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La justice, c’est quand on gagne le procès…

Les yeux de l’Éternel sont sur les justes, et ses oreilles sont attentives à leur cri.
Psaume 34 :16.

La justice, c’est quand on gagne le procès.
Samuel Johnson.


En France, font les manchettes la condamnation de l’ex-président Sarkozy pour « association de malfaiteurs » dans le cadre du procès relatif au financement libyen et le procès en cours de Cédric Jubillar, accusé de meurtre de son épouse.

Sarkozy : une nouvelle affaire Dreyfus ?

Commençons par l’ex-chef de l’État.

Plus que sa condamnation en elle-même, c’est la décision d’exécution provisoire qui fait débat : d’aucuns y voient une atteinte à la présomption d’innocence dont jouit en principe tout condamné qui fait appel.

Il n’est pas question ici de se prononcer sur le bien (ou mal)-fondé de cette condamnation. Aux citoyens justiciables et aux médias que l’affaire intéresse d’examiner le dossier, en commençant évidemment pas les attendus du jugement et en faisant les recoupements pertinents. Chacun peut souverainement tirer ses propres conclusions; chacun a le droit absolu de « juger les juges » et de défendre ses conclusions dans l’agora.

On se penchera sur les déclarations publiques pertinentes. La droite dénonce un acharnement « politique » et Nicolas Sarkozy, lui, évoque non seulement une « honte », une « indignité », mais aussi une « infamie ». Bref, une nouvelle affaire Dreyfus.

Comme il fallait s’y attendre (on est en France) les cris aigus de vierges effarouchées ne se sont pas fait attendre : une vingtaine d’avocats viennent de porter plainte contre Nicolas Sarkozy, l’accusant d’avoir discrédité l’institution judiciaire: il y aurait « de fait un acte délibéré de discrédit porté à l’institution judiciaire, de nature à affaiblir la confiance des citoyens dans l’impartialité et l’indépendance de la justice ».

Et, ô surprise, abonde dans le même sens M. Ghaleh-Marzban, le nouveau président du Tribunal de Paris, selon lequel ces critiques « sapent les bases de notre droit et les fondements de notre démocratie ». Rien que ça.

La question est donc posée: l’institution judiciaire mérite-t-elle cette confiance de la part des citoyens?

Un peu d’histoire française (et pas seulement française).

Depuis l’affaire Calas, l’institution judiciaire s’est parfois complue dans l’infamie. L’exemple classique est l’affaire Dreyfus, où chaque magistrat de toute la hiérarchie judiciaire fut le servile larbin de l’antisémitisme. Idem en ce qui concerne la persécution de son défenseur Émile Zola. La nature humaine a-t-elle changé depuis et les leçons ont-elles été tirées? Plus récemment, il y a aussi l’affaire Outreau. Et d’ailleurs, à ce sujet, l’infamie persiste puisque l’ex-juge d’instruction Fabrice Burgaud a fait l’objet d’une simple réprimande et (aux dernières nouvelles) coule aujourd’hui des jours heureux dans sa sinécure d’avocat général référendaire de la Cour de cass’; une référence précieuse dans les pourvois fondés sur l’erreur judiciaire. Il a eu droit à un poste qui fait l’envie de bien des juristes.

(Petite note de droit comparé : en droit pénal anglo-saxon, il n’y a pas de juge d’instruction et ses fonctions sont remplies par le procureur, qui est avocat; un Burgaud aurait été rayé du barreau et fait, en… outre (si l’on ose dire), lui-même l’objet de poursuites pénales).

Bien entendu, les menaces de violence proférées contre les magistrats sont gravement attentatoires à l’État de droit et inadmissibles. Mais quid des remontrances des condamnés?

On répondra aux détracteurs de l’ex-président que, objectivement, c’est plutôt le bâillonnement d’un condamné qui est dangereux pour l’État de droit, lequel repose, précisément, sur le droit absolu du condamné de dénoncer une possible injustice du processus judiciaire. L’article 434-25 du code pénal est une archaïque survivance de l’esprit de la Sainte Inquisition qui a d’ailleurs été habilement transposé dans la procédure pénale stalinienne.

Le vrai fondement de la démocratie et de l’État de droit, c’est le droit absolu de dire : « J’accuse ». Incidemment, cela vaut aussi pour Mme Rachida Dati, qui fait face à un calendrier judiciaire relativement chargé.

(Autre petite note de droit comparé, l’infraction de common law équivalente, dite « scandalizing the court » – les lecteurs auront traduit d’eux-mêmes – a disparu des juridictions anglo-saxonnes les plus évoluées, notamment pour inconstitutionnalité, au titre de la violation de la liberté d’expression).

Comme le savent tous les magistrats et les avocats plaideurs dignes de ce nom, en substance, tout procès (civil ou pénal) est une vente aux enchères; la mise à prix dépend évidemment de divers facteurs, notamment de la nature de la cause, mais l’issue dépend étroitement des ressources respectives des parties, car le riche (qui a aussi pleinement droit à la présomption d’innocence dans un État de droit) est en meilleure position pour soutenir une guerre de tranchées. En l’espèce, il serait instructif de connaître le budget des parties. A ce stade, l’on peut sans doute conjecturer que M. Sarkozy a pu puiser dans un arsenal quelque plus conséquent que celui de l’officier d’artillerie Alfred Dreyfus jadis.

Cela dit, les bonnes âmes qui font de la confiance aveugle en l’institution judiciaire un acte de foi sont parfaitement libres de voir dans les récriminations d’un quelconque condamné, et de ses défenseurs, la hargne des mauvais perdants. Cela n’engage qu’elles.

Il faut déplorer cette tendance de la magistrature à être juge… et partie. En tentant de réduire au silence par l’intimidation un condamné censé jeter le discrédit sur elle, elle se livre à un abus de pouvoir et oublie que dans le mot « discrédit », il y a le mot « crédit ». C’est mettre la charrue avant les bœufs. Pour toute institution humaine, le respect, ça se mérite.

Parlant de respect, passons au procès Jubillar.

On constate d’abord une entrée en matière classique en France: sont exposés les antécédents et les analyses de personnalité de l’accusé effectuées par d’éminents experts disciples de Jacques Derrida.

(Autre petite note de droit comparé : la procédure anglo-saxonne, logiquement, rejette une telle hérésie car les parties débattent d’abord la matérialité des faits et, le cas échéant,  en recherchent ensuite, les éventuelles explications psychologiques. En France, on met encore la charrue avant les bœufs.)

Nous n’en sommes qu’aux premières phases du procès. Se succèdent des témoignages sur la personnalité apparemment peu amène de l’accusé.

Tous ces témoignages sont troublants.

Très troublants.

Et ce – parlant d’infamie – d’autant plus que cette fichue procédure pénale franchouillarde permet aux témoins de vomir leurs soit-disant convictions dans les prétoires.

(Petite note de droit comparé supplémentaire : en droit anglo-saxon, le témoin doit s’en tenir strictement aux seuls faits bruts dont il a une connaissance directe).

Cela dit, l’on ne peut que constater l’absence de tout indice déterminant. En dépit de tous ces éléments que l’on qualifiera charitablement de tangentiels… la réalité incontournable, maintes fois proclamée dans la sphère publique, est inchangée. Il n’existe aucune preuve formelle de culpabilité: surtout pas de corps, et encore moins d’aveux (encore que la religion de l’aveu est un autre archaïsme superstitieux bien français). En théorie, tout verdict de culpabilité repose sur des preuves factuelles, qui ne laissent place à nul doute. En l’absence de corps, pas d’ADN, pas d’analyses balistiques solides ou pas d’angles de coups de couteau, pas de datation de la mort, etc.

(Les conclusions des médecins-légistes, qui ont les pieds sur terre et mettent la main à la pâte, sont généralement plus fiables que les divinations hasardeuses des psys dont l’outil de travail est la boule de crystal).

Dans ce cas, en effet, la réunion, rigoureuse, de preuves indirectes peut suffire à emporter la conviction… si elles sont en béton. Est bien connu en droit pénal (pas seulement français) le délit de sale gueule; en l’espèce, seul est nettement caractérisé le délit de sale caractère.

Et y a-t-il eu enquête à charge, qui complique toujours considérablement la tâche de la défense? A ce stade du procès, demeure posée la question (classique, pas seulement en France, encore qu’est légendaire l’« entonnoir » français, tandis que dans les juridictions anglo-saxonnes a cours l’expression « tunnel vision » – les lecteurs auront encore traduit d’eux-mêmes). A chacun d’apprécier les tout aussi classiques véhémentes protestations d’innocence des enquêteurs en la matière.

A suivre. En France, le doute a, à l’occasion, plutôt tendance à profiter à l’accusation. Y aura-t-il un coup de théâtre?

Moralité : si nous sommes tous des chasseurs de prime, cela est particulièrement vrai pour les policiers, magistrats, avocats et journalistes.

Aïda chez les mollahs

La mise en scène de Shirin Neshat ne remporte franchement pas tous les suffrages…


Tout porte à croire que cette Aïda ne restera pas dans les annales du lyrique verdien, pas davantage que la production précédente du chef-d’œuvre de Verdi, concoctée par la Néerlandaise Lotte de Beer, et qui fit long feu en 2021 à l’Opéra de Paris pour cause de Covid. Shirin Neshat est, avant tout, plasticienne. Native de Téhéran, elle a étudié l’histoire de l’art aux États-Unis, séparée de sa famille par la révolution islamiste de 1979, et s’est fait un nom comme photographe avec la série Women of Allah, puis comme vidéaste et cinéaste. En 2017, elle est invitée à monter Aïda au Festival de Salzbourg, mise en scène remaniée au fil de ses reprises, en 2022 dans la ville mozartienne, et à présent à l’Opéra-Bastille, en coproduction avec le Liceu de Barcelone.

Bernd Uhlig

Déracinées

On comprend bien pourquoi Aïda « parle » singulièrement à une artiste iranienne en exil, tragédie grandiose de cette esclave éthiopienne, princesse secrètement aimée du chef de guerre ennemi Radamès, et qui a pour rivale Amneris, la fille du roi d’Egypte : la déracinée, otage du vainqueur, bientôt forcée de choisir sous la pression d’Amonastro, son père, entre l’amant et la patrie, en d’autres termes entre le désir et le devoir moral, rejettera tous les compromis et suivra Radamès, condamné comme traître, dans le tombeau où, enterrés vivants, ils seront tous deux réunis dans la mort…

Commande du khédive Ismaël Pacha pour célébrer l’ouverture du canal de Suez, péplum pharaonique créé au Caire en 1871 soit quatre ans après le magistral Don Carlos, mais d’abord imaginé, sur un scénario de l’égyptologue Auguste Mariette, pour la scène parisienne dans la pure tradition française du « grand opéra », Aïda revêt traditionnellement la dimension d’un spectacle monumental, dont la marche des trompettes reste le morceau de bravoure célébrissime.

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Il n’est pas illégitime en soi de se détacher de cet orientalisme kitsch qui a parfois rempli, pour le pire, les stades de foot transformés en grand spectacle son et lumière. Cela n’autorise pas pour autant tous les contre-sens. Chez Shirin Neshat, le décor de l’Egypte ancienne revêt l’apparence géométrique d’une paire de fortins bâtis dans une sorte d’agrégat de béton blanc, façon cabines de douches géantes, mais pivotantes, ajourées, réunies au finish pour former le tombeau où sont emmurés Radamès et Aïda, mais dont les murs, tout au long du spectacle, auront essentiellement servi d’écrans de projection pour les clichés noir et blanc ou les films en couleur exhumés du book conséquent de l’artiste, les chanteurs en chair et en os promis quant à eux aux rôles de figurants d’un univers plastique dont le théâtre verdien se voit délibérément exclu.

L’extraordinaire dramaturgie du compositeur dans sa maturité, cette partition sublime, tout à la fois rutilante et onctueuse, au lieu d’être servies par la mise en scène, semblent ici les supports d’occasion d’un discours sans lien organique avec le livret. Par une curieuse interversion, l’opéra est ici sommé d’obéir aux injonctions de la scénographie. Laquelle donne à l’Égypte ancienne des pharaons le profil d’une théocratie sanguinaire, signalée, dans un vestiaire amorti par un vague syncrétisme (histoire de ne pas désigner précisément l’Iran – je ne nomme personne, suivez mon regard), par les longues barbes et les costumes voilés de noir de l’oppresseur, par opposition aux Éthiopiens prisonniers, tandis qu’Amneris, la rivale d’Aïda, fait d’acte en acte les essayages chromatiques de ses longues traînes de gaze, où elle se prend parfois les pieds et qui, au fil des tableaux, passeront du blanc au rouge ou au jaune –  faut-il y voir un symbole ? Pendant la durée interminable des changements de décor, la salle est priée de patienter en silence.  

Exceptionnel Piotr Beczała

Au soir de la première, le 24 septembre dernier, le cast vocal se ressentait du statisme de cette régie où la saturation des projections d’images anesthésie passablement l’émotion, les chanteurs se regardant à peine, plantés comme des quilles face au public. Certes, n’est pas qui veut Leontyne Price ou, plus près de nous, Anna Netrebko mais, voix métallique, la soprano espagnole Saioa Hernández, dans les redoutables difficultés du rôle-titre, n’échappait pas à une certaine froideur d’expression, tandis qu’il aura fallu attendre le troisième acte pour que la mezzo genevoise Eve-Maud Hubeaux, en fille du roi d’Egypte, trouve la souplesse, le délié, la rondeur et l’intensité réclamée par l’emploi d’Amneris. Au moins la basse russe Roman Burdenko faisait-elle un magnifique Amonasro, le roi d’Ethiopie et père d’Aïda (on l’avait entendu déjà cette année dans Il Trittico, la trilogie puccinienne). La palme revient sans conteste à Radamès, le capitaine égyptien épris d’Aïda, campé de façon souveraine par Piotr Beczala, ténor exceptionnel, capable de monter vertigineusement dans les aigus. Habitué du plateau parisien, le Polonais Krzysztof Baczyk incarnait « Il Re » d’une splendide voix de basse. Quant à Ramfis, le grand prêtre égyptien, autre voix de basse joliment charnue, on le découvrait tout aussi convainquant sur le plan vocal, sous les traits du chanteur hungaro-roumain Alexander Köpeczi.   

