Fantasque et facétieux, la blague en tire-bouchon, l’écrivain Philibert Humm nous revient en ce début d’automne avec Roman policier aux éditions des Équateurs (sortie le 8 octobre). C’est à n’y rien comprendre comme d’habitude – donc à conseiller fortement aux lecteurs oisifs qui en ont assez des déclarations impudiques

Quand il ne fait pas l’intéressant dans le poste de télé (hier soir, il était en représentation au théâtre de Trapenard), Philibert Humm, plus si jeune que ça, 35 ans maintenant, écrit des livres à vocation humoristique et touristique. Il trouve dans le voyage, la source de son inspiration vélocipédique et parodique. Chacun son snobisme. Il rechigne au sérieux et au pesant. Quel frimeur celui-là ! Pour l’instant, la critique ne lui en tient pas rigueur. Il navigue donc à contre-courant de la caste des littérateurs à succès. Car du succès, il en a. Son éditeur, grand seigneur, lui fournirait, dit-on, dans les coulisses de Saint-Germain-des-Prés, gracieusement, un Land Rover de fonction pour ses déplacements intramuros. Le veinard ! De ce même éditeur, j’eus beaucoup de mal à obtenir une Peugeot 103 SP de location passablement fatiguée lors de la rentrée littéraire précédente. Philibert a la carte. Partout où il passe, les libraires sont en extase.
Freluquet !
J’ai vu des files interminables à ses signatures de province, même son camarade escaladeur Sylvain Tesson, un poil jaloux de ce turbulent cadet, trouve que la blague a assez duré. Dans le Bourbonnais ou le Nivernais, des instructrices girondes à la retraite et des factrices émotives en alternance lui tendent maladroitement son livre, un sanglot de bonheur à l’œil, les mains moites, le regard enamouré. Mon salaud, c’est de la concurrence déloyale. Tu as pensé aux autres ? Aux laborieux auteurs que nous sommes, qui n’avons ni ton physique avantageux, genre grand escogriffe des Carpates, ni ta plume pince-sans-rire baguenaudant entre l’almanach Vermot et la blondeur blondinienne. Ce public défaille à ta vue comme si tu étais le sosie d’Harry Styles et la réincarnation de Charly Oleg.
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Cette fois-ci, j’étais bien décidé à me rôtir ce freluquet, lui chercher des noises sur sa syntaxe désaxée, tancer ses pitreries de carabin et rabrouer son air satisfait à la Desproges. J’étais gonflé à bloc. Alors, j’ai entamé Roman policier, malgré sa dédicace de connivence, le stylo entre les dents, la rage au ventre, la couleur du sang sur la page blanche du chroniqueur allait couler. Cette fois-ci, tu ne m’auras pas ! Monsieur feuilletonne après Roman fleuve et Roman de gare; Monsieur laboure, je vais me charger de dessouder le soc de ta charrue. Tu ne mystifieras plus personne en Ile-de-France et même jusque dans les plaines de la Beauce.
Impitchable
Au fil des pages, cette histoire loufoque, déplorable et admirable de disparition de la lettre « U » des enseignes de la ville de Pau m’a d’abord agacé, puis amusé et franchement épaté par son côté derviche-tourneur. Tu démarres par le vol d’un anti-vol, ta filiation avec Marcel Aymé et par une publicité déguisée pour une chaîne de magasin de sports. Tu te permets une boutade sur Roger Gicquel et sa moue à la Droopy qui démoraliserait une famille progressiste. Souviens-toi cependant, on l’oublie, que ses lancements étaient admirablement écrits, on aurait dit du Anatole France, c’est royal pour le vocabulaire. Ton double de papier, plus proche de Jack Palmer de Pétillon que de Philippe Marlowe part enquêter sur les rives du Gave. Tu nous as habitué à ces démarrages en michelines ; tu es l’écrivain du cul-de-sac et de l’embrouillamini. Le chantre des branques. Le naturalisme t’emmerde. Les bons élèves te soulèvent le cœur. Tu préfères les ratés, les perdus, les dysfonctionnels, les poètes du quotidien aux sachants. Ce que l’on aime chez toi, ce sont tes dérivations, tu pourrais te contenter de tracer droit dans cette affaire de vol, mais tu fainéantes, tu divagues, tu persifles, tu soliloques, tu ralentis la course, tu ne recules devant aucun bon mot, tu mets de la littérature gaie dans le désordre ménager. Ce que j’admire, c’est ton obstination à la dinguerie, à dévisser la réalité, ton culot aussi ; il n’y a même pas de policier dans ton roman qui est inracontable et impitchable.
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Tu es un enquêteur à la Clouseau et non à la Clouzot. Tu n’as pas perdu ton « jeu » de prose. Tu t’affubles cette fois-ci d’un acolyte et tu choisis Vincent Dedienne. Chez d’autres, on crierait à l’imposture, à la mascarade ; chez toi, on applaudit cette mise en scène. Dedienne mange des abats, roule en Scénic, se prend pour Champollion et terrorise les serveuses. C’est un régal de fumisterie. Le voleur, collectionneur ou fétichiste, est anecdotique, seule la quête foutraque t’anime. Dans ce roman délirant et divertissant, il y a tous les ingrédients du plaisir gamin, d’une échappée ratée, donc sublime. Et quand Alvarez, chasseur de trésor professionnel derrière son computeur vous rejoint, la triplette assure le spectacle à la Une de la République des Pyrénées. On est chez Blake Edwards et Robert Lamoureux à la fois. Tu es un merveilleux pare-feu aux auteurs boursouflés. Tu ne prodigues rien. Il y a même un basketteur d’1,55 m dans ton roman, c’est dire ton dilettantisme souverain.
Roman policier de Philibert Humm – Équateurs
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