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Aimez-vous Brahms ?


Il faut saluer encore et encore le travail exemplaire de la Fondation Singer-Polignac – entre gens bien élevés, on prononce « singé-polignac », et surtout pas « singère » ! – sis dans l’écrin tout à la fois opulent et discret de l’hôtel particulier néo XVIIIème de l’avenue Georges Mandel, héritage, comme l’on sait, de Winnaretta Singer, princesse de Polignac (1865-1943). Créée il y a presque vingt ans, la résidence musicale soutient la musique de chambre et orchestrale, accueillant en outre au quotidien les répétitions des artistes mais leur donnant, surtout, la chance de se produire sous les ors du somptueux Salon de musique, dans le cadre du Festival Singer Polignac dont la 6ème édition s’achève ce dimanche 8 juin. 

 « Juin ton soleil ardente lyre/ brûle mes doigts endoloris… », chantait Apollinaire. Ce jeudi 5 juin, une pluie battante attendait plutôt les invités triés sur le volet venant assister au concert vespéral ouvrant les festivités, à l’enseigne de Vivaldi. L’essentiel étant que ce concert, tout comme tous ceux de la manifestation, filmés dans un grand raffinement de régie par le réalisateur Guillaume Klein, sont non seulement diffusés en direct et en libre accès sur la plateforme singer-polignac.tv, mais également retransmis en ligne et promis à rester disponibles en replay  sur la plateforme de streaming de medici.tv, partenaire de la maison, jusqu’à la fin de l’année 2025.  

Sous les ondées et sous le signe du Caravage – Il Caravaggio, nom de la formation orchestrale dirigée par la cheffe claveciniste Camille Delaforge – , un programme Vivaldi, joué sur instruments d’époque, réunissait quelques joyaux inégalement célèbres du compositeur vénitien, dont certains morceaux écrits pour le castrat Farinelli, et que chantait ici la superbe mezzo française Eva Zaïcik. Le week-end de Pentecôte s’ouvrait vendredi soir dans le jardin ensoleillé de l’hôtel de Polignac où un verre était servi avant un double concert d’exception, consacré, cette fois, à Brahms. Avec en hors d’œuvre le trio n°2 pour piano, violon et violoncelle, précédé de la sublime sonate pour violon et piano n°3 et, en guise de digestif, dans un adorable arrangement pour trio, une courte pièce de Mendelssohn extraite des Romances sans parole originellement écrites pour piano (au clavier, Arhtur Hinnewinkel, 24 ans, en résidence à la Fondation, Emmanuel Colley au violon, Stéphanie Huang au violoncelle). Le plat de résistance était, sans conteste, en deuxième partie de soirée, le célèbre Quintette pour clarinette et cordes opus 115, mais dans l’arrangement pour alto de Brahms lui-même, interprété ici à la perfection par le Quatuor Agate, formation spécialisée dans le répertoire brahmsien, avec l’altiste virtuose Adrien La Marca, associé à la Fondation, lequel donnait à ce chef-d’œuvre absolu une vibration, une intensité confondantes. En conclusion de ce second concert de vendredi, la sonate n°1 pour alto et piano était l’occasion de découvrir le talent de Jérémie Moreau, pianiste âgé de 25 ans, au physique de jeune premier, qui a pratiqué la danse classique et, associé à ses frères et sœurs au sein du « trio Moreau », est actuellement en résidence à la Fondation. 

On ne laissera pas de vous recommander de suivre à distance la suite et fin du Festival Singer-Polignac, ouverte à d’autres champs de la composition « savante » : l’ensemble Les Illuminations, voyage au long cours à travers les siècles autour du violoncelle, puis un programme éclectique réunissant Mendelssohn, Rafael Catala et Schumann, par le Trio Zadig ce samedi. Dimanche, Gérard Grisey, Tristan Murail, Imsi Choi, Philippe Hurel, musique spectrale donnée par l’Ensemble Ecoute sous la direction de Fernando Palomeque ; et enfin Bakthi, musique mixte signée Jonathan Harvey, concert dirigé par Maxime Pascal à la tête de la formation Le Balcon, concert retransmis en direct sur medici.tv   

Fondation Singer-Polignac. 43 avenue Georges Mandel 75116 Paris. 

Sertraline: une seule molécule vous manque, et le monde est dépeuplé

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Pénurie de psychotropes : pourquoi un médicament très utilisé comme la sertraline est-il de plus en plus difficile à trouver en France, et pas ailleurs ? De nombreux malades mentaux se retrouvent ainsi abandonnés, alertent les psychiatres[1].


Depuis plusieurs mois, la France est confrontée à une pénurie préoccupante de sertraline, l’un des antidépresseurs les plus prescrits dans le pays. Des milliers de Français souffrant de dépression, d’anxiété ou de troubles obsessionnels compulsifs peinent à accéder à leur traitement habituel, contraints d’en interrompre la prise ou de le remplacer dans l’urgence, notamment par le Déroxat (paroxétine) et le célèbre Prozac.

Wanted : Zoloft ®

Mais cette crise ne se limite pas à l’Hexagone. Plusieurs pays dont les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada, l’Allemagne ou encore l’Australie, ont eux aussi connu ces dernières années des tensions ou des ruptures dans l’approvisionnement en sertraline. Ces pénuries récurrentes révèlent une vulnérabilité systémique. La fabrication de la molécule repose sur un nombre restreint de producteurs du principe actif, principalement installés en Chine et en Inde. Ainsi, un incident localisé dans un site de production peut entraîner une onde de choc à l’échelle mondiale.

Depuis son autorisation de mise sur le marché au début des années 1990, la sertraline s’est imposée comme l’un des traitements antidépresseurs les plus prescrits au monde. Appartenant à la classe des inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS), elle incarne une nouvelle ère de la psychiatrie pharmaceutique, marquée par son efficacité, une tolérance supérieure aux anciens antidépresseurs tricycliques, et une large palette d’indications thérapeutiques. Derrière son succès clinique se cachent cependant des contraintes industrielles, géopolitiques et économiques.

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La sertraline est découverte dans les années 1970 au sein des laboratoires Pfizer par Reinhard Sarges et Kenneth Koe, deux chercheurs engagés dans la course à l’« antidépresseur idéal », moins toxique et mieux toléré que les tricycliques ou les inhibiteurs de la monoamine oxydase (IMAO) comme le Laroxyl (amitriptyline), Anafranil (clomipramine), Moclamine (moclobémide).  Après des années de développement, elle est approuvée par la FDA (Food and Drug Administration) en 1991 sous le nom commercial Zoloft.

Ce succès s’explique par sa grande efficacité sur une large gamme de troubles mentaux (dépression, anxiété, TOC, trouble panique, TSPT, phobie sociale), mais aussi par sa bonne tolérance, sa faible toxicité en cas de surdosage et son profil métabolique relativement stable. Cette spécificité contribue à réduire les effets secondaires liés à l’agitation, aux troubles du sommeil ou à la prise de poids, souvent observés avec d’autres molécules.

La sertraline est également l’un des ISRS les plus utilisés en périnatalité, notamment chez les femmes enceintes, en raison d’un meilleur rapport bénéfices / risques documenté.

Brevet ayant pris fin en 2006

Cependant, synthétiser la sertraline n’est pas simple. Sa structure chimique complexe nécessite des procédés industriels avancés, notamment pour garantir l’obtention de la seule pharmacologiquement active. Plusieurs étapes critiques requièrent un savoir-faire chimique poussé et des équipements spécialisés.

Depuis la levée du brevet de Pfizer en 2006, la production de sertraline s’est fortement diversifiée. Plusieurs laboratoires génériques – Teva (Israël), Mylan/Vitaris (États-Unis), Aurobindo (Inde), ou encore Sandoz (Suisse) – fabriquent désormais cette molécule. Toutefois, en dépit de cette diversité apparente, la production industrielle reste concentrée dans quelques régions du monde : la Chine et l’Inde pour les matières premières et les principes actifs (API), l’Europe et les États-Unis pour la formulation et le conditionnement.

La sertraline est l’un des antidépresseurs les plus prescrits au monde. En France, elle se classe parmi les trois ISRS les plus utilisés avec la fluoxétine (Prozac) et l’escitalopram (Seroplex). Aux États-Unis, elle figure depuis plusieurs années dans le top 20 des médicaments les plus prescrits, toutes classes confondues.

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Selon les estimations, le marché mondial de la sertraline générait, avant expiration du brevet, environ 3 milliards de dollars par an pour Pfizer. Aujourd’hui, le chiffre d’affaires est réparti entre plusieurs producteurs de génériques, mais demeure important du fait de la consommation massive : on estime que des dizaines de millions de patients en prennent régulièrement dans le monde.

Comparée à la fluoxétine (Prozac), première star des ISRS, la sertraline est souvent préférée pour traiter les troubles anxieux, les TOC ou les TSPT. Elle induit moins d’activation psychomotrice, un effet parfois problématique avec le Prozac, notamment en début de traitement. En revanche, la fluoxétine possède une demi-vie beaucoup plus longue (environ une semaine), ce qui la rend utile pour les patients à risque de non-observance, mais plus délicate à gérer en cas de changement thérapeutique ou d’effets indésirables.

La pénurie de sertraline révèle bien plus qu’un simple défaut logistique. Molécule sûre, efficace, et irremplaçable pour des millions de patients, la sertraline est un paradoxe : essentielle sur le plan médical, mais de moins en moins viable économiquement dans certains marchés comme la France.

Pas assez cher, mon fils !

La faible rentabilité de la sertraline en France s’explique par un modèle économique du médicament fondé sur la régulation étatique des prix, la promotion des génériques et le contrôle strict des dépenses de santé. Depuis la fin du brevet de la molécule, le prix de la boîte a été drastiquement réduit, parfois à moins de deux euros, ce qui laisse aux laboratoires des marges extrêmement faibles une fois déduits les coûts de production, de conditionnement, de conformité réglementaire et de distribution. Dans ces conditions, une politique publique visant à garantir un large accès aux soins, place le marché français en bas de la hiérarchie des priorités commerciales des groupes pharmaceutiques, surtout en comparaison avec d’autres pays européens comme l’Allemagne ou l’Italie, où la même molécule peut être vendue deux à trois fois plus cher.

À cela s’ajoutent des mécanismes spécifiques au système français, tels que les remises obligatoires aux pouvoirs publics, les clauses de régulation du chiffre d’affaires, les contraintes administratives lourdes et l’absence de différenciation commerciale entre génériques concurrents. Ce dernier point est l’un des traits distinctifs du marché pharmaceutique français, et l’un de ses paradoxes les plus silencieux. En théorie comme en pratique, toutes les spécialités génériques d’une même molécule sont considérées comme équivalentes : elles ont le même principe actif, le même dosage, la même forme galénique, et bénéficient du même taux de remboursement. Cette logique d’interchangeabilité est renforcée par le droit du pharmacien à substituer librement une marque par une autre, sans que le patient ou le médecin n’en soit informé (sauf mention explicite). Mais ce système élimine aussi toute incitation à l’investissement différencié dans la qualité du service, la robustesse de la chaîne logistique ou la réactivité en cas de pénurie. Puisque aucun fabricant ne peut valoriser ses efforts ni par le prix, ni par la visibilité de la marque, ils sont tous enfermés dans une logique de réduction des coûts. Pensé pour contenir les dépenses publiques, ce modèle uniformise, sans garantir la sécurité et ainsi finit par fragiliser la disponibilité des médicaments essentiels. Dans ce contexte, les laboratoires sont souvent tentés de réduire leurs volumes, de retarder les relances de production ou même de quitter le marché, notamment lorsqu’une tension mondiale apparaît sur les principes actifs. Ainsi, la crise de la sertraline révèle aussi les limites d’un système de régulation qui, à force de viser l’efficience économique, finit par compromettre la disponibilité continue de traitements fondamentaux pour des millions de patients.


[1] https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/04/15/les-reponses-des-pouvoirs-publics-restent-insuffisantes-face-aux-penuries-de-medicaments-essentiels-en-psychiatrie_6596297_3232.html

De la politesse en politique

En politique, la politesse c’est comme le cirage sur des chaussures usées: ça ne change pas la démarche, mais ça évite les éclaboussures. Malheureusement, tout comme on préfère aujourd’hui les baskets à lacets défaits, mon bon Monsieur, elle se perd…


Un Nicolas Sarkozy qui, en visite en Allemagne, parle de « Monsieur Merkel » à sa présumée épouse et chancelière, alors que nul époux ne répond à ce nom ; un jeune chargé de mission qui, seul au milieu de ses collègues en rang d’oignons, se fend d’un impromptu baise-main à une Danielle Mitterrand peu accoutumée à la chose, et qui, faute de contrôler la dynamique des gestes, si l’on peut dire, se récolte une main dans le nez ; la présidente de l’Assemblée nationale qui, le 6 février dernier, victime d’un cerveau dont on ne saurait dire s’il est binaire ou primaire, commet un sacré ou, plutôt, très laïque lapsus, en évoquant, lors d’un colloque consacré au Proche-Orient, les « talibanais », voilà des exemples de fautes à cheval sur le savoir-vivre, la civilité et la politesse, toutes notions qui se recouvrent et dont l’étude et l’application, contrairement à ce que l’on pourrait supposer de prime abord, relèvent plus de la science exacte que de l’art.

Chose au monde de moins en moins partagée

C’est l’enseignement que nous retirons de ces deux précis de composition (au sens où l’on sait que l’on doit ‘‘se composer’’ une attitude, une manière d’être, de dire et de faire, selon les lieux, les pays, les circonstances et les gens à qui l’on a à faire).

« Il est poli d’être gai » prétendait Voltaire. Si la gaité ne doit pas nécessairement être considérée comme une composante intrinsèque de la politesse, pour le moins, au contraire, pouvons-nous estimer indispensable que l’homme politique, plus largement, l’homme du politique (l’éminence grise, le diplomate tout autant que le député d’une circonscription ingrate) soit pénétré de l’intérêt qui est le sien (et de ses ouailles) d’être, en tous ses agissements, empreint de componction et de ce vernis de politesse qui, à la longue, deviendra une seconde nature.

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Il se déduit de l’origine très peu rousseauiste du mot « politesse » que cette dernière n’est pas naturelle à l’homme « républicain », pétri de la vertu d’égalité et de transparence démocratique. En effet, étymologiquement parlant, nous enseigne le lexicologue Jean Pruvost, cette fameuse politesse, qui devient chose au monde de moins en moins partagée (parce que plus guère inculquée), « correspond au fait de passer au fouloir une étoffe usagée pour la remettre à neuf (…). D’où l’idée de falsification. » Cette politesse n’est donc nullement naturelle à l’homme. Elle répond à l’ « état de culture », s’apprend et s’entretient. A l’état brut, si l’on ose s’exprimer ainsi, elle est feinte, artificieuse ; tout l’art du bon homme poli consistera à donner une patine de « vieilli », de douceur et de naturel à ce qui ne l’est donc point. En son origine, la politesse est donc d’ordre artisanal et a ainsi partie liée avec le façonnage, le « fait main », les bonnes et mauvaises façons et manières, la contrefaçon. Sans surprise, on apprend que cette politesse s’épanouira au XIVème siècle, en Italie, en tant que synonyme de propreté physique pour s’élargir, toujours florentine et romaine, à celui du « raffinement d’une œuvre d’art ou littéraire ». En une juste extrapolation, pouvons-nous de la sorte estimer qu’encore de nos jours, un ouvrage comportant de nombreux mots imprimés en italiques traduit (sans, ainsi, directement l’exprimer) un propos d’une subtile politesse.

Visage poli

Ce n’est qu’au début du règne du Grand roi (que nous ne saurions, sauf à commettre l’impolitesse qui consisterait à sous-estimer la culture historique de nos lecteurs, désigner plus avant) que le terme prendra l’acception – dont on ne sait si elle est encore vraiment d’actualité – de qualité «nécessaire dans le commerce des honnêtes gens », une qualité, précise-t-on, qui les « empêche d’être choqués et de choquer les autres par de certaines façons de parler trop sèches et trop dures, qui échappent souvent sans y penser (…) ». Où l’on retrouve cette idée que l’homme poli par excellence est celui dont l’enveloppe est semblable à cette pierre au fond de la rivière, tellement polie par les ans et par les eaux que sur elle tout glisse et qu’ainsi vous ne serez pas susceptible d’être blessé

Il est vrai qu’il ne faudrait tout de même pas pousser trop loin la métaphore car, à force de montrer un visage poli, de faire montre de politesse, on risque de ressembler au savon qui vous glisse entre les doigts, qui vous échappe, on risque de se faire percevoir insaisissable, ce qui pourrait bien être une forme, et non des moindres… d’impolitesse.