Le maestro Michele Mariotti, à la tête de l’Orchestre de l’Opéra de Paris, reprend la direction qu’il avait assumée avec davantage d’énergie en 2021 pour deux représentations seulement, programme alors rompu par la pandémie. Sans donner peut-être, cette fois, au versant intime d’Aïda la grâce mélancolique, la douceur crépusculaire qui, à côté des passages fortissimo, sont le trésor secret de cet opéra.

Hors Krzysztof Baczyk  (Il Re) et la basse Alexander Köpecki (Ramfis) qu’on découvre sur la scène parisienne, la distribution s’annonce différente pour les dernières représentations, la soprano polono-américaine Ewa Plonka succédant par exemple à Saioa Hernandez à partir du 19 octobre, autre prise de rôle d’Aïda à Paris.  

Qui voudrait retrouver l’esprit péplum du chef-d’œuvre aura tout intérêt à  visionner, disponible à la demande sur Arte.tv jusqu’au 30 novembre, la toute récente captation d’Aïda fort bien réalisée au Met Opera : Nézet-Séguin à la baguette, dans une mise en scène signée Peter Mayer, avec, d’ailleurs, toujours Piotr Bezcala en Radamès, et en Amneris la mezzo roumaine Judit Kutasi, celle-là même qui, à l’Opéra-Bastille, reprend le rôle à partir du 19 octobre, et ce jusqu’à la dernière représentation, le 4 novembre. D’une opulence, pour le coup, pharaonique.


Aïda. Opéra en quatre actes de Giuseppe Verdi. Avec Krysztof Baczyk, Eve-Maud Hubeaux/Judit Kutasi, Aioa Hernandez/Ewa Ptonka, Piotr Beczata/Gregory Kunde… Direction : Michele Mariotti/ Dmitry Matvienko. Mise en scène et vidéo : Shirin Neshat. Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris.
Durée : 3h05
Opéra Bastille les 7, 10, 13, 16, 22 octobre, 1 et 4 novembre à 19h30 ; le 19 octobre à 14h30

Brenda Biya: la fille rebelle qui défie le « Sphinx » de Yaoundé

Si la fille du président sortant avait déjà fait parler d’elle par le passé (avec ses prestations de rap, son coming-out lesbien, ou des jérémiades concernant le délai de renouvellement de son passeport), lorsqu’elle a appelé fin septembre les jeunes Camerounais à ne pas voter pour son père sur TikTok, elle a dû vite faire marche arrière… Ses compatriotes votent dimanche prochain. Son père, 92 ans, qui brigue un huitième mandat, est favori.


Entre confidences publiques, coming-out assumé et critiques frontales contre son père, la fille du président camerounais Paul Biya a bousculé l’image d’une famille présidentielle réputée pour sa discrétion. Un séisme politique et intime, à quelques jours de la présidentielle. À 27 ans, Brenda Biya est devenue, malgré elle, le symbole d’une génération en rupture. Depuis Genève, où elle réside une partie de l’année, la jeune femme s’est exprimée comme rarement un membre du clan présidentiel ne l’avait fait avant elle.

« Personne n’est au-dessus des lois »

C’est sur le réseau social Instagram que tout avait commencé. En juin 2024, Brenda Biya avait déjà publié une série de vidéos et de messages où elle évoquait, sans détour, son quotidien, ses frustrations et sa différence. « Je suis Brenda Biya, j’aime qui j’aime, et je ne me cache plus », écrivait-elle, en partageant une photo d’elle embrassant sa compagne présumée, Layyons Valença, une mannequin et artiste brésilienne. Une publication aussitôt devenue virale — et qui avait déclenché un séisme politique à Yaoundé, dans un pays où l’homosexualité est passible de plusieurs années de prison selon l’article 347 bis de son Code pénal. « (…) Je trouve (cette loi) injuste et j’espère que mon histoire la fera changer » n’avait pas hésité à affirmer l’influenceuse, devenue depuis célibataire.

Brenda Biya n’est pas n’importe qui. Elle est la fille du président camerounais Paul Biya et de son épouse Chantal Biya. Ses parents ont d’ailleurs découvert la préférence sexuelle de leur cadette à travers ses critiques tant elle ne l’avait jamais évoqué auparavant, de l’aveu même de la concernée. Si certains internautes camerounais ont salué son courage, d’autres l’ont violemment prise à partie sur les réseaux sociaux. Patrice Christ Guidjol, président de l’association « Debout contre la dépénalisation de l’homosexualité dans notre pays », a porté plainte contre la rejetonne présidentielle, accusant celle-ci de la « promotion et incitation » des pratiques sexuelles LGBTQI+, rappelant que « personne n’est au-dessus des lois ». Dans l’entourage du chef d’État, on s’est borné alors à déclarer que l’on ne discutait pas des affaires privées de la famille du président et encore plus dans ce qui reste « un moment de confusion », selon les proches du dirigeant de cette ancienne colonie allemande, puis française.

Rappeuse à ses heures perdues

Loin de faire profil bas, Brenda Biya, rappeuse à ses heures sous le nom de scène King Nasty, n’en était pas à son premier coup d’éclat. Déjà, en 2019, elle avait dénoncé sur les réseaux sociaux les lenteurs administratives pour renouveler son passeport camerounais : « Même moi, fille du président, je galère à avoir un passeport. Imaginez les autres ! ». Un message qui avait alors trouvé un écho inattendu auprès d’une jeunesse camerounaise souvent frustrée par la corruption et les inégalités. Si certains observateurs y avaient vu alors une simple crise d’adolescence tardive, d’autres estimaient que l’affaire Brenda Biya traduisait en réalité beaucoup plus que cela.

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Arrivé au pouvoir dans des circonstances encore non élucidées en 1982, Paul Biya est un des derniers dinosaures de la Françafrique, ce système de relations économico-politico-militaires mis en place entre Paris et ses anciennes colonies d’Afrique. En dépit de nombreuses tentatives de le renverser ou de mettre en face de lui des opposants à la verve dynamique, de tenter de le poursuivre devant les tribunaux (pour des biens mal acquis présumés), Paul Biya est arrivé à se maintenir sur son trône en appliquant une méthode qui a fait ses preuves : « diviser pour mieux régner ».  A 92 ans, le « Sphinx » a l’assurance de celui à qui rien ne peut arriver, fidèlement soutenu par sa femme connue pour ses extravagantes coiffures, et un clan ethnique qui a verrouillé tous les organes de l’État.

Entre fidélités verrouillées et ambitions latentes, la parole libérée de Brenda apparaît pour beaucoup de jeunes Camerounais comme un miroir social : celui d’un pays en attente de renouveau, prisonnier d’un régime qui semble sans fin. C’est dans ce contexte qu’elle a une nouvelle fois vertement critiqué « papounet » sur TikTok le mois dernier. Dans une récente vidéo très explicite, elle a appelé les électeurs à ne pas voter pour lui « parce qu’il a fait souffrir beaucoup de gens » tout en espérant que les Camerounais « choisiront un autre président ».  Encore une fois, Brenda Biya a fait le buzz et s’est retrouvée au centre de toutes les discussions de village avant que ce message ne soit subitement plus accessible sur le réseau social bien connu.

Retournement de situation

Dans la foulée, celle qui est régulièrement accusée d’avoir un style de vie digne d’un émir de Dubaï, contrastant singulièrement avec le fort taux de pauvreté auquel font face ses compatriotes, a republié une seconde vidéo en forme de mea culpa. « Salut les gars. Ne nous mentons pas, je n’y connais rien en politique. Pourquoi voulez-vous suivre mes conseils, moi, une enfant impulsive qui prend des décisions sur un coup de tête ? Ne les suivez pas. (…) Quelqu’un qui ne connaît rien à quelque chose devrait naturellement se taire ». « Honnêtement, je devrais me remettre en question. Parfois, je prends des décisions impulsives. Je ne me rends pas compte des personnes que je blesse » a-t-elle ajouté.  Avant de conclure étrangement sur ces notes élogieuses : « J’ai toujours admiré l’intellect de mon père et j’ai toujours voulu avoir en même temps le cœur de ma mère ». « Plus tard, le peuple va se rendre compte que leur président était un bijou. Je trouve que c’est un grand homme et un excellent candidat ». Dont acte !

Un retournement qui a étonné ses soutiens de la première heure, la fameuse Gen-Z. Au fond, toute son agitation médiatique n’est peut-être qu’un reflet des tensions d’un pays en fin de cycle politique, où la lassitude du peuple côtoie l’immobilisme du pouvoir. Dans un Cameroun figé par le temps, sa voix résonne comme un cri — celui d’une jeunesse qui, faute d’espace d’expression, choisit les réseaux sociaux pour dire son ras-le-bol. Qu’elle le veuille ou non, la « fille rebelle du Sphinx » est devenue un symbole d’un malaise générationnel, et peut-être, à sa manière, l’annonce fragile d’une ère nouvelle — celle où même les enfants du pouvoir ne peuvent plus se taire, faisant fi du respect de la tradition africaine de soumission au père et à la mère. Même en Afrique, un continent réputé très conservateur, tout finit par se perdre !

Pourquoi Macron et Mélenchon se ressemblent

Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron n’aiment pas le peuple quand il est trop français. Face aux angoisses existentielles des autochtones, tous deux ont le même réflexe pavlovien: ils accusent ces indigènes d’«extrême droite».


Leur divorce est un simulacre. Jean-Luc Mélenchon reste l’allié utile d’Emmanuel Macron. Une preuve : le sabotage du mouvement antigouvernemental du 10 septembre (« Bloquons tout ! ») est venu du leader de LFI. C’est Mélenchon qui a fait de cette protestation populaire, détournée par l’extrême gauche insurrectionnelle, un échec (175 000 manifestants dans toute la France) dont s’est félicité le pouvoir. Macron a pu dire merci à Mélenchon. C’est aussi avec le soutien du leader LFI que le « front républicain » fit obstacle à la dynamique du RN lors des législatives de 2024. Les deux hommes partagent la même vision d’une société postnationale ouverte à l’immigration musulmane et à la cause gazaouie. Le 10 septembre flottaient partout les drapeaux palestiniens.

Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron n’aiment pas le peuple quand il est trop français. Tous deux ont, face aux angoisses existentielles des autochtones, le même réflexe pavlovien : ils accusent ces indigènes d’« extrême droite ». Ce sectarisme amène l’intolérance. Elle met en danger les porte-voix des « Oubliés », comme CNews ou Europe 1. Le fascisme est chez les militants de LFI et son chef non élu. Pour eux, la démocratie n’est plus le cadre de leurs revendications. Les guérillas urbaines et la terreur deviennent des moyens admissibles. Cette dérive est partagée par l’islam révolutionnaire : ce totalitarisme assume son alliance avec la gauche perdue pour espérer imposer la charia sous couvert de marxisme. Dans cet univers paranoïaque, la violence a remplacé la réflexion.

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L’assassinat de Charlie Kirk, 31 ans, influenceur pro-Trump tué par balle le 10 septembre sur un campus américain lors d’un de ses débats avec ses contradicteurs, n’a pas ému les humanistes autoproclamés. La minute de silence demandée au Parlement européen a été perturbée par la gauche et le centre. En France, le profil « antifasciste » du meurtrier, qui vivait en couple avec un transsexuel, a été gommé par les faussaires à cartes de presse. Ils ont voulu faire passer le tueur pour un conservateur trumpiste. Kirk invitait ses contradicteurs à venir débattre : « Prove me wrong » (« Prouvez-moi que j’ai tort ») était son slogan. La gauche l’a présenté comme un faiseur de haine.

Dans Le Spectateur engagé (1981), Raymond Aron regrettait, déjà à l’époque, la fin des confrontations d’idées entre éditorialistes au profit « des monologues et des injures ». Il y rappelait que « l’essence du régime soviétique, c’est le refus du dialogue ». Or c’est bien ce refus du dialogue qui a tué Kirk. La crise intellectuelle et morale que traversent la gauche perdue et ses avatars sociaux-démocrates a produit des butors. Ils nazifient les citoyens qui défendent leur patrie face à une mondialisation destructrice des identités nationales. Cette bêtise est semblablement portée par le mélenchonisme et le macronisme. Ces deux mouvements sont proches du même basculement totalitaire.

Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron voient dans les conservateurs un ennemi commun. Or tous deux n’ont rien compris au réveil des peuples et des nations. C’est le rejet de leur monde déraciné qui a mis, pacifiquement, des centaines de milliers de Britanniques dans les rues le 13 septembre. L’« antiracisme », mantra du chef de LFI et du chef de l’État, a révélé son imposture en protégeant l’antisémitisme islamique qui prospère en France. Les deux compères sont récusés par l’histoire. Ils vieilliront ensemble.

