Accueil Site Page 51

Le prince et le pauvre

0

Homosexualité. Quand Nicky Larson ne-craint-personne vire sa cuti.


Kosuke, ravissant model boy nippon, propre sur lui, soigne son apparence physique et sa mise vestimentaire tout autant que le design de son confortable loft tokyoïte, qui témoigne d’une belle aisance financière. Le jeune égotiste se choisit un jeune coach sur internet. Pousser de la fonte crée du lien, comme on sait : ils finissent par coucher ensemble – on s’en doutait un peu. Mais sur cette base un peu lisse, la romance va bifurquer de façon beaucoup moins attendue…

Daishi Matsunaga, cinéaste venu du documentaire, fait preuve en effet d’un rare talent pour que Egoist échappe de la sorte à l’estampille du film communautariste LGBTQIA+  – dépassant ainsi de loin les limites assignées à cet acronyme imprononçable (et que votre serviteur, entre parenthèses, a toujours trouvé grotesque).

Quoiqu’il en soit, ce serait dommage de vous déflorer l’intrigue. On se contentera donc de préciser ici que les deux héros du film sont issus de milieux sociaux différents : Kosuke était encore adolescent quand sa mère est morte, et son père veuf, du fond de sa campagne, ignore tout de l’homosexualité de son fils unique ; quant à Ryüta, le coach, autodidacte déscolarisé de bonne heure, il subvient par des moyens inavouables aux besoins de sa mère désargentée, laquelle occupe seule un modeste logis dans un quartier périphérique de la capitale.

A lire aussi, du même auteur: Road movie dans l’Iran des mollahs

Entre les deux garçons, l’idylle amoureuse et sensuelle, sujette à un certain nombre de retournements (au propre comme au figuré), donnera bientôt lieu à toute une suite de dons et de contre-dons (matériels et symboliques) qui, dans la dernière partie du film, engagera jusqu’à la mère de Ryüta, échanges dans lesquels se seront révélées, de proche en proche, les personnalités des trois protagonistes…

Quoique les scènes de cul (c’est le cas de le dire) soient montrées tout au long de façon très explicite par un réalisateur qui connaît manifestement son affaire, une grande douceur, voire même une pudeur infiniment délicate émane de cette fausse bluette homo, aux ellipses pleines de sens, pour tendre à un discours plus universel sur l’oubli de soi et le sacrifice de son ego. Si, comme disait l’autre, les histoires d’amour finissement mal en général, celle-ci en particulier, par antiphrase à l’énoncé du titre, décrit le parcours surprenant du dévouement et de la bonté. En outre Egoist développe avec une acuité, une sensibilité inattendue, au prisme d’un drame passionnel homo croisé d’observation sociologique, un regard singulier sur les mœurs du Japon contemporain.

Le film est porté par un trio d’excellents acteurs, à commencer par Ryöhei Suzuki, ici dans le rôle de Kosuke, l’amant secourable et bienfaisant, contre-emploi que domine avec infiniment de charme et de réserve ce beau gosse photogénique, star locale plus connue au Japon pour ses performances dans des films d’action, tel City Hunter, qu’on peut visionner d’ailleurs sur Netflix1.


Egoist. Film de Daishi Matsunaga. Avec Ryöhei Suzuki, Hio Miyazawa… Japon, couleur, 2023. Durée : 2h. En salles le 8 octobre 2025

  1. https://www.netflix.com/fr/title/81454087 ↩︎

Fragments sur la joute (l’amour)

Dans un livre, Richard Millet transforme le deuil de l’amour de sa vie en une méditation vibrante sur le mystère irréductible du couple


Les inconditionnels de Richard Millet ne l’attendaient pas sur ce terrain-là, mais l’homme est imprévisible. Il peut ferrailler contre la société, l’appauvrissement de la langue, les résultats désastreux de la confusion générale, la perte des valeurs suprêmes, en un mot, le tsunami nihiliste qui vient, qui est au-dessus de nos têtes, et il peut aussi nous offrir un récit exigeant, savamment documenté, et surtout émouvant sur la joute entre deux êtres qui s’aiment d’un amour puissant que seule la mort descelle.

Sommations

Le mot « joute » fait penser à combat, mais combat entre deux chevaliers pour une noble cause, ce qui, à notre époque, apparait complètement désuet, ou « kitch » c’est-à-dire « la station de correspondance entre l’être et l’oubli », pour reprendre la formule célèbre de Milan Kundera. Richard Millet nous rappelle que le vocable « joute » vient du latin juxtare :se joindre. Chez Brantome, au XVIe siècle, « entrer en jouxte » signifie faire l’amour. Vaste programme dans une société où l’acte sexuel semble terroriser, et où la pornographie a saccagé l’érotisme. On est sommé de jouir, selon des critères fallacieux, et l’on ne jouit plus.

A lire aussi: Catherine Millet, une mère en images

Le récit de Millet formant un puzzle subtil, où chaque pièce suggère une réflexion inachevée, on pense au texte Fragments d’un discours amoureux, de Roland Barthes. C’est, rappelons-le, un amoureux qui parle et qui dit. C’est aussi un amoureux qui attend « une arrivée, un retour, un signe promis ». Millet, lui, n’attend plus rien ; peut-être un signe, et encore si seulement la lune éclaire d’une douce lumière le faîte de la colline de l’enfance. Il n’attend plus rien, car la maladie a emporté la femme aimée, en 2020, et la solitude s’est emparée de lui, l’a verrouillé dans un long deuil, le couple s’est subitement effondré, et le dialogue, cette joute qui ne ressemble aucunement au pugilat, s’est dilué dans un quotidien mortifère et silencieux. Or le silence est le pire ennemi du désir. Le désir entretenu par la joute. Le mystère du couple a été rompu. L’écrivain a dû attendre que la paix précaire revienne, comme les animaux reviennent dans le champ après un tremblement de terre. Il y a des cycles immuables que la psyché impose. Une interrogation inlassable et sans fin a pris naissance en lui – ce livre, jamais, n’aura de fin. Elle concerne les rapports entre l’homme et la femme, débarrassés du discours journalistique insipide et pompeux. Millet a disséqué la séculaire division des sexes : amour, séduction, mariage, scènes, trahison, rupture, haine, etc. Il montre que le mystère doit prévaloir entre deux individus attirés l’un l’autre, un mystère dont l’essence, malgré nos efforts, échappe. Et pourtant, il demeure essentiel au couple, même défait : « La condition du veuf n’est donc pas la fin de la joute, écrit Millet ; elle pérennise le mystère du mariage jusque dans la mort, et après celle-ci… »

Bien précieux

Mais la joute s’exerce surtout entre les vivants, pour qu’ils demeurent vivants, c’est-à-dire en perpétuel mouvement, mus par les sentiments sans cesse renouvelés. Cela peut faire sourire les cyniques, les « revenus » de tout, l’armée hystérique des égocentriques, l’enjeu est certes de taille, mais pas insurmontable, Millet le prouve au fil des pages, et c’est plutôt réconfortant par temps de désespoir organisé. Car même si le dialogue avec son épouse fut interrompu par la mort, le soliloque perdure, et le lien demeure : « Tu continues de ne pas être moi, et de t’incarner au fond de moi. »

A lire aussi: Après Maigret, Philibert tend un piège

Alors Millet vivant, bien sûr, j’insiste. Les femmes le passionnent, et l’ardeur ne faiblit pas. La joute peut reprendre à n’importe quel moment, avec ses règles strictes, à l’opposer des oukases de la bien-pensance. L’amant n’attend rien, il est donc à la merci de la passante chère à Baudelaire. Duras a écrit : « Il n’y a pas de vacances à l’amour. » Millet ajoute : « Il n’y a donc pas de vacances à la joute. » L’espoir ne doit pas être trahi par une attitude de défaite. L’écrivain précise : « Toute fiancée vient à nous pour que nous descendions dans le fleuve ou l’impossible lutte avec l’espérance. »

Il faut cultiver ce bien précieux qu’on nomme sentimentalité, le préserver, le réoxygéner, c’est le trait d’union entre deux êtres que la joute stimule, sans faux-semblants ou trompeuses espérances, parce qu’il n’y a pas de fontaine de Trevi au purgatoire.

Richard Millet, La Joute : Combat de l’homme et de la femme dans la nuit du siècle, Les Provinciales. 160 pages

La joute: Combat de l’homme et de la femme dans la nuit du siècle

Price: 18,00 €

3 used & new available from 14,21 €

Podcast: Tremblement de terre en France, condamnation d’un ex-président

0

Notre 100e épisode, avec Philippe Bilger et Jeremy Stubbs 💯


La condamnation de l’ancien président de la République a déclenché une polémique de grande ampleur. Des commentateurs de gauche comme de droite l’ont applaudie ou dénoncée selon leur préférence idéologique. Selon Philippe Bilger, il est parfaitement légitime de critiquer ce jugement, notamment l’exécution provisoire de la peine prononcée. Mais faut-il pour autant porter atteinte à l’autorité de la justice ? Si l’on peut très bien souhaiter que des peines plus sévères soient prononcées parfois contre des voyous coupables de violences, doit-on se plaindre quand une punition tombe sur un membre de son propre camp politique? Le pouvoir judiciaire est-il actuellement plus défaillant que l’exécutif ou le législatif?

Nicolas Sarkozy a fait appel et il aura encore une occasion pour prouver son innocence. Que la justice suive son cours !

Le Mur des cons

Price: 18,90 €

48 used & new available from 2,57 €

MeTooMuch ?

Price: 9,90 €

11 used & new available from 3,91 €

Il y a une vie après l’Assemblée

Drapeaux palestiniens, pétition sur l’immigration, chute du gouvernement… la vie politique a fait sa rentrée en fanfare. Et si elle nous fait parfois rire, c’est le plus souvent jaune.


Panthéon

J’avoue que j’en ai ri. « Parce que la politique est aussi affaire de symbole, nous devrons ouvrir le débat sur la devise inscrite au fronton du Panthéon : “Aux grands hommes, la patrie reconnaissante”. » Eh oui, c’était durant sa conférence de presse sur la rentrée scolaire que la ministre de l’Éducation nationale a fait cette grande annonce : elle veut dégenrer le Panthéon… Mais qui lui trouve ce genre d’idées ? Comment paraître davantage déconnectée des préoccupations des Français qu’avec cette mesure ? Eh oh, madame Borne, le niveau scolaire de nos enfants qui s’effondre, le harcèlement, les profs absents pas suffisamment remplacés, la violence à l’école, le communautarisme : vous en avez entendu parler ? En fait, c’est encore plus grave que je ne pensais. Élisabeth Borne a abdiqué. Elle a définitivement admis que nos enfants étaient des crétins. Et qu’ils n’étaient évidemment pas capables de comprendre que le mot « homme » représente une personne. On dirait l’Église catholique qui remplace, dans sa liturgie, « mes bien chers frères » par « mes bien cher(e)s sœurs et frères ». Ça m’insupporte. Mais revenons à Élisabeth Borne : en ouvrant le débat, elle a donné l’occasion à certains de faire tourner leur imagination à plein régime. La palme revient probablement à Marianne qui proposait (au second degré bien sûr !) la formulation suivante : « Aux personnes de toutes tailles et de tous genres, le Vivant reconnaissant ». À qui le tour ?

Motion de confiance

Mais quelle mouche l’a donc piqué ? François Bayrou est-il devenu fou ? Engager la responsabilité de son gouvernement le 8 septembre, sans majorité et alors qu’aucune motion de censure n’avait été déposée. A-t-il vraiment cru que le Rassemblement national voterait la confiance ? On est dans la droite ligne de la dissolution de l’Assemblée nationale par Jacques Chirac en 1997, ou de celle d’Emmanuel Macron en 2024 ! Qui resteront dans les annales de l’histoire politique française comme les pires bourdes de la Ve République. Après quarante années d’existence en politique, voilà qui s’appelle finir en eau de boudin…

Pétition

Magnifique exemple de la bêtise des partis politiques ! En quinze jours, c’est plus de 1,7 million de Français qui ont signé la pétition de Philippe de Villiers réclamant un référendum sur l’immigration ! Je passe sur la polémique des vraies-fausses signatures. Quelques-uns ont peut-être signé plusieurs fois, mais ça ne change rien au succès de l’initiative du fondateur du Puy-du-Fou. Non, ce qui m’étonne plutôt, c’est la frilosité de certains politiques : Marine Le Pen demande depuis longtemps un référendum sur l’immigration, mais juge inutile de signer la pétition. Pourquoi diable ? Au motif que « tout le monde sait ce qu’elle pense sur le sujet ». Ce n’est évidemment pas le problème ! Quelques caciques du parti signeront quand même, pour ne pas heurter leurs militants… Même chose chez les républicains. Ils avaient en effet déposé une requête pour « redonner la parole aux Français en matière d’immigration » en avril 2024. Demande censurée par le Conseil constitutionnel. Là encore, Bruno Retailleau refuse de signer la pétition quand Laurent Wauquiez revendique de le faire. Pour ennuyer son rival, naturellement. Qu’en pensent les électeurs ? Moi, ça me désespère…

Avantages à vie

Je suis vraiment partagée. L’annonce par Sébastien Lecornu de la fin des avantages à vie des ministres, au moment où les finances de la France sont au plus bas, me semble de bon sens si c’est pour « prouver » aux Français qu’ils ne seront pas les seuls à faire des efforts. Et puis, comme le dit Élisabeth Borne, « la politique est aussi affaire de symboles »… Espérons pourtant que ce ne soit pas la seule mesure prévue par notre nouveau Premier ministre pour rétablir nos finances : les économies réalisées devraient être de l’ordre de 1,5 million (million, pas milliard !) d’euros. À ce train-là, nous passerons en dessous des 3 % de déficit d’ici la fin du troisième millénaire…

Musique

Un pur moment de magie. Une fin d’après-midi ensoleillée. Un cadre idyllique au milieu des arbres. C’est le moment tant attendu de remettre aux élèves d’une école primaire et d’un collège de Béziers les instruments de musique du conservatoire qui leur sont gracieusement prêtés et qu’ils garderont durant trois ans afin de leur permettre de suivre une classe aux horaires aménagés pour apprendre à jouer de la trompette, du saxophone, du violon ou de la flûte traversière… Sans oublier le trombone ou le cor ! Certains enfants sont à peine plus grands que leur instrument. Magique, je vous le disais…

Drapeau, pas drapeau ?

