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Brenda Biya: la fille rebelle qui défie le « Sphinx » de Yaoundé

La fille du président Biya est-elle instable, manipulée, ou ses jérémiades reflètent-elles un malaise dans la jeunesse camerounaise?


Brenda Biya: la fille rebelle qui défie le « Sphinx » de Yaoundé
Le président Paul Biya et son épouse Chantal à St Petersbourg en Russie, juillet 2023. Dans l'encadré en haut à gauche, leur fille Brenda © VDonat Sorokin/TASS Host Photo A/Sipa USA/SIPA

Si la fille du président sortant avait déjà fait parler d’elle par le passé (avec ses prestations de rap, son coming-out lesbien, ou des jérémiades concernant le délai de renouvellement de son passeport), lorsqu’elle a appelé fin septembre les jeunes Camerounais à ne pas voter pour son père sur TikTok, elle a dû vite faire marche arrière… Ses compatriotes votent dimanche prochain. Son père, 92 ans, qui brigue un huitième mandat, est favori.


Entre confidences publiques, coming-out assumé et critiques frontales contre son père, la fille du président camerounais Paul Biya a bousculé l’image d’une famille présidentielle réputée pour sa discrétion. Un séisme politique et intime, à quelques jours de la présidentielle. À 27 ans, Brenda Biya est devenue, malgré elle, le symbole d’une génération en rupture. Depuis Genève, où elle réside une partie de l’année, la jeune femme s’est exprimée comme rarement un membre du clan présidentiel ne l’avait fait avant elle.

« Personne n’est au-dessus des lois »

C’est sur le réseau social Instagram que tout avait commencé. En juin 2024, Brenda Biya avait déjà publié une série de vidéos et de messages où elle évoquait, sans détour, son quotidien, ses frustrations et sa différence. « Je suis Brenda Biya, j’aime qui j’aime, et je ne me cache plus », écrivait-elle, en partageant une photo d’elle embrassant sa compagne présumée, Layyons Valença, une mannequin et artiste brésilienne. Une publication aussitôt devenue virale — et qui avait déclenché un séisme politique à Yaoundé, dans un pays où l’homosexualité est passible de plusieurs années de prison selon l’article 347 bis de son Code pénal. « (…) Je trouve (cette loi) injuste et j’espère que mon histoire la fera changer » n’avait pas hésité à affirmer l’influenceuse, devenue depuis célibataire.

Brenda Biya n’est pas n’importe qui. Elle est la fille du président camerounais Paul Biya et de son épouse Chantal Biya. Ses parents ont d’ailleurs découvert la préférence sexuelle de leur cadette à travers ses critiques tant elle ne l’avait jamais évoqué auparavant, de l’aveu même de la concernée. Si certains internautes camerounais ont salué son courage, d’autres l’ont violemment prise à partie sur les réseaux sociaux. Patrice Christ Guidjol, président de l’association « Debout contre la dépénalisation de l’homosexualité dans notre pays », a porté plainte contre la rejetonne présidentielle, accusant celle-ci de la « promotion et incitation » des pratiques sexuelles LGBTQI+, rappelant que « personne n’est au-dessus des lois ». Dans l’entourage du chef d’État, on s’est borné alors à déclarer que l’on ne discutait pas des affaires privées de la famille du président et encore plus dans ce qui reste « un moment de confusion », selon les proches du dirigeant de cette ancienne colonie allemande, puis française.

Rappeuse à ses heures perdues

Loin de faire profil bas, Brenda Biya, rappeuse à ses heures sous le nom de scène King Nasty, n’en était pas à son premier coup d’éclat. Déjà, en 2019, elle avait dénoncé sur les réseaux sociaux les lenteurs administratives pour renouveler son passeport camerounais : « Même moi, fille du président, je galère à avoir un passeport. Imaginez les autres ! ». Un message qui avait alors trouvé un écho inattendu auprès d’une jeunesse camerounaise souvent frustrée par la corruption et les inégalités. Si certains observateurs y avaient vu alors une simple crise d’adolescence tardive, d’autres estimaient que l’affaire Brenda Biya traduisait en réalité beaucoup plus que cela.

