bois avec une poussette pleine de provisions. Elle vend aux travailleuses de la nuit des plats qu’elle confectionne et met en barquette. Un Pakistanais armé de son énorme thermos vend, lui, les boissons chaudes toute la nuit. D’autres vendent des boissons fraîches. Sur environ deux cents mètres, j’ai croisé une bonne trentaine de filles. Toutes trans. Voici le maxi pré carré ! C’est presque un squelette de chapiteau dessiné en guirlande lumineuse, une petite maison. Un air de guinguette ou de fête foraine. Une quinzaine de filles à demi nues s’y trouvent. J’arrive au croisement avec l’allée de la Reine-Marguerite. La plus prisée. Ici, on ne sait plus où donner du regard, les filles sont partout. Des belles, des moins belles, des menues, des pulpeuses, des grosses ! Les voitures ralentissent, s’arrêtent, repartent. Les vitres se baissent, les filles s’approchent. En se penchant seins en avant à hauteur de conducteur, on négocie à la fenêtre. Les phares se croisent, s’éteignent, se rallument. Nous sommes au cœur du bois. C’est ici qu’il bat le plus fort. Sur un peu moins de deux kilomètres, une bonne centaine de filles tapinent. Quel spectacle ! Elles dansent, découvrent leurs seins à la première voiture qui ralentit, envoient des baisers, miment les pipes… « Viens bébé, je te suce… », me dit l’une avec son accent mélodieux. Et tous ces bons hommes cherchent le stupre. Ils cherchent, ils cherchent. Ils hésitent, ils repartent. Puis reviennent ! La tête leur tourne. Dans quelques minutes, ils craqueront. Question de temps. Ils viennent ici dans le secret qu’ils partagent parfois avec un ami ou deux. Des silhouettes d’homme entrent et sortent d’entre les arbres. Un type jaillit de derrière un tronc, referme sa braguette et remonte dans sa voiture, soulagé. À l’intérieur du bois, derrière les premières rangées d’arbres, là où la lumière des réverbères de la route peine à parvenir, des ombres lentes se promènent. Des types cherchent, feignant la promenade. Ici tout le monde n’est pas client. Certains sont voyeurs. Ici, on aime pisser en étant vu. On aime se promener dans la pénombre, bercé par le bruit des ébats ou des « floc-floc d’enculade » comme l’écrivait le grand Copi. Des types se masturbent dans le noir, admirant discrètement les silhouettes des filles et des clients qui remplissent le contrat. Je tourne, je vais et je viens. Il est une heure, la fête bat son plein. La banlieue débarque au bois. La plupart des hommes présents sont plutôt jeunes, et d’origine maghrébine ou africaine. Les « jeunes de banlieue », comme on dit. Ils sont beaux, pour un bon nombre d’entre eux. Ici, au bois, ce n’est pas la caricature du client gros et vieux. Non ! Ceux-là ne sont pas majoritaires. Les jeunes gens des beaux quartiers, moins nombreux, eux aussi sont présents. La jeunesse se promène à pied, l’air de rien, seuls ou en bande de copains, pour trouver ces filles un peu spéciales. Ces femmes qui n’en sont pas tout à fait. Ces filles qui, presque toutes, ont gardé leur sexe d’homme et ne le cachent pas… au contraire. C’est bien la quête de ces jeunes hétérosexuels. Car il faut bien être hétéro pour désirer ces cheveux longs, ces seins si fiers, ces courbes féminines, toute cette féminité exacerbée. Brunes ou blondes, les hommes préfèrent les trans ! La majorité des types que je croise ont moins de 35 ans. On voit même des mineurs aux visages d’ange passer de fille en fille pour discuter, négocier puis, finalement, s’engouffrer dans le bois. Un jeune homme blond, dans les 15 ans, bcbg, s’engloutit timidement dans une camionnette avec une fille d’une cinquantaine d’années. Il est consentant. Il a même payé ! Ses copains l’attendent au bord de la route en discutant et en riant. Certaines filles sont d’une beauté à couper le souffle. Elles savent sourire avec grand charme et vous retourner le cœur en un seul regard. Je décide d’aller faire un tour un peu plus loin pour me changer les idées. Je file route des Lacs-à-Madrid. C’est là-bas que les hommes – parfois mariés, ou du moins souvent hétéros officiellement, un peu pédés refoulés ou bien bisexuels – viennent chercher une furtive aventure homosexuelle. Et c’est gratuit ! J’arrive porte de Madrid. Un petit rond-point. D’un côté le bois, de l’autre les premières maisons du guindé Neuilly. Je prends la route des Lacs. Elle fait environ deux cents mètres et se termine en cul-de-sac. Une petite route toute calme, l’air désert. Je pénètre en pleins phares. Sur la droite le bois, sur la gauche une quinzaine de voitures stationnées les unes derrière les autres le long du centre équestre. Quelques-unes ont allumé leurs phares dès mon arrivée. Elles me font de l’œil ! Je roule au pas, leur faisant face. Dans chaque voiture, un homme attend. C’est le sex-drive. Je ralentis devant chaque véhicule. Les conducteurs me regardent. On ne me fait ni bonjour ni sourire. On attend juste la proposition ! Des vieux, des jeunes, des voitures de luxe, des vieilles poubelles, il y a de tout. Dans le dernier véhicule, un jeune homme à demi allongé sur le fauteuil conducteur se fait sucer par