Olivier Faure propose aux maires « de faire flotter le drapeau palestinien » sur les hôtels de ville le 22 septembre, jour de la reconnaissance par Emmanuel Macron de l’État de Palestine. Une bien mauvaise façon… Et un drapeau qui électrise maintenant un pays, la France, qui n’en avait vraiment pas besoin. Pour parler très clairement, Olivier Faure a décidé de doubler Mélenchon sur sa gauche extrême dans sa course à l’électoralisme. Sans même éprouver le début de la moindre gêne… Tout cela pourrait n’être qu’une bête histoire de drapeau si elle n’intervenait pas précisément le jour où le chef de l’État a décidé de reconnaître la Palestine, s’asseyant sur les conditions qu’il avait lui-même posées. Un beau cadeau fait aux assassins-terroristes du Hamas. Et qui plus est la veille de Roch Hachana, le Nouvel An juif, l’une des fêtes les plus importantes du peuple hébraïque. Tout un symbole… Dans le même temps, on apprend dans un sondage IFOP que 31 % des 18-24 ans estiment « légitime de s’en prendre aux Français juifs au nom du conflit à Gaza » ! Effrayant. Sinistre. Atterrant. À Béziers, la bâche qui rappelle le pogrom du 7 octobre 2023 est toujours en place et le 22 septembre, ce sont les drapeaux français qui ont pavoisé la façade de l’hôtel de ville…

Le grand choir

Effondrement de l’Éducation, immigration à jets continus, dette abyssale, cacophonie politique… Beaucoup pensent que la France est foutue et cherchent des coupables. Mais la plupart des crises que nous traversons sont une coproduction gouvernants-gouvernés. Pour avoir une chance de redresser le pays, les Français doivent arrêter de se victimiser et de compter sur l’État-providence.


À qui la faute – les riches, les boomers, les immigrés, les islamo-gauchistes, les technos, l’extrême droite, les fumeurs de joint, les trompettistes ? La quête obsessionnelle de coupables est le symptôme le plus déprimant du malheur français. Face à des difficultés qui paraissent insolubles, on dresse un pilori en place publique et on danse la carmagnole. En dépit de leurs innombrables disputes, une majorité de Français s’accorde au moins à éprouver le même sentiment vertigineux de dégringolade nationale. Certes, le malheur public peut, et heureusement, coexister avec le bonheur privé. Toutefois, si nous sommes presque les champions du monde de la consommation d’antidépresseurs, cela n’est sans doute pas sans rapport avec notre incapacité à penser un avenir collectif. L’animal social ne vit pas seulement de l’amour des siens.

De De Gaulle à Delogu

Sommes-nous foutus ? À la différence d’Éric Naulleau, dont la religion est faite (voir son manifeste foutuiste dans notre grand dossier), nous n’avons pas de réponse claire à la question qui taraude les bistrots, les dîners en ville et les salles de rédaction. Mais nombre de nos concitoyens en sont convaincus, notamment les jeunes diplômés qui vont voir ailleurs.

Contrairement à ce que pensent la plupart des observateurs, la pagaille politique n’est pas la cause mais la conséquence de toutes les autres. C’est notre société fatiguée et éparpillée façon puzzle qui a accouché de cette assemblée ingouvernable et d’élites politiques parfois infréquentables : de de Gaulle à Delogu, on n’a pas baissé de niveau, on a changé de monde. Le reste est à l’avenant. Où que se tourne le regard, comme dirait l’ami Goldnadel, il ne voit que faillites, débâcles et processus que plus personne ne maîtrise. Éducation, immigration, islamisation, économie, dette : tout est à reconstruire.

Commençons par l’École, mère de toutes nos défaites. À l’exception des technos de l’Éducation nationale conservés dans le formol idéologique depuis les années 1970, plus personne ne peut ignorer une destruction dont les conséquences se mesurent désormais dans la population adulte – y compris celle des professeurs. Les ravages de la bienveillance, disséqués par Matthieu Grimpret (dont Jonathan Siksou recense le livre dans nos colonnes), sont tels que, selon une étude de l’OCDE, 28 % des Français éprouvent de grandes difficultés à maîtriser un texte simple.

Viennent ensuite – quoiqu’au moins à égalité dans la gravité – l’immigration et le changement démographique qui saute aux yeux de tout étranger arrivant à Paris après dix ans d’absence. La France n’est plus un pays multiethnique, mais une nation multiculturelle, où comme chez McDo, chacun vient comme il est. Les nouveaux arrivants qui débarquent à jets continus s’ajoutant aux millions de descendants d’immigrés qui n’ont pas tous adopté les mœurs de leur pays d’adoption, les zones de non-France ne cessent de s’étendre. Autrement dit, on se rapproche du point de rupture où les populations autochtones deviendront minoritaires. Nicolas Pouvreau-Monti, qui analyse les données factuelles dans notre numéro ne se risque pas à dire quand ce point de rupture sera atteint. Mais sauf virage à 180 degrés de notre politique migratoire, il le sera.

Inutile de s’étendre sur le front économique et financier, si ce n’est pour rappeler deux chiffres : à la chute du mur de Berlin, la richesse produite par habitant en France égalait 80 % de celle des États-Unis et l’endettement de l’État s’élevait à 35 % du PIB. Aujourd’hui nous sommes tombés à 65 % du PIB américain par tête et avons dépassé les 110 % de dette publique. Alain Minc a raison de dire que le risque d’une tutelle de la BCE n’est pas une fake news, n’en déplaise aux économistes pikettiens qui dominent l’université et les médias.

Les emmerdes, ça vole toujours en escadrille

La plupart de ces catastrophes sont cumulatives: les professeurs formés dans une école au rabais sont de moins en moins capables d’instruire ; plus il y a d’immigrés, moins ils ont besoin de s’intégrer ; il faut emprunter pour payer les intérêts de la dette ; et moins on fait d’enfants, moins il y aura de parents à la génération suivante. Autant de raisons de penser que la décadence est irréversible. Après tout, si les civilisations sont mortelles, peut-être faut-il accepter que la nôtre a commencé son agonie. Pourtant, quelque chose en nous se refuse encore à disparaître. La ferveur de tout le pays lorsque les cloches de Notre-Dame ont à nouveau retenti dans le ciel de Paris, ce n’était pas du chiqué. La France défilant pour Charlie non plus.

La condition du sursaut, en supposant qu’il puisse avoir lieu, c’est de comprendre ce qui nous arrive, et qui tient largement à un cocktail très français d’irresponsabilité et de déni. En se libérant de la légende gaullienne, certes géniale et flamboyante, d’une France victorieuse en 1945 sur laquelle revient Franz-Olivier Giesbert, observateur acéré du théâtre politique (votre notre entretien pages p 52-57 de notre numéro). Et en s’émancipant des mots d’ordre bidon imposés par les élites – l’immigration est une chance pour la France – ou entonnés par le populo – il suffit de faire payer les riches pour conserver le modèle social que le monde nous envie.

Cependant, au pays de l’Etat omnipotent, les commandes au Père Noël ne sont pas toutes exaucées. Si en matière économique et sociale, le pouvoir a, depuis trente ans, cédé presque toujours aux caprices des Français – quand le réel commandait de résister –, il s’est avec constance refusé, avec le plus grand zèle, à écouter les demandes régaliennes et identitaires majoritaires – que le réel aurait dû lui imposer.

En attendant, la plupart de nos concitoyens s’estiment les victimes innocentes de dirigeants incompétents et moralement défaillants alors que vous-et-moi sommes irréprochables. D’où les cris et indignations quand François Bayrou a affirmé que nous étions tous responsables de la dette. C’est pas nous ! C’est le train de vie de l’État ! Certes, mais le train de vie de l’État, ce n’est pas la cave de l’Elysée, c’est ta cousine qui a un job à la communauté de communes, ton père qui est à la retraite depuis trente-deux ans. Nous voyons l’État comme un oncle Picsou à qui il faut arracher son magot. Sauf que l’oncle Picsou, c’est l’autre, qui doit payer donc trimer plus pour que nous puissions jouir de nos droits.

Les bons psychanalystes le savent, personne ne reprend la main sur sa vie en pleurnichant parce que papa et maman lui ont fait tellement de mal. Ce sont les Français qui ont élu avec constance des gouvernants immigrationnistes, européistes et dépensiers. Si nous voulons guérir, il nous faut encaisser un choc de réalité et admettre que la plupart des crises françaises sont une coproduction gouvernants-gouvernés. La bonne nouvelle, c’est que si nous avons participé au désastre, nous pouvons contribuer au redressement.

Manchester: l’inévitable

0

Un homme armé a mené jeudi une attaque terroriste près d’une synagogue de Manchester, le jour de Yom Kippour, tuant deux personnes et en blessant grièvement quatre autres avant d’être abattu par la police. L’attentat, commis par Jihad al-Shami, un citoyen d’origine syrienne de 35 ans, était inévitable dans le contexte politico-médiatique britannique actuel, analyse Jeremy Stubbs.


Manchester est un des grands centres de la vie juive au Royaume Uni. Certes, il y a les quartiers historiques londoniens. D’abord, l’Est de la ville (l’« East End »), où se logeaient et travaillaient les immigrés pauvres, dont beaucoup de tailleurs qui, à leur manière, ont contribué à la mode et à l’élégance britanniques. Ensuite des quartiers plus huppés dans le nord de Londres, surtout le légendaire Golders Green, dont la population, selon le recensement de 2021, était juive à 49,9%. 

Plus importante communauté juive du Royaume après la capitale

Pourquoi la deuxième plus grande communauté se situe-t-elle à Manchester? Les Juifs qui, à la fin du XIXe siècle, fuyaient les pogroms en Russie pour une nouvelle vie en Amérique arrivaient par bateau sur la côte nord-est de l’Angleterre, traversaient le pays et embarquaient à l’ouest, au grand port de Liverpool, sur les bateaux partant pour New York. Certains ont décidé d’arrêter leur voyage et de rester dans le nord-ouest anglais, surtout à Manchester. Déjà, à la suite de la Révolution industrielle, quand la croissance explosait dans cette ville, la famille Rothschild était présente. Mais c’est la grande vague migratoire vers l’ouest qui a créé la deuxième communauté juive après Londres, dont l’épicentre se trouve à Prestwich, aujourd’hui un quartier nord de Manchester. C’est juste à l’est de cette banlieue, à Crumpsall, qu’a eu lieu l’attaque de la synagogue hier.

Tout a dû être soigneusement calculé. L’attentat a frappé les Juifs anglais au cœur d’un centre historique et le jour de la plus grande fête juive de l’année. Le message est clair : vous n’êtes en sécurité nulle part et la haine vous poursuivra indéfiniment. Le fait que cet acte intervienne à un moment où un processus de paix pourrait peut-être aboutir n’est pas anodin : quoi qu’il arrive, vous n’aurez pas la paix. Enfin : la démocratie et l’Etat de droit ne peuvent pas vous protéger, car vos ennemis font fi de ce qu’ils considèrent comme des Tigres de papier…

A lire aussi, Gil Mihaely: Israël-Hamas: qui perd gagne?

Faut-il renforcer la sécurité autour des synagogues et des autres centres de la vie juive? Mais elle est déjà renforcée et depuis longtemps ! Des mesures ont été prises bien avant le 7-Octobre. C’est justement ce qui a sauvé la synagogue dite de Heaton Park située à Crumpsall. L’action héroïque des gardiens et des fidèles a fermé les lieux à l’assassin armé d’un couteau et portant un engin explosif qui s’est révélé plus tard être factice. 

À l’heure où j’écris ces lignes, le mobile de l’assassin, tué par des policiers armés sept minutes après le début de son attaque, n’a pas encore été déterminé. Mais les autorités ont immédiatement déclaré qu’il s’agissait d’un acte terroriste. L’identité de l’homme, Jihad Al-Shami, un citoyen britannique de 35 ans arrivé enfant de sa Syrie natale, suggère qu’il ne s’agit pas d’un complot d’extrême-droite. Il n’était apparemment pas connu des agents antiterroristes. Agissait-il seul, ou avait-il des complices? Trois personnes demeurant dans la localité ont été arrêtées. S’agit-il d’un acte isolé ou est-ce le prélude à une vague d’attentats? On attend toujours les réponses à ces questions.

Atmosphère lourde

Selon le grand rabbin du Royaume Uni, Sir Ephraim Mirvis, les Juifs du pays espéraient qu’un tel événement n’arriverait jamais mais savaient, au fond d’eux-mêmes, qu’il était inévitable. Et il faut dire que l’atmosphère – au sens de Gilles Kepel – était malheureusement propice. Juste après minuit, le 2 octobre, à Londres, une manifestation spontanée a réuni une centaine de militants propalestiniens qui ont marché jusqu’à la résidence du Premier ministre au 10 Downing Street, en scandant des slogans comme « Il n’y a qu’une seule solution : intifada, révolution! » Ils brandissaient des drapeaux palestiniens et au moins une bannière accusant Keir Starmer d’être un « criminel de guerre ». Les forces de l’ordre, si promptes et efficaces à Manchester, après qu’un attentat a commencé, n’ont rien fait à Londres. Et quelques heures après l’horreur de Manchester, les manifestants étaient de nouveau devant Downing Street, l’un d’entre eux criant: « Je me moque de la communauté juive en ce moment! » (L’original en anglais était beaucoup plus grossier). 

A lire aussi, Driss Ghali: New York rend fou!

Faut-il énumérer tous les cas où les autorités ont fait preuve de complaisance envers les militants propalestiniens au langage le plus violent ou d’inefficacité dans la poursuite judiciaire des infractions ? Au mois de février, un homme a brûlé un Coran devant le consulat turc à Londres. Il a été condamné à une amende presque comme s’il était coupable d’un délit de blasphème. On vient d’apprendre que l’homme qui est sorti du consulat pour le tabasser en le menaçant d’un couteau n’a écopé d’une courte peine de prison avec sursis… Au mois d’août, le chanteur du groupe nord-irlandais Kneecap a échappé à un procès pour apologie de terrorisme à cause d’un vice de forme. Le duo « punk-rap » Bob Vylan continue impunément à scander sur scène des slogans comme « Mort à Tsahal » et même « F** the fascists! F** the Zionists! Go find them on the streets! » – c’est-à-dire, « allez les trouver dans les rues ».

Aujourd’hui, trois citoyens britanniques se trouvent à l’hôpital dans un état grave, et deux autres, Adrian Daulby, 53 ans, et Melvin Cravitz, 66 ans, ont payé de leur vie cette « atmosphère ».

Agnès Desarthe: conte providentiel

Où l’on apprend, à la fin du livre, grâce aux remerciements, qu’Agnès Desarthe, qui a beaucoup écrit pour les enfants mais pour les adultes aussi – et je me souviens avec émotion de L’année de leur chance –  fait partie d’un orchestre d’harmonie pour lequel elle a écrit ce roman qui s’en inspire…


« C’est un hiver où rien ni personne ne doit mourir. Les rosiers continuent de porter des fleurs, plus chétives qu’au printemps, moins parfumées qu’en été, aux pétales décolorés presque transparents. Les framboisiers laissent pendre leurs petits visages rouges, comme honteux, sous les feuilles recourbées. »

J’avais déjà lu ce paragraphe lorsque je le retrouvais quelques pages plus loin. Je crus à une erreur de typographie, puis je compris que ce passage, augmenté d’un autre paragraphe, reviendrait telle une scansion musicale, autant de fois qu’il le faudrait pour introduire tous les personnages. Mais avant cela (et c’est ce qui explique la première phrase), le narrateur nous invite à un conseil municipal cocasse où le maire se désole car le cimetière est plein comme un œuf, comme dirait Georges Brassens, et on ne peut plus y enterrer personne. Certes, on peut regrouper les os, mais on peut aussi s’abstenir de mourir, ou, plus exactement, revenir à la vie.

