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Le livre, produit essentiel de l’année 2020

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Entre confinement et déconfinement, ouverture et fermeture des librairies, le livre a résisté au virus! Thomas Morales dresse le bilan littéraire de l’année passée.


Outre sa valeur refuge, le livre aura eu d’insoupçonnées vertus pacificatrices sur un secteur hautement concurrentiel. D’habitude, ces gens-là se détestent entre eux. Et pourtant, ils auront fait bloc durant toute l’année 2020. La littérature est un sport de combat féroce où chacun tient à ses positions idéologiques, son pas de porte, son catalogue, son comité de lecture, son diffuseur, sa clientèle et sa mise en place. 

L’éditeur vise un succès annuel qui assurerait la survie de sa boutique. Les jurys, ces joueurs autorisés de bonneteau, font et défont des carrières au gré du vent et du champagne tiède.

Écosystème précaire

Les critiques pestent contre le niveau général d’écriture depuis la réforme du collège unique. Les libraires en ont assez de porter des cartons, considérant la surproduction comme un fléau national. Et puis, rouage essentiel et dernier échelon de cette pyramide bancale, l’auteur se demande comment il va finir le mois. La caractéristique principale de cet écosystème précaire réside dans sa totale irrationalité. À vrai dire, c’est la dinguerie de ce métier qui amuse, captive, séduit et fait que nous sommes un certain nombre à y avoir succombé. « Irrité par ce monde, et comme échappé de lui, je préfère le monde littéraire un peu démuni qui en est mitoyen, où le hasard, la rencontre privée et la tertulia, réunissant des types atrabilaires et dévergondés, compensent et purifient de la cohabitation avec la conventionnelle et doctorale hypocrisie où s’alimente la pédanterie ambiante » écrivait Ramón Gómez de la Serna (Automoribundia/Quai Voltaire).

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Il y a dans ce milieu et nulle par ailleurs, malgré les concentrations capitalistiques à la manœuvre, une hétérogénéité de situations et de luttes fratricides. Des intérêts que l’on pensait jusqu’à très récemment contradictoires, voire irréconciliables. Comment comparer en effet, le groupe de communication qui achète et vend des maisons sur les marchés mondiaux à l’éditeur qui publie seul, trois livres par an, à la lueur de ses envies, dans son modeste atelier d’artisan ? Comment mettre sur le même plan, l’auteur de best-sellers choyé par les télés et poursuivi par les producteurs de ciné, et l’humble poète penché sur son écritoire qui, pour un vers réussi, à la métronomique ensorceleuse, se passera d’un repas ? 

Comment faire cohabiter dans un même lieu clos, l’auteur progressiste, à la pointe des combats victimaires, inlassable défenseur des humiliés de la Terre, adoubé par les forces intellectuelles avec l’auteur factieux, réprouvé des cercles, populiste par essence, oiseau de mauvais augure qui écrit pour dénoncer toutes les compromissions des élites réunies ?

Une nation qui aime la littérature

Malgré leur incompatibilité ontologique, tous partagent le même espace de vente. 

Miracle, la librairie est leur chapelle ardente ! Hier, ils étaient tous ennemis, en 2020, ils se sont retrouvés dans le même camp, celui qui réclamait, implorait et espérait l’ouverture des librairies indépendantes. Fin octobre, à la veille du second confinement, j’ai vu un étrange spectacle à la librairie Gibert sur le Boulevard Saint-Michel, à Paris. Des jeunes et des vieux, dans leur immense variété culturelle, de Deleuze à Morand, de Duras à Pound, de Mirbeau à Prévert se ruaient dans les rayons et faisaient provisions de livres, juste par peur de manquer. 

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Dans un premier élan, on pouvait trouver cette frénésie un peu ridicule à l’heure d’une grave crise sanitaire, et puis, en y réfléchissant, j’ai fini par m’enorgueillir d’une nation qui cherche dans la lecture, un moyen de s’évader, de se cultiver, de se divertir ou tout simplement de se nourrir de mots. Quitte à s’en abreuver. Quel autre pays dans le monde marque-t-il un tel amour dévot pour la phrase sauvage et les cathédrales de papier ? 

Derniers coups de cœur

Comme tous les professionnels du métier, j’ai d’abord pensé égoïstement à la survie de mes propres livres, et puis à celle de mes amis qui venaient de sortir leurs romans à la rentrée. Je pense ici à Jean-Pierre Montal (La nuit du 5-7/ Séguier) ou Yves Charnet (Chutes/ Tarabuste). Je savais leur inquiétude. Rien ne remplacera le toucher des couvertures. Les peaux ne mentent pas. Le livre se moque de la distanciation sociale. On a besoin de le palper, de s’en imprégner, de fureter entre les piles, les sens en alerte, et de le laisser nous choisir. 

Car, c’est bien le livre qui nous appelle et nous tend la main, jamais le contraire. Alors, offrir un livre, un bien culturel comme ils disent, est encore le meilleur moyen de dépenser son argent. Je vous donne in extremis mes derniers coups de cœur pour 2020, ils sont issus d’une production raisonnée : Escaliers (Une passion avec L.-F. Céline) d’Évelyne Pollet (La Nouvelle Librairie éditions), Le Pugilat de William Hazlitt (L’Insomniaque), Poulidor by Laborde de Christian Laborde (Mareuil Éditions) et Le Cadet de l’excellent Philippe Barthelet (PGDR éditions). 

Escaliers (Une passion avec L.-F. Céline) d’Évelyne Pollet – La Nouvelle Librairie éditions – Préface de Marc Laudelout et postface de Jeanne Augier

Le Pugilat de William Hazlitt – L’Insomniaque – Traduit et présenté par Philippe Mortimer

Poulidor by Laborde de Christian Laborde – Mareuil Éditions

Le Cadet de Philippe Barthelet – PGDR éditions

Être ou ne pas être… inoculé


William Shakespeare s’est fait vacciner contre le Covid-19


William Shakespeare s’est fait vacciner contre le Covid-19 le mardi 8 décembre à l’hôpital de Coventry au Royaume-Uni. Ce n’est pas une blague !

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Il était la deuxième personne au monde à recevoir le vaccin de Pfizer en dehors d’un essai clinique. Shakespeare, âgé de 81 ans, outre qu’il est l’homonyme du célèbre dramaturge anglais, est aussi originaire du comté du Warwickshire tout comme l’auteur de Hamlet. Ces coïncidences n’ont pas manqué d’amuser les réseaux sociaux, donnant lieu à une pléthore de jeux de mots, pour la plupart intraduisibles en français, comme « The Two Gentlemen of Corona » (pour Verona, Les Deux Gentilshommes de Vérone) ou « The Taming of the Flu » (pour The Taming of the Shrew, La Mégère apprivoisée). Certaines internautes imaginaient Shakespeare, à son arrivée à l’hôpital, en train de crier : « Une piqûre ! Mon royaume pour une piqûre ! » (d’après Richard III) ou « N’est-ce une aiguille que je vois là devant moi ? » (d’après Macbeth). D’autres se sont demandé si, la première personne à être vaccinée, Margaret Keenan, 90 ans, représentant la patiente 1A, William Shakespeare serait « 2B, or not 2B » to be or not to be, « être ou ne pas être », la célèbre question de Hamlet).

Il semble que la plupart des compatriotes de William Shakespeare n’ont pas de crainte à être vaccinés contre le coronavirus. Selon un sondage conduit par la société Kantar, 75 % des Britanniques affirment être prêts à se faire inoculer, contre 66 % des Américains, 67 % des Allemands et seulement 54 % des Français.

La fin de la coopération monétaire franco-africaine soumettrait le continent africain au règne du dollar et à la pénétration du yuan


Entretien avec Loup Viallet, qui analyse la situation du franc CFA, monnaie et système en sursis…


Considéré par certains comme le dernier héritage de la colonisation, le Franc CFA (FCFA) est encore l’objet de tous les fantasmes. Il y a un an, les présidents français et ivoirien ont annoncé que cette monnaie commune à quinze pays africains serait remplacée dans la moitié ouest-africaine d’entre eux, par « l’Eco », une nouvelle devise dont la création se fait toujours attendre. Dans un ouvrage récent, La fin du franc CFA (oct. 2020, VA Éditions, Versailles), qui commence à faire parler de lui à droite, le géopolitologue Loup Viallet dévoile les enjeux vertigineux de la coopération monétaire franco-africaine pour l’Europe et pour l’Afrique. Alors que cette thématique est ordinairement désertée dans le débat public, on l’a vu revenir à travers les discours portés le mois dernier par la directrice de l’ISSEP Marion Maréchal, à l’occasion de sa série d’interventions médiatiques. L’ISSEP, dont le tout nouveau think-tank a publié parmi ses premières analyses une note signée par… Loup Viallet.

Pour le magazine Causeur, il a accepté de répondre à nos questions sur ce sujet qui cristallise beaucoup de passions et alimente de nouvelles idées.

Frederic de Natal. Qu’est-ce que le Franc CFA? 

Loup Viallet. Le Franc CFA (Communauté Financière Africaine-ndlr) est la monnaie d’un pays sur trois en Afrique sub-saharienne dont l’ensemble forme ce qu’on appelle « la zone franc ». Contrairement aux monnaies de leurs pays voisins qui fluctuent en permanence au gré des prix des matières premières, et dont la fragilité expose leurs économies et leurs sociétés à des phénomènes chroniques d’hyperinflation, le franc CFA est la monnaie la plus stable et la plus crédible du continent africain. Elle sert de socle à deux marchés communs africains, l’UEMOA en Afrique de l’Ouest et la CEMAC en Afrique centrale, supprimant les coûts liés au change entre leurs pays membres, mais aussi avec les dix-neuf pays de la zone euro. Sa convertibilité en euros est garantie par le Trésor français, dans le cadre d’un partenariat monétaire surveillé par les institutions européennes et administré par les banques centrales africaines et les chefs d’État africains. C’est un atout auquel les dirigeants africains ré-adhèrent régulièrement, mais ce n’est pas non plus une baguette magique : avoir une monnaie stable et crédible ne suffit pas à protéger les pays africains de la désindustrialisation asiatique, ne les incite pas à transformer leurs économies et à sortir de leurs rentes primaires ou à renforcer l’unité fiscale et infrastructurelle de leurs marchés communs. C’est un symbole enfin, celui de souveraineté limitée des pays africains de la zone franc qui fait dire à certains que le franc CFA est un instrument de prédation, un lien néocolonial.

Pourquoi et par qui est-elle décriée aujourd’hui?

Pour de nombreux courants militants qui s’inscrivent d’abord dans la gauche intellectuelle et politique, les « indigénistes » ou les « décoloniaux » en France, et les « panafricanistes » en Afrique francophone, le Franc CFA est le bras armé du capitalisme et du néocolonialisme de la France en Afrique. Son maintien serait à l’origine d’un enrichissement odieux de l’ancienne métropole sur le dos de ses anciennes colonies. Ces thèses sont aussi relayées dans les milieux souverainistes, où ce lien est souvent compris à travers un prisme altermondialiste. Toujours est-il que cette monnaie fait l’objet de beaucoup de fantasmes et de rumeurs qui entretiennent les pays africains dans une certaine infantilisation, tenant leurs dirigeants pour des irresponsables, les présentant alternativement comme soumis à l’ancienne métropole ou comme des martyrs de la liberté africaine. Ces discours sont faux et dangereux.

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Pourquoi avoir écrit un ouvrage sur ce sujet qui semble particulièrement diviser le «village franco-africain»? 

Cela fait plusieurs années que j’écoute le discours des « indigénistes » sur cette question qui me tient particulièrement à cœur. J’ai voulu comprendre si cela était vrai, d’où venaient ces types de discours, comment fonctionne l’organisation monétaire de l’Afrique afin de mieux répondre aux questions, aux enjeux que cela comporte tant pour l’Europe ou la France. Or, force est de constater que nous avons affaire de la part de ces gens à des discours très démagogiques. Il est regrettable de voir que des politiques français reprennent ce genre de caricatures, et ne s’emploient même pas à démontrer qu’il n’y a pas de néo-colonialisme de la part de la France. Ou encore des dirigeants et des intellectuels africains, qui tiennent des discours ambigus, dénonçant une mainmise d’un côté mais sans pour autant rompre avec la coopération monétaire de l’autre. Lorsqu’il était président de la république de Côte d’Ivoire, Laurent Gbagbo n’a pas dénoncé le franc CFA et a même renouvelé l’adhésion de son pays aux institutions de la zone franc. Or, dans son autobiographie publiée une décennie plus tard, il en a fait la « clé de voûte » d’un système de spoliation par lequel la France s’enrichirait.

Le Franc CFA est-il l’instrument d’un néocolonialisme de la France en Afrique? 

Cette vision d’une France néocoloniale qui tirerait sa prospérité de l’exploitation des pays africains est complètement fausse. La puissance économique de la France ne repose pas sur ses liens passés ou présents avec l’Afrique. La zone franc ne représente que 0,6% du commerce extérieur de la France contre 40% à la veille des indépendances (tenant compte de l’ancienne Indochine), tandis que la France polarise 10 à 15% des échanges des pays de la zone franc aujourd’hui contre 60% à la veille des indépendances.  La France ne dispose plus de monopole économique dans son ancien « pré carré » : sur ce terrain les entreprises françaises sont désormais en concurrence avec des sociétés américaines, allemandes, italiennes, espagnoles, chinoises, turques, indiennes. On note aussi que la majorité des intérêts économiques français en Afrique sont hors de la zone franc : au Nigeria, au Maroc, en Tunisie, en Afrique du Sud. Quant à l’approvisionnement en uranium qui suscite beaucoup de fantasmes sur l’action de la France au Niger, il s’opère avec le Canada et avec le Kazakhstan sans nécessiter de partenariat monétaire. Enfin, la France n’a pas d’hégémonie politique dans les pays de la zone franc, ainsi qu’en a attesté le coup d’État imprévu au Mali à l’été 2020. Aujourd’hui le premier créancier et le premier fournisseur des pays de la zone franc c’est la Chine. 

Les pays africains peuvent-ils entrer ou sortir librement de la zone Franc? 

Oui. La possibilité d’adhérer ou de dénoncer la coopération monétaire est prévue par les traités. Cela a été le cas de Madagascar en 1963, de la Mauritanie en 1973, de la Guinée-Conakry en 1960 ou encore du Mali en 1962 avant finalement d’y revenir 22 ans plus tard car sa monnaie était trop instable et inconvertible. Plus récemment, la Guinée équatoriale et la Guinée-Bissau ont rejoint la zone franc, respectivement en 1985 et en 1997 pour bénéficier de sa crédibilité. On voit bien dès lors que ce n’est pas une monnaie coloniale mais un service qui permet à des pays pauvres et rentiers de jouir d’une sécurité financière favorable au développement du commerce, de l’investissement, de l’épargne, de la production, de l’emploi et de la diversification économique. 

