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Arrestation de Julian Assange: lettre ouverte à Donald Trump et Theresa May

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Le 11 avril, Julian Assange, fondateur du site Wikileaks qui a fait fuiter des informations confidentielles, a été arrêté par la police britannique à l’intérieur de l’ambassade d’Equateur à Londres où il était réfugié depuis 2012. 


Monsieur le président, madame la Première ministre,

Le 11 avril 2019, durant la pause repas, on a vu un homme à barbe blanche traîné par les policiers britanniques à l’extérieur de l’ambassade d’Equateur à Londres. C’est le fondateur de Wikileaks, Julian Assange. Il n’a que 47 ans. Il a prématurément vieilli à force de vivre traqué.

Face au public britannique, cette arrestation est embarrassante pour vous, Madame May, car le désir du gouvernement britannique de capturer Assange est un secret de polichinelle. Depuis des années, votre ministère de l’Intérieur poste des gardes à la porte de l’ambassade pour mettre la main sur lui s’il en franchissait le seuil. Vous surveillez cette porte de si près que personne n’a réussi à faire fuir Assange, même dans une voiture diplomatique.

Cette arrestation, d’un éditeur réfugié dans une ambassade, a d’autant plus choqué les Anglais que ce même ministère de l’Intérieur avait, quelques jours plus tôt, refusé l’asile politique à un Iranien devenu chrétien. Sachant qu’en Iran, la loi fait mourir les musulmans qui changent de religion. Pour justifier sa décision, votre ministre de l’Intérieur, Madame May, a informé l’Iranien qu’il y aurait dans l’Apocalypse de saint Jean, des images « de vengeance, de destruction, de mort et de violence ». « Ces exemples sont incompatibles avec votre affirmation selon laquelle vous vous êtes converti au christianisme après avoir découvert qu’il s’agit d’une religion « pacifique », par opposition à l’islam qui contient violence, rage et vengeance ». Ceci a tellement révolté les Anglais que le ministère a dû revenir sur sa décision. Et l’Iranien a eu le droit de ne pas aller se faire tuer dans son pays.

Les Saoudiens et les républiques bananières nient l’authenticité des fuites publiées par Julian Assange. Mais les gouvernements responsables, comme ceux des États-Unis et de l’Angleterre, affirment qu’il s’agit de documents authentiques. Aux États-Unis, où la peine de mort existe, les informateurs de Wikileaks ont d’ailleurs été traînés en justice. Maintenant, c’est au tour d’Assange. C’est votre gouvernement, Monsieur Trump, qui a demandé son extradition pour qu’il soit jugé dans votre pays.

L’Equateur a subi durant des années des pressions pour accepter de laisser la police britannique pénétrer dans son ambassade. Tant qu’il a refusé de le faire, il a été boycotté par les organismes financiers internationaux. Et puis soudain, surprise : l’Equateur obtient, en février 2019, 10,2 milliards de dollars de crédits de la part du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale. Or ces organismes refusaient depuis longtemps d’octroyer ces faveurs à l’Equateur, dont la situation financière était catastrophique. D’où cette phrase naïve jetée par le président équatorien Lenino Moreno à la presse : « Nous avons vécu des temps difficiles, mais le fait que le monde ait confiance en nous et nous croie démontre que nous sommes sur la bonne voie. »

En quoi sont-ils dans la bonne voie par rapport à l’année précédente ? La situation de l’Equateur n’a changé en rien, sinon dans le fait que, trois semaines plus tard, l’Equateur a livré Assange à la police britannique. Dès le moment où l’argent est arrivé, on a pu annoncer que cela arriverait bientôt.

Mais pourquoi cacher la vérité, Monsieur Trump, Madame May ? Vos électeurs ont le droit de savoir ce que vous faites en son nom, et c’est pourquoi tous courent lire les publications de Wikileaks aussitôt qu’elles sont disponibles. Vous voulez vous débarrasser de Julian Assange ? Publiez vous-mêmes les documents avant qu’il ne le fasse, et vous verrez : les gens courront après vous et le dédaigneront. Vous ne le faites pas car ce qu’on cache dans les coulisses de la diplomatie et dans les tiroirs des classeurs secrets, c’est ce qui est sale, c’est ce dont on a honte. Mais c’est justement ce que le public aimerait connaître, car il sent que c’est beaucoup plus important, pour son avenir, que les choses que vous lui dites.

Rappelez-vous, Monsieur Trump, le temps où vous étiez un ardent supporter de Wikileaks. Pourquoi ? Parce que ses publications vous permettaient de savoir les petits secrets de vos adversaires politiques. Ainsi, vous avez largement répercuté une certaine phrase datée du 19 août 2014. Elle a été écrite par John Podesta, conseiller du président Obama, à Hillary Clinton, alors ministre américaine des Affaires étrangères.

« Nous devons, écrit Podesta, utiliser nos moyens de renseignement, qu’ils soient diplomatiques ou plus traditionnels, pour faire pression sur les gouvernements du Qatar et de l’Arabie saoudite, qui fournissent un soutien financier et logistique clandestin à l’Etat islamique et aux autres groupes sunnites radicaux de la région. »

Durant votre campagne électorale, Monsieur Trump, vous citiez cet email dans vos conférences, et vous critiquiez le gouvernement américain d’avoir été l’allié des financiers de l’Etat islamique. Vous disiez : « I love Wikileaks. »

Mais une fois arrivé au pouvoir, vous êtes devenu un grand ennemi de Wikileaks. Ce changement d’attitude est-il étranger au fait que vous soyez devenu l’ami des Saoudiens, qui détestent Wikileaks pour ce que cette organisation a publié à leur sujet ?

On comprend que les politiciens véreux aient besoin de faire taire Assange en l’emprisonnant, plutôt qu’en publiant les archives secrètes à sa place. Des politiques dignes de ce nom auraient, au contraire, favorisé la transparence.

Ariel Denis, une vie et des œuvres

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L’écrivain Ariel Denis rembobine son histoire dans Le making of, un court récit constellé de cinématographiques.


L’essayiste et romancier Ariel Denis tisse une pellicule sensible de ses jeunes années où son aventure intérieure est rythmée par la vision de grands films classiques. Epopées hollywoodiennes, polars « sauce gribiche » des années 50 ou échappées italiennes, la réalité des salles obscures prend possession, peu à peu, de sa vie quotidienne. Le cinéma donne corps à ses agissements.

Virtuose tel Gene Kelly

Comme si l’auteur avançait sur un fil imaginaire au-dessus des contingences et des obligations, il se refuse à penser platement, la Terre n’est-elle pas ronde ? Cette fresque a quelque chose d’hypnotique car l’écriture d’Ariel Denis brouille, sans cesse, les repères tangibles. Il n’est pas un conteur de l’ordinaire. Il est le metteur en scène de son existence. Il se moque des temporalités figées. Il déguise les apparences. La fiction s’empare alors de son destin. Virtuose et sautillant à la manière d’un Gene Kelly, il bouscule la trame narrative pour lui insuffler une ubiquité exaltante.

Avec Denis, l’hommage aux textes fondateurs, de Conrad à l’Homme de la Mancha, de Stevenson aux Trois Mousquetaires, s’intercale à toutes les étapes, à tous les instants. Le féerique grignote la banalité. Le tragique apparaît sans les roulements de tambours et les cris atroces. Il est silencieux. Cette charge héroïque dont il est passé maître s’immisce partout, donnant à ce texte des allures métaphysiques. Tout est prétexte à l’analyse, à l’entremêlement des événements, à l’érudition taquine aussi, L’Aventure se niche aussi bien dans un square de Montparnasse que sur une île déserte. L’aventure est ici un mode de pensée, une nouvelle forme de politesse du désespoir, une manière de tenir le cap, de trouver sa propre direction dans un monde tourneboulé.

D’une caissière de Monoprix au souvenir de Truffaut

Un livre d’Ariel Denis ne se résume pas dans une fiche signalétique, il ne suit pas les autoroutes de la pensée. Il déborde forcément des cadres. Ne cherchez pas un début ou une fin, une linéarité asphyxiante, acceptez simplement d’être porté par une langue pleine de soubresauts et d’émerveillements. Un plaisir à ricocher sur les récifs du passé d’un autre, à se laisser guider par la plume de l’écrivain, la force de la littérature se niche dans cet abandon-là. Abandonnez également vos vieux réflexes du texte cadenassé, charpenté et désespérément vide. Par touches pointillistes, il divague d’une caissière de Monoprix au souvenir de François Truffaut. « De l’aventure, il en existe toujours, partout, à chaque instant : apprenez donc à lire, avant de tenter de vivre » nous prévient-il, quand on commence à s’enfoncer avec lui, dans cette enfance forcément singulière. Ajoutant même : « La réalité est un récit. L’aventure est un récit. Le récit est une aventure ».

Chez Denis, peu importe l’emballage, film ou livre, l’évasion exprime son identité profonde : « Pourvu que, au sein du livre, du film, je retrouve ma place, mon rôle, que je sois là, une fois encore… ». L’originalité de la construction, la présence d’élégants clichés, l’imbrication des films et cette impression de légèreté sont autant d’images poétiques qui viennent percuter le lecteur. Il y a des films qu’on a oublié dès la porte du cinéma franchie. A l’air libre, ils se sont évaporés. Ce Making of une fois refermé continue d’agir longtemps. Un parfum étrange et tenace, de ces fragrances qui tiennent nos sens en éveil.

Le making of, Ariel Denis, Éditions Pierre-Guillaume de Roux.

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« La présence de deux hommes ne fait pas un père »


Pour le psychanalyste Jean-Pierre Winter, auteur de L’Avenir du père: réinventer sa place ?, les nouveaux schémas familiaux ne peuvent faire l’économie de la fonction paternelle. A l’ère de la PMA et de la GPA à l’étranger, l’inscription généalogique reste indispensable à la construction de l’enfant. Et la présence de deux hommes ne fait pas un père. 


Causeur. Le père semble aujourd’hui mal en point puisqu’avec la PMA pour des couples de femmes ou des femmes seules, sa présence est réduite à un tube à essai et explicitement niée par l’idée même de deux mères. Mais, dans le fond, vous et la psychanalyse ne cherchez-vous pas simplement à défendre l’ordre ancien où le père était tout-puissant ?

Jean-Pierre Winter. Sous toutes les latitudes et bien avant l’apparition de la psychanalyse, la position du père a toujours été d’une extrême fragilité. D’abord, il n’est pas facile pour un enfant de savoir quel rôle le père a pu jouer dans sa conception, alors que la mère, elle, relève de l’évidence : on a vécu dans son ventre pendant neuf mois, on a été allaité, on la connaît par les sensations, les odeurs, le regard, la voix, les échanges gazeux et sanguins, ce qu’on appelle l’épigénétique…

Le père, lui, relève d’une élaboration intellectuelle s’appuyant sur le simple fait qu’un jour, une femme dit : « Cet homme-là, c’est ton père. » La construction du père tient donc en grande partie à la parole, parfois changeante, de la mère. Avec ces briques, l’individu se construit le père qu’il idéalise comme celui qui va le protéger, le soutenir dans la vie et lui offrir une ouverture sur l’extérieur de la relation fusionnelle avec la mère, qui est une relation de structure.

Cette fonction est-elle nécessairement assurée par un homme ?

Nécessairement. Car ce qui marque l’essentiel de la fonction du père, c’est qu’il est différent. On connaît l’argument de la psychanalyse : il est porteur du phallus – comme disait Lacan, « il n’est pas sans l’avoir », ce qui ne veut pas dire qu’il l’a. En tant que tel, il est différent de la femme qui a porté l’enfant. Ou, si l’on se réfère à Françoise Héritier, il est différent de la mère en ceci qu’il ne peut pas mettre un enfant au monde.

Deux femmes (ou deux hommes) aussi sont différentes l’une de l’autre…

Oui, mais il y a des différences essentielles et des différences inessentielles. Les différences secondaires, ce sont celles que Freud appelait les « petites différences narcissiques ». La différence entre les sexes est, elle, essentielle comme le sont la différence entre la vie et la mort ou la différence de génération.

D’accord, mais comment la définissez-vous ? Qu’est-ce qui vous permet de dire que je suis une femme ?

Ce n’est pas parce que la différence entre les hommes et les femmes est subtile et indéfinissable qu’elle n’existe pas. C’est exactement comme avec les juifs : ils sont absolument comme tout le monde, ils n’ont ni plus ni moins de QI ou d’argent que tout le monde… Comme on le dit dans Le Marchand de Venise de Shakespeare : ce sont des hommes comme les autres. Mais leur différence, bien qu’insaisissable, existe quand même.

Elle est un peu moins évidente, non ? Quoi qu’il en soit, il y a aujourd’hui une réclamation d’identité sexuelle plus flexible, notamment à travers la normalisation de la transsexualité.

Même si je ne suis pas un partisan de la rigidité identitaire avec les hommes d’un côté et les femmes de l’autre, reste un socle qui fait que les hommes ne peuvent pas mettre au monde des enfants.

C’est un socle biologique, mais de moins en moins symbolique dès lors que deux hommes peuvent désormais se définir comme les deux pères d’un enfant. Il est vrai que la mère porteuse introduit la présence d’une femme…

La mère porteuse introduit la présence d’une femme, mais cette femme décide de ne pas être une mère, donc elle met en question le statut de mère. Cela pose des questions juridiques, morales et psychologiques. Quant aux couples homosexuels masculins, la présence de deux hommes ne fait pas un père. La configuration actuelle en Occident correspond à un équilibre qui s’est établi avec la fin idéologique du patriarcat. C’est une conquête légitime. Mais puisque le père ne s’affirme pas par son pouvoir patriarcal, que lui reste-t-il ? Va-t-on le jeter avec l’eau du bain sous prétexte qu’il n’a plus le pouvoir de vie et de mort sur ses enfants, ni d’autorité sur sa femme ?

Cela signifie-t-il que, plus que la biologie, ce sont l’amour et la transmission qui font le père ?

La psychanalyse ne prétend pas qu’un enfant se construit uniquement grâce à l’amour et à l’éducation, aussi indispensables soient-ils. Il y a des choses très importantes de l’ordre du symbolique : la généalogie, l’appartenance à une histoire, les secrets de famille… Des gens qui ont élevé leur enfant avec amour et qui l’ont bien éduqué peuvent se retrouver avec des ados délinquants. Freud disait : « Faites comme vous voudrez, de toute façon, ce sera mal. » Pourquoi ? Parce qu’il se joue dans l’élaboration du psychisme des choses qui n’ont rien à voir avec l’amour reçu ou l’éducation dont on a bénéficié.

Votre discours se réfère à un âge dépassé de la famille. Que dites-vous aux couples de pères ou de mères ?

Je ne me soucie que très peu de savoir comment est construite la famille, du moment que l’enfant peut identifier quelle place est la sienne dans le cours de son histoire. Je cite souvent cette phrase de Pierre Legendre : « L’homme est un animal généalogique. » Pour se construire, il a besoin d’une armature. Inversement, les sujets qui ne savent rien de leur généalogie angoissent à force d’être constamment ramenés en arrière vers leurs origines. Les trous dans leur passé les empêchent de se projeter vers l’avenir. Ce que je voudrais dire aux couples homosexuels, c’est que le « papa » n’est pas le « père ». On peut avoir deux papas si on pense que l’essentiel dans l’évolution d’un enfant est l’amour et l’éducation. Mais le père relève de la généalogie. Ce sont les histoires des enfants adoptés qui nous l’enseignent : l’expérience montre qu’il est très difficile, souvent, d’adopter une généalogie qui soit seulement juridique. L’enfant adopté ne parvient pas toujours à adopter une histoire qu’il ressent comme n’étant pas la sienne.

L’adoption n’en institue pas moins un père.

Le père est celui que la mère a dans la tête au moment où elle tombe enceinte. Ça peut être le compagnon qu’elle a choisi, son meilleur ami, un frère ou son père… Cet homme-là a un statut très particulier. La succession des pères se cristallise à un moment donné sur un homme particulier qui a été reconnu par une femme comme étant celui avec qui elle veut faire des enfants. Et ça n’a rien à voir avec le « papa » de tous les jours.

C’est souvent le même !

Certes, mais le papa est affectif, c’est celui qui nourrit ou câline. C’est pourquoi je m’offusque quand j’entends des hommes de 60 ans, à la télé ou à la radio, qui parlent de leur « papa » ! Mais quand on demande à quelqu’un : « En quoi ton père a-t-il été un père pour toi ? » Je n’ai jamais comme réponse : « Parce que c’est lui qui me changeait mes couches ! »

Je n’exclus pas qu’on puisse l’entendre dans vingt ans…

On verra. En attendant, la reconnaissance du père joue sur une parole, un regard, un geste de père. Je donne comme exemple de cas clinique ce syndicaliste qui a un père, mais pas de papa. Il a un père, parce que sa mère est liée à l’homme avec lequel elle l’a conçu par un serment de silence qu’elle tient à son corps défendant. On peut imaginer ce que ça lui a coûté de ne pas révéler le nom du père. Mais par le respect de ce serment, elle accorde une place au père qui, du coup, n’est plus un simple géniteur. Toute la question qui se pose aujourd’hui est de savoir quelle place il reste pour le père dans le discours courant. C’est la raison pour laquelle j’avais proposé aux commissions du Sénat et de l’Assemblée nationale qu’on écrive sur le registre d’état civil : « Cet enfant a eu un père. » Un père peut-être inconnu, réfuté dans sa fonction éducative, mais il a existé. En n’écrivant pas que chaque enfant a eu un père, la loi de la collectivité fait disparaître le père que beaucoup, individuellement, voudraient inconsciemment voir disparaître. Il n’est pas réel que deux femmes peuvent faire un enfant toutes seules !

Prenons l’exemple de Marc-Olivier Fogiel qui raconte son expérience dans un livre – et dans l’entretien avec Causeur. Lui et son mari ont eu recours deux fois à la GPA avec la même donneuse et la même mère porteuse. Donc, leurs filles sont biologiquement sœurs par leur mère, mais chacune d’elle a un père, qu’elle appelle « papa ».

Je remarque que les deux « pères » tiennent malgré tout à la biologie. Même des sociologues pro-GPA reconnaissent l’importance de la transmission d’une partie du patrimoine génétique. Mais pourquoi une partie et pas la totalité ? De deux choses l’une : ou bien la paternité relève d’une construction culturelle et intentionnelle, et alors, on se moque de savoir qui est le géniteur, ou bien elle passe par la généalogie qui est à la fois réelle, symbolique et fantasmatique.

A lire aussi: Marc-Olivier Fogiel: « Ce n’est pas la génétique qui m’a fait père, c’est le désir »

Il y a des gens qui recourent à l’adoption, parce qu’ils n’ont pas réussi à faire d’enfants !

Les gens qui recourent à l’adoption ne se soucient pas d’avoir une transmission génétique. Ils ne prétendent pas que l’enfant n’a pas été conçu par un homme et une femme. Ils l’adoptent. Le mot dit bien ce qu’il veut dire.

Est-ce problématique qu’un enfant croie à tort être le fils du mari de sa mère, comme beaucoup d’enfants illégitimes au cours des siècles ?

C’est la source de la plupart des névroses obsessionnelles. Balzac a écrit un merveilleux roman sur ce thème : L’Enfant maudit. Pour des raisons sociales, la mère ne dit pas avec qui elle a conçu l’enfant. Mais l’enfant est référé à cet homme-là, et on s’étonne : « Il n’a rien retenu du caractère de son père, mais par contre, qu’est-ce qu’il ressemble au cousin untel qui, comme lui, était poète et musicien ! »

Vous parlez de la place du père, mais dans l’affaire du couple d’hommes, il y a surtout un problème de mère !

Aujourd’hui, la mère est diffractée entre la mère d’intention, la mère génétique et la mère porteuse. On finit par ne plus savoir laquelle des trois doit être désignée comme la mère légale. Des pays comme la France considèrent que la mère est celle qui accouche de l’enfant, donc éventuellement la mère porteuse. Mais on n’a pas le droit d’y recourir en France, ce qui pose le problème de l’inscription de l’enfant à l’état civil.

Dans d’autres pays, c’est la mère d’intention qui l’emporte. La génétique n’a alors plus rien à faire dans l’affaire, puisque la mère d’intention n’a ni donné l’ovule ni porté l’enfant. C’est le seul vouloir qui compte. Sauf que la volonté est fragile. On peut vouloir, puis ne plus vouloir, se séparer…

Donc, d’un point de vue concret, la PMA, qui pourrait être ouverte aux couples de femmes et aux femmes seules, est plus problématique que la GPA, qui n’élimine pas complètement l’autre sexe…

Peut-être, mais ça pose quand même un problème. Vous avez peut-être vu ce reportage d’« Envoyé spécial » sur la GPA : en s’appuyant sur de la psychanalyse de bazar, on nous dit que l’important, c’est que l’enfant connaisse son histoire, donc qu’on lui raconte la vérité de cette histoire. C’est une croyance en la vérité complètement fantasmatique : comme disait Lacan, « La vérité […] elle ne peut que se mi-dire » – on ne peut pas toute la dire. Dans ce reportage, on entend que les « parents » d’un enfant lui racontent les circonstances dans lesquelles il a été conçu et mis au monde mais, dans le même temps, ils mentent à tout leur entourage.