La boîte du bouquiniste

« Paris est la seule ville du monde où coule un fleuve encadré par deux rangées de livres », dixit Blaise Cendrars. Causeur peut y dénicher quelques pépites…


Paul Fort publie ses mémoires en 1944 ; il a alors 72 ans, et insiste sur un point : il s’agit d’un livre de souvenirs, non d’un testament. Le récit chronologique débute dans sa ville natale de Reims et se poursuit avec le déménagement de la famille à Paris, en plein Quartier latin, où le père, agent de change, a trouvé un emploi. Le jeune Paul est inscrit au lycée Louis-le-Grand en vue de préparer Saint-Cyr. « Mais voilà, j’étais externe. Le jardin du Luxembourg que je devais, chaque matin, traverser pour me rendre au vieux lycée de la rue Saint-Jacques, me tendait des pièges si féériques, hélas ! que chaque matin j’y trébuchais. » Il y rencontre Pierre Louÿs et André Gide qui traversent le Luco dans l’autre sens pour rejoindre l’École alsacienne et les lycéens parlent littérature et poésie. Adieu Saint-Cyr. Paul Fort rêve d’intégrer une autre école, celle du Symbolisme. Il rencontre sans mal ses grandes figures – la vie alors était simple – Mallarmé, Verlaine, Régnier, Laforgue et bien d’autres. Il a à peine 17 ans, mais se sent l’âme guerrière pour combattre le Naturalisme. Les idées s’échangent le soir au Café Voltaire, place de l’Odéon, qui « bouillonne à la façon d’un cratère ». Le jeune Fort fourbit ses premières armes sur les planches en créant le Théâtre d’Art, en réaction au Théâtre Libre d’André Antoine. Dans ce Paris d’avant 1900, il lui est aisé d’enrôler des acteurs sans gages et de faire brosser ses décors, pour le même prix, par Gauguin, Vuillard, Bonnard ou Sérusier. L’heure est à l’enthousiasme bruyant et à l’humour potache, mais ce vent de légèreté fait découvrir au public resté en place (« c’était Hernani multiplié par dix pour le tapage »), les textes de Hofmannsthal, Poe, Gourmont, Villiers de L’Isle-Adam, Jarry – Fort sauve le manuscrit d’Ubu roi de la poubelle –, jusqu’aux chansons de geste médiévales ! Encouragé par « le triomphe de l’idéalisme sur le réalisme », Paul Fort crée le Théâtre de l’Œuvre, trouve encore le succès, puis se consacre pleinement à la poésie. Il est élu « Prince des poètes » en 1912.

Dans ses mémoires, l’auteur s’adresse directement au lecteur sur un ton badin, les idées se bousculent comme dans une conversation à bâtons rompus, il peut changer de sujet en cours de phrase, y revenir plus loin avant de passer à autre chose. Ainsi suit-on sa « croisade contre les mauvaises critiques et les snobs, snobinets et snobinettes » entre deux réflexions sur le « Navire-Poésie » qui est selon lui bien gréé pour les années à venir.

De tels propos ne présagent pas de la tonalité finale de l’ouvrage : celle d’un patriotisme puissant, charnel, le patriotisme d’un homme né au pied de la cathédrale de Reims et qui a vu la boucherie de 14-18. L’auteur des Ballades françaises raconte alors sa mue en « chroniqueur français » pour narrer Louis XI ou Isabeau de Bavière, Philippe le Bel ou François Ier, avant de conclure par ces « variations sur des pays aimés » : Touraine, Blésois, Vendômois, Bretagne, Normandie, Ardennes et Champagne, où son « cœur français a battu avec le plus d’amour ».

Paul Fort, mort en 1960, est peut-être passé de mode, mais n’a pas été oublié. Cette postérité, il la doit aussi à Georges Brassens qui a immortalisé en chanson La Complainte du petit cheval blanc, « tous derrière et lui devant ».

Mes mémoires : toute la vie d’un poète, 1872-1944, Paul Fort, Flammarion, 1944.

Cécile de France, notre plus belle histoire

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Monsieur Nostalgie a eu une révélation! Il est catégorique. Il le proclame haut et fort: la meilleure actrice de France est née en Belgique à Namur…


Je le pressentais depuis plusieurs années. Mais, je n’osais me l’avouer. Plus par mauvaise foi que par patriotisme mal placé. Je voyais bien qu’elle était au-dessus du lot, que chacune de ses interprétations s’harmonisait à la perfection avec ses rôles. Elle leur collait à la peau tout en n’annihilant pas une partie d’elle-même, qu’elle laissait derrière elle, un souffle, une manière, une empreinte, une vibration intérieure. Une grande actrice joue et elle est elle-même à la fois. C’est l’un des paradoxes, une bizarrerie des métiers du dédoublement. On ne transpose bien qu’avec son histoire personnelle, qu’avec son propre corps. Cécile trace son sillon dans le cinéma français, à l’abri des regards, évitant les frasques publicitaires et les déclarations moralisantes. Elle joue, voilà tout, en répondant aux directives des metteurs en scène – en admettant que la direction d’acteur existe vraiment avec des comédiennes de cette stature-là. Dans un monde où l’artiste passe plus de temps à commenter l’actualité, à s’insurger contre les méchants et à suivre le sens du vent pour ne pas perdre sa fan base, sa singularité saute aux yeux. Par confort intellectuel, on a d’abord mis son « originalité » sur sa belgitude. Puis très vite, nous avons compris notre erreur de jugement. Il est impossible de la classer, de la parquer dans un quelconque territoire de fiction. Cette grande fille souriante, saine, pas compliquée en apparence, presque trop naturelle pour être vraie a l’intensité de son innocence. Elle nous transporte là où elle le veut depuis vingt-cinq ans de carrière. Cécile nous ramène toujours à l’essentiel par des chemins directs. Elle ne cherche pas à éblouir par astuce, à séduire par éclat, à se conformer aux attentes des autres, à remplir une mission prédéfinie, elle déroute par sa sincérité. Chez elle, la sincérité est portée par le talent et la grâce, par le travail d’artisan et par une candeur infernale. Elle n’est pas bêtement sophistiquée et cependant son jeu par mille détails, mille empilements de caractère, certaines strates à peine visibles, par mille ajustements, est d’une sophistication extrême. Nous sommes tellement habitués aux faiseurs, aux manipulateurs que l’incarnation franche et pure nous laisse sans voix.

A lire aussi, du même auteur: Claudia Cardinale, la voix de l’amour

Souvent, on cherche le truc, on suspecte l’arnaque, on est chagriné d’avoir été berné, on s’est emballé pour un artifice bien décevant. Combien d’actrices, sur l’instant, sur un malentendu, dans un moment de faiblesse ont charmé puis ont aussitôt quitté notre imagination ? L’onde de Cécile perdure. Longtemps. Au-delà des modes. Plus vive que jamais. C’est une vague qui grossit et qui nous enveloppe. Il y a un plaisir à la voir, à la revoir, un plaisir réel de fluidité et de virtuosité, d’instinct et de comédie mais il y a surtout l’ineffable effet à retardement. Quand un rôle de Cécile vient nous percuter au hasard de l’existence, à la caisse d’un supermarché ou chez le coiffeur, on sait intimement que cette actrice est à part, que cinq ans après une séance de ciné anodine, elle a changé notre regard sur la vie. On se souvient de tout. Fauteuils d’orchestre, Mademoiselle de Jonquières, The New Pope, étudiante ou femme du monde, tout remonte. Nous ne sommes plus les mêmes. Cécile est une variation continue, elle distord le temps, dérègle les lignes de conduite, déjoue les classes sociales ; sa beauté sportive nous émeut, son rire laisse exploser des filaments de tristesse, rien n’est banal, rien n’est écrit, rien n’est télécommandé. On voudrait que dorénavant, elle joue tout. Qu’elle soit la seule actrice de ce pays. J’ai mis du temps à m’avouer cette évidence. Peut-être est-ce dû à son premier grand rôle dans L’Auberge espagnole, j’étais hermétique au côté mollement progressiste d’Erasmus. On ne déteste rien d’autre que sa propre jeunesse. Cette révélation vient, une fois de plus, de m’être confirmée par sa présence dans La Venue de l’avenir, le dernier Klapisch (disponible en streaming depuis peu). Cécile n’a pas besoin d’avoir le rôle principal, son apparition en conservatrice du Musée d’Orsay, formidablement juste, drôle, ridiculement délicate est un numéro d’équilibriste remarquable. Cécile donne de la consistance, de l’émoi, de l’éros et du fracas à toutes les femmes. Elle est la Numéro 1 de ce métier.

Monsieur Nostalgie

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Tailler dans le muscle

Dans un environnement hostile, les viandards peuvent compter sur une poignée d’excellents bouchers. Vincent Deniau, qui a troqué son maillot de champion de rugby pour un tablier de louchébem, et François Guillemin sont de ceux-là.


Nous autres mangeurs de viande aurions grand tort d’ignorer certains arguments avancés par les adeptes les plus éclairés du végétarisme. Je retiens notamment celui-ci : lorsque nos premiers ancêtres sont apparus (il y a deux ou trois millions d’années), ils n’étaient évidemment pas armés pour chasser le mammouth ou l’auroch : c’étaient des singes supérieurs dont les dents et les intestins étaient adaptés à une alimentation non carnée à base de fruits et de miel sauvage. Ils ne vivaient que de cueillette. Pour traverser les âges glaciaires, ils durent trouver une nourriture plus riche et apprendre à chasser et à pêcher. Il y a un siècle, toutefois, les biologistes ont découvert qu’à l’instar de celui de nos lointains aïeux végétariens, notre foie ne possède pas l’enzyme (l’uricase) qui permet aux autres mammifères carnivores de dégrader et de transformer l’acide urique provenant de la viande. Nous sommes donc incapables de nous débarrasser de l’acide urique ! Quand celui-ci s’accumule, il provoque des maladies – dont la fameuse goutte (bien connue des viandards) qui est un dépôt douloureux d’urates dans nos articulations. La conclusion s’impose donc d’elle-même : nous ne sommes pas faits physiologiquement pour manger de la viande tous les jours ! Celle-ci doit demeurer un mets d’exception, presque sacré, comme c’était le cas dans l’Antiquité où la vie de l’animal jouissait d’une aura telle que sa viande était offerte en sacrifice aux dieux…

Le désir de viande n’en est pas moins un désir archaïque inscrit dans les replis les plus obscurs de notre cerveau néanderthalien.

Au quotidien, nous voici donc pris en étau entre ce désir profond qui nous taraude et la déception gustative sur laquelle il débouche généralement, les viandes d’élevage ayant pour la plupart perdu toute saveur, tout parfum et toute jutosité, loin des divins herbages de la Lozère et de l’Aubrac. Conscients du problème, de plus en plus de chefs s’efforcent d’inventer une nouvelle cuisine à base de légumes frais et secs, d’algues, de poissons sauvages et d’épices… L’essai est louable – mais pas convaincant.

Alors que je mâchais dernièrement un triste rumsteck, il m’est soudain venu un souvenir d’enfance. Dans les années 1970, mes parents ont acheté une grange dans les collines du Dauphiné. Nous avons été immédiatement adoptés par les voisins paysans qui habitaient une antique ferme avec son tas de fumier, son foin sous les toits, ses vaches, ses chèvres, ses poules et ses lapins. Ils m’ont appris à traire les vaches et à récolter les pommes de terre… Leur cuisine était en terre battue. Le poêle à bois était allumé toute la journée. Il n’y avait ni frigo ni télévision. Rien de tout cela ne nous étonnait, c’étaient des paysans comme il y en avait partout en France ! Ils parlaient à leurs bêtes un langage connu d’eux seuls, chaque vache, chaque chèvre, avait son petit nom. Le cochon quant à lui vivait pépère, jusqu’au jour où il était tué sur place en famille. Aujourd’hui, les fermiers n’ont plus le droit de tuer leurs bêtes qu’ils doivent amener à l’abattoir. Durant le transport, le stress augmente le pH des viandes et diminue leur rétention d’eau, elles deviennent sèches et collantes.

Avec le recul, je mesure à quel point cette relation quotidienne et affective entre l’homme et l’animal était essentielle.

Sur le moment, mes parents et moi n’avons pas vu que l’événement le plus important du siècle était en train de se produire sous nos yeux : la fin de l’agriculture paysanne telle qu’elle existait depuis dix mille ans. Les choses les plus décisives passent ainsi toujours inaperçues. Pourtant, si nos paysans disparaissent, qu’adviendra-t-il de la gastronomie française ? Sans eux, elle n’est plus qu’une coquille vide. Mais ce problème hautement culturel ne semble pas avoir effleuré le cerveau de nos gouvernants (et encore moins celui de Sandrine Rousseau).

En attendant, les amoureux de la bonne viande n’ont pas d’autre choix que de faire confiance à une poignée de bouchers passionnés sachant sélectionner eux-mêmes leurs bêtes au plus près de leur terroir d’origine. C’est le cas de Vincent Deniau, dont la boucherie de quartier, située au cœur du 20e arrondissement, est un petit bijou.

