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Les multiples vies de Virginie Efira

Elle est éblouissante et inquiétante dans « Madeleine Collins ». Son dernier film, actuellement en salles, réalisé par Antoine Barraud, est un thriller hitchcockien vertigineux


Réalisateur, producteur, monteur, scénariste, écrivain, essayiste, Antoine Barraud est avant tout une personnalité talentueuse très discrète et trop rare dans le paysage du septième art hexagonal. Né en 1972, il a été révélé au grand public en 2005 au Festival Premiers Plans d’Angers avec le court-métrage « Monstre », qui sera suivi d’une dizaine d’autres, avant de s’essayer au long en 2012 avec le bien nommé « Les Gouffres », drame horrifique et quasi expérimental visant déjà à explorer les tréfonds de l’âme humaine, avec Nathalie Boutefeu et Mathieu Amalric. Il récidive avec brio en 2015 avec « Le Dos rouge », intense réflexion sur les rapports entre un artiste et sa création et fort plaidoyer pour la fréquentation de nos musées, film à redécouvrir aujourd’hui, nanti d’un casting cinq étoiles : Bertrand Bonello, Jeanne Balibar et Géraldine Pailhas.

Il confirme à présent tout le bien que l’on pouvait penser de lui avec son troisième effort, au titre quasi hitchcockien, « Madeleine Collins », en référence subliminale à « Vertigo » (Sueurs froides en VF), l’œuvre séminale du maitre du suspense qui a inspiré quantité de réalisateurs à travers l’histoire… et Brian De Palma, autre influence indirecte de Barraud, n’est sans doute pas le dernier.

Derrière le masque des apparences

Une femme à la beauté éclatante (Virginie Efira), mène une double vie de famille, avec, semble-t-il, le même bonheur, au croisement de deux identités et deux pays limitrophes quasi frères. Sous le prénom de Judith Fauvet, elle vit à Paris avec son mari Melvil (référence à Jean-Pierre ? En tout cas excellemment interprété par Bruno Salomone), brillant chef d’orchestre dont elle a eu deux garçons désormais adolescents. Dans la banlieue de Genève, elle se fait appeler Margot et paraît très amoureuse d’un apollon plus jeune qu’elle, Abdel (Quim Gutiérrez), papa de la petite Ninon.

Pour justifier ses absences continuelles depuis deux ans auprès de son mari, elle prétend travailler comme traductrice franco-anglaise pour une ONG, ce qui lui permet de s’inventer des voyages sur le Vieux continent et notamment l’Europe de l’Est… Jusqu’à l’apparition du fameux « MacGuffin » hitchcockien, ce petit élément « grain des sable », de premier abord anodin qui fait dérailler le récit initial et accélère la dynamique narrative vers une dimension investigatrice visant à briser les apparences et faire tomber les masques de l’illusion.

En l’occurrence, un simple coup de fil passé dans le jardin d’une villa à la végétation luxuriante et étouffante entre Judith/Margot et Abdel… conversation que surprend son fils Joris. Refusant de voir la réalité en face et s’enferrant dans sa spirale de mensonges et de vies recomposées, notre héroïne va progressivement perdre pied, bientôt écrasée par le poids de sa propre mythomanie confinant dangereusement à la folie. Au risque de profondément déstabiliser ses proches et ses deux « familles »… Engrenage vertigineux menant le spectateur en bateau jusqu’à l’éclatement d’une effroyable vérité qui remet astucieusement l’ensemble du métrage en perspective. Pour notre plus grand plaisir.

Virginie, top of the tops

Qui n’a pas rêvé, fantasmé un jour, une nuit, de vivre simultanément plusieurs vies, conjugales, affectives, familiales, en toute insouciance et dans un total sentiment d’impunité et d’irresponsabilités ? Tel est le point de départ de cet étonnant film franco-helvéto-belge dont la caméra colle au plus près d’une Virginie Efira jouant admirablement toute la gamme des émotions, passant de l’amour-passion à la routine conjugale, puis de nouveau ressuscitant l’excitation d’une jeune ado allant retrouver son chéri dans un élan transgressif, sans oublier le désarroi le plus noir, les délires schizophréniques et le désir inaltérable de maternité.

A lire aussi, du même auteur: Soft power au pays du matin (pas si) calme

Après avoir récemment interprété des personnages aussi différents et clivants qu’une nonne lesbienne entendant des voix christiques (« Benedetta » de Paul Verhoeven), une policière au grand cœur (« Police » d’Anne Fontaine), une coache de natation synchronisée (« Le Grand Bain » de Gilles Lellouche) ou encore une coiffeuse gravement malade en quête de son enfant jadis abandonné (« Adieu les cons » d’Albert Dupontel), l’ancien top-model belge, aujourd’hui âgé de 44 ans, prouve qu’il faut désormais compter avec son talent pour porter haut les couleurs d’un cinéma hexagonal décomplexé et inventif, ambitionnant de tenir la dragée haute aux autres productions mondiales.

On la suit ainsi quasi aveuglément dans cet entrelacs de mensonges et de mémoires reprogrammées comme pour mieux fuir une douloureuse réalité touchant forcément la sainte institution familiale, une vérité enfouie, refoulée que l’on finit par découvrir dans un état de sidération, voire de tristesse sincère.

Qu’est-ce qu’un individu ?

La suite du casting proposée par Antoine Barraud est également impressionnante avec un Bruno Salomone, hélas trop rare au cinéma, en père de famille amoureux fou de sa femme, préférant ne rien voir de ce qui se trame sous ses yeux ; une épatante Jacqueline Bisset en mère odieuse et acariâtre, très froide avec sa pauvre Judith/ Margot ; et, last but not least, mention spéciale à Nadav Lapid, réalisateur, acteur, écrivain israélien, interprétant ici Kurt, un faussaire de papiers d’identité à l’accent indéfinissable, bad boy au charme apaisant qui, le premier, ne prendra pas de gants pour secouer la rêveuse Judith/ Margot en lui demandant de le regarder droit dans les yeux, ce qui permet à la mère mythomane de découvrir une tâche dans son iris… et ainsi de s’ouvrir à une altérité, une vraie individualité chargée d’une histoire personnelle, d’un tempérament, d’un caractère, d’un ADN sans doute riche de potentialités, bref une vie humaine forcément unique et indivisible, racine du terme « individu », ce que l’on ne peut diviser, séparer, séquencer et que l’on ne devrait ni négliger ni banaliser.

C’est peut-être ce moment de grâce cinématographique inattendu qui met en images ce petit miracle d’émotions, qui plus est, entre deux acteurs francophones appartenant à deux identités culturelles distinctes (Belgique et Israël), au cœur d’un pays, la Suisse, par définition lieu « neutre » symbolisant les croisements de tous les parcours internationaux avec une ville également emblématique, Genève, « capitale » à travers l’Histoire de résolution des conflits et drames mondiaux, sous le haut patronage de l’ONU et des diverses organisations transnationales.

Au final, un film chargé en émotions, pour de belles pistes de réflexions et d’évasion qui ne manqueront pas de nous éloigner un moment de notre triste réalité pandémique et politique quotidienne… 

Michel Houellebecq élargit sa palette

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Le romancier Michel Houellebecq est à la fois un chroniqueur de ce qui est et un visionnaire de ce qui sera. Sa dernière histoire, anéantir, numéro un des ventes, a ravi Philippe Bilger.


Il fallait bien que je lise anéantir, le dernier roman de Michel Houellebecq ! J’en éprouvais d’autant plus le besoin que de manière totalement immodeste, je me sentais obligé de départager les enthousiastes, les très critiques et les plutôt réservés. J’ai terminé ma lecture le 13 janvier à midi et je ne mégote pas : il s’agit d’un chef-d’œuvre qui marque une évolution sensible dans l’œuvre de ce créateur tellement génial que sa singularité est accessible à tous. Je me sens du côté de Jean Birnbaum que pourtant j’avais jugé dithyrambique, trop élogieux pour qu’on ne suspecte pas une trop vive complicité entre lui et Michel Houellebecq.

Un roman tellement riche qu’il est difficile d’en épouser toutes les faces comme si Michel Houellebecq, lassé par ses livres précédents à la fois remarquables mais centrés sur le registre inimitable d’une ironie sèche et drôle et d’un pessimisme brillamment sarcastique sur notre monde, avait décidé d’élargir sa palette, d’enrichir ses inventions et, d’une certaine manière, de nous démontrer, avec quelle force d’analyse et d’émotion, que rien de ce qui était humain ne lui était étranger.

Ce n’est pas à dire qu’on ne retrouve pas dans anéantir l’essentiel de ce que la multitude de ses lecteurs a toujours adoré chez Michel Houellebecq : une incroyable force narrative, un talent exceptionnel pour raconter, sur un mode apparemment ordinaire, le cours d’une réalité, de réalités (diverses et contrastées dans ce roman) et la relation d’événements de toutes sortes. C’est véritablement le fait du génie que de savoir passionner, avec une telle économie de moyens, en mêlant le factuel, la matérialité, la psychologie intime, les opinions sur la France, les considérations philosophiques et politiques et, plus globalement, tout ce qui peut surgir de la tête d’un écrivain incomparable épris de beaucoup de disciplines.

Un roman total

anéantir est un roman total, global. Politique, avec de profondes analyses qui démontrent que connecté sur la société française, ses affrontements partisans, ses détresses et ses misères, Michel Houellebecq est à la fois un chroniqueur de ce qui est et un visionnaire de ce qui sera. Il s’agit aussi d’une étincelante et limpide illustration du pouvoir et on aurait bien tort de prendre à la légère les admirables développements qu’il prête souvent à Bruno Juge, ministre inspiré par son ami Bruno Le Maire. Le tour de force du romancier est de rendre vraisemblable tout ce qu’à l’évidence il a pris dans la personnalité de Bruno Le Maire – les qualités et l’intelligence de ce dernier le justifient – mais en même temps de n’avoir pas oublié d’en faire un personnage romanesque infiniment sympathique et singulier.

A lire aussi: Il raconte quoi, le nouveau Houellebecq?

D’amour, avec les retrouvailles magnifiquement décrites, sur tous les plans (et Michel Houellebecq, pour la sexualité et ses diverses manifestations, ne lésine pas, mais sans que jamais on puisse trouver un peu lourde cette insistance), du couple Paul et Prudence, désaccordés à l’origine et que la quotidienneté rapproche de manière infiniment subtile, délicate et émouvante. Ce retour vers le cœur et le corps et leur complicité retrouvée est décrit avec une grâce et une finesse qui, s’il en était besoin, feraient justice d’un Michel Houellebecq présenté comme un cynique exclusif.

D’amour et d’affection encore, avec la focalisation sur les membres de la famille de Paul, notamment sa sœur Cécile et son beau-frère Hervé, Madeleine, la compagne de son père gravement diminué à la suite d’un AVC mais si présent par ses clignements d’yeux et les pressions de sa main, des personnages dont l’humanité, la naïveté parfois, ne sont pas moquées mais sur lesquels le romancier pose un regard d’absolue dignité et de total respect.

Un cancer incurable

De finitude et de mort. Il n’y a pas que la splendide fin du roman qui baigne dans une tendresse conjugale amplifiée par la description détaillée d’un cancer au traitement devenu impossible, avec une mélancolie qui profite encore du présent et de l’amour en sentant peser le poids de l’absence à venir. Tout au long des 726 pages qui se lisent sans un zeste d’ennui, court, tel un leitmotiv, une sorte de désabusement parfois joyeux, un doute sur ce que vaut vraiment l’existence avec sa fin obligatoire qui n’obère pas les moments où l’étrange joie d’être vivant vous saisit.

Michel Houellebecq en Espagne, septembre 2019 © REX/SIPA Numéro de reportage : Shutterstock40728940_000001

De rêves et de nature. Paul Raison, le protagoniste de ce roman, rêve souvent, et Michel Houellebecq nous raconte ses rêves sans omettre le moindre détail. Il faut voir cette intrusion de l’imaginaire dans le réel comme la démonstration que la vie des songes vient ajouter un supplément d’âme et de mystère à la quotidienneté brute. De nature, parce qu’elle est offerte comme une tranquillité, un apaisement, une harmonie qui rassurent les vivants et deviennent le seul bonheur de ceux qui vont mourir et n’ont plus que les arbres, les mouvements du vent, l’éternité des choses et la douceur mobile du monde sous leurs yeux pour durer encore.