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Science toute humaine tout autant qu’art, on pourrait dire de la politesse ce que Napoléon Ier disait de la guerre, qu’elle est un art tout d’exécution, – ce qui nous semble synonyme : d’adaptation. Pour trancher – manière de parler car, en la matière, à l’échelle des siècles, rien n’est arrêté ! –  de certains points litigieux, touchant par exemple aux vins, au baise-main, à l’emploi de certains termes plutôt que d’autres, on s’en remettra à la brochure d’Alix Baboin-Jaubert publiée, est-il écrit sur la première de couverture, par un « éditeur de qualité depuis 1852 ». Comme dirait l’autre, on n’est jamais aussi bien poli que par soi-même.

L’insoumis Louis Boyard refuse de serrer la main au député RN Philippe Ballard, lors du vote pour la présidence de l’Assemblée nationale, Paris, le 28 juin 2022, D.R.

Cela dit, on regrette de ne pouvoir ici s’étendre plus sur les dégâts contemporains de l’impolitesse, d’en dresser une sorte d’état des lieux (lieux communs compris !) illustrés de faits inédits tirés et recensés de l’actualité politique contemporaine ou lointaine, intérieure ou étrangère. On en aurait déduit que la politesse, pour être complète, ne doit pas seulement gouverner nos faits et gestes mais qu’elle doit animer jusqu’à nos pensées, et, mieux, notre impensé. C’est à cette condition, comme nous l’envisagions à l’orée de cet articulet, qu’en application de la fameuse exclamation de Buffon, Le style, c’est l’homme même ! , elle pourrait nous devenir naturelle.

En attendant (d’y parvenir), il est peut-être un moyen d’y suppléer, c’est d’initier, d’encourager et favoriser cette politesse du cœur que développe sur douze pages Jean Pruvost et contre laquelle la très humaine et très évangélique Alix Baboin-Jaubert ne saurait s’inscrire en faux. A cette provenance-là de la politesse, on acquiescera, car elle permet non seulement de ne pas faire de faux pas, mais, en outre, l’amour-propre même s’en satisfera puisque l’exercice de cette ‘qualité d’âme’ est en définitive une mise en application du mot de Marcel Proust, lequel soutenait que « le comble de l’intelligence, c’est la bonté. »

Jean Pruvost, La Politesse – Au fil des mots et de l’histoire, Tallandier, 317 p.

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En attendant Bégaudeau…

… lisez l’enquête de François Bousquet sur le racisme antiblanc


Non seulement il fait partie de cette caste rassemblant les êtres les plus étriqués et les plus sectaires de la prétendue élite intellectuelle de gauche – un mélange hétéroclite de sociologues sous-bourdieusiens, de philosophes sous-foucaldiens, d’universitaires wokes et d’écrivains égocentrés – mais François Bégaudeau en est même une sorte de synthèse. Il se revendique en effet tout à la fois de la sociologie politico-indigente de Geoffroy de Lagasnerie et de Didier Éribon, de la littérature sociologico-nombriliste d’Annie Ernaux et d’Édouard Louis, des réflexions politico-totalitaires de Sartre et d’Alain Badiou. Depuis le succès du film démagogique Entre les murs (Palme d’Or à Cannes en 2008 – logique !) tiré de son roman (Prix France Culture-Télérama en 2006 – normal !), M. Bégaudeau passe son temps dans les médias à palabrer sur la bourgeoisie, qu’il exècre, et le prolétariat, dont il a entendu parler. Car un regret mine depuis toujours ce fils d’enseignants : il n’est pas issu et n’a jamais fait partie de la classe ouvrière. Pire, avouait-il dans un livre intitulé Histoire de ta bêtise, il a acquis un bien tout ce qu’il y a de plus bourgeois, selon lui, un appartement dans le 11ème arrondissement de Paris. M. Bégaudeau tente d’effacer cette tache indélébile en battant sa coulpe et en donnant moult détails sur l’origine des sommes d’argent qui lui ont permis d’accéder à la propriété – un héritage, un emprunt, des droits d’auteur. Il tient à préciser que son statut privilégié ne l’empêche pas d’avoir des envies révolutionnaires : « Mon compte en banque et mon patrimoine dessinent un cadre bourgeois qui devraient m’assimiler à un cadre de pensée bourgeois. Ce n’est pas le cas. J’appartiens à une classe supérieure dont je persiste à envisager, sinon souhaiter, la destitution. Je suis propriétaire et je délégitime la propriété. Les jours de grande morgue, il ne faut pas me servir trop de pintes pour que je préconise son abolition ». On suppose que c’est après une virée bien arrosée entre amis qu’il a, selon son propre aveu, voté pour Besancenot en 2002. En 2007, dessoûlé, il votera pour Ségolène Royal. Sa connaissance des classes laborieuses étant essentiellement livresque et politique, il s’est fait du prolétaire, de l’ouvrier, une image assez particulière, à partir de laquelle il a aménagé et entretient son appartement : un « carton Franprix » lui sert de « table de nuit » ; il semble tout heureux d’avoir des « murs écaillés par un dégât des eaux » ; il évite de faire le ménage : « ici, la règle est le sale ». Aveu inconscient d’un gauchiste imprégné d’une iconographie surannée et imaginant l’ouvrier vivant dans la crasse tandis que le bourgeois se vautre dans une propreté tapageuse, fruit de l’exploitation du prolétariat. Le mépris et la condescendance à l’endroit des Français les plus modestes peuvent prendre différents visages. François Hollande se moquait des « sans-dents », Benjamin Griveaux brocardait les « gars qui fument des clopes et roulent au diesel », Agnès Pannier-Runacher se passe de l’avis des « moins riches » à propos des ZFE parce que, selon elle, « ils n’ont pas de voiture » – François Bégaudeau, lui, est persuadé que les prolétaires sont sales et, pour montrer sa solidarité, n’époussette pas ses meubles en carton.

Le wokisme n’existe pas, les prolos en rajoutent sur l’insécurité…

M. Bégaudeau assure qu’il est un « intellectuel anarchiste » proche du peuple et non un « bourgeois ». La preuve : « Je ne remplacerai pas les quatre lattes défoncées de mon parquet, mais je me sentirais personnellement blessé par un texte qui défonce Deleuze. » Les pages d’Histoire de ta bêtise, fastidieuses, rébarbatives, adoptent un style tantôt trivial et supposément populaire, tantôt lourdement didactique et censément politico-révolutionnaire. Il s’y glisse quelques séances de molle auto-flagellation immédiatement recouvertes par des justifications ridicules censées dédouaner le bourgeois qu’il est devenu mais qu’il abhorre presque autant que cette gauche embourgeoisée, social-démocrate, socialiste ou convertie au macronisme, qu’il qualifie de « bête » et à laquelle il réserve ses diatribes les plus mordantes. En parlant de bêtise…

À propos du wokisme, M. Bégaudeau affirme, dans l’émission Les Incorrectibles animée par le journaliste Éric Morillot, que « c’est un truc assez improbable à définir » mais que « c’est un mot qui – attention ! tenez-vous les côtes, ça va secouer ! – a très bien circulé parce que c’est un cadeau à la droite. C’est la meilleure façon qu’a trouvé la droite de ne surtout pas discuter ou avoir à répondre avec ce qui est son vrai ennemi et ce qu’elle a toujours identifié comme le camp véritablement dangereux pour elle, à savoir le camp communiste, au sens le plus littoral du terme, celui qui veut exproprier ceux qui possèdent. C’est ça que les bourgeois craignent depuis toujours. Comme ils n’ont rien à dire à l’hypothèse communiste – parce qu’ils sont pris la main dans le sac par le communisme, quand même – alors ils préfèrent détourner un peu l’attention et ils vont un peu recolorer la gauche à leur manière, ils vont un peu la ridiculiser, ils vont aller chercher des éléments ridicules dans ce qui se présente comme étant de gauche, et ils vont appeler ça le wokisme[1]. » Bravo à Éric Morillot qui a pu écouter cette marmelade sans éclater de rire. Et merci à lui de nous avoir offert la preuve ultime que M. Bégaudeau est bien ce qu’il paraît être et que la décence m’interdit d’écrire ici.

Récemment, sur la chaîne YouTube Crépuscule[2], entre de courtes considérations philosophiques et littéraires d’une pauvreté analytique consternante, M. Bégaudeau a livré cette fois le fond de sa pensée sur les Français qui subissent les effets délétères de la submersion migratoire et qui ne veulent plus se taire. Pour lui, la crainte de l’insécurité liée à l’immigration ne peut être qu’un « stress », une « fébrilité » sans réel fondement ; les prolos et les ploucs ont tendance à en rajouter, surtout s’ils écoutent certains médias : « Il n’y a qu’à écouter les gens quand on s’attarde dans un PMU, dans un rade, ça va très vite. Et puis moi, j’en ai dans ma famille donc je vois à peu près à quoi ça ressemble. » Ce ça, proféré avec une moue de dégoût, révèle le principal sentiment qui anime le bourgeois gauchiste : la haine des « petits Blancs ». D’après lui, les seuls qui parlent sérieusement de l’immigration, « ce sont les gens de gauche. Les gens de droite ne parlent pas de la question de l’immigration. Ils parlent d’une seule chose qui est : dans quelle mesure est-ce que les Noirs et les Arabes vont me compliquer ma vie à moi, petit Blanc de France. » Adepte des thèses décolonialistes d’Houria Bouteldja, M. Bégaudeau reprend à son compte l’idée d’un racisme systémique dans la société française et considère que la peur de l’immigration n’est qu’une « petite panique pseudo-identitaire et raciste de petits Blancs paniqués ». Ces derniers, dit-il, n’ont aucune raison de s’alarmer : « Vous qui vous inquiétez de savoir si vraiment la submersion migratoire va liquéfier la culture française, liquéfier nos vies, violer nos femmes, multiplier la délinquance… calmez-vous un peu ! » 

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Voici venu le moment de donner un conseil de lecture à M. Bégaudeau. Le racisme antiblanc, de François Bousquet, est sorti en avril 2025 et jouit d’un succès mérité – Gilles-William Goldnadel, qui connaît ce sujet à fond et a été un des premiers à le traiter sérieusement[3], en a fait l’éloge dans ces colonnes.

Dans le chapitre intitulé Théorie du grand Blanc et construction sociale du petit Blanc, François Bousquet explique, et cela devrait fortement intéresser M. Bégaudeau, qu’il y a effectivement deux types de Blancs, que tout oppose : le grand Blanc et le petit Blanc. Il rappelle que « petit blanc » est une expression méprisante née dans les colonies et désignant un individu blanc « au bas de l’échelle du pouvoir, coincé entre les indigènes qu’il encadrait et les élites coloniales qui le toisaient ». Les colonies ayant disparu, l’ancienne élite coloniale « s’est muée en élite universitaire dont le grand Blanc est l’aboutissement. Son mépris pour le petit Blanc est intact et son ascendant culturel sur lui absolu. » Bégaudeau fait naturellement partie des grands Blancs qui considèrent que le petit Blanc est un « concentré de ringardise franchouillarde » ; comme ses congénères, il analyse « les préjugés d’appartenance tribale du petit Blanc avec la morgue d’un ethnologue colonial devant une peuplade attardée ». Le grand Blanc, écrit François Bousquet, est une « belle âme » qui s’émeut du sort des « racisés » – dont en réalité il n’a rien à faire – pour se donner une bonne conscience dont il attend « des gratifications symboliques et des rentes statutaires ». Les grands Blancs se retrouvent entre eux, dans les médias, dans les universités, dans les salons littéraires, dans les clubs politiques, et s’octroient mutuellement des billets d’honneur moraux tout en méprisantles petits Blancs qu’ils sermonnent. 

Le racisme antiblanc, pas son affaire

Du haut de leur position sociale avantageuse, tout en faisant semblant de se préoccuper encore un peu de son sort, les grands Blancs accusent le petit Blanc de toutes les tares réactionnaires et racistes, surtout depuis qu’il ne vote plus à gauche. Ils haïssent cet être leucoderme, trop français, trop conservateur, trop provincial, trop attaché à ce qu’ils considèrent être les restes d’une société arriérée : des racines chrétiennes, une identité régionale, une histoire nationale, une langue, une culture – ils lui préfèrent maintenant un être qu’ils parent de toutes les vertus et qui leur permet de montrer leur supériorité morale sur le petit Blanc et de briller dans les milieux progressistes : le migrant. Mais pas n’importe lequel. Le migrant « racisé » et musulman a leur préférence. Les vertus dont ils le parent sont paradoxalement celles qu’ils refusent au petit Blanc : la fierté identitaire, la solidarité communautaire, des principes familiaux et religieux solides, une culture ancestrale. Bien entendu, rappelle François Bousquet, ces grands Blancs politiques, médiatiques ou universitaires ne vivent pas, à l’inverse des petits Blancs, avec ces nouveaux venus dont les plus jeunes et les plus violents ont compris une chose : le petit Blanc, cette « face de craie », ce « gwer », ce « babtou », est une proie facile. On peut l’insulter, le voler, le frapper, le violer, sans craindre grand-chose – les grands Blancs de gauche veillent : la culpabilité ne se partage pas et incombe entièrement aux petits Blancs accusés d’être racistes et islamophobes, incapables de concevoir ce fameux vivre-ensemble que les grands Blancs promeuvent tout en restant à distance des lieux, de plus en plus nombreux, où il apparait que cette expression est en réalité un oxymore. M. Bégaudeau, comme tous les grands Blancs de gauche, nie l’existence du racisme anti-blanc qui se répand à l’école, dans les salles de sport, sur les terrains de foot, dans les quartiers où la population d’origine immigrée devient trop importante pour endiguer les phénomènes d’islamisation et de délinquance qui accompagnent ceux du racisme anti-blanc et anti-français. M. Bégaudeau se fiche de tout cela. Marxiste, il ne fait pas de différence, dit-il, entre les « prolétaires migrants » et les « prolétaires pas migrants ». Jamais, ajoute-t-il, il ne reconnaîtra que les petits Blancs sont les principales victimes de l’immigration, jamais il n’incriminera des immigrés : « Je ne veux pas m’attirer la sympathie du prolétaire blanc à ce prix-là. » Tout est dit. La réalité quotidienne  des Français et les dizaines de terrifiants témoignages recueillis par François Bousquet ne le feront pas changer d’avis. Les violences, les insultes, les rackets, les vols, les viols, les agressions au couteau et à la machette dans les nombreux territoires perdus de la République ? Bégaudeau n’en a rien à faire – ça ne colle pas avec son idéologie. Quant aux femmes musulmanes tyrannisées par des hommes appliquant strictement la charia, qu’elles ne comptent pas non plus sur M. Bégaudeau pour les défendre. Sur le média en ligne QG[4], M. Bégaudeau, tout à son envie d’accabler la France plutôt que certaines mœurs rétrogrades importées, justifie ainsi cet état de fait : « L’oppression qui est imposée aux femmes dans certaines configurations musulmanes ou certaines de ces acceptions peut être un contrecoup d’une pression coloniale ou d’une domination que subissent ces populations-là en France ou en Occident ». D’ailleurs, ajoute-t-il pour expliquer les excès des mâles musulmans, « le sur-virilisme dans certains quartiers populaires à forte densité migratoire et où on trouve beaucoup de racisés, donc beaucoup de musulmans, vient de la fragilisation de ces hommes par le pouvoir policier qui les harcèle depuis un certain nombre de décennies. »

Décidément, cet intellectuel de gauche ose tout – c’est même à ça qu’on le reconnaît… Comme disait Orwell, « il faut être un intellectuel pour croire une chose pareille : quelqu’un d’ordinaire ne pourrait jamais atteindre une telle jobardise. »

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[1] https://www.youtube.com/watch?v=eelrJ0CmcSg

[2] https://www.youtube.com/watch?v=0–oXQWEmN4

[3] Gilles-William Goldnadel, Réflexions sur la question blanche : du racisme blanc au racisme anti-blanc, 2011, Éditions Jean-Claude Gawsewitch.

[4] https://x.com/LibreQg/status/1912838458910953597

Faure, comme la mort ?

