Une offensive propagandiste sans précédent vise à déviriliser les hommes dès le plus jeune âge : ne sont-ils pas porteurs d’une « masculinité toxique » pour la société ? Partout en Occident, éducateurs, politiques, universitaires et militants prétendent les laver du péché originel qu’est leur naissance.
Quel modèle idéal de masculinité peut-on proposer aux jeunes ? Churchill, le chef de guerre ? Arnaud Beltrame, le gendarme qui se sacrifie ? Pelé, grand sportif et gentleman ? Que nenni ! Selon la directrice d’une école primaire londonienne, le meilleur modèle est Elliot Page, jusqu’en 2020 une actrice canadienne prénommée Ellen, devenue, après une double mastectomie, un homme trans. Silhouette filiforme, visage de pré-ado imberbe, l’exemple de Page montrerait, selon la pédagogue britannique, que la masculinité peut allier « douceur et courage » et aiderait à combattre les stéréotypes toxiques en promouvant « l’empathie, la gentillesse, l’expression des émotions, l’écoute de points de vue opposés ». Elle cite également le chanteur anglais au sexe ambigu, Harry Styles, typique d’une série de minets chétifs qui sont souvent présentés comme incarnant une masculinité « positive ». En France, la féministe Aline Laurent-Mayard a consacré tout un livre à son béguin pour l’acteur Timothée Chalamet qui, pour elle, ringardise la virilité. Autrement dit, l’homme idéal s’incarne désormais dans des figures efféminées, voire émasculées. Cette tentative de déviriliser le mâle n’est pas inédite. Ce qui est nouveau, c’est que cette offensive propagandiste gagne du terrain à une époque où l’environnement général n’a jamais été aussi peu propice au développement des garçons et des hommes.
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Dans le domaine de l’éducation, les garçons sont largement distancés par les filles à tous les niveaux. Les statistiques américaines sont représentatives d’une tendance générale en Occident. À la maternelle, les filles battent les garçons dans tous les tests. Après le lycée, 57 % des hommes vont à l’université, comparé à 54 % en 1960. Pour les femmes, c’est 66 %, comparé à 38 %. En France en 2018, 86 % des filles ont obtenu le bac, contre 76 % des garçons. Les femmes sont majoritaires à l’université dans tous les pays de l’OCDE. Certes, il y a eu une accélération chez les filles grâce au mouvement pour l’égalité, mais le cadre pédagogique n’est pas adapté à un grand nombre de garçons. Le retard de ces derniers commence à la maternelle où le programme est de plus en plus académique, avec un accent sur les progrès en lecture. Les petits garçons ont initialement plus de mal à se tenir en place et à se concentrer. Même plus tard, ils ont plus besoin d’apprendre par l’activité pratique que par l’apprentissage des connaissances abstraites. Seul domaine où les mâles conservent une avance : les maths. Tout au long du parcours scolaire, les garçons présentent nettement plus de problèmes disciplinaires que les filles.
Intelligence émotionnelle
Aujourd’hui, le marché de l’emploi offre moins d’opportunités à ce sexe qui favorise l’action et l’effort physique. La désindustrialisation en Occident, provoquée par la mondialisation et l’automatisation du travail, a éliminé nombre des emplois traditionnels des hommes. Beaucoup de ces derniers commencent la vie professionnelle sans perspectives et incapables de subvenir aux besoins d’une future famille. Ainsi, outre-Atlantique, plus de jeunes hommes que de jeunes femmes continuent à habiter chez leurs parents. 89 % des hommes ont un emploi ou en recherchent un, un déclin de 5 % par rapport à 1975. En revanche, la proportion des femmes est montée de 55 % à 78 %. L’écart des salaires se resserre, et si les hommes sont certes surreprésentés en haut de la pyramide, dans les conseils d’administration, ils le sont aussi en bas avec les emplois subalternes.