Comment un petit-fils de ministre et d’académicien (Jean-François Deniau), élevé à l’École alsacienne, a-t-il fait pour devenir un virtuose de la découpe, en chambre froide, dès cinq heures du matin ? Du reste, le parcours de Vincent est d’autant plus hors norme qu’il avait commencé une carrière de rugbyman professionnel (dans les clubs de Dax et de Clermont-Ferrand), ce qui lui a valu de jouer dans l’équipe de France de rugby à sept. « J’ai été très marqué par mon grand-père, Jean-François Deniau, qui était un homme de la terre, amoureux du vin, mais aussi un grand navigateur : nous partions ensemble plusieurs semaines sur son bateau à voile, il m’a appris à faire face et à maîtriser ma peur. »

Déçu par le monde du rugby, Vincent découvre un jour celui de la boucherie, une corporation ancestrale où la transmission est essentielle. « On a froid, on dort peu, on se coupe… c’est pourquoi on peine à trouver des apprentis. Mais c’est un métier manuel dans le sens le plus noble du terme : à partir d’une carcasse, on désosse, on sépare les muscles, on nettoie (il y a 50 % de déchets !), on met en scène les plus beaux morceaux de viande avec une technique que n’atteindra jamais la machine. »

Vincent a fait le tour de France des petits éleveurs et des abattoirs municipaux. Il a ainsi sélectionné les plus belles bêtes, comme cet admirable cochon des Landes élevé en plein air dont la côte surprend par sa finesse et son petit goût de noisette… Pour le bœuf, il ne sélectionne que les races rustiques et privilégie les veaux nés au début du printemps, au moment où les vaches disposent d’un fourrage de qualité susceptible de leur donner un lait riche et abondant… « Mon métier consiste aussi à valoriser les parties les moins nobles : les gens ne connaissent que l’onglet alors que le paleron, la langue de chat, le nerveux, le merlan, le dessus de tranche, la fausse araignée et le rond de tranche grasse donnent d’excellents biftecks ! »

Boucherie Les Apaches
21, rue des Gâtines, 75020 Paris
Tél. : 01 46 36 33 33

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Les chats de ma vie

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Chaque semaine, Philippe Lacoche nous donne des nouvelles de Picardie…


Lorsque j’ai annoncé à ma Sauvageonne adorée que j’allais consacrer ma chronique aux chats de ma vie, elle a, tout de go, réagi : « Pourquoi tu ne prends pas en photo mon chat, vieux Yak ? J’espère que tu vas en parler. » Elle s’est munie de son téléphone portable et a commencé à réaliser des portraits de Pollux, un chartreux bien qu’elle maintienne qu’il ne s’agit pas d’un chartreux car, fait-elle remarquer non sans à-propos, il est détenteur d’une minuscule cravate de poils blancs sur son jabot gris bleu. Elle a raison mais je n’en démords pas : Pollux est un chartreux, peut-être non reconnu par le Livre officiel des origines félines (LOOF), certes, mais un chartreux quand-même. L’idée d’écrire, ce jour, sur les chats de ma vie m’est venue alors que je baguenaudais sur l’allée bitumée qui mène à son immeuble ; je venais de croiser deux félins : un noir et blanc, au regard de défoncé à l’herbe colombienne qui se faisait dorer au soleil d’octobre, confortablement installé sur une douce souche ; un tigré allongé dans l’herbe, détenteur d’une allure lointaine et détachée. Peu à peu, les chats de ma vie remontaient le col de ma mémoire. La première se prénommait Grisette ; je devais être âgé de trois ou quatre ans. C’était une petite chatte tigrée, paisible et douce. Mes parents en étaient fous. Et puis, un peu plus tard, il y a eu Sophie, tigrée elle aussi. Elle plaisait beaucoup aux matous du quartier. Elle ne cessait de nous donner des chatons que ma mère tentait, tant bien que mal, de placer auprès de voisins. Un jour, à la faveur d’un nouvel accouchement, il fut décidé qu’on en garderait deux. Deux mâles. Nous les prénommâmes Boudou et Budard. J’entends encore la voix de ma mère qui les appelait pour la pâtée : « Sophie, Boudou, Budard ! Sophie, Boudou, Budard ! » Nous avions aussi adopté un canard de Pékin, surnommé Justin. Ils mangeaient tous ensemble, dans la même gamelle. Budard adorait entourer le cou de l’emplumé avec sa longue queue. Nous les observions, mon frère et moi, attendris par ce geste singulier et amical. A cette époque, trois chats sans queue, une mère et ses deux fils, certainement de race Manx, de l’île de Man, firent leur apparition dans notre jardin. Quelqu’un les avait-il abandonnés devant notre domicile ? S’étaient-ils perdus par une nuit de brouillard ? (Le brouillard de Tergnier, la ville de mon enfance, est l’un des plus denses d’Europe. A côté, celui de Londres, n’est que brume minuscule.) On avait appelé la maman « la chatte noire » – tout simplement – et la tribu « les sans queues ». Pourquoi aller chercher mimi à quatorze heures ? Les sans queues n’avaient pas le droit d’entrer dans la maison afin de ne pas déranger Sophie, Boudou, Budard. Mais ma mère, pleine de compassion féline, les nourrissait. Parmi les nombreux chats errants qui nous rendaient visite, il y avait Le Lynx, un vieux matou grisonnant dont Sophie était follement amoureuse, et un autre, borgne, qui avait été baptisé Le Pen. Un bagarreur, une terreur. Même Budard, pourtant adepte de la boxe française et de la savate, ne s’y frottait pas. Les années passèrent ; il y a eu d’autres chats dont, Gustave, dit Gus, un matou castré paresseux et zen ; pacifiste comme Jean Giono, il refusait les combats de rues, détournait le regard, haussait les épaules devant les poilus abrutis et belliqueux qui crachaient et juraient ; devant l’inertie bienveillante de Gus, ils finissaient par se calmer. Et Gus partait faire une sieste dans les plants de pommes de terre en roulant des épaules. Une manière de force tranquille. Imperturbable. Gus n’avait qu’un défaut : il était voleur. Dès que nous avions le dos tourné, il montait sur la table et se servait. Il était tellement gentil que nous ne parvenions pas à le sermonner. Dernièrement, il y eut Wifi, charmant et d’humeur égale, qui mourut vraisemblablement empoisonné. Il est enterré dans mon jardin. Et aujourd’hui, la petite Kali, venue de Lille, toute mignonne mais emmerdeuse à ses heures car elle n’en fait qu’à sa tête. Et bien sûr, Pollux, le chartreux, oui le chartreux quoi qu’en dise ma Sauvageonne adorée.

Gaza: Trump enferme le Hamas avec ses otages

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Le Hamas est coincé entre la nécessité de libérer les otages israéliens pour éviter l’escalade et son désir de maintenir un rôle politique, rendant sa position stratégiquement vulnérable


Après trois jours de négociations intensives, le Hamas a trouvé la manière de dire non à Trump tout en l’épelant “O, U, I” ! On peut le comprendre. Les vingt points du plan Trump pour Gaza équivalent à un suicide politique pour l’organisation terroriste palestinienne. Désarmé, écarté de tout rôle dans l’avenir politique de la bande après deux années d’une guerre meurtrière et dévastatrice, et servant de marchepied au retour de l’Autorité palestinienne à Gaza, le mouvement se retrouve face à un bilan désastreux.

Le Hamas joue la montre

C’est probablement ce qu’ont expliqué ses représentants aux médiateurs qataris, égyptiens, saoudiens et turcs, tandis que les Américains, au téléphone, alternaient menaces et promesses, un mélange classique de bâtons et de carottes. Le résultat est une réponse ambivalente. Une approbation formelle de l’initiative de Trump, mais un rejet de son essence. Au cœur des discussions, le Hamas cherche avant tout à garder des otages, qu’il considère comme sa principale et plus précieuse monnaie d’échange.

Selon le plan américain, le mouvement doit, dès l’approbation officielle, libérer tous les otages, vivants et morts, dans les 72 heures suivant l’annonce. En échange, Israël cesserait le feu et gèlerait ses positions. Le Hamas se voit donc sommé de renoncer à sa carte maîtresse, son unique succès tangible, contre un prix dérisoire : un simple cessez-le-feu temporaire (et non la fin de la guerre), la libération de prisonniers et la restitution de dépouilles palestiniennes. Dans sa réponse, il tente de diluer cette logique, de gagner du temps et d’ajouter des conditions, autrement dit, d’augmenter le prix.

A lire aussi, du même auteur: Israël-Hamas: qui perd gagne?

C’est là le point cardinal et le principal piège tendu au Hamas. Nul ne sait ce qui se jouera dans les jours et les semaines à venir. Les vingt points du plan Trump sont volontairement ambigus : chaque article ouvre la voie à de nouvelles négociations sur les définitions, les modalités, le calendrier et les articulations avec les autres clauses… Le seul point clair, limité dans le temps et irréversible, concerne cette fameuse question des otages. Or, sans ces derniers, un retour à la guerre se ferait dans des conditions infiniment plus favorables à Israël.

Fin de partie

Même s’il est tentant de se projeter, d’analyser le rôle futur de Tony Blair ou la transformation de l’Autorité palestinienne, l’enjeu immédiat est plus prosaïque : la façon dont cette étape se déroulera conditionnera toute la suite.

Nous entrons donc dans une phase de partie serrée. Israël insistera sur le principe d’une libération quasi inconditionnelle des otages. Le Hamas, de son côté, cherchera à sortir du piège en « accrochant » la libération et la restitution des corps à des conditions d’abord techniques et tactiques, puis, peu à peu, stratégiques. Son objectif est clair : se retrouver, en cas d’échec de l’initiative ou de reprise des hostilités, avec encore des otages vivants, c’est-à-dire avec sa dernière carte à jouer.

Elon Musk contre Netflix, la guerre des mondes

Bataille culturelle: les conservateurs contestent le soft power progressiste de la plateforme de streaming


Elon Musk a appelé à boycotter Netflix en raison de la présence de Barney, personnage trans, dans le dessin animé Dead End : Paranormal Park qui figurait dans le catalogue de la plateforme et dont des extraits sont actuellement repris sur les réseaux sociaux. En conséquence, l’action de l’entreprise américaine a rapidement perdu de sa valeur et des abonnés, dont le nombre exact est impossible à déterminer, ont résilié leur abonnement.

Netflix ne propose (heureusement) pas un narratif unique, mais chacun identifiera une des lignes directrices de son imposant catalogue. Celle-ci est à l’évidence woke : destruction des rôles traditionnels, inversion des valeurs, surexposition de personnages issus de minorités, blackwashing… 

Fred le bison fait son coming-out

Quelques exemples : Lupin, avec le très inégal – pour le dire pudiquement – Omar Sy dans le rôle du héros de Maurice Leblanc, accumule les clichés sur les blancs racistes ; Queer Force suit l’aventure d’espions LGBT ; Supracell met en scène des banlieusards, tous afro-descendants, qui se découvrent des superpouvoirs ; dans le programme pour enfants en bas âge Ridley Jones, Fred le Bison déclare à sa grand-mère qu’il est « non-binaire »… La plateforme est en la matière en opposition avec le Hollywood de naguère qui joua un rôle crucial dans l’américanisation de nos modes de vie et l’imposition de l’idée que l’Oncle Sam dominait le monde. Ce soft power connut son apogée pendant la Guerre froide avec des films mettant en exergue le héros américain, fût-il fictionnel (Rambo, l’Inspecteur Harry, Rocky Balboa…) ou réel (Patton…).

A lire aussi, Elisabeth Lévy: Liberté, retiens nos bras vengeurs

Même si on doute que cette réflexion a joué dans l’appel au boycott d’Elon Musk, on ajoutera que la destruction de notre culture commune, inscrite dans le programme du wokisme, ne pouvait que rencontrer les desideratas de Netflix. Proposant dans son catalogue une palanquée de séries qui se consomment comme autant de vulgaires produits jetables, sans que la majorité d’entre elles ne puissent se fixer dans la mémoire collective, la plateforme est la négation même de toute forme de pérennisation. Or, les sociétés, les générations, les familles se soudent dans les souvenirs communs, comme ce fut autrefois le cas avec Dallas – et son point d’orgue, la question qui divisa l’Amérique : « Who shot J.R. ? », La petite maison dans la prairie ou encore Le prisonnier.  Même lorsqu’on est passionné de sports, les documentaires de Netflix sur le Tour de France ou le Tournoi des Six nations font la part belle aux petites phrases davantage qu’aux réels exploits qui se transmettaient jadis de père en fils. 

Cancel culture de droite

Faut-il pour autant se désabonner collectivement de Netflix ? Les appels au boycott sont souvent un peu ridicules et tellement contre-productifs qu’il faudrait laisser la stratégie à la gauche. Ils comportent aussi un aspect liberticide dérangeant quand on milite pour la diversité des points de vue et la liberté de créer.

A lire aussi : Causeur #138: sommes-nous foutus ?

Quant à la raison évoquée par Elon Musk, soit la protection des enfants, il est évident qu’il y a surtout meilleure éducation que de les laisser la journée entière devant les écrans à regarder des programmes à forte dimension idéologique. 

La vérité est ailleurs…

Mais la meilleure raison de ne pas avoir d’abonnement est sans doute ailleurs. L’histoire du cinéma regorge de tant de chefs-d’œuvre, ne figurant pour la plupart pas dans le catalogue Netflix,  qu’ils méritent d’être regardés en priorité. Quelques conseils donc pour le mois d’octobre : La Fille à la valise1 afin de rendre hommage à l’immense Claudia Cardinale qui vient de nous quitter, Le Pont de la rivière Kwaï qui nous rappelle que tout peut être perdu, fors l’honneur, Citizen Kane, souvent désigné meilleur film de tous les temps et qui nous interroge sur le monde des médias, Autant en emporte le vent, film d’une incomparable beauté et censuré par les wokes ou encore une des versions de La guerre des mondes2inspirées du roman de H.G. Wells. 

A lire aussi, Jean-Baptiste Roques: Elon Musk: Mais pourquoi est-il si méchant?

En parlant de guerre des mondes, gageons que le camp incarné par Elon Musk l’emporte dans celle qui oppose aujourd’hui les défenseurs des repères traditionnels aux woke. 

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  1. https://www.canalplus.com/cinema/la-fille-a-la-valise/h/1371817_50002/resume-casting/ ↩︎
  2. https://www.france.tv/films/films-suspense/7443842-la-guerre-des-mondes.html ↩︎

La justice, c’est quand on gagne le procès…

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Cédric Jubillar parle à ses avocats lors de son procès, Albi, 22 septembre 2025 © JM HAEDRICH/SIPA

Les yeux de l’Éternel sont sur les justes, et ses oreilles sont attentives à leur cri.
Psaume 34 :16.

La justice, c’est quand on gagne le procès.
Samuel Johnson.