Quelle grande victoire ! À 4h35 du matin, malgré les critiques nourries sur sa soumission humiliante à Jean-Luc Mélenchon, Olivier Faure a finalement annoncé sa réélection à la tête du Parti socialiste. Il s’impose avec seulement 50,9% contre Nicolas Mayer-Rossignol.


Ainsi, Olivier Faure, Premier secrétaire sortant du Parti socialiste, vient d’être réélu à ce poste à l’issue d’un vote des plus serrés. 50,9 % des voix contre 49,1% pour son adversaire, le maire de Rouen, Nicolas Mayer-Rossignol. Cela s’est donc fait dans un mouchoir de poche au sein d’un parti lui-même réduit à peau de chagrin. 39815 militants recensés et 24000 votants lors de cette consultation. Le pire du pire depuis le congrès d’Épinay, en 1971, lorsque François Mitterrand – qui n’était alors même pas adhérent encarté – est allé récupérer le parti dans le caniveau. Or, il semblerait que la situation ne se soit pas améliorée ces derniers temps sous la férule de son Premier secrétaire. Aussi, une question se pose. Est-ce son sauveur qui vient d’être reconduit à sa tête ? Ou est-ce son fossoyeur ? Certains, caustiques, se plairaient à ricaner que ce natif de la Tronche à bel et bien celle de l’emploi.

Une girouette

« De moins en moins de militants, constatait pour sa part le principal concurrent chez nos confrères de Franc-Tireur, peu de monde dans les assemblées générales, des médias indifférents à nos débats, un Premier secrétaire qui les refuse. » Et face à cet état des lieux consternant, Mayer-Rossignol s’empressait d’ajouter : « Je défends l’union sincère de la gauche, la vraie, celle qui ne ment pas et qui agit. »

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Autant dire que nous avons là l’essentiel du procès instruit contre le sortant reconduit. Procès en insincérité, d’abord. Il est vrai qu’on a du mal à s’y retrouver dans le girouettisme de convictions et de ligne stratégique suivi par Faure. On dirait du Mitterrand, mais sans l’inspiration florentine ni le talent du charmeur de serpent. Procès en inaction, ensuite, puisque l’opposant déclare espérer un parti qui agisse pour de bon. Procès en intégrité intellectuelle enfin, le même exprimant une espérance de vérité. C’est beaucoup et la mule Faure se retrouve de ce fait bien chargée.

Cela dit, la vérité selon M. Faure, elle viendra en son temps. Prévisible autant que cruelle. Il a beau déclarer aujourd’hui, juste pour se voir réélire, que « Mélenchon serait en 2027 le plus mauvais candidat pour la gauche », le moment venu il se fera une douce violence de retourner se prosterner à ses pieds et faire allégeance. Il en donne d’ailleurs dès à présent tous les signes. Quand LFI et son Pontife emploient dès les premiers jours le terme « génocide » pour qualifier la situation à Gaza, monsieur le Premier Secrétaire leur emboîte la pas. Quand les mêmes ont le front et la profonde bêtise d’accuser Bruno Retailleau d’instaurer en France « un racisme d’atmosphère », il fait immédiatement sienne cette accusation totalement irresponsable. La raison de ces soumissions à répétition est des plus simples. M. Faure n’a pas plus d’idées que n’en a encore son parti. Autrement dit, rien, nada, nibe, quedale, le vide. Et avec la réélection misérable et sans gloire de son Premier secrétaire, ce déjà fantomatique Parti socialiste vient sans doute de planter lui-même le dernier clou de son cercueil.

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Iago aux petits pieds

Mais là n’est pas l’affaire de M. Faure. Sa grande affaire à lui, c’est la gamelle, l’écharpe parlementaire. Lorsque, lui et son parti seront renvoyés dans leur but à l’issue des présidentielles, dont l’issue ne devrait guère être moins calamiteuse que la dernière fois, se la jouant perso, comme toujours, il ira une fois de plus lécher le gros orteil de M. Mélenchon afin de conserver sa rente de députaillerie de la 11ème circonscription de Seine-et-Marne. Un revirement de plus, une autre trahison de ce Iago aux petits pieds. Le dernier coup de marteau sur le clou sus-évoqué. Et le requiem du pauvre pour la seconde mort des Jaurès, des Blum. Et même d’un certain Mitterrand qui a dû bien rigoler en assistant à la mascarade des nains de jardins à la manœuvre, les Vallaud et consorts, si pathétiques dans le jeu pourtant fort prisé en son parti du « donne-moi la rhubarbe, je te passerai le séné ». On peut penser aussi qu’il aura moins rigolé en constatant que de l’écurie à politiques d’indéniable envergure qu’il avait si bien réussi à faire de son parti, il ne reste plus que la mangeoire. À peu près vide, de surcroît.

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La croisière s’amuse

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À bord du voilier Madleen parti de Sicile dimanche, l’eurodéputée de La France insoumise Rima Hassan et l’activiste écologiste Greta Thunberg sont en route vers Gaza. Bien que leur initiative suscite des réactions contrastées, elles affirment mener une opération humanitaire… Tout le monde les trouve cependant un peu ridicules, et certains observateurs leur reprochent d’instrumentaliser politiquement le drame du conflit israélo-palestinien. L’armée israélienne, habituée à ces « flottilles de la liberté », a déclaré: «Nous avons acquis de l’expérience ces dernières années et nous agirons en conséquence.»


Que font les influenceuses quand elles sont positionnées sur un secteur en perte de vitesse, ou que leur image s’abîme ? Elles changent. L’investissement dans la vertu étant ce qui rapporte le plus de bons points médiatiques et la vertu se portant aujourd’hui en keffieh, Greta Thunberg (ex auto-entrepreneuse dans l’écologie accusatrice), Rima Hassan (égérie mariale du palestinisme), Thiago Avila (amoureux de l’idéologie de l’ex-leader du Hezbollah Hassan Nasrallah au point d’assister, défait, à ses obsèques) et quelques autres exaltés (Blast, Al-Jazeera…) sont partis en voilier « ouvrir un couloir humanitaire maritime vers Gaza ».

Spring Break

Bon, passons sur le fait que tout leur chargement représente un pourcentage dérisoire de ce que l’armée israélienne et américaine distribuent à Gaza, l’intention n’en reste pas moins louable. Le problème, c’est la réalisation.

Censée partir briser un « blocus » ayant causé un « génocide », les premières images de cette mission de la dernière chance ont causé quelque peu d’étonnement : larges sourires, poses minaudantes, baignades improvisées et petits dîners entre amis, nos vaillants héros voguant pour affronter d’affreux « génocidaires » ressemblaient à des étudiants américains en pleine décompensation du Spring Break. Plus jeunesse dorée sur un voilier que missionnaires habités par le devoir. Mais sans doute était-ce pour rendre plus attractif l’engagement politique ?

À ne pas manquer, notre nouveau numéro en vente: Causeur #135: A-t-on le droit de défendre Israël?

Justement, en parlant d’engagement politique, Rima Hassan n’a pas été avare sur l’étalage de son courage. Pensez-vous, elle va affronter à elle toute seule l’armée israélienne. Elle se tient donc « prête à mourir », menton levé, mâchoire serrée, regard ferme. Une icône. Mais ça c’était avant de croiser des drones, de tourner une vidéo en mode panique à bord, on va tous mourir, tweetant « nous nous préparons à une possible attaque, nous avons besoin de vous », pour reconnaitre finalement qu’ils avaient été observés par des drones de surveillance grecs après être entrés dans leurs eaux territoriales. Décidément, Mykonos c’est moins sympa qu’avant.

C’est peut-être un détail pour vous

Continuons donc avec « la croisière s’amuse ». C’est le problème classique, quand tu as une super idée, avec tes potes activistes bourrés à cinq heures du matin : « Eh, vas-y, si on allait en bateau sauver la Palestine ? », parfois si ça foire dans la réalisation, c’est que déjà au moment de la conception le cahier des charges était mal défini. Or le hic, avec les activistes palestiniens en Occident, c’est qu’ils font de la géographie et de la planification comme ils font de l’histoire : selon leurs fantasmes et non selon les faits. Donc en général, quand on veut ouvrir un couloir humanitaire maritime pour Gaza, il est bon d’avoir un port de départ. Encore mieux d’avoir aussi un port d’arrivée. Or, il n’y a pas de port à Gaza… Mais, ce doit être un détail. Sauf si tout cela n’est qu’une gigantesque opération à la fois de provocation et de communication. Est-ce-que cela va aider un seul Palestinien ? Poser la question c’est y répondre.

Enfin, cerise sur le strüdel, aux dernières nouvelles, l’élégant voilier de la « flottille de la liberté » aurait une histoire aussi trouble que la nature de son voyage actuel : son port d’attache est situé en Iran et les conditions de son affrètement interrogent. Pendant ce temps la croisière continue de s’amuser, espérons que cela ne finira pas à nos dépens.

Podcast: A-t-on de droit de défendre Israël? Frères musulmans, mission invisible

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Avec Martin Pimentel, Jean-Baptiste Roques et Jeremy Stubbs.


Notre numéro du mois de juin présente un grand dossier sous le titre, « A-t-on le droit de défendre Israël? » avec les contributions de Georges Bensoussan, Noémie Halioua, Vincent Hervouët, Gil Mihaely, Denis Olivennes et Philippe Val. Dans l’état actuel du débat, il est difficile de faire entendre des voix autres que celles qui dénoncent d’emblée l’État juif. Ceux qui critiquent Israël ne font pas de distinction entre les choix politiques de Benyamin Netanyahou, l’opinion publique israélienne et les Juifs en général. Comme l’a dit Elisabeth Lévy, « Israël est devenu l’autre nom du mal ».

Le dimanche 1er juin, dans la ville américaine de Boulder, au Colorado, un petit groupe de manifestants qui cherchaient à attirer l’attention générale sur le sort des otages israéliens à Gaza a subi une agression au lance-flammes et au cocktail Molotov par un Égyptien qui voulait « tuer tous les sionistes ». Le matraquage médiatique contre Israël finit inévitablement par attiser haines et désirs de vengeance.

Frères musulmans, mission invisible: notre nouveau numéro comprend un mini-dossier qui fait suite à la publication du rapport Gouyette-Courtade sur l’entrisme des Frères en France. Chercheurs universitaires et élus locaux subissent la pression des lobbys islamo-gauchistes sur le terrain. L’exemple du Royaume Uni, dont des gouvernements successifs ont tenté de combattre l’influence de l’islamisme non-violent, montre que nos institutions étatiques, hiérarchisées et centralisées, ont du mal à lutter efficacement contre des réseaux décentralisés et agiles, unis plus par une convergence idéologique que par une alliance formelle.

Laissez-nous travailler, qu’ils disent…

La magistrature fait trop dans le social, peste notre chroniqueur


Les réactions du Premier ministre et du garde des Sceaux sur les peines légères, pour ne pas dire ridicules, prononcées à la suite des violences, vols, incendies et dégradations perpétrés depuis le 31 mai au soir sont tout à fait compréhensibles.

Barbares

En réponse, avec une totale déconnexion par rapport à cette dénonciation politique et au sentiment populaire dominant, la procureure de Paris et le procureur général près la Cour de cassation ont d’une certaine manière cherché à théoriser cette mansuétude judiciaire en développant une argumentation provocatrice dans le contexte de ces événements commis en effet par des « barbares ».

En ce qui concerne Rémy Heitz, personnalité estimable mais limitée par une conception de l’obligation de réserve substituant à l’audace nécessaire une prudente tiédeur, on peut regretter cet appel à la « sérénité », ce conseil de « laisser les magistrats travailler » et cette réflexion maladroite sur l’écart entre les images des exactions, sans la moindre équivoque pourtant, et leur représentation judiciaire. Même si, sur ce plan, il était évident qu’on ne pouvait juger les infractions accomplies sans tenir compte de la personnalité de leurs auteurs.

L’alternative était claire pour les magistrats en charge de ces affaires traitées en comparution immédiate. On appliquait des peines avec sursis et des amendes, sans même ces colifichets genre stages de citoyenneté, à des prévenus pour beaucoup jamais condamnés auparavant et se défendant avec la même tonalité fuyante et irresponsable. Ou alors on considérait – ce qui aurait été mon point de vue – qu’ils avaient participé, chacun à leur niveau, à une explosion collective de vols, violences et saccages et on les sanctionnait en conséquence au-delà même des réquisitions du parquet.

Toujours au sujet de ce deuxième magistrat de France, quel regret, hier, qu’il n’ait pas osé interjeter appel de la relaxe de l’ancien garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti devant la Cour de justice de la République. Et que François Molins et lui-même se soient laissé traîner dans la boue ces dernières semaines sans réagir dans le spectacle du même. Seul Patrice Amar également ciblé, assisté par Me François Saint-Pierre, n’ayant pas tendu l’autre joue !

A lire aussi, Ivan Rioufol: La perte de contrôle de l’État sonne la fin d’un monde

Les polémiques de ces derniers jours, qui ont trouvé un écho médiatique fort sur le plateau de Pascal Praud (CNews), m’ont fait réfléchir sur une donnée qu’on oublie trop souvent – moi le premier – pour expliquer les discordances judiciaires entre la sévérité qu’on attendrait et la faiblesse de certains jugements.

Malgré la catastrophe qu’a représentée le Mur des cons et ses effets collectifs délétères sur l’image de la magistrature, malgré le détournement constant d’un syndicalisme purement professionnel opéré par le Syndicat de la magistrature, en dépit d’une impression ressentie et exprimée par beaucoup, je ne suis pas sûr que la politisation tellement invoquée des juges (malgré quelques exemples qui ont frappé l’opinion) soit la cause principale d’aberrations pénales qu’on peut résumer par le terme de laxisme.

Toujours la faute à la société

Sans doute, malgré la fierté dont je ne cesse de rappeler l’obligation à l’égard de ce magnifique métier de magistrat – « raccommodant les destinées humaines » -, ai-je trop négligé un phénomène qui relève d’une sorte de perception d’un déclassement social, similaire d’ailleurs à celle d’un grand nombre d’avocats, qui ne permet plus aux juges de se poser en surplomb, en arbitres impartiaux, au-dessus de la mêlée sociale, des inégalités et des injustices de notre pays. Mais au contraire de s’y trouver impliqués, de sorte qu’ils comprennent trop bien des argumentations vicieuses tenant à la prétendue culpabilité de la société. Tout cela ayant pour conséquence une miséricorde judiciaire au bénéfice d’individus exonérés de tout.

S’il n’y avait pas cette intégration, à la pratique pénale, d’une solidarité à l’égard de tous ceux plaidant peu ou prou la responsabilité sociale, ajoutée à la conscience qu’ont beaucoup de magistrats de leur chute dans la considération publique, je suis persuadé qu’on n’affronterait pas régulièrement ces chocs résultant de décisions choquantes, désaccordées d’avec une intelligente rigueur souhaitée par une majorité de nos concitoyens.

Je vois dans ces dérives une sorte de lutte des classes au sens banal. Elle rend une part de la magistrature, de bas en haut et bien au-delà du syndicalisme partisan, trop sensible à des propos, à des discours et à des apologies évacuant la responsabilité individuelle au bénéfice d’un confusionnisme social. Alors que le judiciaire est du singulier, on le noie dans un pluriel qui aboutit, par exemple, à certains des jugements erratiques de la période suivant le 31 mai. Notamment je songe à un éducateur spécialisé impliqué dans ces transgressions et qui probablement retrouvera cette fonction pour laquelle à l’évidence il était si peu fait !

Au lieu d’opposer à ces dénaturations de la justice pénale une fermeté et un courage qui seraient validés sans le moindre doute, la haute hiérarchie judiciaire préfère se couler dans le lit d’un vague et mou soutien à l’élargissement du hiatus entre le citoyen et le magistrat. Il y a quelque chose de suicidaire dans cette entreprise qui fait perdre sur tous les tableaux : l’honneur de soi, la confiance du peuple.

Les Frères sous le tapis

Présenté au président de la République, le rapport Gouyette-Courtade fait le point sur l’activisme des Frères musulmans en France. Il décrit des réseaux solides, des stratégies masquées et des menaces réelles. Bien entendu, les médias et la gauche dénoncent l’islamophobie, la stigmatisation et l’amalgame. Pour eux, le problème n’est pas l’islam séparatiste mais la droite Retailleau.