Roman total, global, oui. Ce que j’apprécie par-dessus tout chez lui, même si évidemment il veille à singulariser chacun de ses personnages, du plus humble au plus important, est la manière dont il sait offrir à son lecteur une littérature d’affirmation et de conviction. Je perçois toujours, derrière les péripéties romanesques et les évolutions des êtres, la voix inimitable de Michel Houellebecq qui la plupart du temps me fait sourire, voire rire franchement tant il sait user de cette ironie de haut niveau qui le conduit à s’interroger lui-même et à répondre positivement à des questions parfois déprimantes que le commun ne se pose jamais. Il y a dans cette attitude qui ne se masque rien une lucidité supérieure qui ne cherchant jamais à se faire valoir par la pompe des mots (aux antipodes de son style) a d’autant plus de portée sarcastique, amère ou drôle.

anéantir est un gros livre. Pour ma part, même si quelques digressions d’une précision maniaque sur tel ou tel thème auraient pu sans doute être évitées, j’ai goûté encore davantage ce livre que les précédents – dont aucun ne m’avait déçu.

Souci des détails

Un mot sur une histoire qui revient régulièrement dans le livre et concerne les services secrets, des attentats, des mystères, avec des inspirations sectaires parfaitement organisées. Michel Houellebecq en traite en connaisseur et j’ai été impressionné par le souci des détails et de la vraisemblance qui d’ailleurs fait le prix du livre sur beaucoup de ses autres sujets. Ces épisodes peuvent sembler, même avec leur retour régulier, périphériques d’autant plus que l’auteur nous fournit une clé qu’il n’a pas éprouvé le besoin de rendre très explicite. Ce n’est pas grave. Je ressens l’existence de ces terrifiantes menaces et parfois réalités comme la volonté de Michel Houellebecq de montrer que notre monde n’est pas mis en péril que par lui-même mais par des forces obscures, un surnaturel effrayant et mortifère. De partout il est visé, ciblé. anéantir, quel beau titre pour ce roman qui nous comble. Michel Houellebecq, découvrant la douceur des choses humaines, nous enchante et nous fait espérer avec son lyrisme retenu, corseté mais d’autant plus troublant et émouvant. Le pire n’est pas sûr puisque l’amour existe.

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Zemmouriens de la rive gauche

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Ce mercredi à Paris, David Arveiller a réuni les soutiens d’Eric Zemmour de la rive gauche pour une galette militante dans le 13e arrondissement. Convié aux festivités, Causeur s’est glissé dans l’assistance…


Mercredi, deux soirées se disputaient le gratin réac parisien. Rue du Dessous des Berges, dans le 13e arrondissement, David Arveiller, le référent de « Reconquête » dans le Ve arrondissement – dont nos lecteurs ont pu lire quelques tribunes – avait réuni les militants pour manger une galette des rois, regarder la retransmission de l’émission de BFMTV à laquelle était invité le Grand Manitou, et relancer les troupes à l’assaut de l’élection, après la trêve des confiseurs… 

Deux soirées dans le XIIIe arrondissement

A l’autre bout de l’arrondissement, à l’Espace Galerie VII rue de Sainte Hélène, nos confrères de Boulevard Voltaire fêtaient leur dixième anniversaire. Certains sont passés d’une soirée à l’autre. 

Dans un Paris vidé pour cause de Covid et de télétravail, les militants de Zemmour s’étaient donné rendez-vous à 20 heures. Même si la rumeur quant à la venue de Zemmour et de sa compagne après l’émission de BFMTV était un excellent produit d’appel, David Arveiller craignait dans un premier temps d’avoir du mal à remplir toute sa salle. À l’entrée, après le contrôle, outre les classiques t-shirts et casquettes vendus sur un stand dédié, Sixtine de la Nouvelle librairie proposait à l’achat les derniers ouvrages de François Bousquet, Renaud Camus, Guillaume Travers, Jean-Louis Harouel et bien sûr… Eric Zemmour. La Nouvelle librairie, située rue de Médicis où elle est régulièrement la cible des « antifas », constitue un allié de poids pour reconquérir le Quartier latin et plus généralement cette rive gauche de la capitale réputée si peu sensible aux idées de la droite nationale…

Les militants de la « Génération Z » ont revêtu leurs t-shirts bleu, blanc, rouge « Zemmour 2022 », ils accueillent les invités avec un verre de cidre ou de soda, mais ne savent pas encore s’ils peuvent commencer la distribution de la galette, laquelle sera finalement remise plus tard dans des petits cartons individuels « Maison du Chocolat ». 

Avant la dégustation, on se retrouve, on commente les récentes déclarations du « Z », – notamment sur sa relation avec Sarah Knafo – ou les derniers sondages, et on prend surtout des nouvelles des uns et des autres après les fêtes de Noël. Finalement, la salle se remplit rapidement. 

A lire aussi, du même auteur: Amabilités républicaines

L’assistance, qui reste debout, est majoritairement composée de jeunes hommes. Ici, personne ne porte de masque. Le fond sonore est quant à lui occupé par un autre jeune homme, Michel Sardou. 

Paris, 13e arrondissement, 12 janvier 2022.

Jean Messiha et Paul-Marie Coûteaux très sollicités

Jean Messiha, premier arrivé parmi les célébrités attendues, est immédiatement assailli par les jeunes qui lui demandent un selfie ou se contentent de l’approcher timidement pour le saluer. Un peu plus tard, de rapides prises de parole au micro seront organisées. Rapides, car, on attend sur l’écran qui projette BFMTV au fond de la salle la parole de « quelqu’un de beaucoup plus important », précise un coordinateur de Génération Z, ce mouvement de jeunes lancé en avril 2021 qui se targue d’avoir convaincu Eric Zemmour à se porter candidat. « 2022, c’est la reconquête, 2022 c’est pour nous ! » peut-on entendre au micro. Arrivent ensuite Stanislas Rigault et Antoine Diers, lequel insiste pour qu’on le tutoie. « Vous êtes encore très nombreux ce soir, mais je ne suis même plus étonné. Dès qu’on se déplace quelque part en France avec l’étiquette Zemmour, la salle est pleine et l’ambiance incroyable » témoigne Rigault. « Vous êtes même plus nombreux qu’un meeting où Valérie Pécresse rassemblerait toutes ses troupes » s’amuse-t-il sous les applaudissements. « La dynamique est chez nous, elle n’est nulle part ailleurs » croit-il savoir. « Je vous propose de se retrouver dans un mois, dans la même salle, et que l’on soit encore trois fois plus ! Allez chaque jour chercher une ou deux personnes pour la faire adhérer. Nous devons le faire pour sauver le pays et fêter la victoire d’Eric Zemmour le 24 avril » propose-t-il. 

A lire aussi, notre entretien: Eric Zemmour: “Je tends la main aux musulmans qui s’assimilent”

Antoine Diers, nouvelle coqueluche des médias, confiera au micro envier les plus jeunes militants, lui qui a commencé à grenouiller en politique à l’âge de 15 ans mais qui dit n’avoir jamais vu une campagne aussi sympathique et enthousiasmante. « Vous avez devant vous trois mois où vous allez vous éclater à militer pour Eric Zemmour, une campagne inattendue ! » Selon lui, Reconquête et Génération Z font actuellement le plein d’adhérents, notamment grâce à de nombreux abstentionnistes qui affirment avoir carrément décidé de revoter rien que pour Eric Zemmour. « On peut le faire. Il ne reste que 87 jours avant l’élection présidentielle. Cela ne dépend que de nous, que de vous ! » tonne Rigault pour galvaniser ses troupes. Paul-Marie Coûteaux, ancien député européen qui est parvenu à importer du Québec le mot « souverainisme » en France, et qui dirige depuis quelques temps la revue Le Nouveau Conservateur, est très écouté par les uns et les autres. Il vient d’avoir des mots assez virulents contre Valérie Pécresse concernant la langue française dans nos colonnes cette semaine, je vous y renvoie. Quoi qu’il en soit, la soirée et les différentes prises de parole semblent avoir redonné la foi à la plupart des militants, lesquels ont évidemment aussi un oeil sur les sondages comme tout le monde… Mais, alors qu’au fond de la salle Eric Zemmour se chamaillait avec Natacha Polony ou Maxime Switek à la télé, on apprenait que Marine Le Pen avait débarqué à la soirée de Boulevard Voltaire rue de Sainte Hélène…

«Matrix 4»: Lambert Wilson seul contre les robots

Le nouveau volet de la saga de science-fiction nous propose 2h30 d’auto-ironie un peu pénible


Surfant largement sur la nostalgie de la fin du siècle précédent et de la sortie du premier volet en 1999, « Matrix » revient, vingt ans. En cours de route, on a perdu l’un des deux frères Wachowski, lesquels sont entretemps devenus des sœurs ; Lana Wachowski était donc toute seule aux manettes de ce quatrième opus, « Matrix Resurrections ».

Un film qui faisait phosphorer

Le premier volet avait réussi à réunir trois genres en un : film d’action avec des scènes de combat très esthétisantes et l’apport du fameux bullet-time (ces moments où l’image se ralentit à l’extrême de façon à éviter les balles de l’agent Smith) ; film de science-fiction, avec la vieille hantise de voir les machines se retourner contre leurs créateurs humains ; et enfin, fable philosophique, avec discussions sur le choix et le destin, le réel et l’illusion, allusions religieuses et référence entre autres au mythe de la caverne et à Alice au pays des merveilles.

Le tout de façon suffisamment cryptique pour permettre à l’époque la naissance d’une copieuse exégèse sur les forums (avant les réseaux sociaux) et chez les philosophes (Alain Badiou avait participé en 2003 à un ouvrage collectif, Matrix, machine philosophique). L’intérêt du premier épisode reposait à mon sens dans ces envolées philosophiques, notamment quand le personnage Cypher, traître revenu parmi la Matrice et pouvant de nouveau manger un steak après s’être coltiné la bouffe infâme des rebelles, admet que son steak n’est qu’illusion mais jure que « l’ignorance, c’est le bonheur ».

Keenu Reeves ne vieillit pas

Dans le quatrième opus, Neo (Keenu Reeves) n’est plus un post-adolescent mais un quadra, barbu et cheveux longs, christique (les amateurs de football verront le sosie d’Andrea Pirlo). Neo est désormais un développeur de jeux vidéo, qui a connu un franc succès en sortant vingt ans plus tôt un jeu nommé Matrix. Warner Bros. (cité nommément dans le film !) le pousse alors à en produire un quatrième volume. Jolie façon de critiquer l’exploitation à l’envi des sagas du passé et joli exercice d’auto-ironie, qui aura le don d’agacer ou de faire sourire le spectateur, selon son humeur du moment. C’est aussi un aspect ambigu de la saga, à la fois critique, un peu révoltée (avec les sons énervés de Rage against the machine en renfort) et en même temps superproduction et machine à fric.

Si l’on retrouve pour cet épisode Keenu Reeves, Laurence Fishburne n’est plus Morpheus et Hugo Weaving n’est plus l’agent Smith. Avec ses costumes bariolés (lui conférant un côté sapeur congolais), le nouveau Morpheus (Yahya Abdul-Mateen II) ne donne plus vraiment l’impression de sagesse froide de l’ancien ; malgré de vrais efforts pour imiter son célèbre rictus, on ne reconnaît pas forcément non plus l’agent Smith. Aussi, le film est truffé d’incursions d’images des épisodes précédents (surtout le premier, bien sûr), petits flashs où l’on revoit des scènes d’il y a vingt ans, avec le vrai Morpheus, le vrai agent Smith de l’époque. Ce n’est pas la moindre des exploitations de la nostalgie faite par le film.

Lambert Wilson clochardisé

Dans la deuxième partie, place au film d’action un peu foutraque. C’est dans ce deuxième temps qu’apparaît Lambert Wilson, surnommé le Mérovingien. Aperçu dans le deuxième volet, buvant des vins français au bras de Monica Bellucci, le voilà désormais clochardisé, et son syndrome Gilles de la Tourette ne s’est guère amenui.

En 2003, le film était sorti au même moment que le discours de Villepin à l’ONU contre la guerre d’Irak ; et la logorrhée pompeuse du Mérovingien avait fait écho à la « Vieille Europe » (France chiraquienne en tête) pointée du doigt par Donald Rumsfeld. Dans ce nouvel opus, le Mérovingien, précieuse ridicule plus que déclassée, regrette le temps béni de la conversation (en français dans le texte) et s’en prend à Facebook et aux machines.

L’apparence et l’intonation de Lambert Wilson est suffisamment ridicule pour discréditer son propos. Décidément, la France est bien seule contre les robots.

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L’UE a la haine

Certaines luttes sont plus à la mode que d’autres. Les mesures prises par l’UE et les États-Unis pour lutter contre les prétendues menaces pesant sur le « pluralisme » et « l’inclusion » en témoignent. Mais elles occultent complètement une autre emprise grandissante…


Le 9 décembre, la Commission européenne a proposé d’étendre la liste des infractions pénales de l’UE aux « discours et crimes de haine ». La liste actuelle comporte des délits revêtant d’emblée une dimension transnationale, comme le trafic de drogue, la contrefaçon, la corruption ou le terrorisme. Des délits que tout le monde parvient à concevoir sans difficulté. On sait ce que sont la drogue, un attentat, des faux sacs Vuitton. Mais qu’est-ce qu’un « discours de haine » ? Où place-t-on le curseur de la haine ? Pour Didier Reynders, commissaire européen à la Justice, qui a bien appris le jargon à la mode, il s’agit de protéger les citoyens contre des « menaces pesant sur le pluralisme et l’inclusion ».