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Que penser de l’éco, cette nouvelle monnaie qui doit remplacer le Franc CFA dans huit pays d’Afrique de l’Ouest? 

Il y a la même différence entre le franc CFA et l’éco qu’il y a entre les notions d’ « assistance » et d’ « assistanat ». Le changement de nom est superficiel, d’autant que d’autres monnaies portent le nom de franc sans qu’il ne prête à débat : le franc pacifique, le franc suisse, le franc congolais, le franc guinéen. Par ailleurs, ce nom rappelle celui du garant, sans lequel la monnaie n’existerait pas. Mais il y a plus grave, le franc CFA fonctionnait avec des contreparties de la part des pays africains, des sortes de devoirs, associés au droit de détenir une monnaie dont ils n’ont pas à garantir la qualité. Dans la nouvelle mouture de l’éco, ces devoirs disparaîtront, ce qui engage la relation franco-africaine sur deux pentes. La première est que les pays africains n’auront aucun compte à rendre sur l’administration de cette monnaie et n’auront aucune incitation pour réaliser les réformes économiques nécessaires pour sortir de leur modèle rentier. La seconde implique pour la France de développer une solidarité financière coûteuse pour son budget public et permissive pour les pays de la zone franc, qui seront autorisés à poursuivre leurs déficits massifs avec l’Asie en se reposant sur la garantie de convertibilité française. C’est un mauvais accord qui va amplifier les pires défauts de la coopération actuelle.

Faut-il poursuivre la coopération franco-africaine?

Pour répondre à cette question, il faut avoir bien conscience des enjeux que provoquerait la rupture de ce lien, à la fois pour la France, pour la zone euro et les pays de la zone franc et plus largement pour l’Europe et l’Afrique. La fin du franc CFA achèverait de soumettre les économies du continent africain aux variations du dollar, aux fluctuations des prix mondiaux des matières premières et à la pénétration de la monnaie chinoise, ce qui signerait leur enlisement dans le piège de la rente primaire. L’exploitation du cacao, de l’hévéa, du pétrole ou du gaz dégage trop peu de ressources pour financer des services publics de base, ne nourrit pas des peuples entiers, laisse sans emploi la majorité des populations en âge de travailler. Par ailleurs on ne peut ignorer que les modèles mono-agricole et mono-extractif sont exposés au réchauffement climatique et à la raréfaction des ressources fossiles. L’Afrique subsaharienne est soumise à un nouveau désordre, ses gouvernements ne parviennent pas à répondre aux besoins de populations en augmentation constante, dans un contexte où le réchauffement climatique menace les rendements et l’habitat. Ce désordre se manifeste par l’exil de millions d’Africains, par la faillite des frontières, la prolifération des bandes armées, des trafics illicites et des idéologies contestataires. Il constitue une source très puissante de déstabilisation et d’insécurité pour les pays africains, mais aussi pour les pays d’Europe, qui se situent dans leur grand-voisinage. Ni la France, ni les autres pays européens n’ont intérêt à ce que l’Afrique sombre dans l’anarchie et le sous-développement. Tel n’est pas nécessairement le cas de puissances plus éloignées, qui pourraient tirer parti de la situation pour bénéficier d’un réservoir de matières premières certes limité mais disponible, mais aussi pour contrôler l’organisation politique africaine et imposer leur paix aux frontières de l’Europe. La coopération monétaire est un des instruments dont les Africains et les Européens disposent pour éviter cette situation et pour bâtir des réponses aux principaux défis qui leurs sont communs en ce début de siècle.

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Pénélope Bagieu: Ulysse, reviens!

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La dessinatrice féministe a fait le bilan de l’année passée dans les Inrocks. Selon elle, “2020, c’est l’année Alice Coffin”


Pas de trêve des confiseurs entre Noël et jour de l’An pour la cancel culture. En effet, Jean-Paul Brighelli en a parlé dans nos colonnes, une école du Massachusetts aux États-Unis s’est félicitée de la suppression de l’Odyssée d’Homère de son programme pour cause d’apologie de « culture du viol ». Je ne m’étalerai pas davantage sur ce nouveau délire de l’idéologie woke. Laissons-nous plutôt aller à une rêverie dystopique ! Pénélope Bagieu, dessinatrice de BD parisienne qui coche toutes les cases progressistes, auteur entre autres de « Sacrées Sorcières », une adaptation de Roald Dahl, a donné une interview aux Inrocks. Son Odyssée à elle à travers le pays rêvé de la perfection idéologique.

A lire ensuite, François-Xavier Ajavon: Le magazine « New Witch » cible les néosorcières new age

Ulysse est relégué à la maison à faire et refaire son ouvrage en guise de punition, Pénélope est aux commandes et nous raconte sa guerre de Troie depuis son Ithaque confinée et confortable: « Je ne suis absolument pas à plaindre car j’ai un appartement relativement grand et lumineux, je ne vis pas seule et je n’ai pas été obligée de sortir travailler. » Les Dieux ayant été cléments avec Pénélope, elle s’inquiète de ceux pour qui ils le sont moins, avec la sagesse d’une Athéna en gilet jaune : « Les gazages et violences pendant les manifestations sont devenus tellement récurrents que c’est comme si on se conditionnait presque à leur « normalité. » On est arrivés à un stade où il faut filmer les policiers en action et ce sont eux qui nous nassent et nous gazent. » Mais Pénélope est là pour nous protéger de tous les Cyclopes du vieux monde coupables de toutes les phobies réactionnaires : « Il faut faire face à une défense hyper crispée du vieux monde qui ne veut pas que les choses changent. »

Pénélope irradiée par la sincérité d’Alexandria Ocasio-Cortez

C’est cependant sans compter sur Trump/Poséidon qui fait reculer les droits des femmes et sème le chaos dans l’île merveilleuse des progressistes. En effet la mort de Ruth Bader Ginsburg, féministe américaine historique et juge à la Cour Suprême, remplacée par la très conservatrice Amy Coney Barrett a plongé Pénélope dans la terreur : « Je ne voulais pas croire au scénario catastrophe de la nomination d’une sénatrice conservatrice à la Cour Suprême mais Trump a réussi. »

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Alexandria Ocasio-Cortez, novembre 2018. Sipa. Numéro de reportage : AP22273804_000001.

Heureusement, Alexandria Ocasio-Cortez est là pour éloigner les sirènes du conservatisme et redonner l’espoir en un monde où régnerait la paix inclusive et racisée : «  AOC est trop cool pour les cools, elle ne serait pas forcément acclamée ici. Imaginez une AOC française envoyée chez Pascal Praud (…) Alexandria est extraordinaire, elle irradie. Le fait qu’elle soit animée par la sincérité, ça marche. »

2020: l’année de la pandémie et d’Alice Coffin

Dans son périple sur une mer déchaînée par le vent mauvais du covid, notre Pénélope s’est longuement attardée sur l’île de Lesbos où elle semble avoir trouvé le repos. En effet, elle fait rimer 2020 avec Coffin. On ne présente plus notre Alice, reine du merveilleux pays lesbien, qui défraya la chronique de la rentrée de septembre avec son Génie Lesbien, ouvrage chaotique et misandre, que j’ai traité avec une relative indulgence dans votre magazine préféré.

A lire aussi, Elisabeth Lévy: La loi des plus faibles

Elle fait cependant figure de vestale pour Pénélope : « 2020 c’est l’année Alice Coffin. Elle a mis un vrai coup de pied dans la fourmilière et a contribué à faire évoluer les mentalités (…) Elle a permis de mettre en lumière une discrimination dont on n’est pas forcément habitués à s’émouvoir qui est la lesbophobie. » Alice a même accompli l’exploit d’obtenir les plates excuses de Laurent Ruquier, qui l’avait un tant soit peu maltraitée sur son plateau. Courageuse guerrière.

Contrairement à la Pénélope d’Homère, qui défait sans cesse son ouvrage, Bagieu tisse patiemment sa toile de parfaite thuriféraire « woke ». Elle ne semble cependant pas complètement débarrassée des travers de l’ancien monde, car elle avoue avoir fait la cuisine et le ménage pour s’occuper pendant le confinement. On ne nous dit pas si elle attendait son Ulysse.

Vaccins: la France sous la dictature du fonctionnariat

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Après la dernière grande guerre mondiale du siècle dernier, la France avait réussi à éviter le système communiste que voulait lui imposer Staline! Elle a donc échappé de justesse à la dictature du prolétariat, mais ce fut pour mieux tomber au fil du temps dans une dictature du fonctionnariat qui montre aujourd’hui, parmi d’autres calamités, sa profonde incapacité et son impuissance tragique à gérer une crise sanitaire contre laquelle Emmanuel Macron a pourtant déclaré la « guerre ».


Après avoir complètement raté les deux premières batailles des masques et des tests, nos hauts fonctionnaires et nos politiciens, qui sont souvent les mêmes, ont l’air bien partis pour perdre une troisième bataille, celle des vaccins.

Emmanuel Macron a donc fini par s’énerver et promis qu’il ne laisserait pas « une lenteur injustifiée s’installer » dans la campagne de vaccination qui vient de s’ouvrir. Son ministre de la Santé, le très socialiste et sectaire Olivier Véran, l’homme qui boycotte CNews à cause de l’émission d’Éric Zemmour et qui n’hésite pas à excommunier le célèbre professeur Raoult pour « populisme », s’est évidemment senti visé. Il a fait savoir que « nous ne passerons pas à côté » du vaccin car la France, d’après lui, « sait organiser une vaccination de masse », ce qui est pour le moins présomptueux au vu des chiffres connus dès le 1er janvier : quelques centaines de vaccinés au total dans l’Hexagone en une semaine, contre 72 000 en Italie et 190 000 en Allemagne. Les Britanniques en sont largement à plus d’un million mais il est vrai qu’ils ont commencé plus tôt.

Qu’en dit-on du côté d’Alain Fischer, le « Monsieur Vaccin » du gouvernement ? On précise que « la France n’a pas adopté la même stratégie que ses voisins européens qui ont pour certains choisi de vacciner en premier les professionnels de santé », alors que « la stratégie française consiste à vacciner en priorité les personnes âgées qui sont le plus à risque ». Ce qui a fait réagir vertement le professeur de médecine William Dab, un épidémiologiste qui fut directeur général de la Santé : « On ne va pas continuer à vacciner 300 Français par semaine, s’est-il exclamé dans Le JDD. Ou alors, nous y serons encore dans cinq mille ans ! »

Toujours des mots, toujours des postures

Chez Olivier Véran, où on annonce une « accélération » des vaccinations, on précise qu’on va s’attaquer immédiatement aux « soignants de 50 ans et plus qui le souhaitent » puis « aux personnes âgées de 75 ans et plus, puis les 65 ans et plus, etc. ». Fort bien, mais pourquoi ces critères d’âge de 50, 65 et 75 ans ? Et puis où et comment ? Va-t-on distribuer aux soignants des bons à vacciner ? Devront-ils aller chez leur médecin traitant, ou chez l’infirmier libéral d’à côté, ou chez le pharmacien ? Suivant quel calendrier ? Comment expliquer et justifier tout cela autrement, encore une fois, que par des décisions administratives souveraines ? Nous restons toujours dans le même registre des mots et des postures. Toujours des mots, toujours des postures…

A lire aussi, Renée Fregosi: Covid: et si le recours aux militaires était la solution aux cafouillages technocratiques?

L’économiste et doctorant au MIT (Massachusetts Institute of Technology) Antoine Levy, un jeune et brillant normalien, a une explication très carrée et très construite qu’il a donnée au Figaro dans une chronique qui a fait du bruit : « L’ampleur surréaliste de l’échec français interroge ; elle ne devrait pourtant pas surprendre, écrit-il. La lenteur de la campagne de vaccination française n’est que la suite logique de notre gestion des masques, des tests, du traçage, de l’isolation. C’est le symptôme d’un déclassement et d’un appauvrissement organisationnel et technologique effarants. » Et il précise : « C’est aussi le produit de l’arrogance d’un État imbu de lui-même et imperméable à la critique, de la suffisance d’une administration et d’une classe politique autosatisfaites, boursouflées et incapables de la dose d’humilité nécessaire pour faire machine arrière et s’inspirer simplement de ce qui fonctionne ailleurs. »

On peut y ajouter une explication complémentaire, celle qui a été mise en avant par le professeur Philippe Juvin, chef des urgences de l’hôpital Pompidou et maire LR de La Garenne-Colombes, dans les Hauts-de-Seine : « Toute vaccination repose sur deux éléments clés, a-t-il déclaré dans une interview décapante au journal L’Opinion : la confiance des patients et une logistique très au point. »

La question de l’exemplarité est posée

La confiance d’abord : « Les autorités gouvernementales avaient plusieurs semaines pour bâtir cette confiance, a-t-il dit. Il est frappant de voir qu’elles ne présentent la vaccination que par ses côtés négatifs et ses risques […] Cela pose aussi la question de l’exemplarité. Pourquoi le Premier ministre ou le ministre de la Santé ne se font-ils pas vacciner publiquement ? » C’est une bonne question ! Philippe Juvin pointe aussi les lourds travers de l’administration paperassière française, comme ce document d’acceptation pour pouvoir être vacciné. « Le protocole actuel est à la fois une complication française et un alibi pour justifier notre retard qui est lié à notre absence d’organisation. » Pour lui, il est évident que « l’exécutif n’est pas capable d’organiser une vaccination de masse ».

La logistique ensuite : le gouvernement « a décidé de s’appuyer sur l’administration centrale plutôt que sur des logisticiens de métier, sur l’armée ou sur les collectivités territoriales. Aux États-Unis, la vaccination est organisée par un général, et en Allemagne par les Länder […] Les Allemands ont une stratégie vaccinale, nous pas ». La France avait pourtant su répondre au défi de la remise en état de la cathédrale Notre-Dame en choisissant le général Georgelin, un ancien chef d’état-major des armées rompu à toutes les logistiques, plutôt qu’en confiant ce chantier titanesque à des hauts fonctionnaires de l’organigramme étatique.

