Dans les médias comme en économie, Alain Minc défend le système libéral. Mais il peine à trouver des solutions à la sérieuse crise identitaire que traverse la France. Très remonté contre Emmanuel Macron, il plaide pour l’union des modérés. Mais en cas d’un duel présidentiel entre LFI et le RN, il voterait pour ce dernier en se bouchant le nez.
Causeur. Le 31 août, vous avez été le tout premier invité de la nouvelle émission de Thomas Legrand sur France Inter. Et le dernier, puisque quelques jours après, le journaliste a dû démissionner, suite à la publication d’une vidéo dans laquelle il assure à des cadres socialistes qu’il « fait ce qu’il faut pour Dati ». Que vous a inspiré cette affaire ?
Alain Minc. Cette histoire est ridicule. Tout le monde sait que les journalistes et les hommes politiques nagent dans la même piscine. Là, nous avons vu une version de gauche, mais il existe mille autres versions de droite.
De nombreux contribuables trouvent tout de même fâcheux de payer pour un audiovisuel public à ce point militant…
Dans ce cas, il faut qu’ils exigent aussi de l’équanimité sur les antennes privées. Dans ma vision du capitalisme, le marché et la règle de droit doivent aller de pair. Or de ce point de vue, la régulation des ondes françaises est mollassonne. Et on se retrouve en fin de compte avec une chaîne comme CNews, aux positions très tranchées, d’ailleurs plus tranchées à droite que France Inter l’est à gauche.
Si le service public est soumis aux mêmes règles que le privé, s’il n’est pas astreint à une forme de neutralité, pourquoi financerait-on un secteur public de l’audiovisuel ?
Parce que l’absence de publicité après 20 heures permet d’être moins accroché à l’audimat. Et France Culture et France Musique demeurent un luxe assez unique en Europe.
De plus, vous semblez partager l’obsession de pas mal de monde sur CNews, mais ce n’est pas le seul média privé où s’expriment des opinions tranchées…
C’est vrai, pour une raison simple. En France, les médias dépendent trop des lubies des grandes fortunes qui les possèdent. Dans le monde anglo-saxon, ça ne se passe pas comme ça. Le New York Times, coté en bourse, est astreint à des règles de gouvernance très strictes ; le directeur de la rédaction de The Economist est nommé par un board of trustees. Et je ne parle pas des journaux allemands qui sont détenus par des fondations.
Vous avez écouté France Inter après le 7-Octobre ? Vous connaissez leur ritournelle progressiste, antifasciste…
Dans la presse actuelle, le vrai scandale n’est pas France Inter, mais Le Journal du dimanche, où un changement de ligne a été imposé par le repreneur Vincent Bolloré. Racheter un titre qui a une histoire, le vider de ses journalistes et y mettre d’autres journalistes pour opérer un basculement idéologique, cela me pose un problème. Si nous étions dans un authentique régime libéral, la loi donnerait aux rédacteurs un droit de veto, à la majorité des deux tiers, sur la nomination de leur directeur.

Vous êtes un dangereux bolchevik ! Si on vous suit, il n’est nullement scandaleux que le contribuable finance une radio de gauche sous influence des syndicats, mais vous voulez interdire à un milliardaire de changer la ligne d’un journal qu’il a racheté ?
Si Bolloré avait injecté 200 millions dans Valeurs actuelles, cela ne m’aurait posé aucun problème. L’ADN d’un journal est un élément clé de la démocratie. Si Le Figaro basculait à gauche, cela me perturberait autant, mais le risque est faible !
En attendant, j’ai pris une décision, je ne fréquente plus aucun média du groupe Bolloré.
En somme, vous les (nous) traitez comme des ploucs…
Non. Je connais maints gens de qualité qui y travaillent, mais je n’aime pas ce Fox News français.
C’est très condescendant pour la France qui regarde CNews. Cette chaîne donne de la visibilité à des faits et points de vue qui étaient jusque-là censurés, vous auriez préféré que ça continue ?
Tout est affaire de mesure. Cnews est passé du statut de contrepoint, ce qui est sain, à un stade obsessionnel sur certains sujets.