Fil rouge

Et c’est ce que feront tous les personnages de ce conte qui emprunte moins au merveilleux qu’à la Providence ; comme si un fil rouge les reliait tous, afin que chaque rencontre soit l’occasion d’une résurrection. Ici, nul prince ni bergère ; nous sommes plutôt dans la France rurale ou dite périphérique d’aujourd’hui, et les personnages sont tous passablement cabossés et acquis aux besognes les plus humbles. Fossoyeur, maçon, dame qui s’occupe des petits à la garderie, dame qui fait le ménage à l’école etc.

A lire aussi: Après Maigret, Philibert tend un piège

Le fil rouge et le centre de gravité : l’orchestre d’harmonie, qui regroupe gens du village et du voisinage. Tous ne connaissent pas forcément le solfège, mais tous y participent à leur manière. Y compris Matis, le gosse insupportable : « Avant, quand sa mère l’emmenait écouter l’harmonie, il se bouchait les oreilles parce qu’il y avait trop de notes qui fonçaient sur lui de partout. » Heureusement, il y a un instrument qui trouve grâce à ses oreilles et qui sauvera la vie de celui qui en joue lorsque Matis saura en restituer le son au moment opportun. Et Raoul, qui allait se pendre, se retrouve avec un môme qu’il tient par la main, Raoul dont la mère était soi-disant grosse, d’après les gens, alors que lui ne la voyait pas comme ça. « Et ce n’était pas seulement son visage qui était beau, son corps aussi, qui était comme un bloc, tellement énorme qu’on avait l’impression que le tissu de la robe allait craquer. Les autres mamans n’étaient pas comme la sienne. On voyait leurs os en bas du cou, et aux poignets et aussi aux chevilles. Sa mère, c’est comme si elle n’avait pas eu d’os. Tout était courbe et ça tenait en place, c’était solide. Pas besoin de squelette. Les fleurs de la robe étaient étirées au maximum et ça aussi, c’était beau. »

Agnès Desarthe nous fait entendre une langue d’enfance où l’ironie méchamment apprise n’est plus de mise. On retourne en arrière, on apprend à regarder avec des yeux plus élogieux. On retrouve aussi les grandes amitiés des jeunes années : « Lorsque Goneril était avec Madeline, elle était emplie de miel. Elle était plus belle et plus intelligente. Elle était spirituelle et raffinée. Ensemble, elles choisissaient un endroit, dans leur quartier, derrière le collège, dans la forêt où les familles allaient pique-niquer le dimanche, et elles inventaient leur vie, leur vie future, à partir de là, c’est à dire à partir de rien. Il leur fallait d’abord construire une maison, puis ouvrir une boutique (les jours où elles s’imaginaient vendant des savons artisanaux), un restaurant (quand elles se voyaient cuisinières), une ferme (quand elles décidaient de devenir éleveuses)…  A deux, elles pouvaient tout inventer et elles pouvaient tout vivre. Leurs phrases commençaient souvent par : « Et là, il y aurait… » »

On aurait dit que…

Fabuleux conditionnel de l’enfance avec son « on aurait dit que… » L’acuité à la langue et aux sons, on l’aura compris, est absolument primordiale. Et il arrive que parfois la langue sonne faux et que l’enfant l’entende particulièrement : « Tout ce qu’elle dit, ça m’énerve. Je ne sais pas ce qu’elle trafique avec sa voix, mais même quand j’ai mon casque sur mes oreilles et la musique à fond, je l’entends me parler. Sa voix est comme un serpent qui se faufile partout. » En revanche, la phrase heureuse délivre de l’humeur mauvaise en une seconde : « C’était comme si, pour la première fois, j’entendais une parole juste. »

A lire aussi: Catherine Millet, une mère en images

Cette langue ne dit pas que l’enfance, elle dit aussi les rencontres amoureuses, l’intensité, l’exaltation, la vie augmentée avant que les ennuis commencent ; mais qu’à cela ne tienne, elles feront retour des années plus tard pour renaître autrement. Ainsi, de boucle en boucle, tous les personnages voient la vie refluer vers eux et leur donner une seconde chance. Avec, toujours au centre, l’orchestre d’harmonie qui porte merveilleusement son nom puisqu’il permet à chacun de trouver sa note enfin juste et ce faisant, sa juste place.

L’oreille absolue d’Agnès Desarthe, éditions de l’Olivier, 2025 144 pages.

L'Oreille absolue

Price: 19,50 €

13 used & new available from 13,50 €

Défilé Etam à la Fashion Week: que font les néo-féministes?

0

Etam : une belle réussite française et le retour en grâce du glamour


À la lecture du programme TV de ce mardi 30 septembre, j’ai su immédiatement que celui-ci n’allait déclencher aucun débat, ni en mon for intérieur, ni avec mon conjoint. Regarder la présentatrice Elise Lucet s’acharner sur l’entreprise Peugeot dans un nouveau numéro de Cash Investigation ou suivre l’édition 2025 du défilé de lingerie Etam au Palais Brongniart: mon choix fut vite fait. Il faut dire que je n’ai jamais aimé ceux qui ne faisaient pas dans la dentelle.

Frou-frou, frou-frou, par son jupon la femme…

Au-delà de l’image de lingerie accessible et populaire que nous en avons, rappelons que le groupe Etam est avant tout une belle réussite à la française : une implantation dans 57 pays, 1 391 points de vente et 5 656 collaborateurs pour un chiffre d’affaires de 891M € en 2024, le tout au sein d’une entreprise familiale. Autant dire que, dans le milieu de la lingerie internationale, si Etam ne fait pas les tendances, il en est souvent à l’avant-garde. Le spectacle d’une vingtaine de minutes marquait la 18e participation de la marque à la Fashion Week parisienne. Sa diffusion télévisuelle en direct contribue à l’image d’accessibilité que le groupe cultive, bien loin du milieu de la haute couture dont il emprunte pourtant les codes pendant cet événement.

A lire aussi: Ces dames à l’heure du Tea

Une voix sensuelle digne du Crazy Horse annonce le début du show. La salle se teinte de rose avant l’arrivée millimétrée des mannequins, grandes, minces, aux jambes interminables. Dès le début, le ton est donné. Du rouge, du rose, des talons aiguilles, des froufrous, de la dentelle, des porte-jarretelles, de la transparence : les non-initiés n’y verront que les marqueurs traditionnels d’un défilé de lingerie. Et pourtant. Tout cela avait disparu des podiums depuis plus de cinq ans, bannis par le néo-féminisme, sacrifiés sur l’autel de la diversité et de l’inclusivité. On faisait alors l’éloge de la lingerie dite « confortable » et des corps différents, quitte à frôler parfois l’apologie de l’obésité. Il était question de no-bra : les jeunes femmes reléguaient leur soutien-gorge, vil objet d’oppression patriarcale, au fond du placard, faute d’oser le brûler à l’instar de leurs grand-mères dans les années 60. La marque américaine Victoria’s Secret, connue dans le monde entier pour ses anges (mannequins ailées), avait ainsi renoncé aux défilés dès 2019 suite à de trop vives critiques sur le manque de diversité. Au-delà des tendances lingerie, c’est donc le reflet de la société actuelle et de ses récentes évolutions qui nous sont donnés à voir lors de ses événements.

Musique: peut mieux faire !

Plus qu’un défilé, c’est un véritable show que nous a offert Etam avec une scénographie soignée, des jeux de lumières et des prestations d’artistes en direct, notamment la rappeuse française Théodora qui semble s’inscrire dans la lignée d’Aya Nakamura. Je regrette de n’avoir rien compris aux paroles de sa chanson tant sa participation à cet événement semblait galvaniser les foules. Une brève apparition de la Tiktokeuse française Léa Elui défilant dans une magnifique guêpière a enflammé les réseaux sociaux. Pour ma part, je découvre son existence et son audience de plus de 10 millions de personnes sur Instagram. Depuis toujours, la marque cible les jeunes générations.

A lire aussi, du même auteur: Ultra fast-fashion: fin du game?

Tout occupée à me pâmer d’admiration devant un bustier aux seins coniques, je me suis tout de même résolue à aller voir les réactions sur X.
En voici un florilège : « Des femmes en sous-poids forcées par l’industrie de la mode à le rester et les sous-vêtements inconfortables, on arrête de les célébrer, non ?»,« Un comeback du sexisme »,ou encore« Est-on vraiment en 2025 ? ».
Le retour en grâce du glamour et de la séduction ne fera pas que des heureuses.
Aux États-Unis, les anges de Victoria’s Secret feront également leur retour dans quelques semaines pour un gigantesque show.

La pluie de pétales de roses, qui marque la fin du défilé, semble définitivement enterrer le mouvement body positive. Certaines avaient à l’époque hurlé à la révolution. Ce n’était finalement même pas une révolte, tout au plus un effet de mode dont le défilé Etam vient de sonner le glas.


Bécassine n’est pas inclusive

Moins de 200 000 manifestants recensés en France le 2 octobre par les autorités: une mobilisation presque confidentielle pour un mouvement national. Les professeurs en particulier ont préféré «sécher» la grève. Cette corporation, qui vote massivement à gauche depuis des décennies, ne savait visiblement pas très bien pour quelle noble cause battre le pavé cette fois-ci.


Dans le Parisien d’hier matin[1], une professeur des écoles dit ne pas vouloir faire grève car les raisons avancées sont trop vastes, voire trop vagues et qu’elle n’y retrouve pas les nécessités de son métier.

Elle voudrait donc qu’on circonscrive les revendications à des objectifs plus spécifiquement scolaires, pense-t-on. Eh bien non ! Elle déplore qu’on ne parle pas et qu’on ne manifeste pas pour «  l’inclusion ». Comme si ce terme désignait quelque chose de plus précis d’une part, et comme s’il désignait un problème typiquement scolaire d’autre part !

Il s’avère que deux histoires me furent racontées dernièrement au sujet de la dite inclusion. D’abord, et comme le souligne à maintes reprises Jean-Claude Michéa, il faut savoir que la plupart des réformes sociétales cachent une décision économique qui ne va pas de soi. Ici, le budget rétréci pour les hôpitaux de jour ayant vocation à accueillir des enfants en difficulté psychique. On supprime des moyens d’un côté, et on trouve la solution en demandant à des professeurs n’ayant aucune formation dans ce domaine, et n’ayant pas a priori à en avoir puisque leur métier ne consiste pas à s’occuper de ces enfants-là, de les accueillir dans leurs classes.

A lire aussi: Alain Minc: « Il n’y a toujours pas d’alternative »

Un professeur d’histoire-géographie m’a raconté son expérience sur deux ans. Ne sachant absolument pas quoi faire de l’élève qui lui fut confié, il fit cours aux autres comme il avait l’habitude et le devoir de le faire, et l’élève resta en rade sur sa chaise l’année durant. Deux fois de suite, il connut cette situation absurde qui culmina dans la proposition que fit un collègue qu’on manifestât pour plus de moyens… pour l’inclusion. Pour le coup, l’intersectionnalité ici aurait eu du bon si elle avait inspiré une toute autre manifestation ; à savoir celle qui aurait accompagné le corps hospitalier pour qu’il récupère les moyens de s’occuper des enfants dont il avait la charge jusqu’à présent. Mais je suppose que cela l’aurait fichu mal, qu’on aurait crié à la discrimination, comment ça, sont contre l’inclusion, sale engeance etc.

La deuxième histoire concerne mon petit-fils aîné qui fait sa scolarité au fin fond de la Bretagne et qui a connu lui aussi deux années de suite les effets de l’inclusion à marche forcée. Nous sommes en primaire et deux enfants en difficulté psychique accompagnés chacun d’un AESH (accompagnateur d’enfant en situation de handicap) n’écoutent ni le professeur ni l’AESH, perturbent le cours à longueur de journée, infligeant aux autres enfants un bruit et une fatigue dont personne ne veut entendre parler. C’est toujours cette préférence pour la minorité dont la majorité fait les frais qu’on privilégie. En outre, on peut se demander en quoi le coût d’un AESH  par enfant revient moins cher qu’un budget conséquent pour des professionnels en hôpital de jour…

Était-il si difficile d’imaginer l’inclusion autrement ? Etait-il à ce point difficile de penser à des activités communes, à des sorties communes, à des rencontres sur certains thèmes ou durant des voyages ? Afin que des enfants ne pouvant suivre la scolarité habituelle puissent rencontrer leurs congénères et nouer des liens avec eux. Ainsi, chacun aurait pu bénéficier de l’enseignement qui lui convient tout en profitant de moments partagés. Il est étonnant de s’apercevoir que le mantra qui, de nos jours, fait de la différence la valeur absolue soit noyé dans une inclusion qui veut l’effacer à tout prix…


[1] https://www.leparisien.fr/societe/a-quand-une-greve-qui-ne-soit-pas-fourre-tout-pourquoi-les-profs-ne-se-mobilisent-pas-02-10-2025-JH2OG4UDLBFQRCWFKRK5NK76MA.php

Adam Szetela: Quand la sensiblerie étouffe la littérature

Dans son essai That book is dangerous !, Adam Szetela analyse comment, aux États-Unis, la littérature jeunesse est de plus en plus soumise aux pressions de la « sensiblerie », où diversité, sensitivity readers et panique morale transforment l’écriture et l’édition. La censure alimente et renforce les stéréotypes identitaires qu’elle pense combattre.


Le journaliste Adam Szetela a obtenu son doctorat de littérature anglaise à Cornell University. Son livre porte en exergue cette citation de Ray Bradbury dans Farenheit 451 : « Il y a plus d’une façon de brûler un livre. Et le monde est plein de personnes se précipitant pour le faire, une allumette à la main ». Il se fonde sur des entretiens avec des auteurs, des éditeurs (the Big Five), des agents littéraires, des patrons de librairies et des sensivity readers, pour la plupart sous garantie d’anonymat. Des professionnels consacrés aussi bien que des débutants. Il examine avec eux ce qu’est devenue la littérature aux États-Unis, tout particulièrement celle destinée aux enfants et aux jeunes adultes (13-18 ans), à l’ère de la sensiblerie (ma traduction de « Sensitivity Era »).

Les idées à l’ère de la sensiblerie

La diversité : Avec l’émergence de Twitter (X aujourd’hui) en 2006, la question de la diversité a envahi les échanges sur la littérature pour enfants et jeunes adultes. C’est en partie dû à l’apparition de mouvements tels que #BlackLivesMatter et #YesAllWomen. Certains hashtags comme #WeNeedDiverseBooks, apparu en 2014, sont devenus viraux. Les éditeurs ont alors pris conscience de l’existence d’un marché pour ces livres. L’appel à la diversité concerne aussi bien les auteurs que leurs personnages. #OwnVoices met l’accent sur la nécessité de disposer d’auteurs de même identité[1] que leurs personnages.

