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Catherine Millet, une mère en images

Catherine Millet publie "Simone Émonet" (Flammarion, 2025)


Catherine Millet, une mère en images
Catherine Millet publie "Simone Emonet" © ZIHNIOGLU KAMIL/LE MONDE/SIPA

Catherine Millet avait remisé photos et correspondance de famille au lendemain du suicide de sa mère, Simone Émonet. Quarante ans plus tard, ce carton à souvenirs lui inspire de bouleversantes confessions. 


Si les livres de Catherine Millet sont toujours surprenants, c’est que l’on comprend, une fois refermés, qu’ils ne furent que rarement suscités, « déclenchés » par un désir suprême de leur auteur, un désir irréfragable ou même une urgence, une douleur enfouie ou une joie irrépressible, mais par une situation, des circonstances, c’est-à-dire l’Occasion. Occasion est une divinité allégorique qui préside au moment opportun pour réussir dans une entreprise. On la représente sous la figure d’une jeune femme nue et chauve par-derrière, et avec une longue tresse de cheveux par-devant, un pied en l’air, l’autre sur une roue, tenant un rasoir d’une main et une voile tendue au vent de l’autre, et quelquefois marchant rapidement sur le fil du rasoir sans se blesser. Saisir le moment favorable, donc, tient à un cheveu, à un fil. Dans le cas qui nous occupe, « à une faille dérisoire de la mémoire ».

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Un jour, Catherine avise, dans son grenier, une boîte de carton laqué bordeaux dans laquelle elle avait fait tenir, au lendemain du suicide de sa mère au printemps 1982, documents de famille, correspondance en vrac et photos. Certes, elle ne l’avait pas oubliée, mais le motif pour lequel elle tira cette boîte de son « réduit » et la fouillait demeure à ce jour énigmatique. Qu’importe ! Voici « l’étincelle qui me fait écrire en ce moment, qui me fait chercher les mots qui, plus que de raccommoder la mémoire, convertissent le temps sans retour de la vie en un panorama fascinant, un espace circulaire où je me tiens en ce moment même, à tout jamais inassouvie, asservie, captive. Un lent carrousel, où l’enfant réclame de faire encore un tour. » Attention : les mots et leur manège vont métamorphoser le temps qui surgit ! Et voilà, en effet, que s’offre à Catherine Millet, qui nous le transmet, un panorama, soit « une peinture développée circulairement sur le mur intérieur d’une rotonde et donnant l’illusion de la réalité par des effets de perspective et de trompe-l’œil ».

Simone Émonet, l’un des plus beaux livres de Catherine Millet, est un double récit initiatique : elle y fait l’expérience de retrouver des images du corps de sa mère malade quand cette dernière a mis fin à ses jours pour n’avoir plus d’image de ce corps.

L’auteur d’Une enfance de rêve (Flammarion, 2014) confesse n’avoir jamais regardé cette mère comme elle la regarde aujourd’hui sur les photos découvertes dans la boîte de carton laqué bordeaux : « Depuis la révolution Kodak, la sensibilité technique surimpressionne la mémoire et y fait son travail de termite. »

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Que cherche Catherine Millet avec ses confessions ? À convertir le temps. À métaboliser le poison du souvenir du corps « possédé » de sa mère : « Le corps de ma mère enfoui dans un lit d’hôpital, c’était la vérité entropique de la vie qui s’exposait sous mes yeux et qu’elle assumait si douloureusement. »

On ne sort pas indemne de la lecture de ce livre qui amène, immanquablement, à questionner sa propre histoire.


Simone Émonet, Catherine Millet, Flammarion, 2025. 176 pages.

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écrivain et critique littéraire

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