C’est votre point de vue. Venons-en à l’état du pays. Comment le qualifiez-vous ? Déclin ? Crise ? Catastrophe ?
Je parlerais d’angoisse collective. Notre situation me fait penser à l’Italie de la partitocrazia. Et d’ailleurs la ressemblance va au-delà de la vie politique puisque dans le monde des affaires aussi, on voit les petits entrepreneurs de plus en plus indifférents à ce qui se passe à Paris, comme leurs homologues transalpins vis-à-vis de Rome. Dans les pays riches, il existe un indicateur de l’angoisse collective, c’est le taux d’épargne des ménages, et le nôtre est à 19 %. S’il descendait à 17 %, l’économie serait sauvée ! L’origine de cette angoisse, c’est que depuis 1958, ce pays avait l’habitude d’être gouverné et que, depuis le « crime » de la dissolution, il ne l’est plus.
Consulter le peuple, un crime, comme vous y allez…
Il y avait une équation politique assez stable, Macron avait une majorité relative, mais cela passait. S’il avait été un peu plus habile après sa réélection en 2022, il aurait acheté les républicains contre un plat de lentilles, comme les gaullistes achetaient les giscardiens, si bien qu’à l’heure actuelle, il présiderait paisiblement le pays. C’est son incapacité à faire de la politique qui a abouti au tripartisme. J’ai très peur que le système dysfonctionne durablement. Car rien ne garantit que le prochain occupant de l’Élysée ait une majorité à l’Assemblée.
Certes, mais la division de l’Assemblée reflète celle de l’opinion. N’est-il pas bon que des idées et sensibilités longtemps exclues du débat public siègent enfin au Parlement ?
Une démocratie doit être représentative, mais elle doit aussi fonctionner. En Angleterre, les travaillistes sont à 20 % dans les sondages et ils ont 200 députés d’avance à la Chambre. Et si Farage gagne les prochaines élections, ce qu’on ne peut pas exclure avec le scrutin uninominal à un tour, il aura tous les pouvoirs. Aux États-Unis, la fraction populiste gouverne avec une main très lourde en dépit de sa très faible majorité et personne ne le remet en cause. Et nous ne sommes pas non plus dans un de ces royaumes scandinaves où la culture du contrat social et du compromis fait que les populistes arrivent à être avalés par des gouvernements sociaux-démocrates. J’ai peur que tout cela finisse très mal.
C’est-à-dire par la victoire du RN ?
Pour être honnête, je suis encore plus épouvanté par le risque que l’AfD prenne le pouvoir en Allemagne. Le RN, à côté, ressemble à une troupe d’enfants de chœur. Mais le risque de sa victoire continue à me hérisser.
Il n’est pas sûr que l’angoisse que vous observez soit liée au bazar institutionnel. Elle est aussi générée par le sentiment d’humiliation d’un pays qui s’est longtemps complu dans le mythe de sa grandeur. Peut-être payons-nous le génie du Général qui, comme le dit Sloterdijk, a habillé notre défaite en victoire…
Nous aurons au moins ce point d’accord. Un pays battu s’est retrouvé dans le camp des vainqueurs. La géniale illusion gaulliste, perpétuée par François Mitterrand et Jacques Chirac, a faussé l’image que nous avions de nous-mêmes, de sorte que la France n’a jamais réglé son problème avec sa défaite et sa lâcheté de 1940. Et voilà que quatre-vingts ans plus tard, elle se finance plus mal que tous les pays du « Club Med » ! Peut-être que nous ne sommes pas assez humiliés.
Comment cela ?
Si on était vraiment humiliés, je veux dire si le Trésor avait du mal à trouver de l’argent sur les marchés, ce qui est loin d’être le cas, la France serait obligée par Bruxelles de faire des réformes.
Notre sentiment de grandeur nationale a partie liée avec notre rapport multiséculaire à l’État. Seulement le colbertisme fonctionnait tant que le souci de l’intérêt général prévalait. Aujourd’hui, les Français ne se demandent pas ce qu’ils peuvent faire pour leur pays, mais sont très soucieux de ce qu’il doit faire pour eux.