Mais des enfants sans père ou sans mère, la vie s’est chargée d’en faire depuis l’Antiquité. Faudrait-il accepter l’homo-éducation, mais refuser l’homoparentalité ?

Oui. De fait, les enfants naissent aujourd’hui dans ces conditions-là, mais il y a des moyens de parer en partie à des effacements, notamment du père, en inscrivant les choses. Autrefois, beaucoup d’enfants à qui on a menti sur les conditions de leur naissance découvraient la vérité en ouvrant leur livret de famille à 16 ou 18 ans, ou en tombant sur une lettre de leur grand-mère. Il y avait une trace écrite d’une importance particulière, un écrit qui ne relève pas d’une volonté d’effacer des parents qui prennent en charge l’enfant.

La possibilité pour n’importe quel enfant, s’il le veut, d’avoir une trace du fait qu’il y a eu un homme est essentielle. Même si cet homme n’a fait que donner son spermatozoïde à la « banque du sperme », il n’est pas innocent des conséquences de son acte. Et puis, derrière tout ça, il y a une grosse affaire de sous… Marc-Olivier Fogiel est très sympathique, mais il a raconté qu’il avait dû débourser la bagatelle de 150 000 euros pour avoir ses filles ! Ce n’est pas à la portée de n’importe qui, mais surtout cela ouvre à un « marché des enfants » pour les couples hétérosexuels comme pour les couples homosexuels. C’est le propre du capitalisme de vouloir tout monnayer pour contourner notre condition humaine sexuée.

Aux États-Unis, un couple hétérosexuel qui recourt à la fécondation in vitro (FIV) doit payer aussi. Mais passons. Êtes-vous favorable à la suppression de l’anonymat des donneurs ?

Totalement. Les LGBT sont vent debout contre, mais la tendance occidentale est à la levée possible – et encadrée – de l’anonymat.

Si les LGBT tiennent mordicus à l’anonymat des donneurs, c’est que certains veulent bien donner leur sperme à condition de ne pas être pères !

C’est pour ça que je souhaite une levée encadrée. On tombe là dans une contradiction de la loi française. Une femme peut très bien faire un enfant dans le dos d’un homme qui n’en peut mais, et qui, au prétexte qu’il a été le géniteur involontaire, devra se reconnaître devant la loi comme père. La loi autorise la femme à désigner le père, voire à demander une pension alimentaire rétroactive !

C’est la conséquence de la différence des sexes…

Non, c’est la conséquence d’une contradiction dans les termes actuels : on ne sait pas si un père, c’est seulement une organisation intellectuelle et mentale ou si ça a partie liée avec le géniteur. La loi joue sur tous les tableaux et entretient un flou artistique qui est très préoccupant, en même temps qu’injuste.

Les normes anthropologiques peuvent changer. Le véritable bouleversement, aujourd’hui, ne tient-il pas plutôt à la diffraction de la mère que vous avez évoquée ? Des gens qui ne savent pas qui est leur père, ça a toujours existé…

L’inverse a existé aussi, avec les histoires de nourrice. Quand je dis que la mère est connue par les sens, ce n’est pas pour faire du biologisme ou du naturalisme, c’est parce que dans le psychisme de l’enfant, la mère résonne comme ça. Il y a un premier temps où la mère et l’enfant se confondent, l’enfant, c’est « moi – ma mère », « moi – le sein », il ne fait pas la différence, et puis, petit à petit, il se sépare d’elle. Cette séparation va lui permettre de reconnaître dans cette femme qui l’a mis au monde non plus simplement une mère, mais une femme, ça peut prendre du temps, quelquefois l’opération ne réussit pas. Mais il se sépare d’elle parce que c’est vital pour lui, comme il est vital pour elle de se séparer de l’enfant. Et puis, il a remarqué que cette femme ne s’intéresse pas qu’à lui, du coup ce qui intéresse cette femme l’intéresse. On me dira que la mère peut être intéressée par une autre femme qui occupe la fonction paternelle. Mais si la loi autorise les femmes seules à faire cet enfant, elles seront bien plus nombreuses que les femmes en couple et on aura permis la multiplication de familles monoparentales sans père. Qui, selon ce raisonnement, fera « le tiers » dans ce cas ?  N’importe quel homme ! dit-on. Sauf que n’importe quel homme, ce n’est pas la même chose qu’un tiers à la maison sans lequel je ne serais pas venu au monde. Ce qui intéresse l’enfant, c’est le récit qui ne dément pas le réel au quotidien.

D’accord, mais les techniques de procréation artificielle sont ouvertes aux femmes seules depuis longtemps.

C’est une erreur qui a des causes historiques. Pendant les deux guerres mondiales, les hommes étant partis à la guerre sans toujours revenir, il fallait bien faire des enfants quand même pour faire marcher la machine industrielle. On a donc permis à des femmes hétérosexuelles, ou qui se déclaraient telles, d’avoir recours à l’insémination artificielle. On n’en a pas fait un idéal pour autant, parce qu’on a vu le résultat sur les divans des psychanalystes ou dans les bureaux des psychiatres, avec parfois des enfants complètement paumés. Et aujourd’hui, pour rétablir l’égalité, on établirait l’égalité des malheurs ! Ce qui a été accordé aux femmes à la suite des déséquilibres démographiques nés de situations accidentelles ne doit pas mécaniquement devenir une règle générale applicable à toute personne qui décide de faire seule un enfant. Mais il est vrai que la loi l’y autorise.

Je ne vois pas comment on refuserait à une femme homosexuelle ce qu’on accorde à une femme hétérosexuelle.

En tout cas, cela ne nous exonère pas de la construction du père. Le petit construit d’abord son père en l’idéalisant. Et puis comme le dit Lacan, à un moment donné, tout le monde s’aperçoit que son père est un pauvre type, un clown, un type pas à la hauteur de l’image qu’on s’est faite de lui : on va donc être obligé de l’affronter ! Cet affrontement est important parce qu’il nous fait découvrir les difficultés de la vie. Le père n’est pas seulement le tiers qui sépare la mère et l’enfant. Il permet aussi de créer une situation intermédiaire entre l’homme et la loi, évitant à l’enfant d’être écrasé par la loi ou, si on est religieux, par Dieu. En somme, de ne pas être écrasé par l’ensemble du système symbolique.

Au fond, toute votre théorie du père repose sur l’idée que l’homme est un animal généalogique. Mais quelque chose du monde biblique et de la différence des sexes est malgré tout en train de se finir. La technologie venant au secours de l’anthropologie, ne cesserons-nous pas d’être des « animaux généalogiques » ?

Dans animal généalogique, il y a « animal » et « généalogique ». Si vous prenez un veau, il peut savoir qui est sa mère : c’est celle qui l’a mis au monde et qu’il tête. Mais il se fiche de savoir qui est son père. Surtout, on n’a jamais vu, de mémoire de vétérinaire, un veau se préoccuper de savoir qui était sa grand-mère ! Or, j’y suis particulièrement sensible à cause de la Shoah, quand un être humain ne peut pas remonter plus loin que la génération de ses parents, il est amputé de quelque chose et cela atteint ses facultés de mémoire. Un enfant de cinq ans qui peut nommer avec précision son père, sa mère, son grand-père, sa grand-mère, ses oncles et tantes a beaucoup moins de difficultés à se laisser enseigner qu’un enfant qui vit dans un flou total à ce sujet-là. C’est un fait d’expérience clinique. La Bible n’a rien à voir là-dedans : il en va de même dans la quasi-totalité des civilisations qu’elles soient indiennes, chinoises, japonaises, etc. Il serait efficace de sortir de nos obsessions ethnocentristes. Contrairement à ce que vous semblez croire, les ethnobiologies peuvent être au service des mythes religieux. Qu’une femme puisse faire un enfant en étant bréhaigne (stérile) ou vierge, n’est-ce pas un fantasme religieux ?

Dans la Bible, et sans doute dans d’autres cultures, l’histoire humaine naît de la Chute, donc de la différence des sexes… Quoi qu’il en soit, ce qui est étrange à notre époque, c’est que la fonction parentale soit tellement désirée !

Nul ne sait de quoi est fait le désir d’enfants. On est tous divisés entre le fini de la vie qu’on mène et l’infini de la vie depuis son commencement. En termes médicaux, on évolue entre germen et soma. Le soma, c’est qu’on est des cadavres ambulants, on sait qu’on va crever ; et puis en nous, il y a quelque chose qui nous pousse à la reproduction, qu’on le fasse ou pas. Dans la Bible, on voit bien que, dès l’origine, la question de la stérilité des femmes est posée. La stérilité des femmes signifie en nous la possibilité et la liberté de ne pas faire d’enfants. C’est pourquoi je m’interroge beaucoup sur cette volonté subite des homosexuels de faire des enfants alors qu’ils étaient ceux qui avaient la liberté de ne pas en faire.

Oui, les homos ont maintenant une vision bourgeoise et individualiste du bonheur…

Ils sont très familialistes. Alors que moi, comme psychanalyste, la famille, je ne m’en préoccupe guère ! La généalogie, ce n’est pas la famille. « Tu honoreras ton père et ta mère » signifie littéralement « Tu prendras lourdement conscience du fait que tu as un père et une mère » dans un milieu lourdement polygame !!! Mon livre de chevet après Mai 68, c’était Mort de la famille, de David Cooper, pas le catéchisme !

Finalement, quel est le rôle spécifique du père dans la transmission ?

Par son existence même, c’est la transmission de la généalogie, c’est celui qui assure la pérennité du passé, du présent et du futur par sa voix qui transmet la Voix qui lui vient du plus lointain passé et qui est ce qu’il a reçu, à son insu, des pères. On reçoit essentiellement des choses dont on ne veut pas. Le problème de la Manif pour tous, comme celui de ses adversaires, c’est qu’ils pensent tous à l’échelle d’une seule génération : « un papa, une maman, un enfant » ou « un papa, un papa, un enfant ». Or, nombre de symptômes montrent que ce n’est pas comme ça que ça se passe.

Jean-Pierre Winter L’avenir du père – Réinventer sa place ? Albin Michel, janvier 2019

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Qu'est-ce qu'elle a ma famille ?: récit

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Sexualité: les lobbies font la guerre, pas l’amour


Loin d’être une question d’ordre privé, la sexualité est une puissante arme politique. Les lobbies progressistes l’utilisent contre l’Eglise ou la « domination » masculine pour mieux imposer leur point de vue. 


On a coutume de dire qu’en matière sexuelle, la liberté individuelle prévaut plus que tout. La sexualité serait ainsi la question la plus privée, donc la moins politique qui soit. En réalité, c’est exactement l’inverse. Il n’y a pas de question plus politique, malgré les apparences, que la sexualité.

Les enjeux sociétaux, et donc politiques, liés aux comportements sexuels sont absolument primordiaux, parce que des comportements sexuels dépendent les attitudes par rapport à la notion de famille et d’éducation, mais aussi par rapport à la filiation, l’enracinement, le travail, la consommation ou le rapport aux autres. Le comportement sexuel détermine, en fin de compte, une attitude et une philosophie par rapport à la vie en général. Bien que les forces politiques, le sexe est, pour cette raison, au cœur d’une bataille idéologique sans merci. Plusieurs exemples le montrent.

L’Eglise, mère de tous leurs maux

L’un d’entre eux est le discrédit dont souffre l’Eglise catholique dans la société d’aujourd’hui. Dans l’entretien consacré à cette question dans Causeur, l’excellent Jérôme Fourquet oublie un point important. Il y a plus que du désintérêt par rapport à l’Eglise. Il y a visiblement une volonté de la faire taire, et même de la faire disparaître, politiquement et si possible socialement. Sur le plan de la sexualité, les positions que celle-ci défend officiellement sont en effet à contre-sens de la philosophie de la liberté sexuelle sans « tabous » ni contraintes que prône le progressisme moderne. Au mieux « conservatrice », au pire « rigoriste », « arriérée », voire « moyenâgeuse », elle est en tout cas une gêneuse, une empêcheuse de vivre et de danser en rond.

Les médias, grands défenseurs du progressisme, tendent à rabaisser leurs interlocuteurs catholiques, à minimiser les persécutions ou les profanations dont ils peuvent faire l’objet. Après tout, si le progressisme est le « Bien », l’Eglise et ses fidèles, sauf lorsqu’ils épousent les thèses relativistes – pour éviter d’avoir à prendre position – en matière sexuelle comme dans tout le reste, sont clairement dans le camp du « Mal », et si des déboires leur arrivent, c’est un peu bien fait pour eux. Et si on peut en rajouter une couche pour les enfoncer, encore mieux.

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C’est à cette aune qu’il faut juger les récentes attaques contre l’Eglise en matière de pédophilie. On remarquera que ce procès n’est intenté que contre cette institution : on n’a pas vu la même chose se produire contre les milieux sportifs, éducatifs ou sociaux, médicaux ou hospitaliers, ou encore dans la formation professionnelle. Pense-t-on que ces milieux sont exempts de ce type de crime ? On ne cesse de crier à « l’omerta » dans l’Eglise, alors qu’on ne parle que de cela. L’omerta n’est-elle pas précisément là où on ne dit rien ? N’y a-t-il pas, derrière tout cela, une évidente intention politique ?

Le fait que le cardinal Barbarin, haute figure, pour ces militants, du « rigorisme » catholique, ait été condamné (pour des faits qui remontent à 30 ans, et pour lesquels aucune plainte n’avait été déposée jusqu’en 2014), alors qu’il avait été acquitté lors d’un premier procès, et que le procureur lui-même avait demandé la relaxe lors du deuxième, le fait qu’un film sur lui sorte précisément à ce moment-là, ne laisse que peu de doute sur les intentions des lobbies qui sont derrière ces attaques. S’il faut « se faire Barbarin », c’est pour que cette victoire soit un marqueur symbolique, un clou bien planté sur le cercueil de l’Infâme, l’Eglise coupable surtout d’avoir, sur la question de la sexualité, une position contraire au progressisme.

Communique ta mère

L’autre exemple, tendant à montrer que la question sexuelle est une guerre idéologique sans merci, est le combat des féministes contre la « domination » masculine.

L’affirmation, constamment répétée dans les médias, comme quoi « une femme meurt tous les 3 jours sous les coups de son compagnon » est, par exemple, bien choisie. S’il y a effectivement environ 110 femmes assassinées en France chaque année par leur conjoint ou compagnon (ou leur ex-conjoint ou ex-compagnon, pour être précis), 32 millions de personnes vivent en couple en France. 110 meurtres domestiques contre des femmes sur 16 millions de couples, cela fait 0,00069 %. 110 meurtres, c’est beaucoup trop, mais c’est, statistiquement, infinitésimal. Il faut rappeler qu’il y a environ 930 meurtres par an en France, dont les meurtres domestiques des hommes envers les femmes (parce qu’il y a, aussi, les meurtres des hommes par leurs femmes, environ 30 par an) ne représentent donc que 12%, alors qu’il serait logique de penser qu’on a plus de chances de pouvoir tuer une personne que l’on côtoie souvent. Cette phrase démontre en réalité le contraire de ce qu’elle dit, à savoir que l’entente générale entre hommes et femmes dans le couple est bonne. Mais on continue à répéter cette injonction magique, preuve s’il en est qu’elle provient d’une « usine à éléments de langage » concoctée dans les services de com’ de groupes politiques influents, qui l’imposent « amicalement » aux médias. Peu importe la vérité si l’effet politique est atteint. Démonétiser la relation hommes-femmes est bien un combat politique.

Ces hommes qui exploitent les femmes

Un autre aspect de cette « guerre » est le combat mené par les féministes pour l’égalité entre hommes et femmes dans le domaine du travail. Une enquête intéressante, de mars 2019, permet de se poser, à ce titre, quelques questions.

On s’aperçoit à sa lecture que le chiffre de 23,8 % qui est le plus souvent médiatisé comme étant « l’écart le plus élevé en matière d’inégalité salariale » est mensonger, puisqu’il mélange temps pleins et temps partiels. S’il est vrai, selon l’étude, que 80% des temps partiels (que l’étude assimile arbitrairement à des « emplois précaires », ce qui n’est pas nécessairement le cas) sont occupés par des femmes, on voit que le fait de mélanger temps pleins et temps partiels fausse totalement les statistiques. Pour bien faire, il faut mesurer les différences entre temps partiels féminins et masculins, et par ailleurs entre temps pleins des uns et des autres. C’est fait par la suite, mais le résultat n’est évidemment pas le même. En réalité, lorsque l’on compare les choses comparables, la différence n’est « que » de 9 %. Mais ce n’est pas cela qui est le plus intéressant.

Le plus intéressant, c’est la différence de 35 % qui apparaît parmi les plus diplômés. Elle semble totalement illogique, et l’étude a tôt fait de l’appeler « discrimination pure ». Mais lorsque l’on creuse, on s’aperçoit qu’elle ne concerne pas les personnes en début de carrière (au niveau des jeunes diplômés, la différence n’existe pas), mais en cours et en sommet de carrière. La statistique n’est pas calculée à poste égal, mais globalement, par rapport aux rémunérations générales de grands dirigeants, où les hommes sont majoritaires. Tout se passe comme si la carrière des femmes était moins rapide que celle des hommes. C’est effectivement parfois parce qu’elles le subissent, mais aussi parfois parce qu’elles le choisissent.

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Que peut-on lire, en effet, derrière ces statistiques ? Le fait que la discrimination n’explique pas tout. Nombre de couples arbitrent en réalité leur travail ou leurs carrières pour y intégrer leurs stratégies familiales. Pour les couples à faibles revenus, les femmes prendront plus facilement des temps partiels (ou des emplois dans la fonction publique, où elles sont aussi majoritaires) pour libérer du temps avec leurs enfants. Même sorte d’arbitrage, pour les hauts revenus. Certaines femmes très diplômées, après avoir été embauchées à un salaire équivalent aux hommes, vont choisir de grimper moins vite dans la hiérarchie, pour pouvoir consacrer du temps à leurs familles. Elles ne veulent pas se faire « manger » par l’entreprise, et c’est un choix tout à fait légitime.

Je ne nie pas les discriminations, je fais seulement remarquer que les statistiques sont faussées. Les études n’incluent jamais les stratégies familiales par rapport aux enfants. Elles présentent obligatoirement les écarts comme subis, ce qui n’est pas toujours le cas. Cette approche n’est pas un oubli, il y a tout lieu de penser que c’est un choix politique.

Le sexe, c’est la vie

Derrière les attaques contre l’Eglise, défenseur d’un modèle « passéiste », derrière la mise en confrontation des couples, derrière la réduction des femmes à de purs objets professionnels sans autre stratégie que de travailler le plus possible, se cache un calcul très sordide : faire des hommes et des femmes des individus désaffiliés, livrés à la machine libérale.

Lorsque l’Eglise se taira, plus personne ne portera son discours. Lorsqu’hommes et femmes seront définitivement des ennemis, et non plus des couples, ils ne pourront se rencontrer que comme des partenaires sexuels momentanés.

Les lobbies progressistes le savent bien : la sexualité est la notion politique par excellence. A travers elle, on peut promouvoir soit une société humaine et pacifique, qui s’organise autour de la famille et de l’enfant, où le travail et l’argent ont d’abord le sens de la gratuité du don familial, soit une société purement libérale, centrée autour des désirs individuels, et du travail comme prétexte et moyen de les assouvir sans limite. Dans leur combat acharné pour imposer à tous une sexualité libre-service, les lobbies progressistes « sexualistes » sont les complices, parfaitement conscients, de puissances économiques. Ils sont du même monde. Bien qu’ils soient très minoritaires, ces lobbies ont pris le pouvoir, et les imbéciles les laissent faire. Comme en matière économique, les moutons font semblant de ne pas voir qu’il y a des loups en face… S’ils deviennent totalitaires, et ils n’en sont pas loin, bienvenue chez Orwell.

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« Deux cents millions de chrétiens ne sont pas libres de vivre leur foi »


Entretien avec Marc Fromager, directeur de l’Aide à l’Église en détresse (AED), fondation internationale de droit pontifical. 


Causeur. Quel regard portez-vous sur l’action de la diplomatie française à l’égard des chrétiens persécutés dans le monde ?