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« En guerre le matin, le midi, le soir et la nuit ! »

Le président s’est donc énervé, depuis sa résidence de l’Élysée, contre les lenteurs de son administration. « Ça doit changer vite et fort ! » a-t-il fait savoir en précisant bien qu’on était toujours « en guerre » et que, pour ce qui le concerne, il « fait la guerre le matin, le midi, le soir et la nuit ». Quel homme ! Selon Le Point, il se serait même vanté d’avoir mis « un coup de pied au cul » de l’Agence régionale de santé d’Île-de-France et du ministère de la Santé, dont les trois quarts du personnel devaient sûrement être en vacances jusqu’au 4 janvier. Il est vrai qu’il est plus facile de mettre des coups de pied au cul de fonctionnaires absents qu’à des grandes gueules d’extrême droite ou d’extrême gauche dont on pourrait en plus avoir besoin lors des élections présidentielles. Hâbleur, mais aussi vindicatif, Emmanuel Macron aurait même eu ces mots guerriers : « La France peut et doit gagner cette guerre. Et elle la gagnera. » Des mots, toujours des mots… Des postures, toujours des postures…

Jacques Attali, Paris, 20 novembre 2019. © Lionel GUERICOLAS /MPP/SIPA Numéro de reportage: 00933574_000101
Jacques Attali, Paris, 20 novembre 2019. © Lionel GUERICOLAS /MPP/SIPA Numéro de reportage: 00933574_000101

Laissons alors le dernier mot et la dernière posture à Jacques Attali, qui a bien connu l’Élysée du temps de Mitterrand et qui a aussi fréquenté les présidents suivants. Dans sa chronique du mois de décembre aux Échos, il avait bien anticipé les choses en écrivant que « la pandémie nous rappelle les énormes lacunes de notre système de santé » et en avait conclu qu’« avant de vouloir réformer les autres, l’État devrait d’abord se réformer lui-même ». Bien vu, l’ancien…

« Nous sommes dans l’instant, tandis que l’Islam est dans l’éternité »

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Dans La France s’éteint, l’Islam s’embrase…, Henri Rey-Flaud analyse l’antagonisme entre Occident et civilisation islamique par le prisme des mœurs. Le pire est-il à venir? Entretien avec le psychanalyste érudit.


Causeur. Pourquoi mettez-vous une majuscule à « Islam » dans le titre de votre livre?

Henri Rey-Flaud. Parce que l’islam avec une minuscule, c’est une religion et que l’Islam avec une majuscule, c’est un mouvement de culture et de civilisation que je considère comme prodigieux. La grande différence entre l’Islam et l’Europe occidentale, c’est que l’Europe occidentale s’est construite sur environ vingt-cinq siècles, tandis que l’Islam s’est construit en quatorze siècles.

Emmanuel Macron a-t-il eu raison de déclarer lors du discours des Mureaux qu’il faut «faire émerger une meilleure compréhension de l’islam»?

Dans ce qui se joue aujourd’hui, à peu près tout le monde dans l’espace politique est complètement à côté de la plaque. Emmanuel Macron n’a aucune idée des enjeux fantastiques que pose la rencontre de l’Islam et de l’Occident. Le roi Hassan II, qui était lui un esprit supérieur, est tout de suite allé au cœur du problème ! « Les Marocains ne seront jamais des Français », a-t-il dit lors de son entretien avec Anne Sinclair. Cela est aussi vrai des Tunisiens, des Algériens ou des Turcs. Ces gens-là ne seront jamais français, non pas qu’il y ait un rejet par la France mais parce que ce sont des cultures antinomiques. Ce qui me semble approprié pour résumer ma pensée, c’est une phrase de Freud: « l’ours et la baleine ne se sont jamais disputés parce qu’ils ne se sont jamais rencontrés ». L’Islam et l’Occident, c’est l’ours et la baleine.

Le psychanalyste et critique littéraire français Henri Rey-Flaud. Photo: D.R.
Le psychanalyste et critique littéraire français Henri Rey-Flaud. Photo: D.R.

Vous utilisez cette personnification dans votre ouvrage, vous utilisez aussi la métaphore de « l’incertain mariage de l’huile et du vinaigre ». A vous lire, ce mariage semble même être plus qu’incertain…

J’ai une profonde admiration pour la culture musulmane et pour l’Islam, mais je pense que l’avenir en France se présente très mal. Prenons l’exemple du Maroc, qui est un pays que j’aime beaucoup et que je connais bien. Il y a dans mes amis ou collègues marocains un noyau auquel on ne peut pas toucher. On a beau échanger sur beaucoup de choses, cette espèce de mur de verre est bien là, il ne permet pas d’établir ce que j’appellerais une communication absolue. L’Islam est une civilisation de la certitude.

Dans dix ans, les Algériens seront soixante-dix millions, la population en Algérie sera plus nombreuse que la population française en France! (…) À partir du moment où vous donnez un accommodement, il viendra une autre chose, puis une autre, puis une autre jusqu’à ce que l’Islam ait totalement assimilé l’Occident.

Justement, pouvez-vous nous en dire plus sur cette opposition que vous faites entre le doute chrétien et la certitude islamique?

La civilisation de l’Occident a été fondée sur l’examen. « La seule chose que je sais c’est que je ne sais rien », disait déjà Socrate. « Je pense donc je suis », disait Descartes. Freud disait que nos pensées ne viennent d’ailleurs que de notre personne immédiate. L’islam sort de la parole de Mahomet, de la prise de la dictée sous l’ange Gabriel. Quiconque remet en cause le discours d’Allah est un blasphémateur. Et le sacré est partout dans le monde islamique, dès qu’on touche à quoi que ce soit, on touche donc au sacré. Les Arabes, au fond d’eux-mêmes, sont animés par cette certitude. Cela est profondément opposé au doute, à l’esprit d’examen qui est au fondement de l’Occident.

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On pourrait vous suspecter d’essentialisme…

Je ne sais pas ce qu’il faut mettre sous ce mot. Ce que j’ai écrit et que je maintiens, c’est que l’aventure de Mahomet est l’aventure la plus prodigieuse de toute l’histoire de l’humanité. Un seul homme a créé cet élan spirituel qui se répand encore aujourd’hui.

D’aucuns disent que cela s’est fait par la conquête…

La conquête, elle est à la fois par les armes et par les esprits, les deux sont complètement liés.

En quoi cette conquête serait-elle plus prodigieuse que celle des Amériques par Hernan Cortés ou Francisco Pizarro?

La conquête des Amériques, c’étaient des gens qui allaient conquérir des terres qu’ils ne connaissaient pas, tandis que ce qui anime le fond de la conquête islamique, c’est que toute terre est en attente d’être rattachée à l’islam. Dans Les Droits de l’homme selon l’islam, texte présenté à l’Assemblée générale de l’ONU, il est écrit que « l’islam a vocation à devenir la religion universelle de l’humanité ». Cela signifie que selon ce texte, le jour où toute l’humanité partagera la foi musulmane, on aura atteint la fin de l’Histoire. Mahomet était un chef de tribu dérisoire dans un pays désertique. Lui et ses successeurs ont fait une conquête inouïe en très peu de temps. Il suffit de voir les splendeurs de Cordoue pour comprendre que cette civilisation est fantastique et qu’ils n’étaient pas uniquement des guerriers. Colomb, Cortés et compagnie n’étaient, eux, que des aventuriers.

Venons-en à la question des mœurs. « A Rome, fais comme les Romains », aurait dit Ambroise de Milan à Saint Augustin. Cette maxime n’est-elle pas valable pour n’importe quelle nation dans le monde, notamment la France?

Les Arabes ne vous diront jamais qu’ils vont vivre en France comme des Français. Tahar Ben Jelloun a écrit que toutes les nations arabes peuvent vivre en accord avec la République. Cela veut dire que la République est assez vaste pour que diverses formes de cultures puissent trouver un lieu d’accueil dans la République. Mais la République n’est pas une coquille vide! J’adore l’Italie et le Maroc. Je me sens plus chez moi en Italie que dans le nord de la France. En revanche, quand je suis au Maroc, je fais attention car je suis dans une autre culture.

Justement, les gens qui viennent de l’Islam ne devraient-ils pas adopter la culture française ?

Ils ne le peuvent absolument pas ! De Gaulle disait qu’on ne pouvait pas accorder la citoyenneté française aux Algériens car si on accordait cette citoyenneté, les Algériens, alors français, viendraient en France. Et il en déduisait alors la fameuse phrase « mon pays ne s’appellerait plus Colombey-les-Deux-Eglises mais Colombey les deux mosquées ». A l’époque, il y avait dix millions d’Algériens de souche et un million de pieds noirs. Aujourd’hui, l’Algérie comporte quarante millions de citoyens, la population a été multipliée par quatre. Cela veut dire que dans dix ans, les Algériens seront soixante-dix millions, la population en Algérie sera plus nombreuse que la population française en France. Les tenants de l’Algérie française étaient complètement aveugles sur la réalité, la partie était injouable. En revanche, le général De Gaulle était un visionnaire.

Venons-en à l’identité française. La France est-elle encore frappée de cette « culpabilité ouvrant sur un univers morbide de la faute » dont vous parlez ?

La France est dans une crise d’identité. Il en est de même en Italie. Le raidissement identitaire que l’on voit en Hongrie ou en Pologne traduit lui aussi une crise d’identité. L’Europe n’est pas parvenue à créer une identité européenne. À l’époque de Giscard D’Estaing ou de Jacques Delors on pensait que cela pouvait se faire. Aujourd’hui, je crois que le grand élan européen est retombé. Et la France s’éteint, il suffit de voir la façon dont les Français vivent aujourd’hui le Covid. L’élan identitaire qui a eu lieu en France au moment de la guerre de 14-18 n’est même pas imaginable aujourd’hui. Ces quatre années ont été terribles. Aujourd’hui, si vous dites aux gens qu’ils ne pourront pas fêter Noël, ils ont le sentiment que c’est liberticide. Je ne sais pas où va la France mais je pense qu’on aura un grand coup de théâtre avant les élections de 2022. Dans quel sens? Je n’en ai aucune idée, mais il ne se passera sûrement pas ce qu’on attend.

Vous soulignez un risque d’apartheid en France, terme qui renvoie à un développement séparé, mais n’est-ce pas déjà le cas?

C’est vrai qu’il a déjà commencé. Il y a eu cette idéologie multiculturaliste qui s’est développée, il y a eu beaucoup de lâchetés, Emmanuel Macron a étendu le regroupement familial aux frères et sœurs des mineurs réfugiés. Le Conseil de l’Europe décide aussi du regroupement familial. Les pays comme la Hongrie qui sont très anti immigration sont en passe d’être condamnés pour cela. En France, il y a eu cette idéologie dite humaniste. Il y a des Français d’origine maghrébine qui sont de plus en plus rattachés à leur pays d’origine. On parle là de gens qui ont 30, 40 ans.

A lire aussi: Cambadélis: « Le multiculturalisme n’est pas en contradiction avec les principes républicains »

Vous écrivez d’ailleurs que « tant que les Arabes parleront arabe en France, il n’y aura pas pour eux d’intégration possible dans la collectivité nationale ». Mais les anciennes générations de Nord-Africains qui ne parlaient pas forcément bien français donnent l’impression d’être plus intégrées que les plus jeunes dont vous parlez…

Les gens dont je parle, qui sont mes analysants, m’ont dit que leurs parents leur avaient dit que la France était un pays qui les accueillait, qu’il fallait absolument apprendre la langue, les mœurs des Français, se fondre dans la population et être reconnaissant envers le pays d’accueil. Ils parlent un français impeccable, sans aucun accent. Mais ils se sont sentis de plus en plus maghrébins au fil des années, de plus en plus étrangers dans leur propre pays et leurs enfants sont totalement opposés à la France. Là on va vers une scission.

Emmanuel Macron a-t-il eu raison de dire qu’il faut promouvoir l’apprentissage de la langue arabe?

Les hommes politiques français, y compris Emmanuel Macron, n’ont aucune vision historique. La langue arabe n’est pas une langue comme une autre, c’est l’identité arabe. Avec le paradoxe qu’aucun Arabe en France ne parle l’arabe de Mahomet. Cette langue coranique est l’équivalent pour eux du latin pour nous, et ils se rattachent à cette langue comme à ce qui fonde leur identité. Quand on dit aux parents des enfants d’origines arabe qu’on va créer des cours d’arabe dans les collèges français, ils répondent que ce n’est pas le bon arabe. Au Maroc par exemple, les petits enfants apprennent l’arabe sur le Coran, c’est le seul support. Apprendre un arabe vernaculaire avec un autre support serait pour eux une hérésie.

« Est démocratique un État qui ne se propose pas d’éliminer les conflits, mais d’inventer les procédures leur permettant de s’exprimer et de rester négociables », écrivez vous en citant Paul Ricœur. Peut-on imaginer des accommodements « raisonnables » tels que des tribunaux islamiques en France, comme c’est le cas au Royaume-Uni?

Aujourd’hui c’est impensable. Même le Canada, qui a proposé un moment qu’il y ait des tribunaux islamiques, a fait marcher arrière, car il y a des femmes canadiennes qui ont porté plainte. Terra-Nova a songé un moment à faire un régime juridique spécialement pour les musulmans, heureusement ils ont reculé. À partir du moment où vous donnez un accommodement, il viendra une autre chose, puis une autre, puis une autre jusqu’à ce que l’Islam ait totalement assimilé l’Occident.

Vous évoquez parfois la guerre des Balkans. Une guerre civile est-elle envisageable en France?

Le conflit des Balkans remonte à huit siècles et n’est pas du tout réglé. Pour la France, c’est très difficile de prédire car la situation que nous vivons actuellement est inédite. Certes, il y a eu des guerres de religions mais entre gens de la même trame. Henri IV, qui était un roi protestant, est devenu un roi catholique. J’imagine mal Macron se convertir à l’islam aujourd’hui (rires). On est dans une situation totalement instable. La France s’est éteinte, la France a perdu la foi en elle-même et en Dieu. La grande force de l’islam, c’est qu’il est source d’élan. Aujourd’hui en France, l’islam est pratiquement la seule source de spiritualité. L’islam se développe car il y a dessous un terreau fécond. « Le désert s’accroît, malheur à celui qui protège le désert », disait Nietzsche. L’horizon proposé par De Gaulle a complètement disparu, la seule chose qui mobilise les jeunes aujourd’hui c’est la fête. Nous sommes dans la jouissance de l’instant, tandis que l’Islam est dans l’éternité. Cela est valable pour le reste de l’Europe. Venise, Florence et Rome et Paris sont des villes musée tandis que l’Islam est vivant. Je crains donc que l’Islam soit la veine féconde sur le territoire français. Je pense qu’une population qui est animée par l’esprit est à peu près sûre de gagner contre une population dont les jeunes ne pensent qu’à jouir de l’instant.