On connaît le scénario. De nouvelles informations sur la contagion islamiste en France apparaissent dans le débat public. Tous ceux qui, depuis des années, sonnent l’alarme sont soulagés : cette fois, personne ne pourra plus nier. Et puis non, caramba, encore raté, on peut toujours. Après un temps variable de sidération, le camp du Bien repart au combat contre le réel. Avec la même rengaine accusatoire : islamophobie, stigmatiation, fantasme, amalgame et maintenant, instrumentalisation, autant de signifiants dont la ronde affoléevise à faire oublier le référent dans la pièce.

Experts en effacement

La parution du rapport Gouyette-Courtade sur les agissements des Frères musulmans en France (qualifiés par les auteurs de « menace pernicieuse et progressive » pour la cohésion nationale) n’a pas dérogé aux habitudes. À peine est-il dévoilé que, du Monde à France Inter, de LFI à Lyon 2, on brode sur les mêmes éléments de langage pour interdire la seule question qui devrait valoir : est-ce que tout cela est vrai ? Quelle est l’ampleur de la menace ? On convoque les experts en effacement, les spécialistes en euphémisation et les savants en excuses sociologisantes. « Il n’y a pas d’agenda caché pour instaurer un califat en Europe », tranche le chercheur Franck Frégosi, sur qui se sont précipités France Inter, France Info, Libération, Mediapart et La Vie.

Car voyez-vous, le problème de notre pays, ce n’est pas l’islam séparatiste qui séduit tant de jeunes Français, c’est Bruno Retailleau. Le Monde redoute une « surenchère politique », qui permettrait au ministre de l’Intérieur de mettre en « majesté sa riposte » et de « conforter les réflexes conditionnés de la droite qui tend à présenter chaque personne issue de l’immigration comme un islamiste en puissance ». Tout ce qu’ont trouvé les propagandistes du vivre-ensemble, c’est que le nouveau président de LR s’en prend à tous les musulmans parce qu’il veut faire président tout court. Sauf que c’est le contraire : si Retailleau apparaît comme un candidat très sérieux, c’est parce que beaucoup de Français attendent avec inquiétude que le pouvoir s’attaque frontalement à un phénomène qui met en jeu l’avenir du pays.

Colère calculée

Même Emmanuel Macron est soupçonné de couvrir un complot islamophobe au motif qu’il a inscrit le rapport à l’ordre du jour du dernier Conseil de défense et de sécurité nationale (CDSN), comité très sélect – seuls les locataires de Matignon, Beauvau, Brienne et du Quai d’Orsay sont conviés – qui se tient dans la plus grande confidentialité du PC Jupiter, abri antiatomique situé sous l’Élysée. Les visées idéologiques de groupes radicalement opposés à nos mœurs relèvent clairement de la sécurité nationale, donc on voit mal où est le scandale de cette réunion.

L’ennui, c’est que si le chef de l’État a tenu à garder la main, ce n’est sans doute pas pour être sûr que la riposte sera d’une fermeté sans faille, mais plutôt pour garantir qu’elle sera gentillette de façon à n’offusquer personne. Ainsi, d’après Beauvau, c’est l’Élysée qui aurait inspiré les quelques mesures faiblardes recommandées dans le document, toutes déjà possibles en l’état (surveillance des réseaux islamistes, fermeture des mosquées intégristes, expulsions des imams radicaux). Quant au président, après sa colère très calculée lors du CDSN, il aurait exigé des mesures contre les discriminations et… la reconnaissance de l’État de Palestine. On ne voit pas le rapport. Lui, si. C’est bien le problème.

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Du côté des lanceurs d’alertes et dans la « réacosphère » (qui, pour un francintérien, commence au Point), beaucoup ont accueilli le rapport sur le mode désabusé – on savait déjà tout ça. Peut-être connaissait-on la logique générale, mais il fourmille de données sur les réseaux, les mécanismes, les institutions qui permettent au frérisme d’avancer. Le problème, comme toujours, c’est ce qu’il ne dit pas. D’abord, il se cantonne à la sphère des Frères musulmans alors que, comme en Angleterre, ceux-ci ont noué des alliances avec des islamistes de diverses obédiences (salafisme, wahhabisme, chiisme, tabligh).

Ensuite, s’il s’efforce de recenser les influenceurs, il se garde de mesurer l’influence, c’est-à-dire l’emprise exercée sur les esprits musulmans, notamment ceux des jeunes biberonnés à TikTok, ce réseau social dont l’algorithme, friand de contenus débiles, vous place en quelques clics face à un prêche fondamentaliste alors que vous aviez simplement tapé « islam ».

Fiction rassurante

Même Retailleau continue largement à vivre avec la fiction rassurante d’une frontière claire entre une petite minorité de fanatiques islamistes et une immense majorité de musulmans républicains. Dans la vraie vie, il y a un continuum, une adhésion plus ou moins forte selon les individus et les circonstances. Le gamin qui refuse de se doucher avec ses camarades après l’entraînement : musulman ou islamiste ? Celui qui trouve que les Charlie devraient être punis par la loi pour avoir insulté le Prophète ? Celui qui se dit que l’interdiction des signes religieux à l’école de la République est la preuve de l’existence d’une islamophobie d’État ? Avec ses insuffisances et son absence de révélations fracassantes, ce rapport a le mérite d’exister et surtout, d’avoir été commandé par le gouvernement – en l’occurrence par Gabriel Attal et Gérald Darmanin. Risquant une métaphore psychanalytique, Philippe Val se réjouit que le gouvernement verbalise enfin son mal. C’est, paraît-il, le début de la guérison. Pour avoir été souvent échaudé, on hésite à partager son optimisme.

Certes, on peut espérer que le duo Retailleau/Darmanin fera tout ce qui peut être fait par la loi et par la force – dissolutions, expulsions, poursuites… Mais on ne détruit pas les mauvaises idées par la force. À l’exception de propos louables et oiseux sur le rétablissement de l’autorité et la promotion de la culture française, personne ne sait comment gagner la bataille pour les cerveaux musulmans. Surtout qu’on peut compter sur le chœur des vierges islamo-progressistes pour s’opposer frénétiquement à ce qu’on puisse la mener.

Le crépuscule des nations: Israël, la France et l’effacement des identités

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Israël n’est pas seulement au cœur d’un conflit territorial: il incarne une frontière civilisationnelle entre deux visions du monde. Derrière le conflit israélo-palestinien se profile un affrontement plus large, entre le globalisme – qui dissout les identités – et l’enracinement – qui défend les nations, les mémoires, les singularités. Ce combat, trop souvent masqué, concerne autant l’Europe que le Proche-Orient.


Il faut le dire sans détour, sans cet artifice des âmes tièdes qui veulent encore croire à des accommodements : le Hamas ne veut pas de la solution à deux États. Il ne la veut pas, il ne la peut pas, car son horizon n’est pas celui des nations, pas même celui des peuples, mais celui d’un univers soumis à la seule loi d’Allah. À l’extrême rigueur, il l’accepterait comme une ruse, un délai, une pause stratégique : une étape avant de rayer l’État juif de la carte, avant de dissoudre cette anomalie qu’est Israël dans le grand bain d’un Moyen-Orient musulman de toute éternité. Pour lui, pour l’islamisme, Israël ne saurait être une nation souveraine, juive de surcroît, mais tout au plus un territoire, un espace, une portion de terre où les juifs vivraient en dhimmis, sous le joug discret mais implacable de la charia, tolérés comme on tolère l’ombre du passé sur les ruines du présent.

Sociétés fatiguées

Ce qui se joue là, et que l’on ne veut pas voir – car l’aveuglement, aujourd’hui, est le luxe suprême des sociétés fatiguées –, c’est que cette logique n’est pas circonscrite au conflit israélo-palestinien. Elle travaille aussi, souterrainement, l’Europe, la France, ces vieilles nations qui s’acharnent à nier leur propre chair, leur propre mémoire, leur propre être. Pour l’extrême gauche, pour la gauche qui se laisse entraîner par elle dans un vertige dont elle ne comprend ni l’origine ni le prix, comme pour l’islamisme, les nations sont des fictions à dissoudre, des entraves à l’avènement d’un ordre supérieur : celui de l’oumma pour les uns, celui du marché planétaire pour les autres, celui de l’humanité universelle pour les troisièmes. Et c’est pourquoi l’on comprend aussi pourquoi ces courants si différents en apparence – islamistes, capitalistes, révolutionnaires – se retrouvent paradoxalement à défendre, d’une manière ou d’une autre, une immigration de masse, notamment en provenance de pays majoritairement musulmans : car ce flot humain, en noyant les identités historiques sous une vague démographique, contribue puissamment à dissoudre les repères, à effacer les singularités nationales, à rendre les peuples plus malléables, plus abstraits, plus interchangeables.

Ainsi, ce qu’on veut effacer, ce n’est pas seulement l’État juif ; c’est l’idée même d’État-nation. Le Hamas ne veut pas d’un État juif, il veut bien, peut-être, d’un État d’Israël vidé de sa substance juive, comme l’islamisme peut bien tolérer une République française à condition qu’elle ne soit plus la France des Français, mais un espace abstrait, ouvert, disponible pour le déploiement de l’islam. Car pour l’islamisme, comme pour les idéologues de la globalisation, la nation n’a pas de sens : ce qui compte, c’est l’unité du monde, l’unification sous une loi, fût-elle marchande ou divine, mais toujours hostile aux singularités historiques, aux héritages, aux frontières.

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Et l’on ne voit pas – et c’est peut-être cela, la tragédie de notre temps, cette incapacité à percevoir les lignes profondes qui structurent les événements – que la France et Israël sont, en vérité, affrontés à un même péril : celui de leur effacement. Effacement sous la poussée islamiste, qui rêve d’un monde où les autres religions seraient soumises ; effacement sous la poussée de la marchandisation, qui rêve d’un monde où tout serait interchangeable, marchandisable, dissolu dans les flux ; effacement sous la poussée d’une gauche encore hantée par les relents du communisme, qui rêve d’un monde où les hommes seraient réduits à leur simple humanité abstraite, sans histoire, sans mémoire, sans identité.

C’est ton destin

Dans cette conjonction inattendue – islamisme, marché, idéologie universaliste – se joue une bataille qui n’est pas seulement politique, mais métaphysique : celle de l’existence des nations. Être une nation, c’est dire non à l’uniformité, non à la dissolution, non à la réduction des êtres humains à de simples unités de désir ou de foi. C’est affirmer une différence, une singularité, une mémoire incarnée dans des lieux, des langues, des rites, des morts. Israël, comme la France, comme l’Europe, se trouve à la croisée des chemins : ou bien elle persiste à exister comme nation, au prix d’un combat douloureux, solitaire, presque désespéré ; ou bien elle consent à disparaître, à se fondre dans le grand magma planétaire, à n’être plus qu’un espace sans épaisseur, sans mémoire, sans visage.

Ce combat, on le mène souvent sans le savoir, ou en croyant qu’il s’agit seulement de cohabitation, de justice sociale, de redistribution économique. Mais il s’agit, en vérité, d’un combat ontologique : il s’agit de savoir si nous voulons continuer à exister comme peuples, comme nations, ou si nous acceptons de n’être plus que des individus sans attaches, soumis aux lois de l’économie, de l’idéologie, ou de la religion totalitaire.

Voilà pourquoi la France et Israël sont liés par un destin commun, que nul ne veut voir. Voilà pourquoi il faut parler, écrire, nommer, contre le flot amnésique du monde contemporain. Voilà pourquoi il faut, peut-être, retrouver cette mélancolie tragique qui fut toujours le propre des civilisations vieillissantes mais lucides.

Il y a, dans cette affaire, une immense fatigue. Fatigue des nations, qui ne savent plus porter le poids de leur histoire ; fatigue des hommes, qui ne croient plus à leur singularité ; fatigue des élites, qui rêvent d’effacer les aspérités pour se fondre dans une humanité sans épaisseur. La France est comme cette vieille demeure que l’on abandonne aux vents, à la pluie, au lierre, et dont on contemple la lente décrépitude avec une fascination morbide, sans trouver en soi l’énergie de la réparer. Israël, quant à lui, connaît une autre réalité : une partie de ses élites rêve parfois d’abandon, mais le cœur du pays résiste encore — porté par une jeunesse ardente, patriote, prête à défendre sa survie. Si certaines zones d’Israël commencent à ressembler à l’épuisement français, le reste du pays, lui, reste en état d’alerte, tendu, debout, face à la menace.

Triple rejet

Car réparer, c’est toujours se souvenir. Réparer, c’est dire : nous avons existé, nous avons un passé, nous avons des morts, des guerres, des larmes, des chants. Réparer, c’est refuser l’oubli dans lequel nous pousse l’époque. Mais l’époque ne veut plus de ce passé. Elle n’en veut plus car il gêne, il embarrasse, il limite. Le passé, pour l’idéologie marchande, est un poids mort ; pour l’idéologie islamiste, il est une impureté ; pour l’idéologie de gauche, il est une faute. Et dans ce triple rejet, il y a une forme d’alliance, une coalition inattendue mais redoutable.

Israël, en tant qu’État juif, incarne le scandale du particulier : une identité historique, religieuse, culturelle, irréductible à l’universalisme abstrait. La France, malgré toutes ses trahisons, toutes ses abdications, reste, aux yeux du monde, une vieille nation façonnée par des siècles de guerres, de littérature, de catholicisme, de révolutions, de fidélité à soi-même. Or, ce sont précisément ces singularités-là qu’il faut abattre.

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Car le monde qui vient – le monde que veulent les islamistes, les marchands, les idéologues – est un monde sans nations. Un monde de flux : flux de capitaux, flux de marchandises, flux de croyants, flux d’êtres humains réduits à leur fonction économique ou religieuse. Ce que l’on appelle, souvent sans le comprendre, le globalisme, n’est qu’un nom poli pour désigner cette guerre souterraine contre les enracinements. Et l’islamisme, en ce sens, n’est pas l’ennemi du marché ; il en est l’allié paradoxal. Car tous deux veulent effacer les frontières, tous deux veulent un monde unifié, tous deux veulent abolir l’idée même de nation.

Voilà pourquoi il est vain d’opposer naïvement l’un à l’autre. Voilà pourquoi il est illusoire de croire qu’on pourra résoudre le conflit israélo-palestinien, ou la question de l’immigration en Europe, par de simples ajustements politiques, par des compromis, par des arrangements techniques. Car il s’agit d’un combat plus profond : celui de la survie des identités.

Et c’est ici que vient le plus tragique : il est possible que ce combat soit déjà perdu. Non pas par la force des armes, mais par la lassitude intérieure. Car les nations ne sont pas d’abord abattues de l’extérieur ; elles meurent de l’intérieur, par épuisement, par dégoût de soi, par incapacité à se transmettre, à se désirer encore. Regardez la France : elle n’enseigne plus son histoire ; elle n’ose plus dire ce qu’elle est ; elle s’excuse d’exister. Regardez Israël : il vacille entre le besoin de se défendre et la culpabilité de le faire, entre la volonté de survivre et la hantise d’être jugé.

On dit parfois : il faut défendre l’Occident. Mais l’Occident existe-t-il encore ? Est-ce autre chose qu’un souvenir, qu’un mirage, qu’un mot creux ? On dit : il faut sauver les nations. Mais les nations veulent-elles encore être sauvées ? Ont-elles encore en elles le désir de durer, cette obstination, ce sang, cette fidélité, cette mélancolie active qui fut jadis leur force ? Ou bien ont-elles déjà consenti, en silence, à se dissoudre, à s’effacer, à devenir des espaces neutres, des lieux sans mémoire, des zones franches pour le commerce et pour la foi ?

Je ne sais pas. Ou plutôt, je le sais trop bien : il est des moments où les civilisations, comme les hommes, choisissent la mort sans le dire. Elles s’affaissent doucement, avec une lassitude infinie, avec cette nostalgie sans objet qui précède la chute. Peut-être est-ce cela que nous vivons. Peut-être est-ce cela, le cœur battant de notre temps : le crépuscule des nations.

Aimez-vous Brahms ?

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DR.

Il faut saluer encore et encore le travail exemplaire de la Fondation Singer-Polignac – entre gens bien élevés, on prononce « singé-polignac », et surtout pas « singère » ! – sis dans l’écrin tout à la fois opulent et discret de l’hôtel particulier néo XVIIIème de l’avenue Georges Mandel, héritage, comme l’on sait, de Winnaretta Singer, princesse de Polignac (1865-1943). Créée il y a presque vingt ans, la résidence musicale soutient la musique de chambre et orchestrale, accueillant en outre au quotidien les répétitions des artistes mais leur donnant, surtout, la chance de se produire sous les ors du somptueux Salon de musique, dans le cadre du Festival Singer Polignac dont la 6ème édition s’achève ce dimanche 8 juin. 