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Comme il existe déjà un cadre légal européen permettant de traiter la plupart des crimes de haine, qui a été transposé dans leur législation nationale par tous les États membres, cette proposition a bien l’air d’un prétexte pour étendre encore l’emprise de Bruxelles sur les Vingt-Sept. La haine est dans l’air en ce moment. Un projet de loi pour « combattre l’islamophobie internationale » est actuellement devant le Congrès américain. Son objectif est la création d’un envoyé spécial rattaché au département d’État chargé d’identifier et de combattre des cas de haine antimusulmane partout dans le monde. Selon le sénateur démocrate Cory Booker, il s’agit de faire des États-Unis « un leader mondial dans la lutte contre la haine ».

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Il peut sembler curieux de se focaliser sur une seule forme de haine, mais on comprend mieux quand on sait que l’un des promoteurs de la loi est la représentante démocrate Ilhan Omar. Musulmane née en Somalie, elle a été dénoncée plusieurs fois en 2019 par des membres de son propre parti pour avoir proféré des propos antisémites et anti-israéliens.

Les Juifs sont un peuple sournois et retors: ils ont envoyé un dauphin contre le Hamas!

Honte à eux…


C’est un communiqué de la branche militaire de cette sympathique organisation qu’est le Hamas qui nous l’apprend : un dauphin sioniste s’est approché des côtes de Gaza ! Il est regrettable que l’annonce du Hamas manque quelque peu de précisions…

Car bien des questions se posent. Le dauphin était-il – oui ou non – circoncis ? A-t-il été abattu au nom de la légitime défense ? Si tel avait été le cas, son cadavre n’aurait-il pas été exhibé dans les rues de Gaza, devant une foule en liesse ? Le dauphin a-t-il été capturé et gardé au secret, en attendant d’être échangé contre des centaines de dauphins palestiniens injustement emprisonnés en Israël ? Grande est notre perplexité. Nous attendons – nous exigeons même – du Hamas de plus amples détails sur cette effroyable agression.

A lire aussi, Gil Mihaely: Le Hamas, premier parti israélien?

Mais le pire est encore à venir. Gil Mihaely, qui a ses entrées au Mossad, nous a soufflé que les sionistes s’apprêtaient à envoyer une baleine contre Gaza. Elle sera escortée par des limandes. Fines, minces et silencieuses, elles échapperont aux sonars du Hamas. Une arme de destruction massive qui n’est pas, renseignements pris, interdite par les conventions internationales. Ce sera un carnage.

À ce stade, et vu ce qui précède, il nous faut rendre justice au Hamas. Cette organisation est communément qualifiée de terroriste. C’est une infamie et un mensonge : le Hamas est une émouvante troupe d’intermittents du spectacle comique.

Plus sérieusement, maintenant, on apprend que des chercheurs de l’université Ben Gourion ont réussi à faire piloter un véhicule par un poisson rouge. Le poisson est installé dans un aquarium lui-même placé sur le véhicule auquel il est relié par un ordinateur. Quand il avance dans son aquarium, l’engin avance. Et quand il recule le véhicule fait la même chose.

Cessons d’être sérieux. De source proche du Mossad, on nous indique que des poissons rouges seront installés aux commandes des chars israéliens. Ils pénétreront dans Gaza et il y aura un autre carnage. Pour les besoins de cet article, nous avons relu L’Art de la Guerre de Machiavel. Il y écrit que les batailles ne se gagnent pas uniquement avec des armes: l’intelligence est nécessaire. En vertu de quoi nous sommes assurés de la défaite du Hamas !

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Le droit de vote pour les ultramarins: une exception et une fierté françaises

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Les tournées en Outre-mer des principaux candidats à la magistrature suprême sont pour nous d’une grande banalité. Pourtant, des quatre pays ayant de lointaines possessions ultramarines, la France est la seule à accorder l’égalité en droits civiques. Une exception et un motif de fierté largement méconnus, et à enseigner dès le plus jeune âge…


Dans le cadre de leur campagne électorale, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon ont récemment visité, en décembre dernier, certains de nos territoires d’outre-mer. Rien de plus normal, s’agissant de territoires français, dont les habitants sont par conséquent nos compatriotes, qu’ils bénéficient, à ce titre, de l’égalité en droits civiques que notre République garantit à tous les citoyens, où qu’ils se trouvent sur le territoire national, et partout où flotte le drapeau tricolore.

Pas si banal

Pourtant, ce qui est pour nous, Français, un principe républicain et éthique des plus banals, constitue en réalité une différence radicale avec la situation qui prévaut dans les territoires d’outre-mer appartenant au Royaume-Uni, aux États-Unis et aux Pays-Bas, soit les trois autres pays ayant de lointaines possessions, distantes de plusieurs milliers de kilomètres. En effet, si les ultramarins français, quel que soit le niveau d’autonomie de leur territoire, peuvent participer à l’ensemble des élections nationales (présidentielle, législatives et sénatoriales) et être représentés au sein des institutions politiques nationales (Assemblée nationale et Sénat), ceci n’est guère le cas des ultramarins britanniques et de la grande majorité des ultramarins américains et néerlandais, auxquels interdiction est ainsi faite de prendre part à la gestion des affaires de la nation, ou d’exercer la moindre influence. Un schéma de type colonial et une approche quasi ségrégationniste qui régissent encore aujourd’hui la relation de ces pays avec leurs territoires d’outre-mer, majoritairement peuplés de personnes aux lointaines origines non européennes.

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En effet, les ultramarins britanniques ne peuvent prendre part à aucune élection nationale, ni être représentés dans aucune institution politique nationale. Côté néerlandais, ce sont environ 92% des citoyens d’outre-mer qui sont dépourvus de ces droits. Les seuls à bénéficier du même traitement que leurs compatriotes de métropole étant les habitants de Bonaire et des microscopiques Saint-Eustache et Saba (et ce, depuis 2010 seulement…).

En France, pas de citoyens de seconde zone!

Enfin, et à l’exception d’Hawaï, les populations des territoires américains d’outre-mer ne peuvent participer ni aux élections présidentielles, ni aux sénatoriales. Toutefois, elles ont le droit de prendre part aux élections législatives… mais pour élire un député qui n’a nullement le droit de voter à la Chambre des représentants (équivalent américain de l’Assemblée nationale). Chose incroyable mais vraie, et qui revient donc à considérer, de facto, que ces ultramarins américains ne peuvent prendre part à aucun scrutin national, ni être représentés dans aucune des instances politiques nationales. Quant à l’État d’Hawaï, l’exception dont bénéficie ce territoire s’explique probablement par son caractère hautement stratégique (situé à peu près au milieu du Pacifique Nord, et ayant joué un rôle crucial pendant la Seconde Guerre mondiale), voire également par le fait que près de la moitié de la population de l’archipel était blanche anglo-saxonne au moment où celui-ci acquit le statut d’État en 1959, et par là même des droits identiques à ceux des 49 autres États fédérés des États-Unis (il s’agissait alors du territoire d’outre-mer américain ayant la population blanche non hispanique la plus importante en pourcentage, particularité toujours valable aujourd’hui).

Ainsi, la totalité ou presque des citoyens d’outre-mer des trois pays précédemment cités ne peut ni voter ni être représentée au niveau national. Leur seul et unique droit est donc d’assister impuissants au déroulement des campagnes et des scrutins, sagement assis face à leur écran de télévision. Et inutile pour eux d’attendre la moindre visite de la part des candidats et des chefs de file des principales formations politiques du pays.

À lire ensuite: 2022: nos politiques dans les starting-blocks

Imaginons un instant que nous appliquions cette même règle en France, en interdisant à nos compatriotes d’Outre-mer de bénéficier des mêmes droits civiques que les métropolitains, en en faisant ainsi juridiquement des citoyens de seconde zone, mais tout en œuvrant à maintenir leur territoire au sein de la République française, au bénéficie géopolitique (voire peut-être un jour économique) de cette dernière… Il est probable que la réaction soit alors assez forte, face à ce qui serait considéré comme une flagrante et injuste différence de traitement. Une différence de traitement que le Royaume-Uni, les États-Unis et les Pays-Bas n’ont pourtant aucun scrupule à imposer, en prétextant notamment la large autonomie accordée à leurs territoires d’Outre-mer. Mais c’est un argument loin d’être convaincant, d’autant plus que la France, elle, garantit l’égalité totale en droits civiques à tous ses nationaux d’Outre-mer, y compris à ceux résidant dans des territoires bénéficiant d’une très large autonomie (notamment dans le Pacifique), et qui ont la possibilité de voter et d’être représentés au niveau national de la même manière que tous les autres citoyens français.

Une fierté française

En France, il n’y a donc ni sous-citoyens, ni ségrégation déguisée. Et malgré les difficultés que l’on peut rencontrer dans les territoires d’Outre-mer, et que l’on retrouve également dans ceux appartenant à d’autres nations, car souvent inhérentes à l’insularité et à l’éloignement, nos compatriotes ultramarins sont des citoyens français à part entière, n’en déplaise à certains (en métropole, particulièrement…). L’égalité en droits civiques constitue donc une exception française, et une application concrète de notre devise « Liberté, Égalité, Fraternité ». Une de ces exceptions et un de ces motifs de fierté que devraient connaître tous nos compatriotes, de 7 à 107 ans, mais que nul ou presque d’entre eux ne connaît, faute d’une Éducation nationale digne de ce nom et avec pour mission première de transmettre la fierté d’appartenir à la nation française.

Une fierté nécessaire à l’émergence d’une société unie et solide, et à la réussite de toute politique d’assimilation, en particulier dans un pays où une partie désormais non négligeable de la population est d’origine étrangère. Et dans un monde où les autres grandes puissances, à l’affût de la moindre de nos faiblesses, rivalisent en patriotisme, l’inébranlabilité de notre nation est un impératif absolu.

Les 400 ans de Molière, ou comment on devient immortel


Deux traditions rattachent à jamais la Comédie Française à Molière — né il y a 400 ans le 15 janvier 1622. On y frappe six coups, et non trois, en souvenir de la fusion de la troupe de Molière, dite de l’Hôtel Guénégaud, et de celle de l’Hôtel de Bourgogne, en 1680. Et quand on y joue le Malade imaginaire, l’ultime pièce du dramaturge-comédien, dans la cérémonie finale, d’un burlesque accompli, où le « malade » est intronisé médecin en prêtant un sermon qui vaut bien celui d’Hypocrite (pardon : Hippocrate…) que prononcent nos modernes morticoles, au troisième « Juro », les lumières s’éteignent, le silence se fait : c’est sur cette réplique que Molière a commencé à s’étouffer dans son sang, et a très vite été transporté chez lui où il est mort dans la nuit. On passe ainsi en un instant du rire le plus franc à l’émotion totale.

Reste dans le musée de la troupe le fauteuil où Molière joua cette scène, trône emblématique de l’un des plus grands auteurs de langue française.

De Femmes savantes et de Précieuses ridicules, nous ne manquons guère… 

Je ne ferai pas la liste des chefs d’œuvre, ni celle des mises en scène de génie qui ont sans cesse revitalisé ces bijoux de comédies. Je ne parlerai pas davantage des ratages dus à quelques petits marquis (ou marquise, dans le cas de Macha Makeïeff à Marseille) du théâtre subventionné, qui cherchent à se donner une visibilité en montant, comme des cloportes, sur le socle de la statue de Molière. 

A ne pas manquer notre dossier Molière dans notre numéro en kiosque: Causeur #97: Sarkozy présumé coupable

Tout le monde connaît ces pièces — ou devrait les connaître. Je voudrais seulement encenser un homme libre, quoiqu’il dût parfois ruser avec les pouvoirs qui le corsetaient ou désiraient le faire taire. On réalise mal ce qu’il fallait de vrai courage, sous le règne du Roi-soleil, pour écrire Tartuffe ou Dom Juan — à la suite duquel le prince de Conti, ex-libertin incestueux confit en dévotion, demanda qu’il soit brûlé vif. Ou l’Ecole des femmes : affirmer le droit des filles à épouser qui elles voulaient, voilà de la vraie subversion, en 1662 — ou aujourd’hui, dans tant de pays où on les marie de force. Ariane Mnouchkine, en adaptant le Tartuffe dans un pays musulman, en 1995, quand GIA et FIS mettaient l’Algérie à feu et à sang, avait parfaitement transposé l’impact de la pièce en 1665, quand Molière la faisait jouer chez le Prince de Condé, à Chantilly, faute d’avoir l’autorisation de la monter à Paris. 