Marc Fromager. Ce n’est pas l’une de ses priorités, et on peut en dire autant des médias et de l’opinion en France. Le soutien aux chrétiens d’Irak a été pour nous une heureuse surprise, mais le mouvement tenait manifestement plus du dégoût des abominations de Daech que de la solidarité avec la communauté chrétienne irakienne.

Que reste-t-il de cette communauté ?

Environ 150 000 personnes. Elle a disparu à 90 %. En Syrie, les chrétiens sont tombés à 2 % de la population, contre 8 % avant la guerre, mais certains reviendront probablement quand la paix régnera. Les relations interreligieuses en Syrie étaient plutôt bonnes. En Irak, en revanche, la disparition du christianisme est à redouter. Malgré la répression, la situation est paradoxalement meilleure en Iran. Le christianisme y progresse, dans la clandestinité. Il y aurait entre 300 000 et 800 000 chrétiens iraniens.

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Et ailleurs au Proche-Orient ?

On parle beaucoup des attaques en Égypte[tooltips content= »Sept morts et 14 blessés dans une attaque de bus en novembre 2018, 27 morts et 49 blessés dans une attaque contre une église du Caire en décembre 2016, 21 morts et 79 blessés dans une autre église, à Alexandrie, en 2011, etc. »]1[/tooltips], mais, concrètement, c’est le dernier grand réservoir chrétien de la région, avec 15 millions de croyants, contre 2 millions seulement dans tout le reste de la zone ! En Algérie, en Tunisie, au Maroc, les chrétiens sont par définition des étrangers. La conversion pose un problème, pour employer un euphémisme [en Algérie, une ordonnance de 2006 punit de cinq ans de prison les tentatives de conversion d’un musulman, NDLR]. L’islam n’accepte pas l’apostasie.

Quel autre pays vous préoccupe plus particulièrement ?

L’Inde. Le nationalisme hindou se tourne aussi contre les chrétiens. Ils représentent 1,6 % de la population seulement, mais les institutions chrétiennes encadrent 20 millions d’étudiants et gèrent 20 % des centres de santé du pays. Pour des partis qui jouent la carte de la pureté nationale à des fins électorales, ces institutions sont des cibles toutes trouvées.

Jusqu’où vont les persécutions ?

Jusqu’à l’assassinat, dans les cas extrêmes. Le plus souvent, elles prennent la forme de vexations, de discriminations. Dans le monde, 200 millions de chrétiens ne sont pas libres de vivre leur foi.

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Algérie: avec Bensalah, Bouteflika est toujours là

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Si le départ d’Abdelaziz Bouteflika a ravi la foule qui manifestait depuis plusieurs semaines, son remplaçant automatique, Abdelkader Bensalah, possède les mêmes caractéristiques que lui. En Algérie, le système est toujours là, tout a changé pour que rien ne change. 


L’acte I s’est enfin terminé. Le 4 avril, la rue a eu raison d’Abdelaziz Bouteflika, au pouvoir depuis vingt ans.

Depuis des semaines, des manifestations pacifiques s’étaient déployées dans toutes les rues du pays. Drapeaux algériens à la main, des centaines de milliers de personnes ont battu le pavé avec l’espoir de voir partir le président âgé de 82 ans. Hommes, femmes, enfants, jeunes comme vieux, cadres et sans emplois, jamais l’Algérie n’avait connu de tels mouvements de liesses depuis l’Indépendance en 1962. Tous ont occupé les rues avec l’espoir et la détermination de voir ce pays gangrené par le chômage et la corruption se doter d’une démocratie saine et renouvelée.

Bouteflika, l’arbre qui cachait Bensalah

Alors, lorsque conformément à la Constitution, le président du Sénat Abdelkader Bensalah s’est retrouvé président de la République, c’est un sentiment d’humiliation et de colère qui a frappé la foule. Car Bensalah ressemble à l’ancien président.

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Légèrement plus jeune, 77 ans, c’est un éléphant dans une société où l’âge moyen est de 26 ans, parmi les plus jeunes du continent africain. Bensalah est membre du Rassemblement national démocratique (RND), un parti créé par l’ancien Premier ministre, Ahmed Ouyahia, pour servir d’appoint au Front de libération nationale (FLN), le parti majoritaire. Bien qu’il ne doive rester que 90 jours au pouvoir, Bensalah représente tout ce qu’a combattu la rue pacifiquement mais avec détermination. Le système. Une coalition mêlant monde politique, pétrole et armée. Bouteflika n’était que l’arbre cachant une forêt bien plus vaste à laquelle appartient le nouveau président par intérim, une forêt que la décennie noire n’a fait que densifier dans les années 90.

Bensalah, le « Marocain »

Abdelkader Bensalah a été journaliste dans les années 70, spécialisé notamment sur le Levant. Devenu député de la région de Tlemcen dans la même décennie, il entame une carrière de diplomate en devenant ambassadeur en Arabie saoudite à la fin des années 80, une période où Bouteflika s’est éloigné de la politique. Les deux compères, comme d’autres de cette génération, reviennent aux commandes avec la guerre civile. Bensalah préside entre 1994 et 1997, le Conseil national de transition, l’unique chambre parlementaire après l’interruption du processus électoral de 1991. Puis c’est la voie royale : président de l’Assemblée populaire nationale de 1997 à 2002 puis de la plus haute chambre du pays de 2002 à 2019.

De manière totalement caricaturale, son CV incarne de A à Z la génération Bouteflika qu’a justement rejetée cette révolte pacifique. Immédiatement, de vieilles rumeurs ont éclaté sur le pavé et les réseaux sociaux : Bensalah ne pourrait être président car né Marocain.

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En 2013, lorsque s’était posée la question d’une possible succession d’Abdelaziz Bouteflika, le nom de Bensalah avait déjà surgi. Lakhdar Benkhellaf, leader parlementaire du Front pour la Justice et le Développement (FJD), avait suscité la polémique déclarant qu’Abdelkader Bensalah « avait la nationalité marocaine » avant d’être naturalisé algérien. « La condition pour qu’un responsable occupe le poste de président de la République est de posséder la nationalité algérienne d’origine », avait-il confié à des médias algériens. Une polémique sur fond de chauvinisme étriqué vite battue en brèche par l’intéressé qui était bien né en Algérie à Beni Messahel dans la wilaya de Tlemcen le 24 novembre 1941. Déplorable pour un homme engagé très jeune dans l’Armée de Libération nationale (ALN).

« L’Algérie aux Algériens »

A l’annonce de sa prise de poste, un sentiment d’abattement s’est répandu dans la foule. Ces manifestants pleins d’enthousiasme et de dynamisme se sont sentis trahis : tout ça pour ça. Un sentiment de colère teinté par moment de paranoïa a émergé sur la toile et sur les pancartes : les Occidentaux ne veulent pas d’une démocratie en Algérie. Les rumeurs les plus folles ont pointé leur nez : les responsables seraient à l’étranger. Après l’Irak, la Syrie ou la Libye, les Américains, les Français et consort souhaiteraient le chaos pour mettre la main sur le pétrole et le gaz. « L’Algérie aux Algériens », réclament certains manifestants. Ces réflexes, bien que minoritaires, révèlent une société fragile et friable. La crainte d’assister à un durcissement du régime est une donnée à ne pas négliger. Les relations avec la police se sont quelque peu délitées et l’armée a déjà récupéré les services de renseignement. Une partie de la population parle même de boycotter les scrutins prévus le 4 juillet.

Manifestation contre "l'ingérence étrangère" à Alger. PPAgency/SIPA / 00900151_000007
Manifestation contre « l’ingérence étrangère » à Alger. PPAgency/SIPA / 00900151_000007

Malgré tout, l’espoir reste de mise. « On ne lâchera pas avant l’émergence d’un nouveau système et d’une nouvelle génération de dirigeants au pouvoir ». Oui, mais avec qui ? Diriger un pays ne s’improvise pas et l’absence d’une opposition crédible depuis de nombreuses années n’a rien arrangé. Si les forces vives existent forcément, elles tardent à émerger. Faire une campagne présidentielle demande un minimum de structures partisanes, de fonds, de leaders. Les rares noms comme Rachid Nekkaz ou l’ancien militaire Al Ghediri apparaissent bien trop marginaux pour le moment et les reliquats de l’ancien régime, tels Ali Benfils ou tous ceux qui seraient apparentés au FLN ou au RND, sont exclus d’avance par la population. Et chez les jeunes, rien pour le moment.

Qui veut gouverner l’Algérie ?

En 1962 était sorti des tréfonds du pays des hommes aussi talentueux que Boudiaf ou Ait-Ahmed ; aujourd’hui, la période est à la disette ou tout du moins l’inconnu. Reste l’éternelle menace islamiste. A la fin des années 80, le Front islamique du Salut (FIS) avait bénéficié, outre des mêmes maux qu’aujourd’hui, d’hommes revenus d’Afghanistan et de leaders charismatiques comme Belhadj ou Madani. Aujourd’hui, le seul parti de cette obédience est le mouvement de la Société pour la Paix du docteur Makri, qui peut-être un prétendant dans ce bal où la politique de la chaise libre rend tous les scénarios possibles. Mais est-ce qu’un pays, encore marqué par la décennie noire, le souhaite, vraiment ?

Tout a changé pour que rien ne change. L’immense coup de balai attendu n’a pas encore eu lieu. Les auditions pour l’acte II ont commencé.

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Affaire Emmanuelle Gave : la vérité finit par s’imposer

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Après avoir injustement été associée au négationnisme l’avocate et militante Emmanuelle Gave, le journal Times of Israel lui présente ses excuses.


Cloués au pilori médiatique sans autre forme de procès, Emmanuelle Gave et son père Charles, ex-futurs colistiers de Nicolas Dupont-Aignan aux Européennes, ont subi une intense campagne de dénigrement. L’objet du scandale ? Une caricature antisémite de propagande bolchévique qui trônait sur le bureau d’Emmanuelle Gave, directrice de l’Institut des libertés, lorsqu’une journaliste de L’Opinion l’y a rencontrée. Si un esprit logique imagine mal ces libéraux hayékiens allergiques au communisme adhérer à ce genre de billevesées, les justiciers médiatiques ont tôt fait de les diaboliser. Ajoutons à cette mauvaise foi une présentation biaisée de la position de Mme Gave sur la loi Gayssot – s’opposer à une loi mémorielle n’a, rappelons-le, rien de négationniste – et une communication quelque peu maladroite sur les réseaux sociaux, et le sort des Gave était scellé. Souverainistes, réacs, cathos, donc forcément racistes, révisionnistes, et plus si affinités. D’autant que l’émission « Quotidien » de Yann Barthès a ajouté son grain de sel en ressuscitant des tweets d’Emmanuelle Gave répétés, amplifiés et déformés.

Il y a quelques jours, son avocat Me Gilles-William Goldnadel a obtenu le rétablissement des faits : il n’y a pas plus de négationnisme, d’antisémitisme ou de xénophobie chez Gave père et fille que de beurre en broche. Pourtant, même en tendant l’oreille, nul n’entend le moindre début d’autocritique chez les antiracistes pavloviens de « Quotidien ». A force de diaboliser tout ce qui plane à droite de Macron, Yann Barthès et ses amis ne sont plus à cela près.

A contrario, Times of Israel a fait amende honorable. Dans un communiqué lapidaire, le journal israélien présente ses excuses à Emmanuelle et Charles Gave qu’il avait hâtivement (et injustement) associé au négationnisme. À la parution de l’article, Le père et la fille avaient mis les points sur les i : « Nous contestons avec la plus grande fermeté les expressions et informations contenues dans un article repris par Times of Israël.  Non seulement nous ne sommes pas « négationnistes » mais plus encore nous considérons la Shoah comme le pire crime commis contre la race humaine. Nous sommes des partisans convaincus de l’Etat d’Israël qui a vu le Peuple juif revenir sur sa terre dans le cadre de la construction d’un Etat-Nation. En conséquence, on peut imaginer combien des accusations aussi injustes, propagées électroniquement, nous ont blessés moralement et causé un préjudice social qui, loin de nous empêcher de penser librement, renforce notre détermination et notre fermeté d’âme. » Depuis, Times of Israel a reconnu leur bonne foi.

Nicolas Dupont-Aignan l’ayant évincée de sa liste à l’éclatement de la polémique, Emmanuel Gave n’aura pas l’occasion de briguer le suffrage des Français aux prochaines élections européennes. Mais son honneur est rétabli.

Et si les catholiques ne tendaient plus l’autre joue?


Alors que le nombre d’atteintes aux lieux de culte chrétiens augmente nettement, certains catholiques remettent en doute le bien-fondé de la ligne officielle, qui consiste à jouer l’apaisement pour éviter la surenchère victimaire. Enquête.


Cent cinquante-trois atteintes aux lieux de culte recensés en France en 2008 par le ministère de l’Intérieur, 1 057 en 2016, soit 690 % de hausse en huit ans. C’est ce qu’on appelle une tendance nette. Elle s’est légèrement infléchie en 2017, avec 978 profanations (– 7,5 %). Les chiffres 2018 ne sont pas encore connus. Églises, cimetières ou sanctuaires, les lieux de culte chrétiens sont les principaux visés, et de très loin. Ils représentent entre 75 % et 90 % du total des profanations, très loin devant les atteintes aux synagogues (entre 30 et 60 chaque année) et les tags ou tentatives d’incendie de mosquée (40 à 80 par an).

Côté catholique, l’année 2019 démarre fort, avec six églises profanées entre le 4 et le 9 février, dans les Yvelines, en Côte-d’Or, dans le Tarn et dans le Gard. Une flambée, précision importante, qui intervient avant le pic de polémiques sur l’homosexualité et les affaires de pédophilie dans l’église. Ces dernières provoqueront-elles un regain d’agressivité envers les églises ? Difficile de le savoir, car, bien souvent, on ignore les motivations des agresseurs. En ont-ils seulement ? À Lavaur (Tarn), deux mineurs ont avoué avoir mis le feu à l’autel d’une chapelle de la cathédrale Saint-Alain, où ils s’étaient réfugiés pour échapper à la pluie, par désœuvrement. Il a fallu deux jours pour nettoyer les suies. Ils ont aussi tordu le bras d’un christ, pour lui faire prendre une pause particulière, popularisée par le footballeur Paul Pogba (un « dab »). À Dijon (Côte-d’Or), le coupable a brisé une statue de la vierge, ouvert le tabernacle et jeté les hosties. Un sacrilège pour les catholiques, car les hosties consacrées représentent le corps du christ. Idem à Nîmes (Gard). Les hosties de l’église Notre-Dame-des-Enfants ont été dispersées, avec en prime une croix d’excrément tracée sur un mur. Panache, classe et intelligence.

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À l’église Saint-Nicolas de Maisons-Laffitte (Yvelines), le tabernacle a été jeté à terre. La sûreté départementale a interpellé un sans domicile fixe de 35 ans. C’était la troisième église du département prise pour cible en quelques jours. L’évêché de Versailles a appelé à « aborder ces événements avec du recul. […] Il s’agit, dans la plupart des cas, d’actes de personnes connues et souvent vivant en marginalité, dit son communiqué. Il ne faut pas y voir systématiquement des attaques contre l’Église. »

Tout est dans le « systématiquement »… « Pour en avoir le cœur net, il faudrait que les responsables soient plus souvent interpellés, pointe Jean-Frédéric Poisson, président du Parti chrétien-démocrate et ancien député-maire de Rambouillet. Le taux d’élucidation très faible de ces affaires ne permet pas de connaître les motivations des coupables. » En 2008, alors qu’il siégeait à l’Assemblée, il a corédigé un rapport sur les profanations de sépultures, avec son collègue André Flajolet. Suivi en 2011 par le rapport d’un groupe d’études de députés sur les atteintes aux lieux de culte, qui s’est penché à son tour sur le profil des auteurs tel qu’il ressort des données du ministère de l’Intérieur.

Très peu de satanistes et d’anarchistes

Fan de Marilyn Manson et amis de l’Antéchrist, allez en paix. La représentation nationale vous donne l’absolution, ou presque. Deux dossiers à connotation satanique en 2011, trois en 2012, six en 2013… Les anarchistes ? lls sont à peine plus nombreux : huit dossiers en 2013. Et encore faudrait-il connaître le détail des faits. Le 11 février 2019, un inconnu a tagué sur le clocher de l’église de Saint-Cyr-l’École : « Jésus était anarchiste. » Une insulte ? Pire, un poncif.

Une certitude, les jeunes sont légion. 63 % des personnes interpellées en 2010 pour profanation d’église ou de cimetière étaient mineures. Leurs infractions l’étaient souvent, elles aussi. Les députés Poisson et Flajolet notaient en 2008 que, lorsque des adultes sont en cause dans les profanations de sépultures, « les actes sont généralement plus graves (ouverture de tombes, inscriptions injurieuses, excréments répandus sur les sépultures), mais il s’agit bien souvent de personnes souffrant de troubles psychiatriques sérieux. La motivation idéologique est plus rare. »

Comment nourrir son sentiment victimaire sur le web

Un musulman tapera avec profit « mosquée jambon » sur un moteur de recherche. Il trouvera plusieurs exemples d’islamophobie caractérisée. Un charcutier-traiteur de Nancy a d’ailleurs été condamné à six mois de prison avec sursis pour avoir déposé des lardons dans la boîte aux lettres d’une mosquée, suite à l’attentat de Saint-Étienne-du-Rouvray. Une peine qui semblera bien lourde à un catholique pratiquant, en regard de celle infligée à une militante Femen qui avait déposé un morceau de foie de veau et uriné seins nus devant l’autel de la Madeleine (un mois avec sursis en appel, décision rendue le 9 janvier dernier). Le chrétien en panne d’offense consultera utilement l’Observatoire de la christianophobie (christianophobie.fr). Il liste indifféremment les sacrilèges délibérés et les vols crapuleux. La liste est sidérante, mais pas entièrement fiable. L’Observatoire élève parfois des rumeurs au rang d’information. Exemple : les réfugiés iraniens chrétiens ont été persécutés au camp de Grande-Synthe (Nord). L’un d’entre eux a été égorgé et enterré sur place en 2016, parce qu’il s’était converti au christianisme. Vérification faite, les autorités, tout comme le pasteur Philippe Dugard, d’une église protestante qui vient en aide aux migrants, ont parlé de bagarre entre passeurs iraniens chrétiens et passeurs irakiens musulmans, avec la religion comme facteur aggravant. Quant à l’assassinat, il repose sur un témoignage indirect, sans aucun indice matériel.

Presque rafraîchissantes en comparaison des profanations de sépultures, les atteintes crapuleuses représenteraient entre le quart et le tiers des faits constatés. Un grand calice, une patène et deux ciboires volés à l’église Saint-Sauveur de Sanguinet (Landes), le 27 février 2019. Vols en série dans des églises autour de Lyon et Dijon, en 2015. Vol du portail en bronze du cimetière allemand de Neuville-Saint-Vaast (Pas-de-Calais), en 2007…

Point soulevé par le groupe d’études parlementaire de 2011, la répartition géographique des actes est inégale. 80 % au moins des faits sont commis en zone gendarmerie, autrement dit en zone rurale, mais avec des variations selon les régions. Les Hauts-de-France arrivent en tête, suivis par l’Île-de-France, la Lorraine (pour les cimetières) et Rhône-Alpes (pour les lieux de culte), alors que les déprédations sont rares en Bourgogne, en Auvergne et en Corse.

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Le portrait-robot du profanateur serait en quelque sorte un jeune de Montdidier (Somme), à bout de bière et d’ennui, qui se défoule sur des sépultures de la Grande Guerre. La géographie des attaques contre les lieux de culte serait celle de la France où les usines ont fermé et où le tissu social se délite. Le sentiment antichrétien serait finalement une motivation secondaire, pour ne pas dire négligeable.

La prudente retenue de la Conférence des évêques

L’explication a le mérite de la simplicité, mais elle n’épuise pas le sujet. D’une part, il semble y avoir une spécificité française dans les atteintes aux lieux de culte chrétiens. Elles existent chez nos voisins européens, mais pas avec la même fréquence. D’autre part, elle rend mal compte de l’explosion des actes enregistrés depuis une décennie.

Causeur aurait aimé savoir ce que la Conférence des évêques en pensait, mais ses porte-parole ne nous ont jamais rappelés. Ce n’était pas vraiment une surprise. À l’image de l’évêché de Versailles, l’Église de France ne souhaite pas monter en épingle les attaques qui visent ses lieux consacrés. Au risque d’impatienter certains catholiques, qui ne seraient pas contre davantage de fermeté (voir la tribune de Bernard Carayon, maire LR de Lavaur). Un point de vue que comprend Mgr Dominique Rey, évêque de Toulon. « Il faudrait que les chrétiens soient plus audacieux dans leur réponse à des actes commis à une échelle inquiétante et ascendante, mais aussi que les médias s’en fassent l’écho. La symétrie avec les réactions suscitées par l’antisémitisme et les actes islamophobes suffirait. »

Une triste particularité française ?

