Il ne rêvait que d’être un comédien et détestait la star qu’on a faite de lui à cause, notamment, de son intense et belle proximité amoureuse avec Elizabeth Taylor.
Tant d’acteurs signent des pétitions. Pas lui.
Tant d’artistes nous disent quoi penser. Pas lui.
Tant de vedettes se prennent pour plus qu’elles ne sont. Pas lui.
Tant de gloires oublient leurs origines. Pas lui qui n’a jamais déserté le terreau gallois courageux et modeste d’où il était sorti.
Tant de personnalités dans la lumière font la roue. Pas lui.
Certes, il n’était pas parfait. Il buvait comme un trou, en avait conscience et à intervalles réguliers se faisait des reproches. Et il recommençait. Même s’il est mort jeune à 59 ans, sa constitution était solide et supportait ses excès. Son journal intime qu’on a publié, après en avoir pris ses années les plus emblématiques de 1965 à 1972, est à la fois formidable et répétitif. Repas – il ne nous épargne aucun menu -, rencontres, vie sociale, préparations de rôles, mondanités, beuveries, passion dévorante et critique pour son épouse dont il admirait le talent, voyages, luxe : l’ordinaire d’une existence, de leur vie intensément privilégiée, obsédée par l’art, le théâtre et le cinéma, emplie sans cesse de
projets.
Il y a à l’évidence, pour être honnête, un caractère répétitif dans la multitude de ces journées mais sa mélancolie et sa peur de l’ennui avaient besoin de ces distractions qu’on pourrait qualifier de « pascaliennes. » Pourquoi pourtant ce journal intime est-il superbe ? Parce qu’il s’agit de l’intimité de Richard Burton et qu’elle en vaut la peine. Parce que Burton n’est jamais vulgaire, il est même délicat et nous épargne le plus souvent les démonstrations concrètes de leur appétence réciproque.
Parce qu’il porte un jugement très sûr, caustique, ironique sur son environnement, acteurs, réalisateurs, producteurs, famille, admirateurs, sans illusion mais sans mépris. Avec une lucidité et un humour souvent décapant. Il ne se trompe pas. Ni dans ses goûts ni dans ses sympathies. Il a l’intuition développée. Parce que le milieu où il gravite lui paraît médiocre et qu’il en souffre, à la recherche d’intelligences que la société artistique et mondaine ne lui offre pas. Parce que, surtout, il est un lecteur frénétique, pas de jour sans un livre, il est curieux de tout, avec une allégresse sincère quand il a trouvé le texte rare, la déception, le plus souvent, quand acéré il a remarqué les faiblesses.
Il lit, il lit, il lit.
Rien que cela enchante chez cet homme qui est une star internationale et qui a détesté, un jour, qu’une femme l’ait appelé monsieur Taylor. Il y a quelque chose d’émouvant à admirer puis à savoir qu’on n’avait pas eu tort sur aucun plan.
Je n’imaginais pas que Richard Burton, avec toutes ses facettes, favoriserait, chez moi, une inconditionnalité dont quelques films avaient largement posé les bases : Cérémonie secrète, Cléopâtre, Qui a peur de Virginia Woolf ?, La Tunique, La Nuit de l’iguane, La Mégère apprivoisée, Alexandre le Grand… et que ce qu’il était au-dehors, dans son quotidien, révélé par ce journal, la rendrait incontestable.
Pour redorer son image et toucher un large public, les gendarmes usent d’humour sur les réseaux sociaux. Les dignes héritiers de Louis de Funès !
On savait que les gendarmes pouvaient être blagueurs, surtout à Saint-Tropez. Mais on ignorait que l’humour deviendrait leur mode de communication privilégié. A l’exemple des services de gendarmerie de l’Ardèche qui proposaient récemment au public, sur les réseaux sociaux, de venir faire tester en brigade leur marihuana pour être sûr qu’elle ne contenait pas de Covid. « Notre procédure fonctionne également pour la résine de cannabis, la cocaïne, l’héroïne et un grand nombre d’autres substances » précisaient-ils. Le chef d’escadron, David Cachat, précisait à Cap’Com : « Si l’on veut toucher des gens avec des posts sérieux, on est obligés de passer par des publications décalées. »
Tous les moyens sont bons pour s’assurer une bonne audience ! En pointe dans cette course aux followers, likes et retweets : la gendarmerie des Vosges, qui poste régulièrement des photos amusantes de grenouilles. La photo de batracien étant, après la photo de chat, l’une des choses les plus fédératrices. Davantage que la photo de poulet, ou même de policier. Les carabiniers ont développé une stratégie habile de publications comiques impliquant tour à tour Star Wars, LaReine des neiges ou, pour le coronavirus, Alien, film dans lequel« 6 membres de l’équipage meurent parce que l’un d’eux ne respecte pas le principe d’isolement de la personne infectée. » Le colonel Brice Mangou explique que l’élaboration de ces blagues repose sur une méthode scientifique entre les mains de l’état-major qui, la plupart du temps, produit ce nectar humoristique sur son temps libre. « Il n’y a rien de naïf ou d’approximatif dans ce que l’on fait. Tout ça est parfaitement assumé et réfléchi », précise-t-il. Plus au sud, la gendarmerie de L’Hérault ne procède pas autrement pour parler exhibition sexuelle sur les plages, risque incendie ou nuisances sonores. Quant à la culture illégale du cannabis, les gendarmes du Lot annoncent sur Facebook qu’ils « restent à votre disposition pour l’évacuation de vos déchets verts. […] Pour les grandes quantités nous pouvons également vous héberger jusqu’à 96 heures dans nos locaux ! » Louis de Funès serait vert de jalousie.
Se faire vacciner n’est pas une déclaration de foi dans la science mais un acte de solidarité citoyenne. Tribune.
La vaccination, pas plus que la psychanalyse par exemple, ne sont des croyances. On peut toujours avoir des opinions sur le vaccin ou sur la psychanalyse. On peut toujours estimer que Pasteur et Freud sont de vilains génies. Mais nos opinions et nos croyances, en la matière, n’ont aucune pertinence. On peut croire ou ne pas croire en Dieu, pas en un sérum.
La vaccination n’engage pas que moi
Les vaccins ont éradiqué des maladies sur toute la planète, ont fait disparaître la mortalité infantile dans les pays développés. La psychanalyse a permis des vies heureuses, ou moins malheureuses, des connaissances de soi qui rendent meilleurs et plus libres, a évité des drames familiaux. Pas besoin d’être vaccinés ou psychanalysés pour le savoir et le constater. Ce sont des faits.
Pour la psychanalyse, libre à ceux qui en auraient besoin de passer une existence à déprimer en la refusant. On peut aussi ne pas en avoir besoin et vivre très heureux sans. Des artistes ont sublimé leurs névroses et leurs complexes devant un chevalet plutôt que sur un divan.
Pour la vaccination, c’est un peu différent. Elle n’engage pas que moi. Comme le respect de la limitation de vitesse sur la route. La vaccination, et avant elle le port du masque, a ceci d’intéressant et de révélateur qu’elle éprouve le degré de solidarité et d’altruisme à l’oeuvre dans une société.
La proportion élevée d’antivax, aujourd’hui, qu’on trouve aussi bien chez les écolos radicaux que chez les rassuristes de la droite dure, cette proportion élevée, donc, signifie surtout l’exacerbation de l’individualisme et d’une vision consumériste du monde confondue avec la liberté. On se croit libre parce qu’on peut choisir entre dix parfums de ketchup et ne pas se faire vacciner.
Recul de la raison
On peut aussi y voir un recul généralisé de la raison. Qu’il y ait encore 40% de gens prêts à se faire vacciner tient du miracle tant la parole scientifique a été dévalorisée par des scientifiques eux-mêmes qui se sont comportés comme d’arrogantes starlettes populistes et complotistes au fur et à mesure que l’épidémie exerçait ses ravages sur les corps et dans les esprits.
J’encouragerai donc mes proches les plus âgés et les plus vulnérables à se faire vacciner et je me ferai vacciner moi-même dès que possible. Pour moi et pour les autres. Pas parce que je « crois » au vaccin mais parce que le vaccin sauve.
Big Pharma et les anticapitalistes de circonstance
À ceux qui m’objecteront Big Pharma, je leur répondrai que je ne les ai pas souvent vus voter pour les partis qui demandent depuis toujours que la recherche et l’industrie pharmaceutique ne soient pas soumises aux lois du marché. Et que leur anticapitalisme de circonstance, il me fait autant rire que Raoult expliquant en février que tout ça, c’est une grippette de chinetoques.
Contre qui les fanatiques des échecs jouent-ils : contre la Mort, le Diable ou leur propre âme ?
Ce qui me manque le plus, ici au Lausanne Palace, ce sont ces après-midi passées au Lutetia à jouer avec Denis Grozdanovtich et Ronald Chammah aux échecs. Au Blitz, bien sûr. À nos âges, nous n’avons plus de temps à perdre. Du coup, en relisantLes Confessions de Jean-Jacques Rousseau, je me suis souvenu comment après avoir été initié aux échecs par un Genevois, M. Bagneret, il s’acheta un échiquier, s’enferma dans sa chambre, passa des jours et des nuits à apprendre par cœur toutes les parties et à jouer seul, sans relâche et sans fin. Après trois mois d’efforts inimaginables, il se rend au café Procope, « maigre, jaune et hébété ». Son esprit se brouille, il ne voit plus qu’un nuage devant lui, et le bon M. Bagneret lui inflige défaites sur défaites : le voici mortifié dans le fondement même de son intelligence.
Rousseau et Nabokov jouent aux échecs
Cette « scène primitive » de l’apprenti sorcier qui a approché de trop près ce jeu ensorcelant, chacun l’a vécue ou la vivra. Selon son tempérament, il prendra la fuite ou s’aguerrira. S’il persévère, alors déplacer trente-deux pièces sur huit fois huit cases, deviendra une fin en soi, un monde, en regard duquel, pour citer George Steiner, « le monde de la vie biologique, politique ou sociale paraît banal, confus et contingent. » Il sera prêt alors à renoncer à tout – mariage, carrière, Révolution – pour mouvoir jour et nuit des petites figurines sculptées, totalement envoûté par le charme démoniaque de ce jeu qui éclipse toute autre réalité, ce que Nabokov a génialement rendu dans La Défense Loujine : « Les échecs étaient sans pitié. Il était leur prisonnier, aspiré par eux. Horreur, mais aussi harmonie suprême : qu’y avait-il en effet au monde en dehors des échecs ? Le brouillard, l’inconnu, le non-être…»
Quand on sait qu’il existe plus de variantes possibles dans une partie d’échecs que d’atomes dans l’immensité de l’univers, on comprend la fascination que ce jeu a exercée sur les philosophes, les écrivains et les artistes. Arthur Schopenhauer disait que comparer le jeu d’échecs à tous les autres jeux est comme comparer la montagne à de la poussière.
L’oncle Arthur dressait volontiers des parallèles entre la conduite de nos existences et une partie d’échecs, comparaison que Freud reprendra – les débuts de partie sont aussi déterminants que les premières années – tout en regrettant qu’il en aille de la vie comme du jeu d’échecs où un coup mal joué nous contraint à donner la partie pour perdue, à cette différence près qu’il n’y a pour nous aucune possibilité d’engager une seconde partie, une revanche.
Contre qui joue-t-on ?