Ce qu’il faut saisir, c’est l’extraordinaire modernité de la langue de Molière — à son époque comme aujourd’hui, où l’on croit chic de déstructurer le langage. Voir la vivacité par exemple de la première scène du Misanthrope, où Alceste s’en prend à ces « gens à la mode » dont nous constatons les ravages chaque jour, ceux qui inventent l’écriture inclusive et autres horreurs morphologiques. C’est que de Femmes savantes et de Précieuses ridicules, nous ne manquons guère… 

Ecoutez donc Musset :

« J’écoutais cependant cette simple harmonie,

Et comme le bon sens fait parler le génie.

J’admirais quel amour pour l’âpre vérité

Eut cet homme si fier en sa naïveté,

Quel grand et vrai savoir des choses de ce monde,

Quelle mâle gaieté, si triste et si profonde

Que, lorsqu’on vient d’en rire, on devrait en pleurer ! »

C’est dans un poème léger et profond intitulé « Une soirée perdue » (in Revue des deux mondes, 1840). « Lorsqu’on vient d’en rire, on devrait en pleurer » : oui-da ! Les élèves demandent souvent pourquoi de telles pièces s’intitulent « comédies » — et ils en sont pour leurs frais, si on ne leur explique pas que c’est le théâtre du monde que ces comédies décortiquent avec une cruauté et une bonne humeur inimitables. Et en même temps le poète romantique, qui aurait dû abhorrer les « classiques », sent bien l’harmonie de cette langue si souple et si aiguisée, où chaque mot porte, comme des coups d’épée. Très loin de nos bavardages actuels.

« La langue de Molière », dit-on de la langue française — comme l’anglais est la langue de Shakespeare et l’espagnol celle de Cervantès. Plutôt que de transporter au Panthéon les cendres de Molière (que le cimetière du Père-Lachaise s’enorgueillit de posséder, ce qui est plus que douteux), Valérie Pécresse devrait se soucier prioritairement de faire enseigner à nouveau dans les écoles cette langue de Molière, abandonnée au profit du gloubi-boulga que bafouille l’homme de la rue. Une décision de René Haby, qui comme je l’ai raconté cet été avait lancé la Commission Rouchette, quand il était à la tête de la Direction Générale de l’Enseignement Scolaire, préférait l’oral le plus négligé à l’écrit le mieux tenu — et la langue de Molière est un écrit magnifique porté à l’oral par le génie de l’auteur et des comédiens. Ledit Haby eut l’occasion d’imposer son point de vue quand il fut ministre de l’Education et put orchestrer la déroute scolaire et l’apocalypse actuelle : Jospin en 1989 ne fit que systématiser cet écroulement programmé.

A lire aussi, du même auteur: Rendez-nous Malthus!

Pleurer de rire ou d’émotion

Des programmes scolaires cohérents, que j’appelle de mes vœux, n’ont que faire de restaurer le port de la blouse ou le Certificat d’Etudes. Ils devraient imposer l’étude chaque année d’une pièce de Molière à partir du CM1 et jusqu’en Terminale (croyez-moi, il y a le choix). Les élèves actuels commencent par dire qu’ils ne comprennent rien à Molière (ni à Corneille, ni à Racine, ni à quoi que ce soit d’antérieur à Aya Nakamura) parce qu’ils n’ont jamais eu l’occasion d’en entendre. Instruire, cela ne consiste pas à flatter les ignorants, mais à parler contre — contre les habitudes, les poncifs, les parents parfois et les superstitions toujours. Un vrai professeur de Lettres (et combien de profs de Lettres actuels n’ont jamais sérieusement étudié Molière…) doit être un passeur de bon et bel usage.

Alors oui, célébrons Molière. Jouons ses pièces avec nos enfants, le dimanche. Allons voir les mises en scène actuelles (la Comédie française va reprendre le Tartuffe, à la mi-janvier), procurons-nous les grandes mises en scènes disponibles sur DVD. La Comédie française, qui n’est pas si poussiéreuse qu’on le prétend quand on n’y va jamais, a adapté ainsi deux délicieuses pièces en un acte, l’Amour médecin et le Sicilien ou l’Amour peintre (2005), où Léonie Simaga joue une Lucinde ébouriffante. Puis on passera aux pièces en trois actes (Monsieur de Pourceaugnac — version 2001, avec Bruno Putzulu), puis en cinq — le Dom Juan de Mesguich par exemple, ou le Malade imaginaire de Michel Bouquet. Alors on lira, on regardera tout — en pleurant de rire ou d’émotion devant ce fauteuil vide.

Fabien Roussel dans les fours de la fachosphère!

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Il n’aura fallu qu’un tweet pour que Fabien Roussel, symbole d’une certaine gauche qui n’a pas encore sombré dans l’islamo-gauchisme, soit poussé dans le marécage de ce que certains progressistes nomment la « fachosphère ». Le dimanche 9 janvier, peut-être après un bon déjeuner, Fabien Roussel tweete : « Un bon vin, une bonne viande, un bon fromage : c’est la gastronomie française. Le meilleur moyen de la défendre, c’est de permettre aux Français d’y avoir accès ». 

Immédiatement, la première phrase suscite une avalanche de réactions outrées de la part d’une mouvance qu’il faut bien appeler l’islamo-gauchisme – et qui n’a visiblement pas lu la seconde phrase.

« Pauvre PCF, réduit au saucisson-beurre », a commenté la célèbre militante « décoloniale » Françoise Vergès. Une réaction que s’est hâtée de retweeter, pour faire sienne, la très médiatique Rokhaya Diallo. D’autres esprits, moins célèbres, y sont aussi allés de leur couplet, accusant le député du Nord de racisme décomplexé ou pire, du délit d’ « islamophobie ». « Oh le tweet de bon vieux conservateur bien blanc bien identité nationale », a raillé un certain @Anarchisaurus. « Je vous jure qu’avant de lire le nom du compte, je pensais que c’était un tweet de facho patriote qui met du jambon dans les rayons halals de son supermarché », a confié @MuslimIndiscret. 

À lire aussi, Jérôme Leroy: Fabien Roussel, le candidat de gauche vraiment disruptif

« Islamophobe : pas de vin merci ! tu exclues toute une communauté de tes agapes », a déploré une autre indignée. « Vous préférez vraisemblablement défendre la gastronomie des riches plutôt que le droit des gens à manger des repas équilibrés trois fois par jour », a flairé pour sa part une certaine Nora Bouazzouni.

Ce que pense vraiment le candidat communiste

C’est bien mal connaître Fabien Roussel. Dans la première partie de Ma France heureuse, solidaire et digne, le candidat PCF relate ses rencontres avec les petites gens, qu’ils soient ouvriers, entrepreneurs ou chômeurs, dans sa commune de Saint-Amand-les-Eaux ou à Paris, dans le Nord-Pas-De-Calais ou en Île-de-France. Et plus généralement en France. S’il y a bien un reproche qu’on ne peut pas faire à ce monsieur, c’est celui d’être un Parisien habitué des bonnes tables, d’être un homme coupé des réalités de la France qui se lève tôt. Rappelons qu’il est le seul candidat à la présidentielle à ne pas vivre dans la capitale (il confie faire régulièrement l’aller / retour entre la Gare du Nord et Saint-Amand-les-Eaux). Pour le reste, mieux vaut le lire avant de s’offusquer, ce que les nombreux commentateurs du tweet n’ont manifestement pas fait. 

A lire aussi, Philippe Bilger: 2022: nos politiques dans les starting-blocks

Comme nous sommes sur Causeur, penchons-nous sur quelques passages – ceux qui risqueraient de froisser encore davantage les islamo-gauchistes (oui, nous, on trouve çà rigolo). « Nous devons être capables de faire vivre à long terme le droit à la sécurité, à la tranquillité de chacun, dans une République apaisée, laïque et sociale » écrit par exemple le candidat. « Le chauffeur de bus qui habite dans un logement social a le droit aussi à la tranquillité dans son quartier et à des nuits paisibles » peut-on lire plus loin. Et aussi : « Il ne faut pas laisser au seul Front National la main mise sur des sujets comme la nation, la souveraineté, la sécurité et le vivre-ensemble ». Rien de sulfureux, du bon sens pour le quidam moyen comme vous et moi. Mais dans l’esprit d’un islamo-gauchiste, c’est déjà un étalage d’obscénité que d’oser parler de sécurité, de nation ou de souveraineté !

Même pas d’accord avec Sandrine Rousseau!

De plus, Fabien Roussel ne sombre pas non plus dans la démagogie écolo qui voudrait nous faire croire que l’on pourra tous se chauffer avec des panneaux solaires ou des moulins à vent d’ici vingt ans. Il opte pour le pragmatisme : « La transition [énergétique] repose sur deux leviers. Le premier est le maintien et la sécurisation de notre production nucléaire, reconnue pour ses faibles émissions de gaz à effet de serre », écrit-il. Ou encore : « Tant que l’on n’aura pas les moyens de sortir du nucléaire, et pour tenir l’objectif d’une empreinte carbone nulle en 2050, il est impératif de soutenir et développer de tels projets [de réutilisation des déchets nucléaires] ainsi que la recherche dans les nouvelles technologies nucléaires ». Il déroule ensuite tout un arsenal de solutions qu’il serait trop long de développer ici. Et quoi qu’il en soit, le simple fait de concéder des vertus au nucléaire ne peut que le frapper du sceau de l’infamie pour les fanatiques écolos. 

Suite à son tweet qualifié de « polémique », Fabien Roussel s’est expliqué sur le plateau des Grandes Gueules sur RMC. « Je suis convaincu que la gastronomie française fait partie des grandes richesses de notre pays et qu’il faut pouvoir la défendre […] Manger de la bonne viande, des bons vins qui ont travaillé, des fromages qui nécessitent du travail et du temps, c’est normal que ça coûte un peu plus cher et que tout le monde puisse y avoir accès ». Une mise au point qui, cette fois, n’a pas suscité de torrent d’indignations. Une preuve que cette fois, le message est enfin passé ? 

À lire ensuite, Martin Pimentel: Amabilités républicaines

C’était sans compter sur l’impayable militant Taha Bouhafs, qui enfonce le clou : « À quoi jouent les cadres du PCF qui soutiennent cette dérive dangereuse de Roussel ? Le glissement qui est en train de s’opérer est terrifiant. Presque toutes les figures de l’extrême droite organisée applaudissent et soutiennent la nouvelle ligne du Parti Communiste »…  C’est dur d’être aimé par des cons.

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Scrutin LR: casse-tête chinois !

Valérie Pécresse devrait aller allumer des cierges à l’église, pour qu’un petit article de Mediapart ne tombe pas entre les mains des électeurs de droite d’ici à l’élection présidentielle.


Valérie Pécresse devrait allumer des cierges à l’église, pour qu’un article de Mediapart (Des électeurs étrangers derrière la victoire de Valérie Pécresse, 9 décembre 2021) ne tombe pas entre les mains des électeurs de droite d’ici à l’élection présidentielle.

Selon son auteur [1], des électeurs asiatiques auraient joué un rôle dans sa victoire au congrès LR. Pour la candidate de droite BCBG, ces révélations du site d’information du trotskyste à moustache font mauvais genre. Ne s’est-elle pas opposée à l’ouverture du droit de vote des étrangers aux scrutins locaux ? Mme Pécresse et ses équipes ont tiré profit d’une anomalie : l’adhésion au parti n’étant liée à aucune condition de nationalité, des étrangers ont pu participer au scrutin interne. En novembre, l’adjoint à la mairie de Villepinte, d’origine cambodgienne, Ton-Tona Khul, se vantait sur les réseaux sociaux d’avoir rameuté des électeurs : « Après une campagne d’adhésion, les communautés françaises d’origine asiatique ont apporté́ plus de 600 adhérents à LR pour voter Valérie Pécresse. »

A lire ensuite:

Arrivée deuxième au premier tour, Pécresse n’avait devancé Michel Barnier que de 1 209 voix. Parmi les nouveaux adhérents, des militants de la dernière heure appartenant à la communauté chinoise, laotienne ou vietnamienne. « La proportion de non-Français vient plutôt des Chinois », mais « ils ne sont pas très très nombreux parmi les 600 », a relativisé l’élu, embarrassé par l’enquête de nos confrères. En meeting le 29 novembre, la candidate LR déclarait : « Il faut stopper l’immigration incontrôlée et choisir qui on veut accueillir. Mais il ne faut pas mentir, on aura besoin d’un peu d’immigration. » Message reçu. Patrick Stefanini, le stratège de Pécresse, se rassure peut-être en se disant que les électeurs de droite ne lisent pas Mediapart.