La France s’éteint, l’Islam s’embrase…, Henri Rey-Flaud, Editions PUF.

Les coiffeurs ne se poilent pas


#Moncoiffeurapoil


L’année 2020 n’aura pas été placée sous le signe de l’élégance, surtout sur le plan capillaire. Les salons de coiffure sont, comme chacun sait, restés fermés pendant les deux confinements, avant de rouvrir début décembre. D’où leurs protestations.

Début novembre, un coiffeur du Havre s’est fait photographier nu, un sèche-cheveux à la main (la décence sauvegardée par sa jambe repliée sur ses parties intimes) sur un des fauteuils à shampooing de son salon. Le message (emprunté, semble-t-il, à un photographe picard) : « Quitte à se faire mettre à poil par le gouvernement, autant le faire moi-même. » Le hashtag « Moncoiffeurapoil » était né.

Des centaines de coiffeurs désœuvrés ont partagé eux aussi une photo d’eux dans le plus simple appareil, slogans bien en vue sur des pancartes couvrant ce qui devait l’être. C’était l’occasion de rappeler l’importance de leur filière, deuxième métier artisanal de France, fort de 85 192 salons, 200 000 travailleurs déclarés, 6 milliards de chiffre d’affaires. Mais au-delà du rappel des ravages économiques qu’ils subissent, les coiffeurs voulaient aussi, comme toutes les activités décrétées « non essentielles », affirmer leur importance dans le tissu social. « Après le premier confinement, les gens se sont pressés dans les salons de coiffure pour qu’on s’occupe d’eux. Le dernier jour d’ouverture avant ce deuxième confinement, nous avons tous été submergés par des demandes de rendez-vous », témoignait Julie Léonard, interrogée par Le Réveil normand.

Dans cette atmosphère morose, rien ne vaut une coupe de cheveux pour relever un peu la tête.

Génération Covid: la jeunesse sacrifiée

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Une tribune libre de Jordan Bardella, vice-président du Rassemblement national et député français au Parlement européen.


Lorsqu’Emmanuel Macron a déclaré en octobre qu’il était « dur d’avoir vingt ans » en 2020, les réactions n’ont pas manqué, souvent moqueuses, répondant qu’avoir vingt ans en 1914 était une autre paire de manches. À l’évidence, la jeunesse française n’est pas sommée de monter au front, mais cette comparaison est malvenue et interdit de saisir toutes les formes de détresse qui s’accumulent gravement au sein de cette « génération Covid ».

C’est certes le lot de toute la population que d’être soumise aux mesures et aux contraintes motivées par le contexte sanitaire et que l’accoutumance nous ferait presque considérer comme « normales » si l’on n’y prenait garde. Pourtant, la jeunesse mérite une attention toute particulière. Elle que l’on sait être très largement protégée des formes graves du virus prend de plein fouet les dommages collatéraux économiques, sociaux, psychologiques et, disons-le, anthropologiques de l’épidémie.

Quelles perspectives pour l’apprenti en filière professionnelle qui espérait décrocher rapidement son premier CDI, mais qui voit les entreprises plus frileuses que jamais à l’idée d’embaucher ? Alors que les bars et restaurants ne rouvriront finalement pas fin janvier, que devient l’étudiante qui ne parvenait à financer ses études et payer son loyer qu’à l’aide de son emploi dans la restauration, et désormais obligée de demander l’aide des Restos du Cœur ? Quelles possibilités de rebond pour ce jeune indépendant qui venait fièrement de « se lancer » et qui restera des années durant dépendant d’aides de l’État ?

Il y a ces tristes réalités matérielles, qui viennent d’ailleurs se superposer à un phénomène déjà installé de chômage de masse et de précarité tous azimuts. Il y a aussi une détresse psychologique qui s’est aggravée et dont on ne mesure certainement pas encore le caractère inédit. L’étudiant du supérieur, à peine diplômé du Baccalauréat, censé vivre « les plus belles années de la vie », est bien souvent claquemuré dans ses neufs mètres carrés, obligé de vivre sa « vie étudiante » par procuration et n’aura siégé dans les amphithéâtres que le temps d’un examen.

Les chiffres sont là, inquiétants : selon un sondage Odoxa-Dentsu, c’est pour les 15-30 que le second confinement et les mesures qui l’accompagnent ont été le plus dur à vivre. L’enquête nationale réalisée par l’Observatoire de la vie étudiante montre que la moitié des étudiants ont déjà souffert de solitude ou d’isolement au cours du premier confinement. Si l’état psychologique des Français dans leur ensemble s’est considérablement aggravé, la situation de cette jeunesse qui sera la France de demain doit nous préoccuper au plus haut point.

Car au-delà des réalités matérielles, c’est une vie sociale minimale qui est imposée, régulée, administrée, et qu’a si bien incarné l’attestation. C’est la « vie nue », la vie réduite aux seuls besoins élémentaires – et encore. Une jeunesse qu’on dévitalise, privée d’accès au sport et dépouillée de toute sociabilité nocturne si indispensable quoique l’on puisse parfois penser de certaines dérives « festivistes ».

Comme si ce n’était pas suffisant, on n’en finit plus d’assommer de culpabilité la jeunesse française, elle qui est déjà partout sommée de « sauver la planète ». Au nom d’un détournement du principe de précaution appliqué à la santé, on affirme que chacun de ses faits et gestes décidera de la survie ou de la mort des plus fragiles. Une pression insupportable pour des jeunes générations qui ont le sentiment de sacrifier leurs belles années tandis que les générations plus âgées ont fait de « jouissez jeunesse » le credo de leur vie.

Cette crise multiple vient renforcer une leçon philosophique dont l’évidence nous avait peut-être échappé avant ces confinements et couvre-feu successifs : l’homme est et reste un animal social, qui peut bien supporter quelques « distanciations » lorsqu’elles sont temporaires et qu’il peut les anticiper, mais qui est incapable de vivre durablement à distance et en « télé-réalité ».

Nous aurons des obligations à l’endroit de la jeunesse française. La sortie de crise sanitaire actée, et même dès aujourd’hui, c’est une politique sur le qui-vive social qu’elle sera en droit d’exiger. Il faudra se libérer des injonctions supranationales à la rigueur qui ne manqueront pas de tomber et qui conditionneront d’ailleurs peut-être le si vanté plan de relance européen. Aussi, faire renouer cette jeunesse avec la confiance en l’avenir passera par la proposition d’une vision de long terme : projeter la France dans les grands défis technologiques et industriels de demain, qui seront les pourvoyeurs des emplois dont elle aura besoin. Tout devra par ailleurs être mis en œuvre pour que la jeunesse française ne se retrouve plus en proie à une insécurité physique et culturelle grandissante qui assombrit d’autant plus son horizon. Sortons de cette épreuve en étant persuadés que l’on juge l’avenir d’une nation au sort que l’on réserve à ses forces vives.

Philippe Juvin: il l’aurait méritée, il ne l’aura pas!

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Le chef des urgences de l’hôpital européen Georges Pompidou Philippe Juvin aurait dû faire partie de la promotion de la Légion d’honneur, mais Matignon se serait rétracté à son sujet. En cause, l’engagement politique à droite du maire de La Garenne-Colombes… Et surtout ses propos critiques envers la politique sanitaire de l’exécutif dans un livre qu’il publie jeudi…


Si c’est vrai, c’est une vilenie.

Je devine bien quels sont les ressorts, tous médiocres, de cette offense personnelle. Je n’imagine pas que le Premier ministre, qui a d’autres chats à fouetter et qui estime, je présume, Philippe Juvin, soit derrière cette mauvaise manière. Ils étaient peu ou prou de la même famille politique. J’ose espérer que le président de la République, même s’il avait glissé il y a quelques mois une acidité contre Philippe Juvin en laissant entendre qu’il était plus dans les médias que dans son service à l’Hôpital Pompidou – accusation injuste et mensongère – n’est pour rien dans cet épisode navrant. Ne reste que le ministre de la Santé qui critiqué de toutes parts n’a pas pu tout le temps bénéficier de la comparaison confortable avec Agnès Buzyn, qui l’avait précédé.

Paul Morand a écrit que la pire des jalousies est celle qui se développe dans le même milieu professionnel.

On imagine très bien que les analyses, les recommandations et les critiques de plus en plus vives de Philippe Juvin, représentant éminent du corps médical et disposant d’une liberté de parole à cause de sa carrière politique, aient sans doute à la longue irrité Olivier Véran et que ce dernier ne soit pas étranger à ce coup fourré.

La compétence, le talent, une liberté d’esprit, une réussite reconnue et incontestable à la tête des urgences de l’hôpital Pompidou, autant d’insupportables dispositions pour quelqu’un qui, comme Olivier Véran se bat contre l’épidémie en étant contraint de nous dire que les manques et les carences était délibérés et qu’on faisait mieux que les autres.

Bassesse politique aussi. Philippe Juvin est maire de La Garenne-Colombes, il a été député européen, il est un proche de Nicolas Sarkozy et si celui-ci avait été réélu en 2012 ou avait réussi son retour en 2017, Philippe Juvin aurait été son probable ministre de la Santé. Le professeur Juvin a même laissé entendre qu’il aurait pu être candidat à la primaire de la droite et du centre…

Par ailleurs, ce qui rend cette existence encore plus éclatante, Philippe Juvin a accompli des missions humanitaires dangereuses en tant que médecin militaire en Afghanistan. C’est sans doute trop dans un univers qui supporte l’éclat mais grisailleux, la dénonciation mais feutrée, le courage mais virtuel. Trop brillant à l’évidence, trop entier, Philippe Juvin n’avait pas droit à cette distinction puisque plus que tout autre il y avait droit. Il y a des qualités qui sont des handicaps et des insuffisances qui sont des garanties.

La Légion d’honneur a été souvent donnée à des personnalités qui ne la méritaient pas, à cause d’un clientélisme forcené. Si on la retire dorénavant, par décret d’autorité et de jalousie, à des lumières pour qu’elles ne fassent pas d’ombre à ceux qu’elles indisposent, où ira-t-on ? On pourrait qualifier ces péripéties de dérisoires. Mais rien de ce qui concerne l’honneur ne l’est.

Causeur: Assimilez-vous!

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« Assimilez-vous ! » Tel est l’appel lancé aux jeunes de l’immigration dans notre premier numéro de 2021. Cet appel s’incarne dans la personne d’Albert Batihe, entrepreneur fils d’immigrés camerounais, qui figure sur la couverture. Présentant notre dossier sur l’assimilation, Elisabeth Lévy déplore son état actuel : « Grippée depuis plusieurs décennies, la machine à fabriquer des Français (…) finit de rouiller dans un coin. » Qui l’a envoyée définitivement à la casse ? Personne d’autre que le président lui-même qui, dans son interview accordée à l’Express le 22 décembre, qualifie l’assimilation de notion « problématique. » La notion de « diversité » qui la remplace aujourd’hui ne demande plus à la minorité de s’adapter à la majorité, mais – toujours selon notre directrice de rédaction – « traite la majorité comme une minorité parmi d’autres, un peu moins égale que les autres puisqu’elle doit payer ses privilèges passés. » Albert Batihe raconte à Gil Mihaely son parcours de fils d’immigrés qui a su non seulement s’adapter à la société française mais y réussir. Selon lui, l’obstacle principal à l’assimilation vient de la culture familiale et communautaire.  L’historien Pierre Vermeren m’explique que la machine à assimiler avait été conçue à l’origine pour transformer les paysans français en citoyens mais qu’elle a été démantelée par les élites qui avaient la charge de l’entretenir. Frédéric Ferney reste plus optimiste : pour lui, un immigré est « un Français en puissance – ce n’est qu’une question de temps. » Le haut fonctionnaire, Michel Aubouin et l’anthropologue Philippe d’Iribarne soulignent le rôle crucial joué dans l’assimilation par la langue française et les codes non écrits.

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Côté actu, Stéphane Germain aborde une facette particulière de la liberté d’expression qui est le droit à l’humour. La volonté de tenir celui-ci sous surveillance réunit deux groupes que tout devrait opposer : les néoféministes et les salafistes. Sauf qu’ils partagent une même détestation pour le rire et la pensée libre. Moins drôle, Guy Daniel identifie une des causes des difficultés actuelles de la Police nationale aujourd’hui : sa hiérarchie est dominée par les commissaires qui sont des hauts fonctionnaires rarement issus du rang et connaissant mal le terrain. Frédéric Rouvillois, en conversation avec Elisabeth Lévy, porte son regard d’historien sur le phénomène du macronisme qu’il identifie comme une forme d’utopie dans la lignée du saint-simonisme : le président, derrière une façade démocratique, met en place une oligarchie d’experts. À l’international, un autre expert éminent, Jean-François Colosimo, explique à Gil Mihaely combien l’histoire de la Turquie moderne, derrière les revirements apparents, est marquée par une profonde continuité, le pays restant prisonnier des traumatismes de sa naissance.

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Il est toujours bien de prendre de la distance par rapport aux contingences du quotidien.

Bérénice Levet nous permet d’entrer dans le regard désabusé que pose Régis Debray sur son passé et le nôtre dans son dernier livre, D’un siècle l’autre. Elle trouve dans la lecture de son œuvre « l’une des plus exaltantes écoles de conservatisme politique qui soient. » Renaud Camus est poursuivi pour injure raciale par des associatifs qui n’ont jamais lu ses livres. L’auteur du Grand remplacement confie à Elisabeth Lévy et Martin Pimentel qu’« une vérité n’est plus tout à fait une vérité s’il est interdit de la contester. » Pour Jérôme Leroy, rendant compte de publications récentes d’ouvrages d’Octave Mirbeau et de l’Anglais Chesterton, une des armes les plus puissantes pour dénoncer la dangereuse folie d’une époque c’est le rire à la fois inquiet et salvateur. Si tout cela donne faim, Emmanuel Tresmontant nous révèle les secrets de la gastronomie italienne, sans oublier des adresses où l’on peut en profiter à Paris.

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Le livre, produit essentiel de l’année 2020

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Image de couverture du roman "Le Cadet" de Philippe Barthelet – PGDR éditions. Henry Scott Tuke / D.R.

Entre confinement et déconfinement, ouverture et fermeture des librairies, le livre a résisté au virus! Thomas Morales dresse le bilan littéraire de l’année passée.