Il n’existe pas de registre européen des attaques contre les lieux de culte chrétiens. Basé à Vienne (Autriche), l’Observatoire de l’intolérance et des discriminations envers les chrétiens (Observatory on Intolerance and Discrimination against Christians) mentionne dans ses rapports des faits concernant tous les pays, mais sans indication de leur fréquence. Un indice toutefois suggère que la France est plus touchée que la Grande-Bretagne, l’Irlande, la Belgique ou l’Italie. Les médias de ces différents pays parlent moins de profanations que les médias français. Ce n’est pas faute d’intérêt pour le sujet, car ils parlent des profanations commises en France. La série noire de février 2019 a été évoquée chez tous nos voisins, où la pratique religieuse recule, mais où les symboles du christianisme gardent leur sens.

On en est assez loin. A la suite de la profanation de 80 tombes du cimetière juif de Quatzenheim (Bas-Rhin), taguées de croix gammées le 18 février, le président de la République, le président de l’Assemblée et le président du Sénat ont fait des déclarations très fermes. Aucun ne s’était exprimé, deux semaines plus tôt, sur les attaques contre les églises. Ce qui peut aussi se comprendre :  juifs et chrétiens n’ont pas la même histoire en matière de persécutions, ni le même poids institutionnel en France (voir entretien avec Jean-François Colosimo).

Les chrétiens, aujourd’hui, semblent à peu près d’accord sur les causes des profanations. « Notre société est marquée par la violence et la fragmentation, analyse Mgr Rey. Les fractures de la vie de famille impactent la vie sociale. Les valeurs de rituel, de transcendance et d’intériorité sont démonétisées. Les lieux mémoriaux deviennent des cibles permettant de prendre une revanche sur sa propre histoire. » « Les profanations interviennent dans un contexte de rejet, voire de haine envers les religions, tenues pour responsable des malheurs du peuple », renchérit Jean-Frédéric Poisson, qui voit une cause supplémentaire au vandalisme ciblant les cimetières : « Notre société du bien-être tient la mort à distance et perd toute culture du deuil, ce qui est un bouleversement dont on ne mesure pas assez les conséquences. »

Il y a aussi consensus pour penser que, par rapport à la gravité des persécutions subies par les juifs dans le passé ou par les chrétiens aujourd’hui au Proche-Orient, la retenue s’impose face au vandalisme. Mais cette retenue est-elle toujours de mise ?

Le sujet explosif des agressions islamistes

La question divise le monde catholique. Les attaques sont en augmentation et leur gravité va croissante, l’islamisme radical ayant fait monter la tension de plusieurs crans. Égorgé dans son église de Saint-Étienne-du-Rouvray le 26 juillet 2016, le père Jacques Hamel était le premier prêtre tué en tant que tel en France depuis la Révolution. En rapports réguliers avec leurs homologues musulmans, les responsables du clergé français s’efforcent de prévenir un choc des religions, mais les extrémistes sont là. Chérif Chekatt l’a dit au chauffeur de taxi qu’il a brièvement pris en otage après avoir tué cinq personnes sur le marché de Noël de Strasbourg le 11 décembre 2018 : il voulait tuer des « infidèles ». Une semaine plus tard, la police italienne annonçait l’arrestation à Bari d’un Somalien qui préparait des attaques, au nom de l’islam, contre les églises en général et le Vatican en particulier. Il saluait dans un de ses messages le geste de Chérif Chekatt.

Dès 2016, l’Aide à l’Église en détresse évoquait la montée d’un « islamisme hyper-radical ». Prenant pour cible chrétiens, hindous, bouddhistes, juifs et musulmans modérés, il ruine l’illusion, assez répandue chez les catholiques, selon laquelle existerait une base spirituelle commune, unissant toutes les confessions, face à la montée de l’athéisme contemporain.

« J’ai travaillé au service qui compilait les atteintes aux lieux de culte. Il ne fait aucun doute que certaines d’entre eux, visant des lieux chrétiens, sont motivées par l’islamisme, souligne Claude Sirvent, aumônier de la Communauté chrétienne des policiers de France, devenu prêtre après une longue carrière l’ayant conduit jusqu’au grade de commandant de police. Le ministère de l’Intérieur ne les recense pas en tant que tel, mais « le phénomène existe, confirme un gradé de la gendarmerie, en poste en Alsace. Les conseils religieux sont très réticents à en parler. Les incidents remontent par un paroissien, qui en parle à un conseiller municipal, qui en parle à la gendarmerie. Ils se produisent dans des quartiers où la communauté musulmane pèse d’un certain poids. L’église devient l’intrus. Des jeunes entrent pendant la messe, crient Allah Ouakbar et s’en vont. Je comprends que l’Église dédramatise, mais il faut être lucide, les tensions communautaires se durcissent. »

A lire aussi: C’est la lâcheté de l’Église qui a vidé les églises

Pour partie, les catholiques vivent de plus en plus mal une série d’asymétries. Asymétrie dans le traitement médiatique des affaires : les profanations de mosquée ou de synagogue suscitent des condamnations plus vigoureuses. Asymétrie internationale : l’Église pratique la politique de la main tendue en France, alors que le simple fait de tenter de convertir un musulman peut valoir la prison en Algérie (sans parler de l’Arabie saoudite, où il n’y a aucune église). Asymétrie dans les provocations. Courageux, mais pas téméraire, l’artiste espagnol Abel Azcona accède à la notoriété internationale avec 242 hosties consacrées formant le mot « pederastia ». Scandale sans péril et sans gloire. Une performance équivalente ciblant l’islam l’aurait mis en danger de mort (les Femen, au moins, montent aussi au front contre l’islam : Salon musulman du Val-d’Oise en 2015, opération seins nus à la mosquée de Stockholm en 2013, etc.).

Parallèlement, les élus donnent le sentiment d’avoir la chrétienté honteuse. Mulhouse en 2014, mais aussi Bruges en 2018 et Bruxelles en 2012, débaptise son marché de Noël pour le rendre moins connoté, plus fédérateur. Sans aucun succès, du reste. La dénomination de « Plaisirs d’hiver » adoptée à Bruxelles n’est pas entrée dans le vocabulaire, sans parler de la curieuse appellation « Étoffeéries » de Mulhouse.

Que faire ? Quelle serait l’attitude conforme à l’essence du christianisme, tendre l’autre joue ou brandir le glaive ? Encaisser les attaques sans se plaindre ou organiser la défense des valeurs chrétiennes ?  Panacher les deux ? Le débat est loin d’être clos. Converti au catholicisme, l’écrivain Chesterton (1874-1936) aurait sans doute pronostiqué avec cet humour très britannique que l’Église allait faire le mauvais choix. « Il n’existe pas d’autre exemple d’institution intelligente continue qui réfléchit sur la nature humaine depuis deux mille ans comme l’Église. Son expérience couvre naturellement presque toutes les expériences possibles et particulièrement presque toutes les erreurs. »

Un catholique s'est échappé

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Contre l’islamisme, faites comme George Clooney: boycottez le Plaza Athénée!

Vous rappelez-vous Outspan ? C’était au milieu des années 1970, et nous nous achetions une bonne conscience anti-apartheid en refusant de consommer des oranges sud-africaines.

Ce n’est pas ce qui a directement libéré Mandela, mais enfin…

Et puis il y a eu Nike, accusé à la fin des années 1990 d’utiliser à bon compte la sueur des enfants asiatiques. En pleine campagne de promotion des Air-Jordan. L’ex-star des Chicago Bulls avait bonne mine…

Et maintenant, le sultan de Brunei, Hassanal Bolkiah. Ce gentil garçon dont le frère, Jeffri, a été accusé en 1997 par Shannon Marketic, Miss USA 1992, de l’avoir — elle et quelques autres, dont Brandi Sherwood, Miss USA 1997 — séquestrée, droguée et violée, sous prétexte d’engagement pour travail promotionnel. Le sultan lui-même a nié les faits — et il s’est trouvé un juge américain pour déclarer la plainte irrecevable, puisque tous ces jolis cocos jouissaient de l’immunité diplomatique.

Le boycott, what else ?

George Clooney a battu sa coulpe. Oui, il a séjourné dans l’un ou l’autre des neuf palaces dont il suggère le boycott. Mais il ne savait pas : le sultan était juste un despote ordinaire, en place depuis 1968. Pas encore le fou de la charia qu’il est devenu, décidé, pour attirer chez lui des capitaux charialement purs, à lapider les homosexuels et les femmes adultères. Depuis le 3 avril, la loi est entrée en vigueur. Du moins, a précisé un communiqué du sultanat, pour les habitants de confession musulmane. Pour les autres, ce sera à débattre (comme plâtre, sans doute).

(Pour la lapidation des hommes adultères, on verra plus tard : insupportable disparité ! Je demande à être lapidé comme mes femmes. Il n’y a pas d’échappatoire à la parité !)

A lire aussi: BFM TV: gentils journalistes boycottent méchants gilets jaunes

Pour fonctionner, un boycott n’a pas à être total. Ou c’est alors un blocus : sans Waterloo-morne-plaine les Anglais auraient crevé de celui que leur imposait Napoléon, tout comme ils avaient très mal ressenti le Boston Tea Party de 1773. Il n’a pas besoin non plus d’être respecté à la lettre. Il suffit qu’il écorne assez les revenus de l’entreprise concernée pour que sa marge bénéficiaire s’effrite. Pour Outspan, ça n’a pas mal marché, les ventes de l’exportateur d’agrumes ont reculé de 25%. Nike, qui connaissait l’histoire, a rapidement fait pression sur les gouvernements des pays où l’entreprise s’était délocalisée. Toujours ça de pris : les petits Vietnamiens sont toujours aussi mal payés, mais ils sont moins battus.

Quant à Israël, dont on est censé refuser les produits (les dattes Jordan Valley, les oranges Jaffa, les avocats — les vrais, pas William Goldnadel — de chez Kedem et les produits épilatoires Epilady, en plein boom depuis que l’on traque le poil dans ses derniers retranchements), je n’ai pas entendu dire que les appels au boycott aient fait avancer d’un iota la cause palestinienne, ou découragé le cynisme effronté de Bibi. Un boycott trop large rate sa cible.

Changer de paroisse ?

« Chaque fois que nous prenons une chambre dans l’un de ces neuf hôtels, nous mettons de l’argent directement dans la poche d’hommes qui choisissent de lapider ou de fouetter à mort leurs concitoyens homosexuels ou accusés d’adultère. » L’appel de Clooney, relayé immédiatement par Elton John qui prêche pour sa paroisse, peut marcher : comptez sur Twitter-on-Hollywood pour signaler à la vindicte publique les salopards qui iront se goinfrer la cuisine de Ducasse avenue Montaigne, au Plaza, ou Rue de Rivoli, à l’hôtel Meurice, qui est aussi dans le portefeuille du jeteur de cailloux.

Je sens que les balcons du Plaza vont rapidement défleurir, et que les arcades du Meurice seront vite désertes.

Heureusement, il nous reste le Ritz.

Sinon, que fait-on pour empêcher les islamistes d’appliquer les consignes de leur livre incréé ? On les vire à Brunei ? Hmm… 5765 km2. Pour 1,6 milliards de musulmans, cela fait peu, d’autant que la manne pétrolière commence à se raréfier. Mais en ajoutant l’Arabie saoudite, où ils ne seraient pas privés de déserts, et le Qatar, fertile en footballeurs, on s’en tire un peu mieux.

J’exagère, bien sûr : une majorité (assez courte, en fait) de musulmans préfère le libéralisme occidental au règne de la charia. J’en connais même un certain nombre qui nés dans une culture musulmane, sont aujourd’hui incroyants et ont adhéré avec enthousiasme au pata negra, au filet mignon déglacé au porto et aux œufs frits cassés sur un figatelli d’origine.

C’est tout de même mieux que trente jours de jeûne diurne et d’orgie nocturne de Fanta.

Clooney vise bien

Clooney, qui est un garçon manifestement intelligent, a parfaitement ciblé son appel : la cause des femmes adultères, qui ne fait pas tressaillir un cil de chienne de garde, aurait été en soi un peu faiblarde. En y ajoutant les homosexuels, il est sûr de…

>>> Lisez la suite de l’article sur le blog de Jean-Paul Brighelli <<<

La Belgique, capitale de l’Eglise de Climatologie

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Stockholm a Greta Thunberg et Paris Yannick Jadot mais c’est bien la Belgique et Bruxelles qui sont à la pointe du « climat ». L’écologie politique y a la main si verte qu’elle fleurit sur tout le champ politique, jusqu’à favoriser les greffes les plus improbables… 


Si une grosse mèche de l’écologie politique a été allumée en France sur le plateau du Larzac dans les années 1970, ce n’est pas dans l’Hexagone mais en Belgique que le feu écologiste a réellement fini par prendre. Aujourd’hui, c’est à partir de ce foyer qu’il se répand sur le continent et même au-delà à coups de marches hebdomadaires pour le climat avec Greta en guest star pour son World Tour.

Verts sur rouges

L’écologie politique, c’est cette utopie post-moderne qui prospère au sein de populations éminemment urbaines et déconnectées de la nature dont leur méconnaissance de celle-ci ouvre la voie à tous les fantasmes, toutes les vénérations, toutes les exagérations. Quand on ne connaît pas les odeurs de la ferme, quand on n’a jamais vu un oisillon mort se faire ronger par les vers, quand on confond le blé et l’épeautre, on peut imaginer que Mère Nature est plus douce que l’Etat-nounou qui protège de tout, que les vaccins sont plus dangereux que la maladie et que le lait, c’est très mauvais.

Ici, on met son cerveau au repos. On sort du champ de la rationalité pour s’en remettre à l’hystérie et à des principes pétris d’absolu et d’universel. Le dogme peut alors séparer les croyants des mécréants comme le bon grain de l’ivraie. Le camp du Bien semble avoir trouvé son arme fatale contre les méchants: le sauvetage de la planète. Rien de moins ! A Homo Festivus succède Homo Redemptionis. Mais la fête n’est pas pour autant finie. Au contraire, chaque jeudi, c’est une « Climate Pride » non genrée et déracisée qui anime la Belgique parce qu’en marge du climat, on décolonialise l’espace (un chiffon sur la tête de la statue équestre de Léopold II fera l’affaire) et on fluidifie les genres. Et tant pis si tout ça n’est pas très climatique, tant que ça reste festif et ancré à gauche.

Jaunes sur verts

Ce qui avait commencé il y a cinquante ans comme une grosse fête pseudo-paysanne où on faisait tourner les pétards (non, les bergers, les vrais, n’ont jamais eu trop le loisir de glander) est en train de prendre la forme d’un tsunami totalitariste porté par des figures juvéniles. En quelques mois, le temps qu’il fait est devenu l’alpha et l’oméga pour une Eglise de Climatologie qui entend réguler l’ensemble de nos faits et gestes. Ceux-ci seront jugés à l’aune de leur empreinte carbone. Les contrevenants seront taxés, jusqu’à ce que mort (de la classe moyenne) s’ensuive. Les entreprises devront faire pénitence jusqu’au dépôt de bilan.

Si la France développe de puissants anticorps face à ce nouveau culte, comme le montre le soulèvement des gilets jaunes, c’est en grande partie à sa composante « périphérique » identifiée par Christophe Guilluy qu’elle le doit. A contrario, si la Belgique est sa nouvelle Rome, c’est en partie lié à l’hyper urbanisation de son territoire. Dans ce non-pays, la périphérie s’est transformée en vase d’expansion pour des urbains qui abandonnent des villes souvent devenues trop chères et trop mondialisées pour eux, tout en emmenant avec eux leurs croyances et leurs pratiques. Somme toute, celui qui fuit la ville tend à se comporter comme un immigré lambda qui peine à s’intégrer. Quant aux campagnes, il n’en reste que quelques reliquats.

Verts sur verts

Dans un tel contexte, l’écologie a trouvé en Belgique un des terrains les plus fertiles pour prospérer. Si on ajoute à cela une Wallonie empreinte de luttes ouvrières et une Flandre encore fort catholique, on comprend mieux le succès de cette formule écologiste belge qui s’ancre dans le paysage politique en délivrant un discours de gauche sous forme de sermon.  Enfin, ne perdons pas de vue que l’un des papes du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIec), organe suprême du culte qui nous occupe, n’est autre que le très belge Jean-Pascal van Yperseel.

Peut-être pour gagner les voix de la diversité qui caractérise Bruxelles, les écologistes francophones ont élu Zakia Khattabi, une pasionaria de la bande de Gaza, à la co-présidence du parti Ecolo. Les chiffres des dernières élections locales témoignent de la pertinence de ce choix. Néanmoins, il n’est pas sûr que l’écologie ait vraiment gagné les cœurs au sein des communautés visées quand on apprend les menaces de décapitation dont un élu schaerbeekois du parti fait l’objet. A Schaerbeek, où les verts font partie de la majorité, où l’immigration est surreprésentée et où les défis en termes de mobilité sont énormes, on commence à voir les limites du grand « en même temps » sur lequel Ecolo a misé.

Au quotidien, le difficile partage de la voie publique entre patrons de bar à chicha au volant d’une Maserati Levante ou d’une Porsche Cayenne et bobos déambulant à trottinette ou à vélo ne laisse pas beaucoup de doutes sur l’issue du match qui se joue entre ces deux populations. A terme, les plus farouches opposants de l’écologie politique sortiront des rangs de la bourgeoisie belge arabo-musulmane qui n’entend pas se priver des signes extérieurs de richesses qu’elle veut pouvoir exhiber. Erdogan, vénéré chez les Belges d’origine turque, doit sa popularité à un savant équilibre entre islamisme et capitalisme. A Schaerbeek, les écolos n’ont pas vraiment pris conscience du phénomène, ni de l’ampleur du rejet qu’ils suscitent.

L’écologisme sera le genre européen

Néanmoins, comme la quasi totalité du spectre politique belge s’est laissée piéger par l’extrême consensualisme de la question climatique, le parti Ecolo n’a même plus vraiment besoin d’investir dans sa campagne électorale européenne puisque les autres formations politiques font le travail à sa place. Sauf black out, la victoire sera au rendez-vous pour les verts.

En l’espace de six mois à peine, l’enjeu majeur des élections qui se situait clairement dans le champ des migrations a été éclipsé par la question du climat ! Plus que le talent des communicants, il faut surtout constater un dramatique appauvrissement des facultés de raisonnement de la population en âge de voter.

Cette caractéristique semble pouvoir expliquer la progression sinusoïdale des écologistes où aux grandes victoires succèdent des trous d’air qui finissent toujours par être rattrapés.  Quand une population vote sous le coup de l’émotion, elle finit toujours par être douchée. Mais comme elle n’enclenche jamais de processus rationnel pour identifier les raisons de sa déception, elle finit, telle une femme battue, à vivre des désillusions toujours plus profondes.

Du jeudi faisons table rase

Or là, en 2019, c’est un véritable emballement auquel on assiste en Belgique. Face à une droite largement dénaturée, et royalement divisée pour ce qu’il subsistait encore de vaguement authentique en elle, face à un Parti socialiste démonétisé par ses scandales, les verts ont toutes les chances de sortir triomphants des urnes le 26 mai prochain. Ils pourraient même être de toutes les majorités dans le pays…

Toujours à la pointe de l’innovation, la Belgique aura peut-être le privilège d’être le premier royaume à tomber sous le joug de khmers verts. Ceux-ci, à renfort d’égalitarisme totalitaire et d’incantations pseudo-environnementalistes devraient pouvoir instaurer en un temps record le chaos énergétique, une intensification des flux migratoires et une crise du logement sans précédent. A la vague verte succédera une vague jaune et on manifestera le samedi après avoir testé les limites de la semaine de quatre jeudis…

La France périphérique : Comment on a sacrifié les classes populaires

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Arrestation de Julian Assange: lettre ouverte à Donald Trump et Theresa May

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Julian Assange après son arrestation à Londres, 11 avril 2019. ©Rob Pinney/LNP/REX/Shutterstock/SIPA / Shutterstock40704807_000004

Le 11 avril, Julian Assange, fondateur du site Wikileaks qui a fait fuiter des informations confidentielles, a été arrêté par la police britannique à l’intérieur de l’ambassade d’Equateur à Londres où il était réfugié depuis 2012. 