Si, pour les psychanalystes, le jeu d’échecs permet de reformuler les conflits fondamentaux de la psyché, la motivation inconsciente étant toujours « le meurtre du père », hypothèse qui faisait ricaner Nabokov, si, pour Goethe, il était un banc d’essai pour tester les capacités cérébrales, il n’en reste pas moins qu’une question n’a cessé de hanter tous les forcenés des échecs : contre qui joue-t-on ? Quelle est l’identité de l’Adversaire essentiel, à la fois familier et inquiétant, à la fois reflet de soi-même et altérité énigmatique, dont on pressent qu’il aura finalement le gain de l’ultime parie décisive ? Faut-il convoquer la Mort, comme on le fit au Moyen Âge, où le Diable comme le suggère la tradition romantique ? À moins que l’enjeu de toute partie ne soit autre que l’âme de celui qui joue, auquel cas la mienne serait bien noire : il m’arrive trop souvent de tricher. Il est vrai que le Blitz permet tous les mauvais coups. Pourquoi s’en priver ?
Ceux qui rejettent la présence de crèches dans l’espace public incarnent, non la laïcité républicaine traditionnelle, mais un néo-laïcisme soixante-huitard plus propre à diviser les Français qu’à les rassembler. Tribune.
La fin de l’année est marquée par une polémique récurrente sur l’opportunité de placer des crèches de Noël non seulement dans les lieux publics mais même dans les lieux privés visibles de la rue comme une vitrine ou une fenêtre. Sans qu’aucune réglementation ait été établie, il est fréquent que ceux qui auraient voulu en faire une, en particulier les commerçants, reculent devant les critiques.
Pour des crèches oecuméniques
L’objection qui est faite à ces malheureuses crèches est qu’il faut ménager la susceptibilité des musulmans et, pour cela, respecter la laïcité. Objection qui ne tient pas : la naissance de Jésus figure dans le Coran. Jésus (Issa) est un prophète important dans l’Islam et sa mère Myriam (variante de Marie) une figure particulièrement vénérée. Tout comme l’ange Gabriel (Jibril) qui dicte le Coran à Mahomet. N’oublions pas non plus que Jésus, Marie et Joseph sont des juifs poursuivis par un tyran. Le Coran ne parle ni de grotte ni d’étable mais dit que Jésus naquit au pied d’un palmier. Ce n’est nullement incompatible avec le récit évangélique : qui dit étable dit point d’eau. Bethléem est à la lisière du désert. S’il y a un point d’eau, il devait y avoir un palmier. Ajoutons que, si l’Evangile de Luc situe la naissance de Jésus dans une étable, il n’est pas question de grotte jusqu’au milieu du IIe siècle. Grotte, maternité sacrée : on imagine la symbolique que les psychanalystes verront dans ces développements, mais ils sont tardifs.
Les crèches ne gênent nullement les musulmans de France même les plus exaltés.
Une proposition œcuménique serait qu’aux crèches publiques on ajoute un palmier. On ajoute bien un bœuf et un âne qui ne figurent pas non plus dans les Evangiles, seulement dans la Bible juive, dans le prophète Isaïe. Ajouter un palmier vaudrait assurément mieux que d’ajouter un sapin. Le sapin est un symbole de pérennité, issu des mythologies nordiques, dont on sait l’usage qui a été fait : arbre aux feuilles pérennes, il figure la continuité de la vie au moment du solstice d’hiver. Mais comme les nouveaux laïcistes ne le savent pas (que savent-ils d’ailleurs puisque leur philosophie est d’éradiquer le passé ?), ils s’en prennent aussi à lui. Les crèches ne gênent nullement les musulmans de France même les plus exaltés. Les ménager n’est pour les partisans d’une laïcité radicale qu’un prétexte pour effacer du domaine public un symbole ancestral et affaiblir encore un héritage chrétien bimillénaire. De manière étonnante, les crèches qui étaient acceptées par les républicains laïques au temps du petit père Combes ne le sont plus par les néo-laïcistes du XXIe siècle.
Néo-laïcisme soixante-huitard contre laïcité républicaine
Loin d’apaiser les relations avec l’islam, le nouvel antichristianisme les envenime. Loin de représenter la vieille tradition laïque française, il en est la négation. Rappelons-nous l’ordre donné par Jules Ferry dans sa fameuse Lettre aux instituteurs (1883) de respecter scrupuleusement la conscience des élèves et de leurs parents. Le nouveau laïcisme, fondé sur les idées de Mai 68, se situe aux antipodes de la laïcité républicaine. Il conçoit la laïcité comme la transgression systématique de la morale commune et des sensibilités religieuses. Ses promoteurs identifient, à tort, ces dérives avec l’héritage national. Malheureusement, beaucoup de musulmans les croient et, du coup, en viennent à détester la France. La laïcité a été inventée en Europe au sortir des guerres de religions pour empêcher que les croyances ne divisent la nation. Le nouveau laïcisme, lui, loin d’apaiser les tensions intercommunautaires, les envenime.
Est-il nécessaire de dire que les musulmans préfèreront toujours un chrétien respectueux d’un symbole religieux qu’ils partagent en partie, à ce néo-laïcisme radical qui n’admet la présence du religieux à l’école ou sur la place publique que sur le mode transgressif. Il ne s’agit pas que d’un débat d’idées. Les pouvoirs publics, au motif d’intégrer l’islam, font des lois pour renforcer la laïcité ; ces lois aboutissent généralement à refouler un peu plus l’héritage chrétien.
Les promoteurs du néo-laïcisme soixante-huitard ne se soucient pas qu’en atteignant l’objectif de détruire les racines chrétiennes, non seulement ils rendent la France plus répulsive aux tenants d’autres religions, mais aussi qu’en passant l’héritage national au Kärcher, ils préparent le terrain pour des herbes plus vivaces. Loin d’être une agression chrétienne, la crèche est un symbole de concorde entre les religions. Les fanatiques qui, au nom d’une laïcité dévoyée, en rupture avec la tradition laïque elle-même, veulent les évacuer de l’espace public sont au contraire des diviseurs.
Rika Zaraï, la chanteuse franco-israélienne, est décédée le 23 décembre. Courageuse, joyeuse, curieuse de tout et toujours ouverte au dialogue, elle a fait de son salon la deuxième ambassade d’Israël en France.
Elle m’avait accueilli avec un immense sourire, au pied du grand escalier de sa somptueuse demeure villa Montmorency. J’avais vingt-deux ans. Savait-elle que j’avais été un bad-boy des milieux nationalistes ? Peut-être. Je suis sûr qu’elle n’en avait cure : j’étais invité par sa fille pour une boum, j’étais bien élevé – je venais de me fendre d’un baise-main – et ça lui suffisait. Et puis elle préférait les combatifs que les mous. La deuxième fois que nous nous sommes vus, nous avons sympathisé. Un an plus tôt je combattais à Beyrouth un ennemi qu’elle avait affronté dix ans avant moi. Ça nous a rapprochés. Rika posait plein de questions, toujours. Elle était curieuse de tout, et écoutait avec une grande attention. Dialoguer, permettre à des opinions contraires de s’affronter en toute sérénité, la remplissait de satisfaction. Durant les derniers temps de sa vie, c’était une auditrice attentive de Zemmour. Organiser des rencontres, des débats, avait été au cœur de sa vie : le salon de Rika était le discret lieu de rendez-vous improbables entre diplomates du Moyen-Orient, d’Israël et d’Europe. C’était la deuxième ambassade d’Israël en France. On y croisait Shimon Peres, bien sûr, mais aussi, plus tard, les conseillers d’Ariel Sharon venus rencontrer des gens qu’ils étaient censés n’avoir jamais vus.
Rika détestait voir la France se rabaisser. Elle en avait une grande idée.
Déjà, à mon mariage, elle avait voulu que je fasse venir Robert Hersant. J’avais présenté Rika à mon patron, qui l’avait très civilement complimentée sur sa voix, et elle lui avait présenté le Grand Rabbin Kaplan qui était là, comme par hasard, et l’ambassadeur d’Israël, Mordechaï Gazit. Je les ai laissés tous les quatre amorcer une conversation pas évidente, au moment où l’orchestre entamait à grand renfort de cymbales un classique populaire bavarois pour accompagner la colossale choucroute que l’on commençait à servir. C’était vaguement surréaliste. Il fallait l’oser. La musique, ce jour-là, était-elle adressée à Robert Hersant dont elle savait parfaitement qu’il avait eu, dans sa jeunesse, des sympathies pour le national-socialisme ? On était plus près de « Papy fait de la résistance » – elle aimait beaucoup rigoler – que de la culpabilisation mémorielle. Rika, d’ailleurs, détestait voir la France se rabaisser. Elle en avait une grande idée. Elle voulait réconcilier l’histoire, enterrer les passifs, pour le plus grand profit de ses deux passions, Israël et la France. C’était, en dehors de la chanson, le grand plaisir de cette discrète diplomate.
L’amour de la France
Car Rika, la « sabra », aimait la France passionnément et lui vouait une gratitude sincère pour le succès et la prospérité qu’elle lui avait donnés. La France, d’ailleurs, elle l’avait épousée. Par son mari d’abord, un Ch’ti pur jus, issu d’une historique famille d’accordéonistes, qui avait, excusez du peu, été le batteur de Jacques Brel. Pour élever sa fille Yaêl, elle avait choisi Louisette, une pied-noir de Saïda, inconsolable de la perte de son fiancé légionnaire, tué par les fellaghas. Par sa carrière où, adoptée par Charles Aznavour pour passer en première partie de ses spectacles, elle avait rapidement conquis un public populaire par sa voix juste et son accent particulier, bien adapté à distiller la bonne humeur. Sa chanson était sans prétention, comme elle. Elle était destinée à procurer de la joie, à donner du courage. Au temps de sa grande popularité, de « Sans chemise sans pantalon », elle a été le visage joyeux et dynamique de son pays d’origine, lui octroyant certainement des points de sympathie dans le public français.
Rika était une femme d’action, pas une pleureuse. Un accident de voiture l’avait bloquée dans une gangue de plâtre pendant un an, elle en était ressortie avec une volonté décuplée. Je l’ai vue pourtant plus d’une fois s’accrocher à la rampe de son grand escalier, quand des ondes de douleur la paralysaient d’un coup. Les chimies médicales qu’on lui proposait, endormant l’énergie en même temps que la souffrance, elle n’en voulait plus. De là son intérêt pour la médecine douce et les vertus des plantes. Et très vite, elle a eu le désir de faire partager aux plus grand nombre le bénéfice de son herboristerie personnelle, dans la droite ligne d’un Mességué. J’en avais des placards pleins. On l’a moquée, elle n’en avait cure. Il lui en fallait plus pour l’atteindre.
Côté courage, Rika avait été à bonne école, auprès de parents d’une solidité à toute épreuve. Lui, ingénieur-électricien venu à pied de Crimée dans les années 20, elle infirmière de Varsovie ayant tout quitté pour participer à la réalisation du rêve de Théodore Herzl : établir une vraie nation sur la terre ancestrale des juifs, Israël. Cette race de pionniers était opiniâtre, tenace et combative. Frouma et Eliezer vivaient dans un appartement tout blanc et tout simple, éclaboussé de lumière, de la vieille ville de Jérusalem. Ils ne vénéraient pas le veau d’or et n’avaient de respect que pour les valeurs qui font les fortes nations. Ils ont dû accueillir là-haut leur fille, enfin débarrassée de ses terribles douleurs, à bras ouverts. Et je suis sûr qu’elle a chanté pour eux. Elle ne pouvait pas s’en empêcher ! Au revoir, Rika.
Le propre de l’antisémite « modéré » est de pas se considérer comme antisémite, tout en proclamant que les juifs sont responsables de tout ce qui ne va pas dans le monde. Portrait-robot.
