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Les Frères sous le tapis

Notre numéro de juin revient sur le fameux rapport Gouyette-Courtade


Les Frères sous le tapis
Emmanuel Macron, Gérald Darmanin, Bruno Retailleau et Amélie de Montchalin en visite à l’État-major de lutte contre le crime organisé à Nanterre, 14 mai 2025 © Christian Liewig-POOL/SIPA

Présenté au président de la République, le rapport Gouyette-Courtade fait le point sur l’activisme des Frères musulmans en France. Il décrit des réseaux solides, des stratégies masquées et des menaces réelles. Bien entendu, les médias et la gauche dénoncent l’islamophobie, la stigmatisation et l’amalgame. Pour eux, le problème n’est pas l’islam séparatiste mais la droite Retailleau.


On connaît le scénario. De nouvelles informations sur la contagion islamiste en France apparaissent dans le débat public. Tous ceux qui, depuis des années, sonnent l’alarme sont soulagés : cette fois, personne ne pourra plus nier. Et puis non, caramba, encore raté, on peut toujours. Après un temps variable de sidération, le camp du Bien repart au combat contre le réel. Avec la même rengaine accusatoire : islamophobie, stigmatiation, fantasme, amalgame et maintenant, instrumentalisation, autant de signifiants dont la ronde affoléevise à faire oublier le référent dans la pièce.

Experts en effacement

La parution du rapport Gouyette-Courtade sur les agissements des Frères musulmans en France (qualifiés par les auteurs de « menace pernicieuse et progressive » pour la cohésion nationale) n’a pas dérogé aux habitudes. À peine est-il dévoilé que, du Monde à France Inter, de LFI à Lyon 2, on brode sur les mêmes éléments de langage pour interdire la seule question qui devrait valoir : est-ce que tout cela est vrai ? Quelle est l’ampleur de la menace ? On convoque les experts en effacement, les spécialistes en euphémisation et les savants en excuses sociologisantes. « Il n’y a pas d’agenda caché pour instaurer un califat en Europe », tranche le chercheur Franck Frégosi, sur qui se sont précipités France Inter, France Info, Libération, Mediapart et La Vie.

Car voyez-vous, le problème de notre pays, ce n’est pas l’islam séparatiste qui séduit tant de jeunes Français, c’est Bruno Retailleau. Le Monde redoute une « surenchère politique », qui permettrait au ministre de l’Intérieur de mettre en « majesté sa riposte » et de « conforter les réflexes conditionnés de la droite qui tend à présenter chaque personne issue de l’immigration comme un islamiste en puissance ». Tout ce qu’ont trouvé les propagandistes du vivre-ensemble, c’est que le nouveau président de LR s’en prend à tous les musulmans parce qu’il veut faire président tout court. Sauf que c’est le contraire : si Retailleau apparaît comme un candidat très sérieux, c’est parce que beaucoup de Français attendent avec inquiétude que le pouvoir s’attaque frontalement à un phénomène qui met en jeu l’avenir du pays.

Colère calculée

Même Emmanuel Macron est soupçonné de couvrir un complot islamophobe au motif qu’il a inscrit le rapport à l’ordre du jour du dernier Conseil de défense et de sécurité nationale (CDSN), comité très sélect – seuls les locataires de Matignon, Beauvau, Brienne et du Quai d’Orsay sont conviés – qui se tient dans la plus grande confidentialité du PC Jupiter, abri antiatomique situé sous l’Élysée. Les visées idéologiques de groupes radicalement opposés à nos mœurs relèvent clairement de la sécurité nationale, donc on voit mal où est le scandale de cette réunion.

L’ennui, c’est que si le chef de l’État a tenu à garder la main, ce n’est sans doute pas pour être sûr que la riposte sera d’une fermeté sans faille, mais plutôt pour garantir qu’elle sera gentillette de façon à n’offusquer personne. Ainsi, d’après Beauvau, c’est l’Élysée qui aurait inspiré les quelques mesures faiblardes recommandées dans le document, toutes déjà possibles en l’état (surveillance des réseaux islamistes, fermeture des mosquées intégristes, expulsions des imams radicaux). Quant au président, après sa colère très calculée lors du CDSN, il aurait exigé des mesures contre les discriminations et… la reconnaissance de l’État de Palestine. On ne voit pas le rapport. Lui, si. C’est bien le problème.

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Du côté des lanceurs d’alertes et dans la « réacosphère » (qui, pour un francintérien, commence au Point), beaucoup ont accueilli le rapport sur le mode désabusé – on savait déjà tout ça. Peut-être connaissait-on la logique générale, mais il fourmille de données sur les réseaux, les mécanismes, les institutions qui permettent au frérisme d’avancer. Le problème, comme toujours, c’est ce qu’il ne dit pas. D’abord, il se cantonne à la sphère des Frères musulmans alors que, comme en Angleterre, ceux-ci ont noué des alliances avec des islamistes de diverses obédiences (salafisme, wahhabisme, chiisme, tabligh).

Ensuite, s’il s’efforce de recenser les influenceurs, il se garde de mesurer l’influence, c’est-à-dire l’emprise exercée sur les esprits musulmans, notamment ceux des jeunes biberonnés à TikTok, ce réseau social dont l’algorithme, friand de contenus débiles, vous place en quelques clics face à un prêche fondamentaliste alors que vous aviez simplement tapé « islam ».

Fiction rassurante

Même Retailleau continue largement à vivre avec la fiction rassurante d’une frontière claire entre une petite minorité de fanatiques islamistes et une immense majorité de musulmans républicains. Dans la vraie vie, il y a un continuum, une adhésion plus ou moins forte selon les individus et les circonstances. Le gamin qui refuse de se doucher avec ses camarades après l’entraînement : musulman ou islamiste ? Celui qui trouve que les Charlie devraient être punis par la loi pour avoir insulté le Prophète ? Celui qui se dit que l’interdiction des signes religieux à l’école de la République est la preuve de l’existence d’une islamophobie d’État ? Avec ses insuffisances et son absence de révélations fracassantes, ce rapport a le mérite d’exister et surtout, d’avoir été commandé par le gouvernement – en l’occurrence par Gabriel Attal et Gérald Darmanin. Risquant une métaphore psychanalytique, Philippe Val se réjouit que le gouvernement verbalise enfin son mal. C’est, paraît-il, le début de la guérison. Pour avoir été souvent échaudé, on hésite à partager son optimisme.

Certes, on peut espérer que le duo Retailleau/Darmanin fera tout ce qui peut être fait par la loi et par la force – dissolutions, expulsions, poursuites… Mais on ne détruit pas les mauvaises idées par la force. À l’exception de propos louables et oiseux sur le rétablissement de l’autorité et la promotion de la culture française, personne ne sait comment gagner la bataille pour les cerveaux musulmans. Surtout qu’on peut compter sur le chœur des vierges islamo-progressistes pour s’opposer frénétiquement à ce qu’on puisse la mener.

Juin 2025 – #135

Article extrait du Magazine Causeur




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Elisabeth Lévy est directrice de la rédaction de Causeur. Jean-Baptiste Roques est directeur adjoint de la rédaction.

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