Monsieur le président, madame la Première ministre,

Le 11 avril 2019, durant la pause repas, on a vu un homme à barbe blanche traîné par les policiers britanniques à l’extérieur de l’ambassade d’Equateur à Londres. C’est le fondateur de Wikileaks, Julian Assange. Il n’a que 47 ans. Il a prématurément vieilli à force de vivre traqué.

Face au public britannique, cette arrestation est embarrassante pour vous, Madame May, car le désir du gouvernement britannique de capturer Assange est un secret de polichinelle. Depuis des années, votre ministère de l’Intérieur poste des gardes à la porte de l’ambassade pour mettre la main sur lui s’il en franchissait le seuil. Vous surveillez cette porte de si près que personne n’a réussi à faire fuir Assange, même dans une voiture diplomatique.

Cette arrestation, d’un éditeur réfugié dans une ambassade, a d’autant plus choqué les Anglais que ce même ministère de l’Intérieur avait, quelques jours plus tôt, refusé l’asile politique à un Iranien devenu chrétien. Sachant qu’en Iran, la loi fait mourir les musulmans qui changent de religion. Pour justifier sa décision, votre ministre de l’Intérieur, Madame May, a informé l’Iranien qu’il y aurait dans l’Apocalypse de saint Jean, des images « de vengeance, de destruction, de mort et de violence ». « Ces exemples sont incompatibles avec votre affirmation selon laquelle vous vous êtes converti au christianisme après avoir découvert qu’il s’agit d’une religion « pacifique », par opposition à l’islam qui contient violence, rage et vengeance ». Ceci a tellement révolté les Anglais que le ministère a dû revenir sur sa décision. Et l’Iranien a eu le droit de ne pas aller se faire tuer dans son pays.

Les Saoudiens et les républiques bananières nient l’authenticité des fuites publiées par Julian Assange. Mais les gouvernements responsables, comme ceux des États-Unis et de l’Angleterre, affirment qu’il s’agit de documents authentiques. Aux États-Unis, où la peine de mort existe, les informateurs de Wikileaks ont d’ailleurs été traînés en justice. Maintenant, c’est au tour d’Assange. C’est votre gouvernement, Monsieur Trump, qui a demandé son extradition pour qu’il soit jugé dans votre pays.

L’Equateur a subi durant des années des pressions pour accepter de laisser la police britannique pénétrer dans son ambassade. Tant qu’il a refusé de le faire, il a été boycotté par les organismes financiers internationaux. Et puis soudain, surprise : l’Equateur obtient, en février 2019, 10,2 milliards de dollars de crédits de la part du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale. Or ces organismes refusaient depuis longtemps d’octroyer ces faveurs à l’Equateur, dont la situation financière était catastrophique. D’où cette phrase naïve jetée par le président équatorien Lenino Moreno à la presse : « Nous avons vécu des temps difficiles, mais le fait que le monde ait confiance en nous et nous croie démontre que nous sommes sur la bonne voie. »

En quoi sont-ils dans la bonne voie par rapport à l’année précédente ? La situation de l’Equateur n’a changé en rien, sinon dans le fait que, trois semaines plus tard, l’Equateur a livré Assange à la police britannique. Dès le moment où l’argent est arrivé, on a pu annoncer que cela arriverait bientôt.

Mais pourquoi cacher la vérité, Monsieur Trump, Madame May ? Vos électeurs ont le droit de savoir ce que vous faites en son nom, et c’est pourquoi tous courent lire les publications de Wikileaks aussitôt qu’elles sont disponibles. Vous voulez vous débarrasser de Julian Assange ? Publiez vous-mêmes les documents avant qu’il ne le fasse, et vous verrez : les gens courront après vous et le dédaigneront. Vous ne le faites pas car ce qu’on cache dans les coulisses de la diplomatie et dans les tiroirs des classeurs secrets, c’est ce qui est sale, c’est ce dont on a honte. Mais c’est justement ce que le public aimerait connaître, car il sent que c’est beaucoup plus important, pour son avenir, que les choses que vous lui dites.

Rappelez-vous, Monsieur Trump, le temps où vous étiez un ardent supporter de Wikileaks. Pourquoi ? Parce que ses publications vous permettaient de savoir les petits secrets de vos adversaires politiques. Ainsi, vous avez largement répercuté une certaine phrase datée du 19 août 2014. Elle a été écrite par John Podesta, conseiller du président Obama, à Hillary Clinton, alors ministre américaine des Affaires étrangères.

« Nous devons, écrit Podesta, utiliser nos moyens de renseignement, qu’ils soient diplomatiques ou plus traditionnels, pour faire pression sur les gouvernements du Qatar et de l’Arabie saoudite, qui fournissent un soutien financier et logistique clandestin à l’Etat islamique et aux autres groupes sunnites radicaux de la région. »

Durant votre campagne électorale, Monsieur Trump, vous citiez cet email dans vos conférences, et vous critiquiez le gouvernement américain d’avoir été l’allié des financiers de l’Etat islamique. Vous disiez : « I love Wikileaks. »

Mais une fois arrivé au pouvoir, vous êtes devenu un grand ennemi de Wikileaks. Ce changement d’attitude est-il étranger au fait que vous soyez devenu l’ami des Saoudiens, qui détestent Wikileaks pour ce que cette organisation a publié à leur sujet ?

On comprend que les politiciens véreux aient besoin de faire taire Assange en l’emprisonnant, plutôt qu’en publiant les archives secrètes à sa place. Des politiques dignes de ce nom auraient, au contraire, favorisé la transparence.

Ariel Denis, une vie et des œuvres

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ariel denis making of
Ariel Denis. Byline / Source / Credit PHILIPPE MATSAS / Opale / Leemage

L’écrivain Ariel Denis rembobine son histoire dans Le making of, un court récit constellé de cinématographiques.


L’essayiste et romancier Ariel Denis tisse une pellicule sensible de ses jeunes années où son aventure intérieure est rythmée par la vision de grands films classiques. Epopées hollywoodiennes, polars « sauce gribiche » des années 50 ou échappées italiennes, la réalité des salles obscures prend possession, peu à peu, de sa vie quotidienne. Le cinéma donne corps à ses agissements.

Virtuose tel Gene Kelly

Comme si l’auteur avançait sur un fil imaginaire au-dessus des contingences et des obligations, il se refuse à penser platement, la Terre n’est-elle pas ronde ? Cette fresque a quelque chose d’hypnotique car l’écriture d’Ariel Denis brouille, sans cesse, les repères tangibles. Il n’est pas un conteur de l’ordinaire. Il est le metteur en scène de son existence. Il se moque des temporalités figées. Il déguise les apparences. La fiction s’empare alors de son destin. Virtuose et sautillant à la manière d’un Gene Kelly, il bouscule la trame narrative pour lui insuffler une ubiquité exaltante.

Avec Denis, l’hommage aux textes fondateurs, de Conrad à l’Homme de la Mancha, de Stevenson aux Trois Mousquetaires, s’intercale à toutes les étapes, à tous les instants. Le féerique grignote la banalité. Le tragique apparaît sans les roulements de tambours et les cris atroces. Il est silencieux. Cette charge héroïque dont il est passé maître s’immisce partout, donnant à ce texte des allures métaphysiques. Tout est prétexte à l’analyse, à l’entremêlement des événements, à l’érudition taquine aussi, L’Aventure se niche aussi bien dans un square de Montparnasse que sur une île déserte. L’aventure est ici un mode de pensée, une nouvelle forme de politesse du désespoir, une manière de tenir le cap, de trouver sa propre direction dans un monde tourneboulé.

D’une caissière de Monoprix au souvenir de Truffaut

Un livre d’Ariel Denis ne se résume pas dans une fiche signalétique, il ne suit pas les autoroutes de la pensée. Il déborde forcément des cadres. Ne cherchez pas un début ou une fin, une linéarité asphyxiante, acceptez simplement d’être porté par une langue pleine de soubresauts et d’émerveillements. Un plaisir à ricocher sur les récifs du passé d’un autre, à se laisser guider par la plume de l’écrivain, la force de la littérature se niche dans cet abandon-là. Abandonnez également vos vieux réflexes du texte cadenassé, charpenté et désespérément vide. Par touches pointillistes, il divague d’une caissière de Monoprix au souvenir de François Truffaut. « De l’aventure, il en existe toujours, partout, à chaque instant : apprenez donc à lire, avant de tenter de vivre » nous prévient-il, quand on commence à s’enfoncer avec lui, dans cette enfance forcément singulière. Ajoutant même : « La réalité est un récit. L’aventure est un récit. Le récit est une aventure ».

Chez Denis, peu importe l’emballage, film ou livre, l’évasion exprime son identité profonde : « Pourvu que, au sein du livre, du film, je retrouve ma place, mon rôle, que je sois là, une fois encore… ». L’originalité de la construction, la présence d’élégants clichés, l’imbrication des films et cette impression de légèreté sont autant d’images poétiques qui viennent percuter le lecteur. Il y a des films qu’on a oublié dès la porte du cinéma franchie. A l’air libre, ils se sont évaporés. Ce Making of une fois refermé continue d’agir longtemps. Un parfum étrange et tenace, de ces fragrances qui tiennent nos sens en éveil.

Le making of, Ariel Denis, Éditions Pierre-Guillaume de Roux.

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« La présence de deux hommes ne fait pas un père »

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Jean-Pierre Winter. ©Hannah Assouline

Pour le psychanalyste Jean-Pierre Winter, auteur de L’Avenir du père: réinventer sa place ?, les nouveaux schémas familiaux ne peuvent faire l’économie de la fonction paternelle. A l’ère de la PMA et de la GPA à l’étranger, l’inscription généalogique reste indispensable à la construction de l’enfant. Et la présence de deux hommes ne fait pas un père. 


Causeur. Le père semble aujourd’hui mal en point puisqu’avec la PMA pour des couples de femmes ou des femmes seules, sa présence est réduite à un tube à essai et explicitement niée par l’idée même de deux mères. Mais, dans le fond, vous et la psychanalyse ne cherchez-vous pas simplement à défendre l’ordre ancien où le père était tout-puissant ?

Jean-Pierre Winter. Sous toutes les latitudes et bien avant l’apparition de la psychanalyse, la position du père a toujours été d’une extrême fragilité. D’abord, il n’est pas facile pour un enfant de savoir quel rôle le père a pu jouer dans sa conception, alors que la mère, elle, relève de l’évidence : on a vécu dans son ventre pendant neuf mois, on a été allaité, on la connaît par les sensations, les odeurs, le regard, la voix, les échanges gazeux et sanguins, ce qu’on appelle l’épigénétique…

Le père, lui, relève d’une élaboration intellectuelle s’appuyant sur le simple fait qu’un jour, une femme dit : « Cet homme-là, c’est ton père. » La construction du père tient donc en grande partie à la parole, parfois changeante, de la mère. Avec ces briques, l’individu se construit le père qu’il idéalise comme celui qui va le protéger, le soutenir dans la vie et lui offrir une ouverture sur l’extérieur de la relation fusionnelle avec la mère, qui est une relation de structure.

Cette fonction est-elle nécessairement assurée par un homme ?

Nécessairement. Car ce qui marque l’essentiel de la fonction du père, c’est qu’il est différent. On connaît l’argument de la psychanalyse : il est porteur du phallus – comme disait Lacan, « il n’est pas sans l’avoir », ce qui ne veut pas dire qu’il l’a. En tant que tel, il est différent de la femme qui a porté l’enfant. Ou, si l’on se réfère à Françoise Héritier, il est différent de la mère en ceci qu’il ne peut pas mettre un enfant au monde.

Deux femmes (ou deux hommes) aussi sont différentes l’une de l’autre…

Oui, mais il y a des différences essentielles et des différences inessentielles. Les différences secondaires, ce sont celles que Freud appelait les « petites différences narcissiques ». La différence entre les sexes est, elle, essentielle comme le sont la différence entre la vie et la mort ou la différence de génération.

D’accord, mais comment la définissez-vous ? Qu’est-ce qui vous permet de dire que je suis une femme ?

Ce n’est pas parce que la différence entre les hommes et les femmes est subtile et indéfinissable qu’elle n’existe pas. C’est exactement comme avec les juifs : ils sont absolument comme tout le monde, ils n’ont ni plus ni moins de QI ou d’argent que tout le monde… Comme on le dit dans Le Marchand de Venise de Shakespeare : ce sont des hommes comme les autres. Mais leur différence, bien qu’insaisissable, existe quand même.

Elle est un peu moins évidente, non ? Quoi qu’il en soit, il y a aujourd’hui une réclamation d’identité sexuelle plus flexible, notamment à travers la normalisation de la transsexualité.

Même si je ne suis pas un partisan de la rigidité identitaire avec les hommes d’un côté et les femmes de l’autre, reste un socle qui fait que les hommes ne peuvent pas mettre au monde des enfants.

C’est un socle biologique, mais de moins en moins symbolique dès lors que deux hommes peuvent désormais se définir comme les deux pères d’un enfant. Il est vrai que la mère porteuse introduit la présence d’une femme…

La mère porteuse introduit la présence d’une femme, mais cette femme décide de ne pas être une mère, donc elle met en question le statut de mère. Cela pose des questions juridiques, morales et psychologiques. Quant aux couples homosexuels masculins, la présence de deux hommes ne fait pas un père. La configuration actuelle en Occident correspond à un équilibre qui s’est établi avec la fin idéologique du patriarcat. C’est une conquête légitime. Mais puisque le père ne s’affirme pas par son pouvoir patriarcal, que lui reste-t-il ? Va-t-on le jeter avec l’eau du bain sous prétexte qu’il n’a plus le pouvoir de vie et de mort sur ses enfants, ni d’autorité sur sa femme ?

Cela signifie-t-il que, plus que la biologie, ce sont l’amour et la transmission qui font le père ?

La psychanalyse ne prétend pas qu’un enfant se construit uniquement grâce à l’amour et à l’éducation, aussi indispensables soient-ils. Il y a des choses très importantes de l’ordre du symbolique : la généalogie, l’appartenance à une histoire, les secrets de famille… Des gens qui ont élevé leur enfant avec amour et qui l’ont bien éduqué peuvent se retrouver avec des ados délinquants. Freud disait : « Faites comme vous voudrez, de toute façon, ce sera mal. » Pourquoi ? Parce qu’il se joue dans l’élaboration du psychisme des choses qui n’ont rien à voir avec l’amour reçu ou l’éducation dont on a bénéficié.

Votre discours se réfère à un âge dépassé de la famille. Que dites-vous aux couples de pères ou de mères ?

Je ne me soucie que très peu de savoir comment est construite la famille, du moment que l’enfant peut identifier quelle place est la sienne dans le cours de son histoire. Je cite souvent cette phrase de Pierre Legendre : « L’homme est un animal généalogique. » Pour se construire, il a besoin d’une armature. Inversement, les sujets qui ne savent rien de leur généalogie angoissent à force d’être constamment ramenés en arrière vers leurs origines. Les trous dans leur passé les empêchent de se projeter vers l’avenir. Ce que je voudrais dire aux couples homosexuels, c’est que le « papa » n’est pas le « père ». On peut avoir deux papas si on pense que l’essentiel dans l’évolution d’un enfant est l’amour et l’éducation. Mais le père relève de la généalogie. Ce sont les histoires des enfants adoptés qui nous l’enseignent : l’expérience montre qu’il est très difficile, souvent, d’adopter une généalogie qui soit seulement juridique. L’enfant adopté ne parvient pas toujours à adopter une histoire qu’il ressent comme n’étant pas la sienne.

L’adoption n’en institue pas moins un père.

Le père est celui que la mère a dans la tête au moment où elle tombe enceinte. Ça peut être le compagnon qu’elle a choisi, son meilleur ami, un frère ou son père… Cet homme-là a un statut très particulier. La succession des pères se cristallise à un moment donné sur un homme particulier qui a été reconnu par une femme comme étant celui avec qui elle veut faire des enfants. Et ça n’a rien à voir avec le « papa » de tous les jours.

C’est souvent le même !

Certes, mais le papa est affectif, c’est celui qui nourrit ou câline. C’est pourquoi je m’offusque quand j’entends des hommes de 60 ans, à la télé ou à la radio, qui parlent de leur « papa » ! Mais quand on demande à quelqu’un : « En quoi ton père a-t-il été un père pour toi ? » Je n’ai jamais comme réponse : « Parce que c’est lui qui me changeait mes couches ! »

Je n’exclus pas qu’on puisse l’entendre dans vingt ans…

On verra. En attendant, la reconnaissance du père joue sur une parole, un regard, un geste de père. Je donne comme exemple de cas clinique ce syndicaliste qui a un père, mais pas de papa. Il a un père, parce que sa mère est liée à l’homme avec lequel elle l’a conçu par un serment de silence qu’elle tient à son corps défendant. On peut imaginer ce que ça lui a coûté de ne pas révéler le nom du père. Mais par le respect de ce serment, elle accorde une place au père qui, du coup, n’est plus un simple géniteur. Toute la question qui se pose aujourd’hui est de savoir quelle place il reste pour le père dans le discours courant. C’est la raison pour laquelle j’avais proposé aux commissions du Sénat et de l’Assemblée nationale qu’on écrive sur le registre d’état civil : « Cet enfant a eu un père. » Un père peut-être inconnu, réfuté dans sa fonction éducative, mais il a existé. En n’écrivant pas que chaque enfant a eu un père, la loi de la collectivité fait disparaître le père que beaucoup, individuellement, voudraient inconsciemment voir disparaître. Il n’est pas réel que deux femmes peuvent faire un enfant toutes seules !

Prenons l’exemple de Marc-Olivier Fogiel qui raconte son expérience dans un livre – et dans l’entretien avec Causeur. Lui et son mari ont eu recours deux fois à la GPA avec la même donneuse et la même mère porteuse. Donc, leurs filles sont biologiquement sœurs par leur mère, mais chacune d’elle a un père, qu’elle appelle « papa ».

Je remarque que les deux « pères » tiennent malgré tout à la biologie. Même des sociologues pro-GPA reconnaissent l’importance de la transmission d’une partie du patrimoine génétique. Mais pourquoi une partie et pas la totalité ? De deux choses l’une : ou bien la paternité relève d’une construction culturelle et intentionnelle, et alors, on se moque de savoir qui est le géniteur, ou bien elle passe par la généalogie qui est à la fois réelle, symbolique et fantasmatique.

A lire aussi: Marc-Olivier Fogiel: « Ce n’est pas la génétique qui m’a fait père, c’est le désir »

Il y a des gens qui recourent à l’adoption, parce qu’ils n’ont pas réussi à faire d’enfants !

Les gens qui recourent à l’adoption ne se soucient pas d’avoir une transmission génétique. Ils ne prétendent pas que l’enfant n’a pas été conçu par un homme et une femme. Ils l’adoptent. Le mot dit bien ce qu’il veut dire.

Est-ce problématique qu’un enfant croie à tort être le fils du mari de sa mère, comme beaucoup d’enfants illégitimes au cours des siècles ?

C’est la source de la plupart des névroses obsessionnelles. Balzac a écrit un merveilleux roman sur ce thème : L’Enfant maudit. Pour des raisons sociales, la mère ne dit pas avec qui elle a conçu l’enfant. Mais l’enfant est référé à cet homme-là, et on s’étonne : « Il n’a rien retenu du caractère de son père, mais par contre, qu’est-ce qu’il ressemble au cousin untel qui, comme lui, était poète et musicien ! »

Vous parlez de la place du père, mais dans l’affaire du couple d’hommes, il y a surtout un problème de mère !

Aujourd’hui, la mère est diffractée entre la mère d’intention, la mère génétique et la mère porteuse. On finit par ne plus savoir laquelle des trois doit être désignée comme la mère légale. Des pays comme la France considèrent que la mère est celle qui accouche de l’enfant, donc éventuellement la mère porteuse. Mais on n’a pas le droit d’y recourir en France, ce qui pose le problème de l’inscription de l’enfant à l’état civil.

Dans d’autres pays, c’est la mère d’intention qui l’emporte. La génétique n’a alors plus rien à faire dans l’affaire, puisque la mère d’intention n’a ni donné l’ovule ni porté l’enfant. C’est le seul vouloir qui compte. Sauf que la volonté est fragile. On peut vouloir, puis ne plus vouloir, se séparer…

Donc, d’un point de vue concret, la PMA, qui pourrait être ouverte aux couples de femmes et aux femmes seules, est plus problématique que la GPA, qui n’élimine pas complètement l’autre sexe…

Peut-être, mais ça pose quand même un problème. Vous avez peut-être vu ce reportage d’« Envoyé spécial » sur la GPA : en s’appuyant sur de la psychanalyse de bazar, on nous dit que l’important, c’est que l’enfant connaisse son histoire, donc qu’on lui raconte la vérité de cette histoire. C’est une croyance en la vérité complètement fantasmatique : comme disait Lacan, « La vérité […] elle ne peut que se mi-dire » – on ne peut pas toute la dire. Dans ce reportage, on entend que les « parents » d’un enfant lui racontent les circonstances dans lesquelles il a été conçu et mis au monde mais, dans le même temps, ils mentent à tout leur entourage.

