Accueil Culture Claudia, la voix de l’amour

Claudia, la voix de l’amour

Disparition de la vedette du cinéma Claudia Cardinale (1938-2025)


Claudia, la voix de l’amour
Claudia Cardinale pose devant les affiches de ses films, le 8 octobre 1998 © Ginies / Sipa

L’actrice franco-italienne, égérie de Cinecitta et vedette européenne, s’illustra chez Visconti, Zurlini, Monicelli, Sergio Leone ou Philippe de Broca. Elle partagea l’affiche avec Omar, Alain, Jean-Paul ou Brigitte. Elle était une star discrète, pudique et follement aimée par les cinéphiles et le grand public. Elle vient de nous quitter à l’âge de 87 ans


J’hésite. Était-ce une voix ou une peau ? Les deux, assurément. D’abord, il y a cette voix chaude, sensuelle, timide et étonnamment assurée, ambivalente donc séduisante, elle rocaille, elle perle, elle se propagera à travers l’univers durant encore des décennies. Ce matin, vous l’entendez, elle résonne dans nos cœurs. Vous n’êtes pas triste, plutôt heureux. Car, vous aurez reçu cette voix en offrande, en partage, gratuitement ; un don du ciel, un peu irréel comme un songe des années 60, comme si le monde d’avant n’était pas mort. Vous l’aurez captée, un jour, dans un vieux film en noir et blanc ou dans une interview à la télévision. Faites l’expérience de la voix de Claudia à la radio, dans l’intimité du poste, le transport amoureux est garanti, elle est là, près de vous. Vous tremblez, c’est normal.  Cette voix était notre trésor commun, notre bien national. Malgré les malheurs, les défaites, la vie en est remplie, vous vous souviendrez de son timbre, de son lent débit, de sa mélopée, de son érotisme, de sa suspension poétique, de ses pas chassés ; d’abord hésitante, elle se faisait poliment décidée, voire butée, incorrigible et cabotine, avec une pointe de maladresse qui est le signe des déesses. La voix de Claudia vous rappellera que la beauté du monde n’est pas un leurre, qu’elle n’est pas factice, qu’elle peut même avoir le visage d’un humain. Ces derniers temps, vous ne croyez plus en l’être humain, vous ne lui faites plus confiance, il est tellement décevant : je vous comprends. La voix de Claudia nous rattrape, nous sauve, nous donne un léger sursis, nous absout. Et si la vie méritait tout de même d’être vécue ? Elle est un acte de foi, tangible, audible, vibrant qui n’a besoin d’aucune démonstration particulière. Elle touche les hommes et les femmes, indifféremment. Elle émeut. Elle cristallise. Elle enfante. Elle nous laisse même une chance de nous améliorer. Une telle voix nous lie pour l’éternité. Nous serons à jamais ses disciples enamourés et reconnaissants pour son art divinatoire. Avec Claudia, le cinéma était lumière, lustre et entrailles d’une Italie des légendes, notre pays-sœur, des rues sales aux palais de cristal, des mamas et des divas. Sa voix, c’était le soleil de Tunis, l’Afrique, la poussière, le vent, la sécheresse qui irrite la gorge, qui perturbe sa modulation de fréquence, la nostalgie des cités enfouies, des villes détruites, le berceau de la Méditerranée. Notre mère à tous. Sa voix était onde et mirage. Mais Claudia, c’était une peau, une enveloppe soyeuse, donc une âme en colère, un velours chocolaté, un mausolée où l’on entrevoyait l’amour et la haine, la pauvreté et l’espoir. Parmi les actrices italiennes, il y en eut des plus racées, des plus girondes, des plus cérébrales, des plus capricieuses, des plus frivoles. Nous les aimions toutes ; une seule comptait pourtant. Secrètement, nos incantations lui étaient destinées. Claudia était à part. Avec elle, nous ne nous mentions plus. Nous aurions eu trop honte. Nous lui accordions notre tendresse et notre jeunesse. Nous sommes ses éternels débiteurs. Nos rêves étaient pour elle. Nous la respections comme une mère et la vénérions comme une amante inaccessible. Vous me direz : et les films alors ? La filmographie ? Accessoire. Secondaire. Les dates ? Superflues. Les grands réalisateurs, les partenaires d’élite, les montées des marches, l’Histoire dans les dictionnaires, niente, loin derrière Claudia. Loin derrière son éclat, derrière sa féérie, tantôt paysanne, tantôt altière. Au-delà de l’actrice, de son talent et de son humilité, ce sont des images qui resteront. Oui, des vignettes qui composeront une longue tapisserie des temps heureux. Nous la rembobinerons quand la douleur ou la peur nous saisiront… Ce matin, je vois une fille qui porte une valise, sa jupe écossaise vole, ses sandales traînent sur un chemin de terre. Je vois une brune en robe de soirée, une tiare sur les cheveux, elle est l’origine du monde, Alain était beau comme un hussard cette nuit-là. Je la vois aux côtés de BB, un chemisier largement ouvert sur une gorge dorée. Et je suis un homme heureux. J’ai connu Claudia.


Claudia Cardinale avec Alain Delon en Italie pendant le tournage du « Guépard » de Luchino Visconti, 1961 (C) DALMAS/SIPA Numéro de photo : 00390905_000004


Vous venez de lire un article en accès libre.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !

Article précédent Reconnaissance de la Palestine: pari diplomatique ou suicide vertueux?
Article suivant Vieux démons flamands
Journaliste et écrivain. Dernières publications : "Tendre est la province", (Équateurs), "Les Bouquinistes" (Héliopoles), et "Monsieur Nostalgie" (Héliopoles).

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Pour laisser un commentaire sur un article, nous vous invitons à créer un compte Disqus ci-dessous (bouton S'identifier) ou à vous connecter avec votre compte existant.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération