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Vatican: quelle stratégie?

Face à la « mondialisation de l’indifférence », le nouveau Pape propose de faire reconnaitre l’hospitalité de l’île de Lampedusa au « patrimoine culturel immatériel de l’humanité ».


Le Vatican étant aussi un État, on doit avoir le droit de questionner, voire de critiquer, sa politique, ses orientations stratégiques sans que cela ne soit pris d’emblée pour une attaque contre la religion, ses dogmes, ses principes, ses vertus.

On connaît l’antienne culpabilisante à souhait qui voudrait qu’on s’abstienne de toute expression quelque peu acerbe de crainte que cela ne fasse le jeu du camp d’en face. L’argument peut sembler aujourd’hui des plus éculés, ayant été tellement asséné par les communistes d’après-guerre répétant à l’envi que dénigrer ou contester Staline revenait à servir la soupe à la réaction capitaliste. Considérons donc que ce baratin a fait long feu et autorisons-nous tranquillement la question, certes abrupte dans sa formulation mais néanmoins légitime, de savoir pour qui roule effectivement ces temps-ci la diplomatie vaticane.

Pourquoi cette question ? Parce que l’actualité la suggère. Pour ne pas dire nous l’impose.

Le 2 octobre, en ouverture du Jubilé des migrants et devant les participants à la conférence « Réfugiés et migrants dans notre maison commune », le pape Léon XIV, fustigeant la « mondialisation de l’indifférence » comme l’avait fait François, son prédécesseur, et prônant une « culture de la réconciliation », a déclaré : « Migrants et réfugiés peuvent être des témoins privilégiés d’espérance grâce à leur résilience et à leur confiance en Dieu » (sic).

On passera sous silence le fait que migrants et réfugiés ne relèvent pas, du moins relativement à notre perception des choses, de statuts parfaitement identiques et nous rangerons donc cet amalgame quelque peu hâtif sous la bannière d’une bienveillance toute chrétienne.

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Dans le même propos, le Pape livre une estimation chiffrée intéressante, évaluant « les défis actuels de la migration à cent millions de personnes. » Sans doute faudra-t-il attendre d’autres conférences du même ordre pour en apprendre un peu sur les politiques, les méthodes, les dispositions et dispositifs à mettre en place pour que cent millions de personnes puissent être accueillies et promises à un avenir digne, conforme humainement et socialement aux normes des pays d’accueil.

On apprend aussi, au cours de cette allocution pontificale, que Léon XIV a enregistré un message vidéo à « l’occasion de la candidature d’inscription des gestes d’hospitalité à Lampedusa au patrimoine universel de l’UNESCO »… Ce qui revient peu ou prou à conférer à l’ouverture de l’Occident aux migrations invasives – certes invasives, puisqu’il s’agit de cent millions d’individus – un statut officiel, assumé, affiché à destination du monde entier. Cela sans que, à ma connaissance les opinions citoyennes des pays concernés aient eu leur mot à dire. Sans non plus qu’ait été abordées, étudiées et analysées les conséquences culturelles, civilisationnelles d’une greffe de cent millions d’âmes sur les modes de pensée, de vie, les mœurs, les lois, les croyances et religions des populations autochtones.

Dans le très beau – et très long film – Le Guépard, lors d’un échange avec son confesseur jésuite, le prince Salina lâche ce propos quelque peu iconoclaste: « si l’Église devait nous sacrifier pour assurer sa survie, elle nous sacrifierait. »

Cette saillie m’a toujours donné à penser. Sans aller jusqu’à la perspective peu réjouissante envisagée par le prince sicilien, il me semble qu’on peut tout de même s’interroger sur la stratégie vaticane. Une stratégie, très jésuitiquement correcte d’ailleurs, qui consisterait à privilégier les foyers d’expansion possibles au détriment de ceux où l’avenir serait désormais quand même beaucoup moins prometteur. Pour l’instant, on en serait encore à ménager la chèvre et le chou. La chèvre, les contrées sources d’émigration ; le chou, notre Occident.        

Mais comme on n’a jamais vu un chou bouloter une chèvre et que l’inverse est de pratique courante, on se gardera de tout optimisme béat devant une telle approche des choses. 

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La bibliothèque qui venait de l’Est

Le très original essai de Vanessa de Senarclens, La Bibliothèque retrouvée, nous plonge dans un monde qui n’existe plus, et dont nous sommes quelques-uns à avoir la nostalgie.


C’est une histoire vraie, qui s’est déroulée à partir du XVIIIe siècle en Poméranie orientale, devenue progressivement partie intégrante de la Prusse après les traités de Westphalie (1648) et de Stettin (1653) et qui s’étendait sur la côte sud de la mer Baltique jusqu’à la Pologne. J’ai retrouvé dans ce livre une atmosphère que je connaissais bien, pour avoir, dans ma vie, fait de multiples voyages en terre polonaise. J’ai ressenti à nouveau le froid qui baigne le quotidien, et le goût de l’ordre, côtoyant les dérèglements soudains de l’histoire, qui se transforment en tragédies. Cette zone du monde est comme programmée pour accueillir la civilisation, dans une ambiance que Vanessa de Senarclens a excellemment rendue en faisant de sa « bibliothèque retrouvée » le sujet principal de son « enquête » historique, voire de sa quête spirituelle intime : « j’essaie de renouer, écrit-elle en préambule, le fil d’une conversation interrompue autour de livres et de leurs lecteurs depuis la fondation de la bibliothèque, au milieu du dix-huitième siècle ».

Une des plus belles bibliothèques d’Europe

Vanessa de Senarclens a donc choisi de nous parler d’un gentilhomme nommé Friedrich Wilhelm von der Osten, chambellan du roi Frédéric II en 1745. Il décida de créer chez lui, dans son château de Plathe, non loin de Stettin, une bibliothèque qui pourrait rivaliser avec les plus belles d’Europe. Vanessa de Senarclens souligne « l’importance des bibliothèques à cette époque », en particulier en Prusse, où dominait l’esprit des Lumières. Frédéric II était ce souverain éclairé, qui a protégé Voltaire, et qui avait fondé « à la fin de son règne, la première bibliothèque publique de Berlin ».

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Le contexte était donc très inspirant, et Friedrich Wilhelm von der Osten commença à rassembler des centaines d’ouvrages, avec discernement et érudition. Vanessa de Senarclens note que « le premier catalogue de la collection date de 1757 ». Hélas, ce document essentiel « a disparu en mars 1945 », dans l’effondrement de l’Allemagne.

Les soubresauts de la guerre

Vanessa de Senarclens, à vrai dire, insiste sur le XXe siècle et, plus précisément, sur cette période de la guerre. En 1945, avec l’arrivée de l’Armée rouge, les descendants de F. W. von der Osten durent s’enfuir de leur château dans la précipitation, et ne purent sauver tous leurs précieux livres. Une grande partie de la bibliothèque fut pillée. Dans ses recherches pour connaître ce qu’il en advint, Vanessa de Senarclens fut amenée à se rendre dans la ville polonaise de Łódź, appelée la « Manchester de l’Est », à cause de son industrie textile. C’est là, dans les bâtiments de la bibliothèque universitaire,qu’« ont atterri, après 1945, la plus grande partie de ces livres » : pas moins de 13 000 ouvrages, en provenance de Poméranie, y ont été recensés. Soit la presque totalité de la collection.

La civilisation des Lumières

En bibliophile avertie, Vanessa de Senarclens nous décrit les merveilleux volumes qui sont arrivés à Łódź. La liste est longue et parfois pittoresque. Les amoureux du XVIIIe siècle trouveront, dans les descriptions qu’elle en fait, bien des indications passionnantes, qui font revivre l’Europe d’alors. Elle note ainsi un grand nombre de livres sur la franc-maçonnerie. F. W. von der Osten en était un membre éminent, à une époque où « les loges obtiennent à Berlin une forme de légalité avec l’avènement de Frédéric II au trône ». Vanessa de Senarclens, peu versée dans cette connaissance occulte, essaie de comprendre en quoi tout cela consiste, derrière les formulations ésotériques : « un univers étrange qui met à mal nos repères », commente-t-elle, avec « ses personnages insolites, ses rites de passage » ; bref, ajoute-elle : un « mouvement cosmopolite, tolérant et, surtout, pacifiste ». Ces archives ont été « saisies par les nazis puis emportées par l’Armée rouge à Moscou après 1945 ».

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Elles ont été restituées de manière récente au Grand Orient de France, car elles étaient rédigées en français : parmi les frères « trois points », comme on les a appelés par la suite, il y avait, écrit Vanessa de Senarclens, des Français « issus du milieu protestant réfugié à Berlin à la fin du dix-septième siècle », détail historique pris sur le vif.

Vanessa de Senarclens recherche dans cette franc-maçonnerie prussienne une facette typique de l’Europe intellectuelle du XVIIIe siècle, qui s’est développée sous le nom de Lumières (Aufklärung en allemand). Elle fait alors une référence inattendue, dans un long paragraphe, à la nouvelle de Borges « Le congrès », tiré du Livre de sable, paru en 1975. J’ai eu la curiosité de relire la nouvelle, et cela a été comme une révélation. Borges écrit ainsi que « le Congrès du Monde a commencé avec le premier instant du monde et continuera quand nous ne serons plus que poussière. Il n’y a pas un endroit où il ne siège. Le Congrès, c’est les livres que nous avons brûlés… » Voilà qui éclaire à mes yeux le très beau livre de Vanessa de Senarclens et nous fait comprendre, à travers le destin fragile d’une bibliothèque « européenne », qu’une civilisation comme la nôtre est vulnérable. Le destin chaotique de la bibliothèque de Plathe en Poméranie nous conduit à y réfléchir plus que jamais, alors que non loin de là, aux portes de l’Europe, fait rage la guerre.

Vanessa de Senarclens, La Biliothèque retrouvée. Une enquête. Éd. Zoé, 255 pages.

La bibliothèque retrouvée: Une enquête

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Chronique d’un scandale politico-médiatique dont France Inter se serait bien passé

Ébranlées par «l’affaire Legrand/Cohen», Radio France et France Télé se sont vite ressaisies pour dénoncer le coupable: la fachosphère. Retour sur un scandale politico-médiatique qui a sorti l’audiovisuel public de sa zone de confort.


3 septembre. Un jour comme un autre sur France Inter. Dans le studio de « La Grande Matinale », l’émission d’information la plus écoutée du pays, avec 5 millions d’auditeurs, Patrick Cohen s’apprête à prononcer son éditorial politique. En cette rentrée chargée, il y a beaucoup d’événements à commenter. Tout le monde a compris que le gouvernement Bayrou tombera dans quelques jours. Mais Emmanuel Macron dissoudra-t-il l’Assemblée nationale dans la foulée ? Marine Le Pen, maîtresse du jeu, y a-t-elle intérêt ? Jean-Luc Mélenchon réussira-t-il à récupérer le mouvement « Bloquons tout », qui annonce une journée d’action le 10 septembre ? L’Histoire se souviendra-t-elle du passage fugace du maire de Pau à l’hôtel Matignon ? Peut-être un peu trop franco-français tout cela. Pour élever le niveau, le castor en chef de la radio publique a trouvé un angle original. Ce matin, il va se désoler que « l’extrême droite » soit « une idée qui fait son chemin en Europe ».

Cohen se lance : « Dans les trois premières économies d’Europe, en Allemagne, en France et au Royaume-Uni, le mécontentement est tel que l’extrême droite anti-immigration arrive en tête des sondages. » Manière habile d’amalgamer le RN français et l’AfD allemande… Puis l’ancien animateur de RTL et Europe 1 explique pourquoi tant d’Européens se tournent vers les partis populistes. Que l’on se rassure, il ne dira pas un mot de la réalité, de la montée de l’insécurité, des flux de migrants incontrôlés, du péril islamiste. Car il a une toute autre analyse : si l’extrême droite monte, c’est qu’elle a su « imposer son récit » sur l’immigration. Comprenez : Marine Le Pen mystifie ses électeurs.

Le soir, sur le plateau de « C à vous » (France 5), le journaliste se détend un peu en écoutant la chronique « humoristique » de Bertrand Chameroy, comique subventionné qui, le matin même sur France Inter, s’est moqué du député RN Julien Odoul. Cette fois, M. Chameroy vise – tiens, comme c’est bizarre ! – Éric Zemmour. Tandis qu’Anne-Élisabeth Lemoine glousse, Pierre Lescure tente de s’arracher un sourire : sans doute a-t-il encore à l’esprit le fait d’avoir dû renoncer, suite à une méchante cabale alimentée par Libération, à une émission de débat hebdomadaire sur Sud Radio avec Maud Koffler, une journaliste qui a eu l’audace, que dis-je, l’outrecuidance, de travailler pour Boulevard Voltaire et Radio Courtoisie.

Pierre Lescure a tenu à récuser toute pression extérieure, en particulier de la société Mediawan, qui produit justement « C à vous » et compte dans son tour de table l’homme d’affaires Matthieu Pigasse. Soutien du NFP, propriétaire des Inrockuptibles et de Radio Nova, actionnaire du Monde et du HuffPost, ce dernier a pourtant récemment déclaré dans Libération vouloir mettre les médias qu’il contrôle « au service d’une conception ouverte du monde, progressiste ».

4 septembre. « Le RN ne fait plus peur » aux patrons, s’alarme M. Cohen sur France Inter. Même si ce parti « a fait se dresser contre lui l’an dernier un barrage de 17 millions d’électeurs ». Et pour cause… Lors des dernières élections législatives, l’audiovisuel public a ardemment participé à la propagande contre l’« extrême droite », aux délires sur le retour des heures sombres, du nazisme et de la peste bubonique. Le fameux « barrage républicain » a permis au PS de récupérer, ce qui était inespéré, 66 sièges au Palais Bourbon.