 « Juin ton soleil ardente lyre/ brûle mes doigts endoloris… », chantait Apollinaire. Ce jeudi 5 juin, une pluie battante attendait plutôt les invités triés sur le volet venant assister au concert vespéral ouvrant les festivités, à l’enseigne de Vivaldi. L’essentiel étant que ce concert, tout comme tous ceux de la manifestation, filmés dans un grand raffinement de régie par le réalisateur Guillaume Klein, sont non seulement diffusés en direct et en libre accès sur la plateforme singer-polignac.tv, mais également retransmis en ligne et promis à rester disponibles en replay  sur la plateforme de streaming de medici.tv, partenaire de la maison, jusqu’à la fin de l’année 2025.  

Sous les ondées et sous le signe du Caravage – Il Caravaggio, nom de la formation orchestrale dirigée par la cheffe claveciniste Camille Delaforge – , un programme Vivaldi, joué sur instruments d’époque, réunissait quelques joyaux inégalement célèbres du compositeur vénitien, dont certains morceaux écrits pour le castrat Farinelli, et que chantait ici la superbe mezzo française Eva Zaïcik. Le week-end de Pentecôte s’ouvrait vendredi soir dans le jardin ensoleillé de l’hôtel de Polignac où un verre était servi avant un double concert d’exception, consacré, cette fois, à Brahms. Avec en hors d’œuvre le trio n°2 pour piano, violon et violoncelle, précédé de la sublime sonate pour violon et piano n°3 et, en guise de digestif, dans un adorable arrangement pour trio, une courte pièce de Mendelssohn extraite des Romances sans parole originellement écrites pour piano (au clavier, Arhtur Hinnewinkel, 24 ans, en résidence à la Fondation, Emmanuel Colley au violon, Stéphanie Huang au violoncelle). Le plat de résistance était, sans conteste, en deuxième partie de soirée, le célèbre Quintette pour clarinette et cordes opus 115, mais dans l’arrangement pour alto de Brahms lui-même, interprété ici à la perfection par le Quatuor Agate, formation spécialisée dans le répertoire brahmsien, avec l’altiste virtuose Adrien La Marca, associé à la Fondation, lequel donnait à ce chef-d’œuvre absolu une vibration, une intensité confondantes. En conclusion de ce second concert de vendredi, la sonate n°1 pour alto et piano était l’occasion de découvrir le talent de Jérémie Moreau, pianiste âgé de 25 ans, au physique de jeune premier, qui a pratiqué la danse classique et, associé à ses frères et sœurs au sein du « trio Moreau », est actuellement en résidence à la Fondation. 

On ne laissera pas de vous recommander de suivre à distance la suite et fin du Festival Singer-Polignac, ouverte à d’autres champs de la composition « savante » : l’ensemble Les Illuminations, voyage au long cours à travers les siècles autour du violoncelle, puis un programme éclectique réunissant Mendelssohn, Rafael Catala et Schumann, par le Trio Zadig ce samedi. Dimanche, Gérard Grisey, Tristan Murail, Imsi Choi, Philippe Hurel, musique spectrale donnée par l’Ensemble Ecoute sous la direction de Fernando Palomeque ; et enfin Bakthi, musique mixte signée Jonathan Harvey, concert dirigé par Maxime Pascal à la tête de la formation Le Balcon, concert retransmis en direct sur medici.tv   

Fondation Singer-Polignac. 43 avenue Georges Mandel 75116 Paris. 

Sertraline: une seule molécule vous manque, et le monde est dépeuplé

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Image d'illustration © SINTESI/SIPA

Pénurie de psychotropes : pourquoi un médicament très utilisé comme la sertraline est-il de plus en plus difficile à trouver en France, et pas ailleurs ? De nombreux malades mentaux se retrouvent ainsi abandonnés, alertent les psychiatres[1].


Depuis plusieurs mois, la France est confrontée à une pénurie préoccupante de sertraline, l’un des antidépresseurs les plus prescrits dans le pays. Des milliers de Français souffrant de dépression, d’anxiété ou de troubles obsessionnels compulsifs peinent à accéder à leur traitement habituel, contraints d’en interrompre la prise ou de le remplacer dans l’urgence, notamment par le Déroxat (paroxétine) et le célèbre Prozac.

Wanted : Zoloft ®

Mais cette crise ne se limite pas à l’Hexagone. Plusieurs pays dont les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada, l’Allemagne ou encore l’Australie, ont eux aussi connu ces dernières années des tensions ou des ruptures dans l’approvisionnement en sertraline. Ces pénuries récurrentes révèlent une vulnérabilité systémique. La fabrication de la molécule repose sur un nombre restreint de producteurs du principe actif, principalement installés en Chine et en Inde. Ainsi, un incident localisé dans un site de production peut entraîner une onde de choc à l’échelle mondiale.

Depuis son autorisation de mise sur le marché au début des années 1990, la sertraline s’est imposée comme l’un des traitements antidépresseurs les plus prescrits au monde. Appartenant à la classe des inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS), elle incarne une nouvelle ère de la psychiatrie pharmaceutique, marquée par son efficacité, une tolérance supérieure aux anciens antidépresseurs tricycliques, et une large palette d’indications thérapeutiques. Derrière son succès clinique se cachent cependant des contraintes industrielles, géopolitiques et économiques.

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La sertraline est découverte dans les années 1970 au sein des laboratoires Pfizer par Reinhard Sarges et Kenneth Koe, deux chercheurs engagés dans la course à l’« antidépresseur idéal », moins toxique et mieux toléré que les tricycliques ou les inhibiteurs de la monoamine oxydase (IMAO) comme le Laroxyl (amitriptyline), Anafranil (clomipramine), Moclamine (moclobémide).  Après des années de développement, elle est approuvée par la FDA (Food and Drug Administration) en 1991 sous le nom commercial Zoloft.

Ce succès s’explique par sa grande efficacité sur une large gamme de troubles mentaux (dépression, anxiété, TOC, trouble panique, TSPT, phobie sociale), mais aussi par sa bonne tolérance, sa faible toxicité en cas de surdosage et son profil métabolique relativement stable. Cette spécificité contribue à réduire les effets secondaires liés à l’agitation, aux troubles du sommeil ou à la prise de poids, souvent observés avec d’autres molécules.

La sertraline est également l’un des ISRS les plus utilisés en périnatalité, notamment chez les femmes enceintes, en raison d’un meilleur rapport bénéfices / risques documenté.

Brevet ayant pris fin en 2006

Cependant, synthétiser la sertraline n’est pas simple. Sa structure chimique complexe nécessite des procédés industriels avancés, notamment pour garantir l’obtention de la seule pharmacologiquement active. Plusieurs étapes critiques requièrent un savoir-faire chimique poussé et des équipements spécialisés.

Depuis la levée du brevet de Pfizer en 2006, la production de sertraline s’est fortement diversifiée. Plusieurs laboratoires génériques – Teva (Israël), Mylan/Vitaris (États-Unis), Aurobindo (Inde), ou encore Sandoz (Suisse) – fabriquent désormais cette molécule. Toutefois, en dépit de cette diversité apparente, la production industrielle reste concentrée dans quelques régions du monde : la Chine et l’Inde pour les matières premières et les principes actifs (API), l’Europe et les États-Unis pour la formulation et le conditionnement.

La sertraline est l’un des antidépresseurs les plus prescrits au monde. En France, elle se classe parmi les trois ISRS les plus utilisés avec la fluoxétine (Prozac) et l’escitalopram (Seroplex). Aux États-Unis, elle figure depuis plusieurs années dans le top 20 des médicaments les plus prescrits, toutes classes confondues.

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Selon les estimations, le marché mondial de la sertraline générait, avant expiration du brevet, environ 3 milliards de dollars par an pour Pfizer. Aujourd’hui, le chiffre d’affaires est réparti entre plusieurs producteurs de génériques, mais demeure important du fait de la consommation massive : on estime que des dizaines de millions de patients en prennent régulièrement dans le monde.

Comparée à la fluoxétine (Prozac), première star des ISRS, la sertraline est souvent préférée pour traiter les troubles anxieux, les TOC ou les TSPT. Elle induit moins d’activation psychomotrice, un effet parfois problématique avec le Prozac, notamment en début de traitement. En revanche, la fluoxétine possède une demi-vie beaucoup plus longue (environ une semaine), ce qui la rend utile pour les patients à risque de non-observance, mais plus délicate à gérer en cas de changement thérapeutique ou d’effets indésirables.

La pénurie de sertraline révèle bien plus qu’un simple défaut logistique. Molécule sûre, efficace, et irremplaçable pour des millions de patients, la sertraline est un paradoxe : essentielle sur le plan médical, mais de moins en moins viable économiquement dans certains marchés comme la France.

Pas assez cher, mon fils !

La faible rentabilité de la sertraline en France s’explique par un modèle économique du médicament fondé sur la régulation étatique des prix, la promotion des génériques et le contrôle strict des dépenses de santé. Depuis la fin du brevet de la molécule, le prix de la boîte a été drastiquement réduit, parfois à moins de deux euros, ce qui laisse aux laboratoires des marges extrêmement faibles une fois déduits les coûts de production, de conditionnement, de conformité réglementaire et de distribution. Dans ces conditions, une politique publique visant à garantir un large accès aux soins, place le marché français en bas de la hiérarchie des priorités commerciales des groupes pharmaceutiques, surtout en comparaison avec d’autres pays européens comme l’Allemagne ou l’Italie, où la même molécule peut être vendue deux à trois fois plus cher.

À cela s’ajoutent des mécanismes spécifiques au système français, tels que les remises obligatoires aux pouvoirs publics, les clauses de régulation du chiffre d’affaires, les contraintes administratives lourdes et l’absence de différenciation commerciale entre génériques concurrents. Ce dernier point est l’un des traits distinctifs du marché pharmaceutique français, et l’un de ses paradoxes les plus silencieux. En théorie comme en pratique, toutes les spécialités génériques d’une même molécule sont considérées comme équivalentes : elles ont le même principe actif, le même dosage, la même forme galénique, et bénéficient du même taux de remboursement. Cette logique d’interchangeabilité est renforcée par le droit du pharmacien à substituer librement une marque par une autre, sans que le patient ou le médecin n’en soit informé (sauf mention explicite). Mais ce système élimine aussi toute incitation à l’investissement différencié dans la qualité du service, la robustesse de la chaîne logistique ou la réactivité en cas de pénurie. Puisque aucun fabricant ne peut valoriser ses efforts ni par le prix, ni par la visibilité de la marque, ils sont tous enfermés dans une logique de réduction des coûts. Pensé pour contenir les dépenses publiques, ce modèle uniformise, sans garantir la sécurité et ainsi finit par fragiliser la disponibilité des médicaments essentiels. Dans ce contexte, les laboratoires sont souvent tentés de réduire leurs volumes, de retarder les relances de production ou même de quitter le marché, notamment lorsqu’une tension mondiale apparaît sur les principes actifs. Ainsi, la crise de la sertraline révèle aussi les limites d’un système de régulation qui, à force de viser l’efficience économique, finit par compromettre la disponibilité continue de traitements fondamentaux pour des millions de patients.


[1] https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/04/15/les-reponses-des-pouvoirs-publics-restent-insuffisantes-face-aux-penuries-de-medicaments-essentiels-en-psychiatrie_6596297_3232.html

De la politesse en politique

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Bruxelles, mai 2010 © Michel Euler/AP/SIPA

En politique, la politesse c’est comme le cirage sur des chaussures usées: ça ne change pas la démarche, mais ça évite les éclaboussures. Malheureusement, tout comme on préfère aujourd’hui les baskets à lacets défaits, mon bon Monsieur, elle se perd…


Un Nicolas Sarkozy qui, en visite en Allemagne, parle de « Monsieur Merkel » à sa présumée épouse et chancelière, alors que nul époux ne répond à ce nom ; un jeune chargé de mission qui, seul au milieu de ses collègues en rang d’oignons, se fend d’un impromptu baise-main à une Danielle Mitterrand peu accoutumée à la chose, et qui, faute de contrôler la dynamique des gestes, si l’on peut dire, se récolte une main dans le nez ; la présidente de l’Assemblée nationale qui, le 6 février dernier, victime d’un cerveau dont on ne saurait dire s’il est binaire ou primaire, commet un sacré ou, plutôt, très laïque lapsus, en évoquant, lors d’un colloque consacré au Proche-Orient, les « talibanais », voilà des exemples de fautes à cheval sur le savoir-vivre, la civilité et la politesse, toutes notions qui se recouvrent et dont l’étude et l’application, contrairement à ce que l’on pourrait supposer de prime abord, relèvent plus de la science exacte que de l’art.

Chose au monde de moins en moins partagée

C’est l’enseignement que nous retirons de ces deux précis de composition (au sens où l’on sait que l’on doit ‘‘se composer’’ une attitude, une manière d’être, de dire et de faire, selon les lieux, les pays, les circonstances et les gens à qui l’on a à faire).

« Il est poli d’être gai » prétendait Voltaire. Si la gaité ne doit pas nécessairement être considérée comme une composante intrinsèque de la politesse, pour le moins, au contraire, pouvons-nous estimer indispensable que l’homme politique, plus largement, l’homme du politique (l’éminence grise, le diplomate tout autant que le député d’une circonscription ingrate) soit pénétré de l’intérêt qui est le sien (et de ses ouailles) d’être, en tous ses agissements, empreint de componction et de ce vernis de politesse qui, à la longue, deviendra une seconde nature.

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Il se déduit de l’origine très peu rousseauiste du mot « politesse » que cette dernière n’est pas naturelle à l’homme « républicain », pétri de la vertu d’égalité et de transparence démocratique. En effet, étymologiquement parlant, nous enseigne le lexicologue Jean Pruvost, cette fameuse politesse, qui devient chose au monde de moins en moins partagée (parce que plus guère inculquée), « correspond au fait de passer au fouloir une étoffe usagée pour la remettre à neuf (…). D’où l’idée de falsification. » Cette politesse n’est donc nullement naturelle à l’homme. Elle répond à l’ « état de culture », s’apprend et s’entretient. A l’état brut, si l’on ose s’exprimer ainsi, elle est feinte, artificieuse ; tout l’art du bon homme poli consistera à donner une patine de « vieilli », de douceur et de naturel à ce qui ne l’est donc point. En son origine, la politesse est donc d’ordre artisanal et a ainsi partie liée avec le façonnage, le « fait main », les bonnes et mauvaises façons et manières, la contrefaçon. Sans surprise, on apprend que cette politesse s’épanouira au XIVème siècle, en Italie, en tant que synonyme de propreté physique pour s’élargir, toujours florentine et romaine, à celui du « raffinement d’une œuvre d’art ou littéraire ». En une juste extrapolation, pouvons-nous de la sorte estimer qu’encore de nos jours, un ouvrage comportant de nombreux mots imprimés en italiques traduit (sans, ainsi, directement l’exprimer) un propos d’une subtile politesse.

Visage poli

Ce n’est qu’au début du règne du Grand roi (que nous ne saurions, sauf à commettre l’impolitesse qui consisterait à sous-estimer la culture historique de nos lecteurs, désigner plus avant) que le terme prendra l’acception – dont on ne sait si elle est encore vraiment d’actualité – de qualité «nécessaire dans le commerce des honnêtes gens », une qualité, précise-t-on, qui les « empêche d’être choqués et de choquer les autres par de certaines façons de parler trop sèches et trop dures, qui échappent souvent sans y penser (…) ». Où l’on retrouve cette idée que l’homme poli par excellence est celui dont l’enveloppe est semblable à cette pierre au fond de la rivière, tellement polie par les ans et par les eaux que sur elle tout glisse et qu’ainsi vous ne serez pas susceptible d’être blessé

Il est vrai qu’il ne faudrait tout de même pas pousser trop loin la métaphore car, à force de montrer un visage poli, de faire montre de politesse, on risque de ressembler au savon qui vous glisse entre les doigts, qui vous échappe, on risque de se faire percevoir insaisissable, ce qui pourrait bien être une forme, et non des moindres… d’impolitesse.