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Arrivé au pouvoir dans des circonstances encore non élucidées en 1982, Paul Biya est un des derniers dinosaures de la Françafrique, ce système de relations économico-politico-militaires mis en place entre Paris et ses anciennes colonies d’Afrique. En dépit de nombreuses tentatives de le renverser ou de mettre en face de lui des opposants à la verve dynamique, de tenter de le poursuivre devant les tribunaux (pour des biens mal acquis présumés), Paul Biya est arrivé à se maintenir sur son trône en appliquant une méthode qui a fait ses preuves : « diviser pour mieux régner ».  A 92 ans, le « Sphinx » a l’assurance de celui à qui rien ne peut arriver, fidèlement soutenu par sa femme connue pour ses extravagantes coiffures, et un clan ethnique qui a verrouillé tous les organes de l’État.

Entre fidélités verrouillées et ambitions latentes, la parole libérée de Brenda apparaît pour beaucoup de jeunes Camerounais comme un miroir social : celui d’un pays en attente de renouveau, prisonnier d’un régime qui semble sans fin. C’est dans ce contexte qu’elle a une nouvelle fois vertement critiqué « papounet » sur TikTok le mois dernier. Dans une récente vidéo très explicite, elle a appelé les électeurs à ne pas voter pour lui « parce qu’il a fait souffrir beaucoup de gens » tout en espérant que les Camerounais « choisiront un autre président ».  Encore une fois, Brenda Biya a fait le buzz et s’est retrouvée au centre de toutes les discussions de village avant que ce message ne soit subitement plus accessible sur le réseau social bien connu.

Retournement de situation

Dans la foulée, celle qui est régulièrement accusée d’avoir un style de vie digne d’un émir de Dubaï, contrastant singulièrement avec le fort taux de pauvreté auquel font face ses compatriotes, a republié une seconde vidéo en forme de mea culpa. « Salut les gars. Ne nous mentons pas, je n’y connais rien en politique. Pourquoi voulez-vous suivre mes conseils, moi, une enfant impulsive qui prend des décisions sur un coup de tête ? Ne les suivez pas. (…) Quelqu’un qui ne connaît rien à quelque chose devrait naturellement se taire ». « Honnêtement, je devrais me remettre en question. Parfois, je prends des décisions impulsives. Je ne me rends pas compte des personnes que je blesse » a-t-elle ajouté.  Avant de conclure étrangement sur ces notes élogieuses : « J’ai toujours admiré l’intellect de mon père et j’ai toujours voulu avoir en même temps le cœur de ma mère ». « Plus tard, le peuple va se rendre compte que leur président était un bijou. Je trouve que c’est un grand homme et un excellent candidat ». Dont acte !

Un retournement qui a étonné ses soutiens de la première heure, la fameuse Gen-Z. Au fond, toute son agitation médiatique n’est peut-être qu’un reflet des tensions d’un pays en fin de cycle politique, où la lassitude du peuple côtoie l’immobilisme du pouvoir. Dans un Cameroun figé par le temps, sa voix résonne comme un cri — celui d’une jeunesse qui, faute d’espace d’expression, choisit les réseaux sociaux pour dire son ras-le-bol. Qu’elle le veuille ou non, la « fille rebelle du Sphinx » est devenue un symbole d’un malaise générationnel, et peut-être, à sa manière, l’annonce fragile d’une ère nouvelle — celle où même les enfants du pouvoir ne peuvent plus se taire, faisant fi du respect de la tradition africaine de soumission au père et à la mère. Même en Afrique, un continent réputé très conservateur, tout finit par se perdre !




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Journaliste , conférencier et historien.

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