Face à la « mondialisation de l’indifférence », le nouveau Pape propose de faire reconnaitre l’hospitalité de l’île de Lampedusa au « patrimoine culturel immatériel de l’humanité ».
Le Vatican étant aussi un État, on doit avoir le droit de questionner, voire de critiquer, sa politique, ses orientations stratégiques sans que cela ne soit pris d’emblée pour une attaque contre la religion, ses dogmes, ses principes, ses vertus.
On connaît l’antienne culpabilisante à souhait qui voudrait qu’on s’abstienne de toute expression quelque peu acerbe de crainte que cela ne fasse le jeu du camp d’en face. L’argument peut sembler aujourd’hui des plus éculés, ayant été tellement asséné par les communistes d’après-guerre répétant à l’envi que dénigrer ou contester Staline revenait à servir la soupe à la réaction capitaliste. Considérons donc que ce baratin a fait long feu et autorisons-nous tranquillement la question, certes abrupte dans sa formulation mais néanmoins légitime, de savoir pour qui roule effectivement ces temps-ci la diplomatie vaticane.
Pourquoi cette question ? Parce que l’actualité la suggère. Pour ne pas dire nous l’impose.
Le 2 octobre, en ouverture du Jubilé des migrants et devant les participants à la conférence « Réfugiés et migrants dans notre maison commune », le pape Léon XIV, fustigeant la « mondialisation de l’indifférence » comme l’avait fait François, son prédécesseur, et prônant une « culture de la réconciliation », a déclaré : « Migrants et réfugiés peuvent être des témoins privilégiés d’espérance grâce à leur résilience et à leur confiance en Dieu » (sic).
On passera sous silence le fait que migrants et réfugiés ne relèvent pas, du moins relativement à notre perception des choses, de statuts parfaitement identiques et nous rangerons donc cet amalgame quelque peu hâtif sous la bannière d’une bienveillance toute chrétienne.
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Dans le même propos, le Pape livre une estimation chiffrée intéressante, évaluant « les défis actuels de la migration à cent millions de personnes. » Sans doute faudra-t-il attendre d’autres conférences du même ordre pour en apprendre un peu sur les politiques, les méthodes, les dispositions et dispositifs à mettre en place pour que cent millions de personnes puissent être accueillies et promises à un avenir digne, conforme humainement et socialement aux normes des pays d’accueil.
On apprend aussi, au cours de cette allocution pontificale, que Léon XIV a enregistré un message vidéo à « l’occasion de la candidature d’inscription des gestes d’hospitalité à Lampedusa au patrimoine universel de l’UNESCO »… Ce qui revient peu ou prou à conférer à l’ouverture de l’Occident aux migrations invasives – certes invasives, puisqu’il s’agit de cent millions d’individus – un statut officiel, assumé, affiché à destination du monde entier. Cela sans que, à ma connaissance les opinions citoyennes des pays concernés aient eu leur mot à dire. Sans non plus qu’ait été abordées, étudiées et analysées les conséquences culturelles, civilisationnelles d’une greffe de cent millions d’âmes sur les modes de pensée, de vie, les mœurs, les lois, les croyances et religions des populations autochtones.
Dans le très beau – et très long film – Le Guépard, lors d’un échange avec son confesseur jésuite, le prince Salina lâche ce propos quelque peu iconoclaste: « si l’Église devait nous sacrifier pour assurer sa survie, elle nous sacrifierait. »
Cette saillie m’a toujours donné à penser. Sans aller jusqu’à la perspective peu réjouissante envisagée par le prince sicilien, il me semble qu’on peut tout de même s’interroger sur la stratégie vaticane. Une stratégie, très jésuitiquement correcte d’ailleurs, qui consisterait à privilégier les foyers d’expansion possibles au détriment de ceux où l’avenir serait désormais quand même beaucoup moins prometteur. Pour l’instant, on en serait encore à ménager la chèvre et le chou. La chèvre, les contrées sources d’émigration ; le chou, notre Occident.
Mais comme on n’a jamais vu un chou bouloter une chèvre et que l’inverse est de pratique courante, on se gardera de tout optimisme béat devant une telle approche des choses.
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