[1] Antoine Rouget, « Des électeurs étrangers derrière la victoire de Valérie Pécresse », Mediapart, 9 décembre 2021. https://www.mediapart.fr/journal/france/091221/des-electeurs-etrangers-derriere-la-victoire-de-valerie-pecresse

Les multiples vies de Virginie Efira

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Dans "Madame Collins" (2021) de Antoine Barraud, Virginie Efira mène une double vie entre la Suisse et la France... © Paname Distribution / Les Films du Bélier

Elle est éblouissante et inquiétante dans « Madeleine Collins ». Son dernier film, actuellement en salles, réalisé par Antoine Barraud, est un thriller hitchcockien vertigineux


Réalisateur, producteur, monteur, scénariste, écrivain, essayiste, Antoine Barraud est avant tout une personnalité talentueuse très discrète et trop rare dans le paysage du septième art hexagonal. Né en 1972, il a été révélé au grand public en 2005 au Festival Premiers Plans d’Angers avec le court-métrage « Monstre », qui sera suivi d’une dizaine d’autres, avant de s’essayer au long en 2012 avec le bien nommé « Les Gouffres », drame horrifique et quasi expérimental visant déjà à explorer les tréfonds de l’âme humaine, avec Nathalie Boutefeu et Mathieu Amalric. Il récidive avec brio en 2015 avec « Le Dos rouge », intense réflexion sur les rapports entre un artiste et sa création et fort plaidoyer pour la fréquentation de nos musées, film à redécouvrir aujourd’hui, nanti d’un casting cinq étoiles : Bertrand Bonello, Jeanne Balibar et Géraldine Pailhas.

Il confirme à présent tout le bien que l’on pouvait penser de lui avec son troisième effort, au titre quasi hitchcockien, « Madeleine Collins », en référence subliminale à « Vertigo » (Sueurs froides en VF), l’œuvre séminale du maitre du suspense qui a inspiré quantité de réalisateurs à travers l’histoire… et Brian De Palma, autre influence indirecte de Barraud, n’est sans doute pas le dernier.

Derrière le masque des apparences

Une femme à la beauté éclatante (Virginie Efira), mène une double vie de famille, avec, semble-t-il, le même bonheur, au croisement de deux identités et deux pays limitrophes quasi frères. Sous le prénom de Judith Fauvet, elle vit à Paris avec son mari Melvil (référence à Jean-Pierre ? En tout cas excellemment interprété par Bruno Salomone), brillant chef d’orchestre dont elle a eu deux garçons désormais adolescents. Dans la banlieue de Genève, elle se fait appeler Margot et paraît très amoureuse d’un apollon plus jeune qu’elle, Abdel (Quim Gutiérrez), papa de la petite Ninon.

Pour justifier ses absences continuelles depuis deux ans auprès de son mari, elle prétend travailler comme traductrice franco-anglaise pour une ONG, ce qui lui permet de s’inventer des voyages sur le Vieux continent et notamment l’Europe de l’Est… Jusqu’à l’apparition du fameux « MacGuffin » hitchcockien, ce petit élément « grain des sable », de premier abord anodin qui fait dérailler le récit initial et accélère la dynamique narrative vers une dimension investigatrice visant à briser les apparences et faire tomber les masques de l’illusion.

En l’occurrence, un simple coup de fil passé dans le jardin d’une villa à la végétation luxuriante et étouffante entre Judith/Margot et Abdel… conversation que surprend son fils Joris. Refusant de voir la réalité en face et s’enferrant dans sa spirale de mensonges et de vies recomposées, notre héroïne va progressivement perdre pied, bientôt écrasée par le poids de sa propre mythomanie confinant dangereusement à la folie. Au risque de profondément déstabiliser ses proches et ses deux « familles »… Engrenage vertigineux menant le spectateur en bateau jusqu’à l’éclatement d’une effroyable vérité qui remet astucieusement l’ensemble du métrage en perspective. Pour notre plus grand plaisir.

Virginie, top of the tops

Qui n’a pas rêvé, fantasmé un jour, une nuit, de vivre simultanément plusieurs vies, conjugales, affectives, familiales, en toute insouciance et dans un total sentiment d’impunité et d’irresponsabilités ? Tel est le point de départ de cet étonnant film franco-helvéto-belge dont la caméra colle au plus près d’une Virginie Efira jouant admirablement toute la gamme des émotions, passant de l’amour-passion à la routine conjugale, puis de nouveau ressuscitant l’excitation d’une jeune ado allant retrouver son chéri dans un élan transgressif, sans oublier le désarroi le plus noir, les délires schizophréniques et le désir inaltérable de maternité.

A lire aussi, du même auteur: Soft power au pays du matin (pas si) calme

Après avoir récemment interprété des personnages aussi différents et clivants qu’une nonne lesbienne entendant des voix christiques (« Benedetta » de Paul Verhoeven), une policière au grand cœur (« Police » d’Anne Fontaine), une coache de natation synchronisée (« Le Grand Bain » de Gilles Lellouche) ou encore une coiffeuse gravement malade en quête de son enfant jadis abandonné (« Adieu les cons » d’Albert Dupontel), l’ancien top-model belge, aujourd’hui âgé de 44 ans, prouve qu’il faut désormais compter avec son talent pour porter haut les couleurs d’un cinéma hexagonal décomplexé et inventif, ambitionnant de tenir la dragée haute aux autres productions mondiales.

On la suit ainsi quasi aveuglément dans cet entrelacs de mensonges et de mémoires reprogrammées comme pour mieux fuir une douloureuse réalité touchant forcément la sainte institution familiale, une vérité enfouie, refoulée que l’on finit par découvrir dans un état de sidération, voire de tristesse sincère.

Qu’est-ce qu’un individu ?

La suite du casting proposée par Antoine Barraud est également impressionnante avec un Bruno Salomone, hélas trop rare au cinéma, en père de famille amoureux fou de sa femme, préférant ne rien voir de ce qui se trame sous ses yeux ; une épatante Jacqueline Bisset en mère odieuse et acariâtre, très froide avec sa pauvre Judith/ Margot ; et, last but not least, mention spéciale à Nadav Lapid, réalisateur, acteur, écrivain israélien, interprétant ici Kurt, un faussaire de papiers d’identité à l’accent indéfinissable, bad boy au charme apaisant qui, le premier, ne prendra pas de gants pour secouer la rêveuse Judith/ Margot en lui demandant de le regarder droit dans les yeux, ce qui permet à la mère mythomane de découvrir une tâche dans son iris… et ainsi de s’ouvrir à une altérité, une vraie individualité chargée d’une histoire personnelle, d’un tempérament, d’un caractère, d’un ADN sans doute riche de potentialités, bref une vie humaine forcément unique et indivisible, racine du terme « individu », ce que l’on ne peut diviser, séparer, séquencer et que l’on ne devrait ni négliger ni banaliser.

C’est peut-être ce moment de grâce cinématographique inattendu qui met en images ce petit miracle d’émotions, qui plus est, entre deux acteurs francophones appartenant à deux identités culturelles distinctes (Belgique et Israël), au cœur d’un pays, la Suisse, par définition lieu « neutre » symbolisant les croisements de tous les parcours internationaux avec une ville également emblématique, Genève, « capitale » à travers l’Histoire de résolution des conflits et drames mondiaux, sous le haut patronage de l’ONU et des diverses organisations transnationales.

Au final, un film chargé en émotions, pour de belles pistes de réflexions et d’évasion qui ne manqueront pas de nous éloigner un moment de notre triste réalité pandémique et politique quotidienne… 

Michel Houellebecq élargit sa palette

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Le romancier Michel Houellebecq est à la fois un chroniqueur de ce qui est et un visionnaire de ce qui sera. Sa dernière histoire, anéantir, numéro un des ventes, a ravi Philippe Bilger.


Il fallait bien que je lise anéantir, le dernier roman de Michel Houellebecq ! J’en éprouvais d’autant plus le besoin que de manière totalement immodeste, je me sentais obligé de départager les enthousiastes, les très critiques et les plutôt réservés. J’ai terminé ma lecture le 13 janvier à midi et je ne mégote pas : il s’agit d’un chef-d’œuvre qui marque une évolution sensible dans l’œuvre de ce créateur tellement génial que sa singularité est accessible à tous. Je me sens du côté de Jean Birnbaum que pourtant j’avais jugé dithyrambique, trop élogieux pour qu’on ne suspecte pas une trop vive complicité entre lui et Michel Houellebecq.

Un roman tellement riche qu’il est difficile d’en épouser toutes les faces comme si Michel Houellebecq, lassé par ses livres précédents à la fois remarquables mais centrés sur le registre inimitable d’une ironie sèche et drôle et d’un pessimisme brillamment sarcastique sur notre monde, avait décidé d’élargir sa palette, d’enrichir ses inventions et, d’une certaine manière, de nous démontrer, avec quelle force d’analyse et d’émotion, que rien de ce qui était humain ne lui était étranger.

Ce n’est pas à dire qu’on ne retrouve pas dans anéantir l’essentiel de ce que la multitude de ses lecteurs a toujours adoré chez Michel Houellebecq : une incroyable force narrative, un talent exceptionnel pour raconter, sur un mode apparemment ordinaire, le cours d’une réalité, de réalités (diverses et contrastées dans ce roman) et la relation d’événements de toutes sortes. C’est véritablement le fait du génie que de savoir passionner, avec une telle économie de moyens, en mêlant le factuel, la matérialité, la psychologie intime, les opinions sur la France, les considérations philosophiques et politiques et, plus globalement, tout ce qui peut surgir de la tête d’un écrivain incomparable épris de beaucoup de disciplines.

Un roman total

anéantir est un roman total, global. Politique, avec de profondes analyses qui démontrent que connecté sur la société française, ses affrontements partisans, ses détresses et ses misères, Michel Houellebecq est à la fois un chroniqueur de ce qui est et un visionnaire de ce qui sera. Il s’agit aussi d’une étincelante et limpide illustration du pouvoir et on aurait bien tort de prendre à la légère les admirables développements qu’il prête souvent à Bruno Juge, ministre inspiré par son ami Bruno Le Maire. Le tour de force du romancier est de rendre vraisemblable tout ce qu’à l’évidence il a pris dans la personnalité de Bruno Le Maire – les qualités et l’intelligence de ce dernier le justifient – mais en même temps de n’avoir pas oublié d’en faire un personnage romanesque infiniment sympathique et singulier.

A lire aussi: Il raconte quoi, le nouveau Houellebecq?

D’amour, avec les retrouvailles magnifiquement décrites, sur tous les plans (et Michel Houellebecq, pour la sexualité et ses diverses manifestations, ne lésine pas, mais sans que jamais on puisse trouver un peu lourde cette insistance), du couple Paul et Prudence, désaccordés à l’origine et que la quotidienneté rapproche de manière infiniment subtile, délicate et émouvante. Ce retour vers le cœur et le corps et leur complicité retrouvée est décrit avec une grâce et une finesse qui, s’il en était besoin, feraient justice d’un Michel Houellebecq présenté comme un cynique exclusif.

D’amour et d’affection encore, avec la focalisation sur les membres de la famille de Paul, notamment sa sœur Cécile et son beau-frère Hervé, Madeleine, la compagne de son père gravement diminué à la suite d’un AVC mais si présent par ses clignements d’yeux et les pressions de sa main, des personnages dont l’humanité, la naïveté parfois, ne sont pas moquées mais sur lesquels le romancier pose un regard d’absolue dignité et de total respect.

Un cancer incurable

De finitude et de mort. Il n’y a pas que la splendide fin du roman qui baigne dans une tendresse conjugale amplifiée par la description détaillée d’un cancer au traitement devenu impossible, avec une mélancolie qui profite encore du présent et de l’amour en sentant peser le poids de l’absence à venir. Tout au long des 726 pages qui se lisent sans un zeste d’ennui, court, tel un leitmotiv, une sorte de désabusement parfois joyeux, un doute sur ce que vaut vraiment l’existence avec sa fin obligatoire qui n’obère pas les moments où l’étrange joie d’être vivant vous saisit.

Michel Houellebecq en Espagne, septembre 2019 © REX/SIPA Numéro de reportage : Shutterstock40728940_000001

De rêves et de nature. Paul Raison, le protagoniste de ce roman, rêve souvent, et Michel Houellebecq nous raconte ses rêves sans omettre le moindre détail. Il faut voir cette intrusion de l’imaginaire dans le réel comme la démonstration que la vie des songes vient ajouter un supplément d’âme et de mystère à la quotidienneté brute. De nature, parce qu’elle est offerte comme une tranquillité, un apaisement, une harmonie qui rassurent les vivants et deviennent le seul bonheur de ceux qui vont mourir et n’ont plus que les arbres, les mouvements du vent, l’éternité des choses et la douceur mobile du monde sous leurs yeux pour durer encore.