La sensiblerie : À l’ère de la sensiblerie, on recrute des sensitivity readers qui ont eux aussi leur hashtag, lequel a eu pour effet de générer des entreprises fournissant des sensitivity readers chargés d’évacuer tout ce qui pourrait heurter le lecteur, sur toutes sortes de sujets. À Riptide Publishing, on exige des auteurs mettant en scène des caractères d’une autre identité que la leur qu’ils aient consulté un sensitivity reader avant de jeter un œil sur leur texte.

L’essentialisme : Le sensitivity reader se voit comme une sorte d’ambassadeur culturel de sa race, sa sexualité… En fait, il perpétue l’idée qu’il y aurait des façons authentiques d’être noir, gay, trans… Le sensitivity reader est payé pour faire entrer des personnages fictifs dans des catégories fictives de la race qui pérennisent ainsi l’exotisation et les stéréotypes. Pour l’historien Touré F. Reed, c’est une manière de conforter les stéréotypes racistes. Finalement, pour être libérés de cette obsession, les auteurs auraient intérêt à raconter des histoires sur des mâles blancs hétéros. Si l’on se réfère au Smithsonian National Museum of African American History and Culture, la culture blanche serait caractérisée par des qualités (pensée rationnelle et objective, relations de cause à effet, politesse, horaires rigides…) absentes chez les noirs ! Cet essentialisme se propage au nom de l’authenticité. Ainsi, JK Rowling aurait-elle écrit un livre sur des filles dans des corps masculins. D’où le succès d’Harry Potter auprès des filles.

A lire aussi: Assassinat de Charlie Kirk, le point de bascule

Le présentisme : Il réduit l’univers des auteurs non seulement à leur identité, mais aussi à leur époque. D’où l’épuration des auteurs anciens dans les programmes et les bibliothèques publiques. Pour Adam Szetela, les enseignants qui veulent voir Shakespeare éjecté des programmes ne diffèrent guère des enseignants chinois maoïstes. Lorsque les auteurs anciens sont maintenus, leur lecture devient un jeu de repérage des stéréotypes de leur époque. Comme l’écrit Adam Szetela, c’est comme dire d’Einstein qu’il avait deux jambes. Ironiquement, ces critiques sur le canon occidental sont… occidentales. Il y a une certaine condescendance à juger qu’un étudiant né dans une famille pauvre serait heurté par la littérature classique. Ce genre de condescendance rend les enseignants plus protecteurs et les jeunes plus fragiles. Les cibles de l’éviction d’auteurs anciens sont « typiquement des auteurs morts qui ont accompli ce dont les autres écrivains ne peuvent que rêver ». Alors que beaucoup d’écrivains célèbrent leurs prédécesseurs, « c’est eux-mêmes que les prophètes du présentisme célèbrent ». En 2023, Penguin Random House annonça qu’il allait ajouter des centaines de changements supplémentaires à Charlie et la chocolaterie de Roald Dahl, par rapport à ceux de 1988. « Il n’y a pas d’interrupteur pour arrêter le tapis roulant du présentisme ».

L’expertise : L’expérience personnelle est élevée au-dessus de l’expertise professionnelle. Mais un Noir, par exemple, s’il est conservateur ou seulement modéré, ne sera pas forcément considéré comme un expert. Au pire il sera accusé de racisme intériorisé. Cette vision de l’identité comme gage d’expertise force des auteurs, contre leur gré, à s’identifier d’une certaine manière et amène à des « outings » gênants.

Les comportements à l’ère de la sensiblerie

Paniques morales du passé : Dans les années 1940-50, les bandes dessinées suscitèrent une peur et une hostilité disproportionnées par rapport à la menace. Après que le Sénat américain eut constitué un sous-comité sur la délinquance juvénile, les éditeurs s’imposèrent des normes en fondant une Comics Code Authority. Il y allait du bien-être des enfants. En 1954-56, plus de la moitié des BD en kiosque disparurent. La croisade morale se déplaça ensuite sur la TV.

Paniques morales d’aujourd’hui : Avec Twitter (2006) et GoodReads (2007), une nouvelle croisade morale entreprit de purifier les livres pour enfants et jeunes adultes du racisme, du sexisme, de l’islamophobie… Ainsi, A place of Wolves sur la guerre au Kosovo (2019), dans lequel le vilain était un musulman albanais conduisit son auteur Kosoko Jackson à s’excuser sur Twitter. Il arrive que des campagnes de dénigrement soient lancées sur des livres que personne n’a encore lu. Mais il n’y a pas de pardon, même après la confession et les excuses de l’auteur. En fait, la question morale ainsi soulevée ne tient qu’aux centaines de like et retweets. Certains disent détester des livres qu’ils n’ont pas lus et mettent des notes si basses qu’elles dissuadent de les lire. Une censure de la part d’Amazon, vu sa taille sur le marché, équivaut à rendre un livre inaccessible. Éditeurs et auteurs sont obligés de s’incliner devant Amazon, entreprise qui, elle, devra s’incliner devant ceux qui déclenchent des paniques morales. Farenheit 451 publié en 1953 fut réécrit par l’éditeur en 1956, à l’insu de Ray Bradbury, par « peur de contaminer la jeunesse ». Ce fut la seule version imprimée en poche disponible jusqu’à ce que l’auteur en soit averti par des étudiants six ans plus tard.

Structure de la panique morale : Une panique morale survient quand les gens perçoivent une menace sur la société. Avec la BD, ce fut la hausse des arrestations de mineurs, relayée par la presse. Aujourd’hui, c’est la menace qui pèserait sur les minorités. La panique morale s’en prend à des cibles qui ne sont pas responsables des menaces détectées. Ainsi, la littérature jeunesse développerait l’intolérance et les traces d’intolérance qu’elle contient sont prises comme des éléments de preuve. « Les critiques littéraires prétendent être des psychologues capables de diagnostiquer ce qui se cache dans l’esprit des auteurs, des lecteurs et même des personnages de fiction » observe Adam Szetela ! Pourquoi cette fixation sur les livres quand les réseaux sociaux ou la filmographie sont des supports de rechange ?

La panique morale recourt au concept de contagion morale. Les agents littéraires eux-mêmes sont inquiets d’être contaminés par association. Des éditeurs en sont réduits à inclure des clauses morales dans leur contrat les protégeant en cas de découverte, après publication, d’un comportement répréhensible de l’auteur. La panique morale réduit la littérature à un outil didactique. Si l’ère de la sensiblerie persiste, ce sont les livres didactiques qui ont les meilleures chances de survivre à l’abattage. Lequel s’applique aussi aux livres pour adultes. Mettre en scène un raciste sans être catalogué raciste devient difficile. Les acteurs des croisades morales s’identifient à des Diversity Jedi. La métaphore du Jedi dit bien la lutte sans merci qu’ils engagent dans leurs combats et qui peut aller jusqu’au retrait du livre. En effet, le succès d’un livre a une composante sociale.

Les premières critiques de personnes influentes sont déterminantes et ont un effet boule de neige. L’internalisation de la possibilité d’une punition publique peut amener les auteurs à appliquer des normes auxquelles ils sont opposés. Comme tout guerrier d’une croisade morale le sait, le nombre fait la force. La croisade peut commencer avec des commentaires de lanceurs tout à fait ordinaires qui, lorsqu’ils sont repris par des personnes d’importance et connues, mettent le feu.

La « novocaïne linguistique[2] » : Une escalade verbale dans la sensiblerie peut frapper un écrivain de la « diversité » lui-même jugé pas assez « divers ». Par exemple s’il raconte une histoire de gays en oubliant la présence de trans. C’est en punissant ceux qui sont déclarés immoraux que l’on affiche sa haute moralité avec un risque d’autoradicalisation, caractéristique du comportement grégaire. Il y a toujours, sur les réseaux sociaux, des personnes extérieures à l’enjeu d’une querelle mais en manque de reconnaissance qui vont s’immiscer et en rajouter.

Bien que faisant partie des écrivains de langue anglaise les plus populaires, JK Rowling, accusée de tous les travers à la mode, est devenue le punching-ball de la croisade morale en littérature. On a même brûlé ses livres. Si elle peut ignorer les brûleurs de livres, ce n’est pas le cas des auteurs débutants.

L’économie politique de la sensiblerie

L’aveuglement aux différences sociales : Les âmes sensibles d’aujourd’hui privilégient les identités aux inégalités économiques. Ces dernières ne semblent pertinentes que si elles relèvent de différences identitaires. Un enfant noir est censé s’identifier à un Noir plutôt qu’à un Blanc de même classe sociale.

Comme l’écrit Adam Szetela, cet engouement pour la diversité chez les intellectuels leur permet de parler de justice sociale sans parler des (et aux) pauvres et sans avoir à évoquer leur avantage financier. Il est plus facile d’exclure la classe sociale en laissant croire que tout finira par s’arranger lorsque les biais auront disparu grâce aux séminaires de redressement moral et aux confessions publiques. Les Blancs qui dominent chez les éditeurs et les agents littéraires et qui dénoncent le privilège blanc ne se précipitent pas pour céder leur place à un candidat de la « diversité »…

Ceux qui définissent les usages linguistiques sont aussi ceux qui ont les moyens et font la leçon aux autres. Ainsi « sans-abri », jugé offensant, est remplacé par « logement précaire ». L’humoriste John Laster a proposé, lui, « poignée de porte déficiente ». Ce n’est pas qu’une question de livres mais aussi de présentation de soi.

A lire aussi: Les ravages du wokisme, d’Ali Baddou au festival de Cannes

Les entrepreneurs de morale de la gauche : Ce sont, d’après la définition de Howard Becker, des gens qui ont la possibilité d’améliorer leur statut après avoir conduit une croisade morale. On a tendance à supposer que le succès d’une poignée de « représentants de la diversité » va ruisseler. Pourtant, ce qui reste important est de savoir qui a une place à la table où sont signés les contrats lucratifs. D’après Adam Szetela, la meilleure chose qui soit arrivée à Ibram X. Kendi est la mort de Georges Floyd. « Kendi devrait intituler son prochain livre Comment devenir un capitaliste », après avoir écrit Comment devenir antiraciste. En 2024, pour assister à sa conférence à Boston sur « How to Raise an Antiracist », il fallait payer au moins 61$ (premier prix du billet). Penser que seuls des adultes noirs pourraient écrire des livres sur les enfants noirs, c’est croire à une cognition séparée.

Certains universitaires indiquent leur nombre d’abonnés Twitter dans leur CV, ce qu’exigent aussi certains éditeurs lors d’une proposition de livre. Plus des écrivains sont humiliés publiquement, plus le recours aux sensitivity readers se généralise et plus les éditeurs chercheront à se montrer vertueux en allongeant les biographies éloquentes sur les couvertures.

Les entrepreneurs de morale de la droite : Après l’arrêt de la publication de six livres « dangereux » du Dr Seuss et leur retrait en librairie, des conservateurs sont entrés dans la bataille. On a ainsi vu Kevin Mc Carthy, alors président de la chambre des représentants, diffuser une vidéo de lui en train de lire l’un de ces livres. Alors que les entrepreneurs de morale de gauche expliquent que la cancel culture est une invention de suprémacistes blancs, les conservateurs cherchent à répondre aux électeurs qui veulent être libérés des contraintes du politiquement correct. Politiquement correct, qui, en dépit de ses mésusages, apporte aux gens le langage pour mettre en lumière un problème social. Si Philippe Nel a cherché à redéfinir la censure – la cancel culture ne serait, en fait qu’une healing culture – l’enquête du Morning Consult en juillet 2021 a montré qu’une majorité d’Américains en avaient une vision négative, même chez les plus jeunes (59% chez les 13-16 ans). Il n’est pas étonnant que les Républicains aient saisi cette opportunité. Adam Szetela y voit la possibilité d’un retour de flamme évoqué par Timur Kuran : l’opinion privée, cantonnée à la clandestinité, se durcit et trouve des porte-parole éloquents. C’est le cas d’Andrew Doyle, qui s’est fabriqué un double woke sur Twitter – Titiana McGrath – et qui compte 700 000 abonnés. Si les conservateurs, motivés par la nostalgie, se battent aussi pour faire censurer les livres qu’ils n’aiment pas, la droite dévore rarement les siens. Ses actions n’ont pas fait plier les éditeurs. Cependant, comme l’a prouvé le succès de Jordan Peterson, « les grands éditeurs ne sont pas prêts à sacrifier des bénéfices gargantuesques » et il arrive que les manœuvres hostiles à la publication d’un livre se retournent en opération publicitaire.

Les campus, épicentre du développement de la sensiblerie

C’est là que sont formés la plupart des écrivains.

La fragilité et les sentiments projetés sur les gens de couleur et formulés dans le langage du soin règlementent ce qu’ils peuvent faire et dire. L’alliance des Blancs et des Noirs des années 1960 a évolué vers une institutionnalisation de névroses, avec des Blancs qui volent au secours des Noirs en les faisant passer pour des faibles et des idiots et demandent à ces derniers de s’en délecter. C’est une forme de « racism of low expectations » (John McWorter). La prolifération de guides visant à protéger contre tout risque d’être heurté dans n’importe quel segment de la population a conduit les éditeurs à trouver refuge dans une littérature « anodine ». Cette croisade morale dans la littérature a traversé l’Atlantique en raison de « l’impérialisme culturel » des États-Unis.

Parce que les croisés de la morale ont tendance à voir, dans les livres qui leur déplaisent, une violence comparable à la violence physique, ils considèrent cette dernière comme une réponse appropriée à ces livres.

Comment en sortir ?

Parmi les croisés de la morale qui sévissent sur les réseaux sociaux certains ne supporteraient pas que l’on brutalise ainsi un de leurs proches. Philippe Rochat parle d’« acrobatie morale » pour décrire cette aptitude à changer de codes moraux selon les situations. Par ailleurs, une étude menée à Yale a montré que les gens sont plus sensibles aux arguments d’experts qui partagent leurs valeurs.

C’est pourquoi, ce sont ceux qui ont les « bonnes identités » qui sont les mieux placés pour mettre fin à la panique morale actuelle. Pour que le mouvement pour une littérature plus diversifiée et plus sensible perdure, il devra cesser d’exclure les personnes qui veulent écrire ou lire les livres qui dérangent ses affiliés…

The MIT Press, 288 p., août 2025
Cet article a été publié sur le blog de Michèle Tribalat.


[1] Le terme identité est compris ici comme correspondant aux assignations identitaires de l’époque.

[2] Expression de J. Dan Rothwell.

Le prince et le pauvre

0
Ryohei Suzuki et Hio Miyazawa dans le film "Egoist" de Daishi Matsunaga © Art House Films

Homosexualité. Quand Nicky Larson ne-craint-personne vire sa cuti.