Outre sa valeur refuge, le livre aura eu d’insoupçonnées vertus pacificatrices sur un secteur hautement concurrentiel. D’habitude, ces gens-là se détestent entre eux. Et pourtant, ils auront fait bloc durant toute l’année 2020. La littérature est un sport de combat féroce où chacun tient à ses positions idéologiques, son pas de porte, son catalogue, son comité de lecture, son diffuseur, sa clientèle et sa mise en place. 

L’éditeur vise un succès annuel qui assurerait la survie de sa boutique. Les jurys, ces joueurs autorisés de bonneteau, font et défont des carrières au gré du vent et du champagne tiède.

Écosystème précaire

Les critiques pestent contre le niveau général d’écriture depuis la réforme du collège unique. Les libraires en ont assez de porter des cartons, considérant la surproduction comme un fléau national. Et puis, rouage essentiel et dernier échelon de cette pyramide bancale, l’auteur se demande comment il va finir le mois. La caractéristique principale de cet écosystème précaire réside dans sa totale irrationalité. À vrai dire, c’est la dinguerie de ce métier qui amuse, captive, séduit et fait que nous sommes un certain nombre à y avoir succombé. « Irrité par ce monde, et comme échappé de lui, je préfère le monde littéraire un peu démuni qui en est mitoyen, où le hasard, la rencontre privée et la tertulia, réunissant des types atrabilaires et dévergondés, compensent et purifient de la cohabitation avec la conventionnelle et doctorale hypocrisie où s’alimente la pédanterie ambiante » écrivait Ramón Gómez de la Serna (Automoribundia/Quai Voltaire).

A lire aussi, Jérôme Leroy: Laurent Dandrieu et la littérature intranquille

Il y a dans ce milieu et nulle par ailleurs, malgré les concentrations capitalistiques à la manœuvre, une hétérogénéité de situations et de luttes fratricides. Des intérêts que l’on pensait jusqu’à très récemment contradictoires, voire irréconciliables. Comment comparer en effet, le groupe de communication qui achète et vend des maisons sur les marchés mondiaux à l’éditeur qui publie seul, trois livres par an, à la lueur de ses envies, dans son modeste atelier d’artisan ? Comment mettre sur le même plan, l’auteur de best-sellers choyé par les télés et poursuivi par les producteurs de ciné, et l’humble poète penché sur son écritoire qui, pour un vers réussi, à la métronomique ensorceleuse, se passera d’un repas ? 

Comment faire cohabiter dans un même lieu clos, l’auteur progressiste, à la pointe des combats victimaires, inlassable défenseur des humiliés de la Terre, adoubé par les forces intellectuelles avec l’auteur factieux, réprouvé des cercles, populiste par essence, oiseau de mauvais augure qui écrit pour dénoncer toutes les compromissions des élites réunies ?

Une nation qui aime la littérature

Malgré leur incompatibilité ontologique, tous partagent le même espace de vente. 

Miracle, la librairie est leur chapelle ardente ! Hier, ils étaient tous ennemis, en 2020, ils se sont retrouvés dans le même camp, celui qui réclamait, implorait et espérait l’ouverture des librairies indépendantes. Fin octobre, à la veille du second confinement, j’ai vu un étrange spectacle à la librairie Gibert sur le Boulevard Saint-Michel, à Paris. Des jeunes et des vieux, dans leur immense variété culturelle, de Deleuze à Morand, de Duras à Pound, de Mirbeau à Prévert se ruaient dans les rayons et faisaient provisions de livres, juste par peur de manquer. 

A lire aussi, Elisabeth Lévy: Le livre, un bien superflu?

Dans un premier élan, on pouvait trouver cette frénésie un peu ridicule à l’heure d’une grave crise sanitaire, et puis, en y réfléchissant, j’ai fini par m’enorgueillir d’une nation qui cherche dans la lecture, un moyen de s’évader, de se cultiver, de se divertir ou tout simplement de se nourrir de mots. Quitte à s’en abreuver. Quel autre pays dans le monde marque-t-il un tel amour dévot pour la phrase sauvage et les cathédrales de papier ? 

Derniers coups de cœur

Comme tous les professionnels du métier, j’ai d’abord pensé égoïstement à la survie de mes propres livres, et puis à celle de mes amis qui venaient de sortir leurs romans à la rentrée. Je pense ici à Jean-Pierre Montal (La nuit du 5-7/ Séguier) ou Yves Charnet (Chutes/ Tarabuste). Je savais leur inquiétude. Rien ne remplacera le toucher des couvertures. Les peaux ne mentent pas. Le livre se moque de la distanciation sociale. On a besoin de le palper, de s’en imprégner, de fureter entre les piles, les sens en alerte, et de le laisser nous choisir. 

Car, c’est bien le livre qui nous appelle et nous tend la main, jamais le contraire. Alors, offrir un livre, un bien culturel comme ils disent, est encore le meilleur moyen de dépenser son argent. Je vous donne in extremis mes derniers coups de cœur pour 2020, ils sont issus d’une production raisonnée : Escaliers (Une passion avec L.-F. Céline) d’Évelyne Pollet (La Nouvelle Librairie éditions), Le Pugilat de William Hazlitt (L’Insomniaque), Poulidor by Laborde de Christian Laborde (Mareuil Éditions) et Le Cadet de l’excellent Philippe Barthelet (PGDR éditions). 

Escaliers (Une passion avec L.-F. Céline) d’Évelyne Pollet – La Nouvelle Librairie éditions – Préface de Marc Laudelout et postface de Jeanne Augier

Le Pugilat de William Hazlitt – L’Insomniaque – Traduit et présenté par Philippe Mortimer

Le pugilat

Price: 10,00 €

10 used & new available from 4,90 €

Poulidor by Laborde de Christian Laborde – Mareuil Éditions

Le Cadet de Philippe Barthelet – PGDR éditions

Être ou ne pas être… inoculé

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© Jacob King / Pool / AFP

William Shakespeare s’est fait vacciner contre le Covid-19


William Shakespeare s’est fait vacciner contre le Covid-19 le mardi 8 décembre à l’hôpital de Coventry au Royaume-Uni. Ce n’est pas une blague !

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Il était la deuxième personne au monde à recevoir le vaccin de Pfizer en dehors d’un essai clinique. Shakespeare, âgé de 81 ans, outre qu’il est l’homonyme du célèbre dramaturge anglais, est aussi originaire du comté du Warwickshire tout comme l’auteur de Hamlet. Ces coïncidences n’ont pas manqué d’amuser les réseaux sociaux, donnant lieu à une pléthore de jeux de mots, pour la plupart intraduisibles en français, comme « The Two Gentlemen of Corona » (pour Verona, Les Deux Gentilshommes de Vérone) ou « The Taming of the Flu » (pour The Taming of the Shrew, La Mégère apprivoisée). Certaines internautes imaginaient Shakespeare, à son arrivée à l’hôpital, en train de crier : « Une piqûre ! Mon royaume pour une piqûre ! » (d’après Richard III) ou « N’est-ce une aiguille que je vois là devant moi ? » (d’après Macbeth). D’autres se sont demandé si, la première personne à être vaccinée, Margaret Keenan, 90 ans, représentant la patiente 1A, William Shakespeare serait « 2B, or not 2B » to be or not to be, « être ou ne pas être », la célèbre question de Hamlet).

Il semble que la plupart des compatriotes de William Shakespeare n’ont pas de crainte à être vaccinés contre le coronavirus. Selon un sondage conduit par la société Kantar, 75 % des Britanniques affirment être prêts à se faire inoculer, contre 66 % des Américains, 67 % des Allemands et seulement 54 % des Français.

La fin de la coopération monétaire franco-africaine soumettrait le continent africain au règne du dollar et à la pénétration du yuan

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Loup Viallet, auteur de "La fin du franc CFA". Image: Capture d'écran TV Libertés.

Entretien avec Loup Viallet, qui analyse la situation du franc CFA, monnaie et système en sursis…


Considéré par certains comme le dernier héritage de la colonisation, le Franc CFA (FCFA) est encore l’objet de tous les fantasmes. Il y a un an, les présidents français et ivoirien ont annoncé que cette monnaie commune à quinze pays africains serait remplacée dans la moitié ouest-africaine d’entre eux, par « l’Eco », une nouvelle devise dont la création se fait toujours attendre. Dans un ouvrage récent, La fin du franc CFA (oct. 2020, VA Éditions, Versailles), qui commence à faire parler de lui à droite, le géopolitologue Loup Viallet dévoile les enjeux vertigineux de la coopération monétaire franco-africaine pour l’Europe et pour l’Afrique. Alors que cette thématique est ordinairement désertée dans le débat public, on l’a vu revenir à travers les discours portés le mois dernier par la directrice de l’ISSEP Marion Maréchal, à l’occasion de sa série d’interventions médiatiques. L’ISSEP, dont le tout nouveau think-tank a publié parmi ses premières analyses une note signée par… Loup Viallet.

Pour le magazine Causeur, il a accepté de répondre à nos questions sur ce sujet qui cristallise beaucoup de passions et alimente de nouvelles idées.

Frederic de Natal. Qu’est-ce que le Franc CFA? 

Loup Viallet. Le Franc CFA (Communauté Financière Africaine-ndlr) est la monnaie d’un pays sur trois en Afrique sub-saharienne dont l’ensemble forme ce qu’on appelle « la zone franc ». Contrairement aux monnaies de leurs pays voisins qui fluctuent en permanence au gré des prix des matières premières, et dont la fragilité expose leurs économies et leurs sociétés à des phénomènes chroniques d’hyperinflation, le franc CFA est la monnaie la plus stable et la plus crédible du continent africain. Elle sert de socle à deux marchés communs africains, l’UEMOA en Afrique de l’Ouest et la CEMAC en Afrique centrale, supprimant les coûts liés au change entre leurs pays membres, mais aussi avec les dix-neuf pays de la zone euro. Sa convertibilité en euros est garantie par le Trésor français, dans le cadre d’un partenariat monétaire surveillé par les institutions européennes et administré par les banques centrales africaines et les chefs d’État africains. C’est un atout auquel les dirigeants africains ré-adhèrent régulièrement, mais ce n’est pas non plus une baguette magique : avoir une monnaie stable et crédible ne suffit pas à protéger les pays africains de la désindustrialisation asiatique, ne les incite pas à transformer leurs économies et à sortir de leurs rentes primaires ou à renforcer l’unité fiscale et infrastructurelle de leurs marchés communs. C’est un symbole enfin, celui de souveraineté limitée des pays africains de la zone franc qui fait dire à certains que le franc CFA est un instrument de prédation, un lien néocolonial.

Pourquoi et par qui est-elle décriée aujourd’hui?

Pour de nombreux courants militants qui s’inscrivent d’abord dans la gauche intellectuelle et politique, les « indigénistes » ou les « décoloniaux » en France, et les « panafricanistes » en Afrique francophone, le Franc CFA est le bras armé du capitalisme et du néocolonialisme de la France en Afrique. Son maintien serait à l’origine d’un enrichissement odieux de l’ancienne métropole sur le dos de ses anciennes colonies. Ces thèses sont aussi relayées dans les milieux souverainistes, où ce lien est souvent compris à travers un prisme altermondialiste. Toujours est-il que cette monnaie fait l’objet de beaucoup de fantasmes et de rumeurs qui entretiennent les pays africains dans une certaine infantilisation, tenant leurs dirigeants pour des irresponsables, les présentant alternativement comme soumis à l’ancienne métropole ou comme des martyrs de la liberté africaine. Ces discours sont faux et dangereux.

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Pourquoi avoir écrit un ouvrage sur ce sujet qui semble particulièrement diviser le «village franco-africain»? 

Cela fait plusieurs années que j’écoute le discours des « indigénistes » sur cette question qui me tient particulièrement à cœur. J’ai voulu comprendre si cela était vrai, d’où venaient ces types de discours, comment fonctionne l’organisation monétaire de l’Afrique afin de mieux répondre aux questions, aux enjeux que cela comporte tant pour l’Europe ou la France. Or, force est de constater que nous avons affaire de la part de ces gens à des discours très démagogiques. Il est regrettable de voir que des politiques français reprennent ce genre de caricatures, et ne s’emploient même pas à démontrer qu’il n’y a pas de néo-colonialisme de la part de la France. Ou encore des dirigeants et des intellectuels africains, qui tiennent des discours ambigus, dénonçant une mainmise d’un côté mais sans pour autant rompre avec la coopération monétaire de l’autre. Lorsqu’il était président de la république de Côte d’Ivoire, Laurent Gbagbo n’a pas dénoncé le franc CFA et a même renouvelé l’adhésion de son pays aux institutions de la zone franc. Or, dans son autobiographie publiée une décennie plus tard, il en a fait la « clé de voûte » d’un système de spoliation par lequel la France s’enrichirait.

Le Franc CFA est-il l’instrument d’un néocolonialisme de la France en Afrique? 

Cette vision d’une France néocoloniale qui tirerait sa prospérité de l’exploitation des pays africains est complètement fausse. La puissance économique de la France ne repose pas sur ses liens passés ou présents avec l’Afrique. La zone franc ne représente que 0,6% du commerce extérieur de la France contre 40% à la veille des indépendances (tenant compte de l’ancienne Indochine), tandis que la France polarise 10 à 15% des échanges des pays de la zone franc aujourd’hui contre 60% à la veille des indépendances.  La France ne dispose plus de monopole économique dans son ancien « pré carré » : sur ce terrain les entreprises françaises sont désormais en concurrence avec des sociétés américaines, allemandes, italiennes, espagnoles, chinoises, turques, indiennes. On note aussi que la majorité des intérêts économiques français en Afrique sont hors de la zone franc : au Nigeria, au Maroc, en Tunisie, en Afrique du Sud. Quant à l’approvisionnement en uranium qui suscite beaucoup de fantasmes sur l’action de la France au Niger, il s’opère avec le Canada et avec le Kazakhstan sans nécessiter de partenariat monétaire. Enfin, la France n’a pas d’hégémonie politique dans les pays de la zone franc, ainsi qu’en a attesté le coup d’État imprévu au Mali à l’été 2020. Aujourd’hui le premier créancier et le premier fournisseur des pays de la zone franc c’est la Chine. 

Les pays africains peuvent-ils entrer ou sortir librement de la zone Franc? 

Oui. La possibilité d’adhérer ou de dénoncer la coopération monétaire est prévue par les traités. Cela a été le cas de Madagascar en 1963, de la Mauritanie en 1973, de la Guinée-Conakry en 1960 ou encore du Mali en 1962 avant finalement d’y revenir 22 ans plus tard car sa monnaie était trop instable et inconvertible. Plus récemment, la Guinée équatoriale et la Guinée-Bissau ont rejoint la zone franc, respectivement en 1985 et en 1997 pour bénéficier de sa crédibilité. On voit bien dès lors que ce n’est pas une monnaie coloniale mais un service qui permet à des pays pauvres et rentiers de jouir d’une sécurité financière favorable au développement du commerce, de l’investissement, de l’épargne, de la production, de l’emploi et de la diversification économique. 