Roman total, global, oui. Ce que j’apprécie par-dessus tout chez lui, même si évidemment il veille à singulariser chacun de ses personnages, du plus humble au plus important, est la manière dont il sait offrir à son lecteur une littérature d’affirmation et de conviction. Je perçois toujours, derrière les péripéties romanesques et les évolutions des êtres, la voix inimitable de Michel Houellebecq qui la plupart du temps me fait sourire, voire rire franchement tant il sait user de cette ironie de haut niveau qui le conduit à s’interroger lui-même et à répondre positivement à des questions parfois déprimantes que le commun ne se pose jamais. Il y a dans cette attitude qui ne se masque rien une lucidité supérieure qui ne cherchant jamais à se faire valoir par la pompe des mots (aux antipodes de son style) a d’autant plus de portée sarcastique, amère ou drôle.

anéantir est un gros livre. Pour ma part, même si quelques digressions d’une précision maniaque sur tel ou tel thème auraient pu sans doute être évitées, j’ai goûté encore davantage ce livre que les précédents – dont aucun ne m’avait déçu.

Souci des détails

Un mot sur une histoire qui revient régulièrement dans le livre et concerne les services secrets, des attentats, des mystères, avec des inspirations sectaires parfaitement organisées. Michel Houellebecq en traite en connaisseur et j’ai été impressionné par le souci des détails et de la vraisemblance qui d’ailleurs fait le prix du livre sur beaucoup de ses autres sujets. Ces épisodes peuvent sembler, même avec leur retour régulier, périphériques d’autant plus que l’auteur nous fournit une clé qu’il n’a pas éprouvé le besoin de rendre très explicite. Ce n’est pas grave. Je ressens l’existence de ces terrifiantes menaces et parfois réalités comme la volonté de Michel Houellebecq de montrer que notre monde n’est pas mis en péril que par lui-même mais par des forces obscures, un surnaturel effrayant et mortifère. De partout il est visé, ciblé. anéantir, quel beau titre pour ce roman qui nous comble. Michel Houellebecq, découvrant la douceur des choses humaines, nous enchante et nous fait espérer avec son lyrisme retenu, corseté mais d’autant plus troublant et émouvant. Le pire n’est pas sûr puisque l’amour existe.

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Zemmouriens de la rive gauche

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David Arveiller et Stanislas Rigault, Paris, le 12 janvier 2022. D.R.

Ce mercredi à Paris, David Arveiller a réuni les soutiens d’Eric Zemmour de la rive gauche pour une galette militante dans le 13e arrondissement. Convié aux festivités, Causeur s’est glissé dans l’assistance…


Mercredi, deux soirées se disputaient le gratin réac parisien. Rue du Dessous des Berges, dans le 13e arrondissement, David Arveiller, le référent de « Reconquête » dans le Ve arrondissement – dont nos lecteurs ont pu lire quelques tribunes – avait réuni les militants pour manger une galette des rois, regarder la retransmission de l’émission de BFMTV à laquelle était invité le Grand Manitou, et relancer les troupes à l’assaut de l’élection, après la trêve des confiseurs… 

Deux soirées dans le XIIIe arrondissement

A l’autre bout de l’arrondissement, à l’Espace Galerie VII rue de Sainte Hélène, nos confrères de Boulevard Voltaire fêtaient leur dixième anniversaire. Certains sont passés d’une soirée à l’autre. 

Dans un Paris vidé pour cause de Covid et de télétravail, les militants de Zemmour s’étaient donné rendez-vous à 20 heures. Même si la rumeur quant à la venue de Zemmour et de sa compagne après l’émission de BFMTV était un excellent produit d’appel, David Arveiller craignait dans un premier temps d’avoir du mal à remplir toute sa salle. À l’entrée, après le contrôle, outre les classiques t-shirts et casquettes vendus sur un stand dédié, Sixtine de la Nouvelle librairie proposait à l’achat les derniers ouvrages de François Bousquet, Renaud Camus, Guillaume Travers, Jean-Louis Harouel et bien sûr… Eric Zemmour. La Nouvelle librairie, située rue de Médicis où elle est régulièrement la cible des « antifas », constitue un allié de poids pour reconquérir le Quartier latin et plus généralement cette rive gauche de la capitale réputée si peu sensible aux idées de la droite nationale…

Les militants de la « Génération Z » ont revêtu leurs t-shirts bleu, blanc, rouge « Zemmour 2022 », ils accueillent les invités avec un verre de cidre ou de soda, mais ne savent pas encore s’ils peuvent commencer la distribution de la galette, laquelle sera finalement remise plus tard dans des petits cartons individuels « Maison du Chocolat ». 

Avant la dégustation, on se retrouve, on commente les récentes déclarations du « Z », – notamment sur sa relation avec Sarah Knafo – ou les derniers sondages, et on prend surtout des nouvelles des uns et des autres après les fêtes de Noël. Finalement, la salle se remplit rapidement. 

A lire aussi, du même auteur: Amabilités républicaines

L’assistance, qui reste debout, est majoritairement composée de jeunes hommes. Ici, personne ne porte de masque. Le fond sonore est quant à lui occupé par un autre jeune homme, Michel Sardou. 

Paris, 13e arrondissement, 12 janvier 2022.

Jean Messiha et Paul-Marie Coûteaux très sollicités

Jean Messiha, premier arrivé parmi les célébrités attendues, est immédiatement assailli par les jeunes qui lui demandent un selfie ou se contentent de l’approcher timidement pour le saluer. Un peu plus tard, de rapides prises de parole au micro seront organisées. Rapides, car, on attend sur l’écran qui projette BFMTV au fond de la salle la parole de « quelqu’un de beaucoup plus important », précise un coordinateur de Génération Z, ce mouvement de jeunes lancé en avril 2021 qui se targue d’avoir convaincu Eric Zemmour à se porter candidat. « 2022, c’est la reconquête, 2022 c’est pour nous ! » peut-on entendre au micro. Arrivent ensuite Stanislas Rigault et Antoine Diers, lequel insiste pour qu’on le tutoie. « Vous êtes encore très nombreux ce soir, mais je ne suis même plus étonné. Dès qu’on se déplace quelque part en France avec l’étiquette Zemmour, la salle est pleine et l’ambiance incroyable » témoigne Rigault. « Vous êtes même plus nombreux qu’un meeting où Valérie Pécresse rassemblerait toutes ses troupes » s’amuse-t-il sous les applaudissements. « La dynamique est chez nous, elle n’est nulle part ailleurs » croit-il savoir. « Je vous propose de se retrouver dans un mois, dans la même salle, et que l’on soit encore trois fois plus ! Allez chaque jour chercher une ou deux personnes pour la faire adhérer. Nous devons le faire pour sauver le pays et fêter la victoire d’Eric Zemmour le 24 avril » propose-t-il. 

A lire aussi, notre entretien: Eric Zemmour: “Je tends la main aux musulmans qui s’assimilent”

Antoine Diers, nouvelle coqueluche des médias, confiera au micro envier les plus jeunes militants, lui qui a commencé à grenouiller en politique à l’âge de 15 ans mais qui dit n’avoir jamais vu une campagne aussi sympathique et enthousiasmante. « Vous avez devant vous trois mois où vous allez vous éclater à militer pour Eric Zemmour, une campagne inattendue ! » Selon lui, Reconquête et Génération Z font actuellement le plein d’adhérents, notamment grâce à de nombreux abstentionnistes qui affirment avoir carrément décidé de revoter rien que pour Eric Zemmour. « On peut le faire. Il ne reste que 87 jours avant l’élection présidentielle. Cela ne dépend que de nous, que de vous ! » tonne Rigault pour galvaniser ses troupes. Paul-Marie Coûteaux, ancien député européen qui est parvenu à importer du Québec le mot « souverainisme » en France, et qui dirige depuis quelques temps la revue Le Nouveau Conservateur, est très écouté par les uns et les autres. Il vient d’avoir des mots assez virulents contre Valérie Pécresse concernant la langue française dans nos colonnes cette semaine, je vous y renvoie. Quoi qu’il en soit, la soirée et les différentes prises de parole semblent avoir redonné la foi à la plupart des militants, lesquels ont évidemment aussi un oeil sur les sondages comme tout le monde… Mais, alors qu’au fond de la salle Eric Zemmour se chamaillait avec Natacha Polony ou Maxime Switek à la télé, on apprenait que Marine Le Pen avait débarqué à la soirée de Boulevard Voltaire rue de Sainte Hélène…

«Matrix 4»: Lambert Wilson seul contre les robots

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Keanu Reeves dans "The Matrix Resurrections" (2021). Capture d'écran de la bande annonce.

Le nouveau volet de la saga de science-fiction nous propose 2h30 d’auto-ironie un peu pénible


Surfant largement sur la nostalgie de la fin du siècle précédent et de la sortie du premier volet en 1999, « Matrix » revient, vingt ans. En cours de route, on a perdu l’un des deux frères Wachowski, lesquels sont entretemps devenus des sœurs ; Lana Wachowski était donc toute seule aux manettes de ce quatrième opus, « Matrix Resurrections ».

Un film qui faisait phosphorer

Le premier volet avait réussi à réunir trois genres en un : film d’action avec des scènes de combat très esthétisantes et l’apport du fameux bullet-time (ces moments où l’image se ralentit à l’extrême de façon à éviter les balles de l’agent Smith) ; film de science-fiction, avec la vieille hantise de voir les machines se retourner contre leurs créateurs humains ; et enfin, fable philosophique, avec discussions sur le choix et le destin, le réel et l’illusion, allusions religieuses et référence entre autres au mythe de la caverne et à Alice au pays des merveilles.

Le tout de façon suffisamment cryptique pour permettre à l’époque la naissance d’une copieuse exégèse sur les forums (avant les réseaux sociaux) et chez les philosophes (Alain Badiou avait participé en 2003 à un ouvrage collectif, Matrix, machine philosophique). L’intérêt du premier épisode reposait à mon sens dans ces envolées philosophiques, notamment quand le personnage Cypher, traître revenu parmi la Matrice et pouvant de nouveau manger un steak après s’être coltiné la bouffe infâme des rebelles, admet que son steak n’est qu’illusion mais jure que « l’ignorance, c’est le bonheur ».

Keenu Reeves ne vieillit pas

Dans le quatrième opus, Neo (Keenu Reeves) n’est plus un post-adolescent mais un quadra, barbu et cheveux longs, christique (les amateurs de football verront le sosie d’Andrea Pirlo). Neo est désormais un développeur de jeux vidéo, qui a connu un franc succès en sortant vingt ans plus tôt un jeu nommé Matrix. Warner Bros. (cité nommément dans le film !) le pousse alors à en produire un quatrième volume. Jolie façon de critiquer l’exploitation à l’envi des sagas du passé et joli exercice d’auto-ironie, qui aura le don d’agacer ou de faire sourire le spectateur, selon son humeur du moment. C’est aussi un aspect ambigu de la saga, à la fois critique, un peu révoltée (avec les sons énervés de Rage against the machine en renfort) et en même temps superproduction et machine à fric.

Si l’on retrouve pour cet épisode Keenu Reeves, Laurence Fishburne n’est plus Morpheus et Hugo Weaving n’est plus l’agent Smith. Avec ses costumes bariolés (lui conférant un côté sapeur congolais), le nouveau Morpheus (Yahya Abdul-Mateen II) ne donne plus vraiment l’impression de sagesse froide de l’ancien ; malgré de vrais efforts pour imiter son célèbre rictus, on ne reconnaît pas forcément non plus l’agent Smith. Aussi, le film est truffé d’incursions d’images des épisodes précédents (surtout le premier, bien sûr), petits flashs où l’on revoit des scènes d’il y a vingt ans, avec le vrai Morpheus, le vrai agent Smith de l’époque. Ce n’est pas la moindre des exploitations de la nostalgie faite par le film.

Lambert Wilson clochardisé

Dans la deuxième partie, place au film d’action un peu foutraque. C’est dans ce deuxième temps qu’apparaît Lambert Wilson, surnommé le Mérovingien. Aperçu dans le deuxième volet, buvant des vins français au bras de Monica Bellucci, le voilà désormais clochardisé, et son syndrome Gilles de la Tourette ne s’est guère amenui.

En 2003, le film était sorti au même moment que le discours de Villepin à l’ONU contre la guerre d’Irak ; et la logorrhée pompeuse du Mérovingien avait fait écho à la « Vieille Europe » (France chiraquienne en tête) pointée du doigt par Donald Rumsfeld. Dans ce nouvel opus, le Mérovingien, précieuse ridicule plus que déclassée, regrette le temps béni de la conversation (en français dans le texte) et s’en prend à Facebook et aux machines.

L’apparence et l’intonation de Lambert Wilson est suffisamment ridicule pour discréditer son propos. Décidément, la France est bien seule contre les robots.