Kosuke, ravissant model boy nippon, propre sur lui, soigne son apparence physique et sa mise vestimentaire tout autant que le design de son confortable loft tokyoïte, qui témoigne d’une belle aisance financière. Le jeune égotiste se choisit un jeune coach sur internet. Pousser de la fonte crée du lien, comme on sait : ils finissent par coucher ensemble – on s’en doutait un peu. Mais sur cette base un peu lisse, la romance va bifurquer de façon beaucoup moins attendue…

Daishi Matsunaga, cinéaste venu du documentaire, fait preuve en effet d’un rare talent pour que Egoist échappe de la sorte à l’estampille du film communautariste LGBTQIA+  – dépassant ainsi de loin les limites assignées à cet acronyme imprononçable (et que votre serviteur, entre parenthèses, a toujours trouvé grotesque).

Quoiqu’il en soit, ce serait dommage de vous déflorer l’intrigue. On se contentera donc de préciser ici que les deux héros du film sont issus de milieux sociaux différents : Kosuke était encore adolescent quand sa mère est morte, et son père veuf, du fond de sa campagne, ignore tout de l’homosexualité de son fils unique ; quant à Ryüta, le coach, autodidacte déscolarisé de bonne heure, il subvient par des moyens inavouables aux besoins de sa mère désargentée, laquelle occupe seule un modeste logis dans un quartier périphérique de la capitale.

A lire aussi, du même auteur: Road movie dans l’Iran des mollahs

Entre les deux garçons, l’idylle amoureuse et sensuelle, sujette à un certain nombre de retournements (au propre comme au figuré), donnera bientôt lieu à toute une suite de dons et de contre-dons (matériels et symboliques) qui, dans la dernière partie du film, engagera jusqu’à la mère de Ryüta, échanges dans lesquels se seront révélées, de proche en proche, les personnalités des trois protagonistes…

Quoique les scènes de cul (c’est le cas de le dire) soient montrées tout au long de façon très explicite par un réalisateur qui connaît manifestement son affaire, une grande douceur, voire même une pudeur infiniment délicate émane de cette fausse bluette homo, aux ellipses pleines de sens, pour tendre à un discours plus universel sur l’oubli de soi et le sacrifice de son ego. Si, comme disait l’autre, les histoires d’amour finissement mal en général, celle-ci en particulier, par antiphrase à l’énoncé du titre, décrit le parcours surprenant du dévouement et de la bonté. En outre Egoist développe avec une acuité, une sensibilité inattendue, au prisme d’un drame passionnel homo croisé d’observation sociologique, un regard singulier sur les mœurs du Japon contemporain.

Le film est porté par un trio d’excellents acteurs, à commencer par Ryöhei Suzuki, ici dans le rôle de Kosuke, l’amant secourable et bienfaisant, contre-emploi que domine avec infiniment de charme et de réserve ce beau gosse photogénique, star locale plus connue au Japon pour ses performances dans des films d’action, tel City Hunter, qu’on peut visionner d’ailleurs sur Netflix1.


Egoist. Film de Daishi Matsunaga. Avec Ryöhei Suzuki, Hio Miyazawa… Japon, couleur, 2023. Durée : 2h. En salles le 8 octobre 2025

  1. https://www.netflix.com/fr/title/81454087 ↩︎

Fragments sur la joute (l’amour)

0
L'écrivain Richard Millet. © Hannah Assouline

Dans un livre, Richard Millet transforme le deuil de l’amour de sa vie en une méditation vibrante sur le mystère irréductible du couple


Les inconditionnels de Richard Millet ne l’attendaient pas sur ce terrain-là, mais l’homme est imprévisible. Il peut ferrailler contre la société, l’appauvrissement de la langue, les résultats désastreux de la confusion générale, la perte des valeurs suprêmes, en un mot, le tsunami nihiliste qui vient, qui est au-dessus de nos têtes, et il peut aussi nous offrir un récit exigeant, savamment documenté, et surtout émouvant sur la joute entre deux êtres qui s’aiment d’un amour puissant que seule la mort descelle.

Sommations

Le mot « joute » fait penser à combat, mais combat entre deux chevaliers pour une noble cause, ce qui, à notre époque, apparait complètement désuet, ou « kitch » c’est-à-dire « la station de correspondance entre l’être et l’oubli », pour reprendre la formule célèbre de Milan Kundera. Richard Millet nous rappelle que le vocable « joute » vient du latin juxtare :se joindre. Chez Brantome, au XVIe siècle, « entrer en jouxte » signifie faire l’amour. Vaste programme dans une société où l’acte sexuel semble terroriser, et où la pornographie a saccagé l’érotisme. On est sommé de jouir, selon des critères fallacieux, et l’on ne jouit plus.

A lire aussi: Catherine Millet, une mère en images

Le récit de Millet formant un puzzle subtil, où chaque pièce suggère une réflexion inachevée, on pense au texte Fragments d’un discours amoureux, de Roland Barthes. C’est, rappelons-le, un amoureux qui parle et qui dit. C’est aussi un amoureux qui attend « une arrivée, un retour, un signe promis ». Millet, lui, n’attend plus rien ; peut-être un signe, et encore si seulement la lune éclaire d’une douce lumière le faîte de la colline de l’enfance. Il n’attend plus rien, car la maladie a emporté la femme aimée, en 2020, et la solitude s’est emparée de lui, l’a verrouillé dans un long deuil, le couple s’est subitement effondré, et le dialogue, cette joute qui ne ressemble aucunement au pugilat, s’est dilué dans un quotidien mortifère et silencieux. Or le silence est le pire ennemi du désir. Le désir entretenu par la joute. Le mystère du couple a été rompu. L’écrivain a dû attendre que la paix précaire revienne, comme les animaux reviennent dans le champ après un tremblement de terre. Il y a des cycles immuables que la psyché impose. Une interrogation inlassable et sans fin a pris naissance en lui – ce livre, jamais, n’aura de fin. Elle concerne les rapports entre l’homme et la femme, débarrassés du discours journalistique insipide et pompeux. Millet a disséqué la séculaire division des sexes : amour, séduction, mariage, scènes, trahison, rupture, haine, etc. Il montre que le mystère doit prévaloir entre deux individus attirés l’un l’autre, un mystère dont l’essence, malgré nos efforts, échappe. Et pourtant, il demeure essentiel au couple, même défait : « La condition du veuf n’est donc pas la fin de la joute, écrit Millet ; elle pérennise le mystère du mariage jusque dans la mort, et après celle-ci… »

Bien précieux

Mais la joute s’exerce surtout entre les vivants, pour qu’ils demeurent vivants, c’est-à-dire en perpétuel mouvement, mus par les sentiments sans cesse renouvelés. Cela peut faire sourire les cyniques, les « revenus » de tout, l’armée hystérique des égocentriques, l’enjeu est certes de taille, mais pas insurmontable, Millet le prouve au fil des pages, et c’est plutôt réconfortant par temps de désespoir organisé. Car même si le dialogue avec son épouse fut interrompu par la mort, le soliloque perdure, et le lien demeure : « Tu continues de ne pas être moi, et de t’incarner au fond de moi. »

A lire aussi: Après Maigret, Philibert tend un piège

Alors Millet vivant, bien sûr, j’insiste. Les femmes le passionnent, et l’ardeur ne faiblit pas. La joute peut reprendre à n’importe quel moment, avec ses règles strictes, à l’opposer des oukases de la bien-pensance. L’amant n’attend rien, il est donc à la merci de la passante chère à Baudelaire. Duras a écrit : « Il n’y a pas de vacances à l’amour. » Millet ajoute : « Il n’y a donc pas de vacances à la joute. » L’espoir ne doit pas être trahi par une attitude de défaite. L’écrivain précise : « Toute fiancée vient à nous pour que nous descendions dans le fleuve ou l’impossible lutte avec l’espérance. »

Il faut cultiver ce bien précieux qu’on nomme sentimentalité, le préserver, le réoxygéner, c’est le trait d’union entre deux êtres que la joute stimule, sans faux-semblants ou trompeuses espérances, parce qu’il n’y a pas de fontaine de Trevi au purgatoire.

Richard Millet, La Joute : Combat de l’homme et de la femme dans la nuit du siècle, Les Provinciales. 160 pages

La joute: Combat de l’homme et de la femme dans la nuit du siècle

Price: 18,00 €

3 used & new available from 14,21 €

Podcast: Tremblement de terre en France, condamnation d’un ex-président

0
Nicolas Sarkozy parle aux médias après son jugement, Paris, le 25 septembre 2025 © CHINE NOUVELLE/SIPA

Notre 100e épisode, avec Philippe Bilger et Jeremy Stubbs 💯


La condamnation de l’ancien président de la République a déclenché une polémique de grande ampleur. Des commentateurs de gauche comme de droite l’ont applaudie ou dénoncée selon leur préférence idéologique. Selon Philippe Bilger, il est parfaitement légitime de critiquer ce jugement, notamment l’exécution provisoire de la peine prononcée. Mais faut-il pour autant porter atteinte à l’autorité de la justice ? Si l’on peut très bien souhaiter que des peines plus sévères soient prononcées parfois contre des voyous coupables de violences, doit-on se plaindre quand une punition tombe sur un membre de son propre camp politique? Le pouvoir judiciaire est-il actuellement plus défaillant que l’exécutif ou le législatif?

Nicolas Sarkozy a fait appel et il aura encore une occasion pour prouver son innocence. Que la justice suive son cours !

Le Mur des cons

Price: 18,90 €

48 used & new available from 2,57 €

MeTooMuch ?

Price: 9,90 €

11 used & new available from 3,91 €

Il y a une vie après l’Assemblée

0
© Agglo Béziers

Drapeaux palestiniens, pétition sur l’immigration, chute du gouvernement… la vie politique a fait sa rentrée en fanfare. Et si elle nous fait parfois rire, c’est le plus souvent jaune.


Panthéon

J’avoue que j’en ai ri. « Parce que la politique est aussi affaire de symbole, nous devrons ouvrir le débat sur la devise inscrite au fronton du Panthéon : “Aux grands hommes, la patrie reconnaissante”. » Eh oui, c’était durant sa conférence de presse sur la rentrée scolaire que la ministre de l’Éducation nationale a fait cette grande annonce : elle veut dégenrer le Panthéon… Mais qui lui trouve ce genre d’idées ? Comment paraître davantage déconnectée des préoccupations des Français qu’avec cette mesure ? Eh oh, madame Borne, le niveau scolaire de nos enfants qui s’effondre, le harcèlement, les profs absents pas suffisamment remplacés, la violence à l’école, le communautarisme : vous en avez entendu parler ? En fait, c’est encore plus grave que je ne pensais. Élisabeth Borne a abdiqué. Elle a définitivement admis que nos enfants étaient des crétins. Et qu’ils n’étaient évidemment pas capables de comprendre que le mot « homme » représente une personne. On dirait l’Église catholique qui remplace, dans sa liturgie, « mes bien chers frères » par « mes bien cher(e)s sœurs et frères ». Ça m’insupporte. Mais revenons à Élisabeth Borne : en ouvrant le débat, elle a donné l’occasion à certains de faire tourner leur imagination à plein régime. La palme revient probablement à Marianne qui proposait (au second degré bien sûr !) la formulation suivante : « Aux personnes de toutes tailles et de tous genres, le Vivant reconnaissant ». À qui le tour ?

Motion de confiance

Mais quelle mouche l’a donc piqué ? François Bayrou est-il devenu fou ? Engager la responsabilité de son gouvernement le 8 septembre, sans majorité et alors qu’aucune motion de censure n’avait été déposée. A-t-il vraiment cru que le Rassemblement national voterait la confiance ? On est dans la droite ligne de la dissolution de l’Assemblée nationale par Jacques Chirac en 1997, ou de celle d’Emmanuel Macron en 2024 ! Qui resteront dans les annales de l’histoire politique française comme les pires bourdes de la Ve République. Après quarante années d’existence en politique, voilà qui s’appelle finir en eau de boudin…

Pétition

Magnifique exemple de la bêtise des partis politiques ! En quinze jours, c’est plus de 1,7 million de Français qui ont signé la pétition de Philippe de Villiers réclamant un référendum sur l’immigration ! Je passe sur la polémique des vraies-fausses signatures. Quelques-uns ont peut-être signé plusieurs fois, mais ça ne change rien au succès de l’initiative du fondateur du Puy-du-Fou. Non, ce qui m’étonne plutôt, c’est la frilosité de certains politiques : Marine Le Pen demande depuis longtemps un référendum sur l’immigration, mais juge inutile de signer la pétition. Pourquoi diable ? Au motif que « tout le monde sait ce qu’elle pense sur le sujet ». Ce n’est évidemment pas le problème ! Quelques caciques du parti signeront quand même, pour ne pas heurter leurs militants… Même chose chez les républicains. Ils avaient en effet déposé une requête pour « redonner la parole aux Français en matière d’immigration » en avril 2024. Demande censurée par le Conseil constitutionnel. Là encore, Bruno Retailleau refuse de signer la pétition quand Laurent Wauquiez revendique de le faire. Pour ennuyer son rival, naturellement. Qu’en pensent les électeurs ? Moi, ça me désespère…

Avantages à vie

Je suis vraiment partagée. L’annonce par Sébastien Lecornu de la fin des avantages à vie des ministres, au moment où les finances de la France sont au plus bas, me semble de bon sens si c’est pour « prouver » aux Français qu’ils ne seront pas les seuls à faire des efforts. Et puis, comme le dit Élisabeth Borne, « la politique est aussi affaire de symboles »… Espérons pourtant que ce ne soit pas la seule mesure prévue par notre nouveau Premier ministre pour rétablir nos finances : les économies réalisées devraient être de l’ordre de 1,5 million (million, pas milliard !) d’euros. À ce train-là, nous passerons en dessous des 3 % de déficit d’ici la fin du troisième millénaire…

Musique

Un pur moment de magie. Une fin d’après-midi ensoleillée. Un cadre idyllique au milieu des arbres. C’est le moment tant attendu de remettre aux élèves d’une école primaire et d’un collège de Béziers les instruments de musique du conservatoire qui leur sont gracieusement prêtés et qu’ils garderont durant trois ans afin de leur permettre de suivre une classe aux horaires aménagés pour apprendre à jouer de la trompette, du saxophone, du violon ou de la flûte traversière… Sans oublier le trombone ou le cor ! Certains enfants sont à peine plus grands que leur instrument. Magique, je vous le disais…

Drapeau, pas drapeau ?

Olivier Faure propose aux maires « de faire flotter le drapeau palestinien » sur les hôtels de ville le 22 septembre, jour de la reconnaissance par Emmanuel Macron de l’État de Palestine. Une bien mauvaise façon… Et un drapeau qui électrise maintenant un pays, la France, qui n’en avait vraiment pas besoin. Pour parler très clairement, Olivier Faure a décidé de doubler Mélenchon sur sa gauche extrême dans sa course à l’électoralisme. Sans même éprouver le début de la moindre gêne… Tout cela pourrait n’être qu’une bête histoire de drapeau si elle n’intervenait pas précisément le jour où le chef de l’État a décidé de reconnaître la Palestine, s’asseyant sur les conditions qu’il avait lui-même posées. Un beau cadeau fait aux assassins-terroristes du Hamas. Et qui plus est la veille de Roch Hachana, le Nouvel An juif, l’une des fêtes les plus importantes du peuple hébraïque. Tout un symbole… Dans le même temps, on apprend dans un sondage IFOP que 31 % des 18-24 ans estiment « légitime de s’en prendre aux Français juifs au nom du conflit à Gaza » ! Effrayant. Sinistre. Atterrant. À Béziers, la bâche qui rappelle le pogrom du 7 octobre 2023 est toujours en place et le 22 septembre, ce sont les drapeaux français qui ont pavoisé la façade de l’hôtel de ville…

Le grand choir

© OpenAI / Causeur.