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Que penser de l’éco, cette nouvelle monnaie qui doit remplacer le Franc CFA dans huit pays d’Afrique de l’Ouest? 

Il y a la même différence entre le franc CFA et l’éco qu’il y a entre les notions d’ « assistance » et d’ « assistanat ». Le changement de nom est superficiel, d’autant que d’autres monnaies portent le nom de franc sans qu’il ne prête à débat : le franc pacifique, le franc suisse, le franc congolais, le franc guinéen. Par ailleurs, ce nom rappelle celui du garant, sans lequel la monnaie n’existerait pas. Mais il y a plus grave, le franc CFA fonctionnait avec des contreparties de la part des pays africains, des sortes de devoirs, associés au droit de détenir une monnaie dont ils n’ont pas à garantir la qualité. Dans la nouvelle mouture de l’éco, ces devoirs disparaîtront, ce qui engage la relation franco-africaine sur deux pentes. La première est que les pays africains n’auront aucun compte à rendre sur l’administration de cette monnaie et n’auront aucune incitation pour réaliser les réformes économiques nécessaires pour sortir de leur modèle rentier. La seconde implique pour la France de développer une solidarité financière coûteuse pour son budget public et permissive pour les pays de la zone franc, qui seront autorisés à poursuivre leurs déficits massifs avec l’Asie en se reposant sur la garantie de convertibilité française. C’est un mauvais accord qui va amplifier les pires défauts de la coopération actuelle.

Faut-il poursuivre la coopération franco-africaine?

Pour répondre à cette question, il faut avoir bien conscience des enjeux que provoquerait la rupture de ce lien, à la fois pour la France, pour la zone euro et les pays de la zone franc et plus largement pour l’Europe et l’Afrique. La fin du franc CFA achèverait de soumettre les économies du continent africain aux variations du dollar, aux fluctuations des prix mondiaux des matières premières et à la pénétration de la monnaie chinoise, ce qui signerait leur enlisement dans le piège de la rente primaire. L’exploitation du cacao, de l’hévéa, du pétrole ou du gaz dégage trop peu de ressources pour financer des services publics de base, ne nourrit pas des peuples entiers, laisse sans emploi la majorité des populations en âge de travailler. Par ailleurs on ne peut ignorer que les modèles mono-agricole et mono-extractif sont exposés au réchauffement climatique et à la raréfaction des ressources fossiles. L’Afrique subsaharienne est soumise à un nouveau désordre, ses gouvernements ne parviennent pas à répondre aux besoins de populations en augmentation constante, dans un contexte où le réchauffement climatique menace les rendements et l’habitat. Ce désordre se manifeste par l’exil de millions d’Africains, par la faillite des frontières, la prolifération des bandes armées, des trafics illicites et des idéologies contestataires. Il constitue une source très puissante de déstabilisation et d’insécurité pour les pays africains, mais aussi pour les pays d’Europe, qui se situent dans leur grand-voisinage. Ni la France, ni les autres pays européens n’ont intérêt à ce que l’Afrique sombre dans l’anarchie et le sous-développement. Tel n’est pas nécessairement le cas de puissances plus éloignées, qui pourraient tirer parti de la situation pour bénéficier d’un réservoir de matières premières certes limité mais disponible, mais aussi pour contrôler l’organisation politique africaine et imposer leur paix aux frontières de l’Europe. La coopération monétaire est un des instruments dont les Africains et les Européens disposent pour éviter cette situation et pour bâtir des réponses aux principaux défis qui leurs sont communs en ce début de siècle.

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Pénélope Bagieu: Ulysse, reviens!

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La dessinatrice Pénélope Bagieu à une marche "Nous toutes" en 2019 © CELINE BREGAND/SIPA Numéro de reportage : 00933927_000011

La dessinatrice féministe a fait le bilan de l’année passée dans les Inrocks. Selon elle, “2020, c’est l’année Alice Coffin”


Pas de trêve des confiseurs entre Noël et jour de l’An pour la cancel culture. En effet, Jean-Paul Brighelli en a parlé dans nos colonnes, une école du Massachusetts aux États-Unis s’est félicitée de la suppression de l’Odyssée d’Homère de son programme pour cause d’apologie de « culture du viol ». Je ne m’étalerai pas davantage sur ce nouveau délire de l’idéologie woke. Laissons-nous plutôt aller à une rêverie dystopique ! Pénélope Bagieu, dessinatrice de BD parisienne qui coche toutes les cases progressistes, auteur entre autres de « Sacrées Sorcières », une adaptation de Roald Dahl, a donné une interview aux Inrocks. Son Odyssée à elle à travers le pays rêvé de la perfection idéologique.

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Ulysse est relégué à la maison à faire et refaire son ouvrage en guise de punition, Pénélope est aux commandes et nous raconte sa guerre de Troie depuis son Ithaque confinée et confortable: « Je ne suis absolument pas à plaindre car j’ai un appartement relativement grand et lumineux, je ne vis pas seule et je n’ai pas été obligée de sortir travailler. » Les Dieux ayant été cléments avec Pénélope, elle s’inquiète de ceux pour qui ils le sont moins, avec la sagesse d’une Athéna en gilet jaune : « Les gazages et violences pendant les manifestations sont devenus tellement récurrents que c’est comme si on se conditionnait presque à leur « normalité. » On est arrivés à un stade où il faut filmer les policiers en action et ce sont eux qui nous nassent et nous gazent. » Mais Pénélope est là pour nous protéger de tous les Cyclopes du vieux monde coupables de toutes les phobies réactionnaires : « Il faut faire face à une défense hyper crispée du vieux monde qui ne veut pas que les choses changent. »

Pénélope irradiée par la sincérité d’Alexandria Ocasio-Cortez

C’est cependant sans compter sur Trump/Poséidon qui fait reculer les droits des femmes et sème le chaos dans l’île merveilleuse des progressistes. En effet la mort de Ruth Bader Ginsburg, féministe américaine historique et juge à la Cour Suprême, remplacée par la très conservatrice Amy Coney Barrett a plongé Pénélope dans la terreur : « Je ne voulais pas croire au scénario catastrophe de la nomination d’une sénatrice conservatrice à la Cour Suprême mais Trump a réussi. »

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Alexandria Ocasio-Cortez, novembre 2018. Sipa. Numéro de reportage : AP22273804_000001.

Heureusement, Alexandria Ocasio-Cortez est là pour éloigner les sirènes du conservatisme et redonner l’espoir en un monde où régnerait la paix inclusive et racisée : «  AOC est trop cool pour les cools, elle ne serait pas forcément acclamée ici. Imaginez une AOC française envoyée chez Pascal Praud (…) Alexandria est extraordinaire, elle irradie. Le fait qu’elle soit animée par la sincérité, ça marche. »

2020: l’année de la pandémie et d’Alice Coffin

Dans son périple sur une mer déchaînée par le vent mauvais du covid, notre Pénélope s’est longuement attardée sur l’île de Lesbos où elle semble avoir trouvé le repos. En effet, elle fait rimer 2020 avec Coffin. On ne présente plus notre Alice, reine du merveilleux pays lesbien, qui défraya la chronique de la rentrée de septembre avec son Génie Lesbien, ouvrage chaotique et misandre, que j’ai traité avec une relative indulgence dans votre magazine préféré.

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Elle fait cependant figure de vestale pour Pénélope : « 2020 c’est l’année Alice Coffin. Elle a mis un vrai coup de pied dans la fourmilière et a contribué à faire évoluer les mentalités (…) Elle a permis de mettre en lumière une discrimination dont on n’est pas forcément habitués à s’émouvoir qui est la lesbophobie. » Alice a même accompli l’exploit d’obtenir les plates excuses de Laurent Ruquier, qui l’avait un tant soit peu maltraitée sur son plateau. Courageuse guerrière.

Contrairement à la Pénélope d’Homère, qui défait sans cesse son ouvrage, Bagieu tisse patiemment sa toile de parfaite thuriféraire « woke ». Elle ne semble cependant pas complètement débarrassée des travers de l’ancien monde, car elle avoue avoir fait la cuisine et le ménage pour s’occuper pendant le confinement. On ne nous dit pas si elle attendait son Ulysse.

Vaccins: la France sous la dictature du fonctionnariat

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Site de la vaccination à l'Hotel Dieu à Paris, 4 janvier 2020. A gauche le ministre Olivier Véran © WITT/SIPA Numéro de reportage : 00998476_000002.

Après la dernière grande guerre mondiale du siècle dernier, la France avait réussi à éviter le système communiste que voulait lui imposer Staline! Elle a donc échappé de justesse à la dictature du prolétariat, mais ce fut pour mieux tomber au fil du temps dans une dictature du fonctionnariat qui montre aujourd’hui, parmi d’autres calamités, sa profonde incapacité et son impuissance tragique à gérer une crise sanitaire contre laquelle Emmanuel Macron a pourtant déclaré la « guerre ».


Après avoir complètement raté les deux premières batailles des masques et des tests, nos hauts fonctionnaires et nos politiciens, qui sont souvent les mêmes, ont l’air bien partis pour perdre une troisième bataille, celle des vaccins.

Emmanuel Macron a donc fini par s’énerver et promis qu’il ne laisserait pas « une lenteur injustifiée s’installer » dans la campagne de vaccination qui vient de s’ouvrir. Son ministre de la Santé, le très socialiste et sectaire Olivier Véran, l’homme qui boycotte CNews à cause de l’émission d’Éric Zemmour et qui n’hésite pas à excommunier le célèbre professeur Raoult pour « populisme », s’est évidemment senti visé. Il a fait savoir que « nous ne passerons pas à côté » du vaccin car la France, d’après lui, « sait organiser une vaccination de masse », ce qui est pour le moins présomptueux au vu des chiffres connus dès le 1er janvier : quelques centaines de vaccinés au total dans l’Hexagone en une semaine, contre 72 000 en Italie et 190 000 en Allemagne. Les Britanniques en sont largement à plus d’un million mais il est vrai qu’ils ont commencé plus tôt.

Qu’en dit-on du côté d’Alain Fischer, le « Monsieur Vaccin » du gouvernement ? On précise que « la France n’a pas adopté la même stratégie que ses voisins européens qui ont pour certains choisi de vacciner en premier les professionnels de santé », alors que « la stratégie française consiste à vacciner en priorité les personnes âgées qui sont le plus à risque ». Ce qui a fait réagir vertement le professeur de médecine William Dab, un épidémiologiste qui fut directeur général de la Santé : « On ne va pas continuer à vacciner 300 Français par semaine, s’est-il exclamé dans Le JDD. Ou alors, nous y serons encore dans cinq mille ans ! »

Toujours des mots, toujours des postures

Chez Olivier Véran, où on annonce une « accélération » des vaccinations, on précise qu’on va s’attaquer immédiatement aux « soignants de 50 ans et plus qui le souhaitent » puis « aux personnes âgées de 75 ans et plus, puis les 65 ans et plus, etc. ». Fort bien, mais pourquoi ces critères d’âge de 50, 65 et 75 ans ? Et puis où et comment ? Va-t-on distribuer aux soignants des bons à vacciner ? Devront-ils aller chez leur médecin traitant, ou chez l’infirmier libéral d’à côté, ou chez le pharmacien ? Suivant quel calendrier ? Comment expliquer et justifier tout cela autrement, encore une fois, que par des décisions administratives souveraines ? Nous restons toujours dans le même registre des mots et des postures. Toujours des mots, toujours des postures…

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L’économiste et doctorant au MIT (Massachusetts Institute of Technology) Antoine Levy, un jeune et brillant normalien, a une explication très carrée et très construite qu’il a donnée au Figaro dans une chronique qui a fait du bruit : « L’ampleur surréaliste de l’échec français interroge ; elle ne devrait pourtant pas surprendre, écrit-il. La lenteur de la campagne de vaccination française n’est que la suite logique de notre gestion des masques, des tests, du traçage, de l’isolation. C’est le symptôme d’un déclassement et d’un appauvrissement organisationnel et technologique effarants. » Et il précise : « C’est aussi le produit de l’arrogance d’un État imbu de lui-même et imperméable à la critique, de la suffisance d’une administration et d’une classe politique autosatisfaites, boursouflées et incapables de la dose d’humilité nécessaire pour faire machine arrière et s’inspirer simplement de ce qui fonctionne ailleurs. »

On peut y ajouter une explication complémentaire, celle qui a été mise en avant par le professeur Philippe Juvin, chef des urgences de l’hôpital Pompidou et maire LR de La Garenne-Colombes, dans les Hauts-de-Seine : « Toute vaccination repose sur deux éléments clés, a-t-il déclaré dans une interview décapante au journal L’Opinion : la confiance des patients et une logistique très au point. »

La question de l’exemplarité est posée

La confiance d’abord : « Les autorités gouvernementales avaient plusieurs semaines pour bâtir cette confiance, a-t-il dit. Il est frappant de voir qu’elles ne présentent la vaccination que par ses côtés négatifs et ses risques […] Cela pose aussi la question de l’exemplarité. Pourquoi le Premier ministre ou le ministre de la Santé ne se font-ils pas vacciner publiquement ? » C’est une bonne question ! Philippe Juvin pointe aussi les lourds travers de l’administration paperassière française, comme ce document d’acceptation pour pouvoir être vacciné. « Le protocole actuel est à la fois une complication française et un alibi pour justifier notre retard qui est lié à notre absence d’organisation. » Pour lui, il est évident que « l’exécutif n’est pas capable d’organiser une vaccination de masse ».

La logistique ensuite : le gouvernement « a décidé de s’appuyer sur l’administration centrale plutôt que sur des logisticiens de métier, sur l’armée ou sur les collectivités territoriales. Aux États-Unis, la vaccination est organisée par un général, et en Allemagne par les Länder […] Les Allemands ont une stratégie vaccinale, nous pas ». La France avait pourtant su répondre au défi de la remise en état de la cathédrale Notre-Dame en choisissant le général Georgelin, un ancien chef d’état-major des armées rompu à toutes les logistiques, plutôt qu’en confiant ce chantier titanesque à des hauts fonctionnaires de l’organigramme étatique.

