Accueil Politique « Nous sommes dans l’instant, tandis que l’Islam est dans l’éternité »

« Nous sommes dans l’instant, tandis que l’Islam est dans l’éternité »

Entetien avec Henri Rey-Flaud


« Nous sommes dans l’instant, tandis que l’Islam est dans l’éternité »
Mosquée d'Empalot à Toulouse © ERIC CABANIS / AFP.

Dans La France s’éteint, l’Islam s’embrase…, Henri Rey-Flaud analyse l’antagonisme entre Occident et civilisation islamique par le prisme des mœurs. Le pire est-il à venir? Entretien avec le psychanalyste érudit.


Causeur. Pourquoi mettez-vous une majuscule à « Islam » dans le titre de votre livre?

Henri Rey-Flaud. Parce que l’islam avec une minuscule, c’est une religion et que l’Islam avec une majuscule, c’est un mouvement de culture et de civilisation que je considère comme prodigieux. La grande différence entre l’Islam et l’Europe occidentale, c’est que l’Europe occidentale s’est construite sur environ vingt-cinq siècles, tandis que l’Islam s’est construit en quatorze siècles.

Emmanuel Macron a-t-il eu raison de déclarer lors du discours des Mureaux qu’il faut «faire émerger une meilleure compréhension de l’islam»?

Dans ce qui se joue aujourd’hui, à peu près tout le monde dans l’espace politique est complètement à côté de la plaque. Emmanuel Macron n’a aucune idée des enjeux fantastiques que pose la rencontre de l’Islam et de l’Occident. Le roi Hassan II, qui était lui un esprit supérieur, est tout de suite allé au cœur du problème ! « Les Marocains ne seront jamais des Français », a-t-il dit lors de son entretien avec Anne Sinclair. Cela est aussi vrai des Tunisiens, des Algériens ou des Turcs. Ces gens-là ne seront jamais français, non pas qu’il y ait un rejet par la France mais parce que ce sont des cultures antinomiques. Ce qui me semble approprié pour résumer ma pensée, c’est une phrase de Freud: « l’ours et la baleine ne se sont jamais disputés parce qu’ils ne se sont jamais rencontrés ». L’Islam et l’Occident, c’est l’ours et la baleine.

Le psychanalyste et critique littéraire français Henri Rey-Flaud. Photo: D.R.
Le psychanalyste et critique littéraire français Henri Rey-Flaud. Photo: D.R.

Vous utilisez cette personnification dans votre ouvrage, vous utilisez aussi la métaphore de « l’incertain mariage de l’huile et du vinaigre ». A vous lire, ce mariage semble même être plus qu’incertain…

J’ai une profonde admiration pour la culture musulmane et pour l’Islam, mais je pense que l’avenir en France se présente très mal. Prenons l’exemple du Maroc, qui est un pays que j’aime beaucoup et que je connais bien. Il y a dans mes amis ou collègues marocains un noyau auquel on ne peut pas toucher. On a beau échanger sur beaucoup de choses, cette espèce de mur de verre est bien là, il ne permet pas d’établir ce que j’appellerais une communication absolue. L’Islam est une civilisation de la certitude.

Dans dix ans, les Algériens seront soixante-dix millions, la population en Algérie sera plus nombreuse que la population française en France! (…) À partir du moment où vous donnez un accommodement, il viendra une autre chose, puis une autre, puis une autre jusqu’à ce que l’Islam ait totalement assimilé l’Occident.

Justement, pouvez-vous nous en dire plus sur cette opposition que vous faites entre le doute chrétien et la certitude islamique?

La civilisation de l’Occident a été fondée sur l’examen. « La seule chose que je sais c’est que je ne sais rien », disait déjà Socrate. « Je pense donc je suis », disait Descartes. Freud disait que nos pensées ne viennent d’ailleurs que de notre personne immédiate. L’islam sort de la parole de Mahomet, de la prise de la dictée sous l’ange Gabriel. Quiconque remet en cause le discours d’Allah est un blasphémateur. Et le sacré est partout dans le monde islamique, dès qu’on touche à quoi que ce soit, on touche donc au sacré. Les Arabes, au fond d’eux-mêmes, sont animés par cette certitude. Cela est profondément opposé au doute, à l’esprit d’examen qui est au fondement de l’Occident.

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On pourrait vous suspecter d’essentialisme…

Je ne sais pas ce qu’il faut mettre sous ce mot. Ce que j’ai écrit et que je maintiens, c’est que l’aventure de Mahomet est l’aventure la plus prodigieuse de toute l’histoire de l’humanité. Un seul homme a créé cet élan spirituel qui se répand encore aujourd’hui.