5 septembre. Scandale en approche. Pour prouver la véracité d’un article accusé d’être une « fake news » par la gauchosphère, le magazine LIncorrect porte à la connaissance du public une vidéo montrant Patrick Cohen et son confrère de France Inter, Thomas Legrand, attablés dans un café parisien (le Coucou, avenue Duquesne, dans le 7e arrondissement de Paris) avec deux dirigeants PS, méconnus du grand public mais très puissants : Pierre Jouvet, secrétaire général du parti à la rose, Luc Broussy, président du conseil national. Rachida Dati semble faire les frais de leur conversation, où l’on spécule à bâtons rompus sur les prochaines élections municipales. « On fait ce quil faut pour Dati, Patrick et moi  », promet Legrand à ses interlocuteurs, ne laissant aucun doute quant à la signification de cette phrase qui veut dire en réalité : « Promis, à lantenne de France Inter, nos critiques contre la ministre de la Culture et future candidate LR à la mairie de Paris seront nettement plus sévères que nos quelques réserves s’agissant du PS. »

La discussion porte également sur les prochaines présidentielles, en particulier le second tour : « Le problème, avec un Le Pen-Glucksmann, c’est que je ne sais pas ce que fait le centre droit. Je pense qu’ils vont sur Glucksmann mais… Le marais centre droit centre-gauche, on ne les entend pas beaucoup mais ils écoutent France Inter. Et ils écoutent en masse ! » lâche Thomas Legrand, sous-entendant clairement que la radio publique pourrait soutenir M. Glucksmann – chouchou de Thomas Legrand, Patrick Cohen en a brossé un portrait extrêmement flatteur quelques mois plus tôt – et influencer, l’air de rien, une partie de l’électorat.

Par ailleurs, le quarteron politico-médiatique est d’avis qu’il faut encourager l’implantation en France d’éoliennes et de panneaux photovoltaïques. Aucune équivoque possible : cette vidéo montre d’influents journalistes du service public audiovisuel échafauder avec des cadres socialistes les stratégies des prochaines élections et promettre un soutien au catastrophique programme énergétique imposé par Bruxelles.

Le Monde, qui n’avait pas eu de mots assez durs contre le journaliste Jean-François Achilli lorsque celui-ci avait été licencié de France Info pour un hypothétique projet de livre avec Jordan Bardella, tente immédiatement de convaincre ses lecteurs que, cette fois, ce n’est pas pareil. La polémique concernant MM. Cohen et Legrand serait « le genre de tempête que CNews, Europe 1, et la constellation de médias d’extrême droite avec lesquels ces antennes collaborent, déclenchent pour s’en délecter ad nauseam ».

6 septembre.La direction deFrance Inter suspend à titre conservatoire le lampiste Thomas Legrand. Patrick Cohen – qui n’a rien dit de compromettant devant son café au Coucou – échappe, lui, à toute sanction. Dans les hautes sphères de l’audiovisuel public, on espère que les événements politiques qui vont secouer la France – la chute du gouvernement Bayrou et les manifestations du 10 septembre – feront oublier cette vidéo accablante, preuve incontestable de collusion entre des journalistes-militants de l’audiovisuel public et la gauche socialiste. Pour les aider dans ce travail d’amnésie, les JT de TF1 et de France 2 évitent tout bonnement d’en parler. Foudroyés par la réalité, les journaux bien-pensants font quant à eux le service minimum en reprenant les dépêches « neutres » de l’AFP, mais en rajoutant toutefois le qualificatif « d’extrême droite » pour désigner LIncorrect. Trois mots d’infamie pour neutraliser l’information principale, qui confirme ce que tout le monde sait : l’audiovisuel public, payé par tous les Français, est entre les mains d’une caste journalistique n’hésitant pas à orienter l’information dans le sens de son idéologie socialiste, wokiste, immigrationniste, européiste et écologiste.

7 septembre. Dans Libération,Thomas Legrand se défend comme il peut, c’est-à-dire mal. En substance : nous n’avons pas entendu ce que nous avons entendu, ses phrases sur Raphaël Glucksmann étaient tronquées, hors contexte, celles sur Rachida Dati peuvent choquer, mais le journaliste « assume de dire la vérité sur l’attitude néotrumpienne (sic) de la ministre ». Etc. Thomas Legrand et Patrick Cohen annoncent vouloir porter plainte pour atteinte à la vie privée. Immédiatement, la vidéo d’une émission de « C à vous » circule sur la Toile. On y entend Patrick Cohen justifier un enregistrement contre Laurent Wauquiez réalisé à son insu : « Il y a une démarche journalistique qui me semble tout à fait légitime. » Quant à Thomas Legrand, L’Incorrect rappelle ce qu’il écrivait en 2010, à propos des conversations enregistrées illicitement par le majordome de Liliane Bettencourt : « Les bandes sonores récupérées par Médiapart sont des objets journalistiques tout à fait conformes à l’exercice de notre métier. Ils [les journalistes de Mediapart] ont obtenu cette bande, ils ne l’ont pas volée, ils ont vérifié sa véracité et ils ont jugé leur source fiable. Et cet enregistrement apporte des tas d’informations ! Des informations très éclairantes sur la façon dont une partie du monde économique et financier utilise le monde politique. » Les avocats de MM. Cohen et Legrand se grattent la tête. « C’est pas gagné », aurait dit l’un d’eux.

8 septembre. Le gouvernement Bayrou tombe. Ouf ! Cela dispense d’évoquer la polémique qui enfle. Polémique ? Quelle polémique ?

Sibyle Veil, patronne de Radio France, défend l’audiovisuel public face aux accusations de collusion politico-médiatique. Eric Dessons/JDD/SIPA

9 septembre. Thomas Legrand renonce à son émission hebdomadaire sur France Inter. Pour dérider Patrick Cohen, Bertrand Chameroy tente désespérément d’être drôle : « Ça fait 72 heures que Pascal Praud ne débande plus. »

10 septembre. Dans l’émission « Quotidien » sur TMC, Benjamin Duhamel est complaisamment sollicité par Yann Barthès pour dire ce qu’il pense de la vidéo où l’on voit ses confrères s’entendre comme larrons en foire avec des membres du PS. « Je n’ai pas le sentiment qu’ils établissent des stratégies », répond-il, légèrement mal à l’aise. Plus gêné, en tout cas, que le directeur éditorial de Radio France, Vincent Meslet, connu pour avoir déclaré en 2015 à Libération qu’il a « toujours voté socialiste ou écologiste », mais qui affirme à présent dans Le Parisien : « Le pluralisme est omniprésent sur nos antennes », avant de déclarervouloir faire la guerre aux « médias d’opinion ».

11 septembre. Début des hostilités, donc. Au micro de France Inter, le comique troupier François Morel traite de « fils de pute » et d’« enculés » les journalistes de LIncorrect. Ce ne sont pas des insultes graveleuses mais de l’humour de gauche, faudrait voir à pas confondre.

12 septembre. Patrick Cohen est blanchi par le comité d’éthique de France Télévisions. Au même moment, Thomas Legrand est invité à s’expliquer dans l’émission de la médiatrice de France Inter… qui ne l’interroge pas sur les propos tenus chez Coco au sujet de Rachida Dati. Comme on dit avenue Duquesne, la consoeur « a fait ce quil faut ».

15 septembre. Sibyle Veil, la patronne de Radio France, dont France Inter est l’une des filiales, envoie un e-mail à toutes ses équipes. « Nous n’avons rien à voir avec un média d’opinion », écrit-elle, autrement plus drôle que Bertrand Chameroy.

16 septembre. L’Arcom auditionne les dirigeantes de Radio France et France Télévisions. Personne n’est dupe. Cette audition, qui s’est étrangement déroulée à huis clos, débouche comme prévu sur des déclarations spécieuses et de faux serments.

17 septembre. Dans une interview au Monde, Delphine Ernotte, qui n’est que partiellement concernée par l’affaire (puisque Thomas Legrand n’a jamais travaillé pour elle), fait bloc avec Sibyle Veil en lançant une contre-attaque envers CNews. « Il faut admettre que CNews est un média dopinion, lâche-t-elle. Quils assument d’être une chaîne dextrême droite ! » Pas sûr que la stratégie du nom d’oiseau fasse oublier le scandale initial.

18 septembre. « Si c’était à refaire, je le referais, dans un endroit plus discret », se flatte Thomas Legrand dans « Quotidien ». Fin du gag.

Rien ne changera. Entre deux ricanements, les journalistes-militants du service public vont continuer de tordre la réalité pour orienter l’information et d’insulter les Français réfractaires à leur doxa. Et, au moment des élections, Patrick Cohen pourra faire barrage à tout-va et tancer vertement les électeurs récalcitrants. On parie ?

Le prince et le pauvre

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Homosexualité. Quand Nicky Larson ne-craint-personne vire sa cuti.


Kosuke, ravissant model boy nippon, propre sur lui, soigne son apparence physique et sa mise vestimentaire tout autant que le design de son confortable loft tokyoïte, qui témoigne d’une belle aisance financière. Le jeune égotiste se choisit un jeune coach sur internet. Pousser de la fonte crée du lien, comme on sait : ils finissent par coucher ensemble – on s’en doutait un peu. Mais sur cette base un peu lisse, la romance va bifurquer de façon beaucoup moins attendue…

Daishi Matsunaga, cinéaste venu du documentaire, fait preuve en effet d’un rare talent pour que Egoist échappe de la sorte à l’estampille du film communautariste LGBTQIA+  – dépassant ainsi de loin les limites assignées à cet acronyme imprononçable (et que votre serviteur, entre parenthèses, a toujours trouvé grotesque).

Quoiqu’il en soit, ce serait dommage de vous déflorer l’intrigue. On se contentera donc de préciser ici que les deux héros du film sont issus de milieux sociaux différents : Kosuke était encore adolescent quand sa mère est morte, et son père veuf, du fond de sa campagne, ignore tout de l’homosexualité de son fils unique ; quant à Ryüta, le coach, autodidacte déscolarisé de bonne heure, il subvient par des moyens inavouables aux besoins de sa mère désargentée, laquelle occupe seule un modeste logis dans un quartier périphérique de la capitale.

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Entre les deux garçons, l’idylle amoureuse et sensuelle, sujette à un certain nombre de retournements (au propre comme au figuré), donnera bientôt lieu à toute une suite de dons et de contre-dons (matériels et symboliques) qui, dans la dernière partie du film, engagera jusqu’à la mère de Ryüta, échanges dans lesquels se seront révélées, de proche en proche, les personnalités des trois protagonistes…

Quoique les scènes de cul (c’est le cas de le dire) soient montrées tout au long de façon très explicite par un réalisateur qui connaît manifestement son affaire, une grande douceur, voire même une pudeur infiniment délicate émane de cette fausse bluette homo, aux ellipses pleines de sens, pour tendre à un discours plus universel sur l’oubli de soi et le sacrifice de son ego. Si, comme disait l’autre, les histoires d’amour finissement mal en général, celle-ci en particulier, par antiphrase à l’énoncé du titre, décrit le parcours surprenant du dévouement et de la bonté. En outre Egoist développe avec une acuité, une sensibilité inattendue, au prisme d’un drame passionnel homo croisé d’observation sociologique, un regard singulier sur les mœurs du Japon contemporain.

Le film est porté par un trio d’excellents acteurs, à commencer par Ryöhei Suzuki, ici dans le rôle de Kosuke, l’amant secourable et bienfaisant, contre-emploi que domine avec infiniment de charme et de réserve ce beau gosse photogénique, star locale plus connue au Japon pour ses performances dans des films d’action, tel City Hunter, qu’on peut visionner d’ailleurs sur Netflix1.


Egoist. Film de Daishi Matsunaga. Avec Ryöhei Suzuki, Hio Miyazawa… Japon, couleur, 2023. Durée : 2h. En salles le 8 octobre 2025

  1. https://www.netflix.com/fr/title/81454087 ↩︎

Fragments sur la joute (l’amour)

Dans un livre, Richard Millet transforme le deuil de l’amour de sa vie en une méditation vibrante sur le mystère irréductible du couple


Les inconditionnels de Richard Millet ne l’attendaient pas sur ce terrain-là, mais l’homme est imprévisible. Il peut ferrailler contre la société, l’appauvrissement de la langue, les résultats désastreux de la confusion générale, la perte des valeurs suprêmes, en un mot, le tsunami nihiliste qui vient, qui est au-dessus de nos têtes, et il peut aussi nous offrir un récit exigeant, savamment documenté, et surtout émouvant sur la joute entre deux êtres qui s’aiment d’un amour puissant que seule la mort descelle.

Sommations

Le mot « joute » fait penser à combat, mais combat entre deux chevaliers pour une noble cause, ce qui, à notre époque, apparait complètement désuet, ou « kitch » c’est-à-dire « la station de correspondance entre l’être et l’oubli », pour reprendre la formule célèbre de Milan Kundera. Richard Millet nous rappelle que le vocable « joute » vient du latin juxtare :se joindre. Chez Brantome, au XVIe siècle, « entrer en jouxte » signifie faire l’amour. Vaste programme dans une société où l’acte sexuel semble terroriser, et où la pornographie a saccagé l’érotisme. On est sommé de jouir, selon des critères fallacieux, et l’on ne jouit plus.