Je vous rejoins encore. La montée de l’individualisme et la mondialisation conduisent un peu partout en Occident à une baisse de la capacité d’action de l’État. Or, si l’Allemagne est un peuple-nation et l’Italie, une langue-nation, la France est, au sens le plus entier du terme, un État-nation, une nation crée par l’État. Résultat, on vit très mal cette destitution. Parce que nous perdons sur les deux tableaux : celui de l’État identitaire, régalien, et celui de l’État providence et des services publics.
Finalement, le problème n’est-il pas que nous ne savons plus ce qui fait de nous une communauté politique – une nation ? Admettez que ces scènes récurrentes d’émeutes, de pillages et de blocages ne sont pas l’expression d’un vivre-ensemble très apaisé…
Mais arrêtez de vous faire peur ! Ce sont les sociétés contemporaines. Jamais les gosses des quartiers ne sont allés dans le centre de Paris avec la même intensité qu’à Londres. À Stockholm, paradis de la social-démocratie égalitaire, les émeutes ont été pires qu’en France.
On voit que vous ne vivez pas à Châtelet !
Il y a une minorité d’anars d’ultra-gauche qui sont des casseurs, mais on ne peut pas dire que cela exprime un pays. Il y a eu des centaines de milliers de manifestants le 18 septembre, il y en avait trois millions dans les manifestations anti-retraites, et ce, de façon parfaitement paisible, alors oui, il y a des débordements en fin de cortège.
Le 18 septembre, il y avait aussi une guillotine sur laquelle on pouvait lire : « Bolloré, Arnault, Stérin : couic ». Il ne manquait que vous…
J’étais sur le « mur des cons ». J’attends d’être promu au stade de l’échafaud en pancarte !!
De plus, vous oubliez les émeutes qui ont suivi la mort de Nahel ou la victoire du PSG, ou les meutes qui, cet été, ont fait irruption sur des marchés ou dans des piscines. Allez-vous dire aux Français effarés que c’est la vie normale des sociétés occidentales ?
Bien sûr que la montée de cette violence est insupportable, mais c’est un problème occidental et pas exclusivement français. Pourquoi ? Le délitement des institutions, l’effacement des Églises, l’individualisme, les réseaux sociaux, l’anomie… Tout ceci est vrai à Berlin autant qu’à Barcelone ou à Paris.
Autre symptôme d’un mal collectif, l’installation au cœur de la vie publique d’un parti qui a fait de la conflictualité et de l’antisionisme son fonds de commerce.
Les black blocks, c’est un problème de maintien de l’ordre, LFI c’est un drame politique – et un danger pour la démocratie. Moi qui suis fils de communiste, je regrette le temps béni du PC qui était un facteur d’ordre. Soyez marxistes ! Il existait des classes sociales. Le cynisme de Mélenchon est épouvantable. Ce type qui était un jaurésien dur, plutôt franc-maçon et athée, autrement dit absorbable, fait ce pari totalement cynique sur le vote des banlieues et utilise, à ce titre, l’antisémitisme comme un aliment. Cela dit, si le PS n’avait pas fait preuve de mépris de classe à l’égard de ce garçon, il aurait été ministre d’État sous Hollande, car c’est le plus doué de la bande. Avec Mitterrand, qui se foutait de savoir d’où venaient les gens, Mélenchon n’en serait pas là, et nous non plus. Par exemple, sans LFI, l’onde de choc qui traverse les campus et le monde intellectuel, et interdit à mon amie Caroline Eliacheff de s’exprimer dans une université, n’aurait pas la même violence.
Comment jugez-vous plus globalement la manière dont les Français ont réagi au 7-Octobre ?
La société institutionnelle s’est, dans l’ensemble, bien comportée. Je me suis réjoui de la présence de Marine Le Pen, que je continue de qualifier d’extrême droite, à la manifestation contre l’antisémitisme. Si en 1938, l’Action française avait manifesté contre l’antisémitisme, 1940 n’aurait pas été 1940 de la même manière.