L’antisémite modéré ne supporte pas qu’on lui dise qu’il est antisémite. Il s’affirme plutôt antisioniste, en mettant en avant prioritairement les mauvaises actions éventuelles de l’Etat d’Israël sans trop insister sur celles commises par d’autres pays. Il a de la compassion pour les Palestiniens qu’il considère comme des résistants à une oppression et dont il justifie toujours les actions même lorsqu’elles ne sont conformes aux droits humains. S’il ne nie pas la Shoah – en cela il n’est pas vraiment négationniste – il trouve que les juifs « en font trop » et qu’ils exploitent cyniquement ce malheur jusqu’à plus soif, en créant une hiérarchie factice entre les génocides du XXème siècle. Enfin, il cite toujours, et exclusivement, des noms juifs pour évoquer les auteurs des malheurs du temps, sans regarder si ces juifs se déclarent juifs et si c’est en tant que juifs qu’ils participent à une globalisation néfaste du monde. Sortir des phrases de leur contexte lui permet d’asseoir ses présupposés sur les paroles d’auteurs confirmés et peu soupçonnés d’antisémitisme. « Ils en parlent tout le temps ».
Tous les génocides ne sont pas comparables. Pour avoir vécu et travaillé avec les bourreaux et les rescapés du génocide des Tutsis, je le sais bien.
Mon père avait perdu ses autres enfants, ses parents, ses grands-parents, ses frères et soeurs et tout le reste de la famille. Seul survivant, il a toujours refusé d’en parler. J’avais eu quatre frères et je ne l’ai jamais su avant la quarantaine, appris de la bouche d’un autre survivant. Ce sont surtout des Européens immigrationnistes à partir des années 70 qui ont placé la Shoah au centre de l’histoire pour justifier la nécessité d’accueillir l’Autre, l’étranger, et pour ne pas faire preuve d’intolérance à son égard, intolérance qui serait un sinistre rappel des « heures sombres et nauséabondes » de l’histoire de l’Europe. Tous les génocides ne sont pas comparables. Pour avoir vécu et travaillé avec les bourreaux et les rescapés du génocide des Tutsis, je le sais bien. La Shoah ne se distingue pas seulement par son extermination de masse sur un mode industriel mais elle fait suite à deux mille ans de persécutions, de pogromes et de tentatives d’extermination en Europe principalement. Les grands malheurs des peuples ne peuvent se comparer mais on ne pourra pas nier le caractère spécifique de l’extermination des juifs, qui se prolonge aujourd’hui dans un antisémitisme-antisionisme qui voit dans les juifs la cause première des malheurs du monde.
Pour cet agrégé de philosophie, gouvernants et gouvernés ont surréagi par rapport à la réalité de la menace. Le résultat, c’est que, pour défendre les plus fragiles, on les a abandonnés. Reste à savoir si nous serons capables d’apprendre de nos erreurs. Propos recueillis par Elisabeth Lévy.
Causeur. Vous parlez d’une « psychose qui fait dérailler le monde ». Vous n’allez pas dire que cette épidémie n’existe pas.
Jean-Loup Bonnamy. Je vous rassure tout de suite. L’épidémie est bien réelle. Et elle pose un très grave problème de santé publique, notamment à cause de l’engorgement des hôpitaux. De plus, je n’adhère absolument pas aux discours complotistes. Je pense que le virus, bien loin d’avoir été inventé dans je ne sais quel laboratoire, est une création de la Nature, tous comme les autres virus, bactéries et bacilles qui sont à l’origine des milliers d’épidémies que l’humanité a déjà affrontées. C’est d’ailleurs cette naturalité de l’épidémie qui me rend sceptique envers les procédés artificiels comme le confinement. Si je devais résumer ma position, je me qualifierais donc de « critique, mais pas barjo ».
Cependant, le remède (le confinement) semble pire que le mal (le Covid-19). Nous sommes en pleine surréaction. L’épidémie est grave, mais n’a rien d’apocalyptique : elle a tué 1,4 million de personnes dans le monde, mais il meurt 60 millions de personnes chaque année. Tous les ans, le cancer fait 9 millions de morts. Idem pour la faim ! (Il suffit donc de 50 jours à la faim pour atteindre le bilan du Covid.) Les broncho-pneumopathies obstructives font, elles, 3 millions de morts chaque année.
De plus, la mortalité du Covid est bien inférieure à 0,5 %. Sur le Charles de Gaulle, le plus grand navire de guerre de la marine française, 1 046 marins ont été contaminés : aucun n’est mort. En France, 50 % des morts du Covid ont plus de 84 ans. La moyenne d’âge est de 81 ans, ce qui correspond à l’espérance de vie. Sur 45 000 morts français du Covid, seuls 28 avaient moins de 30 ans et l’écrasante majorité de ces 28 malheureux était en fait atteinte aussi d’autres pathologies très lourdes. Les démographes de l’INED ont calculé que le Covid-19 ne nous ferait perdre qu’un mois et demi d’espérance de vie. Était-il nécessaire de mettre le pays à l’arrêt, d’empêcher les proches de voir les cadavres des défunts, de suspendre les libertés publiques, de saccager l’économie et le tissu social pour une maladie aussi peu létale ? Je ne le pense pas. Notre réponse est disproportionnée.
En tout cas, la psychose frappe autant les gouvernants que les gouvernés, on peut même dire que celle des seconds répond à celle des premiers. N’est-ce pas un signe de civilisation de refuser d’abandonner à leur sort les fameux plus fragiles, qui sont aussi les moins actifs ?
Premièrement, dans votre question, vous faites comme s’il était certain que le confinement soit la solution la plus efficace sur le plan sanitaire pour lutter contre le Covid. Or, cela n’a rien d’évident. Avec un confinement moins long et moins strict, mais en s’appuyant bien davantage sur ses médecins de ville, en dépistant massivement et en soignant précocement, l’Allemagne a cinq fois moins de morts par habitant que la France.
Deuxièmement, les plus fragiles, sous prétexte de les protéger du Covid, ont bien été abandonnés. Regardez ce qui s’est passé dans les Ehpad au printemps : des personnes âgées séquestrées dans leur chambre, abandonnées et privées des soins les plus élémentaires.
Troisièmement, l’effort du confinement risque de provoquer des drames humains bien pires que le Covid. Le premier confinement a jeté un million de personnes en plus dans la pauvreté. Le nombre de bénéficiaires de la soupe populaire a bondi de 30 %. Les problèmes d’addiction, de violences conjugales et de dépression ont explosé. La crise économique et son impact sur les finances publiques vont encore appauvrir notre système hospitalier. C’est donc bien vers une société moins civilisée, plus violente, plus barbare que nous mène le confinement.
Il est vrai que l’héroïsme a déserté nos sociétés. Faut-il regretter qu’on ne nous demande plus de mourir pour la patrie ?
Le recul des valeurs traditionnelles nous affaiblit face à nos ennemis, qui, eux, n’ont pas baissé les bras. Comment une société qui récuse toute forme d’héroïsme ou de courage, qui se calfeutre pour une maladie fort peu létale, pourra-t-elle faire face à des djihadistes prêts à tuer et à mourir ? Comment un État devenu une super-nounou obèse, juste bon à distribuer des aides sociales, empêtré dans sa lourdeur bureaucratique, peut-il encore bâtir une stratégie à long terme ?
Beaucoup de gens critiquent l’autoritarisme du gouvernement. N’est-ce pas plutôt son indécision et sa peur qui sont problématiques ?
Oui, le problème n’est pas tant l’autoritarisme des décisions que le fait qu’elles soient mauvaises, chaotiques et incohérentes. Mais les deux se tiennent : le gouvernement réprime, car il craint que sa fébrilité, son indécision, ses incohérences rendent ses choix difficilement acceptables.
Cela dit, quand on est au pouvoir, il y a des raisons d’avoir peur. Être accusé d’être responsable de la mort de gens, c’est déjà insupportable politiquement et moralement. Mais si on y ajoute le fameux risque pénal, cela devient carrément insupportable.
Certes, la tâche du pouvoir est aujourd’hui difficile. Mais elle l’a toujours été. Cette difficulté ne doit pas empêcher de garder ses nerfs. Par exemple, Olivier Véran a perdu son calme en pleine Assemblée nationale. Or, on n’a jamais vu le Général de Gaulle se mettre dans des états pareils, alors que la Seconde Guerre mondiale était bien plus stressante que la crise du Covid-19.
Ce qui complique la tâche de nos gouvernants actuels est le fait qu’ils doivent gérer leur risque juridique, dans une époque dominée par « l’envie du pénal », selon l’expression de Philippe Muray. L’excès de volonté de punir inhibe l’action et empêche les retours d’expérience approfondis. Comment Édouard Philippe peut-il parler sincèrement devant une commission parlementaire (ce qu’il devrait pourtant faire afin que nous comprenions les erreurs du passé pour ne plus les commettre à nouveau), alors qu’il sait que tout ce qu’il dit pourra être retenu contre lui ? Comme l’analyse le sociologue Christian Morel, la non-punition des erreurs est un élément fondamental pour éviter les décisions absurdes.
Alors qu’on assiste à un défilé permanent de corporations plaintives, et qui ont des raisons de l’être, comment définir l’intérêt général ?
Il faut nous libérer de la dictature de l’émotion. Prenons enfin des décisions rationnelles sur la base d’un bilan global coûts/avantages. L’intérêt général, c’est ce qui va dans le sens d’un renforcement du pays, de son économie, de son système de santé, de sa sécurité, de sa puissance dans le monde à moyen et long terme.
L’essai du philosophe autrichien, Konrad Paul Liessmann, qui vient de paraître en France, met en lumière l’incompatibilité fondamentale entre la notion de culture et notre système éducatif actuel.
Fin août, nous avons fêté le 2500ème anniversaire de la bataille des Thermopyles… « Nous » ? Qui, nous ? Ceux pour qui Léonidas n’est pas seulement une marque de chocolats ? Ceux qui se souviennent que 300 Spartiates et 700 Thespiens moururent pour donner du temps aux Grecs, et sauver l’Europe d’une invasion majeure — comme Don Juan d’Autriche l’a sauvée à Lépante, comme Nicolas de Salm en 1529 et Jean III Sobieski en 1683 la sauvèrent devant Vienne des ambitions turques ? Qui s’en souvient ? Personne, dirait Konrad Paul Liessmann, dont l’essai argumenté paru cet automne, la Haine de la culture, explique en détail la façon dont notre civilisation entière, en dégradant l’Education, a remplacé la Culture par l’acquisition de « compétences » qui ruinent l’être même de l’Europe. Que le sacrifice de quelques hoplites (des quoi ?) ait inspiré les défenseurs d’Alamo face aux Mexicains ou les soldats britanniques qui se battirent à Rorke’s Drift (où ça ?) contre des hordes de Zoulous, peu nous chaut (du verbe défectif chaloir…). « S’il nous arrivait de croiser le chemin d’une personne cultivée au sens classique du terme, il est probable que cela provoquerait chez nous une certaine irritation, car elle incarne précisément tout ce dont le discours actuel sur l’éducation ne veut plus entendre parler », dit fort bien l’auteur.
Culture versus consommation
Qu’Eric Zemmour – qui a l’un des premiers signalé le livre de Liessmann – passe pour un homme cultivé auprès de ses thuriféraires (ses quoi ?) donne la mesure de la dégradation de la notion. Eric, ne m’en veux pas, mais George Steiner, disparu en février dernier, était réellement un homme cultivé. Le dernier, peut-être. Nous, nous surfons sur des bulles de savoir — et sur un océan d’ignorance. À vrai dire, s’il en reste, les gens cultivés se cachent, et ils font bien. Ils n’ont plus aucun rôle à jouer dans une civilisation qui a réduit comme peau de chagrin (lis donc Balzac, hé, patate !) l’enseignement du latin et du grec, et remplacé les savoirs par des savoir-faire (triomphe indiscuté de l’utilitarisme à la Bentham) et désormais des « savoir-être » : « faire groupe », avoir des soucis écologiques (je mets au défi nos écolos modernes qui bêlent après un référendum de me donner l’étymologie du mot), faire le ramadan par solidarité, et passer un Bac de couch potato, voilà des compétences modernes indispensables. « Ils vont, ils viennent, ils trottent, ils dansent »… Des vrais savoirs, nulles nouvelles, comme disait à peu près Montaigne — qui a disparu des programmes et des ambitions des enseignants : trop dur !