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Le récit de Millet formant un puzzle subtil, où chaque pièce suggère une réflexion inachevée, on pense au texte Fragments d’un discours amoureux, de Roland Barthes. C’est, rappelons-le, un amoureux qui parle et qui dit. C’est aussi un amoureux qui attend « une arrivée, un retour, un signe promis ». Millet, lui, n’attend plus rien ; peut-être un signe, et encore si seulement la lune éclaire d’une douce lumière le faîte de la colline de l’enfance. Il n’attend plus rien, car la maladie a emporté la femme aimée, en 2020, et la solitude s’est emparée de lui, l’a verrouillé dans un long deuil, le couple s’est subitement effondré, et le dialogue, cette joute qui ne ressemble aucunement au pugilat, s’est dilué dans un quotidien mortifère et silencieux. Or le silence est le pire ennemi du désir. Le désir entretenu par la joute. Le mystère du couple a été rompu. L’écrivain a dû attendre que la paix précaire revienne, comme les animaux reviennent dans le champ après un tremblement de terre. Il y a des cycles immuables que la psyché impose. Une interrogation inlassable et sans fin a pris naissance en lui – ce livre, jamais, n’aura de fin. Elle concerne les rapports entre l’homme et la femme, débarrassés du discours journalistique insipide et pompeux. Millet a disséqué la séculaire division des sexes : amour, séduction, mariage, scènes, trahison, rupture, haine, etc. Il montre que le mystère doit prévaloir entre deux individus attirés l’un l’autre, un mystère dont l’essence, malgré nos efforts, échappe. Et pourtant, il demeure essentiel au couple, même défait : « La condition du veuf n’est donc pas la fin de la joute, écrit Millet ; elle pérennise le mystère du mariage jusque dans la mort, et après celle-ci… »

Bien précieux

Mais la joute s’exerce surtout entre les vivants, pour qu’ils demeurent vivants, c’est-à-dire en perpétuel mouvement, mus par les sentiments sans cesse renouvelés. Cela peut faire sourire les cyniques, les « revenus » de tout, l’armée hystérique des égocentriques, l’enjeu est certes de taille, mais pas insurmontable, Millet le prouve au fil des pages, et c’est plutôt réconfortant par temps de désespoir organisé. Car même si le dialogue avec son épouse fut interrompu par la mort, le soliloque perdure, et le lien demeure : « Tu continues de ne pas être moi, et de t’incarner au fond de moi. »

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Alors Millet vivant, bien sûr, j’insiste. Les femmes le passionnent, et l’ardeur ne faiblit pas. La joute peut reprendre à n’importe quel moment, avec ses règles strictes, à l’opposer des oukases de la bien-pensance. L’amant n’attend rien, il est donc à la merci de la passante chère à Baudelaire. Duras a écrit : « Il n’y a pas de vacances à l’amour. » Millet ajoute : « Il n’y a donc pas de vacances à la joute. » L’espoir ne doit pas être trahi par une attitude de défaite. L’écrivain précise : « Toute fiancée vient à nous pour que nous descendions dans le fleuve ou l’impossible lutte avec l’espérance. »

Il faut cultiver ce bien précieux qu’on nomme sentimentalité, le préserver, le réoxygéner, c’est le trait d’union entre deux êtres que la joute stimule, sans faux-semblants ou trompeuses espérances, parce qu’il n’y a pas de fontaine de Trevi au purgatoire.

Richard Millet, La Joute : Combat de l’homme et de la femme dans la nuit du siècle, Les Provinciales. 160 pages

La joute: Combat de l’homme et de la femme dans la nuit du siècle

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Podcast: Tremblement de terre en France, condamnation d’un ex-président

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Notre 100e épisode, avec Philippe Bilger et Jeremy Stubbs 💯


La condamnation de l’ancien président de la République a déclenché une polémique de grande ampleur. Des commentateurs de gauche comme de droite l’ont applaudie ou dénoncée selon leur préférence idéologique. Selon Philippe Bilger, il est parfaitement légitime de critiquer ce jugement, notamment l’exécution provisoire de la peine prononcée. Mais faut-il pour autant porter atteinte à l’autorité de la justice ? Si l’on peut très bien souhaiter que des peines plus sévères soient prononcées parfois contre des voyous coupables de violences, doit-on se plaindre quand une punition tombe sur un membre de son propre camp politique? Le pouvoir judiciaire est-il actuellement plus défaillant que l’exécutif ou le législatif?

Nicolas Sarkozy a fait appel et il aura encore une occasion pour prouver son innocence. Que la justice suive son cours !

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Il y a une vie après l’Assemblée

Drapeaux palestiniens, pétition sur l’immigration, chute du gouvernement… la vie politique a fait sa rentrée en fanfare. Et si elle nous fait parfois rire, c’est le plus souvent jaune.


Panthéon

J’avoue que j’en ai ri. « Parce que la politique est aussi affaire de symbole, nous devrons ouvrir le débat sur la devise inscrite au fronton du Panthéon : “Aux grands hommes, la patrie reconnaissante”. » Eh oui, c’était durant sa conférence de presse sur la rentrée scolaire que la ministre de l’Éducation nationale a fait cette grande annonce : elle veut dégenrer le Panthéon… Mais qui lui trouve ce genre d’idées ? Comment paraître davantage déconnectée des préoccupations des Français qu’avec cette mesure ? Eh oh, madame Borne, le niveau scolaire de nos enfants qui s’effondre, le harcèlement, les profs absents pas suffisamment remplacés, la violence à l’école, le communautarisme : vous en avez entendu parler ? En fait, c’est encore plus grave que je ne pensais. Élisabeth Borne a abdiqué. Elle a définitivement admis que nos enfants étaient des crétins. Et qu’ils n’étaient évidemment pas capables de comprendre que le mot « homme » représente une personne. On dirait l’Église catholique qui remplace, dans sa liturgie, « mes bien chers frères » par « mes bien cher(e)s sœurs et frères ». Ça m’insupporte. Mais revenons à Élisabeth Borne : en ouvrant le débat, elle a donné l’occasion à certains de faire tourner leur imagination à plein régime. La palme revient probablement à Marianne qui proposait (au second degré bien sûr !) la formulation suivante : « Aux personnes de toutes tailles et de tous genres, le Vivant reconnaissant ». À qui le tour ?

Motion de confiance

Mais quelle mouche l’a donc piqué ? François Bayrou est-il devenu fou ? Engager la responsabilité de son gouvernement le 8 septembre, sans majorité et alors qu’aucune motion de censure n’avait été déposée. A-t-il vraiment cru que le Rassemblement national voterait la confiance ? On est dans la droite ligne de la dissolution de l’Assemblée nationale par Jacques Chirac en 1997, ou de celle d’Emmanuel Macron en 2024 ! Qui resteront dans les annales de l’histoire politique française comme les pires bourdes de la Ve République. Après quarante années d’existence en politique, voilà qui s’appelle finir en eau de boudin…

Pétition

Magnifique exemple de la bêtise des partis politiques ! En quinze jours, c’est plus de 1,7 million de Français qui ont signé la pétition de Philippe de Villiers réclamant un référendum sur l’immigration ! Je passe sur la polémique des vraies-fausses signatures. Quelques-uns ont peut-être signé plusieurs fois, mais ça ne change rien au succès de l’initiative du fondateur du Puy-du-Fou. Non, ce qui m’étonne plutôt, c’est la frilosité de certains politiques : Marine Le Pen demande depuis longtemps un référendum sur l’immigration, mais juge inutile de signer la pétition. Pourquoi diable ? Au motif que « tout le monde sait ce qu’elle pense sur le sujet ». Ce n’est évidemment pas le problème ! Quelques caciques du parti signeront quand même, pour ne pas heurter leurs militants… Même chose chez les républicains. Ils avaient en effet déposé une requête pour « redonner la parole aux Français en matière d’immigration » en avril 2024. Demande censurée par le Conseil constitutionnel. Là encore, Bruno Retailleau refuse de signer la pétition quand Laurent Wauquiez revendique de le faire. Pour ennuyer son rival, naturellement. Qu’en pensent les électeurs ? Moi, ça me désespère…

Avantages à vie

Je suis vraiment partagée. L’annonce par Sébastien Lecornu de la fin des avantages à vie des ministres, au moment où les finances de la France sont au plus bas, me semble de bon sens si c’est pour « prouver » aux Français qu’ils ne seront pas les seuls à faire des efforts. Et puis, comme le dit Élisabeth Borne, « la politique est aussi affaire de symboles »… Espérons pourtant que ce ne soit pas la seule mesure prévue par notre nouveau Premier ministre pour rétablir nos finances : les économies réalisées devraient être de l’ordre de 1,5 million (million, pas milliard !) d’euros. À ce train-là, nous passerons en dessous des 3 % de déficit d’ici la fin du troisième millénaire…

Musique

Un pur moment de magie. Une fin d’après-midi ensoleillée. Un cadre idyllique au milieu des arbres. C’est le moment tant attendu de remettre aux élèves d’une école primaire et d’un collège de Béziers les instruments de musique du conservatoire qui leur sont gracieusement prêtés et qu’ils garderont durant trois ans afin de leur permettre de suivre une classe aux horaires aménagés pour apprendre à jouer de la trompette, du saxophone, du violon ou de la flûte traversière… Sans oublier le trombone ou le cor ! Certains enfants sont à peine plus grands que leur instrument. Magique, je vous le disais…

Drapeau, pas drapeau ?

Olivier Faure propose aux maires « de faire flotter le drapeau palestinien » sur les hôtels de ville le 22 septembre, jour de la reconnaissance par Emmanuel Macron de l’État de Palestine. Une bien mauvaise façon… Et un drapeau qui électrise maintenant un pays, la France, qui n’en avait vraiment pas besoin. Pour parler très clairement, Olivier Faure a décidé de doubler Mélenchon sur sa gauche extrême dans sa course à l’électoralisme. Sans même éprouver le début de la moindre gêne… Tout cela pourrait n’être qu’une bête histoire de drapeau si elle n’intervenait pas précisément le jour où le chef de l’État a décidé de reconnaître la Palestine, s’asseyant sur les conditions qu’il avait lui-même posées. Un beau cadeau fait aux assassins-terroristes du Hamas. Et qui plus est la veille de Roch Hachana, le Nouvel An juif, l’une des fêtes les plus importantes du peuple hébraïque. Tout un symbole… Dans le même temps, on apprend dans un sondage IFOP que 31 % des 18-24 ans estiment « légitime de s’en prendre aux Français juifs au nom du conflit à Gaza » ! Effrayant. Sinistre. Atterrant. À Béziers, la bâche qui rappelle le pogrom du 7 octobre 2023 est toujours en place et le 22 septembre, ce sont les drapeaux français qui ont pavoisé la façade de l’hôtel de ville…

Le grand choir

Effondrement de l’Éducation, immigration à jets continus, dette abyssale, cacophonie politique… Beaucoup pensent que la France est foutue et cherchent des coupables. Mais la plupart des crises que nous traversons sont une coproduction gouvernants-gouvernés. Pour avoir une chance de redresser le pays, les Français doivent arrêter de se victimiser et de compter sur l’État-providence.


À qui la faute – les riches, les boomers, les immigrés, les islamo-gauchistes, les technos, l’extrême droite, les fumeurs de joint, les trompettistes ? La quête obsessionnelle de coupables est le symptôme le plus déprimant du malheur français. Face à des difficultés qui paraissent insolubles, on dresse un pilori en place publique et on danse la carmagnole. En dépit de leurs innombrables disputes, une majorité de Français s’accorde au moins à éprouver le même sentiment vertigineux de dégringolade nationale. Certes, le malheur public peut, et heureusement, coexister avec le bonheur privé. Toutefois, si nous sommes presque les champions du monde de la consommation d’antidépresseurs, cela n’est sans doute pas sans rapport avec notre incapacité à penser un avenir collectif. L’animal social ne vit pas seulement de l’amour des siens.

De De Gaulle à Delogu

Sommes-nous foutus ? À la différence d’Éric Naulleau, dont la religion est faite (voir son manifeste foutuiste dans notre grand dossier), nous n’avons pas de réponse claire à la question qui taraude les bistrots, les dîners en ville et les salles de rédaction. Mais nombre de nos concitoyens en sont convaincus, notamment les jeunes diplômés qui vont voir ailleurs.

Contrairement à ce que pensent la plupart des observateurs, la pagaille politique n’est pas la cause mais la conséquence de toutes les autres. C’est notre société fatiguée et éparpillée façon puzzle qui a accouché de cette assemblée ingouvernable et d’élites politiques parfois infréquentables : de de Gaulle à Delogu, on n’a pas baissé de niveau, on a changé de monde. Le reste est à l’avenant. Où que se tourne le regard, comme dirait l’ami Goldnadel, il ne voit que faillites, débâcles et processus que plus personne ne maîtrise. Éducation, immigration, islamisation, économie, dette : tout est à reconstruire.

Commençons par l’École, mère de toutes nos défaites. À l’exception des technos de l’Éducation nationale conservés dans le formol idéologique depuis les années 1970, plus personne ne peut ignorer une destruction dont les conséquences se mesurent désormais dans la population adulte – y compris celle des professeurs. Les ravages de la bienveillance, disséqués par Matthieu Grimpret (dont Jonathan Siksou recense le livre dans nos colonnes), sont tels que, selon une étude de l’OCDE, 28 % des Français éprouvent de grandes difficultés à maîtriser un texte simple.

Viennent ensuite – quoiqu’au moins à égalité dans la gravité – l’immigration et le changement démographique qui saute aux yeux de tout étranger arrivant à Paris après dix ans d’absence. La France n’est plus un pays multiethnique, mais une nation multiculturelle, où comme chez McDo, chacun vient comme il est. Les nouveaux arrivants qui débarquent à jets continus s’ajoutant aux millions de descendants d’immigrés qui n’ont pas tous adopté les mœurs de leur pays d’adoption, les zones de non-France ne cessent de s’étendre. Autrement dit, on se rapproche du point de rupture où les populations autochtones deviendront minoritaires. Nicolas Pouvreau-Monti, qui analyse les données factuelles dans notre numéro ne se risque pas à dire quand ce point de rupture sera atteint. Mais sauf virage à 180 degrés de notre politique migratoire, il le sera.

Inutile de s’étendre sur le front économique et financier, si ce n’est pour rappeler deux chiffres : à la chute du mur de Berlin, la richesse produite par habitant en France égalait 80 % de celle des États-Unis et l’endettement de l’État s’élevait à 35 % du PIB. Aujourd’hui nous sommes tombés à 65 % du PIB américain par tête et avons dépassé les 110 % de dette publique. Alain Minc a raison de dire que le risque d’une tutelle de la BCE n’est pas une fake news, n’en déplaise aux économistes pikettiens qui dominent l’université et les médias.

Les emmerdes, ça vole toujours en escadrille

La plupart de ces catastrophes sont cumulatives: les professeurs formés dans une école au rabais sont de moins en moins capables d’instruire ; plus il y a d’immigrés, moins ils ont besoin de s’intégrer ; il faut emprunter pour payer les intérêts de la dette ; et moins on fait d’enfants, moins il y aura de parents à la génération suivante. Autant de raisons de penser que la décadence est irréversible. Après tout, si les civilisations sont mortelles, peut-être faut-il accepter que la nôtre a commencé son agonie. Pourtant, quelque chose en nous se refuse encore à disparaître. La ferveur de tout le pays lorsque les cloches de Notre-Dame ont à nouveau retenti dans le ciel de Paris, ce n’était pas du chiqué. La France défilant pour Charlie non plus.