En France, font les manchettes la condamnation de l’ex-président Sarkozy pour « association de malfaiteurs » dans le cadre du procès relatif au financement libyen et le procès en cours de Cédric Jubillar, accusé de meurtre de son épouse.

Sarkozy : une nouvelle affaire Dreyfus ?

Commençons par l’ex-chef de l’État.

Plus que sa condamnation en elle-même, c’est la décision d’exécution provisoire qui fait débat : d’aucuns y voient une atteinte à la présomption d’innocence dont jouit en principe tout condamné qui fait appel.

Il n’est pas question ici de se prononcer sur le bien (ou mal)-fondé de cette condamnation. Aux citoyens justiciables et aux médias que l’affaire intéresse d’examiner le dossier, en commençant évidemment pas les attendus du jugement et en faisant les recoupements pertinents. Chacun peut souverainement tirer ses propres conclusions; chacun a le droit absolu de « juger les juges » et de défendre ses conclusions dans l’agora.

On se penchera sur les déclarations publiques pertinentes. La droite dénonce un acharnement « politique » et Nicolas Sarkozy, lui, évoque non seulement une « honte », une « indignité », mais aussi une « infamie ». Bref, une nouvelle affaire Dreyfus.

Comme il fallait s’y attendre (on est en France) les cris aigus de vierges effarouchées ne se sont pas fait attendre : une vingtaine d’avocats viennent de porter plainte contre Nicolas Sarkozy, l’accusant d’avoir discrédité l’institution judiciaire: il y aurait « de fait un acte délibéré de discrédit porté à l’institution judiciaire, de nature à affaiblir la confiance des citoyens dans l’impartialité et l’indépendance de la justice ».

Et, ô surprise, abonde dans le même sens M. Ghaleh-Marzban, le nouveau président du Tribunal de Paris, selon lequel ces critiques « sapent les bases de notre droit et les fondements de notre démocratie ». Rien que ça.

La question est donc posée: l’institution judiciaire mérite-t-elle cette confiance de la part des citoyens?

Un peu d’histoire française (et pas seulement française).

Depuis l’affaire Calas, l’institution judiciaire s’est parfois complue dans l’infamie. L’exemple classique est l’affaire Dreyfus, où chaque magistrat de toute la hiérarchie judiciaire fut le servile larbin de l’antisémitisme. Idem en ce qui concerne la persécution de son défenseur Émile Zola. La nature humaine a-t-elle changé depuis et les leçons ont-elles été tirées? Plus récemment, il y a aussi l’affaire Outreau. Et d’ailleurs, à ce sujet, l’infamie persiste puisque l’ex-juge d’instruction Fabrice Burgaud a fait l’objet d’une simple réprimande et (aux dernières nouvelles) coule aujourd’hui des jours heureux dans sa sinécure d’avocat général référendaire de la Cour de cass’; une référence précieuse dans les pourvois fondés sur l’erreur judiciaire. Il a eu droit à un poste qui fait l’envie de bien des juristes.

(Petite note de droit comparé : en droit pénal anglo-saxon, il n’y a pas de juge d’instruction et ses fonctions sont remplies par le procureur, qui est avocat; un Burgaud aurait été rayé du barreau et fait, en… outre (si l’on ose dire), lui-même l’objet de poursuites pénales).

Bien entendu, les menaces de violence proférées contre les magistrats sont gravement attentatoires à l’État de droit et inadmissibles. Mais quid des remontrances des condamnés?

On répondra aux détracteurs de l’ex-président que, objectivement, c’est plutôt le bâillonnement d’un condamné qui est dangereux pour l’État de droit, lequel repose, précisément, sur le droit absolu du condamné de dénoncer une possible injustice du processus judiciaire. L’article 434-25 du code pénal est une archaïque survivance de l’esprit de la Sainte Inquisition qui a d’ailleurs été habilement transposé dans la procédure pénale stalinienne.

Le vrai fondement de la démocratie et de l’État de droit, c’est le droit absolu de dire : « J’accuse ». Incidemment, cela vaut aussi pour Mme Rachida Dati, qui fait face à un calendrier judiciaire relativement chargé.

(Autre petite note de droit comparé, l’infraction de common law équivalente, dite « scandalizing the court » – les lecteurs auront traduit d’eux-mêmes – a disparu des juridictions anglo-saxonnes les plus évoluées, notamment pour inconstitutionnalité, au titre de la violation de la liberté d’expression).

Comme le savent tous les magistrats et les avocats plaideurs dignes de ce nom, en substance, tout procès (civil ou pénal) est une vente aux enchères; la mise à prix dépend évidemment de divers facteurs, notamment de la nature de la cause, mais l’issue dépend étroitement des ressources respectives des parties, car le riche (qui a aussi pleinement droit à la présomption d’innocence dans un État de droit) est en meilleure position pour soutenir une guerre de tranchées. En l’espèce, il serait instructif de connaître le budget des parties. A ce stade, l’on peut sans doute conjecturer que M. Sarkozy a pu puiser dans un arsenal quelque plus conséquent que celui de l’officier d’artillerie Alfred Dreyfus jadis.

Cela dit, les bonnes âmes qui font de la confiance aveugle en l’institution judiciaire un acte de foi sont parfaitement libres de voir dans les récriminations d’un quelconque condamné, et de ses défenseurs, la hargne des mauvais perdants. Cela n’engage qu’elles.

Il faut déplorer cette tendance de la magistrature à être juge… et partie. En tentant de réduire au silence par l’intimidation un condamné censé jeter le discrédit sur elle, elle se livre à un abus de pouvoir et oublie que dans le mot « discrédit », il y a le mot « crédit ». C’est mettre la charrue avant les bœufs. Pour toute institution humaine, le respect, ça se mérite.

Parlant de respect, passons au procès Jubillar.

On constate d’abord une entrée en matière classique en France: sont exposés les antécédents et les analyses de personnalité de l’accusé effectuées par d’éminents experts disciples de Jacques Derrida.

(Autre petite note de droit comparé : la procédure anglo-saxonne, logiquement, rejette une telle hérésie car les parties débattent d’abord la matérialité des faits et, le cas échéant,  en recherchent ensuite, les éventuelles explications psychologiques. En France, on met encore la charrue avant les bœufs.)

Nous n’en sommes qu’aux premières phases du procès. Se succèdent des témoignages sur la personnalité apparemment peu amène de l’accusé.

Tous ces témoignages sont troublants.

Très troublants.

Et ce – parlant d’infamie – d’autant plus que cette fichue procédure pénale franchouillarde permet aux témoins de vomir leurs soit-disant convictions dans les prétoires.

(Petite note de droit comparé supplémentaire : en droit anglo-saxon, le témoin doit s’en tenir strictement aux seuls faits bruts dont il a une connaissance directe).

Cela dit, l’on ne peut que constater l’absence de tout indice déterminant. En dépit de tous ces éléments que l’on qualifiera charitablement de tangentiels… la réalité incontournable, maintes fois proclamée dans la sphère publique, est inchangée. Il n’existe aucune preuve formelle de culpabilité: surtout pas de corps, et encore moins d’aveux (encore que la religion de l’aveu est un autre archaïsme superstitieux bien français). En théorie, tout verdict de culpabilité repose sur des preuves factuelles, qui ne laissent place à nul doute. En l’absence de corps, pas d’ADN, pas d’analyses balistiques solides ou pas d’angles de coups de couteau, pas de datation de la mort, etc.

(Les conclusions des médecins-légistes, qui ont les pieds sur terre et mettent la main à la pâte, sont généralement plus fiables que les divinations hasardeuses des psys dont l’outil de travail est la boule de crystal).

Dans ce cas, en effet, la réunion, rigoureuse, de preuves indirectes peut suffire à emporter la conviction… si elles sont en béton. Est bien connu en droit pénal (pas seulement français) le délit de sale gueule; en l’espèce, seul est nettement caractérisé le délit de sale caractère.

Et y a-t-il eu enquête à charge, qui complique toujours considérablement la tâche de la défense? A ce stade du procès, demeure posée la question (classique, pas seulement en France, encore qu’est légendaire l’« entonnoir » français, tandis que dans les juridictions anglo-saxonnes a cours l’expression « tunnel vision » – les lecteurs auront encore traduit d’eux-mêmes). A chacun d’apprécier les tout aussi classiques véhémentes protestations d’innocence des enquêteurs en la matière.

A suivre. En France, le doute a, à l’occasion, plutôt tendance à profiter à l’accusation. Y aura-t-il un coup de théâtre?

Moralité : si nous sommes tous des chasseurs de prime, cela est particulièrement vrai pour les policiers, magistrats, avocats et journalistes.

Aïda chez les mollahs

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© Bernd Uhlig / Opéra national de Paris

La mise en scène de Shirin Neshat ne remporte franchement pas tous les suffrages…


Tout porte à croire que cette Aïda ne restera pas dans les annales du lyrique verdien, pas davantage que la production précédente du chef-d’œuvre de Verdi, concoctée par la Néerlandaise Lotte de Beer, et qui fit long feu en 2021 à l’Opéra de Paris pour cause de Covid. Shirin Neshat est, avant tout, plasticienne. Native de Téhéran, elle a étudié l’histoire de l’art aux États-Unis, séparée de sa famille par la révolution islamiste de 1979, et s’est fait un nom comme photographe avec la série Women of Allah, puis comme vidéaste et cinéaste. En 2017, elle est invitée à monter Aïda au Festival de Salzbourg, mise en scène remaniée au fil de ses reprises, en 2022 dans la ville mozartienne, et à présent à l’Opéra-Bastille, en coproduction avec le Liceu de Barcelone.

Bernd Uhlig

Déracinées

On comprend bien pourquoi Aïda « parle » singulièrement à une artiste iranienne en exil, tragédie grandiose de cette esclave éthiopienne, princesse secrètement aimée du chef de guerre ennemi Radamès, et qui a pour rivale Amneris, la fille du roi d’Egypte : la déracinée, otage du vainqueur, bientôt forcée de choisir sous la pression d’Amonastro, son père, entre l’amant et la patrie, en d’autres termes entre le désir et le devoir moral, rejettera tous les compromis et suivra Radamès, condamné comme traître, dans le tombeau où, enterrés vivants, ils seront tous deux réunis dans la mort…

Commande du khédive Ismaël Pacha pour célébrer l’ouverture du canal de Suez, péplum pharaonique créé au Caire en 1871 soit quatre ans après le magistral Don Carlos, mais d’abord imaginé, sur un scénario de l’égyptologue Auguste Mariette, pour la scène parisienne dans la pure tradition française du « grand opéra », Aïda revêt traditionnellement la dimension d’un spectacle monumental, dont la marche des trompettes reste le morceau de bravoure célébrissime.

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Il n’est pas illégitime en soi de se détacher de cet orientalisme kitsch qui a parfois rempli, pour le pire, les stades de foot transformés en grand spectacle son et lumière. Cela n’autorise pas pour autant tous les contre-sens. Chez Shirin Neshat, le décor de l’Egypte ancienne revêt l’apparence géométrique d’une paire de fortins bâtis dans une sorte d’agrégat de béton blanc, façon cabines de douches géantes, mais pivotantes, ajourées, réunies au finish pour former le tombeau où sont emmurés Radamès et Aïda, mais dont les murs, tout au long du spectacle, auront essentiellement servi d’écrans de projection pour les clichés noir et blanc ou les films en couleur exhumés du book conséquent de l’artiste, les chanteurs en chair et en os promis quant à eux aux rôles de figurants d’un univers plastique dont le théâtre verdien se voit délibérément exclu.

L’extraordinaire dramaturgie du compositeur dans sa maturité, cette partition sublime, tout à la fois rutilante et onctueuse, au lieu d’être servies par la mise en scène, semblent ici les supports d’occasion d’un discours sans lien organique avec le livret. Par une curieuse interversion, l’opéra est ici sommé d’obéir aux injonctions de la scénographie. Laquelle donne à l’Égypte ancienne des pharaons le profil d’une théocratie sanguinaire, signalée, dans un vestiaire amorti par un vague syncrétisme (histoire de ne pas désigner précisément l’Iran – je ne nomme personne, suivez mon regard), par les longues barbes et les costumes voilés de noir de l’oppresseur, par opposition aux Éthiopiens prisonniers, tandis qu’Amneris, la rivale d’Aïda, fait d’acte en acte les essayages chromatiques de ses longues traînes de gaze, où elle se prend parfois les pieds et qui, au fil des tableaux, passeront du blanc au rouge ou au jaune –  faut-il y voir un symbole ? Pendant la durée interminable des changements de décor, la salle est priée de patienter en silence.  

Exceptionnel Piotr Beczała

Au soir de la première, le 24 septembre dernier, le cast vocal se ressentait du statisme de cette régie où la saturation des projections d’images anesthésie passablement l’émotion, les chanteurs se regardant à peine, plantés comme des quilles face au public. Certes, n’est pas qui veut Leontyne Price ou, plus près de nous, Anna Netrebko mais, voix métallique, la soprano espagnole Saioa Hernández, dans les redoutables difficultés du rôle-titre, n’échappait pas à une certaine froideur d’expression, tandis qu’il aura fallu attendre le troisième acte pour que la mezzo genevoise Eve-Maud Hubeaux, en fille du roi d’Egypte, trouve la souplesse, le délié, la rondeur et l’intensité réclamée par l’emploi d’Amneris. Au moins la basse russe Roman Burdenko faisait-elle un magnifique Amonasro, le roi d’Ethiopie et père d’Aïda (on l’avait entendu déjà cette année dans Il Trittico, la trilogie puccinienne). La palme revient sans conteste à Radamès, le capitaine égyptien épris d’Aïda, campé de façon souveraine par Piotr Beczala, ténor exceptionnel, capable de monter vertigineusement dans les aigus. Habitué du plateau parisien, le Polonais Krzysztof Baczyk incarnait « Il Re » d’une splendide voix de basse. Quant à Ramfis, le grand prêtre égyptien, autre voix de basse joliment charnue, on le découvrait tout aussi convainquant sur le plan vocal, sous les traits du chanteur hungaro-roumain Alexander Köpeczi.   