La culture littéraire, dit Liessmann, est une « provocation ».
On se souvient (mais non, on ne s’en souvient pas !) que dans la Crise de la culture (1968) Hannah Arendt analysait déjà la façon dont la culture était éparpillée désormais en unités de consommation par notre civilisation des loisirs. Mes étudiants sont persuadés qu’à la fin de Notre-Dame de Paris, Esmeralda épouse le beau Phébus tandis que Quasimodo fait des bonds de joie. La lecture de la pendaison de la jeune femme et le rapt de son cadavre par l’illustre bossu n’ont pas suffi à les convaincre : Disney avait forcément raison sur Hugo — qui d’ailleurs n’est pas cité au générique du dessin animé. Et 1831, c’est loin. 1996, ça leur parle davantage, leurs parents envisageaient sans doute de les engendrer. L’Histoire s’est fondue dans une absence épaisse, comme dit Valéry (qui c’est, cui-là ?).
L’apothéose de la pédadémagogie
La culture littéraire, dit Liessmann, est une « provocation ». Précisons bien — à l’usage de mes collègues les plus frais — qu’« on ne peut se prétendre cultivé après avoir lu cinq romans et trois nouvelles » : en revanche, « celui qui, dans le cadre d’une analyse critique, serait en mesure d’établir un lien entre Winnetou [le héros de Karl May] et Hegel, ou entre Harry Potter et Martin Heidegger, se rapprocherait davantage de l’idée de la culture littéraire, fondée sur le principe qu’il y a des livres sans lesquels le monde et les hommes qui y vivent seraient à tous égards plus pauvres. » Beati pauperes spiritu, disent les croyants et les utilitaristes. Bienheureux les pauvres en esprit — ils ne posent pas de questions.
Les « apprenants » (sans doute faut-il désormais entendre « ceux qui apprennent quelque chose à leurs maîtres ») sont invités à s’exprimer — et non plus à poser des questions. Le dialogue autrefois visait à approfondir une notion, il ne rime aujourd’hui qu’à confronter des idées reçues — étant entendu que les lieux communs des élèves ont le même poids que la parole de l’enseignant. Triomphe de la pédadémagogie. Mort d’une civilisation qui fut celle du livre — cet objet de papier qui périclite. « Tous les pays qui n’ont plus de légende / Seront condamnés à mourir de froid », disait très bien Patrice de la Tour du Pin. La « légende », c’est étymologiquement ce qui doit être lu — mais qui lit encore ? Il y a tant de séries sur Netflix…
Le fast-food « culturel » répugne aux digestions lentes.
Surtout qu’il ne suffit pas de lire, c’est-à-dire de consommer des mots. Il faut s’en saisir, de façon à ce qu’ils vous transforment. « Le lion est fait de mouton assimilé », disait Valéry. Mais le fast-food « culturel » répugne aux digestions lentes. On a désappris la notion même d’effort aux élèves. Ils veulent des enseignants la même chose que ce qu’ils mangent — du pré-vomi. Et, surtout, aucune interruption de leur sieste. Une collègue il y a quelques jours s’est fait rabrouer par une élève parce qu’elle parlait trop fort, ce qui l’empêchait de sommeiller, entre deux coups d’œil sur son portable. Qu’il y ait eu un complot pour en arriver là, rien ne le prouve, nos dirigeants ne sont au mieux que des demi-habiles. La vérité, c’est qu’une civilisation entière pourrit, et que l’école fut l’interstice par lequel est entré le ver.
La culture : une question de temps ?
Ce qui nous manque pour lire, disent les imbéciles, c’est le temps. Pas même : c’est l’otium, explique Liessmann. L’espace de loisir, le temps libre. Nietzsche dès 1882 (dans le Gai savoir) note avec sagacité : « On a déjà honte de se reposer : passer du temps à réfléchir cause presque des remords. On pense avec la montre à la main, comme on déjeune. » Nous ne savons plus nous détacher. Or, la culture s’insère dans les failles de nos activités. Mais quand nous ne travaillons pas, nous nous divertissons : ceux qui nous gouvernent veillent bien à ne pas nous laisser un instant de vacuité. Un élève doit être sans cesse « en activité ». En vérité je vous le dis : l’école à l’ancienne produisait de grandes plages d’ennui, et c’est dans cet ennui que s’insinuait paradoxalement la culture. Les enfants aujourd’hui tannent leurs parents en demandant sans cesse « qu’est-ce qu’on fait ? » Ils n’ont même pas l’idée de réfléchir, rêver, penser par eux-mêmes. Se bâtir des mondes.
Je ne vais pas vous résumer entièrement un livre passionnant, irrésistible et déprimant. L’auteur appelle à de nouvelles Lumières — ou, pour parler sa langue puisqu’il est Autrichien, une nouvelle Aufklärung. Pour l’instant, il manque deux éléments pour que se produise cette renaissance : les hommes, et la volonté. Nous avons créé notre propre soumission, nous déplorons, de loin en loin, la baisse de niveau des élèves, puis nous retombons dans les tracas du quotidien, que la télévision alimente — car les soucis diffusés sur les chaines d’information font désormais partie de la panoplie du divertissement dans lequel nous nous abrutissons. Jusqu’à ce que des Barbares nous délivrent du souci même d’exister.
À une dizaine de jours de la validation des votes du collège électoral, le 6 janvier, Joe Biden semble assuré de succéder à Donald Trump avec 306 voix contre 232 pour son rival. Pourtant, ce dernier n’entend pas reconnaître la victoire du démocrate et agit sur plusieurs fronts que les médias n’abordent que superficiellement voire pas du tout concernant certains aspects, se contentant de les évacuer ou les présenter de façon biaisée.
S’ils se sont empressés de relayer la proclamation de la victoire de Biden par CNN, les médias français ont omis une analyse antérieure à l’élection de cette même chaîne sur une possibilité de victoire de Trump quand bien même le Collège électoral aurait attribué au moins 270 voix au candidat démocrate, minimum requis pour être élu sans que la Chambre des représentants ne tranche. Et c’est notamment l’une des pistes explorées par le Président américain qui, dès lors, devrait intéresser les médias pour comprendre sa stratégie. Il s’agit d’une hypothèse qui, même si les chances de Trump sont extrêmement minces, mérite d’être considérée dans un contexte où, selon un sondage Rasmussen publié le 7 décembre, 47 % des électeurs (contre 49) sont convaincus que Joe Biden a fraudé, une certitude partagée par 17 % de démocrates – avec une marge d’erreur estimée à +/- 3 % -, autre information évacuée par le journalisme en France.
Le 29 septembre dernier, le commentateur politique de CNN Fareed Zakaria expliquait comment le Président pourrait perdre les élections et cependant rester à la Maison-Blanche grâce au droit électoral. Fin novembre, des partisans de Trump relayaient à tort la vidéo de Zakaria en parlant de rétropédalage de CNN, omettant de la restituer dans son contexte pré-électoral. Cependant, même si Joe Biden a bien plus de chances que Donald Trump d’être élu, l’hypothèse émise par le journaliste vaut toujours.
Dans son émission hébergée par la chaîne peu favorable à Trump, Zakaria établissait le scénario suivant en rappelant qu’il existe des mécanismes constitutionnels permettant au candidat ayant perdu de gagner. Le point central de sa démonstration est que des législatures des États fédérés pourraient ne pas tenir compte des résultats officiels du vote populaire et choisir des listes concurrentes de grands électeurs en faveur de Trump ; si jamais aucun des candidats n’obtient 270 voix, alors c’est la Chambre des représentants qui élit le Président. Mais il y a une subtilité : les démocrates sont majoritaires à la chambre basse, même s’ils y ont perdu des sièges le 3 novembre, cependant les électeurs seraient majoritairement républicains, car les États y enverraient chacun une délégation en vertu du XIIe Amendement. Or, 26 États sont républicains, la majorité.
Petit état des lieux par rapport à l’hypothèse de Zakaria
Avant de prolonger l’hypothèse jusqu’à ce stade, il faudrait que lors de l’ouverture des votes le 6 janvier, au moins un sénateur et un représentant contestent la légalité de la certification des votes de certains grands électeurs. Un droit déjà exercé, notamment par les élues démocrates des deux chambres, Barbara Boxer et Stephanie Tubb Jones, quant à la victoire de George W. Bush en 2004 dans l’Ohio. Dans cette optique, les républicains des États contestés ont envoyé des votes de « grands électeurs » alternatifs au Congrès ; ils espèrent qu’en cas d’invalidation des votes des grands électeurs envoyés par les gouverneurs, les leurs seront retenus. L’avocate constitutionnaliste de Donald Trump, Jenna Ellis, défend cette option, à condition que ce soient les législatures de ces États et non les partis qui envoient des listes alternatives à celles des gouverneurs. Ces républicains espèrent que les tribunaux leur donneront raison quant à la supposée illégalité et inconstitutionnalité des listes déjà certifiées, et que les législatures de leurs États pourront valider à temps leurs procédures alternatives.
Jusque-là, les juges se sont surtout prononcés sur des points de recevabilité, notamment l’intérêt à agir ou le délai, et non sur le fond, contrairement aux dires des médias pour qui ces décisions anéantissent les accusations de fraude. Les républicains entendent obtenir d’ici le 6 janvier des décisions sur le fond concernant le processus électoral. Il reste donc une possibilité théorique que les voix de Joe Biden soient rejetées : soit que les cours donnent raison sur le fond aux républicains ; soit que les législatures de ces sept États continuent d’enquêter et valident ultérieurement les listes concurrentes si elles démontrent les fraudes qu’elles allèguent, le droit électoral permettant de certifier des voix même après le 14 décembre. Donald Trump pourrait ainsi obtenir 270 voix. Mais on pourrait aussi arriver à l’hypothèse redoutée par Fareed Zakaria, celle où aucun des candidats n’aurait assez de votes. Dans ce cas, on recourrait au XIIe Amendement.
Si jamais la validation de l’élection du Président s’envasait le 6 janvier, en dépit de l’avance actuelle de Biden, les délégations des États réunis à la Chambre des représentants éliraient le Président. Cependant, bien qu’il y ait une majorité d’États républicains rien n’assure que, dans ce cas de figure, Donald Trump obtienne la majorité, les délégués n’étant pas tenus par leur affiliation politique.
Un double standard médiatique refusant les éventualités déplaisantes
Les chances de Trump ne sont donc pas inexistantes et les commentateurs ont tort de ridiculiser les multiples tentatives du républicain qui multiplie les flèches pour en avoir une ou plusieurs qui atteignent la cible. Elles sont très faibles, mais même George Bush avait été déclaré vainqueur en 2000 par la Cour suprême avec la voix du juge Breyer, proche des démocrates, alors que le juge Stevens, républicain, s’était prononcé contre l’interprétation de la majorité bénéficiant au futur vainqueur – cette année, la Cour semble vouloir éviter d’être mêlée à l’élection. Des médias relayant CNN qui déclare Joe Biden vainqueur se devraient ainsi d’être objectifs et suivre CNN quand elle explique comment Donald Trump peut gagner en étant donné perdant. On notera également le silence général sur le gain de plus de 11 millions de voix pour Trump par rapport à 2016, sur ses gains auprès des électorats noirs ou latinos, comme si la déontologie consistait à éviter que le public ne pense mal s’il disposait d’un maximum d’informations.
En ne retenant que ce qui va dans le sens de leurs préférences politiques et en présentant l’actualité sous des angles favorables ou défavorables selon le candidat qu’ils préfèrent, nombre de médias outrepassent la légitimité d’une inclination pour se contenter de faire du militantisme, qui plus est en infantilisant ceux qu’ils se proposent d’informer.
Il ne rêvait que d’être un comédien et détestait la star qu’on a faite de lui à cause, notamment, de son intense et belle proximité amoureuse avec Elizabeth Taylor.