La condition du sursaut, en supposant qu’il puisse avoir lieu, c’est de comprendre ce qui nous arrive, et qui tient largement à un cocktail très français d’irresponsabilité et de déni. En se libérant de la légende gaullienne, certes géniale et flamboyante, d’une France victorieuse en 1945 sur laquelle revient Franz-Olivier Giesbert, observateur acéré du théâtre politique (votre notre entretien pages p 52-57 de notre numéro). Et en s’émancipant des mots d’ordre bidon imposés par les élites – l’immigration est une chance pour la France – ou entonnés par le populo – il suffit de faire payer les riches pour conserver le modèle social que le monde nous envie.

Cependant, au pays de l’Etat omnipotent, les commandes au Père Noël ne sont pas toutes exaucées. Si en matière économique et sociale, le pouvoir a, depuis trente ans, cédé presque toujours aux caprices des Français – quand le réel commandait de résister –, il s’est avec constance refusé, avec le plus grand zèle, à écouter les demandes régaliennes et identitaires majoritaires – que le réel aurait dû lui imposer.

En attendant, la plupart de nos concitoyens s’estiment les victimes innocentes de dirigeants incompétents et moralement défaillants alors que vous-et-moi sommes irréprochables. D’où les cris et indignations quand François Bayrou a affirmé que nous étions tous responsables de la dette. C’est pas nous ! C’est le train de vie de l’État ! Certes, mais le train de vie de l’État, ce n’est pas la cave de l’Elysée, c’est ta cousine qui a un job à la communauté de communes, ton père qui est à la retraite depuis trente-deux ans. Nous voyons l’État comme un oncle Picsou à qui il faut arracher son magot. Sauf que l’oncle Picsou, c’est l’autre, qui doit payer donc trimer plus pour que nous puissions jouir de nos droits.

Les bons psychanalystes le savent, personne ne reprend la main sur sa vie en pleurnichant parce que papa et maman lui ont fait tellement de mal. Ce sont les Français qui ont élu avec constance des gouvernants immigrationnistes, européistes et dépensiers. Si nous voulons guérir, il nous faut encaisser un choc de réalité et admettre que la plupart des crises françaises sont une coproduction gouvernants-gouvernés. La bonne nouvelle, c’est que si nous avons participé au désastre, nous pouvons contribuer au redressement.

Manchester: l’inévitable

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Un homme armé a mené jeudi une attaque terroriste près d’une synagogue de Manchester, le jour de Yom Kippour, tuant deux personnes et en blessant grièvement quatre autres avant d’être abattu par la police. L’attentat, commis par Jihad al-Shami, un citoyen d’origine syrienne de 35 ans, était inévitable dans le contexte politico-médiatique britannique actuel, analyse Jeremy Stubbs.


Manchester est un des grands centres de la vie juive au Royaume Uni. Certes, il y a les quartiers historiques londoniens. D’abord, l’Est de la ville (l’« East End »), où se logeaient et travaillaient les immigrés pauvres, dont beaucoup de tailleurs qui, à leur manière, ont contribué à la mode et à l’élégance britanniques. Ensuite des quartiers plus huppés dans le nord de Londres, surtout le légendaire Golders Green, dont la population, selon le recensement de 2021, était juive à 49,9%. 

Plus importante communauté juive du Royaume après la capitale

Pourquoi la deuxième plus grande communauté se situe-t-elle à Manchester? Les Juifs qui, à la fin du XIXe siècle, fuyaient les pogroms en Russie pour une nouvelle vie en Amérique arrivaient par bateau sur la côte nord-est de l’Angleterre, traversaient le pays et embarquaient à l’ouest, au grand port de Liverpool, sur les bateaux partant pour New York. Certains ont décidé d’arrêter leur voyage et de rester dans le nord-ouest anglais, surtout à Manchester. Déjà, à la suite de la Révolution industrielle, quand la croissance explosait dans cette ville, la famille Rothschild était présente. Mais c’est la grande vague migratoire vers l’ouest qui a créé la deuxième communauté juive après Londres, dont l’épicentre se trouve à Prestwich, aujourd’hui un quartier nord de Manchester. C’est juste à l’est de cette banlieue, à Crumpsall, qu’a eu lieu l’attaque de la synagogue hier.

Tout a dû être soigneusement calculé. L’attentat a frappé les Juifs anglais au cœur d’un centre historique et le jour de la plus grande fête juive de l’année. Le message est clair : vous n’êtes en sécurité nulle part et la haine vous poursuivra indéfiniment. Le fait que cet acte intervienne à un moment où un processus de paix pourrait peut-être aboutir n’est pas anodin : quoi qu’il arrive, vous n’aurez pas la paix. Enfin : la démocratie et l’Etat de droit ne peuvent pas vous protéger, car vos ennemis font fi de ce qu’ils considèrent comme des Tigres de papier…

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Faut-il renforcer la sécurité autour des synagogues et des autres centres de la vie juive? Mais elle est déjà renforcée et depuis longtemps ! Des mesures ont été prises bien avant le 7-Octobre. C’est justement ce qui a sauvé la synagogue dite de Heaton Park située à Crumpsall. L’action héroïque des gardiens et des fidèles a fermé les lieux à l’assassin armé d’un couteau et portant un engin explosif qui s’est révélé plus tard être factice. 

À l’heure où j’écris ces lignes, le mobile de l’assassin, tué par des policiers armés sept minutes après le début de son attaque, n’a pas encore été déterminé. Mais les autorités ont immédiatement déclaré qu’il s’agissait d’un acte terroriste. L’identité de l’homme, Jihad Al-Shami, un citoyen britannique de 35 ans arrivé enfant de sa Syrie natale, suggère qu’il ne s’agit pas d’un complot d’extrême-droite. Il n’était apparemment pas connu des agents antiterroristes. Agissait-il seul, ou avait-il des complices? Trois personnes demeurant dans la localité ont été arrêtées. S’agit-il d’un acte isolé ou est-ce le prélude à une vague d’attentats? On attend toujours les réponses à ces questions.

Atmosphère lourde

Selon le grand rabbin du Royaume Uni, Sir Ephraim Mirvis, les Juifs du pays espéraient qu’un tel événement n’arriverait jamais mais savaient, au fond d’eux-mêmes, qu’il était inévitable. Et il faut dire que l’atmosphère – au sens de Gilles Kepel – était malheureusement propice. Juste après minuit, le 2 octobre, à Londres, une manifestation spontanée a réuni une centaine de militants propalestiniens qui ont marché jusqu’à la résidence du Premier ministre au 10 Downing Street, en scandant des slogans comme « Il n’y a qu’une seule solution : intifada, révolution! » Ils brandissaient des drapeaux palestiniens et au moins une bannière accusant Keir Starmer d’être un « criminel de guerre ». Les forces de l’ordre, si promptes et efficaces à Manchester, après qu’un attentat a commencé, n’ont rien fait à Londres. Et quelques heures après l’horreur de Manchester, les manifestants étaient de nouveau devant Downing Street, l’un d’entre eux criant: « Je me moque de la communauté juive en ce moment! » (L’original en anglais était beaucoup plus grossier). 

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Faut-il énumérer tous les cas où les autorités ont fait preuve de complaisance envers les militants propalestiniens au langage le plus violent ou d’inefficacité dans la poursuite judiciaire des infractions ? Au mois de février, un homme a brûlé un Coran devant le consulat turc à Londres. Il a été condamné à une amende presque comme s’il était coupable d’un délit de blasphème. On vient d’apprendre que l’homme qui est sorti du consulat pour le tabasser en le menaçant d’un couteau n’a écopé d’une courte peine de prison avec sursis… Au mois d’août, le chanteur du groupe nord-irlandais Kneecap a échappé à un procès pour apologie de terrorisme à cause d’un vice de forme. Le duo « punk-rap » Bob Vylan continue impunément à scander sur scène des slogans comme « Mort à Tsahal » et même « F** the fascists! F** the Zionists! Go find them on the streets! » – c’est-à-dire, « allez les trouver dans les rues ».

Aujourd’hui, trois citoyens britanniques se trouvent à l’hôpital dans un état grave, et deux autres, Adrian Daulby, 53 ans, et Melvin Cravitz, 66 ans, ont payé de leur vie cette « atmosphère ».

Agnès Desarthe: conte providentiel

Où l’on apprend, à la fin du livre, grâce aux remerciements, qu’Agnès Desarthe, qui a beaucoup écrit pour les enfants mais pour les adultes aussi – et je me souviens avec émotion de L’année de leur chance –  fait partie d’un orchestre d’harmonie pour lequel elle a écrit ce roman qui s’en inspire…


« C’est un hiver où rien ni personne ne doit mourir. Les rosiers continuent de porter des fleurs, plus chétives qu’au printemps, moins parfumées qu’en été, aux pétales décolorés presque transparents. Les framboisiers laissent pendre leurs petits visages rouges, comme honteux, sous les feuilles recourbées. »

J’avais déjà lu ce paragraphe lorsque je le retrouvais quelques pages plus loin. Je crus à une erreur de typographie, puis je compris que ce passage, augmenté d’un autre paragraphe, reviendrait telle une scansion musicale, autant de fois qu’il le faudrait pour introduire tous les personnages. Mais avant cela (et c’est ce qui explique la première phrase), le narrateur nous invite à un conseil municipal cocasse où le maire se désole car le cimetière est plein comme un œuf, comme dirait Georges Brassens, et on ne peut plus y enterrer personne. Certes, on peut regrouper les os, mais on peut aussi s’abstenir de mourir, ou, plus exactement, revenir à la vie.

Fil rouge

Et c’est ce que feront tous les personnages de ce conte qui emprunte moins au merveilleux qu’à la Providence ; comme si un fil rouge les reliait tous, afin que chaque rencontre soit l’occasion d’une résurrection. Ici, nul prince ni bergère ; nous sommes plutôt dans la France rurale ou dite périphérique d’aujourd’hui, et les personnages sont tous passablement cabossés et acquis aux besognes les plus humbles. Fossoyeur, maçon, dame qui s’occupe des petits à la garderie, dame qui fait le ménage à l’école etc.

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Le fil rouge et le centre de gravité : l’orchestre d’harmonie, qui regroupe gens du village et du voisinage. Tous ne connaissent pas forcément le solfège, mais tous y participent à leur manière. Y compris Matis, le gosse insupportable : « Avant, quand sa mère l’emmenait écouter l’harmonie, il se bouchait les oreilles parce qu’il y avait trop de notes qui fonçaient sur lui de partout. » Heureusement, il y a un instrument qui trouve grâce à ses oreilles et qui sauvera la vie de celui qui en joue lorsque Matis saura en restituer le son au moment opportun. Et Raoul, qui allait se pendre, se retrouve avec un môme qu’il tient par la main, Raoul dont la mère était soi-disant grosse, d’après les gens, alors que lui ne la voyait pas comme ça. « Et ce n’était pas seulement son visage qui était beau, son corps aussi, qui était comme un bloc, tellement énorme qu’on avait l’impression que le tissu de la robe allait craquer. Les autres mamans n’étaient pas comme la sienne. On voyait leurs os en bas du cou, et aux poignets et aussi aux chevilles. Sa mère, c’est comme si elle n’avait pas eu d’os. Tout était courbe et ça tenait en place, c’était solide. Pas besoin de squelette. Les fleurs de la robe étaient étirées au maximum et ça aussi, c’était beau. »

Agnès Desarthe nous fait entendre une langue d’enfance où l’ironie méchamment apprise n’est plus de mise. On retourne en arrière, on apprend à regarder avec des yeux plus élogieux. On retrouve aussi les grandes amitiés des jeunes années : « Lorsque Goneril était avec Madeline, elle était emplie de miel. Elle était plus belle et plus intelligente. Elle était spirituelle et raffinée. Ensemble, elles choisissaient un endroit, dans leur quartier, derrière le collège, dans la forêt où les familles allaient pique-niquer le dimanche, et elles inventaient leur vie, leur vie future, à partir de là, c’est à dire à partir de rien. Il leur fallait d’abord construire une maison, puis ouvrir une boutique (les jours où elles s’imaginaient vendant des savons artisanaux), un restaurant (quand elles se voyaient cuisinières), une ferme (quand elles décidaient de devenir éleveuses)…  A deux, elles pouvaient tout inventer et elles pouvaient tout vivre. Leurs phrases commençaient souvent par : « Et là, il y aurait… » »

On aurait dit que…

Fabuleux conditionnel de l’enfance avec son « on aurait dit que… » L’acuité à la langue et aux sons, on l’aura compris, est absolument primordiale. Et il arrive que parfois la langue sonne faux et que l’enfant l’entende particulièrement : « Tout ce qu’elle dit, ça m’énerve. Je ne sais pas ce qu’elle trafique avec sa voix, mais même quand j’ai mon casque sur mes oreilles et la musique à fond, je l’entends me parler. Sa voix est comme un serpent qui se faufile partout. » En revanche, la phrase heureuse délivre de l’humeur mauvaise en une seconde : « C’était comme si, pour la première fois, j’entendais une parole juste. »

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Cette langue ne dit pas que l’enfance, elle dit aussi les rencontres amoureuses, l’intensité, l’exaltation, la vie augmentée avant que les ennuis commencent ; mais qu’à cela ne tienne, elles feront retour des années plus tard pour renaître autrement. Ainsi, de boucle en boucle, tous les personnages voient la vie refluer vers eux et leur donner une seconde chance. Avec, toujours au centre, l’orchestre d’harmonie qui porte merveilleusement son nom puisqu’il permet à chacun de trouver sa note enfin juste et ce faisant, sa juste place.

L’oreille absolue d’Agnès Desarthe, éditions de l’Olivier, 2025 144 pages.

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Vatican: quelle stratégie?

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Le Pape Léon XIV au Vatican, 28 septembre 2025 © ALESSIA GIULIANI/IPA/SIPA

Face à la « mondialisation de l’indifférence », le nouveau Pape propose de faire reconnaitre l’hospitalité de l’île de Lampedusa au « patrimoine culturel immatériel de l’humanité ».