une transsexuelle. Elle relève la tête, je la reconnais. C’est une fille du bois, une prostituée. Elle a dû proposer au client de venir faire la passe ici, chez les pédés, où ils seraient tranquilles. Un homme d’une quarantaine d’années profite du spectacle en regardant par la fenêtre, ce qui ne semble pas gêner le jeune homme sûrement un peu exhibitionniste. Je fais demi-tour. J’aperçois à quelques mètres de moi, entre deux arbres un jeune Rebeu en survêt, Nike « TN » au pied, qui se masturbe de profil en regardant dans ma direction. Un autre jeune homme du même style le regarde, puis me regarde, et disparaît dans le bois. Beaucoup d’affaires se concluent derrière les arbres. Deux hypothèses. Soit ces deux jeunes de banlieue sont en quête d’aventures homosexuelles (il y en a beaucoup !), soit c’est un guet-apens. Ou les deux en même temps ! C’est fréquent ici. Les types suivent dans les bois une jolie racaille… et se font dépouiller. Mais les racailles joignent parfois l’utile à l’agréable et se laissent faire la gâterie proposée avant de passer aux choses sérieuses. Le vol leur permet de se convaincre qu’ils ne sont pas là pour le sexe. Que le sexe est le prétexte au vol. Alors que c’est évidemment le contraire ! En repartant vers la sortie, je croise un vieux monsieur précieux, cheveux blancs permanentés, au volant de sa petite voiture qui pénètre route des Lacs. Son petit chien l’accompagne sur le fauteuil passager. J’ai envie de voir ce qu’il va faire. Je quitte la route, puis reviens deux minutes plus tard. Au fond, sa voiture est garée près de l’endroit ou zonaient les deux jeunes en survêtement. Il n’est plus dedans. Son petit chihuahua est resté seul. Il gratte à la fenêtre, couinant dans les aigus. Le toutou semble inquiet. Il y a de quoi ! Un autre vieux me tourne autour en vélo. Il a la coupe de cheveux de Montherlant mais porte un short, ça ne peut pas être l’auteur des Jeunes filles. Je me dirige vers la sortie de la route des Lacs. À ma gauche, sur la porte de Madrid se trouve un gros robinet public en métal vert. Un vieux cycliste en T-shirt long tombant au-dessous des fesses mais les jambes nues, s’y arrête. Il l’allume, fait un demi-tour sur lui-même, et s’introduit comme il peut le robinet dans le cul. Je n’en crois pas mes yeux, il se fait un lavement public ! En pleine lumière des réverbères, face aux premiers immeubles de Neuilly. Il prend son temps. Après une ou deux minutes dans cette position (on dirait qu’il skie !) il sort de sa sacoche quelques feuilles de sopalin et se torche. Il remonte sur son vélo, et s’engouffre route des Lacs. Il préparait le terrain ! Je ne boirai plus jamais au robinet.Je retourne allée de la Reine-Marguerite. Il est 2 heures, c’est l’effervescence. Plein de mecs se baladent. Les bandes de jeunes hommes discutent maintenant ouvertement avec les filles. Ils ne font plus semblant de se promener là par hasard. Des voitures en warning sont stationnées de tous côtés. Des groupes de mecs palabrent entre eux, c’est l’heure des conciliabules. « Vas-y on fait quoi ? On essaye ? C’est un trans mais elle est bonne ! Putain, elle est vraiment belle. T’as combien sur toi ? Moi il me reste trente euros. Si t’as dix euros on lui demande si elle peut nous sucer à deux. » À ma droite, la toute petite route de Suresnes s’enfonce dans l’obscurité du bois. Mais jusque loin dans le noir, on aperçoit des petites lumières de couleur. On devine le sexe. J’y pénètre. La route est étroite. Sur les côtés, les grosses fourgonnettes s’enchaînent tous les vingt mètres. À l’intérieur, les filles trans sont comme en vitrine. Ici elles sont plus âgées. Elles ont tapissé leur petite scène-cabine de léopard ou de zèbre et l’ont éclairée de lumière parfois rose ou rouge. Des tableaux de Pierre et Gilles ! Certaines sont sublimes. D’autres monstrueuses, mais tellement spectaculaires qu’elles sont sublimes aussi. Cette petite route-circuit est interminable, ça tourne à gauche, puis à droite, ça n’en finit plus. Un véritable train fantôme du sexe. Il y a la queue devant nous ! Après quelques minutes, la petite route dégueule de nouveau sur l’allée de la Reine-Marguerite. Ça vibre encore plus. Plus il est tard, plus c’est chaud. Passé deux heures, parfois après quelques gorgées d’alcool, les filles veulent appâter le client. Certaines sont maintenant nues. D’autres se caressent entre elles. Les hommes deviennent fous devant ce spectacle. Quelques filles caressent le sexe des types qui leur demandent le prix. D’autres les embrassent langoureusement avec la langue. Ils ne pourront plus résister, même ceux qui étaient venus juste comme ça, pour « voir le bois ». Dois-je dire ici que certains soirs, lors de mes promenades pour écrire cet article, certains de mes copains hétéros, venus juste pour m’accompagner et voir l’endroit, se sont laissé dévorer par le bois et ses créatures ? Le chant des sirènes était trop puissant. Après des heures de seins magnifiques, de formes sur-sexuelles, de cheveux caressants, ils perdent leurs repères. Tant pis si leur « hétérosexualité » doit en prendre un coup !