D’aucuns disent que cela s’est fait par la conquête…

La conquête, elle est à la fois par les armes et par les esprits, les deux sont complètement liés.

En quoi cette conquête serait-elle plus prodigieuse que celle des Amériques par Hernan Cortés ou Francisco Pizarro?

La conquête des Amériques, c’étaient des gens qui allaient conquérir des terres qu’ils ne connaissaient pas, tandis que ce qui anime le fond de la conquête islamique, c’est que toute terre est en attente d’être rattachée à l’islam. Dans Les Droits de l’homme selon l’islam, texte présenté à l’Assemblée générale de l’ONU, il est écrit que « l’islam a vocation à devenir la religion universelle de l’humanité ». Cela signifie que selon ce texte, le jour où toute l’humanité partagera la foi musulmane, on aura atteint la fin de l’Histoire. Mahomet était un chef de tribu dérisoire dans un pays désertique. Lui et ses successeurs ont fait une conquête inouïe en très peu de temps. Il suffit de voir les splendeurs de Cordoue pour comprendre que cette civilisation est fantastique et qu’ils n’étaient pas uniquement des guerriers. Colomb, Cortés et compagnie n’étaient, eux, que des aventuriers.

Venons-en à la question des mœurs. « A Rome, fais comme les Romains », aurait dit Ambroise de Milan à Saint Augustin. Cette maxime n’est-elle pas valable pour n’importe quelle nation dans le monde, notamment la France?

Les Arabes ne vous diront jamais qu’ils vont vivre en France comme des Français. Tahar Ben Jelloun a écrit que toutes les nations arabes peuvent vivre en accord avec la République. Cela veut dire que la République est assez vaste pour que diverses formes de cultures puissent trouver un lieu d’accueil dans la République. Mais la République n’est pas une coquille vide! J’adore l’Italie et le Maroc. Je me sens plus chez moi en Italie que dans le nord de la France. En revanche, quand je suis au Maroc, je fais attention car je suis dans une autre culture.

Justement, les gens qui viennent de l’Islam ne devraient-ils pas adopter la culture française ?

Ils ne le peuvent absolument pas ! De Gaulle disait qu’on ne pouvait pas accorder la citoyenneté française aux Algériens car si on accordait cette citoyenneté, les Algériens, alors français, viendraient en France. Et il en déduisait alors la fameuse phrase « mon pays ne s’appellerait plus Colombey-les-Deux-Eglises mais Colombey les deux mosquées ». A l’époque, il y avait dix millions d’Algériens de souche et un million de pieds noirs. Aujourd’hui, l’Algérie comporte quarante millions de citoyens, la population a été multipliée par quatre. Cela veut dire que dans dix ans, les Algériens seront soixante-dix millions, la population en Algérie sera plus nombreuse que la population française en France. Les tenants de l’Algérie française étaient complètement aveugles sur la réalité, la partie était injouable. En revanche, le général De Gaulle était un visionnaire.

Venons-en à l’identité française. La France est-elle encore frappée de cette « culpabilité ouvrant sur un univers morbide de la faute » dont vous parlez ?

La France est dans une crise d’identité. Il en est de même en Italie. Le raidissement identitaire que l’on voit en Hongrie ou en Pologne traduit lui aussi une crise d’identité. L’Europe n’est pas parvenue à créer une identité européenne. À l’époque de Giscard D’Estaing ou de Jacques Delors on pensait que cela pouvait se faire. Aujourd’hui, je crois que le grand élan européen est retombé. Et la France s’éteint, il suffit de voir la façon dont les Français vivent aujourd’hui le Covid. L’élan identitaire qui a eu lieu en France au moment de la guerre de 14-18 n’est même pas imaginable aujourd’hui. Ces quatre années ont été terribles. Aujourd’hui, si vous dites aux gens qu’ils ne pourront pas fêter Noël, ils ont le sentiment que c’est liberticide. Je ne sais pas où va la France mais je pense qu’on aura un grand coup de théâtre avant les élections de 2022. Dans quel sens? Je n’en ai aucune idée, mais il ne se passera sûrement pas ce qu’on attend.

Vous soulignez un risque d’apartheid en France, terme qui renvoie à un développement séparé, mais n’est-ce pas déjà le cas?