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Science toute humaine tout autant qu’art, on pourrait dire de la politesse ce que Napoléon Ier disait de la guerre, qu’elle est un art tout d’exécution, – ce qui nous semble synonyme : d’adaptation. Pour trancher – manière de parler car, en la matière, à l’échelle des siècles, rien n’est arrêté ! –  de certains points litigieux, touchant par exemple aux vins, au baise-main, à l’emploi de certains termes plutôt que d’autres, on s’en remettra à la brochure d’Alix Baboin-Jaubert publiée, est-il écrit sur la première de couverture, par un « éditeur de qualité depuis 1852 ». Comme dirait l’autre, on n’est jamais aussi bien poli que par soi-même.

L’insoumis Louis Boyard refuse de serrer la main au député RN Philippe Ballard, lors du vote pour la présidence de l’Assemblée nationale, Paris, le 28 juin 2022, D.R.

Cela dit, on regrette de ne pouvoir ici s’étendre plus sur les dégâts contemporains de l’impolitesse, d’en dresser une sorte d’état des lieux (lieux communs compris !) illustrés de faits inédits tirés et recensés de l’actualité politique contemporaine ou lointaine, intérieure ou étrangère. On en aurait déduit que la politesse, pour être complète, ne doit pas seulement gouverner nos faits et gestes mais qu’elle doit animer jusqu’à nos pensées, et, mieux, notre impensé. C’est à cette condition, comme nous l’envisagions à l’orée de cet articulet, qu’en application de la fameuse exclamation de Buffon, Le style, c’est l’homme même ! , elle pourrait nous devenir naturelle.

En attendant (d’y parvenir), il est peut-être un moyen d’y suppléer, c’est d’initier, d’encourager et favoriser cette politesse du cœur que développe sur douze pages Jean Pruvost et contre laquelle la très humaine et très évangélique Alix Baboin-Jaubert ne saurait s’inscrire en faux. A cette provenance-là de la politesse, on acquiescera, car elle permet non seulement de ne pas faire de faux pas, mais, en outre, l’amour-propre même s’en satisfera puisque l’exercice de cette ‘qualité d’âme’ est en définitive une mise en application du mot de Marcel Proust, lequel soutenait que « le comble de l’intelligence, c’est la bonté. »

Jean Pruvost, La Politesse – Au fil des mots et de l’histoire, Tallandier, 317 p.

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En attendant Bégaudeau…

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L'écrivain d'extrême gauche François Bégaudeau. Capture YouTube.

… lisez l’enquête de François Bousquet sur le racisme antiblanc


Non seulement il fait partie de cette caste rassemblant les êtres les plus étriqués et les plus sectaires de la prétendue élite intellectuelle de gauche – un mélange hétéroclite de sociologues sous-bourdieusiens, de philosophes sous-foucaldiens, d’universitaires wokes et d’écrivains égocentrés – mais François Bégaudeau en est même une sorte de synthèse. Il se revendique en effet tout à la fois de la sociologie politico-indigente de Geoffroy de Lagasnerie et de Didier Éribon, de la littérature sociologico-nombriliste d’Annie Ernaux et d’Édouard Louis, des réflexions politico-totalitaires de Sartre et d’Alain Badiou. Depuis le succès du film démagogique Entre les murs (Palme d’Or à Cannes en 2008 – logique !) tiré de son roman (Prix France Culture-Télérama en 2006 – normal !), M. Bégaudeau passe son temps dans les médias à palabrer sur la bourgeoisie, qu’il exècre, et le prolétariat, dont il a entendu parler. Car un regret mine depuis toujours ce fils d’enseignants : il n’est pas issu et n’a jamais fait partie de la classe ouvrière. Pire, avouait-il dans un livre intitulé Histoire de ta bêtise, il a acquis un bien tout ce qu’il y a de plus bourgeois, selon lui, un appartement dans le 11ème arrondissement de Paris. M. Bégaudeau tente d’effacer cette tache indélébile en battant sa coulpe et en donnant moult détails sur l’origine des sommes d’argent qui lui ont permis d’accéder à la propriété – un héritage, un emprunt, des droits d’auteur. Il tient à préciser que son statut privilégié ne l’empêche pas d’avoir des envies révolutionnaires : « Mon compte en banque et mon patrimoine dessinent un cadre bourgeois qui devraient m’assimiler à un cadre de pensée bourgeois. Ce n’est pas le cas. J’appartiens à une classe supérieure dont je persiste à envisager, sinon souhaiter, la destitution. Je suis propriétaire et je délégitime la propriété. Les jours de grande morgue, il ne faut pas me servir trop de pintes pour que je préconise son abolition ». On suppose que c’est après une virée bien arrosée entre amis qu’il a, selon son propre aveu, voté pour Besancenot en 2002. En 2007, dessoûlé, il votera pour Ségolène Royal. Sa connaissance des classes laborieuses étant essentiellement livresque et politique, il s’est fait du prolétaire, de l’ouvrier, une image assez particulière, à partir de laquelle il a aménagé et entretient son appartement : un « carton Franprix » lui sert de « table de nuit » ; il semble tout heureux d’avoir des « murs écaillés par un dégât des eaux » ; il évite de faire le ménage : « ici, la règle est le sale ». Aveu inconscient d’un gauchiste imprégné d’une iconographie surannée et imaginant l’ouvrier vivant dans la crasse tandis que le bourgeois se vautre dans une propreté tapageuse, fruit de l’exploitation du prolétariat. Le mépris et la condescendance à l’endroit des Français les plus modestes peuvent prendre différents visages. François Hollande se moquait des « sans-dents », Benjamin Griveaux brocardait les « gars qui fument des clopes et roulent au diesel », Agnès Pannier-Runacher se passe de l’avis des « moins riches » à propos des ZFE parce que, selon elle, « ils n’ont pas de voiture » – François Bégaudeau, lui, est persuadé que les prolétaires sont sales et, pour montrer sa solidarité, n’époussette pas ses meubles en carton.

Le wokisme n’existe pas, les prolos en rajoutent sur l’insécurité…

M. Bégaudeau assure qu’il est un « intellectuel anarchiste » proche du peuple et non un « bourgeois ». La preuve : « Je ne remplacerai pas les quatre lattes défoncées de mon parquet, mais je me sentirais personnellement blessé par un texte qui défonce Deleuze. » Les pages d’Histoire de ta bêtise, fastidieuses, rébarbatives, adoptent un style tantôt trivial et supposément populaire, tantôt lourdement didactique et censément politico-révolutionnaire. Il s’y glisse quelques séances de molle auto-flagellation immédiatement recouvertes par des justifications ridicules censées dédouaner le bourgeois qu’il est devenu mais qu’il abhorre presque autant que cette gauche embourgeoisée, social-démocrate, socialiste ou convertie au macronisme, qu’il qualifie de « bête » et à laquelle il réserve ses diatribes les plus mordantes. En parlant de bêtise…

À propos du wokisme, M. Bégaudeau affirme, dans l’émission Les Incorrectibles animée par le journaliste Éric Morillot, que « c’est un truc assez improbable à définir » mais que « c’est un mot qui – attention ! tenez-vous les côtes, ça va secouer ! – a très bien circulé parce que c’est un cadeau à la droite. C’est la meilleure façon qu’a trouvé la droite de ne surtout pas discuter ou avoir à répondre avec ce qui est son vrai ennemi et ce qu’elle a toujours identifié comme le camp véritablement dangereux pour elle, à savoir le camp communiste, au sens le plus littoral du terme, celui qui veut exproprier ceux qui possèdent. C’est ça que les bourgeois craignent depuis toujours. Comme ils n’ont rien à dire à l’hypothèse communiste – parce qu’ils sont pris la main dans le sac par le communisme, quand même – alors ils préfèrent détourner un peu l’attention et ils vont un peu recolorer la gauche à leur manière, ils vont un peu la ridiculiser, ils vont aller chercher des éléments ridicules dans ce qui se présente comme étant de gauche, et ils vont appeler ça le wokisme[1]. » Bravo à Éric Morillot qui a pu écouter cette marmelade sans éclater de rire. Et merci à lui de nous avoir offert la preuve ultime que M. Bégaudeau est bien ce qu’il paraît être et que la décence m’interdit d’écrire ici.

Récemment, sur la chaîne YouTube Crépuscule[2], entre de courtes considérations philosophiques et littéraires d’une pauvreté analytique consternante, M. Bégaudeau a livré cette fois le fond de sa pensée sur les Français qui subissent les effets délétères de la submersion migratoire et qui ne veulent plus se taire. Pour lui, la crainte de l’insécurité liée à l’immigration ne peut être qu’un « stress », une « fébrilité » sans réel fondement ; les prolos et les ploucs ont tendance à en rajouter, surtout s’ils écoutent certains médias : « Il n’y a qu’à écouter les gens quand on s’attarde dans un PMU, dans un rade, ça va très vite. Et puis moi, j’en ai dans ma famille donc je vois à peu près à quoi ça ressemble. » Ce ça, proféré avec une moue de dégoût, révèle le principal sentiment qui anime le bourgeois gauchiste : la haine des « petits Blancs ». D’après lui, les seuls qui parlent sérieusement de l’immigration, « ce sont les gens de gauche. Les gens de droite ne parlent pas de la question de l’immigration. Ils parlent d’une seule chose qui est : dans quelle mesure est-ce que les Noirs et les Arabes vont me compliquer ma vie à moi, petit Blanc de France. » Adepte des thèses décolonialistes d’Houria Bouteldja, M. Bégaudeau reprend à son compte l’idée d’un racisme systémique dans la société française et considère que la peur de l’immigration n’est qu’une « petite panique pseudo-identitaire et raciste de petits Blancs paniqués ». Ces derniers, dit-il, n’ont aucune raison de s’alarmer : « Vous qui vous inquiétez de savoir si vraiment la submersion migratoire va liquéfier la culture française, liquéfier nos vies, violer nos femmes, multiplier la délinquance… calmez-vous un peu ! » 

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Voici venu le moment de donner un conseil de lecture à M. Bégaudeau. Le racisme antiblanc, de François Bousquet, est sorti en avril 2025 et jouit d’un succès mérité – Gilles-William Goldnadel, qui connaît ce sujet à fond et a été un des premiers à le traiter sérieusement[3], en a fait l’éloge dans ces colonnes.

Dans le chapitre intitulé Théorie du grand Blanc et construction sociale du petit Blanc, François Bousquet explique, et cela devrait fortement intéresser M. Bégaudeau, qu’il y a effectivement deux types de Blancs, que tout oppose : le grand Blanc et le petit Blanc. Il rappelle que « petit blanc » est une expression méprisante née dans les colonies et désignant un individu blanc « au bas de l’échelle du pouvoir, coincé entre les indigènes qu’il encadrait et les élites coloniales qui le toisaient ». Les colonies ayant disparu, l’ancienne élite coloniale « s’est muée en élite universitaire dont le grand Blanc est l’aboutissement. Son mépris pour le petit Blanc est intact et son ascendant culturel sur lui absolu. » Bégaudeau fait naturellement partie des grands Blancs qui considèrent que le petit Blanc est un « concentré de ringardise franchouillarde » ; comme ses congénères, il analyse « les préjugés d’appartenance tribale du petit Blanc avec la morgue d’un ethnologue colonial devant une peuplade attardée ». Le grand Blanc, écrit François Bousquet, est une « belle âme » qui s’émeut du sort des « racisés » – dont en réalité il n’a rien à faire – pour se donner une bonne conscience dont il attend « des gratifications symboliques et des rentes statutaires ». Les grands Blancs se retrouvent entre eux, dans les médias, dans les universités, dans les salons littéraires, dans les clubs politiques, et s’octroient mutuellement des billets d’honneur moraux tout en méprisantles petits Blancs qu’ils sermonnent. 

Le racisme antiblanc, pas son affaire

Du haut de leur position sociale avantageuse, tout en faisant semblant de se préoccuper encore un peu de son sort, les grands Blancs accusent le petit Blanc de toutes les tares réactionnaires et racistes, surtout depuis qu’il ne vote plus à gauche. Ils haïssent cet être leucoderme, trop français, trop conservateur, trop provincial, trop attaché à ce qu’ils considèrent être les restes d’une société arriérée : des racines chrétiennes, une identité régionale, une histoire nationale, une langue, une culture – ils lui préfèrent maintenant un être qu’ils parent de toutes les vertus et qui leur permet de montrer leur supériorité morale sur le petit Blanc et de briller dans les milieux progressistes : le migrant. Mais pas n’importe lequel. Le migrant « racisé » et musulman a leur préférence. Les vertus dont ils le parent sont paradoxalement celles qu’ils refusent au petit Blanc : la fierté identitaire, la solidarité communautaire, des principes familiaux et religieux solides, une culture ancestrale. Bien entendu, rappelle François Bousquet, ces grands Blancs politiques, médiatiques ou universitaires ne vivent pas, à l’inverse des petits Blancs, avec ces nouveaux venus dont les plus jeunes et les plus violents ont compris une chose : le petit Blanc, cette « face de craie », ce « gwer », ce « babtou », est une proie facile. On peut l’insulter, le voler, le frapper, le violer, sans craindre grand-chose – les grands Blancs de gauche veillent : la culpabilité ne se partage pas et incombe entièrement aux petits Blancs accusés d’être racistes et islamophobes, incapables de concevoir ce fameux vivre-ensemble que les grands Blancs promeuvent tout en restant à distance des lieux, de plus en plus nombreux, où il apparait que cette expression est en réalité un oxymore. M. Bégaudeau, comme tous les grands Blancs de gauche, nie l’existence du racisme anti-blanc qui se répand à l’école, dans les salles de sport, sur les terrains de foot, dans les quartiers où la population d’origine immigrée devient trop importante pour endiguer les phénomènes d’islamisation et de délinquance qui accompagnent ceux du racisme anti-blanc et anti-français. M. Bégaudeau se fiche de tout cela. Marxiste, il ne fait pas de différence, dit-il, entre les « prolétaires migrants » et les « prolétaires pas migrants ». Jamais, ajoute-t-il, il ne reconnaîtra que les petits Blancs sont les principales victimes de l’immigration, jamais il n’incriminera des immigrés : « Je ne veux pas m’attirer la sympathie du prolétaire blanc à ce prix-là. » Tout est dit. La réalité quotidienne  des Français et les dizaines de terrifiants témoignages recueillis par François Bousquet ne le feront pas changer d’avis. Les violences, les insultes, les rackets, les vols, les viols, les agressions au couteau et à la machette dans les nombreux territoires perdus de la République ? Bégaudeau n’en a rien à faire – ça ne colle pas avec son idéologie. Quant aux femmes musulmanes tyrannisées par des hommes appliquant strictement la charia, qu’elles ne comptent pas non plus sur M. Bégaudeau pour les défendre. Sur le média en ligne QG[4], M. Bégaudeau, tout à son envie d’accabler la France plutôt que certaines mœurs rétrogrades importées, justifie ainsi cet état de fait : « L’oppression qui est imposée aux femmes dans certaines configurations musulmanes ou certaines de ces acceptions peut être un contrecoup d’une pression coloniale ou d’une domination que subissent ces populations-là en France ou en Occident ». D’ailleurs, ajoute-t-il pour expliquer les excès des mâles musulmans, « le sur-virilisme dans certains quartiers populaires à forte densité migratoire et où on trouve beaucoup de racisés, donc beaucoup de musulmans, vient de la fragilisation de ces hommes par le pouvoir policier qui les harcèle depuis un certain nombre de décennies. »

Décidément, cet intellectuel de gauche ose tout – c’est même à ça qu’on le reconnaît… Comme disait Orwell, « il faut être un intellectuel pour croire une chose pareille : quelqu’un d’ordinaire ne pourrait jamais atteindre une telle jobardise. »

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[1] https://www.youtube.com/watch?v=eelrJ0CmcSg

[2] https://www.youtube.com/watch?v=0–oXQWEmN4

[3] Gilles-William Goldnadel, Réflexions sur la question blanche : du racisme blanc au racisme anti-blanc, 2011, Éditions Jean-Claude Gawsewitch.

[4] https://x.com/LibreQg/status/1912838458910953597

Faure, comme la mort ?

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Jean-Luc Mélenchon et Olivier Faure, Paris, 16 octobre 2022 © ISA HARSIN/SIPA

Quelle grande victoire ! À 4h35 du matin, malgré les critiques nourries sur sa soumission humiliante à Jean-Luc Mélenchon, Olivier Faure a finalement annoncé sa réélection à la tête du Parti socialiste. Il s’impose avec seulement 50,9% contre Nicolas Mayer-Rossignol.