Jusqu’à la fin de la nuit on croise et recroise les mêmes personnes. Ici, on vient zoner. On s’oublie un peu, on brise les tabous. On vient s’enivrer de délices et faire la fête. Car le bois est une fête. Quelque chose de joyeux, malgré tout, y règne. La vie n’est pas toujours rose pour les filles qui y travaillent. Mais le travail du sexe semble moins douloureux pour ces filles trans que pour les femmes « biologiques». Ou du moins, chez les trans on assume plus souvent de prendre parfois du plaisir avec les clients que chez les femmes. Une Brésilienne historique du bois m’a raconté ceci : « J’aime faire la pute. Ça me plaît. Au fond, je suis quand même un peu un homme. Et les hommes aiment le sexe. La plupart des clients que je fais, ça me plaît de les faire. Quand je vais avec eux, je suis excitée. Pas avec tous, mais avec beaucoup. Être payée pour faire l’amour, la nuit, dans ce bois magnifique, moi ça me plaît. Je trouve cela excitant. » Mais depuis plus de dix ans, la clientèle chic a un peu disparu. Les prix ont baissé. On fait aujourd’hui la pipe pour vingt euros et la totale pour quarante. Parfois moins. Et puis, il y a les agressions, les meurtres. Trop de filles ces dernières années ont été tuées. Quelquefois, des bandes viennent racketter les filles et les clients. Certaines travailleuses ne font pas cela la joie au cœur. Elles aimeraient faire autre chose. Chaque pute est différente. Mais ce bois, beaucoup de celles qui y travaillent ou qui y ont travaillé l’aiment malgré tout. Splendeur et misère du bois de Boulogne. « Les hommes nous désirent, on les rend fous. C’est valorisant, m’a expliquél’une d’elles. Quand je vois tous ces mecs prêts à payer pour moi, c’est flatteur. Pour nous les filles trans, ce n’est pas toujours facile de trouver un copain. Quelqu’un qui assume vraiment d’être avec une trans. Alors, les caresses des clients qui nous plaisent, leurs baisers, parfois on les prend avec plaisir. Mais lorsqu’on rentre chez nous, qu’on enlève les faux cils, le maquillage, c’est là qu’on aurait besoin de quelqu’un. Et très souvent, il n’y a personne. Pour la plupart des hommes, nous ne sommes qu’un objet de fantasmes, une parenthèse sexuelle. C’est le revers de notre médaille. C’est le tragique de notre histoire. »