Mais des enfants sans père ou sans mère, la vie s’est chargée d’en faire depuis l’Antiquité. Faudrait-il accepter l’homo-éducation, mais refuser l’homoparentalité ?

Oui. De fait, les enfants naissent aujourd’hui dans ces conditions-là, mais il y a des moyens de parer en partie à des effacements, notamment du père, en inscrivant les choses. Autrefois, beaucoup d’enfants à qui on a menti sur les conditions de leur naissance découvraient la vérité en ouvrant leur livret de famille à 16 ou 18 ans, ou en tombant sur une lettre de leur grand-mère. Il y avait une trace écrite d’une importance particulière, un écrit qui ne relève pas d’une volonté d’effacer des parents qui prennent en charge l’enfant.

La possibilité pour n’importe quel enfant, s’il le veut, d’avoir une trace du fait qu’il y a eu un homme est essentielle. Même si cet homme n’a fait que donner son spermatozoïde à la « banque du sperme », il n’est pas innocent des conséquences de son acte. Et puis, derrière tout ça, il y a une grosse affaire de sous… Marc-Olivier Fogiel est très sympathique, mais il a raconté qu’il avait dû débourser la bagatelle de 150 000 euros pour avoir ses filles ! Ce n’est pas à la portée de n’importe qui, mais surtout cela ouvre à un « marché des enfants » pour les couples hétérosexuels comme pour les couples homosexuels. C’est le propre du capitalisme de vouloir tout monnayer pour contourner notre condition humaine sexuée.

Aux États-Unis, un couple hétérosexuel qui recourt à la fécondation in vitro (FIV) doit payer aussi. Mais passons. Êtes-vous favorable à la suppression de l’anonymat des donneurs ?

Totalement. Les LGBT sont vent debout contre, mais la tendance occidentale est à la levée possible – et encadrée – de l’anonymat.

Si les LGBT tiennent mordicus à l’anonymat des donneurs, c’est que certains veulent bien donner leur sperme à condition de ne pas être pères !

C’est pour ça que je souhaite une levée encadrée. On tombe là dans une contradiction de la loi française. Une femme peut très bien faire un enfant dans le dos d’un homme qui n’en peut mais, et qui, au prétexte qu’il a été le géniteur involontaire, devra se reconnaître devant la loi comme père. La loi autorise la femme à désigner le père, voire à demander une pension alimentaire rétroactive !

C’est la conséquence de la différence des sexes…

Non, c’est la conséquence d’une contradiction dans les termes actuels : on ne sait pas si un père, c’est seulement une organisation intellectuelle et mentale ou si ça a partie liée avec le géniteur. La loi joue sur tous les tableaux et entretient un flou artistique qui est très préoccupant, en même temps qu’injuste.

Les normes anthropologiques peuvent changer. Le véritable bouleversement, aujourd’hui, ne tient-il pas plutôt à la diffraction de la mère que vous avez évoquée ? Des gens qui ne savent pas qui est leur père, ça a toujours existé…

L’inverse a existé aussi, avec les histoires de nourrice. Quand je dis que la mère est connue par les sens, ce n’est pas pour faire du biologisme ou du naturalisme, c’est parce que dans le psychisme de l’enfant, la mère résonne comme ça. Il y a un premier temps où la mère et l’enfant se confondent, l’enfant, c’est « moi – ma mère », « moi – le sein », il ne fait pas la différence, et puis, petit à petit, il se sépare d’elle. Cette séparation va lui permettre de reconnaître dans cette femme qui l’a mis au monde non plus simplement une mère, mais une femme, ça peut prendre du temps, quelquefois l’opération ne réussit pas. Mais il se sépare d’elle parce que c’est vital pour lui, comme il est vital pour elle de se séparer de l’enfant. Et puis, il a remarqué que cette femme ne s’intéresse pas qu’à lui, du coup ce qui intéresse cette femme l’intéresse. On me dira que la mère peut être intéressée par une autre femme qui occupe la fonction paternelle. Mais si la loi autorise les femmes seules à faire cet enfant, elles seront bien plus nombreuses que les femmes en couple et on aura permis la multiplication de familles monoparentales sans père. Qui, selon ce raisonnement, fera « le tiers » dans ce cas ?  N’importe quel homme ! dit-on. Sauf que n’importe quel homme, ce n’est pas la même chose qu’un tiers à la maison sans lequel je ne serais pas venu au monde. Ce qui intéresse l’enfant, c’est le récit qui ne dément pas le réel au quotidien.

D’accord, mais les techniques de procréation artificielle sont ouvertes aux femmes seules depuis longtemps.

C’est une erreur qui a des causes historiques. Pendant les deux guerres mondiales, les hommes étant partis à la guerre sans toujours revenir, il fallait bien faire des enfants quand même pour faire marcher la machine industrielle. On a donc permis à des femmes hétérosexuelles, ou qui se déclaraient telles, d’avoir recours à l’insémination artificielle. On n’en a pas fait un idéal pour autant, parce qu’on a vu le résultat sur les divans des psychanalystes ou dans les bureaux des psychiatres, avec parfois des enfants complètement paumés. Et aujourd’hui, pour rétablir l’égalité, on établirait l’égalité des malheurs ! Ce qui a été accordé aux femmes à la suite des déséquilibres démographiques nés de situations accidentelles ne doit pas mécaniquement devenir une règle générale applicable à toute personne qui décide de faire seule un enfant. Mais il est vrai que la loi l’y autorise.

Je ne vois pas comment on refuserait à une femme homosexuelle ce qu’on accorde à une femme hétérosexuelle.

En tout cas, cela ne nous exonère pas de la construction du père. Le petit construit d’abord son père en l’idéalisant. Et puis comme le dit Lacan, à un moment donné, tout le monde s’aperçoit que son père est un pauvre type, un clown, un type pas à la hauteur de l’image qu’on s’est faite de lui : on va donc être obligé de l’affronter ! Cet affrontement est important parce qu’il nous fait découvrir les difficultés de la vie. Le père n’est pas seulement le tiers qui sépare la mère et l’enfant. Il permet aussi de créer une situation intermédiaire entre l’homme et la loi, évitant à l’enfant d’être écrasé par la loi ou, si on est religieux, par Dieu. En somme, de ne pas être écrasé par l’ensemble du système symbolique.

Au fond, toute votre théorie du père repose sur l’idée que l’homme est un animal généalogique. Mais quelque chose du monde biblique et de la différence des sexes est malgré tout en train de se finir. La technologie venant au secours de l’anthropologie, ne cesserons-nous pas d’être des « animaux généalogiques » ?

Dans animal généalogique, il y a « animal » et « généalogique ». Si vous prenez un veau, il peut savoir qui est sa mère : c’est celle qui l’a mis au monde et qu’il tête. Mais il se fiche de savoir qui est son père. Surtout, on n’a jamais vu, de mémoire de vétérinaire, un veau se préoccuper de savoir qui était sa grand-mère ! Or, j’y suis particulièrement sensible à cause de la Shoah, quand un être humain ne peut pas remonter plus loin que la génération de ses parents, il est amputé de quelque chose et cela atteint ses facultés de mémoire. Un enfant de cinq ans qui peut nommer avec précision son père, sa mère, son grand-père, sa grand-mère, ses oncles et tantes a beaucoup moins de difficultés à se laisser enseigner qu’un enfant qui vit dans un flou total à ce sujet-là. C’est un fait d’expérience clinique. La Bible n’a rien à voir là-dedans : il en va de même dans la quasi-totalité des civilisations qu’elles soient indiennes, chinoises, japonaises, etc. Il serait efficace de sortir de nos obsessions ethnocentristes. Contrairement à ce que vous semblez croire, les ethnobiologies peuvent être au service des mythes religieux. Qu’une femme puisse faire un enfant en étant bréhaigne (stérile) ou vierge, n’est-ce pas un fantasme religieux ?

Dans la Bible, et sans doute dans d’autres cultures, l’histoire humaine naît de la Chute, donc de la différence des sexes… Quoi qu’il en soit, ce qui est étrange à notre époque, c’est que la fonction parentale soit tellement désirée !

Nul ne sait de quoi est fait le désir d’enfants. On est tous divisés entre le fini de la vie qu’on mène et l’infini de la vie depuis son commencement. En termes médicaux, on évolue entre germen et soma. Le soma, c’est qu’on est des cadavres ambulants, on sait qu’on va crever ; et puis en nous, il y a quelque chose qui nous pousse à la reproduction, qu’on le fasse ou pas. Dans la Bible, on voit bien que, dès l’origine, la question de la stérilité des femmes est posée. La stérilité des femmes signifie en nous la possibilité et la liberté de ne pas faire d’enfants. C’est pourquoi je m’interroge beaucoup sur cette volonté subite des homosexuels de faire des enfants alors qu’ils étaient ceux qui avaient la liberté de ne pas en faire.

Oui, les homos ont maintenant une vision bourgeoise et individualiste du bonheur…

Ils sont très familialistes. Alors que moi, comme psychanalyste, la famille, je ne m’en préoccupe guère ! La généalogie, ce n’est pas la famille. « Tu honoreras ton père et ta mère » signifie littéralement « Tu prendras lourdement conscience du fait que tu as un père et une mère » dans un milieu lourdement polygame !!! Mon livre de chevet après Mai 68, c’était Mort de la famille, de David Cooper, pas le catéchisme !

Finalement, quel est le rôle spécifique du père dans la transmission ?

Par son existence même, c’est la transmission de la généalogie, c’est celui qui assure la pérennité du passé, du présent et du futur par sa voix qui transmet la Voix qui lui vient du plus lointain passé et qui est ce qu’il a reçu, à son insu, des pères. On reçoit essentiellement des choses dont on ne veut pas. Le problème de la Manif pour tous, comme celui de ses adversaires, c’est qu’ils pensent tous à l’échelle d’une seule génération : « un papa, une maman, un enfant » ou « un papa, un papa, un enfant ». Or, nombre de symptômes montrent que ce n’est pas comme ça que ça se passe.

Jean-Pierre Winter L’avenir du père – Réinventer sa place ? Albin Michel, janvier 2019

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Sexualité: les lobbies font la guerre, pas l’amour

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Manifestation féministe à Paris, mars 2019. ©Jacques Witt/SIPA / 00898248_000015

Loin d’être une question d’ordre privé, la sexualité est une puissante arme politique. Les lobbies progressistes l’utilisent contre l’Eglise ou la « domination » masculine pour mieux imposer leur point de vue. 


On a coutume de dire qu’en matière sexuelle, la liberté individuelle prévaut plus que tout. La sexualité serait ainsi la question la plus privée, donc la moins politique qui soit. En réalité, c’est exactement l’inverse. Il n’y a pas de question plus politique, malgré les apparences, que la sexualité.

Les enjeux sociétaux, et donc politiques, liés aux comportements sexuels sont absolument primordiaux, parce que des comportements sexuels dépendent les attitudes par rapport à la notion de famille et d’éducation, mais aussi par rapport à la filiation, l’enracinement, le travail, la consommation ou le rapport aux autres. Le comportement sexuel détermine, en fin de compte, une attitude et une philosophie par rapport à la vie en général. Bien que les forces politiques, le sexe est, pour cette raison, au cœur d’une bataille idéologique sans merci. Plusieurs exemples le montrent.

L’Eglise, mère de tous leurs maux

L’un d’entre eux est le discrédit dont souffre l’Eglise catholique dans la société d’aujourd’hui. Dans l’entretien consacré à cette question dans Causeur, l’excellent Jérôme Fourquet oublie un point important. Il y a plus que du désintérêt par rapport à l’Eglise. Il y a visiblement une volonté de la faire taire, et même de la faire disparaître, politiquement et si possible socialement. Sur le plan de la sexualité, les positions que celle-ci défend officiellement sont en effet à contre-sens de la philosophie de la liberté sexuelle sans « tabous » ni contraintes que prône le progressisme moderne. Au mieux « conservatrice », au pire « rigoriste », « arriérée », voire « moyenâgeuse », elle est en tout cas une gêneuse, une empêcheuse de vivre et de danser en rond.

Les médias, grands défenseurs du progressisme, tendent à rabaisser leurs interlocuteurs catholiques, à minimiser les persécutions ou les profanations dont ils peuvent faire l’objet. Après tout, si le progressisme est le « Bien », l’Eglise et ses fidèles, sauf lorsqu’ils épousent les thèses relativistes – pour éviter d’avoir à prendre position – en matière sexuelle comme dans tout le reste, sont clairement dans le camp du « Mal », et si des déboires leur arrivent, c’est un peu bien fait pour eux. Et si on peut en rajouter une couche pour les enfoncer, encore mieux.

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C’est à cette aune qu’il faut juger les récentes attaques contre l’Eglise en matière de pédophilie. On remarquera que ce procès n’est intenté que contre cette institution : on n’a pas vu la même chose se produire contre les milieux sportifs, éducatifs ou sociaux, médicaux ou hospitaliers, ou encore dans la formation professionnelle. Pense-t-on que ces milieux sont exempts de ce type de crime ? On ne cesse de crier à « l’omerta » dans l’Eglise, alors qu’on ne parle que de cela. L’omerta n’est-elle pas précisément là où on ne dit rien ? N’y a-t-il pas, derrière tout cela, une évidente intention politique ?

Le fait que le cardinal Barbarin, haute figure, pour ces militants, du « rigorisme » catholique, ait été condamné (pour des faits qui remontent à 30 ans, et pour lesquels aucune plainte n’avait été déposée jusqu’en 2014), alors qu’il avait été acquitté lors d’un premier procès, et que le procureur lui-même avait demandé la relaxe lors du deuxième, le fait qu’un film sur lui sorte précisément à ce moment-là, ne laisse que peu de doute sur les intentions des lobbies qui sont derrière ces attaques. S’il faut « se faire Barbarin », c’est pour que cette victoire soit un marqueur symbolique, un clou bien planté sur le cercueil de l’Infâme, l’Eglise coupable surtout d’avoir, sur la question de la sexualité, une position contraire au progressisme.

Communique ta mère

L’autre exemple, tendant à montrer que la question sexuelle est une guerre idéologique sans merci, est le combat des féministes contre la « domination » masculine.

L’affirmation, constamment répétée dans les médias, comme quoi « une femme meurt tous les 3 jours sous les coups de son compagnon » est, par exemple, bien choisie. S’il y a effectivement environ 110 femmes assassinées en France chaque année par leur conjoint ou compagnon (ou leur ex-conjoint ou ex-compagnon, pour être précis), 32 millions de personnes vivent en couple en France. 110 meurtres domestiques contre des femmes sur 16 millions de couples, cela fait 0,00069 %. 110 meurtres, c’est beaucoup trop, mais c’est, statistiquement, infinitésimal. Il faut rappeler qu’il y a environ 930 meurtres par an en France, dont les meurtres domestiques des hommes envers les femmes (parce qu’il y a, aussi, les meurtres des hommes par leurs femmes, environ 30 par an) ne représentent donc que 12%, alors qu’il serait logique de penser qu’on a plus de chances de pouvoir tuer une personne que l’on côtoie souvent. Cette phrase démontre en réalité le contraire de ce qu’elle dit, à savoir que l’entente générale entre hommes et femmes dans le couple est bonne. Mais on continue à répéter cette injonction magique, preuve s’il en est qu’elle provient d’une « usine à éléments de langage » concoctée dans les services de com’ de groupes politiques influents, qui l’imposent « amicalement » aux médias. Peu importe la vérité si l’effet politique est atteint. Démonétiser la relation hommes-femmes est bien un combat politique.

Ces hommes qui exploitent les femmes

Un autre aspect de cette « guerre » est le combat mené par les féministes pour l’égalité entre hommes et femmes dans le domaine du travail. Une enquête intéressante, de mars 2019, permet de se poser, à ce titre, quelques questions.

On s’aperçoit à sa lecture que le chiffre de 23,8 % qui est le plus souvent médiatisé comme étant « l’écart le plus élevé en matière d’inégalité salariale » est mensonger, puisqu’il mélange temps pleins et temps partiels. S’il est vrai, selon l’étude, que 80% des temps partiels (que l’étude assimile arbitrairement à des « emplois précaires », ce qui n’est pas nécessairement le cas) sont occupés par des femmes, on voit que le fait de mélanger temps pleins et temps partiels fausse totalement les statistiques. Pour bien faire, il faut mesurer les différences entre temps partiels féminins et masculins, et par ailleurs entre temps pleins des uns et des autres. C’est fait par la suite, mais le résultat n’est évidemment pas le même. En réalité, lorsque l’on compare les choses comparables, la différence n’est « que » de 9 %. Mais ce n’est pas cela qui est le plus intéressant.

Le plus intéressant, c’est la différence de 35 % qui apparaît parmi les plus diplômés. Elle semble totalement illogique, et l’étude a tôt fait de l’appeler « discrimination pure ». Mais lorsque l’on creuse, on s’aperçoit qu’elle ne concerne pas les personnes en début de carrière (au niveau des jeunes diplômés, la différence n’existe pas), mais en cours et en sommet de carrière. La statistique n’est pas calculée à poste égal, mais globalement, par rapport aux rémunérations générales de grands dirigeants, où les hommes sont majoritaires. Tout se passe comme si la carrière des femmes était moins rapide que celle des hommes. C’est effectivement parfois parce qu’elles le subissent, mais aussi parfois parce qu’elles le choisissent.

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Que peut-on lire, en effet, derrière ces statistiques ? Le fait que la discrimination n’explique pas tout. Nombre de couples arbitrent en réalité leur travail ou leurs carrières pour y intégrer leurs stratégies familiales. Pour les couples à faibles revenus, les femmes prendront plus facilement des temps partiels (ou des emplois dans la fonction publique, où elles sont aussi majoritaires) pour libérer du temps avec leurs enfants. Même sorte d’arbitrage, pour les hauts revenus. Certaines femmes très diplômées, après avoir été embauchées à un salaire équivalent aux hommes, vont choisir de grimper moins vite dans la hiérarchie, pour pouvoir consacrer du temps à leurs familles. Elles ne veulent pas se faire « manger » par l’entreprise, et c’est un choix tout à fait légitime.

Je ne nie pas les discriminations, je fais seulement remarquer que les statistiques sont faussées. Les études n’incluent jamais les stratégies familiales par rapport aux enfants. Elles présentent obligatoirement les écarts comme subis, ce qui n’est pas toujours le cas. Cette approche n’est pas un oubli, il y a tout lieu de penser que c’est un choix politique.

Le sexe, c’est la vie

Derrière les attaques contre l’Eglise, défenseur d’un modèle « passéiste », derrière la mise en confrontation des couples, derrière la réduction des femmes à de purs objets professionnels sans autre stratégie que de travailler le plus possible, se cache un calcul très sordide : faire des hommes et des femmes des individus désaffiliés, livrés à la machine libérale.

Lorsque l’Eglise se taira, plus personne ne portera son discours. Lorsqu’hommes et femmes seront définitivement des ennemis, et non plus des couples, ils ne pourront se rencontrer que comme des partenaires sexuels momentanés.

Les lobbies progressistes le savent bien : la sexualité est la notion politique par excellence. A travers elle, on peut promouvoir soit une société humaine et pacifique, qui s’organise autour de la famille et de l’enfant, où le travail et l’argent ont d’abord le sens de la gratuité du don familial, soit une société purement libérale, centrée autour des désirs individuels, et du travail comme prétexte et moyen de les assouvir sans limite. Dans leur combat acharné pour imposer à tous une sexualité libre-service, les lobbies progressistes « sexualistes » sont les complices, parfaitement conscients, de puissances économiques. Ils sont du même monde. Bien qu’ils soient très minoritaires, ces lobbies ont pris le pouvoir, et les imbéciles les laissent faire. Comme en matière économique, les moutons font semblant de ne pas voir qu’il y a des loups en face… S’ils deviennent totalitaires, et ils n’en sont pas loin, bienvenue chez Orwell.

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« Deux cents millions de chrétiens ne sont pas libres de vivre leur foi »

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Un militaire irakien reçoit la communion lors de la messe de Pâques à Qaraqosh, 16 avril 2017. ©Maya Alleruzzo/AP/SIPA / AP22041091_000001

Entretien avec Marc Fromager, directeur de l’Aide à l’Église en détresse (AED), fondation internationale de droit pontifical. 


Causeur. Quel regard portez-vous sur l’action de la diplomatie française à l’égard des chrétiens persécutés dans le monde ?

