Économiquement, nous ne sommes pas condamnés à être un musée et à regarder les autres nous écraser
Pendant trop longtemps, nous avons accepté une idée aussi paresseuse que fausse selon laquelle la « vieille Europe » serait vouée à croître lentement. Or le ralentissement n’a rien de naturel. Il résulte de nos choix. Quand on protège les rentes au lieu d’ouvrir les marchés, quand on centralise au lieu de faire confiance aux territoires, quand on empile taxes et normes au lieu de libérer l’investissement et le travail, on obtient exactement ce que l’on observe : des factures d’énergie trop élevées, des salaires nets trop faibles, des usines qui hésitent, des jeunes qui partent.
Qu’est-ce qui, concrètement, empêche la concurrence de jouer pleinement son rôle ? Il y a des facteurs qu’on peut qualifier de « distorsions anti‑concurrentielles ». Elles prennent des formes variées — barrières réglementaires, fiscalité qui décourage l’effort, procédures trop lentes, normes extraterritoriales qui ferment des débouchés — mais elles ont le même effet : moins de pression concurrentielle, donc des prix plus élevés, moins d’innovation et des salaires qui stagnent.
Trois verrous pèsent particulièrement sur l’Europe.
Premier verrou : l’énergie devenue un luxe. Nous avons voulu faire porter à nos ménages et à nos usines le coût d’une transition mal ordonnée. Résultat : des prix de l’électricité et du gaz durablement supérieurs à ceux de nos concurrents. Or sans énergie abordable et fiable, il n’y a ni industrie, ni artisanat, ni transports compétitifs. Une politique sérieuse part d’un principe de neutralité technologique : le carbone doit baisser, certes, mais par l’innovation et l’investissement, pas par la raréfaction et des mesures punitives. Il faut sécuriser nos approvisionnements, moderniser nos réseaux et assumer nos atouts — au premier rang desquels le nucléaire.
Deuxième verrou : la règlementation excessive. Nous parlons beaucoup de « marché unique », mais l’esprit de reconnaissance mutuelle a trop souvent cédé la place au réflexe de l’harmonisation lourde. Dans de nombreux secteurs, des règles pensées pour les grands acteurs deviennent des barrières pour les nouveaux entrants. Là où l’on voulait protéger le consommateur, on protège en réalité l’installé. Le résultat se voit : trop de paperasse, trop peu de créations d’entreprises, trop de freins administratifs, et des innovations qui partent ailleurs.
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Troisième verrou : un marché du travail rigide. Nous avons fait de la protection de l’emploi une protection de postes, quand il faudrait protéger les personnes et leurs parcours. Simplifier l’embauche et le dialogue social, rendre le coût du travail moins punitif, faire de la formation une responsabilité partagée et efficace : ce sont des réformes pro‑travail, pro‑salaires et pro‑dignité. Là où l’on a libéré l’apprentissage, bâti des passerelles simples entre chômage et emploi, et cessé d’empiler les contraintes, l’activité repart et les salaires suivent.
Faut‑il pour autant renoncer au modèle social français ? Non. Il s’agit de le sauver de son inertie. Un modèle qui dépense toujours plus sans produire plus finit par s’autodétruire : dettes, impôts, exode des talents. L’Europe centrale nous donne une leçon de bon sens : moins de dette, des impôts plus lisibles, des règles plus claires, et la croissance suit. Plusieurs pays partis de plus bas rattrapent déjà l’Ouest. Ce n’est pas un miracle : c’est l’effet cumulatif de choix pro‑concurrence.
Que faire donc pour relancer la France et, avec elle, l’Europe ?
Baisser la facture d’énergie en assumant une stratégie de sécurité et de coût. Stop aux dispositifs qui renchérissent sans réduire efficacement les émissions. Priorité au nucléaire, aux réseaux, aux contrats d’achat à long terme et à la concurrence dans la fourniture.
Libérer le travail : simplifier le code là où il bloque l’embauche, alléger les charges sur les bas et moyens salaires, récompenser les heures supplémentaires, fluidifier la négociation dans l’entreprise. Protégeons les personnes, pas les statuts.
Accélérer la création d’entreprise : guichet unique réel, délais garantis, droit à l’erreur, formalités numériques simples, faillite rapide et sans stigmate pour rebondir. Orientons l’épargne longue (assurance‑vie, retraites) vers l’investissement productif français.
Stabiliser la fiscalité : moins de taxes qui changent chaque année, plus d’incitations visibles et pérennes à investir, innover et embaucher. La stabilité est la première condition pour convaincre un entrepreneur d’avancer.
Réviser nos normes avec un filtre pro‑concurrence : toute règle devrait prouver qu’elle ouvre le marché au lieu de le fermer. Instaurons un réexamen périodique : si une norme ne démontre pas son utilité, elle disparaît.
Retrouver l’esprit de subsidiarité : la centralisation, à Paris comme à Bruxelles, n’est pas synonyme d’efficacité. Laissons régions et villes expérimenter ; copions ce qui marche. La concurrence entre régulateurs peut être aussi saine que la concurrence entre entreprises.
Ouvrir plus largement nos débouchés par des accords fondés sur la reconnaissance mutuelle et l’équivalence, plutôt que sur l’exportation unilatérale de nos règles. Moins de guerres de normes, plus d’accès réciproques. C’est particulièrement vrai avec les États‑Unis et l’Inde.
Réorienter la dépense publique : arrêter d’opposer réformes et solidarité. En luttant contre les rentes et les gaspillages, on peut à la fois soulager le contribuable et mieux cibler l’aide. Un euro économisé sur l’inefficace, c’est un euro pour la sécurité, l’école, la justice et la défense.
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Faire de l’école‑travail un continuum : valoriser l’apprentissage, l’alternance, les filières techniques d’excellence, et reconnecter l’université avec le tissu productif. Chaque jeune doit sortir des études avec une compétence monnayable et une trajectoire lisible.
Ce programme n’est pas une « austérité joyeuse ». C’est un projet de prospérité par la liberté économique ordonnée. Il ne s’agit pas de privatiser la vie, mais d’aligner nos politiques sur ce qui marche : la concurrence loyale, la propriété, l’ouverture, la responsabilité. À ceux qui craignent que la concurrence abîme la France, on peut répondre que la concurrence est l’alliée du consommateur, de l’ouvrier qualifié, de l’artisan, de l’agriculteur, du créateur de PME. Elle brise les rentes, fait baisser les prix, stimule l’investissement et reconnaît le mérite.
La France a des atouts rarissimes : énergie nucléaire, savoir‑faire industriel, épargne abondante, écosystème tech en montée, État capable de décider quand il le veut. Ce qui lui manque, ce n’est pas une « grande stratégie » de plus, c’est la décision d’enlever les cailloux dans la chaussure de ceux qui produisent, embauchent et exportent.
Nous avons, collectivement, un choix simple à faire. Continuer à gérer le déclin, à coup de rustines fiscales et de normes punitives, en espérant des miracles qui n’arriveront pas. Ou bien choisir la compétition, la subsidiarité et l’ouverture, et retrouver le mouvement ascendant des nations qui croient en elles. L’écart de niveau de vie avec les économies les plus dynamiques n’est pas une fatalité : c’est un écart de politiques.
Rien n’oblige l’Europe à être un musée. Elle peut redevenir un continent de croissance, d’emplois et de salaires en hausse. La recette tient en quelques mots : énergie abordable, travail libéré, marchés ouverts, règles simples. C’est exigeant, mais c’est à notre portée. Et cela commence par une volonté : laisser la France qui entreprend, qui innove et qui travaille, respirer enfin.
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