Vincent Campredon: l’océan pour passion

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Le marin français Vincent Campredon. DR.

Directeur du Musée national de la Marine, Vincent Campredon, de l’Académie de Marine, nous conte avec style et panache son amour de la mer.


Avec Le voyage en mer, Vincent Campredon, de l’Académie de Marine, directeur du Musée national de la Marine, explore les raisons de son goût insatiable pour la navigation et l’océan.

Issu d’une famille de marins, il a passé son enfance et son adolescence à Brest et à Toulon, puis il s’est engagé à son tour.

Il a navigué sur tous les océans ; il a également participé à de nombreuses courses au large.

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De l’eau salée dans les veines

Que nous raconte-t-il dans cet opus qui tient autant du récit que de l’essai ? Après six ans de très importants travaux, à la fin d’octobre 2023, le nouveau musée de la Marine ouvre ses portes au grand public sur la place du Trocadéro, à Paris. « Ce n’est pas à une visite de ses exceptionnelles collections (plus de 1000 œuvres) que nous convie Vincent Campredon, son directeur, mais à une étonnante traversée », explique l’éditeur Grasset. « Le voyage en mer n’est pas un voyage sur les eaux, fussent-elles rêvées ou rugissantes, qu’elles apaisent ou engloutissent. C’est un appel, une attente de vivre, de découvrir, de prendre ses distances, de se transformer. Voici le livre d’une vie et d’une passion, où l’on suit, entre autres guides imparfaits, Bougainville, Cook, Surcouf et Lapérouse… »

Marin et Officier de Marine émérite, Vincent Campredon nous fait découvrir les légendes des corsaires, l’invention de la carte marine et les plus incroyables batailles navales. Il évoque la découverte de la longitude, le rêve fou de Magellan et les courses transatlantiques à la voile, « ces dernières aventures modernes qui laissent les femmes et les hommes hors de toute portée… » On le suit au Cap Horn, dans les profondeurs de l’Atlantique avec les sous-mariniers, en mer de Chine sur La Jeanne, à Tahiti… Il nous convie sur le rivage, et au musée où il rêve devant les maquettes, dessine des goélettes, s’intéresse au guide des nœuds et découvre le mystère des marées. Il dit tout de ces océans que pourtant on maltraite et qu’il est si nécessaire de protéger. 

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L’homme manie avec autant de dextérité l’écriture que le gouvernail. Il ne manque pas de style. « J’ai de l’eau salée dans les veines. Je suis un « cul salé », comme on dit dans le Finistère. La mer me parle. M’inspire. M’irrigue. Elle rythme ma vie depuis l’enfance et les affectations de mon père, l’amiral Jacques Campredon, en Tunisie, à Toulon et à Brest. L’océan m’aspire. C’est mon jardin, mon ailleurs. C’est une sorte de porte vers l’infini. » Un voyage en mer et en mots pas comme les autres.

Le voyage en mer, Vincent Campredon ; Grasset ; 166 p.

Le voyage en mer (essai français)

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Simone Signoret, la nostalgie camarade

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Roschdy Zem et Marina Foïs grimmés en Yves Montand et Simone Signoret, dans le film de Diane Kurys actuellement en salles "Moi qui t'aimais" © David Koskas / New Light Films

Nous sommes le lundi 30 septembre 1985, au volant de ma vieille Peugeot, j’entends à la radio un flash spécial : Simone Signoret est morte. Ce souvenir reste depuis gravé dans ma mémoire. Il faisait gris et le vent malmenait la voiture. J’aimais beaucoup Signoret, son visage détruit, comme aurait dit Duras, ses rides de la désillusion amoureuse, ses cheveux blancs, non pas ceux de la sagesse, mais de la souffrance imposée par Yves Montand, magicien de la scène à la voix mélancolique et au regard de chien battu, d’un professionnalisme à rendre jaloux les Américains. « Oh, je voudrais tant que tu te souviennes… » Et l’émotion est là, directe.