Marc Fromager. Ce n’est pas l’une de ses priorités, et on peut en dire autant des médias et de l’opinion en France. Le soutien aux chrétiens d’Irak a été pour nous une heureuse surprise, mais le mouvement tenait manifestement plus du dégoût des abominations de Daech que de la solidarité avec la communauté chrétienne irakienne.

Que reste-t-il de cette communauté ?

Environ 150 000 personnes. Elle a disparu à 90 %. En Syrie, les chrétiens sont tombés à 2 % de la population, contre 8 % avant la guerre, mais certains reviendront probablement quand la paix régnera. Les relations interreligieuses en Syrie étaient plutôt bonnes. En Irak, en revanche, la disparition du christianisme est à redouter. Malgré la répression, la situation est paradoxalement meilleure en Iran. Le christianisme y progresse, dans la clandestinité. Il y aurait entre 300 000 et 800 000 chrétiens iraniens.

A lire aussi: Et si les catholiques ne tendaient plus l’autre joue?

Et ailleurs au Proche-Orient ?

On parle beaucoup des attaques en Égypte[tooltips content= »Sept morts et 14 blessés dans une attaque de bus en novembre 2018, 27 morts et 49 blessés dans une attaque contre une église du Caire en décembre 2016, 21 morts et 79 blessés dans une autre église, à Alexandrie, en 2011, etc. »]1[/tooltips], mais, concrètement, c’est le dernier grand réservoir chrétien de la région, avec 15 millions de croyants, contre 2 millions seulement dans tout le reste de la zone ! En Algérie, en Tunisie, au Maroc, les chrétiens sont par définition des étrangers. La conversion pose un problème, pour employer un euphémisme [en Algérie, une ordonnance de 2006 punit de cinq ans de prison les tentatives de conversion d’un musulman, NDLR]. L’islam n’accepte pas l’apostasie.

Quel autre pays vous préoccupe plus particulièrement ?

L’Inde. Le nationalisme hindou se tourne aussi contre les chrétiens. Ils représentent 1,6 % de la population seulement, mais les institutions chrétiennes encadrent 20 millions d’étudiants et gèrent 20 % des centres de santé du pays. Pour des partis qui jouent la carte de la pureté nationale à des fins électorales, ces institutions sont des cibles toutes trouvées.

Jusqu’où vont les persécutions ?

Jusqu’à l’assassinat, dans les cas extrêmes. Le plus souvent, elles prennent la forme de vexations, de discriminations. Dans le monde, 200 millions de chrétiens ne sont pas libres de vivre leur foi.

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Algérie: avec Bensalah, Bouteflika est toujours là

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Abdelkader Bensalah, avril 2019. ©Toufik Doudou/AP/SIPA / AP22322541_000015

Si le départ d’Abdelaziz Bouteflika a ravi la foule qui manifestait depuis plusieurs semaines, son remplaçant automatique, Abdelkader Bensalah, possède les mêmes caractéristiques que lui. En Algérie, le système est toujours là, tout a changé pour que rien ne change. 


L’acte I s’est enfin terminé. Le 4 avril, la rue a eu raison d’Abdelaziz Bouteflika, au pouvoir depuis vingt ans.

Depuis des semaines, des manifestations pacifiques s’étaient déployées dans toutes les rues du pays. Drapeaux algériens à la main, des centaines de milliers de personnes ont battu le pavé avec l’espoir de voir partir le président âgé de 82 ans. Hommes, femmes, enfants, jeunes comme vieux, cadres et sans emplois, jamais l’Algérie n’avait connu de tels mouvements de liesses depuis l’Indépendance en 1962. Tous ont occupé les rues avec l’espoir et la détermination de voir ce pays gangrené par le chômage et la corruption se doter d’une démocratie saine et renouvelée.

Bouteflika, l’arbre qui cachait Bensalah

Alors, lorsque conformément à la Constitution, le président du Sénat Abdelkader Bensalah s’est retrouvé président de la République, c’est un sentiment d’humiliation et de colère qui a frappé la foule. Car Bensalah ressemble à l’ancien président.

A lire aussi: Opposition algérienne: Bouteflika ne verra pas le « Printemps »

Légèrement plus jeune, 77 ans, c’est un éléphant dans une société où l’âge moyen est de 26 ans, parmi les plus jeunes du continent africain. Bensalah est membre du Rassemblement national démocratique (RND), un parti créé par l’ancien Premier ministre, Ahmed Ouyahia, pour servir d’appoint au Front de libération nationale (FLN), le parti majoritaire. Bien qu’il ne doive rester que 90 jours au pouvoir, Bensalah représente tout ce qu’a combattu la rue pacifiquement mais avec détermination. Le système. Une coalition mêlant monde politique, pétrole et armée. Bouteflika n’était que l’arbre cachant une forêt bien plus vaste à laquelle appartient le nouveau président par intérim, une forêt que la décennie noire n’a fait que densifier dans les années 90.

Bensalah, le « Marocain »

Abdelkader Bensalah a été journaliste dans les années 70, spécialisé notamment sur le Levant. Devenu député de la région de Tlemcen dans la même décennie, il entame une carrière de diplomate en devenant ambassadeur en Arabie saoudite à la fin des années 80, une période où Bouteflika s’est éloigné de la politique. Les deux compères, comme d’autres de cette génération, reviennent aux commandes avec la guerre civile. Bensalah préside entre 1994 et 1997, le Conseil national de transition, l’unique chambre parlementaire après l’interruption du processus électoral de 1991. Puis c’est la voie royale : président de l’Assemblée populaire nationale de 1997 à 2002 puis de la plus haute chambre du pays de 2002 à 2019.

De manière totalement caricaturale, son CV incarne de A à Z la génération Bouteflika qu’a justement rejetée cette révolte pacifique. Immédiatement, de vieilles rumeurs ont éclaté sur le pavé et les réseaux sociaux : Bensalah ne pourrait être président car né Marocain.

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En 2013, lorsque s’était posée la question d’une possible succession d’Abdelaziz Bouteflika, le nom de Bensalah avait déjà surgi. Lakhdar Benkhellaf, leader parlementaire du Front pour la Justice et le Développement (FJD), avait suscité la polémique déclarant qu’Abdelkader Bensalah « avait la nationalité marocaine » avant d’être naturalisé algérien. « La condition pour qu’un responsable occupe le poste de président de la République est de posséder la nationalité algérienne d’origine », avait-il confié à des médias algériens. Une polémique sur fond de chauvinisme étriqué vite battue en brèche par l’intéressé qui était bien né en Algérie à Beni Messahel dans la wilaya de Tlemcen le 24 novembre 1941. Déplorable pour un homme engagé très jeune dans l’Armée de Libération nationale (ALN).

« L’Algérie aux Algériens »

A l’annonce de sa prise de poste, un sentiment d’abattement s’est répandu dans la foule. Ces manifestants pleins d’enthousiasme et de dynamisme se sont sentis trahis : tout ça pour ça. Un sentiment de colère teinté par moment de paranoïa a émergé sur la toile et sur les pancartes : les Occidentaux ne veulent pas d’une démocratie en Algérie. Les rumeurs les plus folles ont pointé leur nez : les responsables seraient à l’étranger. Après l’Irak, la Syrie ou la Libye, les Américains, les Français et consort souhaiteraient le chaos pour mettre la main sur le pétrole et le gaz. « L’Algérie aux Algériens », réclament certains manifestants. Ces réflexes, bien que minoritaires, révèlent une société fragile et friable. La crainte d’assister à un durcissement du régime est une donnée à ne pas négliger. Les relations avec la police se sont quelque peu délitées et l’armée a déjà récupéré les services de renseignement. Une partie de la population parle même de boycotter les scrutins prévus le 4 juillet.

Manifestation contre "l'ingérence étrangère" à Alger. PPAgency/SIPA / 00900151_000007
Manifestation contre « l’ingérence étrangère » à Alger. PPAgency/SIPA / 00900151_000007

Malgré tout, l’espoir reste de mise. « On ne lâchera pas avant l’émergence d’un nouveau système et d’une nouvelle génération de dirigeants au pouvoir ». Oui, mais avec qui ? Diriger un pays ne s’improvise pas et l’absence d’une opposition crédible depuis de nombreuses années n’a rien arrangé. Si les forces vives existent forcément, elles tardent à émerger. Faire une campagne présidentielle demande un minimum de structures partisanes, de fonds, de leaders. Les rares noms comme Rachid Nekkaz ou l’ancien militaire Al Ghediri apparaissent bien trop marginaux pour le moment et les reliquats de l’ancien régime, tels Ali Benfils ou tous ceux qui seraient apparentés au FLN ou au RND, sont exclus d’avance par la population. Et chez les jeunes, rien pour le moment.

Qui veut gouverner l’Algérie ?

En 1962 était sorti des tréfonds du pays des hommes aussi talentueux que Boudiaf ou Ait-Ahmed ; aujourd’hui, la période est à la disette ou tout du moins l’inconnu. Reste l’éternelle menace islamiste. A la fin des années 80, le Front islamique du Salut (FIS) avait bénéficié, outre des mêmes maux qu’aujourd’hui, d’hommes revenus d’Afghanistan et de leaders charismatiques comme Belhadj ou Madani. Aujourd’hui, le seul parti de cette obédience est le mouvement de la Société pour la Paix du docteur Makri, qui peut-être un prétendant dans ce bal où la politique de la chaise libre rend tous les scénarios possibles. Mais est-ce qu’un pays, encore marqué par la décennie noire, le souhaite, vraiment ?

Tout a changé pour que rien ne change. L’immense coup de balai attendu n’a pas encore eu lieu. Les auditions pour l’acte II ont commencé.

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Affaire Emmanuelle Gave : la vérité finit par s’imposer

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emmanuelle charles gave times israel
Emmanuelle Gave. TV libertés

Après avoir injustement été associée au négationnisme l’avocate et militante Emmanuelle Gave, le journal Times of Israel lui présente ses excuses.


Cloués au pilori médiatique sans autre forme de procès, Emmanuelle Gave et son père Charles, ex-futurs colistiers de Nicolas Dupont-Aignan aux Européennes, ont subi une intense campagne de dénigrement. L’objet du scandale ? Une caricature antisémite de propagande bolchévique qui trônait sur le bureau d’Emmanuelle Gave, directrice de l’Institut des libertés, lorsqu’une journaliste de L’Opinion l’y a rencontrée. Si un esprit logique imagine mal ces libéraux hayékiens allergiques au communisme adhérer à ce genre de billevesées, les justiciers médiatiques ont tôt fait de les diaboliser. Ajoutons à cette mauvaise foi une présentation biaisée de la position de Mme Gave sur la loi Gayssot – s’opposer à une loi mémorielle n’a, rappelons-le, rien de négationniste – et une communication quelque peu maladroite sur les réseaux sociaux, et le sort des Gave était scellé. Souverainistes, réacs, cathos, donc forcément racistes, révisionnistes, et plus si affinités. D’autant que l’émission « Quotidien » de Yann Barthès a ajouté son grain de sel en ressuscitant des tweets d’Emmanuelle Gave répétés, amplifiés et déformés.

Il y a quelques jours, son avocat Me Gilles-William Goldnadel a obtenu le rétablissement des faits : il n’y a pas plus de négationnisme, d’antisémitisme ou de xénophobie chez Gave père et fille que de beurre en broche. Pourtant, même en tendant l’oreille, nul n’entend le moindre début d’autocritique chez les antiracistes pavloviens de « Quotidien ». A force de diaboliser tout ce qui plane à droite de Macron, Yann Barthès et ses amis ne sont plus à cela près.

A contrario, Times of Israel a fait amende honorable. Dans un communiqué lapidaire, le journal israélien présente ses excuses à Emmanuelle et Charles Gave qu’il avait hâtivement (et injustement) associé au négationnisme. À la parution de l’article, Le père et la fille avaient mis les points sur les i : « Nous contestons avec la plus grande fermeté les expressions et informations contenues dans un article repris par Times of Israël.  Non seulement nous ne sommes pas « négationnistes » mais plus encore nous considérons la Shoah comme le pire crime commis contre la race humaine. Nous sommes des partisans convaincus de l’Etat d’Israël qui a vu le Peuple juif revenir sur sa terre dans le cadre de la construction d’un Etat-Nation. En conséquence, on peut imaginer combien des accusations aussi injustes, propagées électroniquement, nous ont blessés moralement et causé un préjudice social qui, loin de nous empêcher de penser librement, renforce notre détermination et notre fermeté d’âme. » Depuis, Times of Israel a reconnu leur bonne foi.

Nicolas Dupont-Aignan l’ayant évincée de sa liste à l’éclatement de la polémique, Emmanuel Gave n’aura pas l’occasion de briguer le suffrage des Français aux prochaines élections européennes. Mais son honneur est rétabli.

Et si les catholiques ne tendaient plus l’autre joue?

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Fidèles de l'Eglise catholique à Lourdes, avril 2014. ©FERNAND FOURCADE/SIPA / 00682360_000009

Alors que le nombre d’atteintes aux lieux de culte chrétiens augmente nettement, certains catholiques remettent en doute le bien-fondé de la ligne officielle, qui consiste à jouer l’apaisement pour éviter la surenchère victimaire. Enquête.


Cent cinquante-trois atteintes aux lieux de culte recensés en France en 2008 par le ministère de l’Intérieur, 1 057 en 2016, soit 690 % de hausse en huit ans. C’est ce qu’on appelle une tendance nette. Elle s’est légèrement infléchie en 2017, avec 978 profanations (– 7,5 %). Les chiffres 2018 ne sont pas encore connus. Églises, cimetières ou sanctuaires, les lieux de culte chrétiens sont les principaux visés, et de très loin. Ils représentent entre 75 % et 90 % du total des profanations, très loin devant les atteintes aux synagogues (entre 30 et 60 chaque année) et les tags ou tentatives d’incendie de mosquée (40 à 80 par an).

Côté catholique, l’année 2019 démarre fort, avec six églises profanées entre le 4 et le 9 février, dans les Yvelines, en Côte-d’Or, dans le Tarn et dans le Gard. Une flambée, précision importante, qui intervient avant le pic de polémiques sur l’homosexualité et les affaires de pédophilie dans l’église. Ces dernières provoqueront-elles un regain d’agressivité envers les églises ? Difficile de le savoir, car, bien souvent, on ignore les motivations des agresseurs. En ont-ils seulement ? À Lavaur (Tarn), deux mineurs ont avoué avoir mis le feu à l’autel d’une chapelle de la cathédrale Saint-Alain, où ils s’étaient réfugiés pour échapper à la pluie, par désœuvrement. Il a fallu deux jours pour nettoyer les suies. Ils ont aussi tordu le bras d’un christ, pour lui faire prendre une pause particulière, popularisée par le footballeur Paul Pogba (un « dab »). À Dijon (Côte-d’Or), le coupable a brisé une statue de la vierge, ouvert le tabernacle et jeté les hosties. Un sacrilège pour les catholiques, car les hosties consacrées représentent le corps du christ. Idem à Nîmes (Gard). Les hosties de l’église Notre-Dame-des-Enfants ont été dispersées, avec en prime une croix d’excrément tracée sur un mur. Panache, classe et intelligence.

A lire aussi: Profanation de la cathédrale de Lavaur: l’Église pardonne, moi pas!

À l’église Saint-Nicolas de Maisons-Laffitte (Yvelines), le tabernacle a été jeté à terre. La sûreté départementale a interpellé un sans domicile fixe de 35 ans. C’était la troisième église du département prise pour cible en quelques jours. L’évêché de Versailles a appelé à « aborder ces événements avec du recul. […] Il s’agit, dans la plupart des cas, d’actes de personnes connues et souvent vivant en marginalité, dit son communiqué. Il ne faut pas y voir systématiquement des attaques contre l’Église. »

Tout est dans le « systématiquement »… « Pour en avoir le cœur net, il faudrait que les responsables soient plus souvent interpellés, pointe Jean-Frédéric Poisson, président du Parti chrétien-démocrate et ancien député-maire de Rambouillet. Le taux d’élucidation très faible de ces affaires ne permet pas de connaître les motivations des coupables. » En 2008, alors qu’il siégeait à l’Assemblée, il a corédigé un rapport sur les profanations de sépultures, avec son collègue André Flajolet. Suivi en 2011 par le rapport d’un groupe d’études de députés sur les atteintes aux lieux de culte, qui s’est penché à son tour sur le profil des auteurs tel qu’il ressort des données du ministère de l’Intérieur.

Très peu de satanistes et d’anarchistes

Fan de Marilyn Manson et amis de l’Antéchrist, allez en paix. La représentation nationale vous donne l’absolution, ou presque. Deux dossiers à connotation satanique en 2011, trois en 2012, six en 2013… Les anarchistes ? lls sont à peine plus nombreux : huit dossiers en 2013. Et encore faudrait-il connaître le détail des faits. Le 11 février 2019, un inconnu a tagué sur le clocher de l’église de Saint-Cyr-l’École : « Jésus était anarchiste. » Une insulte ? Pire, un poncif.

Une certitude, les jeunes sont légion. 63 % des personnes interpellées en 2010 pour profanation d’église ou de cimetière étaient mineures. Leurs infractions l’étaient souvent, elles aussi. Les députés Poisson et Flajolet notaient en 2008 que, lorsque des adultes sont en cause dans les profanations de sépultures, « les actes sont généralement plus graves (ouverture de tombes, inscriptions injurieuses, excréments répandus sur les sépultures), mais il s’agit bien souvent de personnes souffrant de troubles psychiatriques sérieux. La motivation idéologique est plus rare. »

Comment nourrir son sentiment victimaire sur le web

Un musulman tapera avec profit « mosquée jambon » sur un moteur de recherche. Il trouvera plusieurs exemples d’islamophobie caractérisée. Un charcutier-traiteur de Nancy a d’ailleurs été condamné à six mois de prison avec sursis pour avoir déposé des lardons dans la boîte aux lettres d’une mosquée, suite à l’attentat de Saint-Étienne-du-Rouvray. Une peine qui semblera bien lourde à un catholique pratiquant, en regard de celle infligée à une militante Femen qui avait déposé un morceau de foie de veau et uriné seins nus devant l’autel de la Madeleine (un mois avec sursis en appel, décision rendue le 9 janvier dernier). Le chrétien en panne d’offense consultera utilement l’Observatoire de la christianophobie (christianophobie.fr). Il liste indifféremment les sacrilèges délibérés et les vols crapuleux. La liste est sidérante, mais pas entièrement fiable. L’Observatoire élève parfois des rumeurs au rang d’information. Exemple : les réfugiés iraniens chrétiens ont été persécutés au camp de Grande-Synthe (Nord). L’un d’entre eux a été égorgé et enterré sur place en 2016, parce qu’il s’était converti au christianisme. Vérification faite, les autorités, tout comme le pasteur Philippe Dugard, d’une église protestante qui vient en aide aux migrants, ont parlé de bagarre entre passeurs iraniens chrétiens et passeurs irakiens musulmans, avec la religion comme facteur aggravant. Quant à l’assassinat, il repose sur un témoignage indirect, sans aucun indice matériel.

Presque rafraîchissantes en comparaison des profanations de sépultures, les atteintes crapuleuses représenteraient entre le quart et le tiers des faits constatés. Un grand calice, une patène et deux ciboires volés à l’église Saint-Sauveur de Sanguinet (Landes), le 27 février 2019. Vols en série dans des églises autour de Lyon et Dijon, en 2015. Vol du portail en bronze du cimetière allemand de Neuville-Saint-Vaast (Pas-de-Calais), en 2007…

Point soulevé par le groupe d’études parlementaire de 2011, la répartition géographique des actes est inégale. 80 % au moins des faits sont commis en zone gendarmerie, autrement dit en zone rurale, mais avec des variations selon les régions. Les Hauts-de-France arrivent en tête, suivis par l’Île-de-France, la Lorraine (pour les cimetières) et Rhône-Alpes (pour les lieux de culte), alors que les déprédations sont rares en Bourgogne, en Auvergne et en Corse.

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Le portrait-robot du profanateur serait en quelque sorte un jeune de Montdidier (Somme), à bout de bière et d’ennui, qui se défoule sur des sépultures de la Grande Guerre. La géographie des attaques contre les lieux de culte serait celle de la France où les usines ont fermé et où le tissu social se délite. Le sentiment antichrétien serait finalement une motivation secondaire, pour ne pas dire négligeable.

La prudente retenue de la Conférence des évêques

L’explication a le mérite de la simplicité, mais elle n’épuise pas le sujet. D’une part, il semble y avoir une spécificité française dans les atteintes aux lieux de culte chrétiens. Elles existent chez nos voisins européens, mais pas avec la même fréquence. D’autre part, elle rend mal compte de l’explosion des actes enregistrés depuis une décennie.