Le Vatican étant aussi un État, on doit avoir le droit de questionner, voire de critiquer, sa politique, ses orientations stratégiques sans que cela ne soit pris d’emblée pour une attaque contre la religion, ses dogmes, ses principes, ses vertus.

On connaît l’antienne culpabilisante à souhait qui voudrait qu’on s’abstienne de toute expression quelque peu acerbe de crainte que cela ne fasse le jeu du camp d’en face. L’argument peut sembler aujourd’hui des plus éculés, ayant été tellement asséné par les communistes d’après-guerre répétant à l’envi que dénigrer ou contester Staline revenait à servir la soupe à la réaction capitaliste. Considérons donc que ce baratin a fait long feu et autorisons-nous tranquillement la question, certes abrupte dans sa formulation mais néanmoins légitime, de savoir pour qui roule effectivement ces temps-ci la diplomatie vaticane.

Pourquoi cette question ? Parce que l’actualité la suggère. Pour ne pas dire nous l’impose.

Le 2 octobre, en ouverture du Jubilé des migrants et devant les participants à la conférence « Réfugiés et migrants dans notre maison commune », le pape Léon XIV, fustigeant la « mondialisation de l’indifférence » comme l’avait fait François, son prédécesseur, et prônant une « culture de la réconciliation », a déclaré : « Migrants et réfugiés peuvent être des témoins privilégiés d’espérance grâce à leur résilience et à leur confiance en Dieu » (sic).

On passera sous silence le fait que migrants et réfugiés ne relèvent pas, du moins relativement à notre perception des choses, de statuts parfaitement identiques et nous rangerons donc cet amalgame quelque peu hâtif sous la bannière d’une bienveillance toute chrétienne.

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Dans le même propos, le Pape livre une estimation chiffrée intéressante, évaluant « les défis actuels de la migration à cent millions de personnes. » Sans doute faudra-t-il attendre d’autres conférences du même ordre pour en apprendre un peu sur les politiques, les méthodes, les dispositions et dispositifs à mettre en place pour que cent millions de personnes puissent être accueillies et promises à un avenir digne, conforme humainement et socialement aux normes des pays d’accueil.

On apprend aussi, au cours de cette allocution pontificale, que Léon XIV a enregistré un message vidéo à « l’occasion de la candidature d’inscription des gestes d’hospitalité à Lampedusa au patrimoine universel de l’UNESCO »… Ce qui revient peu ou prou à conférer à l’ouverture de l’Occident aux migrations invasives – certes invasives, puisqu’il s’agit de cent millions d’individus – un statut officiel, assumé, affiché à destination du monde entier. Cela sans que, à ma connaissance les opinions citoyennes des pays concernés aient eu leur mot à dire. Sans non plus qu’ait été abordées, étudiées et analysées les conséquences culturelles, civilisationnelles d’une greffe de cent millions d’âmes sur les modes de pensée, de vie, les mœurs, les lois, les croyances et religions des populations autochtones.

Dans le très beau – et très long film – Le Guépard, lors d’un échange avec son confesseur jésuite, le prince Salina lâche ce propos quelque peu iconoclaste: « si l’Église devait nous sacrifier pour assurer sa survie, elle nous sacrifierait. »

Cette saillie m’a toujours donné à penser. Sans aller jusqu’à la perspective peu réjouissante envisagée par le prince sicilien, il me semble qu’on peut tout de même s’interroger sur la stratégie vaticane. Une stratégie, très jésuitiquement correcte d’ailleurs, qui consisterait à privilégier les foyers d’expansion possibles au détriment de ceux où l’avenir serait désormais quand même beaucoup moins prometteur. Pour l’instant, on en serait encore à ménager la chèvre et le chou. La chèvre, les contrées sources d’émigration ; le chou, notre Occident.        

Mais comme on n’a jamais vu un chou bouloter une chèvre et que l’inverse est de pratique courante, on se gardera de tout optimisme béat devant une telle approche des choses. 

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La bibliothèque qui venait de l’Est

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L'historienne française spécialiste de la littérature Vanessa de Senarclens © Roman Lusser Editions Zoé

Le très original essai de Vanessa de Senarclens, La Bibliothèque retrouvée, nous plonge dans un monde qui n’existe plus, et dont nous sommes quelques-uns à avoir la nostalgie.


C’est une histoire vraie, qui s’est déroulée à partir du XVIIIe siècle en Poméranie orientale, devenue progressivement partie intégrante de la Prusse après les traités de Westphalie (1648) et de Stettin (1653) et qui s’étendait sur la côte sud de la mer Baltique jusqu’à la Pologne. J’ai retrouvé dans ce livre une atmosphère que je connaissais bien, pour avoir, dans ma vie, fait de multiples voyages en terre polonaise. J’ai ressenti à nouveau le froid qui baigne le quotidien, et le goût de l’ordre, côtoyant les dérèglements soudains de l’histoire, qui se transforment en tragédies. Cette zone du monde est comme programmée pour accueillir la civilisation, dans une ambiance que Vanessa de Senarclens a excellemment rendue en faisant de sa « bibliothèque retrouvée » le sujet principal de son « enquête » historique, voire de sa quête spirituelle intime : « j’essaie de renouer, écrit-elle en préambule, le fil d’une conversation interrompue autour de livres et de leurs lecteurs depuis la fondation de la bibliothèque, au milieu du dix-huitième siècle ».

Une des plus belles bibliothèques d’Europe

Vanessa de Senarclens a donc choisi de nous parler d’un gentilhomme nommé Friedrich Wilhelm von der Osten, chambellan du roi Frédéric II en 1745. Il décida de créer chez lui, dans son château de Plathe, non loin de Stettin, une bibliothèque qui pourrait rivaliser avec les plus belles d’Europe. Vanessa de Senarclens souligne « l’importance des bibliothèques à cette époque », en particulier en Prusse, où dominait l’esprit des Lumières. Frédéric II était ce souverain éclairé, qui a protégé Voltaire, et qui avait fondé « à la fin de son règne, la première bibliothèque publique de Berlin ».

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Le contexte était donc très inspirant, et Friedrich Wilhelm von der Osten commença à rassembler des centaines d’ouvrages, avec discernement et érudition. Vanessa de Senarclens note que « le premier catalogue de la collection date de 1757 ». Hélas, ce document essentiel « a disparu en mars 1945 », dans l’effondrement de l’Allemagne.

Les soubresauts de la guerre

Vanessa de Senarclens, à vrai dire, insiste sur le XXe siècle et, plus précisément, sur cette période de la guerre. En 1945, avec l’arrivée de l’Armée rouge, les descendants de F. W. von der Osten durent s’enfuir de leur château dans la précipitation, et ne purent sauver tous leurs précieux livres. Une grande partie de la bibliothèque fut pillée. Dans ses recherches pour connaître ce qu’il en advint, Vanessa de Senarclens fut amenée à se rendre dans la ville polonaise de Łódź, appelée la « Manchester de l’Est », à cause de son industrie textile. C’est là, dans les bâtiments de la bibliothèque universitaire,qu’« ont atterri, après 1945, la plus grande partie de ces livres » : pas moins de 13 000 ouvrages, en provenance de Poméranie, y ont été recensés. Soit la presque totalité de la collection.

La civilisation des Lumières

En bibliophile avertie, Vanessa de Senarclens nous décrit les merveilleux volumes qui sont arrivés à Łódź. La liste est longue et parfois pittoresque. Les amoureux du XVIIIe siècle trouveront, dans les descriptions qu’elle en fait, bien des indications passionnantes, qui font revivre l’Europe d’alors. Elle note ainsi un grand nombre de livres sur la franc-maçonnerie. F. W. von der Osten en était un membre éminent, à une époque où « les loges obtiennent à Berlin une forme de légalité avec l’avènement de Frédéric II au trône ». Vanessa de Senarclens, peu versée dans cette connaissance occulte, essaie de comprendre en quoi tout cela consiste, derrière les formulations ésotériques : « un univers étrange qui met à mal nos repères », commente-t-elle, avec « ses personnages insolites, ses rites de passage » ; bref, ajoute-elle : un « mouvement cosmopolite, tolérant et, surtout, pacifiste ». Ces archives ont été « saisies par les nazis puis emportées par l’Armée rouge à Moscou après 1945 ».

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Elles ont été restituées de manière récente au Grand Orient de France, car elles étaient rédigées en français : parmi les frères « trois points », comme on les a appelés par la suite, il y avait, écrit Vanessa de Senarclens, des Français « issus du milieu protestant réfugié à Berlin à la fin du dix-septième siècle », détail historique pris sur le vif.

Vanessa de Senarclens recherche dans cette franc-maçonnerie prussienne une facette typique de l’Europe intellectuelle du XVIIIe siècle, qui s’est développée sous le nom de Lumières (Aufklärung en allemand). Elle fait alors une référence inattendue, dans un long paragraphe, à la nouvelle de Borges « Le congrès », tiré du Livre de sable, paru en 1975. J’ai eu la curiosité de relire la nouvelle, et cela a été comme une révélation. Borges écrit ainsi que « le Congrès du Monde a commencé avec le premier instant du monde et continuera quand nous ne serons plus que poussière. Il n’y a pas un endroit où il ne siège. Le Congrès, c’est les livres que nous avons brûlés… » Voilà qui éclaire à mes yeux le très beau livre de Vanessa de Senarclens et nous fait comprendre, à travers le destin fragile d’une bibliothèque « européenne », qu’une civilisation comme la nôtre est vulnérable. Le destin chaotique de la bibliothèque de Plathe en Poméranie nous conduit à y réfléchir plus que jamais, alors que non loin de là, aux portes de l’Europe, fait rage la guerre.

Vanessa de Senarclens, La Biliothèque retrouvée. Une enquête. Éd. Zoé, 255 pages.

La bibliothèque retrouvée: Une enquête

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Chronique d’un scandale politico-médiatique dont France Inter se serait bien passé

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Thomas Legrand. DR.

Ébranlées par «l’affaire Legrand/Cohen», Radio France et France Télé se sont vite ressaisies pour dénoncer le coupable: la fachosphère. Retour sur un scandale politico-médiatique qui a sorti l’audiovisuel public de sa zone de confort.


3 septembre. Un jour comme un autre sur France Inter. Dans le studio de « La Grande Matinale », l’émission d’information la plus écoutée du pays, avec 5 millions d’auditeurs, Patrick Cohen s’apprête à prononcer son éditorial politique. En cette rentrée chargée, il y a beaucoup d’événements à commenter. Tout le monde a compris que le gouvernement Bayrou tombera dans quelques jours. Mais Emmanuel Macron dissoudra-t-il l’Assemblée nationale dans la foulée ? Marine Le Pen, maîtresse du jeu, y a-t-elle intérêt ? Jean-Luc Mélenchon réussira-t-il à récupérer le mouvement « Bloquons tout », qui annonce une journée d’action le 10 septembre ? L’Histoire se souviendra-t-elle du passage fugace du maire de Pau à l’hôtel Matignon ? Peut-être un peu trop franco-français tout cela. Pour élever le niveau, le castor en chef de la radio publique a trouvé un angle original. Ce matin, il va se désoler que « l’extrême droite » soit « une idée qui fait son chemin en Europe ».

Cohen se lance : « Dans les trois premières économies d’Europe, en Allemagne, en France et au Royaume-Uni, le mécontentement est tel que l’extrême droite anti-immigration arrive en tête des sondages. » Manière habile d’amalgamer le RN français et l’AfD allemande… Puis l’ancien animateur de RTL et Europe 1 explique pourquoi tant d’Européens se tournent vers les partis populistes. Que l’on se rassure, il ne dira pas un mot de la réalité, de la montée de l’insécurité, des flux de migrants incontrôlés, du péril islamiste. Car il a une toute autre analyse : si l’extrême droite monte, c’est qu’elle a su « imposer son récit » sur l’immigration. Comprenez : Marine Le Pen mystifie ses électeurs.

Le soir, sur le plateau de « C à vous » (France 5), le journaliste se détend un peu en écoutant la chronique « humoristique » de Bertrand Chameroy, comique subventionné qui, le matin même sur France Inter, s’est moqué du député RN Julien Odoul. Cette fois, M. Chameroy vise – tiens, comme c’est bizarre ! – Éric Zemmour. Tandis qu’Anne-Élisabeth Lemoine glousse, Pierre Lescure tente de s’arracher un sourire : sans doute a-t-il encore à l’esprit le fait d’avoir dû renoncer, suite à une méchante cabale alimentée par Libération, à une émission de débat hebdomadaire sur Sud Radio avec Maud Koffler, une journaliste qui a eu l’audace, que dis-je, l’outrecuidance, de travailler pour Boulevard Voltaire et Radio Courtoisie.

Pierre Lescure a tenu à récuser toute pression extérieure, en particulier de la société Mediawan, qui produit justement « C à vous » et compte dans son tour de table l’homme d’affaires Matthieu Pigasse. Soutien du NFP, propriétaire des Inrockuptibles et de Radio Nova, actionnaire du Monde et du HuffPost, ce dernier a pourtant récemment déclaré dans Libération vouloir mettre les médias qu’il contrôle « au service d’une conception ouverte du monde, progressiste ».

4 septembre. « Le RN ne fait plus peur » aux patrons, s’alarme M. Cohen sur France Inter. Même si ce parti « a fait se dresser contre lui l’an dernier un barrage de 17 millions d’électeurs ». Et pour cause… Lors des dernières élections législatives, l’audiovisuel public a ardemment participé à la propagande contre l’« extrême droite », aux délires sur le retour des heures sombres, du nazisme et de la peste bubonique. Le fameux « barrage républicain » a permis au PS de récupérer, ce qui était inespéré, 66 sièges au Palais Bourbon.

