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Manchester: l’inévitable

La fête la plus sacrée des juifs transformée en tragédie


Manchester: l’inévitable
Attaque au couteau dans une synagogue à Manchester, Royaume-Uni, 2 octobre 2025 © Picture Agency/Shutterstock/SIPA

Un homme armé a mené jeudi une attaque terroriste près d’une synagogue de Manchester, le jour de Yom Kippour, tuant deux personnes et en blessant grièvement quatre autres avant d’être abattu par la police. L’attentat, commis par Jihad al-Shami, un citoyen d’origine syrienne de 35 ans, était inévitable dans le contexte politico-médiatique britannique actuel, analyse Jeremy Stubbs.


Manchester est un des grands centres de la vie juive au Royaume Uni. Certes, il y a les quartiers historiques londoniens. D’abord, l’Est de la ville (l’« East End »), où se logeaient et travaillaient les immigrés pauvres, dont beaucoup de tailleurs qui, à leur manière, ont contribué à la mode et à l’élégance britanniques. Ensuite des quartiers plus huppés dans le nord de Londres, surtout le légendaire Golders Green, dont la population, selon le recensement de 2021, était juive à 49,9%. 

Plus importante communauté juive du Royaume après la capitale

Pourquoi la deuxième plus grande communauté se situe-t-elle à Manchester? Les Juifs qui, à la fin du XIXe siècle, fuyaient les pogroms en Russie pour une nouvelle vie en Amérique arrivaient par bateau sur la côte nord-est de l’Angleterre, traversaient le pays et embarquaient à l’ouest, au grand port de Liverpool, sur les bateaux partant pour New York. Certains ont décidé d’arrêter leur voyage et de rester dans le nord-ouest anglais, surtout à Manchester. Déjà, à la suite de la Révolution industrielle, quand la croissance explosait dans cette ville, la famille Rothschild était présente. Mais c’est la grande vague migratoire vers l’ouest qui a créé la deuxième communauté juive après Londres, dont l’épicentre se trouve à Prestwich, aujourd’hui un quartier nord de Manchester. C’est juste à l’est de cette banlieue, à Crumpsall, qu’a eu lieu l’attaque de la synagogue hier.

Tout a dû être soigneusement calculé. L’attentat a frappé les Juifs anglais au cœur d’un centre historique et le jour de la plus grande fête juive de l’année. Le message est clair : vous n’êtes en sécurité nulle part et la haine vous poursuivra indéfiniment. Le fait que cet acte intervienne à un moment où un processus de paix pourrait peut-être aboutir n’est pas anodin : quoi qu’il arrive, vous n’aurez pas la paix. Enfin : la démocratie et l’Etat de droit ne peuvent pas vous protéger, car vos ennemis font fi de ce qu’ils considèrent comme des Tigres de papier…

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Faut-il renforcer la sécurité autour des synagogues et des autres centres de la vie juive? Mais elle est déjà renforcée et depuis longtemps ! Des mesures ont été prises bien avant le 7-Octobre. C’est justement ce qui a sauvé la synagogue dite de Heaton Park située à Crumpsall. L’action héroïque des gardiens et des fidèles a fermé les lieux à l’assassin armé d’un couteau et portant un engin explosif qui s’est révélé plus tard être factice. 

À l’heure où j’écris ces lignes, le mobile de l’assassin, tué par des policiers armés sept minutes après le début de son attaque, n’a pas encore été déterminé. Mais les autorités ont immédiatement déclaré qu’il s’agissait d’un acte terroriste. L’identité de l’homme, Jihad Al-Shami, un citoyen britannique de 35 ans arrivé enfant de sa Syrie natale, suggère qu’il ne s’agit pas d’un complot d’extrême-droite. Il n’était apparemment pas connu des agents antiterroristes. Agissait-il seul, ou avait-il des complices? Trois personnes demeurant dans la localité ont été arrêtées. S’agit-il d’un acte isolé ou est-ce le prélude à une vague d’attentats? On attend toujours les réponses à ces questions.

Atmosphère lourde

Selon le grand rabbin du Royaume Uni, Sir Ephraim Mirvis, les Juifs du pays espéraient qu’un tel événement n’arriverait jamais mais savaient, au fond d’eux-mêmes, qu’il était inévitable. Et il faut dire que l’atmosphère – au sens de Gilles Kepel – était malheureusement propice. Juste après minuit, le 2 octobre, à Londres, une manifestation spontanée a réuni une centaine de militants propalestiniens qui ont marché jusqu’à la résidence du Premier ministre au 10 Downing Street, en scandant des slogans comme « Il n’y a qu’une seule solution : intifada, révolution! » Ils brandissaient des drapeaux palestiniens et au moins une bannière accusant Keir Starmer d’être un « criminel de guerre ». Les forces de l’ordre, si promptes et efficaces à Manchester, après qu’un attentat a commencé, n’ont rien fait à Londres. Et quelques heures après l’horreur de Manchester, les manifestants étaient de nouveau devant Downing Street, l’un d’entre eux criant: « Je me moque de la communauté juive en ce moment! » (L’original en anglais était beaucoup plus grossier). 

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Faut-il énumérer tous les cas où les autorités ont fait preuve de complaisance envers les militants propalestiniens au langage le plus violent ou d’inefficacité dans la poursuite judiciaire des infractions ? Au mois de février, un homme a brûlé un Coran devant le consulat turc à Londres. Il a été condamné à une amende presque comme s’il était coupable d’un délit de blasphème. On vient d’apprendre que l’homme qui est sorti du consulat pour le tabasser en le menaçant d’un couteau n’a écopé d’une courte peine de prison avec sursis… Au mois d’août, le chanteur du groupe nord-irlandais Kneecap a échappé à un procès pour apologie de terrorisme à cause d’un vice de forme. Le duo « punk-rap » Bob Vylan continue impunément à scander sur scène des slogans comme « Mort à Tsahal » et même « F** the fascists! F** the Zionists! Go find them on the streets! » – c’est-à-dire, « allez les trouver dans les rues ».

Aujourd’hui, trois citoyens britanniques se trouvent à l’hôpital dans un état grave, et deux autres, Adrian Daulby, 53 ans, et Melvin Cravitz, 66 ans, ont payé de leur vie cette « atmosphère ».



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