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L’UE a la haine

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Didier Reynders, commissaire européen à la justice ©D-R

Certaines luttes sont plus à la mode que d’autres. Les mesures prises par l’UE et les États-Unis pour lutter contre les prétendues menaces pesant sur le « pluralisme » et « l’inclusion » en témoignent. Mais elles occultent complètement une autre emprise grandissante…


Le 9 décembre, la Commission européenne a proposé d’étendre la liste des infractions pénales de l’UE aux « discours et crimes de haine ». La liste actuelle comporte des délits revêtant d’emblée une dimension transnationale, comme le trafic de drogue, la contrefaçon, la corruption ou le terrorisme. Des délits que tout le monde parvient à concevoir sans difficulté. On sait ce que sont la drogue, un attentat, des faux sacs Vuitton. Mais qu’est-ce qu’un « discours de haine » ? Où place-t-on le curseur de la haine ? Pour Didier Reynders, commissaire européen à la Justice, qui a bien appris le jargon à la mode, il s’agit de protéger les citoyens contre des « menaces pesant sur le pluralisme et l’inclusion ».

A lire aussi: La beauté est dans la diversité, comme la liberté est dans le hijab?

Comme il existe déjà un cadre légal européen permettant de traiter la plupart des crimes de haine, qui a été transposé dans leur législation nationale par tous les États membres, cette proposition a bien l’air d’un prétexte pour étendre encore l’emprise de Bruxelles sur les Vingt-Sept. La haine est dans l’air en ce moment. Un projet de loi pour « combattre l’islamophobie internationale » est actuellement devant le Congrès américain. Son objectif est la création d’un envoyé spécial rattaché au département d’État chargé d’identifier et de combattre des cas de haine antimusulmane partout dans le monde. Selon le sénateur démocrate Cory Booker, il s’agit de faire des États-Unis « un leader mondial dans la lutte contre la haine ».

A lire aussi: L’Oncle Sam, champion de l’islam?

Il peut sembler curieux de se focaliser sur une seule forme de haine, mais on comprend mieux quand on sait que l’un des promoteurs de la loi est la représentante démocrate Ilhan Omar. Musulmane née en Somalie, elle a été dénoncée plusieurs fois en 2019 par des membres de son propre parti pour avoir proféré des propos antisémites et anti-israéliens.

Les Juifs sont un peuple sournois et retors: ils ont envoyé un dauphin contre le Hamas!

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© Fabrizio Frigeni Unsplash

Honte à eux…


C’est un communiqué de la branche militaire de cette sympathique organisation qu’est le Hamas qui nous l’apprend : un dauphin sioniste s’est approché des côtes de Gaza ! Il est regrettable que l’annonce du Hamas manque quelque peu de précisions…

Car bien des questions se posent. Le dauphin était-il – oui ou non – circoncis ? A-t-il été abattu au nom de la légitime défense ? Si tel avait été le cas, son cadavre n’aurait-il pas été exhibé dans les rues de Gaza, devant une foule en liesse ? Le dauphin a-t-il été capturé et gardé au secret, en attendant d’être échangé contre des centaines de dauphins palestiniens injustement emprisonnés en Israël ? Grande est notre perplexité. Nous attendons – nous exigeons même – du Hamas de plus amples détails sur cette effroyable agression.

A lire aussi, Gil Mihaely: Le Hamas, premier parti israélien?

Mais le pire est encore à venir. Gil Mihaely, qui a ses entrées au Mossad, nous a soufflé que les sionistes s’apprêtaient à envoyer une baleine contre Gaza. Elle sera escortée par des limandes. Fines, minces et silencieuses, elles échapperont aux sonars du Hamas. Une arme de destruction massive qui n’est pas, renseignements pris, interdite par les conventions internationales. Ce sera un carnage.

À ce stade, et vu ce qui précède, il nous faut rendre justice au Hamas. Cette organisation est communément qualifiée de terroriste. C’est une infamie et un mensonge : le Hamas est une émouvante troupe d’intermittents du spectacle comique.

Plus sérieusement, maintenant, on apprend que des chercheurs de l’université Ben Gourion ont réussi à faire piloter un véhicule par un poisson rouge. Le poisson est installé dans un aquarium lui-même placé sur le véhicule auquel il est relié par un ordinateur. Quand il avance dans son aquarium, l’engin avance. Et quand il recule le véhicule fait la même chose.

Cessons d’être sérieux. De source proche du Mossad, on nous indique que des poissons rouges seront installés aux commandes des chars israéliens. Ils pénétreront dans Gaza et il y aura un autre carnage. Pour les besoins de cet article, nous avons relu L’Art de la Guerre de Machiavel. Il y écrit que les batailles ne se gagnent pas uniquement avec des armes: l’intelligence est nécessaire. En vertu de quoi nous sommes assurés de la défaite du Hamas !

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Le droit de vote pour les ultramarins: une exception et une fierté françaises

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Le président Emmanuel Macron et le ministre Sébastien Lecornu en déplacement sur l’île d’Hiva Oa Atuona (Polynésie), 26 juillet 2021 © Jacques Witt/SIPA

Les tournées en Outre-mer des principaux candidats à la magistrature suprême sont pour nous d’une grande banalité. Pourtant, des quatre pays ayant de lointaines possessions ultramarines, la France est la seule à accorder l’égalité en droits civiques. Une exception et un motif de fierté largement méconnus, et à enseigner dès le plus jeune âge…


Dans le cadre de leur campagne électorale, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon ont récemment visité, en décembre dernier, certains de nos territoires d’outre-mer. Rien de plus normal, s’agissant de territoires français, dont les habitants sont par conséquent nos compatriotes, qu’ils bénéficient, à ce titre, de l’égalité en droits civiques que notre République garantit à tous les citoyens, où qu’ils se trouvent sur le territoire national, et partout où flotte le drapeau tricolore.

Pas si banal

Pourtant, ce qui est pour nous, Français, un principe républicain et éthique des plus banals, constitue en réalité une différence radicale avec la situation qui prévaut dans les territoires d’outre-mer appartenant au Royaume-Uni, aux États-Unis et aux Pays-Bas, soit les trois autres pays ayant de lointaines possessions, distantes de plusieurs milliers de kilomètres. En effet, si les ultramarins français, quel que soit le niveau d’autonomie de leur territoire, peuvent participer à l’ensemble des élections nationales (présidentielle, législatives et sénatoriales) et être représentés au sein des institutions politiques nationales (Assemblée nationale et Sénat), ceci n’est guère le cas des ultramarins britanniques et de la grande majorité des ultramarins américains et néerlandais, auxquels interdiction est ainsi faite de prendre part à la gestion des affaires de la nation, ou d’exercer la moindre influence. Un schéma de type colonial et une approche quasi ségrégationniste qui régissent encore aujourd’hui la relation de ces pays avec leurs territoires d’outre-mer, majoritairement peuplés de personnes aux lointaines origines non européennes.

À lire aussi: Martinique: Tensions autour du drapeau aux quatre serpents

En effet, les ultramarins britanniques ne peuvent prendre part à aucune élection nationale, ni être représentés dans aucune institution politique nationale. Côté néerlandais, ce sont environ 92% des citoyens d’outre-mer qui sont dépourvus de ces droits. Les seuls à bénéficier du même traitement que leurs compatriotes de métropole étant les habitants de Bonaire et des microscopiques Saint-Eustache et Saba (et ce, depuis 2010 seulement…).

En France, pas de citoyens de seconde zone!

Enfin, et à l’exception d’Hawaï, les populations des territoires américains d’outre-mer ne peuvent participer ni aux élections présidentielles, ni aux sénatoriales. Toutefois, elles ont le droit de prendre part aux élections législatives… mais pour élire un député qui n’a nullement le droit de voter à la Chambre des représentants (équivalent américain de l’Assemblée nationale). Chose incroyable mais vraie, et qui revient donc à considérer, de facto, que ces ultramarins américains ne peuvent prendre part à aucun scrutin national, ni être représentés dans aucune des instances politiques nationales. Quant à l’État d’Hawaï, l’exception dont bénéficie ce territoire s’explique probablement par son caractère hautement stratégique (situé à peu près au milieu du Pacifique Nord, et ayant joué un rôle crucial pendant la Seconde Guerre mondiale), voire également par le fait que près de la moitié de la population de l’archipel était blanche anglo-saxonne au moment où celui-ci acquit le statut d’État en 1959, et par là même des droits identiques à ceux des 49 autres États fédérés des États-Unis (il s’agissait alors du territoire d’outre-mer américain ayant la population blanche non hispanique la plus importante en pourcentage, particularité toujours valable aujourd’hui).

Ainsi, la totalité ou presque des citoyens d’outre-mer des trois pays précédemment cités ne peut ni voter ni être représentée au niveau national. Leur seul et unique droit est donc d’assister impuissants au déroulement des campagnes et des scrutins, sagement assis face à leur écran de télévision. Et inutile pour eux d’attendre la moindre visite de la part des candidats et des chefs de file des principales formations politiques du pays.

À lire ensuite: 2022: nos politiques dans les starting-blocks

Imaginons un instant que nous appliquions cette même règle en France, en interdisant à nos compatriotes d’Outre-mer de bénéficier des mêmes droits civiques que les métropolitains, en en faisant ainsi juridiquement des citoyens de seconde zone, mais tout en œuvrant à maintenir leur territoire au sein de la République française, au bénéficie géopolitique (voire peut-être un jour économique) de cette dernière… Il est probable que la réaction soit alors assez forte, face à ce qui serait considéré comme une flagrante et injuste différence de traitement. Une différence de traitement que le Royaume-Uni, les États-Unis et les Pays-Bas n’ont pourtant aucun scrupule à imposer, en prétextant notamment la large autonomie accordée à leurs territoires d’Outre-mer. Mais c’est un argument loin d’être convaincant, d’autant plus que la France, elle, garantit l’égalité totale en droits civiques à tous ses nationaux d’Outre-mer, y compris à ceux résidant dans des territoires bénéficiant d’une très large autonomie (notamment dans le Pacifique), et qui ont la possibilité de voter et d’être représentés au niveau national de la même manière que tous les autres citoyens français.

Une fierté française

En France, il n’y a donc ni sous-citoyens, ni ségrégation déguisée. Et malgré les difficultés que l’on peut rencontrer dans les territoires d’Outre-mer, et que l’on retrouve également dans ceux appartenant à d’autres nations, car souvent inhérentes à l’insularité et à l’éloignement, nos compatriotes ultramarins sont des citoyens français à part entière, n’en déplaise à certains (en métropole, particulièrement…). L’égalité en droits civiques constitue donc une exception française, et une application concrète de notre devise « Liberté, Égalité, Fraternité ». Une de ces exceptions et un de ces motifs de fierté que devraient connaître tous nos compatriotes, de 7 à 107 ans, mais que nul ou presque d’entre eux ne connaît, faute d’une Éducation nationale digne de ce nom et avec pour mission première de transmettre la fierté d’appartenir à la nation française.

Une fierté nécessaire à l’émergence d’une société unie et solide, et à la réussite de toute politique d’assimilation, en particulier dans un pays où une partie désormais non négligeable de la population est d’origine étrangère. Et dans un monde où les autres grandes puissances, à l’affût de la moindre de nos faiblesses, rivalisent en patriotisme, l’inébranlabilité de notre nation est un impératif absolu.

Les 400 ans de Molière, ou comment on devient immortel

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Portrait de Molière de Nicolas Mignard

Deux traditions rattachent à jamais la Comédie Française à Molière — né il y a 400 ans le 15 janvier 1622. On y frappe six coups, et non trois, en souvenir de la fusion de la troupe de Molière, dite de l’Hôtel Guénégaud, et de celle de l’Hôtel de Bourgogne, en 1680. Et quand on y joue le Malade imaginaire, l’ultime pièce du dramaturge-comédien, dans la cérémonie finale, d’un burlesque accompli, où le « malade » est intronisé médecin en prêtant un sermon qui vaut bien celui d’Hypocrite (pardon : Hippocrate…) que prononcent nos modernes morticoles, au troisième « Juro », les lumières s’éteignent, le silence se fait : c’est sur cette réplique que Molière a commencé à s’étouffer dans son sang, et a très vite été transporté chez lui où il est mort dans la nuit. On passe ainsi en un instant du rire le plus franc à l’émotion totale.

Reste dans le musée de la troupe le fauteuil où Molière joua cette scène, trône emblématique de l’un des plus grands auteurs de langue française.

De Femmes savantes et de Précieuses ridicules, nous ne manquons guère… 

Je ne ferai pas la liste des chefs d’œuvre, ni celle des mises en scène de génie qui ont sans cesse revitalisé ces bijoux de comédies. Je ne parlerai pas davantage des ratages dus à quelques petits marquis (ou marquise, dans le cas de Macha Makeïeff à Marseille) du théâtre subventionné, qui cherchent à se donner une visibilité en montant, comme des cloportes, sur le socle de la statue de Molière. 