5 septembre. Scandale en approche. Pour prouver la véracité d’un article accusé d’être une « fake news » par la gauchosphère, le magazine LIncorrect porte à la connaissance du public une vidéo montrant Patrick Cohen et son confrère de France Inter, Thomas Legrand, attablés dans un café parisien (le Coucou, avenue Duquesne, dans le 7e arrondissement de Paris) avec deux dirigeants PS, méconnus du grand public mais très puissants : Pierre Jouvet, secrétaire général du parti à la rose, Luc Broussy, président du conseil national. Rachida Dati semble faire les frais de leur conversation, où l’on spécule à bâtons rompus sur les prochaines élections municipales. « On fait ce quil faut pour Dati, Patrick et moi  », promet Legrand à ses interlocuteurs, ne laissant aucun doute quant à la signification de cette phrase qui veut dire en réalité : « Promis, à lantenne de France Inter, nos critiques contre la ministre de la Culture et future candidate LR à la mairie de Paris seront nettement plus sévères que nos quelques réserves s’agissant du PS. »

La discussion porte également sur les prochaines présidentielles, en particulier le second tour : « Le problème, avec un Le Pen-Glucksmann, c’est que je ne sais pas ce que fait le centre droit. Je pense qu’ils vont sur Glucksmann mais… Le marais centre droit centre-gauche, on ne les entend pas beaucoup mais ils écoutent France Inter. Et ils écoutent en masse ! » lâche Thomas Legrand, sous-entendant clairement que la radio publique pourrait soutenir M. Glucksmann – chouchou de Thomas Legrand, Patrick Cohen en a brossé un portrait extrêmement flatteur quelques mois plus tôt – et influencer, l’air de rien, une partie de l’électorat.

Par ailleurs, le quarteron politico-médiatique est d’avis qu’il faut encourager l’implantation en France d’éoliennes et de panneaux photovoltaïques. Aucune équivoque possible : cette vidéo montre d’influents journalistes du service public audiovisuel échafauder avec des cadres socialistes les stratégies des prochaines élections et promettre un soutien au catastrophique programme énergétique imposé par Bruxelles.

Le Monde, qui n’avait pas eu de mots assez durs contre le journaliste Jean-François Achilli lorsque celui-ci avait été licencié de France Info pour un hypothétique projet de livre avec Jordan Bardella, tente immédiatement de convaincre ses lecteurs que, cette fois, ce n’est pas pareil. La polémique concernant MM. Cohen et Legrand serait « le genre de tempête que CNews, Europe 1, et la constellation de médias d’extrême droite avec lesquels ces antennes collaborent, déclenchent pour s’en délecter ad nauseam ».

6 septembre.La direction deFrance Inter suspend à titre conservatoire le lampiste Thomas Legrand. Patrick Cohen – qui n’a rien dit de compromettant devant son café au Coucou – échappe, lui, à toute sanction. Dans les hautes sphères de l’audiovisuel public, on espère que les événements politiques qui vont secouer la France – la chute du gouvernement Bayrou et les manifestations du 10 septembre – feront oublier cette vidéo accablante, preuve incontestable de collusion entre des journalistes-militants de l’audiovisuel public et la gauche socialiste. Pour les aider dans ce travail d’amnésie, les JT de TF1 et de France 2 évitent tout bonnement d’en parler. Foudroyés par la réalité, les journaux bien-pensants font quant à eux le service minimum en reprenant les dépêches « neutres » de l’AFP, mais en rajoutant toutefois le qualificatif « d’extrême droite » pour désigner LIncorrect. Trois mots d’infamie pour neutraliser l’information principale, qui confirme ce que tout le monde sait : l’audiovisuel public, payé par tous les Français, est entre les mains d’une caste journalistique n’hésitant pas à orienter l’information dans le sens de son idéologie socialiste, wokiste, immigrationniste, européiste et écologiste.

7 septembre. Dans Libération,Thomas Legrand se défend comme il peut, c’est-à-dire mal. En substance : nous n’avons pas entendu ce que nous avons entendu, ses phrases sur Raphaël Glucksmann étaient tronquées, hors contexte, celles sur Rachida Dati peuvent choquer, mais le journaliste « assume de dire la vérité sur l’attitude néotrumpienne (sic) de la ministre ». Etc. Thomas Legrand et Patrick Cohen annoncent vouloir porter plainte pour atteinte à la vie privée. Immédiatement, la vidéo d’une émission de « C à vous » circule sur la Toile. On y entend Patrick Cohen justifier un enregistrement contre Laurent Wauquiez réalisé à son insu : « Il y a une démarche journalistique qui me semble tout à fait légitime. » Quant à Thomas Legrand, L’Incorrect rappelle ce qu’il écrivait en 2010, à propos des conversations enregistrées illicitement par le majordome de Liliane Bettencourt : « Les bandes sonores récupérées par Médiapart sont des objets journalistiques tout à fait conformes à l’exercice de notre métier. Ils [les journalistes de Mediapart] ont obtenu cette bande, ils ne l’ont pas volée, ils ont vérifié sa véracité et ils ont jugé leur source fiable. Et cet enregistrement apporte des tas d’informations ! Des informations très éclairantes sur la façon dont une partie du monde économique et financier utilise le monde politique. » Les avocats de MM. Cohen et Legrand se grattent la tête. « C’est pas gagné », aurait dit l’un d’eux.

8 septembre. Le gouvernement Bayrou tombe. Ouf ! Cela dispense d’évoquer la polémique qui enfle. Polémique ? Quelle polémique ?

Sibyle Veil, patronne de Radio France, défend l’audiovisuel public face aux accusations de collusion politico-médiatique. Eric Dessons/JDD/SIPA

9 septembre. Thomas Legrand renonce à son émission hebdomadaire sur France Inter. Pour dérider Patrick Cohen, Bertrand Chameroy tente désespérément d’être drôle : « Ça fait 72 heures que Pascal Praud ne débande plus. »

10 septembre. Dans l’émission « Quotidien » sur TMC, Benjamin Duhamel est complaisamment sollicité par Yann Barthès pour dire ce qu’il pense de la vidéo où l’on voit ses confrères s’entendre comme larrons en foire avec des membres du PS. « Je n’ai pas le sentiment qu’ils établissent des stratégies », répond-il, légèrement mal à l’aise. Plus gêné, en tout cas, que le directeur éditorial de Radio France, Vincent Meslet, connu pour avoir déclaré en 2015 à Libération qu’il a « toujours voté socialiste ou écologiste », mais qui affirme à présent dans Le Parisien : « Le pluralisme est omniprésent sur nos antennes », avant de déclarervouloir faire la guerre aux « médias d’opinion ».

11 septembre. Début des hostilités, donc. Au micro de France Inter, le comique troupier François Morel traite de « fils de pute » et d’« enculés » les journalistes de LIncorrect. Ce ne sont pas des insultes graveleuses mais de l’humour de gauche, faudrait voir à pas confondre.

12 septembre. Patrick Cohen est blanchi par le comité d’éthique de France Télévisions. Au même moment, Thomas Legrand est invité à s’expliquer dans l’émission de la médiatrice de France Inter… qui ne l’interroge pas sur les propos tenus chez Coco au sujet de Rachida Dati. Comme on dit avenue Duquesne, la consoeur « a fait ce quil faut ».

15 septembre. Sibyle Veil, la patronne de Radio France, dont France Inter est l’une des filiales, envoie un e-mail à toutes ses équipes. « Nous n’avons rien à voir avec un média d’opinion », écrit-elle, autrement plus drôle que Bertrand Chameroy.

16 septembre. L’Arcom auditionne les dirigeantes de Radio France et France Télévisions. Personne n’est dupe. Cette audition, qui s’est étrangement déroulée à huis clos, débouche comme prévu sur des déclarations spécieuses et de faux serments.

17 septembre. Dans une interview au Monde, Delphine Ernotte, qui n’est que partiellement concernée par l’affaire (puisque Thomas Legrand n’a jamais travaillé pour elle), fait bloc avec Sibyle Veil en lançant une contre-attaque envers CNews. « Il faut admettre que CNews est un média dopinion, lâche-t-elle. Quils assument d’être une chaîne dextrême droite ! » Pas sûr que la stratégie du nom d’oiseau fasse oublier le scandale initial.

18 septembre. « Si c’était à refaire, je le referais, dans un endroit plus discret », se flatte Thomas Legrand dans « Quotidien ». Fin du gag.

Rien ne changera. Entre deux ricanements, les journalistes-militants du service public vont continuer de tordre la réalité pour orienter l’information et d’insulter les Français réfractaires à leur doxa. Et, au moment des élections, Patrick Cohen pourra faire barrage à tout-va et tancer vertement les électeurs récalcitrants. On parie ?

Le prince et le pauvre

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Ryohei Suzuki et Hio Miyazawa dans le film "Egoist" de Daishi Matsunaga © Art House Films

Homosexualité. Quand Nicky Larson ne-craint-personne vire sa cuti.


Kosuke, ravissant model boy nippon, propre sur lui, soigne son apparence physique et sa mise vestimentaire tout autant que le design de son confortable loft tokyoïte, qui témoigne d’une belle aisance financière. Le jeune égotiste se choisit un jeune coach sur internet. Pousser de la fonte crée du lien, comme on sait : ils finissent par coucher ensemble – on s’en doutait un peu. Mais sur cette base un peu lisse, la romance va bifurquer de façon beaucoup moins attendue…

Daishi Matsunaga, cinéaste venu du documentaire, fait preuve en effet d’un rare talent pour que Egoist échappe de la sorte à l’estampille du film communautariste LGBTQIA+  – dépassant ainsi de loin les limites assignées à cet acronyme imprononçable (et que votre serviteur, entre parenthèses, a toujours trouvé grotesque).

Quoiqu’il en soit, ce serait dommage de vous déflorer l’intrigue. On se contentera donc de préciser ici que les deux héros du film sont issus de milieux sociaux différents : Kosuke était encore adolescent quand sa mère est morte, et son père veuf, du fond de sa campagne, ignore tout de l’homosexualité de son fils unique ; quant à Ryüta, le coach, autodidacte déscolarisé de bonne heure, il subvient par des moyens inavouables aux besoins de sa mère désargentée, laquelle occupe seule un modeste logis dans un quartier périphérique de la capitale.

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Entre les deux garçons, l’idylle amoureuse et sensuelle, sujette à un certain nombre de retournements (au propre comme au figuré), donnera bientôt lieu à toute une suite de dons et de contre-dons (matériels et symboliques) qui, dans la dernière partie du film, engagera jusqu’à la mère de Ryüta, échanges dans lesquels se seront révélées, de proche en proche, les personnalités des trois protagonistes…

Quoique les scènes de cul (c’est le cas de le dire) soient montrées tout au long de façon très explicite par un réalisateur qui connaît manifestement son affaire, une grande douceur, voire même une pudeur infiniment délicate émane de cette fausse bluette homo, aux ellipses pleines de sens, pour tendre à un discours plus universel sur l’oubli de soi et le sacrifice de son ego. Si, comme disait l’autre, les histoires d’amour finissement mal en général, celle-ci en particulier, par antiphrase à l’énoncé du titre, décrit le parcours surprenant du dévouement et de la bonté. En outre Egoist développe avec une acuité, une sensibilité inattendue, au prisme d’un drame passionnel homo croisé d’observation sociologique, un regard singulier sur les mœurs du Japon contemporain.

Le film est porté par un trio d’excellents acteurs, à commencer par Ryöhei Suzuki, ici dans le rôle de Kosuke, l’amant secourable et bienfaisant, contre-emploi que domine avec infiniment de charme et de réserve ce beau gosse photogénique, star locale plus connue au Japon pour ses performances dans des films d’action, tel City Hunter, qu’on peut visionner d’ailleurs sur Netflix1.


Egoist. Film de Daishi Matsunaga. Avec Ryöhei Suzuki, Hio Miyazawa… Japon, couleur, 2023. Durée : 2h. En salles le 8 octobre 2025

  1. https://www.netflix.com/fr/title/81454087 ↩︎

Fragments sur la joute (l’amour)

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L'écrivain Richard Millet. © Hannah Assouline

Dans un livre, Richard Millet transforme le deuil de l’amour de sa vie en une méditation vibrante sur le mystère irréductible du couple


Les inconditionnels de Richard Millet ne l’attendaient pas sur ce terrain-là, mais l’homme est imprévisible. Il peut ferrailler contre la société, l’appauvrissement de la langue, les résultats désastreux de la confusion générale, la perte des valeurs suprêmes, en un mot, le tsunami nihiliste qui vient, qui est au-dessus de nos têtes, et il peut aussi nous offrir un récit exigeant, savamment documenté, et surtout émouvant sur la joute entre deux êtres qui s’aiment d’un amour puissant que seule la mort descelle.

Sommations

Le mot « joute » fait penser à combat, mais combat entre deux chevaliers pour une noble cause, ce qui, à notre époque, apparait complètement désuet, ou « kitch » c’est-à-dire « la station de correspondance entre l’être et l’oubli », pour reprendre la formule célèbre de Milan Kundera. Richard Millet nous rappelle que le vocable « joute » vient du latin juxtare :se joindre. Chez Brantome, au XVIe siècle, « entrer en jouxte » signifie faire l’amour. Vaste programme dans une société où l’acte sexuel semble terroriser, et où la pornographie a saccagé l’érotisme. On est sommé de jouir, selon des critères fallacieux, et l’on ne jouit plus.

