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Arthur Koestler, ou avoir raison contre Sartre

Stéphane Koechlin publie "Arthur Koestler, la fin des illusions" (Le Cerf, 2025)


Arthur Koestler, ou avoir raison contre Sartre
L'écrivain hongrois Arthur Koestler (1905-1983) photographié à son domicile londonien vers la fin de sa vie © EFE AGENCIA/SIPA

Arthur Koestler est l’auteur du best-seller Le Zéro et l’Infini. Il a écrit d’autres ouvrages importants mais celui-là a marqué une génération. Ce communiste, emprisonné par Franco, guettant quotidiennement minuit dans sa cellule, croyant que le lendemain il serait fusillé, ami d’Israël et militant sioniste, a osé dénoncer les dérives du stalinisme, ses massacres de masse, ses grandes purges, au moment où la plupart des intellectuels français révéraient Staline – d’où le titre sibyllin de son roman : l’individu est zéro et le parti est l’infini.

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Il devint immédiatement le renégat. Il fallait l’ostraciser, l’empêcher de témoigner, de respirer, de vivre. Au Café de Flore, QG des planqués de l’Occupation, Simone de Beauvoir, avec qui il avait couché, et Jean-Paul Sartre se chargèrent de lui régler son compte en le discréditant de façon malhonnête. Ce n’était pas un écrivain, à peine un journaliste. Jacques Duclos, le premier secrétaire du PCF, tout puissant à la Libération, alla même jusqu’à exercer une forte pression sur son éditeur, Calmann-Lévy, pour empêcher la parution de ce livre d’éveil. Mais le patriarche de la maison d’édition aryanisée durant la guerre, rebaptisée « Éditions Balzac », n’était pas homme à se laisser impressionner. Quant à Koestler, buveur impénitent, aimant la castagne, séducteur compulsif, né en Hongrie en 1905, écrivant en allemand et en anglais, il jubilait d’avoir lancé une telle bombe littéraire.

Après la chute du mur de Berlin et la dislocation de l’URSS, Le Zéro et l’Infini, avait perdu de son intérêt, le récit ne possédant pas le côté visionnaire de 1984, roman dystopique de George Orwell, ami de Koestler. Mais le retour de l’expansionnisme russe, décidé par le maître du Kremlin, a vu le spectre soviétique reparaître et les thèmes du livre sont redevenus actuels. De même que, depuis le 7 octobre 2023, l’antisémitisme que ce Juif d’Europe centrale combattit toute sa vie s’est réveillé en Occident. Koestler méritait donc qu’on s’intéressât à sa vie et à son œuvre.

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Stéphane Koechlin, romancier et essayiste, nous propose une biographie dynamique de l’auteurd’Un testament espagnol. Koestler est un séducteur. « Son visage est fort et doux », son « sourire féminin » et ses yeux qui ont vu le monde font des ravages, même si cet écrivain, marié trois fois, est violent avec les femmes – Koechlin révèle, à la fin de son ouvrage, une affaire de viol incriminant son sujet. Il refuse d’avoir des enfants – peut-être l’ombre portée d’une mère dérangée. La romancière Danielle Hunebelle brosse cependant un portrait flatteur du bagarreur dans Les Cahiers de l’Herne : « Attachant, fraternel, torturé, un peu énigmatique et mystérieux sur les bords, assez imprévisible pour n’être jamais ennuyeux, émotif, sensible aux signes, pas livresque pour un sou, actif… » C’est donc un personnage contrasté qui nous est présenté, dont l’esprit libre ne peut faire oublier le parfum de scandale qu’il traîne dans ses errances nocturnes fortement alcoolisées. Il reste que son courage lui aura permis de combattre physiquement le fascisme et de dénoncer les millions de victimes du totalitarisme rouge. Il finira par renoncer définitivement aux idéologies, se réfugiant dans l’écriture, son île de salut. Atteint d’une leucémie et de la maladie de Parkinson, il décidera, le 1er mars 1983, de provoquer sa mort. Cette dernière ne lui faisait pas peur. Il la guettait tous les soirs dans sa cellule, en Espagne. Cynthia Jefferies, née en 1927 – 22 ans les séparent – l’aidera dans son entreprise, avec une dévotion qui ne peut que nous toucher. On la retrouvera sans vie, à ses côtés, dans leur appartement londonien. Elle avait compris qu’elle ne pourrait pas vivre sans Arthur qui avait écrit : « Les mythes se développent comme des cristaux. »

Stéphane Koechlin, Arthur Koestler, la fin des illusions, Les Éditions du Cerf. 388 pages

Arthur Koestler, la fin des illusions

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Pascal Louvrier est écrivain. Derniers ouvrages parus: biographie « Malraux maintenant », Le Passeur éditeur; roman « Portuaire », Kubik Editions.

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