Causeur aurait aimé savoir ce que la Conférence des évêques en pensait, mais ses porte-parole ne nous ont jamais rappelés. Ce n’était pas vraiment une surprise. À l’image de l’évêché de Versailles, l’Église de France ne souhaite pas monter en épingle les attaques qui visent ses lieux consacrés. Au risque d’impatienter certains catholiques, qui ne seraient pas contre davantage de fermeté (voir la tribune de Bernard Carayon, maire LR de Lavaur). Un point de vue que comprend Mgr Dominique Rey, évêque de Toulon. « Il faudrait que les chrétiens soient plus audacieux dans leur réponse à des actes commis à une échelle inquiétante et ascendante, mais aussi que les médias s’en fassent l’écho. La symétrie avec les réactions suscitées par l’antisémitisme et les actes islamophobes suffirait. »

Une triste particularité française ?

Il n’existe pas de registre européen des attaques contre les lieux de culte chrétiens. Basé à Vienne (Autriche), l’Observatoire de l’intolérance et des discriminations envers les chrétiens (Observatory on Intolerance and Discrimination against Christians) mentionne dans ses rapports des faits concernant tous les pays, mais sans indication de leur fréquence. Un indice toutefois suggère que la France est plus touchée que la Grande-Bretagne, l’Irlande, la Belgique ou l’Italie. Les médias de ces différents pays parlent moins de profanations que les médias français. Ce n’est pas faute d’intérêt pour le sujet, car ils parlent des profanations commises en France. La série noire de février 2019 a été évoquée chez tous nos voisins, où la pratique religieuse recule, mais où les symboles du christianisme gardent leur sens.

On en est assez loin. A la suite de la profanation de 80 tombes du cimetière juif de Quatzenheim (Bas-Rhin), taguées de croix gammées le 18 février, le président de la République, le président de l’Assemblée et le président du Sénat ont fait des déclarations très fermes. Aucun ne s’était exprimé, deux semaines plus tôt, sur les attaques contre les églises. Ce qui peut aussi se comprendre :  juifs et chrétiens n’ont pas la même histoire en matière de persécutions, ni le même poids institutionnel en France (voir entretien avec Jean-François Colosimo).

Les chrétiens, aujourd’hui, semblent à peu près d’accord sur les causes des profanations. « Notre société est marquée par la violence et la fragmentation, analyse Mgr Rey. Les fractures de la vie de famille impactent la vie sociale. Les valeurs de rituel, de transcendance et d’intériorité sont démonétisées. Les lieux mémoriaux deviennent des cibles permettant de prendre une revanche sur sa propre histoire. » « Les profanations interviennent dans un contexte de rejet, voire de haine envers les religions, tenues pour responsable des malheurs du peuple », renchérit Jean-Frédéric Poisson, qui voit une cause supplémentaire au vandalisme ciblant les cimetières : « Notre société du bien-être tient la mort à distance et perd toute culture du deuil, ce qui est un bouleversement dont on ne mesure pas assez les conséquences. »

Il y a aussi consensus pour penser que, par rapport à la gravité des persécutions subies par les juifs dans le passé ou par les chrétiens aujourd’hui au Proche-Orient, la retenue s’impose face au vandalisme. Mais cette retenue est-elle toujours de mise ?

Le sujet explosif des agressions islamistes

La question divise le monde catholique. Les attaques sont en augmentation et leur gravité va croissante, l’islamisme radical ayant fait monter la tension de plusieurs crans. Égorgé dans son église de Saint-Étienne-du-Rouvray le 26 juillet 2016, le père Jacques Hamel était le premier prêtre tué en tant que tel en France depuis la Révolution. En rapports réguliers avec leurs homologues musulmans, les responsables du clergé français s’efforcent de prévenir un choc des religions, mais les extrémistes sont là. Chérif Chekatt l’a dit au chauffeur de taxi qu’il a brièvement pris en otage après avoir tué cinq personnes sur le marché de Noël de Strasbourg le 11 décembre 2018 : il voulait tuer des « infidèles ». Une semaine plus tard, la police italienne annonçait l’arrestation à Bari d’un Somalien qui préparait des attaques, au nom de l’islam, contre les églises en général et le Vatican en particulier. Il saluait dans un de ses messages le geste de Chérif Chekatt.

Dès 2016, l’Aide à l’Église en détresse évoquait la montée d’un « islamisme hyper-radical ». Prenant pour cible chrétiens, hindous, bouddhistes, juifs et musulmans modérés, il ruine l’illusion, assez répandue chez les catholiques, selon laquelle existerait une base spirituelle commune, unissant toutes les confessions, face à la montée de l’athéisme contemporain.

« J’ai travaillé au service qui compilait les atteintes aux lieux de culte. Il ne fait aucun doute que certaines d’entre eux, visant des lieux chrétiens, sont motivées par l’islamisme, souligne Claude Sirvent, aumônier de la Communauté chrétienne des policiers de France, devenu prêtre après une longue carrière l’ayant conduit jusqu’au grade de commandant de police. Le ministère de l’Intérieur ne les recense pas en tant que tel, mais « le phénomène existe, confirme un gradé de la gendarmerie, en poste en Alsace. Les conseils religieux sont très réticents à en parler. Les incidents remontent par un paroissien, qui en parle à un conseiller municipal, qui en parle à la gendarmerie. Ils se produisent dans des quartiers où la communauté musulmane pèse d’un certain poids. L’église devient l’intrus. Des jeunes entrent pendant la messe, crient Allah Ouakbar et s’en vont. Je comprends que l’Église dédramatise, mais il faut être lucide, les tensions communautaires se durcissent. »

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Pour partie, les catholiques vivent de plus en plus mal une série d’asymétries. Asymétrie dans le traitement médiatique des affaires : les profanations de mosquée ou de synagogue suscitent des condamnations plus vigoureuses. Asymétrie internationale : l’Église pratique la politique de la main tendue en France, alors que le simple fait de tenter de convertir un musulman peut valoir la prison en Algérie (sans parler de l’Arabie saoudite, où il n’y a aucune église). Asymétrie dans les provocations. Courageux, mais pas téméraire, l’artiste espagnol Abel Azcona accède à la notoriété internationale avec 242 hosties consacrées formant le mot « pederastia ». Scandale sans péril et sans gloire. Une performance équivalente ciblant l’islam l’aurait mis en danger de mort (les Femen, au moins, montent aussi au front contre l’islam : Salon musulman du Val-d’Oise en 2015, opération seins nus à la mosquée de Stockholm en 2013, etc.).

Parallèlement, les élus donnent le sentiment d’avoir la chrétienté honteuse. Mulhouse en 2014, mais aussi Bruges en 2018 et Bruxelles en 2012, débaptise son marché de Noël pour le rendre moins connoté, plus fédérateur. Sans aucun succès, du reste. La dénomination de « Plaisirs d’hiver » adoptée à Bruxelles n’est pas entrée dans le vocabulaire, sans parler de la curieuse appellation « Étoffeéries » de Mulhouse.

Que faire ? Quelle serait l’attitude conforme à l’essence du christianisme, tendre l’autre joue ou brandir le glaive ? Encaisser les attaques sans se plaindre ou organiser la défense des valeurs chrétiennes ?  Panacher les deux ? Le débat est loin d’être clos. Converti au catholicisme, l’écrivain Chesterton (1874-1936) aurait sans doute pronostiqué avec cet humour très britannique que l’Église allait faire le mauvais choix. « Il n’existe pas d’autre exemple d’institution intelligente continue qui réfléchit sur la nature humaine depuis deux mille ans comme l’Église. Son expérience couvre naturellement presque toutes les expériences possibles et particulièrement presque toutes les erreurs. »

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Contre l’islamisme, faites comme George Clooney: boycottez le Plaza Athénée!

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George Clooney lors d'un gala à Los Angeles, juin 2018. ©Chris Pizzello/AP/SIPA / AP22217073_000020

Vous rappelez-vous Outspan ? C’était au milieu des années 1970, et nous nous achetions une bonne conscience anti-apartheid en refusant de consommer des oranges sud-africaines.

Ce n’est pas ce qui a directement libéré Mandela, mais enfin…

Et puis il y a eu Nike, accusé à la fin des années 1990 d’utiliser à bon compte la sueur des enfants asiatiques. En pleine campagne de promotion des Air-Jordan. L’ex-star des Chicago Bulls avait bonne mine…

Et maintenant, le sultan de Brunei, Hassanal Bolkiah. Ce gentil garçon dont le frère, Jeffri, a été accusé en 1997 par Shannon Marketic, Miss USA 1992, de l’avoir — elle et quelques autres, dont Brandi Sherwood, Miss USA 1997 — séquestrée, droguée et violée, sous prétexte d’engagement pour travail promotionnel. Le sultan lui-même a nié les faits — et il s’est trouvé un juge américain pour déclarer la plainte irrecevable, puisque tous ces jolis cocos jouissaient de l’immunité diplomatique.

Le boycott, what else ?

George Clooney a battu sa coulpe. Oui, il a séjourné dans l’un ou l’autre des neuf palaces dont il suggère le boycott. Mais il ne savait pas : le sultan était juste un despote ordinaire, en place depuis 1968. Pas encore le fou de la charia qu’il est devenu, décidé, pour attirer chez lui des capitaux charialement purs, à lapider les homosexuels et les femmes adultères. Depuis le 3 avril, la loi est entrée en vigueur. Du moins, a précisé un communiqué du sultanat, pour les habitants de confession musulmane. Pour les autres, ce sera à débattre (comme plâtre, sans doute).

(Pour la lapidation des hommes adultères, on verra plus tard : insupportable disparité ! Je demande à être lapidé comme mes femmes. Il n’y a pas d’échappatoire à la parité !)

A lire aussi: BFM TV: gentils journalistes boycottent méchants gilets jaunes

Pour fonctionner, un boycott n’a pas à être total. Ou c’est alors un blocus : sans Waterloo-morne-plaine les Anglais auraient crevé de celui que leur imposait Napoléon, tout comme ils avaient très mal ressenti le Boston Tea Party de 1773. Il n’a pas besoin non plus d’être respecté à la lettre. Il suffit qu’il écorne assez les revenus de l’entreprise concernée pour que sa marge bénéficiaire s’effrite. Pour Outspan, ça n’a pas mal marché, les ventes de l’exportateur d’agrumes ont reculé de 25%. Nike, qui connaissait l’histoire, a rapidement fait pression sur les gouvernements des pays où l’entreprise s’était délocalisée. Toujours ça de pris : les petits Vietnamiens sont toujours aussi mal payés, mais ils sont moins battus.

Quant à Israël, dont on est censé refuser les produits (les dattes Jordan Valley, les oranges Jaffa, les avocats — les vrais, pas William Goldnadel — de chez Kedem et les produits épilatoires Epilady, en plein boom depuis que l’on traque le poil dans ses derniers retranchements), je n’ai pas entendu dire que les appels au boycott aient fait avancer d’un iota la cause palestinienne, ou découragé le cynisme effronté de Bibi. Un boycott trop large rate sa cible.

Changer de paroisse ?

« Chaque fois que nous prenons une chambre dans l’un de ces neuf hôtels, nous mettons de l’argent directement dans la poche d’hommes qui choisissent de lapider ou de fouetter à mort leurs concitoyens homosexuels ou accusés d’adultère. » L’appel de Clooney, relayé immédiatement par Elton John qui prêche pour sa paroisse, peut marcher : comptez sur Twitter-on-Hollywood pour signaler à la vindicte publique les salopards qui iront se goinfrer la cuisine de Ducasse avenue Montaigne, au Plaza, ou Rue de Rivoli, à l’hôtel Meurice, qui est aussi dans le portefeuille du jeteur de cailloux.

Je sens que les balcons du Plaza vont rapidement défleurir, et que les arcades du Meurice seront vite désertes.

Heureusement, il nous reste le Ritz.

Sinon, que fait-on pour empêcher les islamistes d’appliquer les consignes de leur livre incréé ? On les vire à Brunei ? Hmm… 5765 km2. Pour 1,6 milliards de musulmans, cela fait peu, d’autant que la manne pétrolière commence à se raréfier. Mais en ajoutant l’Arabie saoudite, où ils ne seraient pas privés de déserts, et le Qatar, fertile en footballeurs, on s’en tire un peu mieux.

J’exagère, bien sûr : une majorité (assez courte, en fait) de musulmans préfère le libéralisme occidental au règne de la charia. J’en connais même un certain nombre qui nés dans une culture musulmane, sont aujourd’hui incroyants et ont adhéré avec enthousiasme au pata negra, au filet mignon déglacé au porto et aux œufs frits cassés sur un figatelli d’origine.

C’est tout de même mieux que trente jours de jeûne diurne et d’orgie nocturne de Fanta.

Clooney vise bien

Clooney, qui est un garçon manifestement intelligent, a parfaitement ciblé son appel : la cause des femmes adultères, qui ne fait pas tressaillir un cil de chienne de garde, aurait été en soi un peu faiblarde. En y ajoutant les homosexuels, il est sûr de…

>>> Lisez la suite de l’article sur le blog de Jean-Paul Brighelli <<<

La Belgique, capitale de l’Eglise de Climatologie

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Une étudiante manifeste pour le "climat" à Bruxelles, janvier 2019. ©Francisco Seco/AP/SIPA / AP22294461_000007

Stockholm a Greta Thunberg et Paris Yannick Jadot mais c’est bien la Belgique et Bruxelles qui sont à la pointe du « climat ». L’écologie politique y a la main si verte qu’elle fleurit sur tout le champ politique, jusqu’à favoriser les greffes les plus improbables… 


Si une grosse mèche de l’écologie politique a été allumée en France sur le plateau du Larzac dans les années 1970, ce n’est pas dans l’Hexagone mais en Belgique que le feu écologiste a réellement fini par prendre. Aujourd’hui, c’est à partir de ce foyer qu’il se répand sur le continent et même au-delà à coups de marches hebdomadaires pour le climat avec Greta en guest star pour son World Tour.

Verts sur rouges

L’écologie politique, c’est cette utopie post-moderne qui prospère au sein de populations éminemment urbaines et déconnectées de la nature dont leur méconnaissance de celle-ci ouvre la voie à tous les fantasmes, toutes les vénérations, toutes les exagérations. Quand on ne connaît pas les odeurs de la ferme, quand on n’a jamais vu un oisillon mort se faire ronger par les vers, quand on confond le blé et l’épeautre, on peut imaginer que Mère Nature est plus douce que l’Etat-nounou qui protège de tout, que les vaccins sont plus dangereux que la maladie et que le lait, c’est très mauvais.

Ici, on met son cerveau au repos. On sort du champ de la rationalité pour s’en remettre à l’hystérie et à des principes pétris d’absolu et d’universel. Le dogme peut alors séparer les croyants des mécréants comme le bon grain de l’ivraie. Le camp du Bien semble avoir trouvé son arme fatale contre les méchants: le sauvetage de la planète. Rien de moins ! A Homo Festivus succède Homo Redemptionis. Mais la fête n’est pas pour autant finie. Au contraire, chaque jeudi, c’est une « Climate Pride » non genrée et déracisée qui anime la Belgique parce qu’en marge du climat, on décolonialise l’espace (un chiffon sur la tête de la statue équestre de Léopold II fera l’affaire) et on fluidifie les genres. Et tant pis si tout ça n’est pas très climatique, tant que ça reste festif et ancré à gauche.

Jaunes sur verts

Ce qui avait commencé il y a cinquante ans comme une grosse fête pseudo-paysanne où on faisait tourner les pétards (non, les bergers, les vrais, n’ont jamais eu trop le loisir de glander) est en train de prendre la forme d’un tsunami totalitariste porté par des figures juvéniles. En quelques mois, le temps qu’il fait est devenu l’alpha et l’oméga pour une Eglise de Climatologie qui entend réguler l’ensemble de nos faits et gestes. Ceux-ci seront jugés à l’aune de leur empreinte carbone. Les contrevenants seront taxés, jusqu’à ce que mort (de la classe moyenne) s’ensuive. Les entreprises devront faire pénitence jusqu’au dépôt de bilan.

Si la France développe de puissants anticorps face à ce nouveau culte, comme le montre le soulèvement des gilets jaunes, c’est en grande partie à sa composante « périphérique » identifiée par Christophe Guilluy qu’elle le doit. A contrario, si la Belgique est sa nouvelle Rome, c’est en partie lié à l’hyper urbanisation de son territoire. Dans ce non-pays, la périphérie s’est transformée en vase d’expansion pour des urbains qui abandonnent des villes souvent devenues trop chères et trop mondialisées pour eux, tout en emmenant avec eux leurs croyances et leurs pratiques. Somme toute, celui qui fuit la ville tend à se comporter comme un immigré lambda qui peine à s’intégrer. Quant aux campagnes, il n’en reste que quelques reliquats.

Verts sur verts

Dans un tel contexte, l’écologie a trouvé en Belgique un des terrains les plus fertiles pour prospérer. Si on ajoute à cela une Wallonie empreinte de luttes ouvrières et une Flandre encore fort catholique, on comprend mieux le succès de cette formule écologiste belge qui s’ancre dans le paysage politique en délivrant un discours de gauche sous forme de sermon.  Enfin, ne perdons pas de vue que l’un des papes du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIec), organe suprême du culte qui nous occupe, n’est autre que le très belge Jean-Pascal van Yperseel.

Peut-être pour gagner les voix de la diversité qui caractérise Bruxelles, les écologistes francophones ont élu Zakia Khattabi, une pasionaria de la bande de Gaza, à la co-présidence du parti Ecolo. Les chiffres des dernières élections locales témoignent de la pertinence de ce choix. Néanmoins, il n’est pas sûr que l’écologie ait vraiment gagné les cœurs au sein des communautés visées quand on apprend les menaces de décapitation dont un élu schaerbeekois du parti fait l’objet. A Schaerbeek, où les verts font partie de la majorité, où l’immigration est surreprésentée et où les défis en termes de mobilité sont énormes, on commence à voir les limites du grand « en même temps » sur lequel Ecolo a misé.

Au quotidien, le difficile partage de la voie publique entre patrons de bar à chicha au volant d’une Maserati Levante ou d’une Porsche Cayenne et bobos déambulant à trottinette ou à vélo ne laisse pas beaucoup de doutes sur l’issue du match qui se joue entre ces deux populations. A terme, les plus farouches opposants de l’écologie politique sortiront des rangs de la bourgeoisie belge arabo-musulmane qui n’entend pas se priver des signes extérieurs de richesses qu’elle veut pouvoir exhiber. Erdogan, vénéré chez les Belges d’origine turque, doit sa popularité à un savant équilibre entre islamisme et capitalisme. A Schaerbeek, les écolos n’ont pas vraiment pris conscience du phénomène, ni de l’ampleur du rejet qu’ils suscitent.

L’écologisme sera le genre européen

Néanmoins, comme la quasi totalité du spectre politique belge s’est laissée piéger par l’extrême consensualisme de la question climatique, le parti Ecolo n’a même plus vraiment besoin d’investir dans sa campagne électorale européenne puisque les autres formations politiques font le travail à sa place. Sauf black out, la victoire sera au rendez-vous pour les verts.

En l’espace de six mois à peine, l’enjeu majeur des élections qui se situait clairement dans le champ des migrations a été éclipsé par la question du climat ! Plus que le talent des communicants, il faut surtout constater un dramatique appauvrissement des facultés de raisonnement de la population en âge de voter.

Cette caractéristique semble pouvoir expliquer la progression sinusoïdale des écologistes où aux grandes victoires succèdent des trous d’air qui finissent toujours par être rattrapés.  Quand une population vote sous le coup de l’émotion, elle finit toujours par être douchée. Mais comme elle n’enclenche jamais de processus rationnel pour identifier les raisons de sa déception, elle finit, telle une femme battue, à vivre des désillusions toujours plus profondes.

Du jeudi faisons table rase

Or là, en 2019, c’est un véritable emballement auquel on assiste en Belgique. Face à une droite largement dénaturée, et royalement divisée pour ce qu’il subsistait encore de vaguement authentique en elle, face à un Parti socialiste démonétisé par ses scandales, les verts ont toutes les chances de sortir triomphants des urnes le 26 mai prochain. Ils pourraient même être de toutes les majorités dans le pays…

Toujours à la pointe de l’innovation, la Belgique aura peut-être le privilège d’être le premier royaume à tomber sous le joug de khmers verts. Ceux-ci, à renfort d’égalitarisme totalitaire et d’incantations pseudo-environnementalistes devraient pouvoir instaurer en un temps record le chaos énergétique, une intensification des flux migratoires et une crise du logement sans précédent. A la vague verte succédera une vague jaune et on manifestera le samedi après avoir testé les limites de la semaine de quatre jeudis…

La France périphérique : Comment on a sacrifié les classes populaires

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