En revanche, l’absence d’Emmanuel Macron à cette manifestation est injustifiable, même s’il a raison de s’opposer à Netanyahou qui porte une immense responsabilité. Après le choc historique du premier vrai pogrom depuis 1945, la façon de faire la guerre de Netanyahou, à commencer par la famine dénoncée par l’ONU, a donné du grain aux antisémites latents du monde entier. L’opposition israélienne devrait promettre une loi d’amnistie si elle arrive au pouvoir, afin de nous débarrasser de l’angoisse de Netanyahou d’aller en taule et donc d’accélérer son départ.
L’antisémitisme ne s’est pas réveillé à partir des allégations de famine à Gaza, mais du 8 octobre. Et aujourd’hui, Guillaume Erner observe que beaucoup de juifs songent au départ, sinon pour eux, pour leurs enfants.
Je suis vraiment un très mauvais juif, parce que je ne raisonne pas ainsi. Aujourd’hui, tous les curés de la terre se portent en première ligne face à l’antisémitisme. Ce n’était pas le cas avant.
On ne saurait affirmer la même chose s’agissant de tous les imams…
Si vous voulez me faire dire que l’on déplore en France une hausse inquiétante de l’antisémitisme d’origine islamique, c’est incontestable. L’antisémitisme classique, celui de la bourgeoisie française, a complètement disparu. Pour de bonnes ou de mauvaises raisons.
Il y a de mauvaises raisons de ne pas être antisémite ?
Pour taper sur les musulmans, il n’y a rien de mieux qu’afficher son soutien à Israël et aux juifs.
Vous pointez à juste titre la responsabilité de Mélenchon, du wokisme universitaire dans la montée de l’islamisme et de l’antisémitisme. Mais le « cercle de la raison » n’y est-il pas aussi pour quelque chose ? Après tout, la société multiculturelle n’est-elle pas l’enfant de la mondialisation dont vous nous assuriez qu’elle rendrait la France plus apaisée ?
Je reconnais qu’au moment de l’affaire du foulard de Creil, en 1989, je me suis trompé. À l’époque, j’ai trouvé excessive la réaction d’Élisabeth Badinter et d’Alain Finkielkraut. Or ils avaient raison de prôner une laïcité dure, à laquelle j’adhère désormais. Quand je suis à Londres, cela ne me gêne pas du tout que la fille qui contrôle mes bagages soit voilée. Mais à Paris, cela me rendrait fou.
Pourquoi ?
Parce qu’il existe des identités nationales. Une policière voilée à Londres, c’est conforme au modèle britannique. Les Anglais traitent les minorités comme ils traitaient leurs colonies, c’est-à-dire sans vouloir les intégrer. Les Français, eux, avaient le projet d’assimiler.
Le modèle britannique est plutôt mal en point. En France, supposant que l’assimilation soit toujours notre projet, comment assimile-t-on des musulmans ?
Sur l’islam, le texte le plus intelligent que j’ai jamais lu est le discours de Ratisbonne, prononcé par le pape Benoît XVI en 2006. Il y explique que la laïcité a été inventée par le Christ, quand il a dit qu’il fallait rendre à Dieu ce qui est à Dieu, et à César ce qui est à César, alors que l’islam, qui confronte directement Dieu au croyant, n’envisage pas l’existence d’une société civile autre que religieuse. Autrement dit, l’idée de résister à l’islamisme en œuvrant à l’instauration de régimes démocratiques dans le monde arabe est vouée à l’échec. Dans les pays musulmans, les seules forces qui ont pu s’opposer aux intégristes ont été les dictatures militaires.
Certes, mais on ne va pas instaurer une junte chez nous. Alors que fait-on ?
On affirme une laïcité dure. Ma sœur, aujourd’hui à la retraite, était médecin dans un centre de santé à Gennevilliers. Elle m’a parlé d’une de ses patientes. Lorsque cette dame attendait son premier enfant, elle venait au centre en cheveux. À l’arrivée du deuxième enfant, elle a commencé à porter le voile. Et lorsqu’elle était enceinte du troisième, son mari a demandé à être présent aux rendez-vous, pour s’assurer que sa femme n’était pas examinée par un homme. À l’époque où la laïcité était encore prônée dans les banlieues, cela était inconcevable.