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« En guerre le matin, le midi, le soir et la nuit ! »

Le président s’est donc énervé, depuis sa résidence de l’Élysée, contre les lenteurs de son administration. « Ça doit changer vite et fort ! » a-t-il fait savoir en précisant bien qu’on était toujours « en guerre » et que, pour ce qui le concerne, il « fait la guerre le matin, le midi, le soir et la nuit ». Quel homme ! Selon Le Point, il se serait même vanté d’avoir mis « un coup de pied au cul » de l’Agence régionale de santé d’Île-de-France et du ministère de la Santé, dont les trois quarts du personnel devaient sûrement être en vacances jusqu’au 4 janvier. Il est vrai qu’il est plus facile de mettre des coups de pied au cul de fonctionnaires absents qu’à des grandes gueules d’extrême droite ou d’extrême gauche dont on pourrait en plus avoir besoin lors des élections présidentielles. Hâbleur, mais aussi vindicatif, Emmanuel Macron aurait même eu ces mots guerriers : « La France peut et doit gagner cette guerre. Et elle la gagnera. » Des mots, toujours des mots… Des postures, toujours des postures…

Jacques Attali, Paris, 20 novembre 2019. © Lionel GUERICOLAS /MPP/SIPA Numéro de reportage: 00933574_000101
Jacques Attali, Paris, 20 novembre 2019. © Lionel GUERICOLAS /MPP/SIPA Numéro de reportage: 00933574_000101

Laissons alors le dernier mot et la dernière posture à Jacques Attali, qui a bien connu l’Élysée du temps de Mitterrand et qui a aussi fréquenté les présidents suivants. Dans sa chronique du mois de décembre aux Échos, il avait bien anticipé les choses en écrivant que « la pandémie nous rappelle les énormes lacunes de notre système de santé » et en avait conclu qu’« avant de vouloir réformer les autres, l’État devrait d’abord se réformer lui-même ». Bien vu, l’ancien…

« Nous sommes dans l’instant, tandis que l’Islam est dans l’éternité »

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Dans La France s’éteint, l’Islam s’embrase…, Henri Rey-Flaud analyse l’antagonisme entre Occident et civilisation islamique par le prisme des mœurs. Le pire est-il à venir? Entretien avec le psychanalyste érudit.


Causeur. Pourquoi mettez-vous une majuscule à « Islam » dans le titre de votre livre?

Henri Rey-Flaud. Parce que l’islam avec une minuscule, c’est une religion et que l’Islam avec une majuscule, c’est un mouvement de culture et de civilisation que je considère comme prodigieux. La grande différence entre l’Islam et l’Europe occidentale, c’est que l’Europe occidentale s’est construite sur environ vingt-cinq siècles, tandis que l’Islam s’est construit en quatorze siècles.

Emmanuel Macron a-t-il eu raison de déclarer lors du discours des Mureaux qu’il faut «faire émerger une meilleure compréhension de l’islam»?

Dans ce qui se joue aujourd’hui, à peu près tout le monde dans l’espace politique est complètement à côté de la plaque. Emmanuel Macron n’a aucune idée des enjeux fantastiques que pose la rencontre de l’Islam et de l’Occident. Le roi Hassan II, qui était lui un esprit supérieur, est tout de suite allé au cœur du problème ! « Les Marocains ne seront jamais des Français », a-t-il dit lors de son entretien avec Anne Sinclair. Cela est aussi vrai des Tunisiens, des Algériens ou des Turcs. Ces gens-là ne seront jamais français, non pas qu’il y ait un rejet par la France mais parce que ce sont des cultures antinomiques. Ce qui me semble approprié pour résumer ma pensée, c’est une phrase de Freud: « l’ours et la baleine ne se sont jamais disputés parce qu’ils ne se sont jamais rencontrés ». L’Islam et l’Occident, c’est l’ours et la baleine.

Le psychanalyste et critique littéraire français Henri Rey-Flaud. Photo: D.R.
Le psychanalyste et critique littéraire français Henri Rey-Flaud. Photo: D.R.

Vous utilisez cette personnification dans votre ouvrage, vous utilisez aussi la métaphore de « l’incertain mariage de l’huile et du vinaigre ». A vous lire, ce mariage semble même être plus qu’incertain…

J’ai une profonde admiration pour la culture musulmane et pour l’Islam, mais je pense que l’avenir en France se présente très mal. Prenons l’exemple du Maroc, qui est un pays que j’aime beaucoup et que je connais bien. Il y a dans mes amis ou collègues marocains un noyau auquel on ne peut pas toucher. On a beau échanger sur beaucoup de choses, cette espèce de mur de verre est bien là, il ne permet pas d’établir ce que j’appellerais une communication absolue. L’Islam est une civilisation de la certitude.

Dans dix ans, les Algériens seront soixante-dix millions, la population en Algérie sera plus nombreuse que la population française en France! (…) À partir du moment où vous donnez un accommodement, il viendra une autre chose, puis une autre, puis une autre jusqu’à ce que l’Islam ait totalement assimilé l’Occident.

Justement, pouvez-vous nous en dire plus sur cette opposition que vous faites entre le doute chrétien et la certitude islamique?

La civilisation de l’Occident a été fondée sur l’examen. « La seule chose que je sais c’est que je ne sais rien », disait déjà Socrate. « Je pense donc je suis », disait Descartes. Freud disait que nos pensées ne viennent d’ailleurs que de notre personne immédiate. L’islam sort de la parole de Mahomet, de la prise de la dictée sous l’ange Gabriel. Quiconque remet en cause le discours d’Allah est un blasphémateur. Et le sacré est partout dans le monde islamique, dès qu’on touche à quoi que ce soit, on touche donc au sacré. Les Arabes, au fond d’eux-mêmes, sont animés par cette certitude. Cela est profondément opposé au doute, à l’esprit d’examen qui est au fondement de l’Occident.

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On pourrait vous suspecter d’essentialisme…

Je ne sais pas ce qu’il faut mettre sous ce mot. Ce que j’ai écrit et que je maintiens, c’est que l’aventure de Mahomet est l’aventure la plus prodigieuse de toute l’histoire de l’humanité. Un seul homme a créé cet élan spirituel qui se répand encore aujourd’hui.

D’aucuns disent que cela s’est fait par la conquête…

La conquête, elle est à la fois par les armes et par les esprits, les deux sont complètement liés.

En quoi cette conquête serait-elle plus prodigieuse que celle des Amériques par Hernan Cortés ou Francisco Pizarro?

La conquête des Amériques, c’étaient des gens qui allaient conquérir des terres qu’ils ne connaissaient pas, tandis que ce qui anime le fond de la conquête islamique, c’est que toute terre est en attente d’être rattachée à l’islam. Dans Les Droits de l’homme selon l’islam, texte présenté à l’Assemblée générale de l’ONU, il est écrit que « l’islam a vocation à devenir la religion universelle de l’humanité ». Cela signifie que selon ce texte, le jour où toute l’humanité partagera la foi musulmane, on aura atteint la fin de l’Histoire. Mahomet était un chef de tribu dérisoire dans un pays désertique. Lui et ses successeurs ont fait une conquête inouïe en très peu de temps. Il suffit de voir les splendeurs de Cordoue pour comprendre que cette civilisation est fantastique et qu’ils n’étaient pas uniquement des guerriers. Colomb, Cortés et compagnie n’étaient, eux, que des aventuriers.

Venons-en à la question des mœurs. « A Rome, fais comme les Romains », aurait dit Ambroise de Milan à Saint Augustin. Cette maxime n’est-elle pas valable pour n’importe quelle nation dans le monde, notamment la France?

Les Arabes ne vous diront jamais qu’ils vont vivre en France comme des Français. Tahar Ben Jelloun a écrit que toutes les nations arabes peuvent vivre en accord avec la République. Cela veut dire que la République est assez vaste pour que diverses formes de cultures puissent trouver un lieu d’accueil dans la République. Mais la République n’est pas une coquille vide! J’adore l’Italie et le Maroc. Je me sens plus chez moi en Italie que dans le nord de la France. En revanche, quand je suis au Maroc, je fais attention car je suis dans une autre culture.

Justement, les gens qui viennent de l’Islam ne devraient-ils pas adopter la culture française ?

Ils ne le peuvent absolument pas ! De Gaulle disait qu’on ne pouvait pas accorder la citoyenneté française aux Algériens car si on accordait cette citoyenneté, les Algériens, alors français, viendraient en France. Et il en déduisait alors la fameuse phrase « mon pays ne s’appellerait plus Colombey-les-Deux-Eglises mais Colombey les deux mosquées ». A l’époque, il y avait dix millions d’Algériens de souche et un million de pieds noirs. Aujourd’hui, l’Algérie comporte quarante millions de citoyens, la population a été multipliée par quatre. Cela veut dire que dans dix ans, les Algériens seront soixante-dix millions, la population en Algérie sera plus nombreuse que la population française en France. Les tenants de l’Algérie française étaient complètement aveugles sur la réalité, la partie était injouable. En revanche, le général De Gaulle était un visionnaire.

Venons-en à l’identité française. La France est-elle encore frappée de cette « culpabilité ouvrant sur un univers morbide de la faute » dont vous parlez ?

La France est dans une crise d’identité. Il en est de même en Italie. Le raidissement identitaire que l’on voit en Hongrie ou en Pologne traduit lui aussi une crise d’identité. L’Europe n’est pas parvenue à créer une identité européenne. À l’époque de Giscard D’Estaing ou de Jacques Delors on pensait que cela pouvait se faire. Aujourd’hui, je crois que le grand élan européen est retombé. Et la France s’éteint, il suffit de voir la façon dont les Français vivent aujourd’hui le Covid. L’élan identitaire qui a eu lieu en France au moment de la guerre de 14-18 n’est même pas imaginable aujourd’hui. Ces quatre années ont été terribles. Aujourd’hui, si vous dites aux gens qu’ils ne pourront pas fêter Noël, ils ont le sentiment que c’est liberticide. Je ne sais pas où va la France mais je pense qu’on aura un grand coup de théâtre avant les élections de 2022. Dans quel sens? Je n’en ai aucune idée, mais il ne se passera sûrement pas ce qu’on attend.

Vous soulignez un risque d’apartheid en France, terme qui renvoie à un développement séparé, mais n’est-ce pas déjà le cas?

C’est vrai qu’il a déjà commencé. Il y a eu cette idéologie multiculturaliste qui s’est développée, il y a eu beaucoup de lâchetés, Emmanuel Macron a étendu le regroupement familial aux frères et sœurs des mineurs réfugiés. Le Conseil de l’Europe décide aussi du regroupement familial. Les pays comme la Hongrie qui sont très anti immigration sont en passe d’être condamnés pour cela. En France, il y a eu cette idéologie dite humaniste. Il y a des Français d’origine maghrébine qui sont de plus en plus rattachés à leur pays d’origine. On parle là de gens qui ont 30, 40 ans.

A lire aussi: Cambadélis: « Le multiculturalisme n’est pas en contradiction avec les principes républicains »

Vous écrivez d’ailleurs que « tant que les Arabes parleront arabe en France, il n’y aura pas pour eux d’intégration possible dans la collectivité nationale ». Mais les anciennes générations de Nord-Africains qui ne parlaient pas forcément bien français donnent l’impression d’être plus intégrées que les plus jeunes dont vous parlez…

Les gens dont je parle, qui sont mes analysants, m’ont dit que leurs parents leur avaient dit que la France était un pays qui les accueillait, qu’il fallait absolument apprendre la langue, les mœurs des Français, se fondre dans la population et être reconnaissant envers le pays d’accueil. Ils parlent un français impeccable, sans aucun accent. Mais ils se sont sentis de plus en plus maghrébins au fil des années, de plus en plus étrangers dans leur propre pays et leurs enfants sont totalement opposés à la France. Là on va vers une scission.

Emmanuel Macron a-t-il eu raison de dire qu’il faut promouvoir l’apprentissage de la langue arabe?

Les hommes politiques français, y compris Emmanuel Macron, n’ont aucune vision historique. La langue arabe n’est pas une langue comme une autre, c’est l’identité arabe. Avec le paradoxe qu’aucun Arabe en France ne parle l’arabe de Mahomet. Cette langue coranique est l’équivalent pour eux du latin pour nous, et ils se rattachent à cette langue comme à ce qui fonde leur identité. Quand on dit aux parents des enfants d’origines arabe qu’on va créer des cours d’arabe dans les collèges français, ils répondent que ce n’est pas le bon arabe. Au Maroc par exemple, les petits enfants apprennent l’arabe sur le Coran, c’est le seul support. Apprendre un arabe vernaculaire avec un autre support serait pour eux une hérésie.

« Est démocratique un État qui ne se propose pas d’éliminer les conflits, mais d’inventer les procédures leur permettant de s’exprimer et de rester négociables », écrivez vous en citant Paul Ricœur. Peut-on imaginer des accommodements « raisonnables » tels que des tribunaux islamiques en France, comme c’est le cas au Royaume-Uni?

Aujourd’hui c’est impensable. Même le Canada, qui a proposé un moment qu’il y ait des tribunaux islamiques, a fait marcher arrière, car il y a des femmes canadiennes qui ont porté plainte. Terra-Nova a songé un moment à faire un régime juridique spécialement pour les musulmans, heureusement ils ont reculé. À partir du moment où vous donnez un accommodement, il viendra une autre chose, puis une autre, puis une autre jusqu’à ce que l’Islam ait totalement assimilé l’Occident.

Vous évoquez parfois la guerre des Balkans. Une guerre civile est-elle envisageable en France?

Le conflit des Balkans remonte à huit siècles et n’est pas du tout réglé. Pour la France, c’est très difficile de prédire car la situation que nous vivons actuellement est inédite. Certes, il y a eu des guerres de religions mais entre gens de la même trame. Henri IV, qui était un roi protestant, est devenu un roi catholique. J’imagine mal Macron se convertir à l’islam aujourd’hui (rires). On est dans une situation totalement instable. La France s’est éteinte, la France a perdu la foi en elle-même et en Dieu. La grande force de l’islam, c’est qu’il est source d’élan. Aujourd’hui en France, l’islam est pratiquement la seule source de spiritualité. L’islam se développe car il y a dessous un terreau fécond. « Le désert s’accroît, malheur à celui qui protège le désert », disait Nietzsche. L’horizon proposé par De Gaulle a complètement disparu, la seule chose qui mobilise les jeunes aujourd’hui c’est la fête. Nous sommes dans la jouissance de l’instant, tandis que l’Islam est dans l’éternité. Cela est valable pour le reste de l’Europe. Venise, Florence et Rome et Paris sont des villes musée tandis que l’Islam est vivant. Je crains donc que l’Islam soit la veine féconde sur le territoire français. Je pense qu’une population qui est animée par l’esprit est à peu près sûre de gagner contre une population dont les jeunes ne pensent qu’à jouir de l’instant.