Effondrement de l’Éducation, immigration à jets continus, dette abyssale, cacophonie politique… Beaucoup pensent que la France est foutue et cherchent des coupables. Mais la plupart des crises que nous traversons sont une coproduction gouvernants-gouvernés. Pour avoir une chance de redresser le pays, les Français doivent arrêter de se victimiser et de compter sur l’État-providence.


À qui la faute – les riches, les boomers, les immigrés, les islamo-gauchistes, les technos, l’extrême droite, les fumeurs de joint, les trompettistes ? La quête obsessionnelle de coupables est le symptôme le plus déprimant du malheur français. Face à des difficultés qui paraissent insolubles, on dresse un pilori en place publique et on danse la carmagnole. En dépit de leurs innombrables disputes, une majorité de Français s’accorde au moins à éprouver le même sentiment vertigineux de dégringolade nationale. Certes, le malheur public peut, et heureusement, coexister avec le bonheur privé. Toutefois, si nous sommes presque les champions du monde de la consommation d’antidépresseurs, cela n’est sans doute pas sans rapport avec notre incapacité à penser un avenir collectif. L’animal social ne vit pas seulement de l’amour des siens.

De De Gaulle à Delogu

Sommes-nous foutus ? À la différence d’Éric Naulleau, dont la religion est faite (voir son manifeste foutuiste dans notre grand dossier), nous n’avons pas de réponse claire à la question qui taraude les bistrots, les dîners en ville et les salles de rédaction. Mais nombre de nos concitoyens en sont convaincus, notamment les jeunes diplômés qui vont voir ailleurs.

Contrairement à ce que pensent la plupart des observateurs, la pagaille politique n’est pas la cause mais la conséquence de toutes les autres. C’est notre société fatiguée et éparpillée façon puzzle qui a accouché de cette assemblée ingouvernable et d’élites politiques parfois infréquentables : de de Gaulle à Delogu, on n’a pas baissé de niveau, on a changé de monde. Le reste est à l’avenant. Où que se tourne le regard, comme dirait l’ami Goldnadel, il ne voit que faillites, débâcles et processus que plus personne ne maîtrise. Éducation, immigration, islamisation, économie, dette : tout est à reconstruire.

Commençons par l’École, mère de toutes nos défaites. À l’exception des technos de l’Éducation nationale conservés dans le formol idéologique depuis les années 1970, plus personne ne peut ignorer une destruction dont les conséquences se mesurent désormais dans la population adulte – y compris celle des professeurs. Les ravages de la bienveillance, disséqués par Matthieu Grimpret (dont Jonathan Siksou recense le livre dans nos colonnes), sont tels que, selon une étude de l’OCDE, 28 % des Français éprouvent de grandes difficultés à maîtriser un texte simple.

Viennent ensuite – quoiqu’au moins à égalité dans la gravité – l’immigration et le changement démographique qui saute aux yeux de tout étranger arrivant à Paris après dix ans d’absence. La France n’est plus un pays multiethnique, mais une nation multiculturelle, où comme chez McDo, chacun vient comme il est. Les nouveaux arrivants qui débarquent à jets continus s’ajoutant aux millions de descendants d’immigrés qui n’ont pas tous adopté les mœurs de leur pays d’adoption, les zones de non-France ne cessent de s’étendre. Autrement dit, on se rapproche du point de rupture où les populations autochtones deviendront minoritaires. Nicolas Pouvreau-Monti, qui analyse les données factuelles dans notre numéro ne se risque pas à dire quand ce point de rupture sera atteint. Mais sauf virage à 180 degrés de notre politique migratoire, il le sera.

Inutile de s’étendre sur le front économique et financier, si ce n’est pour rappeler deux chiffres : à la chute du mur de Berlin, la richesse produite par habitant en France égalait 80 % de celle des États-Unis et l’endettement de l’État s’élevait à 35 % du PIB. Aujourd’hui nous sommes tombés à 65 % du PIB américain par tête et avons dépassé les 110 % de dette publique. Alain Minc a raison de dire que le risque d’une tutelle de la BCE n’est pas une fake news, n’en déplaise aux économistes pikettiens qui dominent l’université et les médias.

Les emmerdes, ça vole toujours en escadrille

La plupart de ces catastrophes sont cumulatives: les professeurs formés dans une école au rabais sont de moins en moins capables d’instruire ; plus il y a d’immigrés, moins ils ont besoin de s’intégrer ; il faut emprunter pour payer les intérêts de la dette ; et moins on fait d’enfants, moins il y aura de parents à la génération suivante. Autant de raisons de penser que la décadence est irréversible. Après tout, si les civilisations sont mortelles, peut-être faut-il accepter que la nôtre a commencé son agonie. Pourtant, quelque chose en nous se refuse encore à disparaître. La ferveur de tout le pays lorsque les cloches de Notre-Dame ont à nouveau retenti dans le ciel de Paris, ce n’était pas du chiqué. La France défilant pour Charlie non plus.

La condition du sursaut, en supposant qu’il puisse avoir lieu, c’est de comprendre ce qui nous arrive, et qui tient largement à un cocktail très français d’irresponsabilité et de déni. En se libérant de la légende gaullienne, certes géniale et flamboyante, d’une France victorieuse en 1945 sur laquelle revient Franz-Olivier Giesbert, observateur acéré du théâtre politique (votre notre entretien pages p 52-57 de notre numéro). Et en s’émancipant des mots d’ordre bidon imposés par les élites – l’immigration est une chance pour la France – ou entonnés par le populo – il suffit de faire payer les riches pour conserver le modèle social que le monde nous envie.

Cependant, au pays de l’Etat omnipotent, les commandes au Père Noël ne sont pas toutes exaucées. Si en matière économique et sociale, le pouvoir a, depuis trente ans, cédé presque toujours aux caprices des Français – quand le réel commandait de résister –, il s’est avec constance refusé, avec le plus grand zèle, à écouter les demandes régaliennes et identitaires majoritaires – que le réel aurait dû lui imposer.

En attendant, la plupart de nos concitoyens s’estiment les victimes innocentes de dirigeants incompétents et moralement défaillants alors que vous-et-moi sommes irréprochables. D’où les cris et indignations quand François Bayrou a affirmé que nous étions tous responsables de la dette. C’est pas nous ! C’est le train de vie de l’État ! Certes, mais le train de vie de l’État, ce n’est pas la cave de l’Elysée, c’est ta cousine qui a un job à la communauté de communes, ton père qui est à la retraite depuis trente-deux ans. Nous voyons l’État comme un oncle Picsou à qui il faut arracher son magot. Sauf que l’oncle Picsou, c’est l’autre, qui doit payer donc trimer plus pour que nous puissions jouir de nos droits.

Les bons psychanalystes le savent, personne ne reprend la main sur sa vie en pleurnichant parce que papa et maman lui ont fait tellement de mal. Ce sont les Français qui ont élu avec constance des gouvernants immigrationnistes, européistes et dépensiers. Si nous voulons guérir, il nous faut encaisser un choc de réalité et admettre que la plupart des crises françaises sont une coproduction gouvernants-gouvernés. La bonne nouvelle, c’est que si nous avons participé au désastre, nous pouvons contribuer au redressement.

Manchester: l’inévitable

0
Attaque au couteau dans une synagogue à Manchester, Royaume-Uni, 2 octobre 2025 © Picture Agency/Shutterstock/SIPA

Un homme armé a mené jeudi une attaque terroriste près d’une synagogue de Manchester, le jour de Yom Kippour, tuant deux personnes et en blessant grièvement quatre autres avant d’être abattu par la police. L’attentat, commis par Jihad al-Shami, un citoyen d’origine syrienne de 35 ans, était inévitable dans le contexte politico-médiatique britannique actuel, analyse Jeremy Stubbs.


Manchester est un des grands centres de la vie juive au Royaume Uni. Certes, il y a les quartiers historiques londoniens. D’abord, l’Est de la ville (l’« East End »), où se logeaient et travaillaient les immigrés pauvres, dont beaucoup de tailleurs qui, à leur manière, ont contribué à la mode et à l’élégance britanniques. Ensuite des quartiers plus huppés dans le nord de Londres, surtout le légendaire Golders Green, dont la population, selon le recensement de 2021, était juive à 49,9%. 

Plus importante communauté juive du Royaume après la capitale

Pourquoi la deuxième plus grande communauté se situe-t-elle à Manchester? Les Juifs qui, à la fin du XIXe siècle, fuyaient les pogroms en Russie pour une nouvelle vie en Amérique arrivaient par bateau sur la côte nord-est de l’Angleterre, traversaient le pays et embarquaient à l’ouest, au grand port de Liverpool, sur les bateaux partant pour New York. Certains ont décidé d’arrêter leur voyage et de rester dans le nord-ouest anglais, surtout à Manchester. Déjà, à la suite de la Révolution industrielle, quand la croissance explosait dans cette ville, la famille Rothschild était présente. Mais c’est la grande vague migratoire vers l’ouest qui a créé la deuxième communauté juive après Londres, dont l’épicentre se trouve à Prestwich, aujourd’hui un quartier nord de Manchester. C’est juste à l’est de cette banlieue, à Crumpsall, qu’a eu lieu l’attaque de la synagogue hier.

Tout a dû être soigneusement calculé. L’attentat a frappé les Juifs anglais au cœur d’un centre historique et le jour de la plus grande fête juive de l’année. Le message est clair : vous n’êtes en sécurité nulle part et la haine vous poursuivra indéfiniment. Le fait que cet acte intervienne à un moment où un processus de paix pourrait peut-être aboutir n’est pas anodin : quoi qu’il arrive, vous n’aurez pas la paix. Enfin : la démocratie et l’Etat de droit ne peuvent pas vous protéger, car vos ennemis font fi de ce qu’ils considèrent comme des Tigres de papier…

A lire aussi, Gil Mihaely: Israël-Hamas: qui perd gagne?

Faut-il renforcer la sécurité autour des synagogues et des autres centres de la vie juive? Mais elle est déjà renforcée et depuis longtemps ! Des mesures ont été prises bien avant le 7-Octobre. C’est justement ce qui a sauvé la synagogue dite de Heaton Park située à Crumpsall. L’action héroïque des gardiens et des fidèles a fermé les lieux à l’assassin armé d’un couteau et portant un engin explosif qui s’est révélé plus tard être factice. 

À l’heure où j’écris ces lignes, le mobile de l’assassin, tué par des policiers armés sept minutes après le début de son attaque, n’a pas encore été déterminé. Mais les autorités ont immédiatement déclaré qu’il s’agissait d’un acte terroriste. L’identité de l’homme, Jihad Al-Shami, un citoyen britannique de 35 ans arrivé enfant de sa Syrie natale, suggère qu’il ne s’agit pas d’un complot d’extrême-droite. Il n’était apparemment pas connu des agents antiterroristes. Agissait-il seul, ou avait-il des complices? Trois personnes demeurant dans la localité ont été arrêtées. S’agit-il d’un acte isolé ou est-ce le prélude à une vague d’attentats? On attend toujours les réponses à ces questions.

Atmosphère lourde

Selon le grand rabbin du Royaume Uni, Sir Ephraim Mirvis, les Juifs du pays espéraient qu’un tel événement n’arriverait jamais mais savaient, au fond d’eux-mêmes, qu’il était inévitable. Et il faut dire que l’atmosphère – au sens de Gilles Kepel – était malheureusement propice. Juste après minuit, le 2 octobre, à Londres, une manifestation spontanée a réuni une centaine de militants propalestiniens qui ont marché jusqu’à la résidence du Premier ministre au 10 Downing Street, en scandant des slogans comme « Il n’y a qu’une seule solution : intifada, révolution! » Ils brandissaient des drapeaux palestiniens et au moins une bannière accusant Keir Starmer d’être un « criminel de guerre ». Les forces de l’ordre, si promptes et efficaces à Manchester, après qu’un attentat a commencé, n’ont rien fait à Londres. Et quelques heures après l’horreur de Manchester, les manifestants étaient de nouveau devant Downing Street, l’un d’entre eux criant: « Je me moque de la communauté juive en ce moment! » (L’original en anglais était beaucoup plus grossier). 

A lire aussi, Driss Ghali: New York rend fou!

Faut-il énumérer tous les cas où les autorités ont fait preuve de complaisance envers les militants propalestiniens au langage le plus violent ou d’inefficacité dans la poursuite judiciaire des infractions ? Au mois de février, un homme a brûlé un Coran devant le consulat turc à Londres. Il a été condamné à une amende presque comme s’il était coupable d’un délit de blasphème. On vient d’apprendre que l’homme qui est sorti du consulat pour le tabasser en le menaçant d’un couteau n’a écopé d’une courte peine de prison avec sursis… Au mois d’août, le chanteur du groupe nord-irlandais Kneecap a échappé à un procès pour apologie de terrorisme à cause d’un vice de forme. Le duo « punk-rap » Bob Vylan continue impunément à scander sur scène des slogans comme « Mort à Tsahal » et même « F** the fascists! F** the Zionists! Go find them on the streets! » – c’est-à-dire, « allez les trouver dans les rues ».

Aujourd’hui, trois citoyens britanniques se trouvent à l’hôpital dans un état grave, et deux autres, Adrian Daulby, 53 ans, et Melvin Cravitz, 66 ans, ont payé de leur vie cette « atmosphère ».

Agnès Desarthe: conte providentiel

0
L'écrivaine française Agnès Desarthe photographiée en 2009 © Kazam Media / Rex Featu/REX/SIPA

Où l’on apprend, à la fin du livre, grâce aux remerciements, qu’Agnès Desarthe, qui a beaucoup écrit pour les enfants mais pour les adultes aussi – et je me souviens avec émotion de L’année de leur chance –  fait partie d’un orchestre d’harmonie pour lequel elle a écrit ce roman qui s’en inspire…


« C’est un hiver où rien ni personne ne doit mourir. Les rosiers continuent de porter des fleurs, plus chétives qu’au printemps, moins parfumées qu’en été, aux pétales décolorés presque transparents. Les framboisiers laissent pendre leurs petits visages rouges, comme honteux, sous les feuilles recourbées. »

J’avais déjà lu ce paragraphe lorsque je le retrouvais quelques pages plus loin. Je crus à une erreur de typographie, puis je compris que ce passage, augmenté d’un autre paragraphe, reviendrait telle une scansion musicale, autant de fois qu’il le faudrait pour introduire tous les personnages. Mais avant cela (et c’est ce qui explique la première phrase), le narrateur nous invite à un conseil municipal cocasse où le maire se désole car le cimetière est plein comme un œuf, comme dirait Georges Brassens, et on ne peut plus y enterrer personne. Certes, on peut regrouper les os, mais on peut aussi s’abstenir de mourir, ou, plus exactement, revenir à la vie.