Le maestro Michele Mariotti, à la tête de l’Orchestre de l’Opéra de Paris, reprend la direction qu’il avait assumée avec davantage d’énergie en 2021 pour deux représentations seulement, programme alors rompu par la pandémie. Sans donner peut-être, cette fois, au versant intime d’Aïda la grâce mélancolique, la douceur crépusculaire qui, à côté des passages fortissimo, sont le trésor secret de cet opéra.

Hors Krzysztof Baczyk  (Il Re) et la basse Alexander Köpecki (Ramfis) qu’on découvre sur la scène parisienne, la distribution s’annonce différente pour les dernières représentations, la soprano polono-américaine Ewa Plonka succédant par exemple à Saioa Hernandez à partir du 19 octobre, autre prise de rôle d’Aïda à Paris.  

Qui voudrait retrouver l’esprit péplum du chef-d’œuvre aura tout intérêt à  visionner, disponible à la demande sur Arte.tv jusqu’au 30 novembre, la toute récente captation d’Aïda fort bien réalisée au Met Opera : Nézet-Séguin à la baguette, dans une mise en scène signée Peter Mayer, avec, d’ailleurs, toujours Piotr Bezcala en Radamès, et en Amneris la mezzo roumaine Judit Kutasi, celle-là même qui, à l’Opéra-Bastille, reprend le rôle à partir du 19 octobre, et ce jusqu’à la dernière représentation, le 4 novembre. D’une opulence, pour le coup, pharaonique.


Aïda. Opéra en quatre actes de Giuseppe Verdi. Avec Krysztof Baczyk, Eve-Maud Hubeaux/Judit Kutasi, Aioa Hernandez/Ewa Ptonka, Piotr Beczata/Gregory Kunde… Direction : Michele Mariotti/ Dmitry Matvienko. Mise en scène et vidéo : Shirin Neshat. Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris.
Durée : 3h05
Opéra Bastille les 7, 10, 13, 16, 22 octobre, 1 et 4 novembre à 19h30 ; le 19 octobre à 14h30

Brenda Biya: la fille rebelle qui défie le « Sphinx » de Yaoundé

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Le président Paul Biya et son épouse Chantal à St Petersbourg en Russie, juillet 2023. Dans l'encadré en haut à gauche, leur fille Brenda © VDonat Sorokin/TASS Host Photo A/Sipa USA/SIPA

Si la fille du président sortant avait déjà fait parler d’elle par le passé (avec ses prestations de rap, son coming-out lesbien, ou des jérémiades concernant le délai de renouvellement de son passeport), lorsqu’elle a appelé fin septembre les jeunes Camerounais à ne pas voter pour son père sur TikTok, elle a dû vite faire marche arrière… Ses compatriotes votent dimanche prochain. Son père, 92 ans, qui brigue un huitième mandat, est favori.


Entre confidences publiques, coming-out assumé et critiques frontales contre son père, la fille du président camerounais Paul Biya a bousculé l’image d’une famille présidentielle réputée pour sa discrétion. Un séisme politique et intime, à quelques jours de la présidentielle. À 27 ans, Brenda Biya est devenue, malgré elle, le symbole d’une génération en rupture. Depuis Genève, où elle réside une partie de l’année, la jeune femme s’est exprimée comme rarement un membre du clan présidentiel ne l’avait fait avant elle.

« Personne n’est au-dessus des lois »

C’est sur le réseau social Instagram que tout avait commencé. En juin 2024, Brenda Biya avait déjà publié une série de vidéos et de messages où elle évoquait, sans détour, son quotidien, ses frustrations et sa différence. « Je suis Brenda Biya, j’aime qui j’aime, et je ne me cache plus », écrivait-elle, en partageant une photo d’elle embrassant sa compagne présumée, Layyons Valença, une mannequin et artiste brésilienne. Une publication aussitôt devenue virale — et qui avait déclenché un séisme politique à Yaoundé, dans un pays où l’homosexualité est passible de plusieurs années de prison selon l’article 347 bis de son Code pénal. « (…) Je trouve (cette loi) injuste et j’espère que mon histoire la fera changer » n’avait pas hésité à affirmer l’influenceuse, devenue depuis célibataire.

Brenda Biya n’est pas n’importe qui. Elle est la fille du président camerounais Paul Biya et de son épouse Chantal Biya. Ses parents ont d’ailleurs découvert la préférence sexuelle de leur cadette à travers ses critiques tant elle ne l’avait jamais évoqué auparavant, de l’aveu même de la concernée. Si certains internautes camerounais ont salué son courage, d’autres l’ont violemment prise à partie sur les réseaux sociaux. Patrice Christ Guidjol, président de l’association « Debout contre la dépénalisation de l’homosexualité dans notre pays », a porté plainte contre la rejetonne présidentielle, accusant celle-ci de la « promotion et incitation » des pratiques sexuelles LGBTQI+, rappelant que « personne n’est au-dessus des lois ». Dans l’entourage du chef d’État, on s’est borné alors à déclarer que l’on ne discutait pas des affaires privées de la famille du président et encore plus dans ce qui reste « un moment de confusion », selon les proches du dirigeant de cette ancienne colonie allemande, puis française.

Rappeuse à ses heures perdues

Loin de faire profil bas, Brenda Biya, rappeuse à ses heures sous le nom de scène King Nasty, n’en était pas à son premier coup d’éclat. Déjà, en 2019, elle avait dénoncé sur les réseaux sociaux les lenteurs administratives pour renouveler son passeport camerounais : « Même moi, fille du président, je galère à avoir un passeport. Imaginez les autres ! ». Un message qui avait alors trouvé un écho inattendu auprès d’une jeunesse camerounaise souvent frustrée par la corruption et les inégalités. Si certains observateurs y avaient vu alors une simple crise d’adolescence tardive, d’autres estimaient que l’affaire Brenda Biya traduisait en réalité beaucoup plus que cela.

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Arrivé au pouvoir dans des circonstances encore non élucidées en 1982, Paul Biya est un des derniers dinosaures de la Françafrique, ce système de relations économico-politico-militaires mis en place entre Paris et ses anciennes colonies d’Afrique. En dépit de nombreuses tentatives de le renverser ou de mettre en face de lui des opposants à la verve dynamique, de tenter de le poursuivre devant les tribunaux (pour des biens mal acquis présumés), Paul Biya est arrivé à se maintenir sur son trône en appliquant une méthode qui a fait ses preuves : « diviser pour mieux régner ».  A 92 ans, le « Sphinx » a l’assurance de celui à qui rien ne peut arriver, fidèlement soutenu par sa femme connue pour ses extravagantes coiffures, et un clan ethnique qui a verrouillé tous les organes de l’État.

Entre fidélités verrouillées et ambitions latentes, la parole libérée de Brenda apparaît pour beaucoup de jeunes Camerounais comme un miroir social : celui d’un pays en attente de renouveau, prisonnier d’un régime qui semble sans fin. C’est dans ce contexte qu’elle a une nouvelle fois vertement critiqué « papounet » sur TikTok le mois dernier. Dans une récente vidéo très explicite, elle a appelé les électeurs à ne pas voter pour lui « parce qu’il a fait souffrir beaucoup de gens » tout en espérant que les Camerounais « choisiront un autre président ».  Encore une fois, Brenda Biya a fait le buzz et s’est retrouvée au centre de toutes les discussions de village avant que ce message ne soit subitement plus accessible sur le réseau social bien connu.

Retournement de situation

Dans la foulée, celle qui est régulièrement accusée d’avoir un style de vie digne d’un émir de Dubaï, contrastant singulièrement avec le fort taux de pauvreté auquel font face ses compatriotes, a republié une seconde vidéo en forme de mea culpa. « Salut les gars. Ne nous mentons pas, je n’y connais rien en politique. Pourquoi voulez-vous suivre mes conseils, moi, une enfant impulsive qui prend des décisions sur un coup de tête ? Ne les suivez pas. (…) Quelqu’un qui ne connaît rien à quelque chose devrait naturellement se taire ». « Honnêtement, je devrais me remettre en question. Parfois, je prends des décisions impulsives. Je ne me rends pas compte des personnes que je blesse » a-t-elle ajouté.  Avant de conclure étrangement sur ces notes élogieuses : « J’ai toujours admiré l’intellect de mon père et j’ai toujours voulu avoir en même temps le cœur de ma mère ». « Plus tard, le peuple va se rendre compte que leur président était un bijou. Je trouve que c’est un grand homme et un excellent candidat ». Dont acte !

Un retournement qui a étonné ses soutiens de la première heure, la fameuse Gen-Z. Au fond, toute son agitation médiatique n’est peut-être qu’un reflet des tensions d’un pays en fin de cycle politique, où la lassitude du peuple côtoie l’immobilisme du pouvoir. Dans un Cameroun figé par le temps, sa voix résonne comme un cri — celui d’une jeunesse qui, faute d’espace d’expression, choisit les réseaux sociaux pour dire son ras-le-bol. Qu’elle le veuille ou non, la « fille rebelle du Sphinx » est devenue un symbole d’un malaise générationnel, et peut-être, à sa manière, l’annonce fragile d’une ère nouvelle — celle où même les enfants du pouvoir ne peuvent plus se taire, faisant fi du respect de la tradition africaine de soumission au père et à la mère. Même en Afrique, un continent réputé très conservateur, tout finit par se perdre !

Pourquoi Macron et Mélenchon se ressemblent

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Paris, 7 septembre 2024 © JEANNE ACCORSINI/SIPA

Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron n’aiment pas le peuple quand il est trop français. Face aux angoisses existentielles des autochtones, tous deux ont le même réflexe pavlovien: ils accusent ces indigènes d’«extrême droite».


Leur divorce est un simulacre. Jean-Luc Mélenchon reste l’allié utile d’Emmanuel Macron. Une preuve : le sabotage du mouvement antigouvernemental du 10 septembre (« Bloquons tout ! ») est venu du leader de LFI. C’est Mélenchon qui a fait de cette protestation populaire, détournée par l’extrême gauche insurrectionnelle, un échec (175 000 manifestants dans toute la France) dont s’est félicité le pouvoir. Macron a pu dire merci à Mélenchon. C’est aussi avec le soutien du leader LFI que le « front républicain » fit obstacle à la dynamique du RN lors des législatives de 2024. Les deux hommes partagent la même vision d’une société postnationale ouverte à l’immigration musulmane et à la cause gazaouie. Le 10 septembre flottaient partout les drapeaux palestiniens.

Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron n’aiment pas le peuple quand il est trop français. Tous deux ont, face aux angoisses existentielles des autochtones, le même réflexe pavlovien : ils accusent ces indigènes d’« extrême droite ». Ce sectarisme amène l’intolérance. Elle met en danger les porte-voix des « Oubliés », comme CNews ou Europe 1. Le fascisme est chez les militants de LFI et son chef non élu. Pour eux, la démocratie n’est plus le cadre de leurs revendications. Les guérillas urbaines et la terreur deviennent des moyens admissibles. Cette dérive est partagée par l’islam révolutionnaire : ce totalitarisme assume son alliance avec la gauche perdue pour espérer imposer la charia sous couvert de marxisme. Dans cet univers paranoïaque, la violence a remplacé la réflexion.

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L’assassinat de Charlie Kirk, 31 ans, influenceur pro-Trump tué par balle le 10 septembre sur un campus américain lors d’un de ses débats avec ses contradicteurs, n’a pas ému les humanistes autoproclamés. La minute de silence demandée au Parlement européen a été perturbée par la gauche et le centre. En France, le profil « antifasciste » du meurtrier, qui vivait en couple avec un transsexuel, a été gommé par les faussaires à cartes de presse. Ils ont voulu faire passer le tueur pour un conservateur trumpiste. Kirk invitait ses contradicteurs à venir débattre : « Prove me wrong » (« Prouvez-moi que j’ai tort ») était son slogan. La gauche l’a présenté comme un faiseur de haine.

Dans Le Spectateur engagé (1981), Raymond Aron regrettait, déjà à l’époque, la fin des confrontations d’idées entre éditorialistes au profit « des monologues et des injures ». Il y rappelait que « l’essence du régime soviétique, c’est le refus du dialogue ». Or c’est bien ce refus du dialogue qui a tué Kirk. La crise intellectuelle et morale que traversent la gauche perdue et ses avatars sociaux-démocrates a produit des butors. Ils nazifient les citoyens qui défendent leur patrie face à une mondialisation destructrice des identités nationales. Cette bêtise est semblablement portée par le mélenchonisme et le macronisme. Ces deux mouvements sont proches du même basculement totalitaire.

Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron voient dans les conservateurs un ennemi commun. Or tous deux n’ont rien compris au réveil des peuples et des nations. C’est le rejet de leur monde déraciné qui a mis, pacifiquement, des centaines de milliers de Britanniques dans les rues le 13 septembre. L’« antiracisme », mantra du chef de LFI et du chef de l’État, a révélé son imposture en protégeant l’antisémitisme islamique qui prospère en France. Les deux compères sont récusés par l’histoire. Ils vieilliront ensemble.

La boîte du bouquiniste

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DR.