Tant d’acteurs signent des pétitions. Pas lui.
Tant d’artistes nous disent quoi penser. Pas lui.
Tant de vedettes se prennent pour plus qu’elles ne sont. Pas lui.
Tant de gloires oublient leurs origines. Pas lui qui n’a jamais déserté le terreau gallois courageux et modeste d’où il était sorti.
Tant de personnalités dans la lumière font la roue. Pas lui.
Certes, il n’était pas parfait. Il buvait comme un trou, en avait conscience et à intervalles réguliers se faisait des reproches. Et il recommençait. Même s’il est mort jeune à 59 ans, sa constitution était solide et supportait ses excès. Son journal intime qu’on a publié, après en avoir pris ses années les plus emblématiques de 1965 à 1972, est à la fois formidable et répétitif. Repas – il ne nous épargne aucun menu -, rencontres, vie sociale, préparations de rôles, mondanités, beuveries, passion dévorante et critique pour son épouse dont il admirait le talent, voyages, luxe : l’ordinaire d’une existence, de leur vie intensément privilégiée, obsédée par l’art, le théâtre et le cinéma, emplie sans cesse de
projets.
Il y a à l’évidence, pour être honnête, un caractère répétitif dans la multitude de ces journées mais sa mélancolie et sa peur de l’ennui avaient besoin de ces distractions qu’on pourrait qualifier de « pascaliennes. » Pourquoi pourtant ce journal intime est-il superbe ? Parce qu’il s’agit de l’intimité de Richard Burton et qu’elle en vaut la peine. Parce que Burton n’est jamais vulgaire, il est même délicat et nous épargne le plus souvent les démonstrations concrètes de leur appétence réciproque.
Parce qu’il porte un jugement très sûr, caustique, ironique sur son environnement, acteurs, réalisateurs, producteurs, famille, admirateurs, sans illusion mais sans mépris. Avec une lucidité et un humour souvent décapant. Il ne se trompe pas. Ni dans ses goûts ni dans ses sympathies. Il a l’intuition développée. Parce que le milieu où il gravite lui paraît médiocre et qu’il en souffre, à la recherche d’intelligences que la société artistique et mondaine ne lui offre pas. Parce que, surtout, il est un lecteur frénétique, pas de jour sans un livre, il est curieux de tout, avec une allégresse sincère quand il a trouvé le texte rare, la déception, le plus souvent, quand acéré il a remarqué les faiblesses.
Il lit, il lit, il lit.
Rien que cela enchante chez cet homme qui est une star internationale et qui a détesté, un jour, qu’une femme l’ait appelé monsieur Taylor. Il y a quelque chose d’émouvant à admirer puis à savoir qu’on n’avait pas eu tort sur aucun plan.
Je n’imaginais pas que Richard Burton, avec toutes ses facettes, favoriserait, chez moi, une inconditionnalité dont quelques films avaient largement posé les bases : Cérémonie secrète, Cléopâtre, Qui a peur de Virginia Woolf ?, La Tunique, La Nuit de l’iguane, La Mégère apprivoisée, Alexandre le Grand… et que ce qu’il était au-dehors, dans son quotidien, révélé par ce journal, la rendrait incontestable.
Pour redorer son image et toucher un large public, les gendarmes usent d’humour sur les réseaux sociaux. Les dignes héritiers de Louis de Funès !
On savait que les gendarmes pouvaient être blagueurs, surtout à Saint-Tropez. Mais on ignorait que l’humour deviendrait leur mode de communication privilégié. A l’exemple des services de gendarmerie de l’Ardèche qui proposaient récemment au public, sur les réseaux sociaux, de venir faire tester en brigade leur marihuana pour être sûr qu’elle ne contenait pas de Covid. « Notre procédure fonctionne également pour la résine de cannabis, la cocaïne, l’héroïne et un grand nombre d’autres substances » précisaient-ils. Le chef d’escadron, David Cachat, précisait à Cap’Com : « Si l’on veut toucher des gens avec des posts sérieux, on est obligés de passer par des publications décalées. »
Tous les moyens sont bons pour s’assurer une bonne audience ! En pointe dans cette course aux followers, likes et retweets : la gendarmerie des Vosges, qui poste régulièrement des photos amusantes de grenouilles. La photo de batracien étant, après la photo de chat, l’une des choses les plus fédératrices. Davantage que la photo de poulet, ou même de policier. Les carabiniers ont développé une stratégie habile de publications comiques impliquant tour à tour Star Wars, LaReine des neiges ou, pour le coronavirus, Alien, film dans lequel« 6 membres de l’équipage meurent parce que l’un d’eux ne respecte pas le principe d’isolement de la personne infectée. » Le colonel Brice Mangou explique que l’élaboration de ces blagues repose sur une méthode scientifique entre les mains de l’état-major qui, la plupart du temps, produit ce nectar humoristique sur son temps libre. « Il n’y a rien de naïf ou d’approximatif dans ce que l’on fait. Tout ça est parfaitement assumé et réfléchi », précise-t-il. Plus au sud, la gendarmerie de L’Hérault ne procède pas autrement pour parler exhibition sexuelle sur les plages, risque incendie ou nuisances sonores. Quant à la culture illégale du cannabis, les gendarmes du Lot annoncent sur Facebook qu’ils « restent à votre disposition pour l’évacuation de vos déchets verts. […] Pour les grandes quantités nous pouvons également vous héberger jusqu’à 96 heures dans nos locaux ! » Louis de Funès serait vert de jalousie.
Se faire vacciner n’est pas une déclaration de foi dans la science mais un acte de solidarité citoyenne. Tribune.
La vaccination, pas plus que la psychanalyse par exemple, ne sont des croyances. On peut toujours avoir des opinions sur le vaccin ou sur la psychanalyse. On peut toujours estimer que Pasteur et Freud sont de vilains génies. Mais nos opinions et nos croyances, en la matière, n’ont aucune pertinence. On peut croire ou ne pas croire en Dieu, pas en un sérum.
La vaccination n’engage pas que moi
Les vaccins ont éradiqué des maladies sur toute la planète, ont fait disparaître la mortalité infantile dans les pays développés. La psychanalyse a permis des vies heureuses, ou moins malheureuses, des connaissances de soi qui rendent meilleurs et plus libres, a évité des drames familiaux. Pas besoin d’être vaccinés ou psychanalysés pour le savoir et le constater. Ce sont des faits.
Pour la psychanalyse, libre à ceux qui en auraient besoin de passer une existence à déprimer en la refusant. On peut aussi ne pas en avoir besoin et vivre très heureux sans. Des artistes ont sublimé leurs névroses et leurs complexes devant un chevalet plutôt que sur un divan.
Pour la vaccination, c’est un peu différent. Elle n’engage pas que moi. Comme le respect de la limitation de vitesse sur la route. La vaccination, et avant elle le port du masque, a ceci d’intéressant et de révélateur qu’elle éprouve le degré de solidarité et d’altruisme à l’oeuvre dans une société.
La proportion élevée d’antivax, aujourd’hui, qu’on trouve aussi bien chez les écolos radicaux que chez les rassuristes de la droite dure, cette proportion élevée, donc, signifie surtout l’exacerbation de l’individualisme et d’une vision consumériste du monde confondue avec la liberté. On se croit libre parce qu’on peut choisir entre dix parfums de ketchup et ne pas se faire vacciner.
Recul de la raison
On peut aussi y voir un recul généralisé de la raison. Qu’il y ait encore 40% de gens prêts à se faire vacciner tient du miracle tant la parole scientifique a été dévalorisée par des scientifiques eux-mêmes qui se sont comportés comme d’arrogantes starlettes populistes et complotistes au fur et à mesure que l’épidémie exerçait ses ravages sur les corps et dans les esprits.
J’encouragerai donc mes proches les plus âgés et les plus vulnérables à se faire vacciner et je me ferai vacciner moi-même dès que possible. Pour moi et pour les autres. Pas parce que je « crois » au vaccin mais parce que le vaccin sauve.
Big Pharma et les anticapitalistes de circonstance
À ceux qui m’objecteront Big Pharma, je leur répondrai que je ne les ai pas souvent vus voter pour les partis qui demandent depuis toujours que la recherche et l’industrie pharmaceutique ne soient pas soumises aux lois du marché. Et que leur anticapitalisme de circonstance, il me fait autant rire que Raoult expliquant en février que tout ça, c’est une grippette de chinetoques.
Contre qui les fanatiques des échecs jouent-ils : contre la Mort, le Diable ou leur propre âme ?
Ce qui me manque le plus, ici au Lausanne Palace, ce sont ces après-midi passées au Lutetia à jouer avec Denis Grozdanovtich et Ronald Chammah aux échecs. Au Blitz, bien sûr. À nos âges, nous n’avons plus de temps à perdre. Du coup, en relisantLes Confessions de Jean-Jacques Rousseau, je me suis souvenu comment après avoir été initié aux échecs par un Genevois, M. Bagneret, il s’acheta un échiquier, s’enferma dans sa chambre, passa des jours et des nuits à apprendre par cœur toutes les parties et à jouer seul, sans relâche et sans fin. Après trois mois d’efforts inimaginables, il se rend au café Procope, « maigre, jaune et hébété ». Son esprit se brouille, il ne voit plus qu’un nuage devant lui, et le bon M. Bagneret lui inflige défaites sur défaites : le voici mortifié dans le fondement même de son intelligence.
Rousseau et Nabokov jouent aux échecs
Cette « scène primitive » de l’apprenti sorcier qui a approché de trop près ce jeu ensorcelant, chacun l’a vécue ou la vivra. Selon son tempérament, il prendra la fuite ou s’aguerrira. S’il persévère, alors déplacer trente-deux pièces sur huit fois huit cases, deviendra une fin en soi, un monde, en regard duquel, pour citer George Steiner, « le monde de la vie biologique, politique ou sociale paraît banal, confus et contingent. » Il sera prêt alors à renoncer à tout – mariage, carrière, Révolution – pour mouvoir jour et nuit des petites figurines sculptées, totalement envoûté par le charme démoniaque de ce jeu qui éclipse toute autre réalité, ce que Nabokov a génialement rendu dans La Défense Loujine : « Les échecs étaient sans pitié. Il était leur prisonnier, aspiré par eux. Horreur, mais aussi harmonie suprême : qu’y avait-il en effet au monde en dehors des échecs ? Le brouillard, l’inconnu, le non-être…»
Quand on sait qu’il existe plus de variantes possibles dans une partie d’échecs que d’atomes dans l’immensité de l’univers, on comprend la fascination que ce jeu a exercée sur les philosophes, les écrivains et les artistes. Arthur Schopenhauer disait que comparer le jeu d’échecs à tous les autres jeux est comme comparer la montagne à de la poussière.
L’oncle Arthur dressait volontiers des parallèles entre la conduite de nos existences et une partie d’échecs, comparaison que Freud reprendra – les débuts de partie sont aussi déterminants que les premières années – tout en regrettant qu’il en aille de la vie comme du jeu d’échecs où un coup mal joué nous contraint à donner la partie pour perdue, à cette différence près qu’il n’y a pour nous aucune possibilité d’engager une seconde partie, une revanche.
Contre qui joue-t-on ?
Si, pour les psychanalystes, le jeu d’échecs permet de reformuler les conflits fondamentaux de la psyché, la motivation inconsciente étant toujours « le meurtre du père », hypothèse qui faisait ricaner Nabokov, si, pour Goethe, il était un banc d’essai pour tester les capacités cérébrales, il n’en reste pas moins qu’une question n’a cessé de hanter tous les forcenés des échecs : contre qui joue-t-on ? Quelle est l’identité de l’Adversaire essentiel, à la fois familier et inquiétant, à la fois reflet de soi-même et altérité énigmatique, dont on pressent qu’il aura finalement le gain de l’ultime parie décisive ? Faut-il convoquer la Mort, comme on le fit au Moyen Âge, où le Diable comme le suggère la tradition romantique ? À moins que l’enjeu de toute partie ne soit autre que l’âme de celui qui joue, auquel cas la mienne serait bien noire : il m’arrive trop souvent de tricher. Il est vrai que le Blitz permet tous les mauvais coups. Pourquoi s’en priver ?