Fil rouge

Et c’est ce que feront tous les personnages de ce conte qui emprunte moins au merveilleux qu’à la Providence ; comme si un fil rouge les reliait tous, afin que chaque rencontre soit l’occasion d’une résurrection. Ici, nul prince ni bergère ; nous sommes plutôt dans la France rurale ou dite périphérique d’aujourd’hui, et les personnages sont tous passablement cabossés et acquis aux besognes les plus humbles. Fossoyeur, maçon, dame qui s’occupe des petits à la garderie, dame qui fait le ménage à l’école etc.

A lire aussi: Après Maigret, Philibert tend un piège

Le fil rouge et le centre de gravité : l’orchestre d’harmonie, qui regroupe gens du village et du voisinage. Tous ne connaissent pas forcément le solfège, mais tous y participent à leur manière. Y compris Matis, le gosse insupportable : « Avant, quand sa mère l’emmenait écouter l’harmonie, il se bouchait les oreilles parce qu’il y avait trop de notes qui fonçaient sur lui de partout. » Heureusement, il y a un instrument qui trouve grâce à ses oreilles et qui sauvera la vie de celui qui en joue lorsque Matis saura en restituer le son au moment opportun. Et Raoul, qui allait se pendre, se retrouve avec un môme qu’il tient par la main, Raoul dont la mère était soi-disant grosse, d’après les gens, alors que lui ne la voyait pas comme ça. « Et ce n’était pas seulement son visage qui était beau, son corps aussi, qui était comme un bloc, tellement énorme qu’on avait l’impression que le tissu de la robe allait craquer. Les autres mamans n’étaient pas comme la sienne. On voyait leurs os en bas du cou, et aux poignets et aussi aux chevilles. Sa mère, c’est comme si elle n’avait pas eu d’os. Tout était courbe et ça tenait en place, c’était solide. Pas besoin de squelette. Les fleurs de la robe étaient étirées au maximum et ça aussi, c’était beau. »

Agnès Desarthe nous fait entendre une langue d’enfance où l’ironie méchamment apprise n’est plus de mise. On retourne en arrière, on apprend à regarder avec des yeux plus élogieux. On retrouve aussi les grandes amitiés des jeunes années : « Lorsque Goneril était avec Madeline, elle était emplie de miel. Elle était plus belle et plus intelligente. Elle était spirituelle et raffinée. Ensemble, elles choisissaient un endroit, dans leur quartier, derrière le collège, dans la forêt où les familles allaient pique-niquer le dimanche, et elles inventaient leur vie, leur vie future, à partir de là, c’est à dire à partir de rien. Il leur fallait d’abord construire une maison, puis ouvrir une boutique (les jours où elles s’imaginaient vendant des savons artisanaux), un restaurant (quand elles se voyaient cuisinières), une ferme (quand elles décidaient de devenir éleveuses)…  A deux, elles pouvaient tout inventer et elles pouvaient tout vivre. Leurs phrases commençaient souvent par : « Et là, il y aurait… » »

On aurait dit que…

Fabuleux conditionnel de l’enfance avec son « on aurait dit que… » L’acuité à la langue et aux sons, on l’aura compris, est absolument primordiale. Et il arrive que parfois la langue sonne faux et que l’enfant l’entende particulièrement : « Tout ce qu’elle dit, ça m’énerve. Je ne sais pas ce qu’elle trafique avec sa voix, mais même quand j’ai mon casque sur mes oreilles et la musique à fond, je l’entends me parler. Sa voix est comme un serpent qui se faufile partout. » En revanche, la phrase heureuse délivre de l’humeur mauvaise en une seconde : « C’était comme si, pour la première fois, j’entendais une parole juste. »

A lire aussi: Catherine Millet, une mère en images

Cette langue ne dit pas que l’enfance, elle dit aussi les rencontres amoureuses, l’intensité, l’exaltation, la vie augmentée avant que les ennuis commencent ; mais qu’à cela ne tienne, elles feront retour des années plus tard pour renaître autrement. Ainsi, de boucle en boucle, tous les personnages voient la vie refluer vers eux et leur donner une seconde chance. Avec, toujours au centre, l’orchestre d’harmonie qui porte merveilleusement son nom puisqu’il permet à chacun de trouver sa note enfin juste et ce faisant, sa juste place.

L’oreille absolue d’Agnès Desarthe, éditions de l’Olivier, 2025 144 pages.

L'Oreille absolue

Price: 19,50 €

13 used & new available from 13,50 €

Défilé Etam à la Fashion Week: que font les néo-féministes?

0
Coulisses du défilé Etam, Paris, 2019 © REX/SIPA

Etam : une belle réussite française et le retour en grâce du glamour


À la lecture du programme TV de ce mardi 30 septembre, j’ai su immédiatement que celui-ci n’allait déclencher aucun débat, ni en mon for intérieur, ni avec mon conjoint. Regarder la présentatrice Elise Lucet s’acharner sur l’entreprise Peugeot dans un nouveau numéro de Cash Investigation ou suivre l’édition 2025 du défilé de lingerie Etam au Palais Brongniart: mon choix fut vite fait. Il faut dire que je n’ai jamais aimé ceux qui ne faisaient pas dans la dentelle.

Frou-frou, frou-frou, par son jupon la femme…

Au-delà de l’image de lingerie accessible et populaire que nous en avons, rappelons que le groupe Etam est avant tout une belle réussite à la française : une implantation dans 57 pays, 1 391 points de vente et 5 656 collaborateurs pour un chiffre d’affaires de 891M € en 2024, le tout au sein d’une entreprise familiale. Autant dire que, dans le milieu de la lingerie internationale, si Etam ne fait pas les tendances, il en est souvent à l’avant-garde. Le spectacle d’une vingtaine de minutes marquait la 18e participation de la marque à la Fashion Week parisienne. Sa diffusion télévisuelle en direct contribue à l’image d’accessibilité que le groupe cultive, bien loin du milieu de la haute couture dont il emprunte pourtant les codes pendant cet événement.

A lire aussi: Ces dames à l’heure du Tea

Une voix sensuelle digne du Crazy Horse annonce le début du show. La salle se teinte de rose avant l’arrivée millimétrée des mannequins, grandes, minces, aux jambes interminables. Dès le début, le ton est donné. Du rouge, du rose, des talons aiguilles, des froufrous, de la dentelle, des porte-jarretelles, de la transparence : les non-initiés n’y verront que les marqueurs traditionnels d’un défilé de lingerie. Et pourtant. Tout cela avait disparu des podiums depuis plus de cinq ans, bannis par le néo-féminisme, sacrifiés sur l’autel de la diversité et de l’inclusivité. On faisait alors l’éloge de la lingerie dite « confortable » et des corps différents, quitte à frôler parfois l’apologie de l’obésité. Il était question de no-bra : les jeunes femmes reléguaient leur soutien-gorge, vil objet d’oppression patriarcale, au fond du placard, faute d’oser le brûler à l’instar de leurs grand-mères dans les années 60. La marque américaine Victoria’s Secret, connue dans le monde entier pour ses anges (mannequins ailées), avait ainsi renoncé aux défilés dès 2019 suite à de trop vives critiques sur le manque de diversité. Au-delà des tendances lingerie, c’est donc le reflet de la société actuelle et de ses récentes évolutions qui nous sont donnés à voir lors de ses événements.

Musique: peut mieux faire !

Plus qu’un défilé, c’est un véritable show que nous a offert Etam avec une scénographie soignée, des jeux de lumières et des prestations d’artistes en direct, notamment la rappeuse française Théodora qui semble s’inscrire dans la lignée d’Aya Nakamura. Je regrette de n’avoir rien compris aux paroles de sa chanson tant sa participation à cet événement semblait galvaniser les foules. Une brève apparition de la Tiktokeuse française Léa Elui défilant dans une magnifique guêpière a enflammé les réseaux sociaux. Pour ma part, je découvre son existence et son audience de plus de 10 millions de personnes sur Instagram. Depuis toujours, la marque cible les jeunes générations.

A lire aussi, du même auteur: Ultra fast-fashion: fin du game?

Tout occupée à me pâmer d’admiration devant un bustier aux seins coniques, je me suis tout de même résolue à aller voir les réactions sur X.
En voici un florilège : « Des femmes en sous-poids forcées par l’industrie de la mode à le rester et les sous-vêtements inconfortables, on arrête de les célébrer, non ?»,« Un comeback du sexisme »,ou encore« Est-on vraiment en 2025 ? ».
Le retour en grâce du glamour et de la séduction ne fera pas que des heureuses.
Aux États-Unis, les anges de Victoria’s Secret feront également leur retour dans quelques semaines pour un gigantesque show.

La pluie de pétales de roses, qui marque la fin du défilé, semble définitivement enterrer le mouvement body positive. Certaines avaient à l’époque hurlé à la révolution. Ce n’était finalement même pas une révolte, tout au plus un effet de mode dont le défilé Etam vient de sonner le glas.


Bécassine n’est pas inclusive

0
Manifestation intersyndicale du 2 octobre 2025 à Tarbes © Fernand Fourcade/SIPA

Moins de 200 000 manifestants recensés en France le 2 octobre par les autorités: une mobilisation presque confidentielle pour un mouvement national. Les professeurs en particulier ont préféré «sécher» la grève. Cette corporation, qui vote massivement à gauche depuis des décennies, ne savait visiblement pas très bien pour quelle noble cause battre le pavé cette fois-ci.


Dans le Parisien d’hier matin[1], une professeur des écoles dit ne pas vouloir faire grève car les raisons avancées sont trop vastes, voire trop vagues et qu’elle n’y retrouve pas les nécessités de son métier.

Elle voudrait donc qu’on circonscrive les revendications à des objectifs plus spécifiquement scolaires, pense-t-on. Eh bien non ! Elle déplore qu’on ne parle pas et qu’on ne manifeste pas pour «  l’inclusion ». Comme si ce terme désignait quelque chose de plus précis d’une part, et comme s’il désignait un problème typiquement scolaire d’autre part !

Il s’avère que deux histoires me furent racontées dernièrement au sujet de la dite inclusion. D’abord, et comme le souligne à maintes reprises Jean-Claude Michéa, il faut savoir que la plupart des réformes sociétales cachent une décision économique qui ne va pas de soi. Ici, le budget rétréci pour les hôpitaux de jour ayant vocation à accueillir des enfants en difficulté psychique. On supprime des moyens d’un côté, et on trouve la solution en demandant à des professeurs n’ayant aucune formation dans ce domaine, et n’ayant pas a priori à en avoir puisque leur métier ne consiste pas à s’occuper de ces enfants-là, de les accueillir dans leurs classes.

A lire aussi: Alain Minc: « Il n’y a toujours pas d’alternative »

Un professeur d’histoire-géographie m’a raconté son expérience sur deux ans. Ne sachant absolument pas quoi faire de l’élève qui lui fut confié, il fit cours aux autres comme il avait l’habitude et le devoir de le faire, et l’élève resta en rade sur sa chaise l’année durant. Deux fois de suite, il connut cette situation absurde qui culmina dans la proposition que fit un collègue qu’on manifestât pour plus de moyens… pour l’inclusion. Pour le coup, l’intersectionnalité ici aurait eu du bon si elle avait inspiré une toute autre manifestation ; à savoir celle qui aurait accompagné le corps hospitalier pour qu’il récupère les moyens de s’occuper des enfants dont il avait la charge jusqu’à présent. Mais je suppose que cela l’aurait fichu mal, qu’on aurait crié à la discrimination, comment ça, sont contre l’inclusion, sale engeance etc.

La deuxième histoire concerne mon petit-fils aîné qui fait sa scolarité au fin fond de la Bretagne et qui a connu lui aussi deux années de suite les effets de l’inclusion à marche forcée. Nous sommes en primaire et deux enfants en difficulté psychique accompagnés chacun d’un AESH (accompagnateur d’enfant en situation de handicap) n’écoutent ni le professeur ni l’AESH, perturbent le cours à longueur de journée, infligeant aux autres enfants un bruit et une fatigue dont personne ne veut entendre parler. C’est toujours cette préférence pour la minorité dont la majorité fait les frais qu’on privilégie. En outre, on peut se demander en quoi le coût d’un AESH  par enfant revient moins cher qu’un budget conséquent pour des professionnels en hôpital de jour…

Était-il si difficile d’imaginer l’inclusion autrement ? Etait-il à ce point difficile de penser à des activités communes, à des sorties communes, à des rencontres sur certains thèmes ou durant des voyages ? Afin que des enfants ne pouvant suivre la scolarité habituelle puissent rencontrer leurs congénères et nouer des liens avec eux. Ainsi, chacun aurait pu bénéficier de l’enseignement qui lui convient tout en profitant de moments partagés. Il est étonnant de s’apercevoir que le mantra qui, de nos jours, fait de la différence la valeur absolue soit noyé dans une inclusion qui veut l’effacer à tout prix…


[1] https://www.leparisien.fr/societe/a-quand-une-greve-qui-ne-soit-pas-fourre-tout-pourquoi-les-profs-ne-se-mobilisent-pas-02-10-2025-JH2OG4UDLBFQRCWFKRK5NK76MA.php

Adam Szetela: Quand la sensiblerie étouffe la littérature

0
L'essayiste américain Adam Szetela part en guerre contre la cancel culture. DR.

Dans son essai That book is dangerous !, Adam Szetela analyse comment, aux États-Unis, la littérature jeunesse est de plus en plus soumise aux pressions de la « sensiblerie », où diversité, sensitivity readers et panique morale transforment l’écriture et l’édition. La censure alimente et renforce les stéréotypes identitaires qu’elle pense combattre.


Le journaliste Adam Szetela a obtenu son doctorat de littérature anglaise à Cornell University. Son livre porte en exergue cette citation de Ray Bradbury dans Farenheit 451 : « Il y a plus d’une façon de brûler un livre. Et le monde est plein de personnes se précipitant pour le faire, une allumette à la main ». Il se fonde sur des entretiens avec des auteurs, des éditeurs (the Big Five), des agents littéraires, des patrons de librairies et des sensivity readers, pour la plupart sous garantie d’anonymat. Des professionnels consacrés aussi bien que des débutants. Il examine avec eux ce qu’est devenue la littérature aux États-Unis, tout particulièrement celle destinée aux enfants et aux jeunes adultes (13-18 ans), à l’ère de la sensiblerie (ma traduction de « Sensitivity Era »).