En attendant de convaincre cette dame de se libérer de l’emprise maritale ou de convertir son mari au féminisme, n’est-il pas urgent de réviser en profondeur notre politique migratoire ?
Vous soulevez un problème insoluble. D’un côté, nous avons besoin d’immigrés et de l’autre, les opinions publiques ne veulent pas d’immigrés. En Italie, Giorgia Meloni, élue sur la promesse de maîtriser les frontières, a régularisé 500 000 migrants sous la pression du patronat. Cette contradiction est la même dans tous les pays riches, et j’avoue ne pas savoir comment la résoudre.
Peut-être devrions-nous imiter Meloni qui est en même temps libérale et populiste.
Impossible. La tradition politique italienne est trop différente. Il existe chez eux une chose qui n’existe pas en France, et qui s’appelle le transformisme, c’est-à-dire la doctrine de la trahison sophistiquée.
Dans ce cas, les illibéraux tiennent la corde. Et pas seulement en raison de leur programme sur l’immigration, mais aussi de leur discours sur l’énergie et sur l’Europe, sujets sur lesquels ils disent des choses très sensées…
Sur le sabotage de la politique énergétique française, je l’admets, ils ont des arguments : la France a subi une dictature écolo et a empalé son nucléaire civil pour très longtemps. Mais sur le reste des questions économiques et sur l’Europe, le cercle de la raison ne s’est pas planté. Le pouvoir d’achat a augmenté, la richesse s’est accrue. S’il n’y avait pas eu l’euro, la France serait un fétu de paille bousculé par les événements, avec un niveau de vie au moins de 15 % inférieur. En revanche, je vous accorde que nous n’avons pas répondu aux pulsions identitaires des sociétés.
Ce que vous appelez « pulsions identitaires », comme s’il s’agissait d’affects irrationnels, c’est la volonté, parfaitement respectable, des populations historiques de ne pas devenir culturellement minoritaires chez elles. Et elles s’expliquent par le fait qu’une part non négligeable des immigrés présents dans notre pays ne veulent pas s’assimiler.
Oui, ce sont des « Français de papier », comme dit Bruno Retailleau. Une expression qui ne m’a pas choqué. Je suis d’accord avec vous sur ce constat. Seulement, je doute que les populistes y apportent de bonnes solutions.
Pourquoi ne pas essayer des gouvernants qui semblent mieux comprendre le peuple que vous ?
Parce qu’en matière économique, il n’y a toujours pas d’alternative. Certes, plus personne ne préconise le saut dans l’inconnu que serait la sortie de l’UE. De sorte que l’accession d’un RN non frexiteur au pouvoir est devenu le scénario alternatif le plus probable. Supposons que Marine Le Pen soit élue présidente. Supposons même qu’elle soit très compétente et que les élites la rallient. Économiquement, les faits resteraient plus forts qu’elle. Quant à l’immigration, elle ne la contrôlerait pas davantage. Tout cela au prix d’une mise en cause des institutions comme le font tous les pouvoirs populistes. Et donc avec le risque de voir attaqués les « checks and balances » comme aujourd’hui aux États-Unis.
En somme, on ne peut rien faire. Reste que les résultats des gens raisonnables ne sont pas franchement brillants. Comment la Macronie peut-elle encore tenir ?
D’ici la présidentielle, il faut que le bloc central signe un pacte de non-agression avec les socialistes. Mais pour cela, il devra payer une rançon : le maintien des mesures fiscales mises en place par Michel Barnier, à savoir le prélèvement sur les grandes entreprises de 8 milliards et le taux minimum de 20 % sur les plus hauts revenus, qui pénalise les riches vivant à crédit avec l’argent de leurs holdings intermédiaires. À la limite, on pourrait même le passer à 22 %.
Et la taxe Zucman ?