En matière de santé, 28 % des garçons entre 3 et 17 ans ont un problème comportemental ou émotionnel, comparé à 23 % des filles. Deux fois plus de garçons que de filles sont diagnostiqués pour autisme ou TDAH. Les hommes adultes développent plus de problèmes d’addiction et ils sont presque quatre fois plus nombreux que les femmes à se suicider. Une campagne d’endoctrinement menée par les organisations internationales et dans les médias cherche à les persuader qu’ils n’ont plus les qualités adaptées à la direction des entreprises ou des États. Désormais, grâce à leur intelligence émotionnelle, les femmes seraient plus qualifiées pour le leadership. La préférence des parents pour des garçons, qui a dominé tout autour de la planète pendant des siècles, est en déclin. Dans certains pays – le Japon, la Corée, la Scandinavie et les États-Unis – il y a même une préférence pour les filles. Il coûte plus cher d’adopter une fille plutôt qu’un garçon, et là où il est permis de choisir le sexe d’un bébé à naître par FIV, opter pour une fille coûte également plus cher. Certains commentateurs prétendent que la notion de « crise de la masculinité » est un mythe inventé par le patriarcat pour dénoncer les progrès du féminisme. Pourtant, les données sont claires : la crise est réelle.

C’est dans ce contexte que les adversaires des mâles essaient de leur porter le coup de grâce en les persuadant que la masculinité elle-même est un péché originel. L’adjectif « toxique » est si souvent accolé au substantif que l’expression « masculinité toxique » est devenue une tautologie. Ce terme a été forgé il y a une trentaine d’années par des psychothérapeutes masculins pour distinguer entre une « bonne » virilité d’hommes mûrs et une « mauvaise » de jeunes écervelés. Vers 2015, il a été approprié par des féministes pour évoquer toutes les qualités des hommes considérées comme répréhensibles : tendance à la violence, volonté de domination, mépris des femmes, homophobie. Le premier problème ici, c’est que, avec ces mauvaises tendances, on jette aussi des qualités potentiellement positives : la compétitivité, la capacité à prendre des risques, le courage, la maîtrise de soi, le stoïcisme et l’esprit de décision. Le deuxième problème consiste à vouloir généraliser la notion à tous les hommes, et le troisième à en faire le fondement d’un projet pour les détoxifier. Il s’agit de démoraliser les hommes, en les culpabilisant, et de transformer les garçons, avant qu’ils grandissent, en clones des Chalamet et Page et autres gringalets à la mode.
Programme délétère
Ici, nous avons affaire à un véritable programme d’ingénierie sociale, par lequel éducateurs, politiques, universitaires et militants prétendent ouvrir, en quelque sorte, le capot du cerveau et reprogrammer l’être humain, sans considération aucune pour les bases physiologiques et évolutionnaires des différences entre les sexes. Car pour ces apprentis sorciers, la masculinité est une pure construction sociale. C’est le message d’un ensemble de recommandations de l’Association américaine de psychologie publiées en 2018. La rengaine est reprise par d’innombrables féministes contemporaines à prétentions quasi scientifiques, comme Daisy Letourneur dans son best-seller On ne naît pas mec (2022). De ce point de vue, il n’y a pas de biologie, il n’y a que des constructions artificielles dont le destin est d’être déconstruites. Personne ne voudrait nier les influences sociales dans le développement des sexes, ni faire de la biologie une fatalité, mais toute tentative pour changer nos comportements sans prendre en compte notre réalité biologique reste vouée à l’échec et destinée à augmenter la détresse de tous, hommes et femmes.
