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Cécile de France, notre plus belle histoire

La chronique du dimanche de Thomas Morales


Cécile de France, notre plus belle histoire
Cécile de France dans "Dalloway", film de Yann GOZLAN (2025) © ZHOU YUCHAO Mandarin & Compagnie - Gaumont

Monsieur Nostalgie a eu une révélation! Il est catégorique. Il le proclame haut et fort: la meilleure actrice de France est née en Belgique à Namur…


Je le pressentais depuis plusieurs années. Mais, je n’osais me l’avouer. Plus par mauvaise foi que par patriotisme mal placé. Je voyais bien qu’elle était au-dessus du lot, que chacune de ses interprétations s’harmonisait à la perfection avec ses rôles. Elle leur collait à la peau tout en n’annihilant pas une partie d’elle-même, qu’elle laissait derrière elle, un souffle, une manière, une empreinte, une vibration intérieure. Une grande actrice joue et elle est elle-même à la fois. C’est l’un des paradoxes, une bizarrerie des métiers du dédoublement. On ne transpose bien qu’avec son histoire personnelle, qu’avec son propre corps. Cécile trace son sillon dans le cinéma français, à l’abri des regards, évitant les frasques publicitaires et les déclarations moralisantes. Elle joue, voilà tout, en répondant aux directives des metteurs en scène – en admettant que la direction d’acteur existe vraiment avec des comédiennes de cette stature-là. Dans un monde où l’artiste passe plus de temps à commenter l’actualité, à s’insurger contre les méchants et à suivre le sens du vent pour ne pas perdre sa fan base, sa singularité saute aux yeux. Par confort intellectuel, on a d’abord mis son « originalité » sur sa belgitude. Puis très vite, nous avons compris notre erreur de jugement. Il est impossible de la classer, de la parquer dans un quelconque territoire de fiction. Cette grande fille souriante, saine, pas compliquée en apparence, presque trop naturelle pour être vraie a l’intensité de son innocence. Elle nous transporte là où elle le veut depuis vingt-cinq ans de carrière. Cécile nous ramène toujours à l’essentiel par des chemins directs. Elle ne cherche pas à éblouir par astuce, à séduire par éclat, à se conformer aux attentes des autres, à remplir une mission prédéfinie, elle déroute par sa sincérité. Chez elle, la sincérité est portée par le talent et la grâce, par le travail d’artisan et par une candeur infernale. Elle n’est pas bêtement sophistiquée et cependant son jeu par mille détails, mille empilements de caractère, certaines strates à peine visibles, par mille ajustements, est d’une sophistication extrême. Nous sommes tellement habitués aux faiseurs, aux manipulateurs que l’incarnation franche et pure nous laisse sans voix.

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Souvent, on cherche le truc, on suspecte l’arnaque, on est chagriné d’avoir été berné, on s’est emballé pour un artifice bien décevant. Combien d’actrices, sur l’instant, sur un malentendu, dans un moment de faiblesse ont charmé puis ont aussitôt quitté notre imagination ? L’onde de Cécile perdure. Longtemps. Au-delà des modes. Plus vive que jamais. C’est une vague qui grossit et qui nous enveloppe. Il y a un plaisir à la voir, à la revoir, un plaisir réel de fluidité et de virtuosité, d’instinct et de comédie mais il y a surtout l’ineffable effet à retardement. Quand un rôle de Cécile vient nous percuter au hasard de l’existence, à la caisse d’un supermarché ou chez le coiffeur, on sait intimement que cette actrice est à part, que cinq ans après une séance de ciné anodine, elle a changé notre regard sur la vie. On se souvient de tout. Fauteuils d’orchestre, Mademoiselle de Jonquières, The New Pope, étudiante ou femme du monde, tout remonte. Nous ne sommes plus les mêmes. Cécile est une variation continue, elle distord le temps, dérègle les lignes de conduite, déjoue les classes sociales ; sa beauté sportive nous émeut, son rire laisse exploser des filaments de tristesse, rien n’est banal, rien n’est écrit, rien n’est télécommandé. On voudrait que dorénavant, elle joue tout. Qu’elle soit la seule actrice de ce pays. J’ai mis du temps à m’avouer cette évidence. Peut-être est-ce dû à son premier grand rôle dans L’Auberge espagnole, j’étais hermétique au côté mollement progressiste d’Erasmus. On ne déteste rien d’autre que sa propre jeunesse. Cette révélation vient, une fois de plus, de m’être confirmée par sa présence dans La Venue de l’avenir, le dernier Klapisch (disponible en streaming depuis peu). Cécile n’a pas besoin d’avoir le rôle principal, son apparition en conservatrice du Musée d’Orsay, formidablement juste, drôle, ridiculement délicate est un numéro d’équilibriste remarquable. Cécile donne de la consistance, de l’émoi, de l’éros et du fracas à toutes les femmes. Elle est la Numéro 1 de ce métier.

Monsieur Nostalgie

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Journaliste et écrivain. Dernières publications : "Tendre est la province", (Équateurs), "Les Bouquinistes" (Héliopoles), et "Monsieur Nostalgie" (Héliopoles).

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