Les idées à l’ère de la sensiblerie

La diversité : Avec l’émergence de Twitter (X aujourd’hui) en 2006, la question de la diversité a envahi les échanges sur la littérature pour enfants et jeunes adultes. C’est en partie dû à l’apparition de mouvements tels que #BlackLivesMatter et #YesAllWomen. Certains hashtags comme #WeNeedDiverseBooks, apparu en 2014, sont devenus viraux. Les éditeurs ont alors pris conscience de l’existence d’un marché pour ces livres. L’appel à la diversité concerne aussi bien les auteurs que leurs personnages. #OwnVoices met l’accent sur la nécessité de disposer d’auteurs de même identité[1] que leurs personnages.

La sensiblerie : À l’ère de la sensiblerie, on recrute des sensitivity readers qui ont eux aussi leur hashtag, lequel a eu pour effet de générer des entreprises fournissant des sensitivity readers chargés d’évacuer tout ce qui pourrait heurter le lecteur, sur toutes sortes de sujets. À Riptide Publishing, on exige des auteurs mettant en scène des caractères d’une autre identité que la leur qu’ils aient consulté un sensitivity reader avant de jeter un œil sur leur texte.

L’essentialisme : Le sensitivity reader se voit comme une sorte d’ambassadeur culturel de sa race, sa sexualité… En fait, il perpétue l’idée qu’il y aurait des façons authentiques d’être noir, gay, trans… Le sensitivity reader est payé pour faire entrer des personnages fictifs dans des catégories fictives de la race qui pérennisent ainsi l’exotisation et les stéréotypes. Pour l’historien Touré F. Reed, c’est une manière de conforter les stéréotypes racistes. Finalement, pour être libérés de cette obsession, les auteurs auraient intérêt à raconter des histoires sur des mâles blancs hétéros. Si l’on se réfère au Smithsonian National Museum of African American History and Culture, la culture blanche serait caractérisée par des qualités (pensée rationnelle et objective, relations de cause à effet, politesse, horaires rigides…) absentes chez les noirs ! Cet essentialisme se propage au nom de l’authenticité. Ainsi, JK Rowling aurait-elle écrit un livre sur des filles dans des corps masculins. D’où le succès d’Harry Potter auprès des filles.

A lire aussi: Assassinat de Charlie Kirk, le point de bascule

Le présentisme : Il réduit l’univers des auteurs non seulement à leur identité, mais aussi à leur époque. D’où l’épuration des auteurs anciens dans les programmes et les bibliothèques publiques. Pour Adam Szetela, les enseignants qui veulent voir Shakespeare éjecté des programmes ne diffèrent guère des enseignants chinois maoïstes. Lorsque les auteurs anciens sont maintenus, leur lecture devient un jeu de repérage des stéréotypes de leur époque. Comme l’écrit Adam Szetela, c’est comme dire d’Einstein qu’il avait deux jambes. Ironiquement, ces critiques sur le canon occidental sont… occidentales. Il y a une certaine condescendance à juger qu’un étudiant né dans une famille pauvre serait heurté par la littérature classique. Ce genre de condescendance rend les enseignants plus protecteurs et les jeunes plus fragiles. Les cibles de l’éviction d’auteurs anciens sont « typiquement des auteurs morts qui ont accompli ce dont les autres écrivains ne peuvent que rêver ». Alors que beaucoup d’écrivains célèbrent leurs prédécesseurs, « c’est eux-mêmes que les prophètes du présentisme célèbrent ». En 2023, Penguin Random House annonça qu’il allait ajouter des centaines de changements supplémentaires à Charlie et la chocolaterie de Roald Dahl, par rapport à ceux de 1988. « Il n’y a pas d’interrupteur pour arrêter le tapis roulant du présentisme ».

L’expertise : L’expérience personnelle est élevée au-dessus de l’expertise professionnelle. Mais un Noir, par exemple, s’il est conservateur ou seulement modéré, ne sera pas forcément considéré comme un expert. Au pire il sera accusé de racisme intériorisé. Cette vision de l’identité comme gage d’expertise force des auteurs, contre leur gré, à s’identifier d’une certaine manière et amène à des « outings » gênants.

Les comportements à l’ère de la sensiblerie

Paniques morales du passé : Dans les années 1940-50, les bandes dessinées suscitèrent une peur et une hostilité disproportionnées par rapport à la menace. Après que le Sénat américain eut constitué un sous-comité sur la délinquance juvénile, les éditeurs s’imposèrent des normes en fondant une Comics Code Authority. Il y allait du bien-être des enfants. En 1954-56, plus de la moitié des BD en kiosque disparurent. La croisade morale se déplaça ensuite sur la TV.

Paniques morales d’aujourd’hui : Avec Twitter (2006) et GoodReads (2007), une nouvelle croisade morale entreprit de purifier les livres pour enfants et jeunes adultes du racisme, du sexisme, de l’islamophobie… Ainsi, A place of Wolves sur la guerre au Kosovo (2019), dans lequel le vilain était un musulman albanais conduisit son auteur Kosoko Jackson à s’excuser sur Twitter. Il arrive que des campagnes de dénigrement soient lancées sur des livres que personne n’a encore lu. Mais il n’y a pas de pardon, même après la confession et les excuses de l’auteur. En fait, la question morale ainsi soulevée ne tient qu’aux centaines de like et retweets. Certains disent détester des livres qu’ils n’ont pas lus et mettent des notes si basses qu’elles dissuadent de les lire. Une censure de la part d’Amazon, vu sa taille sur le marché, équivaut à rendre un livre inaccessible. Éditeurs et auteurs sont obligés de s’incliner devant Amazon, entreprise qui, elle, devra s’incliner devant ceux qui déclenchent des paniques morales. Farenheit 451 publié en 1953 fut réécrit par l’éditeur en 1956, à l’insu de Ray Bradbury, par « peur de contaminer la jeunesse ». Ce fut la seule version imprimée en poche disponible jusqu’à ce que l’auteur en soit averti par des étudiants six ans plus tard.

Structure de la panique morale : Une panique morale survient quand les gens perçoivent une menace sur la société. Avec la BD, ce fut la hausse des arrestations de mineurs, relayée par la presse. Aujourd’hui, c’est la menace qui pèserait sur les minorités. La panique morale s’en prend à des cibles qui ne sont pas responsables des menaces détectées. Ainsi, la littérature jeunesse développerait l’intolérance et les traces d’intolérance qu’elle contient sont prises comme des éléments de preuve. « Les critiques littéraires prétendent être des psychologues capables de diagnostiquer ce qui se cache dans l’esprit des auteurs, des lecteurs et même des personnages de fiction » observe Adam Szetela ! Pourquoi cette fixation sur les livres quand les réseaux sociaux ou la filmographie sont des supports de rechange ?

La panique morale recourt au concept de contagion morale. Les agents littéraires eux-mêmes sont inquiets d’être contaminés par association. Des éditeurs en sont réduits à inclure des clauses morales dans leur contrat les protégeant en cas de découverte, après publication, d’un comportement répréhensible de l’auteur. La panique morale réduit la littérature à un outil didactique. Si l’ère de la sensiblerie persiste, ce sont les livres didactiques qui ont les meilleures chances de survivre à l’abattage. Lequel s’applique aussi aux livres pour adultes. Mettre en scène un raciste sans être catalogué raciste devient difficile. Les acteurs des croisades morales s’identifient à des Diversity Jedi. La métaphore du Jedi dit bien la lutte sans merci qu’ils engagent dans leurs combats et qui peut aller jusqu’au retrait du livre. En effet, le succès d’un livre a une composante sociale.

Les premières critiques de personnes influentes sont déterminantes et ont un effet boule de neige. L’internalisation de la possibilité d’une punition publique peut amener les auteurs à appliquer des normes auxquelles ils sont opposés. Comme tout guerrier d’une croisade morale le sait, le nombre fait la force. La croisade peut commencer avec des commentaires de lanceurs tout à fait ordinaires qui, lorsqu’ils sont repris par des personnes d’importance et connues, mettent le feu.

La « novocaïne linguistique[2] » : Une escalade verbale dans la sensiblerie peut frapper un écrivain de la « diversité » lui-même jugé pas assez « divers ». Par exemple s’il raconte une histoire de gays en oubliant la présence de trans. C’est en punissant ceux qui sont déclarés immoraux que l’on affiche sa haute moralité avec un risque d’autoradicalisation, caractéristique du comportement grégaire. Il y a toujours, sur les réseaux sociaux, des personnes extérieures à l’enjeu d’une querelle mais en manque de reconnaissance qui vont s’immiscer et en rajouter.

Bien que faisant partie des écrivains de langue anglaise les plus populaires, JK Rowling, accusée de tous les travers à la mode, est devenue le punching-ball de la croisade morale en littérature. On a même brûlé ses livres. Si elle peut ignorer les brûleurs de livres, ce n’est pas le cas des auteurs débutants.

L’économie politique de la sensiblerie

L’aveuglement aux différences sociales : Les âmes sensibles d’aujourd’hui privilégient les identités aux inégalités économiques. Ces dernières ne semblent pertinentes que si elles relèvent de différences identitaires. Un enfant noir est censé s’identifier à un Noir plutôt qu’à un Blanc de même classe sociale.

Comme l’écrit Adam Szetela, cet engouement pour la diversité chez les intellectuels leur permet de parler de justice sociale sans parler des (et aux) pauvres et sans avoir à évoquer leur avantage financier. Il est plus facile d’exclure la classe sociale en laissant croire que tout finira par s’arranger lorsque les biais auront disparu grâce aux séminaires de redressement moral et aux confessions publiques. Les Blancs qui dominent chez les éditeurs et les agents littéraires et qui dénoncent le privilège blanc ne se précipitent pas pour céder leur place à un candidat de la « diversité »…

Ceux qui définissent les usages linguistiques sont aussi ceux qui ont les moyens et font la leçon aux autres. Ainsi « sans-abri », jugé offensant, est remplacé par « logement précaire ». L’humoriste John Laster a proposé, lui, « poignée de porte déficiente ». Ce n’est pas qu’une question de livres mais aussi de présentation de soi.

A lire aussi: Les ravages du wokisme, d’Ali Baddou au festival de Cannes

Les entrepreneurs de morale de la gauche : Ce sont, d’après la définition de Howard Becker, des gens qui ont la possibilité d’améliorer leur statut après avoir conduit une croisade morale. On a tendance à supposer que le succès d’une poignée de « représentants de la diversité » va ruisseler. Pourtant, ce qui reste important est de savoir qui a une place à la table où sont signés les contrats lucratifs. D’après Adam Szetela, la meilleure chose qui soit arrivée à Ibram X. Kendi est la mort de Georges Floyd. « Kendi devrait intituler son prochain livre Comment devenir un capitaliste », après avoir écrit Comment devenir antiraciste. En 2024, pour assister à sa conférence à Boston sur « How to Raise an Antiracist », il fallait payer au moins 61$ (premier prix du billet). Penser que seuls des adultes noirs pourraient écrire des livres sur les enfants noirs, c’est croire à une cognition séparée.

Certains universitaires indiquent leur nombre d’abonnés Twitter dans leur CV, ce qu’exigent aussi certains éditeurs lors d’une proposition de livre. Plus des écrivains sont humiliés publiquement, plus le recours aux sensitivity readers se généralise et plus les éditeurs chercheront à se montrer vertueux en allongeant les biographies éloquentes sur les couvertures.

Les entrepreneurs de morale de la droite : Après l’arrêt de la publication de six livres « dangereux » du Dr Seuss et leur retrait en librairie, des conservateurs sont entrés dans la bataille. On a ainsi vu Kevin Mc Carthy, alors président de la chambre des représentants, diffuser une vidéo de lui en train de lire l’un de ces livres. Alors que les entrepreneurs de morale de gauche expliquent que la cancel culture est une invention de suprémacistes blancs, les conservateurs cherchent à répondre aux électeurs qui veulent être libérés des contraintes du politiquement correct. Politiquement correct, qui, en dépit de ses mésusages, apporte aux gens le langage pour mettre en lumière un problème social. Si Philippe Nel a cherché à redéfinir la censure – la cancel culture ne serait, en fait qu’une healing culture – l’enquête du Morning Consult en juillet 2021 a montré qu’une majorité d’Américains en avaient une vision négative, même chez les plus jeunes (59% chez les 13-16 ans). Il n’est pas étonnant que les Républicains aient saisi cette opportunité. Adam Szetela y voit la possibilité d’un retour de flamme évoqué par Timur Kuran : l’opinion privée, cantonnée à la clandestinité, se durcit et trouve des porte-parole éloquents. C’est le cas d’Andrew Doyle, qui s’est fabriqué un double woke sur Twitter – Titiana McGrath – et qui compte 700 000 abonnés. Si les conservateurs, motivés par la nostalgie, se battent aussi pour faire censurer les livres qu’ils n’aiment pas, la droite dévore rarement les siens. Ses actions n’ont pas fait plier les éditeurs. Cependant, comme l’a prouvé le succès de Jordan Peterson, « les grands éditeurs ne sont pas prêts à sacrifier des bénéfices gargantuesques » et il arrive que les manœuvres hostiles à la publication d’un livre se retournent en opération publicitaire.

Les campus, épicentre du développement de la sensiblerie

C’est là que sont formés la plupart des écrivains.

La fragilité et les sentiments projetés sur les gens de couleur et formulés dans le langage du soin règlementent ce qu’ils peuvent faire et dire. L’alliance des Blancs et des Noirs des années 1960 a évolué vers une institutionnalisation de névroses, avec des Blancs qui volent au secours des Noirs en les faisant passer pour des faibles et des idiots et demandent à ces derniers de s’en délecter. C’est une forme de « racism of low expectations » (John McWorter). La prolifération de guides visant à protéger contre tout risque d’être heurté dans n’importe quel segment de la population a conduit les éditeurs à trouver refuge dans une littérature « anodine ». Cette croisade morale dans la littérature a traversé l’Atlantique en raison de « l’impérialisme culturel » des États-Unis.

Parce que les croisés de la morale ont tendance à voir, dans les livres qui leur déplaisent, une violence comparable à la violence physique, ils considèrent cette dernière comme une réponse appropriée à ces livres.

Comment en sortir ?

Parmi les croisés de la morale qui sévissent sur les réseaux sociaux certains ne supporteraient pas que l’on brutalise ainsi un de leurs proches. Philippe Rochat parle d’« acrobatie morale » pour décrire cette aptitude à changer de codes moraux selon les situations. Par ailleurs, une étude menée à Yale a montré que les gens sont plus sensibles aux arguments d’experts qui partagent leurs valeurs.

C’est pourquoi, ce sont ceux qui ont les « bonnes identités » qui sont les mieux placés pour mettre fin à la panique morale actuelle. Pour que le mouvement pour une littérature plus diversifiée et plus sensible perdure, il devra cesser d’exclure les personnes qui veulent écrire ou lire les livres qui dérangent ses affiliés…

The MIT Press, 288 p., août 2025
Cet article a été publié sur le blog de Michèle Tribalat.


[1] Le terme identité est compris ici comme correspondant aux assignations identitaires de l’époque.

[2] Expression de J. Dan Rothwell.