« Paris est la seule ville du monde où coule un fleuve encadré par deux rangées de livres », dixit Blaise Cendrars. Causeur peut y dénicher quelques pépites…


Paul Fort publie ses mémoires en 1944 ; il a alors 72 ans, et insiste sur un point : il s’agit d’un livre de souvenirs, non d’un testament. Le récit chronologique débute dans sa ville natale de Reims et se poursuit avec le déménagement de la famille à Paris, en plein Quartier latin, où le père, agent de change, a trouvé un emploi. Le jeune Paul est inscrit au lycée Louis-le-Grand en vue de préparer Saint-Cyr. « Mais voilà, j’étais externe. Le jardin du Luxembourg que je devais, chaque matin, traverser pour me rendre au vieux lycée de la rue Saint-Jacques, me tendait des pièges si féériques, hélas ! que chaque matin j’y trébuchais. » Il y rencontre Pierre Louÿs et André Gide qui traversent le Luco dans l’autre sens pour rejoindre l’École alsacienne et les lycéens parlent littérature et poésie. Adieu Saint-Cyr. Paul Fort rêve d’intégrer une autre école, celle du Symbolisme. Il rencontre sans mal ses grandes figures – la vie alors était simple – Mallarmé, Verlaine, Régnier, Laforgue et bien d’autres. Il a à peine 17 ans, mais se sent l’âme guerrière pour combattre le Naturalisme. Les idées s’échangent le soir au Café Voltaire, place de l’Odéon, qui « bouillonne à la façon d’un cratère ». Le jeune Fort fourbit ses premières armes sur les planches en créant le Théâtre d’Art, en réaction au Théâtre Libre d’André Antoine. Dans ce Paris d’avant 1900, il lui est aisé d’enrôler des acteurs sans gages et de faire brosser ses décors, pour le même prix, par Gauguin, Vuillard, Bonnard ou Sérusier. L’heure est à l’enthousiasme bruyant et à l’humour potache, mais ce vent de légèreté fait découvrir au public resté en place (« c’était Hernani multiplié par dix pour le tapage »), les textes de Hofmannsthal, Poe, Gourmont, Villiers de L’Isle-Adam, Jarry – Fort sauve le manuscrit d’Ubu roi de la poubelle –, jusqu’aux chansons de geste médiévales ! Encouragé par « le triomphe de l’idéalisme sur le réalisme », Paul Fort crée le Théâtre de l’Œuvre, trouve encore le succès, puis se consacre pleinement à la poésie. Il est élu « Prince des poètes » en 1912.

Dans ses mémoires, l’auteur s’adresse directement au lecteur sur un ton badin, les idées se bousculent comme dans une conversation à bâtons rompus, il peut changer de sujet en cours de phrase, y revenir plus loin avant de passer à autre chose. Ainsi suit-on sa « croisade contre les mauvaises critiques et les snobs, snobinets et snobinettes » entre deux réflexions sur le « Navire-Poésie » qui est selon lui bien gréé pour les années à venir.

De tels propos ne présagent pas de la tonalité finale de l’ouvrage : celle d’un patriotisme puissant, charnel, le patriotisme d’un homme né au pied de la cathédrale de Reims et qui a vu la boucherie de 14-18. L’auteur des Ballades françaises raconte alors sa mue en « chroniqueur français » pour narrer Louis XI ou Isabeau de Bavière, Philippe le Bel ou François Ier, avant de conclure par ces « variations sur des pays aimés » : Touraine, Blésois, Vendômois, Bretagne, Normandie, Ardennes et Champagne, où son « cœur français a battu avec le plus d’amour ».

Paul Fort, mort en 1960, est peut-être passé de mode, mais n’a pas été oublié. Cette postérité, il la doit aussi à Georges Brassens qui a immortalisé en chanson La Complainte du petit cheval blanc, « tous derrière et lui devant ».

Mes mémoires : toute la vie d’un poète, 1872-1944, Paul Fort, Flammarion, 1944.

Cécile de France, notre plus belle histoire

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Cécile de France dans "Dalloway", film de Yann GOZLAN (2025) © ZHOU YUCHAO Mandarin & Compagnie - Gaumont

Monsieur Nostalgie a eu une révélation! Il est catégorique. Il le proclame haut et fort: la meilleure actrice de France est née en Belgique à Namur…


Je le pressentais depuis plusieurs années. Mais, je n’osais me l’avouer. Plus par mauvaise foi que par patriotisme mal placé. Je voyais bien qu’elle était au-dessus du lot, que chacune de ses interprétations s’harmonisait à la perfection avec ses rôles. Elle leur collait à la peau tout en n’annihilant pas une partie d’elle-même, qu’elle laissait derrière elle, un souffle, une manière, une empreinte, une vibration intérieure. Une grande actrice joue et elle est elle-même à la fois. C’est l’un des paradoxes, une bizarrerie des métiers du dédoublement. On ne transpose bien qu’avec son histoire personnelle, qu’avec son propre corps. Cécile trace son sillon dans le cinéma français, à l’abri des regards, évitant les frasques publicitaires et les déclarations moralisantes. Elle joue, voilà tout, en répondant aux directives des metteurs en scène – en admettant que la direction d’acteur existe vraiment avec des comédiennes de cette stature-là. Dans un monde où l’artiste passe plus de temps à commenter l’actualité, à s’insurger contre les méchants et à suivre le sens du vent pour ne pas perdre sa fan base, sa singularité saute aux yeux. Par confort intellectuel, on a d’abord mis son « originalité » sur sa belgitude. Puis très vite, nous avons compris notre erreur de jugement. Il est impossible de la classer, de la parquer dans un quelconque territoire de fiction. Cette grande fille souriante, saine, pas compliquée en apparence, presque trop naturelle pour être vraie a l’intensité de son innocence. Elle nous transporte là où elle le veut depuis vingt-cinq ans de carrière. Cécile nous ramène toujours à l’essentiel par des chemins directs. Elle ne cherche pas à éblouir par astuce, à séduire par éclat, à se conformer aux attentes des autres, à remplir une mission prédéfinie, elle déroute par sa sincérité. Chez elle, la sincérité est portée par le talent et la grâce, par le travail d’artisan et par une candeur infernale. Elle n’est pas bêtement sophistiquée et cependant son jeu par mille détails, mille empilements de caractère, certaines strates à peine visibles, par mille ajustements, est d’une sophistication extrême. Nous sommes tellement habitués aux faiseurs, aux manipulateurs que l’incarnation franche et pure nous laisse sans voix.

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Souvent, on cherche le truc, on suspecte l’arnaque, on est chagriné d’avoir été berné, on s’est emballé pour un artifice bien décevant. Combien d’actrices, sur l’instant, sur un malentendu, dans un moment de faiblesse ont charmé puis ont aussitôt quitté notre imagination ? L’onde de Cécile perdure. Longtemps. Au-delà des modes. Plus vive que jamais. C’est une vague qui grossit et qui nous enveloppe. Il y a un plaisir à la voir, à la revoir, un plaisir réel de fluidité et de virtuosité, d’instinct et de comédie mais il y a surtout l’ineffable effet à retardement. Quand un rôle de Cécile vient nous percuter au hasard de l’existence, à la caisse d’un supermarché ou chez le coiffeur, on sait intimement que cette actrice est à part, que cinq ans après une séance de ciné anodine, elle a changé notre regard sur la vie. On se souvient de tout. Fauteuils d’orchestre, Mademoiselle de Jonquières, The New Pope, étudiante ou femme du monde, tout remonte. Nous ne sommes plus les mêmes. Cécile est une variation continue, elle distord le temps, dérègle les lignes de conduite, déjoue les classes sociales ; sa beauté sportive nous émeut, son rire laisse exploser des filaments de tristesse, rien n’est banal, rien n’est écrit, rien n’est télécommandé. On voudrait que dorénavant, elle joue tout. Qu’elle soit la seule actrice de ce pays. J’ai mis du temps à m’avouer cette évidence. Peut-être est-ce dû à son premier grand rôle dans L’Auberge espagnole, j’étais hermétique au côté mollement progressiste d’Erasmus. On ne déteste rien d’autre que sa propre jeunesse. Cette révélation vient, une fois de plus, de m’être confirmée par sa présence dans La Venue de l’avenir, le dernier Klapisch (disponible en streaming depuis peu). Cécile n’a pas besoin d’avoir le rôle principal, son apparition en conservatrice du Musée d’Orsay, formidablement juste, drôle, ridiculement délicate est un numéro d’équilibriste remarquable. Cécile donne de la consistance, de l’émoi, de l’éros et du fracas à toutes les femmes. Elle est la Numéro 1 de ce métier.

Monsieur Nostalgie

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Tailler dans le muscle

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Vincent Deniau © Hannah Assouline

Dans un environnement hostile, les viandards peuvent compter sur une poignée d’excellents bouchers. Vincent Deniau, qui a troqué son maillot de champion de rugby pour un tablier de louchébem, et François Guillemin sont de ceux-là.


Nous autres mangeurs de viande aurions grand tort d’ignorer certains arguments avancés par les adeptes les plus éclairés du végétarisme. Je retiens notamment celui-ci : lorsque nos premiers ancêtres sont apparus (il y a deux ou trois millions d’années), ils n’étaient évidemment pas armés pour chasser le mammouth ou l’auroch : c’étaient des singes supérieurs dont les dents et les intestins étaient adaptés à une alimentation non carnée à base de fruits et de miel sauvage. Ils ne vivaient que de cueillette. Pour traverser les âges glaciaires, ils durent trouver une nourriture plus riche et apprendre à chasser et à pêcher. Il y a un siècle, toutefois, les biologistes ont découvert qu’à l’instar de celui de nos lointains aïeux végétariens, notre foie ne possède pas l’enzyme (l’uricase) qui permet aux autres mammifères carnivores de dégrader et de transformer l’acide urique provenant de la viande. Nous sommes donc incapables de nous débarrasser de l’acide urique ! Quand celui-ci s’accumule, il provoque des maladies – dont la fameuse goutte (bien connue des viandards) qui est un dépôt douloureux d’urates dans nos articulations. La conclusion s’impose donc d’elle-même : nous ne sommes pas faits physiologiquement pour manger de la viande tous les jours ! Celle-ci doit demeurer un mets d’exception, presque sacré, comme c’était le cas dans l’Antiquité où la vie de l’animal jouissait d’une aura telle que sa viande était offerte en sacrifice aux dieux…

Le désir de viande n’en est pas moins un désir archaïque inscrit dans les replis les plus obscurs de notre cerveau néanderthalien.

Au quotidien, nous voici donc pris en étau entre ce désir profond qui nous taraude et la déception gustative sur laquelle il débouche généralement, les viandes d’élevage ayant pour la plupart perdu toute saveur, tout parfum et toute jutosité, loin des divins herbages de la Lozère et de l’Aubrac. Conscients du problème, de plus en plus de chefs s’efforcent d’inventer une nouvelle cuisine à base de légumes frais et secs, d’algues, de poissons sauvages et d’épices… L’essai est louable – mais pas convaincant.

Alors que je mâchais dernièrement un triste rumsteck, il m’est soudain venu un souvenir d’enfance. Dans les années 1970, mes parents ont acheté une grange dans les collines du Dauphiné. Nous avons été immédiatement adoptés par les voisins paysans qui habitaient une antique ferme avec son tas de fumier, son foin sous les toits, ses vaches, ses chèvres, ses poules et ses lapins. Ils m’ont appris à traire les vaches et à récolter les pommes de terre… Leur cuisine était en terre battue. Le poêle à bois était allumé toute la journée. Il n’y avait ni frigo ni télévision. Rien de tout cela ne nous étonnait, c’étaient des paysans comme il y en avait partout en France ! Ils parlaient à leurs bêtes un langage connu d’eux seuls, chaque vache, chaque chèvre, avait son petit nom. Le cochon quant à lui vivait pépère, jusqu’au jour où il était tué sur place en famille. Aujourd’hui, les fermiers n’ont plus le droit de tuer leurs bêtes qu’ils doivent amener à l’abattoir. Durant le transport, le stress augmente le pH des viandes et diminue leur rétention d’eau, elles deviennent sèches et collantes.

Avec le recul, je mesure à quel point cette relation quotidienne et affective entre l’homme et l’animal était essentielle.

Sur le moment, mes parents et moi n’avons pas vu que l’événement le plus important du siècle était en train de se produire sous nos yeux : la fin de l’agriculture paysanne telle qu’elle existait depuis dix mille ans. Les choses les plus décisives passent ainsi toujours inaperçues. Pourtant, si nos paysans disparaissent, qu’adviendra-t-il de la gastronomie française ? Sans eux, elle n’est plus qu’une coquille vide. Mais ce problème hautement culturel ne semble pas avoir effleuré le cerveau de nos gouvernants (et encore moins celui de Sandrine Rousseau).

En attendant, les amoureux de la bonne viande n’ont pas d’autre choix que de faire confiance à une poignée de bouchers passionnés sachant sélectionner eux-mêmes leurs bêtes au plus près de leur terroir d’origine. C’est le cas de Vincent Deniau, dont la boucherie de quartier, située au cœur du 20e arrondissement, est un petit bijou.