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Le récit de Millet formant un puzzle subtil, où chaque pièce suggère une réflexion inachevée, on pense au texte Fragments d’un discours amoureux, de Roland Barthes. C’est, rappelons-le, un amoureux qui parle et qui dit. C’est aussi un amoureux qui attend « une arrivée, un retour, un signe promis ». Millet, lui, n’attend plus rien ; peut-être un signe, et encore si seulement la lune éclaire d’une douce lumière le faîte de la colline de l’enfance. Il n’attend plus rien, car la maladie a emporté la femme aimée, en 2020, et la solitude s’est emparée de lui, l’a verrouillé dans un long deuil, le couple s’est subitement effondré, et le dialogue, cette joute qui ne ressemble aucunement au pugilat, s’est dilué dans un quotidien mortifère et silencieux. Or le silence est le pire ennemi du désir. Le désir entretenu par la joute. Le mystère du couple a été rompu. L’écrivain a dû attendre que la paix précaire revienne, comme les animaux reviennent dans le champ après un tremblement de terre. Il y a des cycles immuables que la psyché impose. Une interrogation inlassable et sans fin a pris naissance en lui – ce livre, jamais, n’aura de fin. Elle concerne les rapports entre l’homme et la femme, débarrassés du discours journalistique insipide et pompeux. Millet a disséqué la séculaire division des sexes : amour, séduction, mariage, scènes, trahison, rupture, haine, etc. Il montre que le mystère doit prévaloir entre deux individus attirés l’un l’autre, un mystère dont l’essence, malgré nos efforts, échappe. Et pourtant, il demeure essentiel au couple, même défait : « La condition du veuf n’est donc pas la fin de la joute, écrit Millet ; elle pérennise le mystère du mariage jusque dans la mort, et après celle-ci… »

Bien précieux

Mais la joute s’exerce surtout entre les vivants, pour qu’ils demeurent vivants, c’est-à-dire en perpétuel mouvement, mus par les sentiments sans cesse renouvelés. Cela peut faire sourire les cyniques, les « revenus » de tout, l’armée hystérique des égocentriques, l’enjeu est certes de taille, mais pas insurmontable, Millet le prouve au fil des pages, et c’est plutôt réconfortant par temps de désespoir organisé. Car même si le dialogue avec son épouse fut interrompu par la mort, le soliloque perdure, et le lien demeure : « Tu continues de ne pas être moi, et de t’incarner au fond de moi. »

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Alors Millet vivant, bien sûr, j’insiste. Les femmes le passionnent, et l’ardeur ne faiblit pas. La joute peut reprendre à n’importe quel moment, avec ses règles strictes, à l’opposer des oukases de la bien-pensance. L’amant n’attend rien, il est donc à la merci de la passante chère à Baudelaire. Duras a écrit : « Il n’y a pas de vacances à l’amour. » Millet ajoute : « Il n’y a donc pas de vacances à la joute. » L’espoir ne doit pas être trahi par une attitude de défaite. L’écrivain précise : « Toute fiancée vient à nous pour que nous descendions dans le fleuve ou l’impossible lutte avec l’espérance. »

Il faut cultiver ce bien précieux qu’on nomme sentimentalité, le préserver, le réoxygéner, c’est le trait d’union entre deux êtres que la joute stimule, sans faux-semblants ou trompeuses espérances, parce qu’il n’y a pas de fontaine de Trevi au purgatoire.

Richard Millet, La Joute : Combat de l’homme et de la femme dans la nuit du siècle, Les Provinciales. 160 pages

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Podcast: Tremblement de terre en France, condamnation d’un ex-président

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Nicolas Sarkozy parle aux médias après son jugement, Paris, le 25 septembre 2025 © CHINE NOUVELLE/SIPA

Notre 100e épisode, avec Philippe Bilger et Jeremy Stubbs 💯


La condamnation de l’ancien président de la République a déclenché une polémique de grande ampleur. Des commentateurs de gauche comme de droite l’ont applaudie ou dénoncée selon leur préférence idéologique. Selon Philippe Bilger, il est parfaitement légitime de critiquer ce jugement, notamment l’exécution provisoire de la peine prononcée. Mais faut-il pour autant porter atteinte à l’autorité de la justice ? Si l’on peut très bien souhaiter que des peines plus sévères soient prononcées parfois contre des voyous coupables de violences, doit-on se plaindre quand une punition tombe sur un membre de son propre camp politique? Le pouvoir judiciaire est-il actuellement plus défaillant que l’exécutif ou le législatif?

Nicolas Sarkozy a fait appel et il aura encore une occasion pour prouver son innocence. Que la justice suive son cours !

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Il y a une vie après l’Assemblée

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© Agglo Béziers

Drapeaux palestiniens, pétition sur l’immigration, chute du gouvernement… la vie politique a fait sa rentrée en fanfare. Et si elle nous fait parfois rire, c’est le plus souvent jaune.


Panthéon

J’avoue que j’en ai ri. « Parce que la politique est aussi affaire de symbole, nous devrons ouvrir le débat sur la devise inscrite au fronton du Panthéon : “Aux grands hommes, la patrie reconnaissante”. » Eh oui, c’était durant sa conférence de presse sur la rentrée scolaire que la ministre de l’Éducation nationale a fait cette grande annonce : elle veut dégenrer le Panthéon… Mais qui lui trouve ce genre d’idées ? Comment paraître davantage déconnectée des préoccupations des Français qu’avec cette mesure ? Eh oh, madame Borne, le niveau scolaire de nos enfants qui s’effondre, le harcèlement, les profs absents pas suffisamment remplacés, la violence à l’école, le communautarisme : vous en avez entendu parler ? En fait, c’est encore plus grave que je ne pensais. Élisabeth Borne a abdiqué. Elle a définitivement admis que nos enfants étaient des crétins. Et qu’ils n’étaient évidemment pas capables de comprendre que le mot « homme » représente une personne. On dirait l’Église catholique qui remplace, dans sa liturgie, « mes bien chers frères » par « mes bien cher(e)s sœurs et frères ». Ça m’insupporte. Mais revenons à Élisabeth Borne : en ouvrant le débat, elle a donné l’occasion à certains de faire tourner leur imagination à plein régime. La palme revient probablement à Marianne qui proposait (au second degré bien sûr !) la formulation suivante : « Aux personnes de toutes tailles et de tous genres, le Vivant reconnaissant ». À qui le tour ?

Motion de confiance

Mais quelle mouche l’a donc piqué ? François Bayrou est-il devenu fou ? Engager la responsabilité de son gouvernement le 8 septembre, sans majorité et alors qu’aucune motion de censure n’avait été déposée. A-t-il vraiment cru que le Rassemblement national voterait la confiance ? On est dans la droite ligne de la dissolution de l’Assemblée nationale par Jacques Chirac en 1997, ou de celle d’Emmanuel Macron en 2024 ! Qui resteront dans les annales de l’histoire politique française comme les pires bourdes de la Ve République. Après quarante années d’existence en politique, voilà qui s’appelle finir en eau de boudin…

Pétition

Magnifique exemple de la bêtise des partis politiques ! En quinze jours, c’est plus de 1,7 million de Français qui ont signé la pétition de Philippe de Villiers réclamant un référendum sur l’immigration ! Je passe sur la polémique des vraies-fausses signatures. Quelques-uns ont peut-être signé plusieurs fois, mais ça ne change rien au succès de l’initiative du fondateur du Puy-du-Fou. Non, ce qui m’étonne plutôt, c’est la frilosité de certains politiques : Marine Le Pen demande depuis longtemps un référendum sur l’immigration, mais juge inutile de signer la pétition. Pourquoi diable ? Au motif que « tout le monde sait ce qu’elle pense sur le sujet ». Ce n’est évidemment pas le problème ! Quelques caciques du parti signeront quand même, pour ne pas heurter leurs militants… Même chose chez les républicains. Ils avaient en effet déposé une requête pour « redonner la parole aux Français en matière d’immigration » en avril 2024. Demande censurée par le Conseil constitutionnel. Là encore, Bruno Retailleau refuse de signer la pétition quand Laurent Wauquiez revendique de le faire. Pour ennuyer son rival, naturellement. Qu’en pensent les électeurs ? Moi, ça me désespère…

Avantages à vie

Je suis vraiment partagée. L’annonce par Sébastien Lecornu de la fin des avantages à vie des ministres, au moment où les finances de la France sont au plus bas, me semble de bon sens si c’est pour « prouver » aux Français qu’ils ne seront pas les seuls à faire des efforts. Et puis, comme le dit Élisabeth Borne, « la politique est aussi affaire de symboles »… Espérons pourtant que ce ne soit pas la seule mesure prévue par notre nouveau Premier ministre pour rétablir nos finances : les économies réalisées devraient être de l’ordre de 1,5 million (million, pas milliard !) d’euros. À ce train-là, nous passerons en dessous des 3 % de déficit d’ici la fin du troisième millénaire…

Musique

Un pur moment de magie. Une fin d’après-midi ensoleillée. Un cadre idyllique au milieu des arbres. C’est le moment tant attendu de remettre aux élèves d’une école primaire et d’un collège de Béziers les instruments de musique du conservatoire qui leur sont gracieusement prêtés et qu’ils garderont durant trois ans afin de leur permettre de suivre une classe aux horaires aménagés pour apprendre à jouer de la trompette, du saxophone, du violon ou de la flûte traversière… Sans oublier le trombone ou le cor ! Certains enfants sont à peine plus grands que leur instrument. Magique, je vous le disais…

Drapeau, pas drapeau ?

Olivier Faure propose aux maires « de faire flotter le drapeau palestinien » sur les hôtels de ville le 22 septembre, jour de la reconnaissance par Emmanuel Macron de l’État de Palestine. Une bien mauvaise façon… Et un drapeau qui électrise maintenant un pays, la France, qui n’en avait vraiment pas besoin. Pour parler très clairement, Olivier Faure a décidé de doubler Mélenchon sur sa gauche extrême dans sa course à l’électoralisme. Sans même éprouver le début de la moindre gêne… Tout cela pourrait n’être qu’une bête histoire de drapeau si elle n’intervenait pas précisément le jour où le chef de l’État a décidé de reconnaître la Palestine, s’asseyant sur les conditions qu’il avait lui-même posées. Un beau cadeau fait aux assassins-terroristes du Hamas. Et qui plus est la veille de Roch Hachana, le Nouvel An juif, l’une des fêtes les plus importantes du peuple hébraïque. Tout un symbole… Dans le même temps, on apprend dans un sondage IFOP que 31 % des 18-24 ans estiment « légitime de s’en prendre aux Français juifs au nom du conflit à Gaza » ! Effrayant. Sinistre. Atterrant. À Béziers, la bâche qui rappelle le pogrom du 7 octobre 2023 est toujours en place et le 22 septembre, ce sont les drapeaux français qui ont pavoisé la façade de l’hôtel de ville…

Le grand choir

© OpenAI / Causeur.

Effondrement de l’Éducation, immigration à jets continus, dette abyssale, cacophonie politique… Beaucoup pensent que la France est foutue et cherchent des coupables. Mais la plupart des crises que nous traversons sont une coproduction gouvernants-gouvernés. Pour avoir une chance de redresser le pays, les Français doivent arrêter de se victimiser et de compter sur l’État-providence.


À qui la faute – les riches, les boomers, les immigrés, les islamo-gauchistes, les technos, l’extrême droite, les fumeurs de joint, les trompettistes ? La quête obsessionnelle de coupables est le symptôme le plus déprimant du malheur français. Face à des difficultés qui paraissent insolubles, on dresse un pilori en place publique et on danse la carmagnole. En dépit de leurs innombrables disputes, une majorité de Français s’accorde au moins à éprouver le même sentiment vertigineux de dégringolade nationale. Certes, le malheur public peut, et heureusement, coexister avec le bonheur privé. Toutefois, si nous sommes presque les champions du monde de la consommation d’antidépresseurs, cela n’est sans doute pas sans rapport avec notre incapacité à penser un avenir collectif. L’animal social ne vit pas seulement de l’amour des siens.

De De Gaulle à Delogu

Sommes-nous foutus ? À la différence d’Éric Naulleau, dont la religion est faite (voir son manifeste foutuiste dans notre grand dossier), nous n’avons pas de réponse claire à la question qui taraude les bistrots, les dîners en ville et les salles de rédaction. Mais nombre de nos concitoyens en sont convaincus, notamment les jeunes diplômés qui vont voir ailleurs.

Contrairement à ce que pensent la plupart des observateurs, la pagaille politique n’est pas la cause mais la conséquence de toutes les autres. C’est notre société fatiguée et éparpillée façon puzzle qui a accouché de cette assemblée ingouvernable et d’élites politiques parfois infréquentables : de de Gaulle à Delogu, on n’a pas baissé de niveau, on a changé de monde. Le reste est à l’avenant. Où que se tourne le regard, comme dirait l’ami Goldnadel, il ne voit que faillites, débâcles et processus que plus personne ne maîtrise. Éducation, immigration, islamisation, économie, dette : tout est à reconstruire.

Commençons par l’École, mère de toutes nos défaites. À l’exception des technos de l’Éducation nationale conservés dans le formol idéologique depuis les années 1970, plus personne ne peut ignorer une destruction dont les conséquences se mesurent désormais dans la population adulte – y compris celle des professeurs. Les ravages de la bienveillance, disséqués par Matthieu Grimpret (dont Jonathan Siksou recense le livre dans nos colonnes), sont tels que, selon une étude de l’OCDE, 28 % des Français éprouvent de grandes difficultés à maîtriser un texte simple.

Viennent ensuite – quoiqu’au moins à égalité dans la gravité – l’immigration et le changement démographique qui saute aux yeux de tout étranger arrivant à Paris après dix ans d’absence. La France n’est plus un pays multiethnique, mais une nation multiculturelle, où comme chez McDo, chacun vient comme il est. Les nouveaux arrivants qui débarquent à jets continus s’ajoutant aux millions de descendants d’immigrés qui n’ont pas tous adopté les mœurs de leur pays d’adoption, les zones de non-France ne cessent de s’étendre. Autrement dit, on se rapproche du point de rupture où les populations autochtones deviendront minoritaires. Nicolas Pouvreau-Monti, qui analyse les données factuelles dans notre numéro ne se risque pas à dire quand ce point de rupture sera atteint. Mais sauf virage à 180 degrés de notre politique migratoire, il le sera.

Inutile de s’étendre sur le front économique et financier, si ce n’est pour rappeler deux chiffres : à la chute du mur de Berlin, la richesse produite par habitant en France égalait 80 % de celle des États-Unis et l’endettement de l’État s’élevait à 35 % du PIB. Aujourd’hui nous sommes tombés à 65 % du PIB américain par tête et avons dépassé les 110 % de dette publique. Alain Minc a raison de dire que le risque d’une tutelle de la BCE n’est pas une fake news, n’en déplaise aux économistes pikettiens qui dominent l’université et les médias.

Les emmerdes, ça vole toujours en escadrille

La plupart de ces catastrophes sont cumulatives: les professeurs formés dans une école au rabais sont de moins en moins capables d’instruire ; plus il y a d’immigrés, moins ils ont besoin de s’intégrer ; il faut emprunter pour payer les intérêts de la dette ; et moins on fait d’enfants, moins il y aura de parents à la génération suivante. Autant de raisons de penser que la décadence est irréversible. Après tout, si les civilisations sont mortelles, peut-être faut-il accepter que la nôtre a commencé son agonie. Pourtant, quelque chose en nous se refuse encore à disparaître. La ferveur de tout le pays lorsque les cloches de Notre-Dame ont à nouveau retenti dans le ciel de Paris, ce n’était pas du chiqué. La France défilant pour Charlie non plus.