C’est vrai qu’il a déjà commencé. Il y a eu cette idéologie multiculturaliste qui s’est développée, il y a eu beaucoup de lâchetés, Emmanuel Macron a étendu le regroupement familial aux frères et sœurs des mineurs réfugiés. Le Conseil de l’Europe décide aussi du regroupement familial. Les pays comme la Hongrie qui sont très anti immigration sont en passe d’être condamnés pour cela. En France, il y a eu cette idéologie dite humaniste. Il y a des Français d’origine maghrébine qui sont de plus en plus rattachés à leur pays d’origine. On parle là de gens qui ont 30, 40 ans.

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Vous écrivez d’ailleurs que « tant que les Arabes parleront arabe en France, il n’y aura pas pour eux d’intégration possible dans la collectivité nationale ». Mais les anciennes générations de Nord-Africains qui ne parlaient pas forcément bien français donnent l’impression d’être plus intégrées que les plus jeunes dont vous parlez…

Les gens dont je parle, qui sont mes analysants, m’ont dit que leurs parents leur avaient dit que la France était un pays qui les accueillait, qu’il fallait absolument apprendre la langue, les mœurs des Français, se fondre dans la population et être reconnaissant envers le pays d’accueil. Ils parlent un français impeccable, sans aucun accent. Mais ils se sont sentis de plus en plus maghrébins au fil des années, de plus en plus étrangers dans leur propre pays et leurs enfants sont totalement opposés à la France. Là on va vers une scission.

Emmanuel Macron a-t-il eu raison de dire qu’il faut promouvoir l’apprentissage de la langue arabe?

Les hommes politiques français, y compris Emmanuel Macron, n’ont aucune vision historique. La langue arabe n’est pas une langue comme une autre, c’est l’identité arabe. Avec le paradoxe qu’aucun Arabe en France ne parle l’arabe de Mahomet. Cette langue coranique est l’équivalent pour eux du latin pour nous, et ils se rattachent à cette langue comme à ce qui fonde leur identité. Quand on dit aux parents des enfants d’origines arabe qu’on va créer des cours d’arabe dans les collèges français, ils répondent que ce n’est pas le bon arabe. Au Maroc par exemple, les petits enfants apprennent l’arabe sur le Coran, c’est le seul support. Apprendre un arabe vernaculaire avec un autre support serait pour eux une hérésie.

« Est démocratique un État qui ne se propose pas d’éliminer les conflits, mais d’inventer les procédures leur permettant de s’exprimer et de rester négociables », écrivez vous en citant Paul Ricœur. Peut-on imaginer des accommodements « raisonnables » tels que des tribunaux islamiques en France, comme c’est le cas au Royaume-Uni?

Aujourd’hui c’est impensable. Même le Canada, qui a proposé un moment qu’il y ait des tribunaux islamiques, a fait marcher arrière, car il y a des femmes canadiennes qui ont porté plainte. Terra-Nova a songé un moment à faire un régime juridique spécialement pour les musulmans, heureusement ils ont reculé. À partir du moment où vous donnez un accommodement, il viendra une autre chose, puis une autre, puis une autre jusqu’à ce que l’Islam ait totalement assimilé l’Occident.

Vous évoquez parfois la guerre des Balkans. Une guerre civile est-elle envisageable en France?

Le conflit des Balkans remonte à huit siècles et n’est pas du tout réglé. Pour la France, c’est très difficile de prédire car la situation que nous vivons actuellement est inédite. Certes, il y a eu des guerres de religions mais entre gens de la même trame. Henri IV, qui était un roi protestant, est devenu un roi catholique. J’imagine mal Macron se convertir à l’islam aujourd’hui (rires). On est dans une situation totalement instable. La France s’est éteinte, la France a perdu la foi en elle-même et en Dieu. La grande force de l’islam, c’est qu’il est source d’élan. Aujourd’hui en France, l’islam est pratiquement la seule source de spiritualité. L’islam se développe car il y a dessous un terreau fécond. « Le désert s’accroît, malheur à celui qui protège le désert », disait Nietzsche. L’horizon proposé par De Gaulle a complètement disparu, la seule chose qui mobilise les jeunes aujourd’hui c’est la fête. Nous sommes dans la jouissance de l’instant, tandis que l’Islam est dans l’éternité. Cela est valable pour le reste de l’Europe. Venise, Florence et Rome et Paris sont des villes musée tandis que l’Islam est vivant. Je crains donc que l’Islam soit la veine féconde sur le territoire français. Je pense qu’une population qui est animée par l’esprit est à peu près sûre de gagner contre une population dont les jeunes ne pensent qu’à jouir de l’instant.

La France s’éteint, l’Islam s’embrase…, Henri Rey-Flaud, Editions PUF.

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Enseignant, auteur du roman "Grossophobie" (Éditions Ovadia, 2022).

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