Crèche en l’église st germain. Rennes, Ille et vilaine, Bretagne, (SIPA : 00699379_000009)
Ceux qui rejettent la présence de crèches dans l’espace public incarnent, non la laïcité républicaine traditionnelle, mais un néo-laïcisme soixante-huitard plus propre à diviser les Français qu’à les rassembler. Tribune.
La fin de l’année est marquée par une polémique récurrente sur l’opportunité de placer des crèches de Noël non seulement dans les lieux publics mais même dans les lieux privés visibles de la rue comme une vitrine ou une fenêtre. Sans qu’aucune réglementation ait été établie, il est fréquent que ceux qui auraient voulu en faire une, en particulier les commerçants, reculent devant les critiques.
Pour des crèches oecuméniques
L’objection qui est faite à ces malheureuses crèches est qu’il faut ménager la susceptibilité des musulmans et, pour cela, respecter la laïcité. Objection qui ne tient pas : la naissance de Jésus figure dans le Coran. Jésus (Issa) est un prophète important dans l’Islam et sa mère Myriam (variante de Marie) une figure particulièrement vénérée. Tout comme l’ange Gabriel (Jibril) qui dicte le Coran à Mahomet. N’oublions pas non plus que Jésus, Marie et Joseph sont des juifs poursuivis par un tyran. Le Coran ne parle ni de grotte ni d’étable mais dit que Jésus naquit au pied d’un palmier. Ce n’est nullement incompatible avec le récit évangélique : qui dit étable dit point d’eau. Bethléem est à la lisière du désert. S’il y a un point d’eau, il devait y avoir un palmier. Ajoutons que, si l’Evangile de Luc situe la naissance de Jésus dans une étable, il n’est pas question de grotte jusqu’au milieu du IIe siècle. Grotte, maternité sacrée : on imagine la symbolique que les psychanalystes verront dans ces développements, mais ils sont tardifs.
Les crèches ne gênent nullement les musulmans de France même les plus exaltés.
Une proposition œcuménique serait qu’aux crèches publiques on ajoute un palmier. On ajoute bien un bœuf et un âne qui ne figurent pas non plus dans les Evangiles, seulement dans la Bible juive, dans le prophète Isaïe. Ajouter un palmier vaudrait assurément mieux que d’ajouter un sapin. Le sapin est un symbole de pérennité, issu des mythologies nordiques, dont on sait l’usage qui a été fait : arbre aux feuilles pérennes, il figure la continuité de la vie au moment du solstice d’hiver. Mais comme les nouveaux laïcistes ne le savent pas (que savent-ils d’ailleurs puisque leur philosophie est d’éradiquer le passé ?), ils s’en prennent aussi à lui. Les crèches ne gênent nullement les musulmans de France même les plus exaltés. Les ménager n’est pour les partisans d’une laïcité radicale qu’un prétexte pour effacer du domaine public un symbole ancestral et affaiblir encore un héritage chrétien bimillénaire. De manière étonnante, les crèches qui étaient acceptées par les républicains laïques au temps du petit père Combes ne le sont plus par les néo-laïcistes du XXIe siècle.
Néo-laïcisme soixante-huitard contre laïcité républicaine
Loin d’apaiser les relations avec l’islam, le nouvel antichristianisme les envenime. Loin de représenter la vieille tradition laïque française, il en est la négation. Rappelons-nous l’ordre donné par Jules Ferry dans sa fameuse Lettre aux instituteurs (1883) de respecter scrupuleusement la conscience des élèves et de leurs parents. Le nouveau laïcisme, fondé sur les idées de Mai 68, se situe aux antipodes de la laïcité républicaine. Il conçoit la laïcité comme la transgression systématique de la morale commune et des sensibilités religieuses. Ses promoteurs identifient, à tort, ces dérives avec l’héritage national. Malheureusement, beaucoup de musulmans les croient et, du coup, en viennent à détester la France. La laïcité a été inventée en Europe au sortir des guerres de religions pour empêcher que les croyances ne divisent la nation. Le nouveau laïcisme, lui, loin d’apaiser les tensions intercommunautaires, les envenime.
Est-il nécessaire de dire que les musulmans préfèreront toujours un chrétien respectueux d’un symbole religieux qu’ils partagent en partie, à ce néo-laïcisme radical qui n’admet la présence du religieux à l’école ou sur la place publique que sur le mode transgressif. Il ne s’agit pas que d’un débat d’idées. Les pouvoirs publics, au motif d’intégrer l’islam, font des lois pour renforcer la laïcité ; ces lois aboutissent généralement à refouler un peu plus l’héritage chrétien.
Les promoteurs du néo-laïcisme soixante-huitard ne se soucient pas qu’en atteignant l’objectif de détruire les racines chrétiennes, non seulement ils rendent la France plus répulsive aux tenants d’autres religions, mais aussi qu’en passant l’héritage national au Kärcher, ils préparent le terrain pour des herbes plus vivaces. Loin d’être une agression chrétienne, la crèche est un symbole de concorde entre les religions. Les fanatiques qui, au nom d’une laïcité dévoyée, en rupture avec la tradition laïque elle-même, veulent les évacuer de l’espace public sont au contraire des diviseurs.
Rika Zaraï, la chanteuse franco-israélienne, est décédée le 23 décembre. Courageuse, joyeuse, curieuse de tout et toujours ouverte au dialogue, elle a fait de son salon la deuxième ambassade d’Israël en France.
Elle m’avait accueilli avec un immense sourire, au pied du grand escalier de sa somptueuse demeure villa Montmorency. J’avais vingt-deux ans. Savait-elle que j’avais été un bad-boy des milieux nationalistes ? Peut-être. Je suis sûr qu’elle n’en avait cure : j’étais invité par sa fille pour une boum, j’étais bien élevé – je venais de me fendre d’un baise-main – et ça lui suffisait. Et puis elle préférait les combatifs que les mous. La deuxième fois que nous nous sommes vus, nous avons sympathisé. Un an plus tôt je combattais à Beyrouth un ennemi qu’elle avait affronté dix ans avant moi. Ça nous a rapprochés. Rika posait plein de questions, toujours. Elle était curieuse de tout, et écoutait avec une grande attention. Dialoguer, permettre à des opinions contraires de s’affronter en toute sérénité, la remplissait de satisfaction. Durant les derniers temps de sa vie, c’était une auditrice attentive de Zemmour. Organiser des rencontres, des débats, avait été au cœur de sa vie : le salon de Rika était le discret lieu de rendez-vous improbables entre diplomates du Moyen-Orient, d’Israël et d’Europe. C’était la deuxième ambassade d’Israël en France. On y croisait Shimon Peres, bien sûr, mais aussi, plus tard, les conseillers d’Ariel Sharon venus rencontrer des gens qu’ils étaient censés n’avoir jamais vus.
Rika détestait voir la France se rabaisser. Elle en avait une grande idée.
Déjà, à mon mariage, elle avait voulu que je fasse venir Robert Hersant. J’avais présenté Rika à mon patron, qui l’avait très civilement complimentée sur sa voix, et elle lui avait présenté le Grand Rabbin Kaplan qui était là, comme par hasard, et l’ambassadeur d’Israël, Mordechaï Gazit. Je les ai laissés tous les quatre amorcer une conversation pas évidente, au moment où l’orchestre entamait à grand renfort de cymbales un classique populaire bavarois pour accompagner la colossale choucroute que l’on commençait à servir. C’était vaguement surréaliste. Il fallait l’oser. La musique, ce jour-là, était-elle adressée à Robert Hersant dont elle savait parfaitement qu’il avait eu, dans sa jeunesse, des sympathies pour le national-socialisme ? On était plus près de « Papy fait de la résistance » – elle aimait beaucoup rigoler – que de la culpabilisation mémorielle. Rika, d’ailleurs, détestait voir la France se rabaisser. Elle en avait une grande idée. Elle voulait réconcilier l’histoire, enterrer les passifs, pour le plus grand profit de ses deux passions, Israël et la France. C’était, en dehors de la chanson, le grand plaisir de cette discrète diplomate.
L’amour de la France
Car Rika, la « sabra », aimait la France passionnément et lui vouait une gratitude sincère pour le succès et la prospérité qu’elle lui avait donnés. La France, d’ailleurs, elle l’avait épousée. Par son mari d’abord, un Ch’ti pur jus, issu d’une historique famille d’accordéonistes, qui avait, excusez du peu, été le batteur de Jacques Brel. Pour élever sa fille Yaêl, elle avait choisi Louisette, une pied-noir de Saïda, inconsolable de la perte de son fiancé légionnaire, tué par les fellaghas. Par sa carrière où, adoptée par Charles Aznavour pour passer en première partie de ses spectacles, elle avait rapidement conquis un public populaire par sa voix juste et son accent particulier, bien adapté à distiller la bonne humeur. Sa chanson était sans prétention, comme elle. Elle était destinée à procurer de la joie, à donner du courage. Au temps de sa grande popularité, de « Sans chemise sans pantalon », elle a été le visage joyeux et dynamique de son pays d’origine, lui octroyant certainement des points de sympathie dans le public français.
Rika était une femme d’action, pas une pleureuse. Un accident de voiture l’avait bloquée dans une gangue de plâtre pendant un an, elle en était ressortie avec une volonté décuplée. Je l’ai vue pourtant plus d’une fois s’accrocher à la rampe de son grand escalier, quand des ondes de douleur la paralysaient d’un coup. Les chimies médicales qu’on lui proposait, endormant l’énergie en même temps que la souffrance, elle n’en voulait plus. De là son intérêt pour la médecine douce et les vertus des plantes. Et très vite, elle a eu le désir de faire partager aux plus grand nombre le bénéfice de son herboristerie personnelle, dans la droite ligne d’un Mességué. J’en avais des placards pleins. On l’a moquée, elle n’en avait cure. Il lui en fallait plus pour l’atteindre.
Côté courage, Rika avait été à bonne école, auprès de parents d’une solidité à toute épreuve. Lui, ingénieur-électricien venu à pied de Crimée dans les années 20, elle infirmière de Varsovie ayant tout quitté pour participer à la réalisation du rêve de Théodore Herzl : établir une vraie nation sur la terre ancestrale des juifs, Israël. Cette race de pionniers était opiniâtre, tenace et combative. Frouma et Eliezer vivaient dans un appartement tout blanc et tout simple, éclaboussé de lumière, de la vieille ville de Jérusalem. Ils ne vénéraient pas le veau d’or et n’avaient de respect que pour les valeurs qui font les fortes nations. Ils ont dû accueillir là-haut leur fille, enfin débarrassée de ses terribles douleurs, à bras ouverts. Et je suis sûr qu’elle a chanté pour eux. Elle ne pouvait pas s’en empêcher ! Au revoir, Rika.
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Manifestation contre le projet d'annexion de la Cisjordanie, Londres, 18/7/20
Le propre de l’antisémite « modéré » est de pas se considérer comme antisémite, tout en proclamant que les juifs sont responsables de tout ce qui ne va pas dans le monde. Portrait-robot.