La condition du sursaut, en supposant qu’il puisse avoir lieu, c’est de comprendre ce qui nous arrive, et qui tient largement à un cocktail très français d’irresponsabilité et de déni. En se libérant de la légende gaullienne, certes géniale et flamboyante, d’une France victorieuse en 1945 sur laquelle revient Franz-Olivier Giesbert, observateur acéré du théâtre politique (votre notre entretien pages p 52-57 de notre numéro). Et en s’émancipant des mots d’ordre bidon imposés par les élites – l’immigration est une chance pour la France – ou entonnés par le populo – il suffit de faire payer les riches pour conserver le modèle social que le monde nous envie.

Cependant, au pays de l’Etat omnipotent, les commandes au Père Noël ne sont pas toutes exaucées. Si en matière économique et sociale, le pouvoir a, depuis trente ans, cédé presque toujours aux caprices des Français – quand le réel commandait de résister –, il s’est avec constance refusé, avec le plus grand zèle, à écouter les demandes régaliennes et identitaires majoritaires – que le réel aurait dû lui imposer.

En attendant, la plupart de nos concitoyens s’estiment les victimes innocentes de dirigeants incompétents et moralement défaillants alors que vous-et-moi sommes irréprochables. D’où les cris et indignations quand François Bayrou a affirmé que nous étions tous responsables de la dette. C’est pas nous ! C’est le train de vie de l’État ! Certes, mais le train de vie de l’État, ce n’est pas la cave de l’Elysée, c’est ta cousine qui a un job à la communauté de communes, ton père qui est à la retraite depuis trente-deux ans. Nous voyons l’État comme un oncle Picsou à qui il faut arracher son magot. Sauf que l’oncle Picsou, c’est l’autre, qui doit payer donc trimer plus pour que nous puissions jouir de nos droits.

Les bons psychanalystes le savent, personne ne reprend la main sur sa vie en pleurnichant parce que papa et maman lui ont fait tellement de mal. Ce sont les Français qui ont élu avec constance des gouvernants immigrationnistes, européistes et dépensiers. Si nous voulons guérir, il nous faut encaisser un choc de réalité et admettre que la plupart des crises françaises sont une coproduction gouvernants-gouvernés. La bonne nouvelle, c’est que si nous avons participé au désastre, nous pouvons contribuer au redressement.

Manchester: l’inévitable

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Attaque au couteau dans une synagogue à Manchester, Royaume-Uni, 2 octobre 2025 © Picture Agency/Shutterstock/SIPA

Un homme armé a mené jeudi une attaque terroriste près d’une synagogue de Manchester, le jour de Yom Kippour, tuant deux personnes et en blessant grièvement quatre autres avant d’être abattu par la police. L’attentat, commis par Jihad al-Shami, un citoyen d’origine syrienne de 35 ans, était inévitable dans le contexte politico-médiatique britannique actuel, analyse Jeremy Stubbs.


Manchester est un des grands centres de la vie juive au Royaume Uni. Certes, il y a les quartiers historiques londoniens. D’abord, l’Est de la ville (l’« East End »), où se logeaient et travaillaient les immigrés pauvres, dont beaucoup de tailleurs qui, à leur manière, ont contribué à la mode et à l’élégance britanniques. Ensuite des quartiers plus huppés dans le nord de Londres, surtout le légendaire Golders Green, dont la population, selon le recensement de 2021, était juive à 49,9%. 

Plus importante communauté juive du Royaume après la capitale

Pourquoi la deuxième plus grande communauté se situe-t-elle à Manchester? Les Juifs qui, à la fin du XIXe siècle, fuyaient les pogroms en Russie pour une nouvelle vie en Amérique arrivaient par bateau sur la côte nord-est de l’Angleterre, traversaient le pays et embarquaient à l’ouest, au grand port de Liverpool, sur les bateaux partant pour New York. Certains ont décidé d’arrêter leur voyage et de rester dans le nord-ouest anglais, surtout à Manchester. Déjà, à la suite de la Révolution industrielle, quand la croissance explosait dans cette ville, la famille Rothschild était présente. Mais c’est la grande vague migratoire vers l’ouest qui a créé la deuxième communauté juive après Londres, dont l’épicentre se trouve à Prestwich, aujourd’hui un quartier nord de Manchester. C’est juste à l’est de cette banlieue, à Crumpsall, qu’a eu lieu l’attaque de la synagogue hier.

Tout a dû être soigneusement calculé. L’attentat a frappé les Juifs anglais au cœur d’un centre historique et le jour de la plus grande fête juive de l’année. Le message est clair : vous n’êtes en sécurité nulle part et la haine vous poursuivra indéfiniment. Le fait que cet acte intervienne à un moment où un processus de paix pourrait peut-être aboutir n’est pas anodin : quoi qu’il arrive, vous n’aurez pas la paix. Enfin : la démocratie et l’Etat de droit ne peuvent pas vous protéger, car vos ennemis font fi de ce qu’ils considèrent comme des Tigres de papier…

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Faut-il renforcer la sécurité autour des synagogues et des autres centres de la vie juive? Mais elle est déjà renforcée et depuis longtemps ! Des mesures ont été prises bien avant le 7-Octobre. C’est justement ce qui a sauvé la synagogue dite de Heaton Park située à Crumpsall. L’action héroïque des gardiens et des fidèles a fermé les lieux à l’assassin armé d’un couteau et portant un engin explosif qui s’est révélé plus tard être factice. 

À l’heure où j’écris ces lignes, le mobile de l’assassin, tué par des policiers armés sept minutes après le début de son attaque, n’a pas encore été déterminé. Mais les autorités ont immédiatement déclaré qu’il s’agissait d’un acte terroriste. L’identité de l’homme, Jihad Al-Shami, un citoyen britannique de 35 ans arrivé enfant de sa Syrie natale, suggère qu’il ne s’agit pas d’un complot d’extrême-droite. Il n’était apparemment pas connu des agents antiterroristes. Agissait-il seul, ou avait-il des complices? Trois personnes demeurant dans la localité ont été arrêtées. S’agit-il d’un acte isolé ou est-ce le prélude à une vague d’attentats? On attend toujours les réponses à ces questions.

Atmosphère lourde

Selon le grand rabbin du Royaume Uni, Sir Ephraim Mirvis, les Juifs du pays espéraient qu’un tel événement n’arriverait jamais mais savaient, au fond d’eux-mêmes, qu’il était inévitable. Et il faut dire que l’atmosphère – au sens de Gilles Kepel – était malheureusement propice. Juste après minuit, le 2 octobre, à Londres, une manifestation spontanée a réuni une centaine de militants propalestiniens qui ont marché jusqu’à la résidence du Premier ministre au 10 Downing Street, en scandant des slogans comme « Il n’y a qu’une seule solution : intifada, révolution! » Ils brandissaient des drapeaux palestiniens et au moins une bannière accusant Keir Starmer d’être un « criminel de guerre ». Les forces de l’ordre, si promptes et efficaces à Manchester, après qu’un attentat a commencé, n’ont rien fait à Londres. Et quelques heures après l’horreur de Manchester, les manifestants étaient de nouveau devant Downing Street, l’un d’entre eux criant: « Je me moque de la communauté juive en ce moment! » (L’original en anglais était beaucoup plus grossier). 

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Faut-il énumérer tous les cas où les autorités ont fait preuve de complaisance envers les militants propalestiniens au langage le plus violent ou d’inefficacité dans la poursuite judiciaire des infractions ? Au mois de février, un homme a brûlé un Coran devant le consulat turc à Londres. Il a été condamné à une amende presque comme s’il était coupable d’un délit de blasphème. On vient d’apprendre que l’homme qui est sorti du consulat pour le tabasser en le menaçant d’un couteau n’a écopé d’une courte peine de prison avec sursis… Au mois d’août, le chanteur du groupe nord-irlandais Kneecap a échappé à un procès pour apologie de terrorisme à cause d’un vice de forme. Le duo « punk-rap » Bob Vylan continue impunément à scander sur scène des slogans comme « Mort à Tsahal » et même « F** the fascists! F** the Zionists! Go find them on the streets! » – c’est-à-dire, « allez les trouver dans les rues ».

Aujourd’hui, trois citoyens britanniques se trouvent à l’hôpital dans un état grave, et deux autres, Adrian Daulby, 53 ans, et Melvin Cravitz, 66 ans, ont payé de leur vie cette « atmosphère ».

Agnès Desarthe: conte providentiel

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L'écrivaine française Agnès Desarthe photographiée en 2009 © Kazam Media / Rex Featu/REX/SIPA

Où l’on apprend, à la fin du livre, grâce aux remerciements, qu’Agnès Desarthe, qui a beaucoup écrit pour les enfants mais pour les adultes aussi – et je me souviens avec émotion de L’année de leur chance –  fait partie d’un orchestre d’harmonie pour lequel elle a écrit ce roman qui s’en inspire…


« C’est un hiver où rien ni personne ne doit mourir. Les rosiers continuent de porter des fleurs, plus chétives qu’au printemps, moins parfumées qu’en été, aux pétales décolorés presque transparents. Les framboisiers laissent pendre leurs petits visages rouges, comme honteux, sous les feuilles recourbées. »

J’avais déjà lu ce paragraphe lorsque je le retrouvais quelques pages plus loin. Je crus à une erreur de typographie, puis je compris que ce passage, augmenté d’un autre paragraphe, reviendrait telle une scansion musicale, autant de fois qu’il le faudrait pour introduire tous les personnages. Mais avant cela (et c’est ce qui explique la première phrase), le narrateur nous invite à un conseil municipal cocasse où le maire se désole car le cimetière est plein comme un œuf, comme dirait Georges Brassens, et on ne peut plus y enterrer personne. Certes, on peut regrouper les os, mais on peut aussi s’abstenir de mourir, ou, plus exactement, revenir à la vie.

Fil rouge

Et c’est ce que feront tous les personnages de ce conte qui emprunte moins au merveilleux qu’à la Providence ; comme si un fil rouge les reliait tous, afin que chaque rencontre soit l’occasion d’une résurrection. Ici, nul prince ni bergère ; nous sommes plutôt dans la France rurale ou dite périphérique d’aujourd’hui, et les personnages sont tous passablement cabossés et acquis aux besognes les plus humbles. Fossoyeur, maçon, dame qui s’occupe des petits à la garderie, dame qui fait le ménage à l’école etc.

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Le fil rouge et le centre de gravité : l’orchestre d’harmonie, qui regroupe gens du village et du voisinage. Tous ne connaissent pas forcément le solfège, mais tous y participent à leur manière. Y compris Matis, le gosse insupportable : « Avant, quand sa mère l’emmenait écouter l’harmonie, il se bouchait les oreilles parce qu’il y avait trop de notes qui fonçaient sur lui de partout. » Heureusement, il y a un instrument qui trouve grâce à ses oreilles et qui sauvera la vie de celui qui en joue lorsque Matis saura en restituer le son au moment opportun. Et Raoul, qui allait se pendre, se retrouve avec un môme qu’il tient par la main, Raoul dont la mère était soi-disant grosse, d’après les gens, alors que lui ne la voyait pas comme ça. « Et ce n’était pas seulement son visage qui était beau, son corps aussi, qui était comme un bloc, tellement énorme qu’on avait l’impression que le tissu de la robe allait craquer. Les autres mamans n’étaient pas comme la sienne. On voyait leurs os en bas du cou, et aux poignets et aussi aux chevilles. Sa mère, c’est comme si elle n’avait pas eu d’os. Tout était courbe et ça tenait en place, c’était solide. Pas besoin de squelette. Les fleurs de la robe étaient étirées au maximum et ça aussi, c’était beau. »

Agnès Desarthe nous fait entendre une langue d’enfance où l’ironie méchamment apprise n’est plus de mise. On retourne en arrière, on apprend à regarder avec des yeux plus élogieux. On retrouve aussi les grandes amitiés des jeunes années : « Lorsque Goneril était avec Madeline, elle était emplie de miel. Elle était plus belle et plus intelligente. Elle était spirituelle et raffinée. Ensemble, elles choisissaient un endroit, dans leur quartier, derrière le collège, dans la forêt où les familles allaient pique-niquer le dimanche, et elles inventaient leur vie, leur vie future, à partir de là, c’est à dire à partir de rien. Il leur fallait d’abord construire une maison, puis ouvrir une boutique (les jours où elles s’imaginaient vendant des savons artisanaux), un restaurant (quand elles se voyaient cuisinières), une ferme (quand elles décidaient de devenir éleveuses)…  A deux, elles pouvaient tout inventer et elles pouvaient tout vivre. Leurs phrases commençaient souvent par : « Et là, il y aurait… » »

On aurait dit que…

Fabuleux conditionnel de l’enfance avec son « on aurait dit que… » L’acuité à la langue et aux sons, on l’aura compris, est absolument primordiale. Et il arrive que parfois la langue sonne faux et que l’enfant l’entende particulièrement : « Tout ce qu’elle dit, ça m’énerve. Je ne sais pas ce qu’elle trafique avec sa voix, mais même quand j’ai mon casque sur mes oreilles et la musique à fond, je l’entends me parler. Sa voix est comme un serpent qui se faufile partout. » En revanche, la phrase heureuse délivre de l’humeur mauvaise en une seconde : « C’était comme si, pour la première fois, j’entendais une parole juste. »

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Cette langue ne dit pas que l’enfance, elle dit aussi les rencontres amoureuses, l’intensité, l’exaltation, la vie augmentée avant que les ennuis commencent ; mais qu’à cela ne tienne, elles feront retour des années plus tard pour renaître autrement. Ainsi, de boucle en boucle, tous les personnages voient la vie refluer vers eux et leur donner une seconde chance. Avec, toujours au centre, l’orchestre d’harmonie qui porte merveilleusement son nom puisqu’il permet à chacun de trouver sa note enfin juste et ce faisant, sa juste place.

L’oreille absolue d’Agnès Desarthe, éditions de l’Olivier, 2025 144 pages.

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