La taxe Zucman est une invention diabolique comme seuls les Français en ont le secret. Sous Giscard, un économiste, Alain Cotta, avait conçu un impôt sur l’investissement. Il fallait le faire, ça ! Eh bien, Zucman, c’est tout aussi loufoque !
Attendez, Gabriel Zucman n’est-il pas un brillant économiste ?
Sans aucun doute. Il a même été documentaliste pour moi quand il était jeune… Seulement, soyons raisonnables ! Si on appliquait sa taxe, les créateurs de start-up à succès qui ne dégagent aucun profit, comme la société Mistral AI, seraient obligés de vendre des actions pour payer l’impôt. Qu’à cela ne tienne, répond Zucman, l’État leur rachètera lesdites actions… Mais, mon garçon, tu n’as jamais rencontré un entrepreneur de ta vie ! Zucman est vraiment intelligent, sauf qu’avec lui on voit combien le monde académique peut être à des années-lumière de la réalité.
Et sur les retraites, faut-il faire aussi des concessions ?
Je ne pardonne pas au patronat français de ne pas avoir transigé sur la pénibilité lors des discussions du conclave. La CFDT était prête à accepter les 64 ans si on reconnaissait des exemptions dans les cas des métiers pénibles. Maintenant, le terrain est miné. Le conclave de François Bayrou, était une idée intelligente car il excluait l’État de la négociation. Son échec est désolant.
Vous êtes l’un des rares à penser du bien de Bayrou…
Quand il a dit aux Français qu’ils ne travaillaient pas assez, c’était courageux. Et j’ai été surpris de voir qu’il n’a pas été passé à tabac par l’opinion alors qu’il l’aurait été il y a dix ans. Je salue la maturation qu’il a rendue possible dans le pays.
Ses alertes de mise sous tutelle de notre économie par le FMI étaient-elles fondées ?
La probabilité que la BCE – pas le FMI – nous impose des réformes pour nous consentir une future ligne de crédit de secours n’est pas à exclure. C’est ainsi qu’ont été ont traités les pays du Club Med.
Ce serait une bonne chose ?
Ce serait désolant d’être obligé d’en passer par là mais au moins, cela ouvrirait les yeux de Macron, qui ne comprend pas qu’il arrive encore à tenir un tout petit peu sur la scène internationale, notamment depuis que les Allemands ont demandé de se placer sous notre protection nucléaire, uniquement parce qu’il a en main la force de dissuasion héritée du général de Gaulle.
Vous dites que Macron ne comprend pas tout. Mais vous, comprenez-vous Macron ?
J’ai compris une chose à son sujet : il est intelligent, il a surtout un aplomb extraordinaire, mais comme tous les narcissiques, il est victime d’un déni de réalité. Cela m’est apparu évident à la veille des élections européennes. Ce jour-là, il m’appelle et je lui dis : « Le RN fera 30, et le bloc central fera 15, et tout ceci n’a aucune importance si Deschamps nous conduit en finale de l’Euro. » Sa réponse est formidable : « Tu te trompes, ça ne sera pas 30-15, ça sera 26-22. » Là, j’ai compris qu’il vivait dans un univers fictif. Depuis, nous ne nous parlons plus.
Et Sébastien Lecornu ?
C’est une personne de qualité. Mais son problème est de passer pour un clone de Macron. Il devra donc faire plus de cadeaux au PS pour acheter du temps jusqu’à la présidentielle.
Vous lui voyez un destin élyséen ?
J’ignore qui sera le plus à même de défendre le camp des modérés en 2027. D’où ma proposition, que je répète inlassablement depuis deux ans : une primaire ouverte parmi les figures du bloc central, de Gabriel Attal à Bruno Retailleau. S’ils ont trois ou même deux candidats, Mélenchon est au deuxième tour.
Bravo la France, avec un duel Bardella-Mélenchon. Ce serait à pleurer.
Que ferez-vous dans un deuxième tour RN-LFI ?
En 2017, dans une telle configuration, j’aurais voté Mélenchon. En 2022, je me serais abstenu. En 2027, si Mélenchon est à 49 % dans les sondages, je crains d’être conduit à un vote dont la seule idée me révulse encore.