La France s’éteint, l’Islam s’embrase…, Henri Rey-Flaud, Editions PUF.

Les coiffeurs ne se poilent pas

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Redoutant de finir à poil après le confinement et la fermeture de son salon, ce coiffeur du Havre a pris les devants et pose tout nu dans son salon ! © Art&Fact / Étienne Delauney.

#Moncoiffeurapoil


L’année 2020 n’aura pas été placée sous le signe de l’élégance, surtout sur le plan capillaire. Les salons de coiffure sont, comme chacun sait, restés fermés pendant les deux confinements, avant de rouvrir début décembre. D’où leurs protestations.

Début novembre, un coiffeur du Havre s’est fait photographier nu, un sèche-cheveux à la main (la décence sauvegardée par sa jambe repliée sur ses parties intimes) sur un des fauteuils à shampooing de son salon. Le message (emprunté, semble-t-il, à un photographe picard) : « Quitte à se faire mettre à poil par le gouvernement, autant le faire moi-même. » Le hashtag « Moncoiffeurapoil » était né.

Des centaines de coiffeurs désœuvrés ont partagé eux aussi une photo d’eux dans le plus simple appareil, slogans bien en vue sur des pancartes couvrant ce qui devait l’être. C’était l’occasion de rappeler l’importance de leur filière, deuxième métier artisanal de France, fort de 85 192 salons, 200 000 travailleurs déclarés, 6 milliards de chiffre d’affaires. Mais au-delà du rappel des ravages économiques qu’ils subissent, les coiffeurs voulaient aussi, comme toutes les activités décrétées « non essentielles », affirmer leur importance dans le tissu social. « Après le premier confinement, les gens se sont pressés dans les salons de coiffure pour qu’on s’occupe d’eux. Le dernier jour d’ouverture avant ce deuxième confinement, nous avons tous été submergés par des demandes de rendez-vous », témoignait Julie Léonard, interrogée par Le Réveil normand.

Dans cette atmosphère morose, rien ne vaut une coupe de cheveux pour relever un peu la tête.

Génération Covid: la jeunesse sacrifiée

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Jordan Bardella, Paris, La Palmeraie, mai 2019 Photo: Thibault Camus / SIPA AP22340015_000071

Une tribune libre de Jordan Bardella, vice-président du Rassemblement national et député français au Parlement européen.


Lorsqu’Emmanuel Macron a déclaré en octobre qu’il était « dur d’avoir vingt ans » en 2020, les réactions n’ont pas manqué, souvent moqueuses, répondant qu’avoir vingt ans en 1914 était une autre paire de manches. À l’évidence, la jeunesse française n’est pas sommée de monter au front, mais cette comparaison est malvenue et interdit de saisir toutes les formes de détresse qui s’accumulent gravement au sein de cette « génération Covid ».

C’est certes le lot de toute la population que d’être soumise aux mesures et aux contraintes motivées par le contexte sanitaire et que l’accoutumance nous ferait presque considérer comme « normales » si l’on n’y prenait garde. Pourtant, la jeunesse mérite une attention toute particulière. Elle que l’on sait être très largement protégée des formes graves du virus prend de plein fouet les dommages collatéraux économiques, sociaux, psychologiques et, disons-le, anthropologiques de l’épidémie.

Quelles perspectives pour l’apprenti en filière professionnelle qui espérait décrocher rapidement son premier CDI, mais qui voit les entreprises plus frileuses que jamais à l’idée d’embaucher ? Alors que les bars et restaurants ne rouvriront finalement pas fin janvier, que devient l’étudiante qui ne parvenait à financer ses études et payer son loyer qu’à l’aide de son emploi dans la restauration, et désormais obligée de demander l’aide des Restos du Cœur ? Quelles possibilités de rebond pour ce jeune indépendant qui venait fièrement de « se lancer » et qui restera des années durant dépendant d’aides de l’État ?

Il y a ces tristes réalités matérielles, qui viennent d’ailleurs se superposer à un phénomène déjà installé de chômage de masse et de précarité tous azimuts. Il y a aussi une détresse psychologique qui s’est aggravée et dont on ne mesure certainement pas encore le caractère inédit. L’étudiant du supérieur, à peine diplômé du Baccalauréat, censé vivre « les plus belles années de la vie », est bien souvent claquemuré dans ses neufs mètres carrés, obligé de vivre sa « vie étudiante » par procuration et n’aura siégé dans les amphithéâtres que le temps d’un examen.

Les chiffres sont là, inquiétants : selon un sondage Odoxa-Dentsu, c’est pour les 15-30 que le second confinement et les mesures qui l’accompagnent ont été le plus dur à vivre. L’enquête nationale réalisée par l’Observatoire de la vie étudiante montre que la moitié des étudiants ont déjà souffert de solitude ou d’isolement au cours du premier confinement. Si l’état psychologique des Français dans leur ensemble s’est considérablement aggravé, la situation de cette jeunesse qui sera la France de demain doit nous préoccuper au plus haut point.

Car au-delà des réalités matérielles, c’est une vie sociale minimale qui est imposée, régulée, administrée, et qu’a si bien incarné l’attestation. C’est la « vie nue », la vie réduite aux seuls besoins élémentaires – et encore. Une jeunesse qu’on dévitalise, privée d’accès au sport et dépouillée de toute sociabilité nocturne si indispensable quoique l’on puisse parfois penser de certaines dérives « festivistes ».

Comme si ce n’était pas suffisant, on n’en finit plus d’assommer de culpabilité la jeunesse française, elle qui est déjà partout sommée de « sauver la planète ». Au nom d’un détournement du principe de précaution appliqué à la santé, on affirme que chacun de ses faits et gestes décidera de la survie ou de la mort des plus fragiles. Une pression insupportable pour des jeunes générations qui ont le sentiment de sacrifier leurs belles années tandis que les générations plus âgées ont fait de « jouissez jeunesse » le credo de leur vie.

Cette crise multiple vient renforcer une leçon philosophique dont l’évidence nous avait peut-être échappé avant ces confinements et couvre-feu successifs : l’homme est et reste un animal social, qui peut bien supporter quelques « distanciations » lorsqu’elles sont temporaires et qu’il peut les anticiper, mais qui est incapable de vivre durablement à distance et en « télé-réalité ».

Nous aurons des obligations à l’endroit de la jeunesse française. La sortie de crise sanitaire actée, et même dès aujourd’hui, c’est une politique sur le qui-vive social qu’elle sera en droit d’exiger. Il faudra se libérer des injonctions supranationales à la rigueur qui ne manqueront pas de tomber et qui conditionneront d’ailleurs peut-être le si vanté plan de relance européen. Aussi, faire renouer cette jeunesse avec la confiance en l’avenir passera par la proposition d’une vision de long terme : projeter la France dans les grands défis technologiques et industriels de demain, qui seront les pourvoyeurs des emplois dont elle aura besoin. Tout devra par ailleurs être mis en œuvre pour que la jeunesse française ne se retrouve plus en proie à une insécurité physique et culturelle grandissante qui assombrit d’autant plus son horizon. Sortons de cette épreuve en étant persuadés que l’on juge l’avenir d’une nation au sort que l’on réserve à ses forces vives.

Philippe Juvin: il l’aurait méritée, il ne l’aura pas!

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Le chef des urgences de l’hôpital européen Georges Pompidou Philippe Juvin aurait dû faire partie de la promotion de la Légion d’honneur, mais Matignon se serait rétracté à son sujet. En cause, l’engagement politique à droite du maire de La Garenne-Colombes… Et surtout ses propos critiques envers la politique sanitaire de l’exécutif dans un livre qu’il publie jeudi…


Si c’est vrai, c’est une vilenie.

Je devine bien quels sont les ressorts, tous médiocres, de cette offense personnelle. Je n’imagine pas que le Premier ministre, qui a d’autres chats à fouetter et qui estime, je présume, Philippe Juvin, soit derrière cette mauvaise manière. Ils étaient peu ou prou de la même famille politique. J’ose espérer que le président de la République, même s’il avait glissé il y a quelques mois une acidité contre Philippe Juvin en laissant entendre qu’il était plus dans les médias que dans son service à l’Hôpital Pompidou – accusation injuste et mensongère – n’est pour rien dans cet épisode navrant. Ne reste que le ministre de la Santé qui critiqué de toutes parts n’a pas pu tout le temps bénéficier de la comparaison confortable avec Agnès Buzyn, qui l’avait précédé.

Paul Morand a écrit que la pire des jalousies est celle qui se développe dans le même milieu professionnel.

On imagine très bien que les analyses, les recommandations et les critiques de plus en plus vives de Philippe Juvin, représentant éminent du corps médical et disposant d’une liberté de parole à cause de sa carrière politique, aient sans doute à la longue irrité Olivier Véran et que ce dernier ne soit pas étranger à ce coup fourré.

La compétence, le talent, une liberté d’esprit, une réussite reconnue et incontestable à la tête des urgences de l’hôpital Pompidou, autant d’insupportables dispositions pour quelqu’un qui, comme Olivier Véran se bat contre l’épidémie en étant contraint de nous dire que les manques et les carences était délibérés et qu’on faisait mieux que les autres.

Bassesse politique aussi. Philippe Juvin est maire de La Garenne-Colombes, il a été député européen, il est un proche de Nicolas Sarkozy et si celui-ci avait été réélu en 2012 ou avait réussi son retour en 2017, Philippe Juvin aurait été son probable ministre de la Santé. Le professeur Juvin a même laissé entendre qu’il aurait pu être candidat à la primaire de la droite et du centre…

Par ailleurs, ce qui rend cette existence encore plus éclatante, Philippe Juvin a accompli des missions humanitaires dangereuses en tant que médecin militaire en Afghanistan. C’est sans doute trop dans un univers qui supporte l’éclat mais grisailleux, la dénonciation mais feutrée, le courage mais virtuel. Trop brillant à l’évidence, trop entier, Philippe Juvin n’avait pas droit à cette distinction puisque plus que tout autre il y avait droit. Il y a des qualités qui sont des handicaps et des insuffisances qui sont des garanties.

La Légion d’honneur a été souvent donnée à des personnalités qui ne la méritaient pas, à cause d’un clientélisme forcené. Si on la retire dorénavant, par décret d’autorité et de jalousie, à des lumières pour qu’elles ne fassent pas d’ombre à ceux qu’elles indisposent, où ira-t-on ? On pourrait qualifier ces péripéties de dérisoires. Mais rien de ce qui concerne l’honneur ne l’est.

Causeur: Assimilez-vous!

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Le Causeur de janvier 2021 est disponible ! © Hannah Assouline / Causeur

Découvrez le sommaire de notre numéro de janvier


« Assimilez-vous ! » Tel est l’appel lancé aux jeunes de l’immigration dans notre premier numéro de 2021. Cet appel s’incarne dans la personne d’Albert Batihe, entrepreneur fils d’immigrés camerounais, qui figure sur la couverture. Présentant notre dossier sur l’assimilation, Elisabeth Lévy déplore son état actuel : « Grippée depuis plusieurs décennies, la machine à fabriquer des Français (…) finit de rouiller dans un coin. » Qui l’a envoyée définitivement à la casse ? Personne d’autre que le président lui-même qui, dans son interview accordée à l’Express le 22 décembre, qualifie l’assimilation de notion « problématique. » La notion de « diversité » qui la remplace aujourd’hui ne demande plus à la minorité de s’adapter à la majorité, mais – toujours selon notre directrice de rédaction – « traite la majorité comme une minorité parmi d’autres, un peu moins égale que les autres puisqu’elle doit payer ses privilèges passés. » Albert Batihe raconte à Gil Mihaely son parcours de fils d’immigrés qui a su non seulement s’adapter à la société française mais y réussir. Selon lui, l’obstacle principal à l’assimilation vient de la culture familiale et communautaire.  L’historien Pierre Vermeren m’explique que la machine à assimiler avait été conçue à l’origine pour transformer les paysans français en citoyens mais qu’elle a été démantelée par les élites qui avaient la charge de l’entretenir. Frédéric Ferney reste plus optimiste : pour lui, un immigré est « un Français en puissance – ce n’est qu’une question de temps. » Le haut fonctionnaire, Michel Aubouin et l’anthropologue Philippe d’Iribarne soulignent le rôle crucial joué dans l’assimilation par la langue française et les codes non écrits.

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Côté actu, Stéphane Germain aborde une facette particulière de la liberté d’expression qui est le droit à l’humour. La volonté de tenir celui-ci sous surveillance réunit deux groupes que tout devrait opposer : les néoféministes et les salafistes. Sauf qu’ils partagent une même détestation pour le rire et la pensée libre. Moins drôle, Guy Daniel identifie une des causes des difficultés actuelles de la Police nationale aujourd’hui : sa hiérarchie est dominée par les commissaires qui sont des hauts fonctionnaires rarement issus du rang et connaissant mal le terrain. Frédéric Rouvillois, en conversation avec Elisabeth Lévy, porte son regard d’historien sur le phénomène du macronisme qu’il identifie comme une forme d’utopie dans la lignée du saint-simonisme : le président, derrière une façade démocratique, met en place une oligarchie d’experts. À l’international, un autre expert éminent, Jean-François Colosimo, explique à Gil Mihaely combien l’histoire de la Turquie moderne, derrière les revirements apparents, est marquée par une profonde continuité, le pays restant prisonnier des traumatismes de sa naissance.

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Il est toujours bien de prendre de la distance par rapport aux contingences du quotidien.

Bérénice Levet nous permet d’entrer dans le regard désabusé que pose Régis Debray sur son passé et le nôtre dans son dernier livre, D’un siècle l’autre. Elle trouve dans la lecture de son œuvre « l’une des plus exaltantes écoles de conservatisme politique qui soient. » Renaud Camus est poursuivi pour injure raciale par des associatifs qui n’ont jamais lu ses livres. L’auteur du Grand remplacement confie à Elisabeth Lévy et Martin Pimentel qu’« une vérité n’est plus tout à fait une vérité s’il est interdit de la contester. » Pour Jérôme Leroy, rendant compte de publications récentes d’ouvrages d’Octave Mirbeau et de l’Anglais Chesterton, une des armes les plus puissantes pour dénoncer la dangereuse folie d’une époque c’est le rire à la fois inquiet et salvateur. Si tout cela donne faim, Emmanuel Tresmontant nous révèle les secrets de la gastronomie italienne, sans oublier des adresses où l’on peut en profiter à Paris.

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