Ainsi, Olivier Faure, Premier secrétaire sortant du Parti socialiste, vient d’être réélu à ce poste à l’issue d’un vote des plus serrés. 50,9 % des voix contre 49,1% pour son adversaire, le maire de Rouen, Nicolas Mayer-Rossignol. Cela s’est donc fait dans un mouchoir de poche au sein d’un parti lui-même réduit à peau de chagrin. 39815 militants recensés et 24000 votants lors de cette consultation. Le pire du pire depuis le congrès d’Épinay, en 1971, lorsque François Mitterrand – qui n’était alors même pas adhérent encarté – est allé récupérer le parti dans le caniveau. Or, il semblerait que la situation ne se soit pas améliorée ces derniers temps sous la férule de son Premier secrétaire. Aussi, une question se pose. Est-ce son sauveur qui vient d’être reconduit à sa tête ? Ou est-ce son fossoyeur ? Certains, caustiques, se plairaient à ricaner que ce natif de la Tronche à bel et bien celle de l’emploi.

Une girouette

« De moins en moins de militants, constatait pour sa part le principal concurrent chez nos confrères de Franc-Tireur, peu de monde dans les assemblées générales, des médias indifférents à nos débats, un Premier secrétaire qui les refuse. » Et face à cet état des lieux consternant, Mayer-Rossignol s’empressait d’ajouter : « Je défends l’union sincère de la gauche, la vraie, celle qui ne ment pas et qui agit. »

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Autant dire que nous avons là l’essentiel du procès instruit contre le sortant reconduit. Procès en insincérité, d’abord. Il est vrai qu’on a du mal à s’y retrouver dans le girouettisme de convictions et de ligne stratégique suivi par Faure. On dirait du Mitterrand, mais sans l’inspiration florentine ni le talent du charmeur de serpent. Procès en inaction, ensuite, puisque l’opposant déclare espérer un parti qui agisse pour de bon. Procès en intégrité intellectuelle enfin, le même exprimant une espérance de vérité. C’est beaucoup et la mule Faure se retrouve de ce fait bien chargée.

Cela dit, la vérité selon M. Faure, elle viendra en son temps. Prévisible autant que cruelle. Il a beau déclarer aujourd’hui, juste pour se voir réélire, que « Mélenchon serait en 2027 le plus mauvais candidat pour la gauche », le moment venu il se fera une douce violence de retourner se prosterner à ses pieds et faire allégeance. Il en donne d’ailleurs dès à présent tous les signes. Quand LFI et son Pontife emploient dès les premiers jours le terme « génocide » pour qualifier la situation à Gaza, monsieur le Premier Secrétaire leur emboîte la pas. Quand les mêmes ont le front et la profonde bêtise d’accuser Bruno Retailleau d’instaurer en France « un racisme d’atmosphère », il fait immédiatement sienne cette accusation totalement irresponsable. La raison de ces soumissions à répétition est des plus simples. M. Faure n’a pas plus d’idées que n’en a encore son parti. Autrement dit, rien, nada, nibe, quedale, le vide. Et avec la réélection misérable et sans gloire de son Premier secrétaire, ce déjà fantomatique Parti socialiste vient sans doute de planter lui-même le dernier clou de son cercueil.

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Iago aux petits pieds

Mais là n’est pas l’affaire de M. Faure. Sa grande affaire à lui, c’est la gamelle, l’écharpe parlementaire. Lorsque, lui et son parti seront renvoyés dans leur but à l’issue des présidentielles, dont l’issue ne devrait guère être moins calamiteuse que la dernière fois, se la jouant perso, comme toujours, il ira une fois de plus lécher le gros orteil de M. Mélenchon afin de conserver sa rente de députaillerie de la 11ème circonscription de Seine-et-Marne. Un revirement de plus, une autre trahison de ce Iago aux petits pieds. Le dernier coup de marteau sur le clou sus-évoqué. Et le requiem du pauvre pour la seconde mort des Jaurès, des Blum. Et même d’un certain Mitterrand qui a dû bien rigoler en assistant à la mascarade des nains de jardins à la manœuvre, les Vallaud et consorts, si pathétiques dans le jeu pourtant fort prisé en son parti du « donne-moi la rhubarbe, je te passerai le séné ». On peut penser aussi qu’il aura moins rigolé en constatant que de l’écurie à politiques d’indéniable envergure qu’il avait si bien réussi à faire de son parti, il ne reste plus que la mangeoire. À peu près vide, de surcroît.

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La croisière s’amuse

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La Suédoise Greta Thunberg et la Française Rima Hassan, Catane, Italie, 1er juin 2025 © Salvatore Cavalli/AP/SIPA

À bord du voilier Madleen parti de Sicile dimanche, l’eurodéputée de La France insoumise Rima Hassan et l’activiste écologiste Greta Thunberg sont en route vers Gaza. Bien que leur initiative suscite des réactions contrastées, elles affirment mener une opération humanitaire… Tout le monde les trouve cependant un peu ridicules, et certains observateurs leur reprochent d’instrumentaliser politiquement le drame du conflit israélo-palestinien. L’armée israélienne, habituée à ces « flottilles de la liberté », a déclaré: «Nous avons acquis de l’expérience ces dernières années et nous agirons en conséquence.»


Que font les influenceuses quand elles sont positionnées sur un secteur en perte de vitesse, ou que leur image s’abîme ? Elles changent. L’investissement dans la vertu étant ce qui rapporte le plus de bons points médiatiques et la vertu se portant aujourd’hui en keffieh, Greta Thunberg (ex auto-entrepreneuse dans l’écologie accusatrice), Rima Hassan (égérie mariale du palestinisme), Thiago Avila (amoureux de l’idéologie de l’ex-leader du Hezbollah Hassan Nasrallah au point d’assister, défait, à ses obsèques) et quelques autres exaltés (Blast, Al-Jazeera…) sont partis en voilier « ouvrir un couloir humanitaire maritime vers Gaza ».

Spring Break

Bon, passons sur le fait que tout leur chargement représente un pourcentage dérisoire de ce que l’armée israélienne et américaine distribuent à Gaza, l’intention n’en reste pas moins louable. Le problème, c’est la réalisation.

Censée partir briser un « blocus » ayant causé un « génocide », les premières images de cette mission de la dernière chance ont causé quelque peu d’étonnement : larges sourires, poses minaudantes, baignades improvisées et petits dîners entre amis, nos vaillants héros voguant pour affronter d’affreux « génocidaires » ressemblaient à des étudiants américains en pleine décompensation du Spring Break. Plus jeunesse dorée sur un voilier que missionnaires habités par le devoir. Mais sans doute était-ce pour rendre plus attractif l’engagement politique ?

À ne pas manquer, notre nouveau numéro en vente: Causeur #135: A-t-on le droit de défendre Israël?

Justement, en parlant d’engagement politique, Rima Hassan n’a pas été avare sur l’étalage de son courage. Pensez-vous, elle va affronter à elle toute seule l’armée israélienne. Elle se tient donc « prête à mourir », menton levé, mâchoire serrée, regard ferme. Une icône. Mais ça c’était avant de croiser des drones, de tourner une vidéo en mode panique à bord, on va tous mourir, tweetant « nous nous préparons à une possible attaque, nous avons besoin de vous », pour reconnaitre finalement qu’ils avaient été observés par des drones de surveillance grecs après être entrés dans leurs eaux territoriales. Décidément, Mykonos c’est moins sympa qu’avant.

C’est peut-être un détail pour vous

Continuons donc avec « la croisière s’amuse ». C’est le problème classique, quand tu as une super idée, avec tes potes activistes bourrés à cinq heures du matin : « Eh, vas-y, si on allait en bateau sauver la Palestine ? », parfois si ça foire dans la réalisation, c’est que déjà au moment de la conception le cahier des charges était mal défini. Or le hic, avec les activistes palestiniens en Occident, c’est qu’ils font de la géographie et de la planification comme ils font de l’histoire : selon leurs fantasmes et non selon les faits. Donc en général, quand on veut ouvrir un couloir humanitaire maritime pour Gaza, il est bon d’avoir un port de départ. Encore mieux d’avoir aussi un port d’arrivée. Or, il n’y a pas de port à Gaza… Mais, ce doit être un détail. Sauf si tout cela n’est qu’une gigantesque opération à la fois de provocation et de communication. Est-ce-que cela va aider un seul Palestinien ? Poser la question c’est y répondre.

Enfin, cerise sur le strüdel, aux dernières nouvelles, l’élégant voilier de la « flottille de la liberté » aurait une histoire aussi trouble que la nature de son voyage actuel : son port d’attache est situé en Iran et les conditions de son affrètement interrogent. Pendant ce temps la croisière continue de s’amuser, espérons que cela ne finira pas à nos dépens.

Podcast: A-t-on de droit de défendre Israël? Frères musulmans, mission invisible

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Un passant touche le drapeau israélien scotché sur un plot près du tribunal de Boulder, Colorado, au lendemain de l'attentat au cocktail Molotov commis contre un groupe de manifestants qui voulaient attirer l'attention publique sur le sort des otages israéliens à Gaza, le 2 juin 2025. David Zalubowski/AP/SIPA

Avec Martin Pimentel, Jean-Baptiste Roques et Jeremy Stubbs.


Notre numéro du mois de juin présente un grand dossier sous le titre, « A-t-on le droit de défendre Israël? » avec les contributions de Georges Bensoussan, Noémie Halioua, Vincent Hervouët, Gil Mihaely, Denis Olivennes et Philippe Val. Dans l’état actuel du débat, il est difficile de faire entendre des voix autres que celles qui dénoncent d’emblée l’État juif. Ceux qui critiquent Israël ne font pas de distinction entre les choix politiques de Benyamin Netanyahou, l’opinion publique israélienne et les Juifs en général. Comme l’a dit Elisabeth Lévy, « Israël est devenu l’autre nom du mal ».

Le dimanche 1er juin, dans la ville américaine de Boulder, au Colorado, un petit groupe de manifestants qui cherchaient à attirer l’attention générale sur le sort des otages israéliens à Gaza a subi une agression au lance-flammes et au cocktail Molotov par un Égyptien qui voulait « tuer tous les sionistes ». Le matraquage médiatique contre Israël finit inévitablement par attiser haines et désirs de vengeance.

Frères musulmans, mission invisible: notre nouveau numéro comprend un mini-dossier qui fait suite à la publication du rapport Gouyette-Courtade sur l’entrisme des Frères en France. Chercheurs universitaires et élus locaux subissent la pression des lobbys islamo-gauchistes sur le terrain. L’exemple du Royaume Uni, dont des gouvernements successifs ont tenté de combattre l’influence de l’islamisme non-violent, montre que nos institutions étatiques, hiérarchisées et centralisées, ont du mal à lutter efficacement contre des réseaux décentralisés et agiles, unis plus par une convergence idéologique que par une alliance formelle.

Laissez-nous travailler, qu’ils disent…

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Paris, 31 mai 2025 © Thomas Padilla/AP/SIPA

La magistrature fait trop dans le social, peste notre chroniqueur


Les réactions du Premier ministre et du garde des Sceaux sur les peines légères, pour ne pas dire ridicules, prononcées à la suite des violences, vols, incendies et dégradations perpétrés depuis le 31 mai au soir sont tout à fait compréhensibles.

Barbares

En réponse, avec une totale déconnexion par rapport à cette dénonciation politique et au sentiment populaire dominant, la procureure de Paris et le procureur général près la Cour de cassation ont d’une certaine manière cherché à théoriser cette mansuétude judiciaire en développant une argumentation provocatrice dans le contexte de ces événements commis en effet par des « barbares ».

En ce qui concerne Rémy Heitz, personnalité estimable mais limitée par une conception de l’obligation de réserve substituant à l’audace nécessaire une prudente tiédeur, on peut regretter cet appel à la « sérénité », ce conseil de « laisser les magistrats travailler » et cette réflexion maladroite sur l’écart entre les images des exactions, sans la moindre équivoque pourtant, et leur représentation judiciaire. Même si, sur ce plan, il était évident qu’on ne pouvait juger les infractions accomplies sans tenir compte de la personnalité de leurs auteurs.

L’alternative était claire pour les magistrats en charge de ces affaires traitées en comparution immédiate. On appliquait des peines avec sursis et des amendes, sans même ces colifichets genre stages de citoyenneté, à des prévenus pour beaucoup jamais condamnés auparavant et se défendant avec la même tonalité fuyante et irresponsable. Ou alors on considérait – ce qui aurait été mon point de vue – qu’ils avaient participé, chacun à leur niveau, à une explosion collective de vols, violences et saccages et on les sanctionnait en conséquence au-delà même des réquisitions du parquet.

Toujours au sujet de ce deuxième magistrat de France, quel regret, hier, qu’il n’ait pas osé interjeter appel de la relaxe de l’ancien garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti devant la Cour de justice de la République. Et que François Molins et lui-même se soient laissé traîner dans la boue ces dernières semaines sans réagir dans le spectacle du même. Seul Patrice Amar également ciblé, assisté par Me François Saint-Pierre, n’ayant pas tendu l’autre joue !

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Les polémiques de ces derniers jours, qui ont trouvé un écho médiatique fort sur le plateau de Pascal Praud (CNews), m’ont fait réfléchir sur une donnée qu’on oublie trop souvent – moi le premier – pour expliquer les discordances judiciaires entre la sévérité qu’on attendrait et la faiblesse de certains jugements.

Malgré la catastrophe qu’a représentée le Mur des cons et ses effets collectifs délétères sur l’image de la magistrature, malgré le détournement constant d’un syndicalisme purement professionnel opéré par le Syndicat de la magistrature, en dépit d’une impression ressentie et exprimée par beaucoup, je ne suis pas sûr que la politisation tellement invoquée des juges (malgré quelques exemples qui ont frappé l’opinion) soit la cause principale d’aberrations pénales qu’on peut résumer par le terme de laxisme.

Toujours la faute à la société

Sans doute, malgré la fierté dont je ne cesse de rappeler l’obligation à l’égard de ce magnifique métier de magistrat – « raccommodant les destinées humaines » -, ai-je trop négligé un phénomène qui relève d’une sorte de perception d’un déclassement social, similaire d’ailleurs à celle d’un grand nombre d’avocats, qui ne permet plus aux juges de se poser en surplomb, en arbitres impartiaux, au-dessus de la mêlée sociale, des inégalités et des injustices de notre pays. Mais au contraire de s’y trouver impliqués, de sorte qu’ils comprennent trop bien des argumentations vicieuses tenant à la prétendue culpabilité de la société. Tout cela ayant pour conséquence une miséricorde judiciaire au bénéfice d’individus exonérés de tout.

S’il n’y avait pas cette intégration, à la pratique pénale, d’une solidarité à l’égard de tous ceux plaidant peu ou prou la responsabilité sociale, ajoutée à la conscience qu’ont beaucoup de magistrats de leur chute dans la considération publique, je suis persuadé qu’on n’affronterait pas régulièrement ces chocs résultant de décisions choquantes, désaccordées d’avec une intelligente rigueur souhaitée par une majorité de nos concitoyens.

Je vois dans ces dérives une sorte de lutte des classes au sens banal. Elle rend une part de la magistrature, de bas en haut et bien au-delà du syndicalisme partisan, trop sensible à des propos, à des discours et à des apologies évacuant la responsabilité individuelle au bénéfice d’un confusionnisme social. Alors que le judiciaire est du singulier, on le noie dans un pluriel qui aboutit, par exemple, à certains des jugements erratiques de la période suivant le 31 mai. Notamment je songe à un éducateur spécialisé impliqué dans ces transgressions et qui probablement retrouvera cette fonction pour laquelle à l’évidence il était si peu fait !

Au lieu d’opposer à ces dénaturations de la justice pénale une fermeté et un courage qui seraient validés sans le moindre doute, la haute hiérarchie judiciaire préfère se couler dans le lit d’un vague et mou soutien à l’élargissement du hiatus entre le citoyen et le magistrat. Il y a quelque chose de suicidaire dans cette entreprise qui fait perdre sur tous les tableaux : l’honneur de soi, la confiance du peuple.

Les Frères sous le tapis

Emmanuel Macron, Gérald Darmanin, Bruno Retailleau et Amélie de Montchalin en visite à l’État-major de lutte contre le crime organisé à Nanterre, 14 mai 2025 © Christian Liewig-POOL/SIPA

Présenté au président de la République, le rapport Gouyette-Courtade fait le point sur l’activisme des Frères musulmans en France. Il décrit des réseaux solides, des stratégies masquées et des menaces réelles. Bien entendu, les médias et la gauche dénoncent l’islamophobie, la stigmatisation et l’amalgame. Pour eux, le problème n’est pas l’islam séparatiste mais la droite Retailleau.


