La voix royale… La petite tornade cannoise passée, le cinéma reprend le chemin des salles obscures avec un Denis Podalydès en majesté
Sur le papier, on pouvait craindre le pire de la comédie française écrite par-dessus la jambe. Ne serait-ce qu’en lisant le synopsis, cette quatrième de couverture cinématographique : « Baptiste, un imitateur de talent, ne parvient pas à vivre de son art. Un jour, il est approché par Pierre Chozène, romancier célèbre mais discret, constamment dérangé par les appels incessants de son éditeur, sa fille, son ex-femme… Pierre, qui a besoin de calme pour écrire son texte le plus ambitieux, propose alors à Baptiste de devenir son “répondeur”, en se faisant tout simplement passer pour lui au téléphone. Peu à peu, celui-ci ne se contente pas d’imiter l’écrivain : il développe son personnage. » À cette seule lecture, on se dit que le générique devrait d’abord créditer Edmond Rostand et son tandem Cyrano-Christian. Mais, comme d’habitude, tout réside dans la façon dont on s’empare d’une bonne idée, comment on l’adapte, comment on la travaille. Bref, comment on fait oublier le plagiat initial pour parvenir à une vraie situation originale. Et c’est assurément ce qui se passe ici : en adaptant Le Répondeur,livre de Luc Blanvillain, la réalisatrice Fabienne Godet et sa scénariste Claire Barré ont réussi le double examen de passage : faire oublier Rostand, tout en laissant le roman adapté vivre sa vie littéraire. Autrement dit, le film existe par lui-même, avec son univers autonome et sa capacité à nous faire sourire régulièrement.

Les précédents films de Fabienne Godet plaidaient plutôt en sa faveur, même si on peine jusqu’ici à trouver un fil directeur. Ses cinq longs métrages oscillent entre un film sur l’entreprise et ses démons (Sauf le respect que je vous dois), un portrait du braqueur Michel Vaujour (Ne me libérez pas, je m’en charge), une comédie dramatique avec Benoît Poelvoorde (Une place sur la Terre), un film « choral » sur la résilience (Nos vies formidables) et, beaucoup moins réussi, un road-movie existentiel (Si demain). En arpentant avec Le Répondeur le terrain de la comédie, elle prouve une fois de plus son éclectisme. Tant pis pour l’idée de film d’auteur mais, dans le cas présent, tant mieux dans la mesure où les comédies françaises brillent plus par leur médiocrité d’écriture et de réalisation que par leur inspiration. Ce qui fédère peut-être la courte filmographie de cette cinéaste sexagénaire, c’est un amour manifeste des acteurs poids lourds dans leur catégorie : Olivier Gourmet et Benoît Poelvoorde notamment. Ici, c’est le toujours étonnant Denis Podalydès qui s’y colle, avec un allant incontestable. Il est plus que parfait en romancier à succès constamment remis à sa place par le catastrophique jugement paternel. À la fois très lâche et très courageux, il navigue entre la tentation du désert et le confort de la reconnaissance. Il pourrait évidemment jeter aux orties son téléphone portable et rompre toutes relations sociales. Comme le fait, soit dit en passant, Rodolphe Martin, le héros du nouveau et délicieux roman de Patrice Leconte, La Tentation du lac (Arthaud). Mais non, Pierre Chozène choisit, lui, la voie particulièrement tordue de la voix d’autrui… Et, comme il se doit, l’imitateur voudra devenir l’imité, ou du moins prendre les commandes de sa vie puisqu’il y est en quelque sorte autorisé. Salif Cissé incarne avec brio ce Baptiste chargé de répondre au téléphone d’un autre. Et, il faut le dire, ce duo de comédiens fonctionne à merveille – Podalydès retrouvant les vieilles mais efficaces ficelles d’un répertoire classique qu’il connaît par cœur. On se laisse alors entraîner avec plaisir dans cette comédie assurément sans prétention. Il va de soi que c’est la voix de Podalydès que l’on entend durant tout le film, même quand elle est portée par Salif Cissé. Ce « doublage » permanent crée un décalage savoureux qui contribue à la réussite de l’ensemble. Comme une célébration de la voix de l’acteur, au-delà du corps et de l’apparence : c’est la voix qui fait spectacle d’abord et avant tout.
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