L’antisémite modéré ne supporte pas qu’on lui dise qu’il est antisémite. Il s’affirme plutôt antisioniste, en mettant en avant prioritairement les mauvaises actions éventuelles de l’Etat d’Israël sans trop insister sur celles commises par d’autres pays. Il a de la compassion pour les Palestiniens qu’il considère comme des résistants à une oppression et dont il justifie toujours les actions même lorsqu’elles ne sont conformes aux droits humains. S’il ne nie pas la Shoah – en cela il n’est pas vraiment négationniste – il trouve que les juifs « en font trop » et qu’ils exploitent cyniquement ce malheur jusqu’à plus soif, en créant une hiérarchie factice entre les génocides du XXème siècle. Enfin, il cite toujours, et exclusivement, des noms juifs pour évoquer les auteurs des malheurs du temps, sans regarder si ces juifs se déclarent juifs et si c’est en tant que juifs qu’ils participent à une globalisation néfaste du monde. Sortir des phrases de leur contexte lui permet d’asseoir ses présupposés sur les paroles d’auteurs confirmés et peu soupçonnés d’antisémitisme. « Ils en parlent tout le temps ».
Tous les génocides ne sont pas comparables. Pour avoir vécu et travaillé avec les bourreaux et les rescapés du génocide des Tutsis, je le sais bien.
Mon père avait perdu ses autres enfants, ses parents, ses grands-parents, ses frères et soeurs et tout le reste de la famille. Seul survivant, il a toujours refusé d’en parler. J’avais eu quatre frères et je ne l’ai jamais su avant la quarantaine, appris de la bouche d’un autre survivant. Ce sont surtout des Européens immigrationnistes à partir des années 70 qui ont placé la Shoah au centre de l’histoire pour justifier la nécessité d’accueillir l’Autre, l’étranger, et pour ne pas faire preuve d’intolérance à son égard, intolérance qui serait un sinistre rappel des « heures sombres et nauséabondes » de l’histoire de l’Europe. Tous les génocides ne sont pas comparables. Pour avoir vécu et travaillé avec les bourreaux et les rescapés du génocide des Tutsis, je le sais bien. La Shoah ne se distingue pas seulement par son extermination de masse sur un mode industriel mais elle fait suite à deux mille ans de persécutions, de pogromes et de tentatives d’extermination en Europe principalement. Les grands malheurs des peuples ne peuvent se comparer mais on ne pourra pas nier le caractère spécifique de l’extermination des juifs, qui se prolonge aujourd’hui dans un antisémitisme-antisionisme qui voit dans les juifs la cause première des malheurs du monde.
Pour cet agrégé de philosophie, gouvernants et gouvernés ont surréagi par rapport à la réalité de la menace. Le résultat, c’est que, pour défendre les plus fragiles, on les a abandonnés. Reste à savoir si nous serons capables d’apprendre de nos erreurs. Propos recueillis par Elisabeth Lévy.
Causeur. Vous parlez d’une « psychose qui fait dérailler le monde ». Vous n’allez pas dire que cette épidémie n’existe pas.
Jean-Loup Bonnamy. Je vous rassure tout de suite. L’épidémie est bien réelle. Et elle pose un très grave problème de santé publique, notamment à cause de l’engorgement des hôpitaux. De plus, je n’adhère absolument pas aux discours complotistes. Je pense que le virus, bien loin d’avoir été inventé dans je ne sais quel laboratoire, est une création de la Nature, tous comme les autres virus, bactéries et bacilles qui sont à l’origine des milliers d’épidémies que l’humanité a déjà affrontées. C’est d’ailleurs cette naturalité de l’épidémie qui me rend sceptique envers les procédés artificiels comme le confinement. Si je devais résumer ma position, je me qualifierais donc de « critique, mais pas barjo ».
Cependant, le remède (le confinement) semble pire que le mal (le Covid-19). Nous sommes en pleine surréaction. L’épidémie est grave, mais n’a rien d’apocalyptique : elle a tué 1,4 million de personnes dans le monde, mais il meurt 60 millions de personnes chaque année. Tous les ans, le cancer fait 9 millions de morts. Idem pour la faim ! (Il suffit donc de 50 jours à la faim pour atteindre le bilan du Covid.) Les broncho-pneumopathies obstructives font, elles, 3 millions de morts chaque année.
De plus, la mortalité du Covid est bien inférieure à 0,5 %. Sur le Charles de Gaulle, le plus grand navire de guerre de la marine française, 1 046 marins ont été contaminés : aucun n’est mort. En France, 50 % des morts du Covid ont plus de 84 ans. La moyenne d’âge est de 81 ans, ce qui correspond à l’espérance de vie. Sur 45 000 morts français du Covid, seuls 28 avaient moins de 30 ans et l’écrasante majorité de ces 28 malheureux était en fait atteinte aussi d’autres pathologies très lourdes. Les démographes de l’INED ont calculé que le Covid-19 ne nous ferait perdre qu’un mois et demi d’espérance de vie. Était-il nécessaire de mettre le pays à l’arrêt, d’empêcher les proches de voir les cadavres des défunts, de suspendre les libertés publiques, de saccager l’économie et le tissu social pour une maladie aussi peu létale ? Je ne le pense pas. Notre réponse est disproportionnée.
En tout cas, la psychose frappe autant les gouvernants que les gouvernés, on peut même dire que celle des seconds répond à celle des premiers. N’est-ce pas un signe de civilisation de refuser d’abandonner à leur sort les fameux plus fragiles, qui sont aussi les moins actifs ?
Premièrement, dans votre question, vous faites comme s’il était certain que le confinement soit la solution la plus efficace sur le plan sanitaire pour lutter contre le Covid. Or, cela n’a rien d’évident. Avec un confinement moins long et moins strict, mais en s’appuyant bien davantage sur ses médecins de ville, en dépistant massivement et en soignant précocement, l’Allemagne a cinq fois moins de morts par habitant que la France.
Deuxièmement, les plus fragiles, sous prétexte de les protéger du Covid, ont bien été abandonnés. Regardez ce qui s’est passé dans les Ehpad au printemps : des personnes âgées séquestrées dans leur chambre, abandonnées et privées des soins les plus élémentaires.
Troisièmement, l’effort du confinement risque de provoquer des drames humains bien pires que le Covid. Le premier confinement a jeté un million de personnes en plus dans la pauvreté. Le nombre de bénéficiaires de la soupe populaire a bondi de 30 %. Les problèmes d’addiction, de violences conjugales et de dépression ont explosé. La crise économique et son impact sur les finances publiques vont encore appauvrir notre système hospitalier. C’est donc bien vers une société moins civilisée, plus violente, plus barbare que nous mène le confinement.
Il est vrai que l’héroïsme a déserté nos sociétés. Faut-il regretter qu’on ne nous demande plus de mourir pour la patrie ?
Le recul des valeurs traditionnelles nous affaiblit face à nos ennemis, qui, eux, n’ont pas baissé les bras. Comment une société qui récuse toute forme d’héroïsme ou de courage, qui se calfeutre pour une maladie fort peu létale, pourra-t-elle faire face à des djihadistes prêts à tuer et à mourir ? Comment un État devenu une super-nounou obèse, juste bon à distribuer des aides sociales, empêtré dans sa lourdeur bureaucratique, peut-il encore bâtir une stratégie à long terme ?
Beaucoup de gens critiquent l’autoritarisme du gouvernement. N’est-ce pas plutôt son indécision et sa peur qui sont problématiques ?
Oui, le problème n’est pas tant l’autoritarisme des décisions que le fait qu’elles soient mauvaises, chaotiques et incohérentes. Mais les deux se tiennent : le gouvernement réprime, car il craint que sa fébrilité, son indécision, ses incohérences rendent ses choix difficilement acceptables.
Cela dit, quand on est au pouvoir, il y a des raisons d’avoir peur. Être accusé d’être responsable de la mort de gens, c’est déjà insupportable politiquement et moralement. Mais si on y ajoute le fameux risque pénal, cela devient carrément insupportable.
Certes, la tâche du pouvoir est aujourd’hui difficile. Mais elle l’a toujours été. Cette difficulté ne doit pas empêcher de garder ses nerfs. Par exemple, Olivier Véran a perdu son calme en pleine Assemblée nationale. Or, on n’a jamais vu le Général de Gaulle se mettre dans des états pareils, alors que la Seconde Guerre mondiale était bien plus stressante que la crise du Covid-19.
Ce qui complique la tâche de nos gouvernants actuels est le fait qu’ils doivent gérer leur risque juridique, dans une époque dominée par « l’envie du pénal », selon l’expression de Philippe Muray. L’excès de volonté de punir inhibe l’action et empêche les retours d’expérience approfondis. Comment Édouard Philippe peut-il parler sincèrement devant une commission parlementaire (ce qu’il devrait pourtant faire afin que nous comprenions les erreurs du passé pour ne plus les commettre à nouveau), alors qu’il sait que tout ce qu’il dit pourra être retenu contre lui ? Comme l’analyse le sociologue Christian Morel, la non-punition des erreurs est un élément fondamental pour éviter les décisions absurdes.
Alors qu’on assiste à un défilé permanent de corporations plaintives, et qui ont des raisons de l’être, comment définir l’intérêt général ?
Il faut nous libérer de la dictature de l’émotion. Prenons enfin des décisions rationnelles sur la base d’un bilan global coûts/avantages. L’intérêt général, c’est ce qui va dans le sens d’un renforcement du pays, de son économie, de son système de santé, de sa sécurité, de sa puissance dans le monde à moyen et long terme.
L’essai du philosophe autrichien, Konrad Paul Liessmann, qui vient de paraître en France, met en lumière l’incompatibilité fondamentale entre la notion de culture et notre système éducatif actuel.
Fin août, nous avons fêté le 2500ème anniversaire de la bataille des Thermopyles… « Nous » ? Qui, nous ? Ceux pour qui Léonidas n’est pas seulement une marque de chocolats ? Ceux qui se souviennent que 300 Spartiates et 700 Thespiens moururent pour donner du temps aux Grecs, et sauver l’Europe d’une invasion majeure — comme Don Juan d’Autriche l’a sauvée à Lépante, comme Nicolas de Salm en 1529 et Jean III Sobieski en 1683 la sauvèrent devant Vienne des ambitions turques ? Qui s’en souvient ? Personne, dirait Konrad Paul Liessmann, dont l’essai argumenté paru cet automne, la Haine de la culture, explique en détail la façon dont notre civilisation entière, en dégradant l’Education, a remplacé la Culture par l’acquisition de « compétences » qui ruinent l’être même de l’Europe. Que le sacrifice de quelques hoplites (des quoi ?) ait inspiré les défenseurs d’Alamo face aux Mexicains ou les soldats britanniques qui se battirent à Rorke’s Drift (où ça ?) contre des hordes de Zoulous, peu nous chaut (du verbe défectif chaloir…). « S’il nous arrivait de croiser le chemin d’une personne cultivée au sens classique du terme, il est probable que cela provoquerait chez nous une certaine irritation, car elle incarne précisément tout ce dont le discours actuel sur l’éducation ne veut plus entendre parler », dit fort bien l’auteur.
Culture versus consommation
Qu’Eric Zemmour – qui a l’un des premiers signalé le livre de Liessmann – passe pour un homme cultivé auprès de ses thuriféraires (ses quoi ?) donne la mesure de la dégradation de la notion. Eric, ne m’en veux pas, mais George Steiner, disparu en février dernier, était réellement un homme cultivé. Le dernier, peut-être. Nous, nous surfons sur des bulles de savoir — et sur un océan d’ignorance. À vrai dire, s’il en reste, les gens cultivés se cachent, et ils font bien. Ils n’ont plus aucun rôle à jouer dans une civilisation qui a réduit comme peau de chagrin (lis donc Balzac, hé, patate !) l’enseignement du latin et du grec, et remplacé les savoirs par des savoir-faire (triomphe indiscuté de l’utilitarisme à la Bentham) et désormais des « savoir-être » : « faire groupe », avoir des soucis écologiques (je mets au défi nos écolos modernes qui bêlent après un référendum de me donner l’étymologie du mot), faire le ramadan par solidarité, et passer un Bac de couch potato, voilà des compétences modernes indispensables. « Ils vont, ils viennent, ils trottent, ils dansent »… Des vrais savoirs, nulles nouvelles, comme disait à peu près Montaigne — qui a disparu des programmes et des ambitions des enseignants : trop dur !