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Signoret, je la vois immédiatement dans deux rôles. Le premier, dans le long-métrage de Jean-Pierre Melville, L’Armée des ombres. Elle joue le rôle de Mathilde, une résistante éliminée par son propre réseau, en 1943. La scène de sa mort est tournée Avenue Hoche, non loin du parc Monceau. Je m’y suis souvent rendu comme si cet assassinat était réel. Signoret était tellement « naturelle » qu’on oubliait que c’était du cinéma. Le second, dans Police Python 357, de Corneau. Un polar noir, efficace, sur fond de société consumériste. Signoret joue une bourgeoise en fauteuil roulant. Elle est alcoolique, dévastée par le cocufiage de son mari. Elle veut mourir, finit par supplier Montand, qui joue le rôle d’un fic pris dans un engrenage machiavélique, de la tuer. Signoret est tout entière dans ce rôle de femme-épave, le regard injecté de whisky, sans larmes, morte déjà. Elle résume sa vie amoureuse face à la caméra. Elle ne joue pas, elle est Signoret, première actrice française oscarisée, humiliée par son mari chanteur, effacée, croit-elle, par la beauté délétère de Marilyn Monroe, maîtresse d’un soir de celui qu’elle a rencontré le 19 août 1949, à la Colombe d’Or, dans l’arrière-pays niçois, et qu’elle a aimé jusqu’au bout de la déraison.

Pari un peu fou

Signoret fut une immense actrice et une femme malheureuse. À la mort de Marilyn, pourtant, Montand l’appelle, il bafouille au téléphone, paumé. Elle l’écoute, ne raccroche pas. Elle est aussi triste que lui. Elle meurt donc le 30 septembre 1985 d’un cancer du pancréas, dans sa maison d’Autheuil-Anthouillet (27). Elle n’avait que soixante-quatre ans. Elle avait écrit en 1976 une très belle autobiographie, La Nostalgie n’est plus ce qu’elle était. Pivot l’avait reçue à Apostrophes. Elle avait paru timide, presque gênée d’être sur le plateau, elle qui fut l’amie de Sartre et de Simone de Beauvoir, « compagnon » de route du PCF.

De nombreuses biographies ont été écrites sur elle, son couple, sa fille, Catherine Allégret. Nicolas d’Estienne d’Orves, écrivain et critique musical, a pourtant relevé le défi d’en ajouter une nouvelle. Enfin pas tout à fait, il a relevé un pari un peu fou : celui de se mettre dans la peau de Simone, née Kaminker, le 5 mars 1921, à Wiesbaden, et de lui donner la parole. Pari dangereux, car il était difficile alors de se montrer objectif, notamment sur le voyage qu’elle fit avec Montand dans les pays de l’Est, du 16 décembre 1956 à fin mars 1957 – la moindre des choses aurait été de boycotter l’URSS dont on connaissait les massacres de masse organisés par Staline, notamment avec Le Zéro et l’Infini, ouvrage d’Arthur Koestler, et surtout après l’écrasement du soulèvement hongrois par les chars russes, le 4 novembre 1956, à Budapest. Mais pari gagné.

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On finit par lire l’ouvrage comme si c’était Signoret qui l’avait écrit. On la trouve de mauvaise foi – la question sur l’URSS. On la trouve également très sévère à l’égard de Montand – homme colérique certes, mais pas si « enfantin » que cela…

On comprend mieux, cependant, qu’elle ait accepté d’être Mathilde, dans L’Armée des ombres, elle, la demi-juive qui fréquenta Jean Luchaire et d’autres collabos parisiens, histoire de vouloir réparer une errance de jeunesse. Elle apparait entière, excessive, autodestructrice, en un mot, vivante. Et également glaçante. Après la passade Marilyn, Signoret – enfin l’auteur – lance à Montand : « Tu m’as trahi avec une beauté, je vais te faire vivre avec une vieille dame… »

Nicolas d’Estienne d’Orves, Simone Signoret, histoire d’un amour, Calmann-Lévy. 400 pages.

Simone Signoret, histoire d'un amour

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