Comment un petit-fils de ministre et d’académicien (Jean-François Deniau), élevé à l’École alsacienne, a-t-il fait pour devenir un virtuose de la découpe, en chambre froide, dès cinq heures du matin ? Du reste, le parcours de Vincent est d’autant plus hors norme qu’il avait commencé une carrière de rugbyman professionnel (dans les clubs de Dax et de Clermont-Ferrand), ce qui lui a valu de jouer dans l’équipe de France de rugby à sept. « J’ai été très marqué par mon grand-père, Jean-François Deniau, qui était un homme de la terre, amoureux du vin, mais aussi un grand navigateur : nous partions ensemble plusieurs semaines sur son bateau à voile, il m’a appris à faire face et à maîtriser ma peur. »

Déçu par le monde du rugby, Vincent découvre un jour celui de la boucherie, une corporation ancestrale où la transmission est essentielle. « On a froid, on dort peu, on se coupe… c’est pourquoi on peine à trouver des apprentis. Mais c’est un métier manuel dans le sens le plus noble du terme : à partir d’une carcasse, on désosse, on sépare les muscles, on nettoie (il y a 50 % de déchets !), on met en scène les plus beaux morceaux de viande avec une technique que n’atteindra jamais la machine. »

Vincent a fait le tour de France des petits éleveurs et des abattoirs municipaux. Il a ainsi sélectionné les plus belles bêtes, comme cet admirable cochon des Landes élevé en plein air dont la côte surprend par sa finesse et son petit goût de noisette… Pour le bœuf, il ne sélectionne que les races rustiques et privilégie les veaux nés au début du printemps, au moment où les vaches disposent d’un fourrage de qualité susceptible de leur donner un lait riche et abondant… « Mon métier consiste aussi à valoriser les parties les moins nobles : les gens ne connaissent que l’onglet alors que le paleron, la langue de chat, le nerveux, le merlan, le dessus de tranche, la fausse araignée et le rond de tranche grasse donnent d’excellents biftecks ! »

Boucherie Les Apaches
21, rue des Gâtines, 75020 Paris
Tél. : 01 46 36 33 33

Boucherie Les Apaches, Paris 20ème

Les chats de ma vie

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Chat défoncé près de l'immeuble © Ph. Lacoche

Chaque semaine, Philippe Lacoche nous donne des nouvelles de Picardie…


Lorsque j’ai annoncé à ma Sauvageonne adorée que j’allais consacrer ma chronique aux chats de ma vie, elle a, tout de go, réagi : « Pourquoi tu ne prends pas en photo mon chat, vieux Yak ? J’espère que tu vas en parler. » Elle s’est munie de son téléphone portable et a commencé à réaliser des portraits de Pollux, un chartreux bien qu’elle maintienne qu’il ne s’agit pas d’un chartreux car, fait-elle remarquer non sans à-propos, il est détenteur d’une minuscule cravate de poils blancs sur son jabot gris bleu. Elle a raison mais je n’en démords pas : Pollux est un chartreux, peut-être non reconnu par le Livre officiel des origines félines (LOOF), certes, mais un chartreux quand-même. L’idée d’écrire, ce jour, sur les chats de ma vie m’est venue alors que je baguenaudais sur l’allée bitumée qui mène à son immeuble ; je venais de croiser deux félins : un noir et blanc, au regard de défoncé à l’herbe colombienne qui se faisait dorer au soleil d’octobre, confortablement installé sur une douce souche ; un tigré allongé dans l’herbe, détenteur d’une allure lointaine et détachée. Peu à peu, les chats de ma vie remontaient le col de ma mémoire. La première se prénommait Grisette ; je devais être âgé de trois ou quatre ans. C’était une petite chatte tigrée, paisible et douce. Mes parents en étaient fous. Et puis, un peu plus tard, il y a eu Sophie, tigrée elle aussi. Elle plaisait beaucoup aux matous du quartier. Elle ne cessait de nous donner des chatons que ma mère tentait, tant bien que mal, de placer auprès de voisins. Un jour, à la faveur d’un nouvel accouchement, il fut décidé qu’on en garderait deux. Deux mâles. Nous les prénommâmes Boudou et Budard. J’entends encore la voix de ma mère qui les appelait pour la pâtée : « Sophie, Boudou, Budard ! Sophie, Boudou, Budard ! » Nous avions aussi adopté un canard de Pékin, surnommé Justin. Ils mangeaient tous ensemble, dans la même gamelle. Budard adorait entourer le cou de l’emplumé avec sa longue queue. Nous les observions, mon frère et moi, attendris par ce geste singulier et amical. A cette époque, trois chats sans queue, une mère et ses deux fils, certainement de race Manx, de l’île de Man, firent leur apparition dans notre jardin. Quelqu’un les avait-il abandonnés devant notre domicile ? S’étaient-ils perdus par une nuit de brouillard ? (Le brouillard de Tergnier, la ville de mon enfance, est l’un des plus denses d’Europe. A côté, celui de Londres, n’est que brume minuscule.) On avait appelé la maman « la chatte noire » – tout simplement – et la tribu « les sans queues ». Pourquoi aller chercher mimi à quatorze heures ? Les sans queues n’avaient pas le droit d’entrer dans la maison afin de ne pas déranger Sophie, Boudou, Budard. Mais ma mère, pleine de compassion féline, les nourrissait. Parmi les nombreux chats errants qui nous rendaient visite, il y avait Le Lynx, un vieux matou grisonnant dont Sophie était follement amoureuse, et un autre, borgne, qui avait été baptisé Le Pen. Un bagarreur, une terreur. Même Budard, pourtant adepte de la boxe française et de la savate, ne s’y frottait pas. Les années passèrent ; il y a eu d’autres chats dont, Gustave, dit Gus, un matou castré paresseux et zen ; pacifiste comme Jean Giono, il refusait les combats de rues, détournait le regard, haussait les épaules devant les poilus abrutis et belliqueux qui crachaient et juraient ; devant l’inertie bienveillante de Gus, ils finissaient par se calmer. Et Gus partait faire une sieste dans les plants de pommes de terre en roulant des épaules. Une manière de force tranquille. Imperturbable. Gus n’avait qu’un défaut : il était voleur. Dès que nous avions le dos tourné, il montait sur la table et se servait. Il était tellement gentil que nous ne parvenions pas à le sermonner. Dernièrement, il y eut Wifi, charmant et d’humeur égale, qui mourut vraisemblablement empoisonné. Il est enterré dans mon jardin. Et aujourd’hui, la petite Kali, venue de Lille, toute mignonne mais emmerdeuse à ses heures car elle n’en fait qu’à sa tête. Et bien sûr, Pollux, le chartreux, oui le chartreux quoi qu’en dise ma Sauvageonne adorée.

Gaza: Trump enferme le Hamas avec ses otages

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Jérusalem, 4 octobre 2025 © Ohad Zwigenberg/AP/SIPA

Le Hamas est coincé entre la nécessité de libérer les otages israéliens pour éviter l’escalade et son désir de maintenir un rôle politique, rendant sa position stratégiquement vulnérable


Après trois jours de négociations intensives, le Hamas a trouvé la manière de dire non à Trump tout en l’épelant “O, U, I” ! On peut le comprendre. Les vingt points du plan Trump pour Gaza équivalent à un suicide politique pour l’organisation terroriste palestinienne. Désarmé, écarté de tout rôle dans l’avenir politique de la bande après deux années d’une guerre meurtrière et dévastatrice, et servant de marchepied au retour de l’Autorité palestinienne à Gaza, le mouvement se retrouve face à un bilan désastreux.

Le Hamas joue la montre

C’est probablement ce qu’ont expliqué ses représentants aux médiateurs qataris, égyptiens, saoudiens et turcs, tandis que les Américains, au téléphone, alternaient menaces et promesses, un mélange classique de bâtons et de carottes. Le résultat est une réponse ambivalente. Une approbation formelle de l’initiative de Trump, mais un rejet de son essence. Au cœur des discussions, le Hamas cherche avant tout à garder des otages, qu’il considère comme sa principale et plus précieuse monnaie d’échange.

Selon le plan américain, le mouvement doit, dès l’approbation officielle, libérer tous les otages, vivants et morts, dans les 72 heures suivant l’annonce. En échange, Israël cesserait le feu et gèlerait ses positions. Le Hamas se voit donc sommé de renoncer à sa carte maîtresse, son unique succès tangible, contre un prix dérisoire : un simple cessez-le-feu temporaire (et non la fin de la guerre), la libération de prisonniers et la restitution de dépouilles palestiniennes. Dans sa réponse, il tente de diluer cette logique, de gagner du temps et d’ajouter des conditions, autrement dit, d’augmenter le prix.

A lire aussi, du même auteur: Israël-Hamas: qui perd gagne?

C’est là le point cardinal et le principal piège tendu au Hamas. Nul ne sait ce qui se jouera dans les jours et les semaines à venir. Les vingt points du plan Trump sont volontairement ambigus : chaque article ouvre la voie à de nouvelles négociations sur les définitions, les modalités, le calendrier et les articulations avec les autres clauses… Le seul point clair, limité dans le temps et irréversible, concerne cette fameuse question des otages. Or, sans ces derniers, un retour à la guerre se ferait dans des conditions infiniment plus favorables à Israël.

Fin de partie

Même s’il est tentant de se projeter, d’analyser le rôle futur de Tony Blair ou la transformation de l’Autorité palestinienne, l’enjeu immédiat est plus prosaïque : la façon dont cette étape se déroulera conditionnera toute la suite.

Nous entrons donc dans une phase de partie serrée. Israël insistera sur le principe d’une libération quasi inconditionnelle des otages. Le Hamas, de son côté, cherchera à sortir du piège en « accrochant » la libération et la restitution des corps à des conditions d’abord techniques et tactiques, puis, peu à peu, stratégiques. Son objectif est clair : se retrouver, en cas d’échec de l’initiative ou de reprise des hostilités, avec encore des otages vivants, c’est-à-dire avec sa dernière carte à jouer.

Elon Musk contre Netflix, la guerre des mondes

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Elon Musk photographié à Glendale aux Etats-Unis lors de l'hommage à Charlie Kirk, 21 septembre 2025 © Gage Skidmore/ZUMA/SIPA

Bataille culturelle: les conservateurs contestent le soft power progressiste de la plateforme de streaming


Elon Musk a appelé à boycotter Netflix en raison de la présence de Barney, personnage trans, dans le dessin animé Dead End : Paranormal Park qui figurait dans le catalogue de la plateforme et dont des extraits sont actuellement repris sur les réseaux sociaux. En conséquence, l’action de l’entreprise américaine a rapidement perdu de sa valeur et des abonnés, dont le nombre exact est impossible à déterminer, ont résilié leur abonnement.

Netflix ne propose (heureusement) pas un narratif unique, mais chacun identifiera une des lignes directrices de son imposant catalogue. Celle-ci est à l’évidence woke : destruction des rôles traditionnels, inversion des valeurs, surexposition de personnages issus de minorités, blackwashing… 

Fred le bison fait son coming-out

Quelques exemples : Lupin, avec le très inégal – pour le dire pudiquement – Omar Sy dans le rôle du héros de Maurice Leblanc, accumule les clichés sur les blancs racistes ; Queer Force suit l’aventure d’espions LGBT ; Supracell met en scène des banlieusards, tous afro-descendants, qui se découvrent des superpouvoirs ; dans le programme pour enfants en bas âge Ridley Jones, Fred le Bison déclare à sa grand-mère qu’il est « non-binaire »… La plateforme est en la matière en opposition avec le Hollywood de naguère qui joua un rôle crucial dans l’américanisation de nos modes de vie et l’imposition de l’idée que l’Oncle Sam dominait le monde. Ce soft power connut son apogée pendant la Guerre froide avec des films mettant en exergue le héros américain, fût-il fictionnel (Rambo, l’Inspecteur Harry, Rocky Balboa…) ou réel (Patton…).

A lire aussi, Elisabeth Lévy: Liberté, retiens nos bras vengeurs

Même si on doute que cette réflexion a joué dans l’appel au boycott d’Elon Musk, on ajoutera que la destruction de notre culture commune, inscrite dans le programme du wokisme, ne pouvait que rencontrer les desideratas de Netflix. Proposant dans son catalogue une palanquée de séries qui se consomment comme autant de vulgaires produits jetables, sans que la majorité d’entre elles ne puissent se fixer dans la mémoire collective, la plateforme est la négation même de toute forme de pérennisation. Or, les sociétés, les générations, les familles se soudent dans les souvenirs communs, comme ce fut autrefois le cas avec Dallas – et son point d’orgue, la question qui divisa l’Amérique : « Who shot J.R. ? », La petite maison dans la prairie ou encore Le prisonnier.  Même lorsqu’on est passionné de sports, les documentaires de Netflix sur le Tour de France ou le Tournoi des Six nations font la part belle aux petites phrases davantage qu’aux réels exploits qui se transmettaient jadis de père en fils. 

Cancel culture de droite

Faut-il pour autant se désabonner collectivement de Netflix ? Les appels au boycott sont souvent un peu ridicules et tellement contre-productifs qu’il faudrait laisser la stratégie à la gauche. Ils comportent aussi un aspect liberticide dérangeant quand on milite pour la diversité des points de vue et la liberté de créer.

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Quant à la raison évoquée par Elon Musk, soit la protection des enfants, il est évident qu’il y a surtout meilleure éducation que de les laisser la journée entière devant les écrans à regarder des programmes à forte dimension idéologique. 

La vérité est ailleurs…

Mais la meilleure raison de ne pas avoir d’abonnement est sans doute ailleurs. L’histoire du cinéma regorge de tant de chefs-d’œuvre, ne figurant pour la plupart pas dans le catalogue Netflix,  qu’ils méritent d’être regardés en priorité. Quelques conseils donc pour le mois d’octobre : La Fille à la valise1 afin de rendre hommage à l’immense Claudia Cardinale qui vient de nous quitter, Le Pont de la rivière Kwaï qui nous rappelle que tout peut être perdu, fors l’honneur, Citizen Kane, souvent désigné meilleur film de tous les temps et qui nous interroge sur le monde des médias, Autant en emporte le vent, film d’une incomparable beauté et censuré par les wokes ou encore une des versions de La guerre des mondes2inspirées du roman de H.G. Wells. 

A lire aussi, Jean-Baptiste Roques: Elon Musk: Mais pourquoi est-il si méchant?

En parlant de guerre des mondes, gageons que le camp incarné par Elon Musk l’emporte dans celle qui oppose aujourd’hui les défenseurs des repères traditionnels aux woke. 

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  1. https://www.canalplus.com/cinema/la-fille-a-la-valise/h/1371817_50002/resume-casting/ ↩︎
  2. https://www.france.tv/films/films-suspense/7443842-la-guerre-des-mondes.html ↩︎