La culture littéraire, dit Liessmann, est une « provocation ».
On se souvient (mais non, on ne s’en souvient pas !) que dans la Crise de la culture (1968) Hannah Arendt analysait déjà la façon dont la culture était éparpillée désormais en unités de consommation par notre civilisation des loisirs. Mes étudiants sont persuadés qu’à la fin de Notre-Dame de Paris, Esmeralda épouse le beau Phébus tandis que Quasimodo fait des bonds de joie. La lecture de la pendaison de la jeune femme et le rapt de son cadavre par l’illustre bossu n’ont pas suffi à les convaincre : Disney avait forcément raison sur Hugo — qui d’ailleurs n’est pas cité au générique du dessin animé. Et 1831, c’est loin. 1996, ça leur parle davantage, leurs parents envisageaient sans doute de les engendrer. L’Histoire s’est fondue dans une absence épaisse, comme dit Valéry (qui c’est, cui-là ?).
L’apothéose de la pédadémagogie
La culture littéraire, dit Liessmann, est une « provocation ». Précisons bien — à l’usage de mes collègues les plus frais — qu’« on ne peut se prétendre cultivé après avoir lu cinq romans et trois nouvelles » : en revanche, « celui qui, dans le cadre d’une analyse critique, serait en mesure d’établir un lien entre Winnetou [le héros de Karl May] et Hegel, ou entre Harry Potter et Martin Heidegger, se rapprocherait davantage de l’idée de la culture littéraire, fondée sur le principe qu’il y a des livres sans lesquels le monde et les hommes qui y vivent seraient à tous égards plus pauvres. » Beati pauperes spiritu, disent les croyants et les utilitaristes. Bienheureux les pauvres en esprit — ils ne posent pas de questions.
Les « apprenants » (sans doute faut-il désormais entendre « ceux qui apprennent quelque chose à leurs maîtres ») sont invités à s’exprimer — et non plus à poser des questions. Le dialogue autrefois visait à approfondir une notion, il ne rime aujourd’hui qu’à confronter des idées reçues — étant entendu que les lieux communs des élèves ont le même poids que la parole de l’enseignant. Triomphe de la pédadémagogie. Mort d’une civilisation qui fut celle du livre — cet objet de papier qui périclite. « Tous les pays qui n’ont plus de légende / Seront condamnés à mourir de froid », disait très bien Patrice de la Tour du Pin. La « légende », c’est étymologiquement ce qui doit être lu — mais qui lit encore ? Il y a tant de séries sur Netflix…
Le fast-food « culturel » répugne aux digestions lentes.
Surtout qu’il ne suffit pas de lire, c’est-à-dire de consommer des mots. Il faut s’en saisir, de façon à ce qu’ils vous transforment. « Le lion est fait de mouton assimilé », disait Valéry. Mais le fast-food « culturel » répugne aux digestions lentes. On a désappris la notion même d’effort aux élèves. Ils veulent des enseignants la même chose que ce qu’ils mangent — du pré-vomi. Et, surtout, aucune interruption de leur sieste. Une collègue il y a quelques jours s’est fait rabrouer par une élève parce qu’elle parlait trop fort, ce qui l’empêchait de sommeiller, entre deux coups d’œil sur son portable. Qu’il y ait eu un complot pour en arriver là, rien ne le prouve, nos dirigeants ne sont au mieux que des demi-habiles. La vérité, c’est qu’une civilisation entière pourrit, et que l’école fut l’interstice par lequel est entré le ver.
La culture : une question de temps ?
Ce qui nous manque pour lire, disent les imbéciles, c’est le temps. Pas même : c’est l’otium, explique Liessmann. L’espace de loisir, le temps libre. Nietzsche dès 1882 (dans le Gai savoir) note avec sagacité : « On a déjà honte de se reposer : passer du temps à réfléchir cause presque des remords. On pense avec la montre à la main, comme on déjeune. » Nous ne savons plus nous détacher. Or, la culture s’insère dans les failles de nos activités. Mais quand nous ne travaillons pas, nous nous divertissons : ceux qui nous gouvernent veillent bien à ne pas nous laisser un instant de vacuité. Un élève doit être sans cesse « en activité ». En vérité je vous le dis : l’école à l’ancienne produisait de grandes plages d’ennui, et c’est dans cet ennui que s’insinuait paradoxalement la culture. Les enfants aujourd’hui tannent leurs parents en demandant sans cesse « qu’est-ce qu’on fait ? » Ils n’ont même pas l’idée de réfléchir, rêver, penser par eux-mêmes. Se bâtir des mondes.
Je ne vais pas vous résumer entièrement un livre passionnant, irrésistible et déprimant. L’auteur appelle à de nouvelles Lumières — ou, pour parler sa langue puisqu’il est Autrichien, une nouvelle Aufklärung. Pour l’instant, il manque deux éléments pour que se produise cette renaissance : les hommes, et la volonté. Nous avons créé notre propre soumission, nous déplorons, de loin en loin, la baisse de niveau des élèves, puis nous retombons dans les tracas du quotidien, que la télévision alimente — car les soucis diffusés sur les chaines d’information font désormais partie de la panoplie du divertissement dans lequel nous nous abrutissons. Jusqu’à ce que des Barbares nous délivrent du souci même d’exister.
À une dizaine de jours de la validation des votes du collège électoral, le 6 janvier, Joe Biden semble assuré de succéder à Donald Trump avec 306 voix contre 232 pour son rival. Pourtant, ce dernier n’entend pas reconnaître la victoire du démocrate et agit sur plusieurs fronts que les médias n’abordent que superficiellement voire pas du tout concernant certains aspects, se contentant de les évacuer ou les présenter de façon biaisée.
S’ils se sont empressés de relayer la proclamation de la victoire de Biden par CNN, les médias français ont omis une analyse antérieure à l’élection de cette même chaîne sur une possibilité de victoire de Trump quand bien même le Collège électoral aurait attribué au moins 270 voix au candidat démocrate, minimum requis pour être élu sans que la Chambre des représentants ne tranche. Et c’est notamment l’une des pistes explorées par le Président américain qui, dès lors, devrait intéresser les médias pour comprendre sa stratégie. Il s’agit d’une hypothèse qui, même si les chances de Trump sont extrêmement minces, mérite d’être considérée dans un contexte où, selon un sondage Rasmussen publié le 7 décembre, 47 % des électeurs (contre 49) sont convaincus que Joe Biden a fraudé, une certitude partagée par 17 % de démocrates – avec une marge d’erreur estimée à +/- 3 % -, autre information évacuée par le journalisme en France.
Le 29 septembre dernier, le commentateur politique de CNN Fareed Zakaria expliquait comment le Président pourrait perdre les élections et cependant rester à la Maison-Blanche grâce au droit électoral. Fin novembre, des partisans de Trump relayaient à tort la vidéo de Zakaria en parlant de rétropédalage de CNN, omettant de la restituer dans son contexte pré-électoral. Cependant, même si Joe Biden a bien plus de chances que Donald Trump d’être élu, l’hypothèse émise par le journaliste vaut toujours.
Dans son émission hébergée par la chaîne peu favorable à Trump, Zakaria établissait le scénario suivant en rappelant qu’il existe des mécanismes constitutionnels permettant au candidat ayant perdu de gagner. Le point central de sa démonstration est que des législatures des États fédérés pourraient ne pas tenir compte des résultats officiels du vote populaire et choisir des listes concurrentes de grands électeurs en faveur de Trump ; si jamais aucun des candidats n’obtient 270 voix, alors c’est la Chambre des représentants qui élit le Président. Mais il y a une subtilité : les démocrates sont majoritaires à la chambre basse, même s’ils y ont perdu des sièges le 3 novembre, cependant les électeurs seraient majoritairement républicains, car les États y enverraient chacun une délégation en vertu du XIIe Amendement. Or, 26 États sont républicains, la majorité.
Petit état des lieux par rapport à l’hypothèse de Zakaria
Avant de prolonger l’hypothèse jusqu’à ce stade, il faudrait que lors de l’ouverture des votes le 6 janvier, au moins un sénateur et un représentant contestent la légalité de la certification des votes de certains grands électeurs. Un droit déjà exercé, notamment par les élues démocrates des deux chambres, Barbara Boxer et Stephanie Tubb Jones, quant à la victoire de George W. Bush en 2004 dans l’Ohio. Dans cette optique, les républicains des États contestés ont envoyé des votes de « grands électeurs » alternatifs au Congrès ; ils espèrent qu’en cas d’invalidation des votes des grands électeurs envoyés par les gouverneurs, les leurs seront retenus. L’avocate constitutionnaliste de Donald Trump, Jenna Ellis, défend cette option, à condition que ce soient les législatures de ces États et non les partis qui envoient des listes alternatives à celles des gouverneurs. Ces républicains espèrent que les tribunaux leur donneront raison quant à la supposée illégalité et inconstitutionnalité des listes déjà certifiées, et que les législatures de leurs États pourront valider à temps leurs procédures alternatives.
Jusque-là, les juges se sont surtout prononcés sur des points de recevabilité, notamment l’intérêt à agir ou le délai, et non sur le fond, contrairement aux dires des médias pour qui ces décisions anéantissent les accusations de fraude. Les républicains entendent obtenir d’ici le 6 janvier des décisions sur le fond concernant le processus électoral. Il reste donc une possibilité théorique que les voix de Joe Biden soient rejetées : soit que les cours donnent raison sur le fond aux républicains ; soit que les législatures de ces sept États continuent d’enquêter et valident ultérieurement les listes concurrentes si elles démontrent les fraudes qu’elles allèguent, le droit électoral permettant de certifier des voix même après le 14 décembre. Donald Trump pourrait ainsi obtenir 270 voix. Mais on pourrait aussi arriver à l’hypothèse redoutée par Fareed Zakaria, celle où aucun des candidats n’aurait assez de votes. Dans ce cas, on recourrait au XIIe Amendement.
Si jamais la validation de l’élection du Président s’envasait le 6 janvier, en dépit de l’avance actuelle de Biden, les délégations des États réunis à la Chambre des représentants éliraient le Président. Cependant, bien qu’il y ait une majorité d’États républicains rien n’assure que, dans ce cas de figure, Donald Trump obtienne la majorité, les délégués n’étant pas tenus par leur affiliation politique.
Un double standard médiatique refusant les éventualités déplaisantes
Les chances de Trump ne sont donc pas inexistantes et les commentateurs ont tort de ridiculiser les multiples tentatives du républicain qui multiplie les flèches pour en avoir une ou plusieurs qui atteignent la cible. Elles sont très faibles, mais même George Bush avait été déclaré vainqueur en 2000 par la Cour suprême avec la voix du juge Breyer, proche des démocrates, alors que le juge Stevens, républicain, s’était prononcé contre l’interprétation de la majorité bénéficiant au futur vainqueur – cette année, la Cour semble vouloir éviter d’être mêlée à l’élection. Des médias relayant CNN qui déclare Joe Biden vainqueur se devraient ainsi d’être objectifs et suivre CNN quand elle explique comment Donald Trump peut gagner en étant donné perdant. On notera également le silence général sur le gain de plus de 11 millions de voix pour Trump par rapport à 2016, sur ses gains auprès des électorats noirs ou latinos, comme si la déontologie consistait à éviter que le public ne pense mal s’il disposait d’un maximum d’informations.
En ne retenant que ce qui va dans le sens de leurs préférences politiques et en présentant l’actualité sous des angles favorables ou défavorables selon le candidat qu’ils préfèrent, nombre de médias outrepassent la légitimité d’une inclination pour se contenter de faire du militantisme, qui plus est en infantilisant ceux qu’ils se proposent d’informer.