On connaît le scénario. De nouvelles informations sur la contagion islamiste en France apparaissent dans le débat public. Tous ceux qui, depuis des années, sonnent l’alarme sont soulagés : cette fois, personne ne pourra plus nier. Et puis non, caramba, encore raté, on peut toujours. Après un temps variable de sidération, le camp du Bien repart au combat contre le réel. Avec la même rengaine accusatoire : islamophobie, stigmatiation, fantasme, amalgame et maintenant, instrumentalisation, autant de signifiants dont la ronde affoléevise à faire oublier le référent dans la pièce.

Experts en effacement

La parution du rapport Gouyette-Courtade sur les agissements des Frères musulmans en France (qualifiés par les auteurs de « menace pernicieuse et progressive » pour la cohésion nationale) n’a pas dérogé aux habitudes. À peine est-il dévoilé que, du Monde à France Inter, de LFI à Lyon 2, on brode sur les mêmes éléments de langage pour interdire la seule question qui devrait valoir : est-ce que tout cela est vrai ? Quelle est l’ampleur de la menace ? On convoque les experts en effacement, les spécialistes en euphémisation et les savants en excuses sociologisantes. « Il n’y a pas d’agenda caché pour instaurer un califat en Europe », tranche le chercheur Franck Frégosi, sur qui se sont précipités France Inter, France Info, Libération, Mediapart et La Vie.

Car voyez-vous, le problème de notre pays, ce n’est pas l’islam séparatiste qui séduit tant de jeunes Français, c’est Bruno Retailleau. Le Monde redoute une « surenchère politique », qui permettrait au ministre de l’Intérieur de mettre en « majesté sa riposte » et de « conforter les réflexes conditionnés de la droite qui tend à présenter chaque personne issue de l’immigration comme un islamiste en puissance ». Tout ce qu’ont trouvé les propagandistes du vivre-ensemble, c’est que le nouveau président de LR s’en prend à tous les musulmans parce qu’il veut faire président tout court. Sauf que c’est le contraire : si Retailleau apparaît comme un candidat très sérieux, c’est parce que beaucoup de Français attendent avec inquiétude que le pouvoir s’attaque frontalement à un phénomène qui met en jeu l’avenir du pays.

Colère calculée

Même Emmanuel Macron est soupçonné de couvrir un complot islamophobe au motif qu’il a inscrit le rapport à l’ordre du jour du dernier Conseil de défense et de sécurité nationale (CDSN), comité très sélect – seuls les locataires de Matignon, Beauvau, Brienne et du Quai d’Orsay sont conviés – qui se tient dans la plus grande confidentialité du PC Jupiter, abri antiatomique situé sous l’Élysée. Les visées idéologiques de groupes radicalement opposés à nos mœurs relèvent clairement de la sécurité nationale, donc on voit mal où est le scandale de cette réunion.

L’ennui, c’est que si le chef de l’État a tenu à garder la main, ce n’est sans doute pas pour être sûr que la riposte sera d’une fermeté sans faille, mais plutôt pour garantir qu’elle sera gentillette de façon à n’offusquer personne. Ainsi, d’après Beauvau, c’est l’Élysée qui aurait inspiré les quelques mesures faiblardes recommandées dans le document, toutes déjà possibles en l’état (surveillance des réseaux islamistes, fermeture des mosquées intégristes, expulsions des imams radicaux). Quant au président, après sa colère très calculée lors du CDSN, il aurait exigé des mesures contre les discriminations et… la reconnaissance de l’État de Palestine. On ne voit pas le rapport. Lui, si. C’est bien le problème.

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Du côté des lanceurs d’alertes et dans la « réacosphère » (qui, pour un francintérien, commence au Point), beaucoup ont accueilli le rapport sur le mode désabusé – on savait déjà tout ça. Peut-être connaissait-on la logique générale, mais il fourmille de données sur les réseaux, les mécanismes, les institutions qui permettent au frérisme d’avancer. Le problème, comme toujours, c’est ce qu’il ne dit pas. D’abord, il se cantonne à la sphère des Frères musulmans alors que, comme en Angleterre, ceux-ci ont noué des alliances avec des islamistes de diverses obédiences (salafisme, wahhabisme, chiisme, tabligh).

Ensuite, s’il s’efforce de recenser les influenceurs, il se garde de mesurer l’influence, c’est-à-dire l’emprise exercée sur les esprits musulmans, notamment ceux des jeunes biberonnés à TikTok, ce réseau social dont l’algorithme, friand de contenus débiles, vous place en quelques clics face à un prêche fondamentaliste alors que vous aviez simplement tapé « islam ».

Fiction rassurante

Même Retailleau continue largement à vivre avec la fiction rassurante d’une frontière claire entre une petite minorité de fanatiques islamistes et une immense majorité de musulmans républicains. Dans la vraie vie, il y a un continuum, une adhésion plus ou moins forte selon les individus et les circonstances. Le gamin qui refuse de se doucher avec ses camarades après l’entraînement : musulman ou islamiste ? Celui qui trouve que les Charlie devraient être punis par la loi pour avoir insulté le Prophète ? Celui qui se dit que l’interdiction des signes religieux à l’école de la République est la preuve de l’existence d’une islamophobie d’État ? Avec ses insuffisances et son absence de révélations fracassantes, ce rapport a le mérite d’exister et surtout, d’avoir été commandé par le gouvernement – en l’occurrence par Gabriel Attal et Gérald Darmanin. Risquant une métaphore psychanalytique, Philippe Val se réjouit que le gouvernement verbalise enfin son mal. C’est, paraît-il, le début de la guérison. Pour avoir été souvent échaudé, on hésite à partager son optimisme.

Certes, on peut espérer que le duo Retailleau/Darmanin fera tout ce qui peut être fait par la loi et par la force – dissolutions, expulsions, poursuites… Mais on ne détruit pas les mauvaises idées par la force. À l’exception de propos louables et oiseux sur le rétablissement de l’autorité et la promotion de la culture française, personne ne sait comment gagner la bataille pour les cerveaux musulmans. Surtout qu’on peut compter sur le chœur des vierges islamo-progressistes pour s’opposer frénétiquement à ce qu’on puisse la mener.

Le crépuscule des nations: Israël, la France et l’effacement des identités

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Manifestation pour la Palestine à Gand, Belgique, 24 mai 2025 © Shutterstock/SIPA

Israël n’est pas seulement au cœur d’un conflit territorial: il incarne une frontière civilisationnelle entre deux visions du monde. Derrière le conflit israélo-palestinien se profile un affrontement plus large, entre le globalisme – qui dissout les identités – et l’enracinement – qui défend les nations, les mémoires, les singularités. Ce combat, trop souvent masqué, concerne autant l’Europe que le Proche-Orient.


Il faut le dire sans détour, sans cet artifice des âmes tièdes qui veulent encore croire à des accommodements : le Hamas ne veut pas de la solution à deux États. Il ne la veut pas, il ne la peut pas, car son horizon n’est pas celui des nations, pas même celui des peuples, mais celui d’un univers soumis à la seule loi d’Allah. À l’extrême rigueur, il l’accepterait comme une ruse, un délai, une pause stratégique : une étape avant de rayer l’État juif de la carte, avant de dissoudre cette anomalie qu’est Israël dans le grand bain d’un Moyen-Orient musulman de toute éternité. Pour lui, pour l’islamisme, Israël ne saurait être une nation souveraine, juive de surcroît, mais tout au plus un territoire, un espace, une portion de terre où les juifs vivraient en dhimmis, sous le joug discret mais implacable de la charia, tolérés comme on tolère l’ombre du passé sur les ruines du présent.

Sociétés fatiguées

Ce qui se joue là, et que l’on ne veut pas voir – car l’aveuglement, aujourd’hui, est le luxe suprême des sociétés fatiguées –, c’est que cette logique n’est pas circonscrite au conflit israélo-palestinien. Elle travaille aussi, souterrainement, l’Europe, la France, ces vieilles nations qui s’acharnent à nier leur propre chair, leur propre mémoire, leur propre être. Pour l’extrême gauche, pour la gauche qui se laisse entraîner par elle dans un vertige dont elle ne comprend ni l’origine ni le prix, comme pour l’islamisme, les nations sont des fictions à dissoudre, des entraves à l’avènement d’un ordre supérieur : celui de l’oumma pour les uns, celui du marché planétaire pour les autres, celui de l’humanité universelle pour les troisièmes. Et c’est pourquoi l’on comprend aussi pourquoi ces courants si différents en apparence – islamistes, capitalistes, révolutionnaires – se retrouvent paradoxalement à défendre, d’une manière ou d’une autre, une immigration de masse, notamment en provenance de pays majoritairement musulmans : car ce flot humain, en noyant les identités historiques sous une vague démographique, contribue puissamment à dissoudre les repères, à effacer les singularités nationales, à rendre les peuples plus malléables, plus abstraits, plus interchangeables.

Ainsi, ce qu’on veut effacer, ce n’est pas seulement l’État juif ; c’est l’idée même d’État-nation. Le Hamas ne veut pas d’un État juif, il veut bien, peut-être, d’un État d’Israël vidé de sa substance juive, comme l’islamisme peut bien tolérer une République française à condition qu’elle ne soit plus la France des Français, mais un espace abstrait, ouvert, disponible pour le déploiement de l’islam. Car pour l’islamisme, comme pour les idéologues de la globalisation, la nation n’a pas de sens : ce qui compte, c’est l’unité du monde, l’unification sous une loi, fût-elle marchande ou divine, mais toujours hostile aux singularités historiques, aux héritages, aux frontières.

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Et l’on ne voit pas – et c’est peut-être cela, la tragédie de notre temps, cette incapacité à percevoir les lignes profondes qui structurent les événements – que la France et Israël sont, en vérité, affrontés à un même péril : celui de leur effacement. Effacement sous la poussée islamiste, qui rêve d’un monde où les autres religions seraient soumises ; effacement sous la poussée de la marchandisation, qui rêve d’un monde où tout serait interchangeable, marchandisable, dissolu dans les flux ; effacement sous la poussée d’une gauche encore hantée par les relents du communisme, qui rêve d’un monde où les hommes seraient réduits à leur simple humanité abstraite, sans histoire, sans mémoire, sans identité.

C’est ton destin

Dans cette conjonction inattendue – islamisme, marché, idéologie universaliste – se joue une bataille qui n’est pas seulement politique, mais métaphysique : celle de l’existence des nations. Être une nation, c’est dire non à l’uniformité, non à la dissolution, non à la réduction des êtres humains à de simples unités de désir ou de foi. C’est affirmer une différence, une singularité, une mémoire incarnée dans des lieux, des langues, des rites, des morts. Israël, comme la France, comme l’Europe, se trouve à la croisée des chemins : ou bien elle persiste à exister comme nation, au prix d’un combat douloureux, solitaire, presque désespéré ; ou bien elle consent à disparaître, à se fondre dans le grand magma planétaire, à n’être plus qu’un espace sans épaisseur, sans mémoire, sans visage.

Ce combat, on le mène souvent sans le savoir, ou en croyant qu’il s’agit seulement de cohabitation, de justice sociale, de redistribution économique. Mais il s’agit, en vérité, d’un combat ontologique : il s’agit de savoir si nous voulons continuer à exister comme peuples, comme nations, ou si nous acceptons de n’être plus que des individus sans attaches, soumis aux lois de l’économie, de l’idéologie, ou de la religion totalitaire.

Voilà pourquoi la France et Israël sont liés par un destin commun, que nul ne veut voir. Voilà pourquoi il faut parler, écrire, nommer, contre le flot amnésique du monde contemporain. Voilà pourquoi il faut, peut-être, retrouver cette mélancolie tragique qui fut toujours le propre des civilisations vieillissantes mais lucides.

Il y a, dans cette affaire, une immense fatigue. Fatigue des nations, qui ne savent plus porter le poids de leur histoire ; fatigue des hommes, qui ne croient plus à leur singularité ; fatigue des élites, qui rêvent d’effacer les aspérités pour se fondre dans une humanité sans épaisseur. La France est comme cette vieille demeure que l’on abandonne aux vents, à la pluie, au lierre, et dont on contemple la lente décrépitude avec une fascination morbide, sans trouver en soi l’énergie de la réparer. Israël, quant à lui, connaît une autre réalité : une partie de ses élites rêve parfois d’abandon, mais le cœur du pays résiste encore — porté par une jeunesse ardente, patriote, prête à défendre sa survie. Si certaines zones d’Israël commencent à ressembler à l’épuisement français, le reste du pays, lui, reste en état d’alerte, tendu, debout, face à la menace.

Triple rejet

Car réparer, c’est toujours se souvenir. Réparer, c’est dire : nous avons existé, nous avons un passé, nous avons des morts, des guerres, des larmes, des chants. Réparer, c’est refuser l’oubli dans lequel nous pousse l’époque. Mais l’époque ne veut plus de ce passé. Elle n’en veut plus car il gêne, il embarrasse, il limite. Le passé, pour l’idéologie marchande, est un poids mort ; pour l’idéologie islamiste, il est une impureté ; pour l’idéologie de gauche, il est une faute. Et dans ce triple rejet, il y a une forme d’alliance, une coalition inattendue mais redoutable.

Israël, en tant qu’État juif, incarne le scandale du particulier : une identité historique, religieuse, culturelle, irréductible à l’universalisme abstrait. La France, malgré toutes ses trahisons, toutes ses abdications, reste, aux yeux du monde, une vieille nation façonnée par des siècles de guerres, de littérature, de catholicisme, de révolutions, de fidélité à soi-même. Or, ce sont précisément ces singularités-là qu’il faut abattre.

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Car le monde qui vient – le monde que veulent les islamistes, les marchands, les idéologues – est un monde sans nations. Un monde de flux : flux de capitaux, flux de marchandises, flux de croyants, flux d’êtres humains réduits à leur fonction économique ou religieuse. Ce que l’on appelle, souvent sans le comprendre, le globalisme, n’est qu’un nom poli pour désigner cette guerre souterraine contre les enracinements. Et l’islamisme, en ce sens, n’est pas l’ennemi du marché ; il en est l’allié paradoxal. Car tous deux veulent effacer les frontières, tous deux veulent un monde unifié, tous deux veulent abolir l’idée même de nation.

Voilà pourquoi il est vain d’opposer naïvement l’un à l’autre. Voilà pourquoi il est illusoire de croire qu’on pourra résoudre le conflit israélo-palestinien, ou la question de l’immigration en Europe, par de simples ajustements politiques, par des compromis, par des arrangements techniques. Car il s’agit d’un combat plus profond : celui de la survie des identités.

Et c’est ici que vient le plus tragique : il est possible que ce combat soit déjà perdu. Non pas par la force des armes, mais par la lassitude intérieure. Car les nations ne sont pas d’abord abattues de l’extérieur ; elles meurent de l’intérieur, par épuisement, par dégoût de soi, par incapacité à se transmettre, à se désirer encore. Regardez la France : elle n’enseigne plus son histoire ; elle n’ose plus dire ce qu’elle est ; elle s’excuse d’exister. Regardez Israël : il vacille entre le besoin de se défendre et la culpabilité de le faire, entre la volonté de survivre et la hantise d’être jugé.

On dit parfois : il faut défendre l’Occident. Mais l’Occident existe-t-il encore ? Est-ce autre chose qu’un souvenir, qu’un mirage, qu’un mot creux ? On dit : il faut sauver les nations. Mais les nations veulent-elles encore être sauvées ? Ont-elles encore en elles le désir de durer, cette obstination, ce sang, cette fidélité, cette mélancolie active qui fut jadis leur force ? Ou bien ont-elles déjà consenti, en silence, à se dissoudre, à s’effacer, à devenir des espaces neutres, des lieux sans mémoire, des zones franches pour le commerce et pour la foi ?

Je ne sais pas. Ou plutôt, je le sais trop bien : il est des moments où les civilisations, comme les hommes, choisissent la mort sans le dire. Elles s’affaissent doucement, avec une lassitude infinie, avec cette nostalgie sans objet qui précède la chute. Peut-être est-ce cela que nous vivons. Peut-être est-ce cela, le cœur battant de notre temps : le crépuscule des nations.