Pourtant, ce programme délétère est en marche. Outre-Manche, un tiers des écoles ont déjà organisé des cours sur la masculinité toxique. Un organisme comme Beyond Equality vend aux établissements des ateliers où les garçons sont invités à se défaire de « l’armure contraignante et encombrante » de la masculinité. Côté culpabilité, on répète aux hommes qu’ils sont responsables des guerres, du colonialisme, du capitalisme et du réchauffement climatique, sans parler du fait qu’ils accomplissent moins de tâches ménagères. Côté féminisation, on répète des expériences ratées de certaines écoles new-yorkaises des années 1970, consistant à obliger les garçons à jouer avec des poupées, pour qu’ils acquièrent une dimension plus nourricière, et les filles à faire de la menuiserie. Des organismes comme le Britannique Pinkstinks font pression sur les fabricants et les détaillants pour vendre de plus en plus de jouets qui ne sont pas destinés à un genre ou un autre (non-gender-specific). Le grand spécialiste américain des jouets, Mattel, a sorti une poupée « sans genre » pour Noël 2019. Toute une littérature pour enfants met en avant des héros masculins qui pleurent abondamment, parlent de leurs émotions, évitent les affrontements et fabriquent des fleurs en papier. Pour les grands, il y a des livres comme l’essai autobiographique de Ben Névert, sorti en 2021, dont le titre dit tout : Je ne suis pas viril. Encore un minet chétif, à qui le « carcan » de sa masculinité aurait fait autant de mal qu’aux femmes. Mais la plupart des femmes hétéros voudraient-elles d’une telle mauviette ?
Un premier terrain où le dénigrement de la masculinité se joue, c’est celui, traditionnel, des émotions. Les femmes exprimeraient les leurs à merveille et sympathiseraient parfaitement avec celles des autres personnes. Les hommes seraient incapables d’exprimer les leurs et se ficheraient royalement de celles des autres. En réalité, aucune étude scientifique ne prouve que les femmes aient vraiment plus d’empathie que les hommes, et si les hommes contiennent souvent leurs émotions – comme la colère –, c’est un avantage pour tout le monde.
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Toutefois, le front principal de la lutte contre la masculinité, c’est la sexualité. L’idée que tous les hommes sont des violeurs en puissance se débat depuis les années 1970, quand on l’a attribuée (à tort) aux féministes américaines, Marilyn French et Andrea Dworkin. Aujourd’hui, cette généralisation plus que hâtive a trouvé un nouveau souffle, en partie grâce à la publicité mondiale donnée à l’affaire Pelicot qui a vu une cinquantaine d’hommes dits « ordinaires » condamnés pour viol sur la personne d’une femme droguée à son insu. Selon la doxa féministe actuelle, toute tentative de prétendre que tous les hommes ne sont pas des violeurs (comme dans le hashtag #NotAllMen) est frappée de mauvaise foi. Pour une intransigeante comme Giulia Foïs, qui a publié un essai au titre ironique, « Pas tous les hommes quand même ! » (2025), refuser de généraliser la charge de viol, c’est négliger le côté systémique de ce crime, c’est nier que le viol soit rendu possible par une culture du viol, qui domine toute la société et est tacitement soutenue par tous les hommes. En ce cas, objectera-t-on, pourquoi la majorité des hommes ne passe-t-elle pas à l’acte ? Le problème, en réalité, est que cette idéologie est incapable de faire la distinction entre les individus. Pour elle, la masculinité est un bloc, qu’il faut traiter comme tel afin d’en purger la société. À l’appui de ce méga-amalgame, les contempteurs de la masculinité pointent l’importance apparente des communautés en ligne d’« incels » et la cote de popularité d’influenceurs masculinistes franchement misogynes, comme l’Anglo-Américain Andrew Tate, accusé aujourd’hui de viol et de trafic d’êtres humains. Mais ces phénomènes masculinistes sont plutôt des réactions au dénigrement de la masculinité.
On fait grand cas aussi de l’écart électoral entre les jeunes femmes, plutôt orientées à gauche, et les jeunes hommes, plutôt orientés à droite – le mâle vote mal. Il se peut bien que ces derniers, se comprenant instinctivement mieux que ne le font les idéologues féministes, soient pleinement conscients des remèdes aux débordements de la masculinité développés par ce qu’on appelle la civilisation. Tandis que les partisans de l’homme nouveau s’évertuent en vain à extirper les instincts des hommes, la civilisation – que ce soit par le sport, la chasse, la galanterie, le code du gentleman ou la morale – cherche à les canaliser. Selon le poème de Rudyard Kipling, If (« Si »), maintes fois traduit en français, autrefois considéré comme un résumé de l’éducation masculine idéale, celui qui arrive à faire preuve de courage, de maîtrise de soi et d’une responsabilité sans faille sera – enfin – « un homme ».