A ne pas manquer notre dossier Molière dans notre numéro en kiosque: Causeur #97: Sarkozy présumé coupable

Tout le monde connaît ces pièces — ou devrait les connaître. Je voudrais seulement encenser un homme libre, quoiqu’il dût parfois ruser avec les pouvoirs qui le corsetaient ou désiraient le faire taire. On réalise mal ce qu’il fallait de vrai courage, sous le règne du Roi-soleil, pour écrire Tartuffe ou Dom Juan — à la suite duquel le prince de Conti, ex-libertin incestueux confit en dévotion, demanda qu’il soit brûlé vif. Ou l’Ecole des femmes : affirmer le droit des filles à épouser qui elles voulaient, voilà de la vraie subversion, en 1662 — ou aujourd’hui, dans tant de pays où on les marie de force. Ariane Mnouchkine, en adaptant le Tartuffe dans un pays musulman, en 1995, quand GIA et FIS mettaient l’Algérie à feu et à sang, avait parfaitement transposé l’impact de la pièce en 1665, quand Molière la faisait jouer chez le Prince de Condé, à Chantilly, faute d’avoir l’autorisation de la monter à Paris. 

Ce qu’il faut saisir, c’est l’extraordinaire modernité de la langue de Molière — à son époque comme aujourd’hui, où l’on croit chic de déstructurer le langage. Voir la vivacité par exemple de la première scène du Misanthrope, où Alceste s’en prend à ces « gens à la mode » dont nous constatons les ravages chaque jour, ceux qui inventent l’écriture inclusive et autres horreurs morphologiques. C’est que de Femmes savantes et de Précieuses ridicules, nous ne manquons guère… 

Ecoutez donc Musset :

« J’écoutais cependant cette simple harmonie,

Et comme le bon sens fait parler le génie.

J’admirais quel amour pour l’âpre vérité

Eut cet homme si fier en sa naïveté,

Quel grand et vrai savoir des choses de ce monde,

Quelle mâle gaieté, si triste et si profonde

Que, lorsqu’on vient d’en rire, on devrait en pleurer ! »

C’est dans un poème léger et profond intitulé « Une soirée perdue » (in Revue des deux mondes, 1840). « Lorsqu’on vient d’en rire, on devrait en pleurer » : oui-da ! Les élèves demandent souvent pourquoi de telles pièces s’intitulent « comédies » — et ils en sont pour leurs frais, si on ne leur explique pas que c’est le théâtre du monde que ces comédies décortiquent avec une cruauté et une bonne humeur inimitables. Et en même temps le poète romantique, qui aurait dû abhorrer les « classiques », sent bien l’harmonie de cette langue si souple et si aiguisée, où chaque mot porte, comme des coups d’épée. Très loin de nos bavardages actuels.

« La langue de Molière », dit-on de la langue française — comme l’anglais est la langue de Shakespeare et l’espagnol celle de Cervantès. Plutôt que de transporter au Panthéon les cendres de Molière (que le cimetière du Père-Lachaise s’enorgueillit de posséder, ce qui est plus que douteux), Valérie Pécresse devrait se soucier prioritairement de faire enseigner à nouveau dans les écoles cette langue de Molière, abandonnée au profit du gloubi-boulga que bafouille l’homme de la rue. Une décision de René Haby, qui comme je l’ai raconté cet été avait lancé la Commission Rouchette, quand il était à la tête de la Direction Générale de l’Enseignement Scolaire, préférait l’oral le plus négligé à l’écrit le mieux tenu — et la langue de Molière est un écrit magnifique porté à l’oral par le génie de l’auteur et des comédiens. Ledit Haby eut l’occasion d’imposer son point de vue quand il fut ministre de l’Education et put orchestrer la déroute scolaire et l’apocalypse actuelle : Jospin en 1989 ne fit que systématiser cet écroulement programmé.

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Pleurer de rire ou d’émotion

Des programmes scolaires cohérents, que j’appelle de mes vœux, n’ont que faire de restaurer le port de la blouse ou le Certificat d’Etudes. Ils devraient imposer l’étude chaque année d’une pièce de Molière à partir du CM1 et jusqu’en Terminale (croyez-moi, il y a le choix). Les élèves actuels commencent par dire qu’ils ne comprennent rien à Molière (ni à Corneille, ni à Racine, ni à quoi que ce soit d’antérieur à Aya Nakamura) parce qu’ils n’ont jamais eu l’occasion d’en entendre. Instruire, cela ne consiste pas à flatter les ignorants, mais à parler contre — contre les habitudes, les poncifs, les parents parfois et les superstitions toujours. Un vrai professeur de Lettres (et combien de profs de Lettres actuels n’ont jamais sérieusement étudié Molière…) doit être un passeur de bon et bel usage.

Alors oui, célébrons Molière. Jouons ses pièces avec nos enfants, le dimanche. Allons voir les mises en scène actuelles (la Comédie française va reprendre le Tartuffe, à la mi-janvier), procurons-nous les grandes mises en scènes disponibles sur DVD. La Comédie française, qui n’est pas si poussiéreuse qu’on le prétend quand on n’y va jamais, a adapté ainsi deux délicieuses pièces en un acte, l’Amour médecin et le Sicilien ou l’Amour peintre (2005), où Léonie Simaga joue une Lucinde ébouriffante. Puis on passera aux pièces en trois actes (Monsieur de Pourceaugnac — version 2001, avec Bruno Putzulu), puis en cinq — le Dom Juan de Mesguich par exemple, ou le Malade imaginaire de Michel Bouquet. Alors on lira, on regardera tout — en pleurant de rire ou d’émotion devant ce fauteuil vide.

Fabien Roussel dans les fours de la fachosphère!

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Fabien Roussel (PCF) à une soirée d'hommage à Charlie Hebdo, le 5 janvier 2022 à Paris © ISA HARSIN/SIPA

Il n’aura fallu qu’un tweet pour que Fabien Roussel, symbole d’une certaine gauche qui n’a pas encore sombré dans l’islamo-gauchisme, soit poussé dans le marécage de ce que certains progressistes nomment la « fachosphère ». Le dimanche 9 janvier, peut-être après un bon déjeuner, Fabien Roussel tweete : « Un bon vin, une bonne viande, un bon fromage : c’est la gastronomie française. Le meilleur moyen de la défendre, c’est de permettre aux Français d’y avoir accès ». 

Immédiatement, la première phrase suscite une avalanche de réactions outrées de la part d’une mouvance qu’il faut bien appeler l’islamo-gauchisme – et qui n’a visiblement pas lu la seconde phrase.

« Pauvre PCF, réduit au saucisson-beurre », a commenté la célèbre militante « décoloniale » Françoise Vergès. Une réaction que s’est hâtée de retweeter, pour faire sienne, la très médiatique Rokhaya Diallo. D’autres esprits, moins célèbres, y sont aussi allés de leur couplet, accusant le député du Nord de racisme décomplexé ou pire, du délit d’ « islamophobie ». « Oh le tweet de bon vieux conservateur bien blanc bien identité nationale », a raillé un certain @Anarchisaurus. « Je vous jure qu’avant de lire le nom du compte, je pensais que c’était un tweet de facho patriote qui met du jambon dans les rayons halals de son supermarché », a confié @MuslimIndiscret. 

À lire aussi, Jérôme Leroy: Fabien Roussel, le candidat de gauche vraiment disruptif

« Islamophobe : pas de vin merci ! tu exclues toute une communauté de tes agapes », a déploré une autre indignée. « Vous préférez vraisemblablement défendre la gastronomie des riches plutôt que le droit des gens à manger des repas équilibrés trois fois par jour », a flairé pour sa part une certaine Nora Bouazzouni.

Ce que pense vraiment le candidat communiste

C’est bien mal connaître Fabien Roussel. Dans la première partie de Ma France heureuse, solidaire et digne, le candidat PCF relate ses rencontres avec les petites gens, qu’ils soient ouvriers, entrepreneurs ou chômeurs, dans sa commune de Saint-Amand-les-Eaux ou à Paris, dans le Nord-Pas-De-Calais ou en Île-de-France. Et plus généralement en France. S’il y a bien un reproche qu’on ne peut pas faire à ce monsieur, c’est celui d’être un Parisien habitué des bonnes tables, d’être un homme coupé des réalités de la France qui se lève tôt. Rappelons qu’il est le seul candidat à la présidentielle à ne pas vivre dans la capitale (il confie faire régulièrement l’aller / retour entre la Gare du Nord et Saint-Amand-les-Eaux). Pour le reste, mieux vaut le lire avant de s’offusquer, ce que les nombreux commentateurs du tweet n’ont manifestement pas fait. 

A lire aussi, Philippe Bilger: 2022: nos politiques dans les starting-blocks

Comme nous sommes sur Causeur, penchons-nous sur quelques passages – ceux qui risqueraient de froisser encore davantage les islamo-gauchistes (oui, nous, on trouve çà rigolo). « Nous devons être capables de faire vivre à long terme le droit à la sécurité, à la tranquillité de chacun, dans une République apaisée, laïque et sociale » écrit par exemple le candidat. « Le chauffeur de bus qui habite dans un logement social a le droit aussi à la tranquillité dans son quartier et à des nuits paisibles » peut-on lire plus loin. Et aussi : « Il ne faut pas laisser au seul Front National la main mise sur des sujets comme la nation, la souveraineté, la sécurité et le vivre-ensemble ». Rien de sulfureux, du bon sens pour le quidam moyen comme vous et moi. Mais dans l’esprit d’un islamo-gauchiste, c’est déjà un étalage d’obscénité que d’oser parler de sécurité, de nation ou de souveraineté !

Même pas d’accord avec Sandrine Rousseau!

De plus, Fabien Roussel ne sombre pas non plus dans la démagogie écolo qui voudrait nous faire croire que l’on pourra tous se chauffer avec des panneaux solaires ou des moulins à vent d’ici vingt ans. Il opte pour le pragmatisme : « La transition [énergétique] repose sur deux leviers. Le premier est le maintien et la sécurisation de notre production nucléaire, reconnue pour ses faibles émissions de gaz à effet de serre », écrit-il. Ou encore : « Tant que l’on n’aura pas les moyens de sortir du nucléaire, et pour tenir l’objectif d’une empreinte carbone nulle en 2050, il est impératif de soutenir et développer de tels projets [de réutilisation des déchets nucléaires] ainsi que la recherche dans les nouvelles technologies nucléaires ». Il déroule ensuite tout un arsenal de solutions qu’il serait trop long de développer ici. Et quoi qu’il en soit, le simple fait de concéder des vertus au nucléaire ne peut que le frapper du sceau de l’infamie pour les fanatiques écolos. 

Suite à son tweet qualifié de « polémique », Fabien Roussel s’est expliqué sur le plateau des Grandes Gueules sur RMC. « Je suis convaincu que la gastronomie française fait partie des grandes richesses de notre pays et qu’il faut pouvoir la défendre […] Manger de la bonne viande, des bons vins qui ont travaillé, des fromages qui nécessitent du travail et du temps, c’est normal que ça coûte un peu plus cher et que tout le monde puisse y avoir accès ». Une mise au point qui, cette fois, n’a pas suscité de torrent d’indignations. Une preuve que cette fois, le message est enfin passé ? 

À lire ensuite, Martin Pimentel: Amabilités républicaines

C’était sans compter sur l’impayable militant Taha Bouhafs, qui enfonce le clou : « À quoi jouent les cadres du PCF qui soutiennent cette dérive dangereuse de Roussel ? Le glissement qui est en train de s’opérer est terrifiant. Presque toutes les figures de l’extrême droite organisée applaudissent et soutiennent la nouvelle ligne du Parti Communiste »…  C’est dur d’être aimé par des cons.

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Scrutin LR: casse-tête chinois !

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AP Photo/Jean-François Badias/SIPA

Valérie Pécresse devrait aller allumer des cierges à l’église, pour qu’un petit article de Mediapart ne tombe pas entre les mains des électeurs de droite d’ici à l’élection présidentielle.


Valérie Pécresse devrait allumer des cierges à l’église, pour qu’un article de Mediapart (Des électeurs étrangers derrière la victoire de Valérie Pécresse, 9 décembre 2021) ne tombe pas entre les mains des électeurs de droite d’ici à l’élection présidentielle.

Selon son auteur [1], des électeurs asiatiques auraient joué un rôle dans sa victoire au congrès LR. Pour la candidate de droite BCBG, ces révélations du site d’information du trotskyste à moustache font mauvais genre. Ne s’est-elle pas opposée à l’ouverture du droit de vote des étrangers aux scrutins locaux ? Mme Pécresse et ses équipes ont tiré profit d’une anomalie : l’adhésion au parti n’étant liée à aucune condition de nationalité, des étrangers ont pu participer au scrutin interne. En novembre, l’adjoint à la mairie de Villepinte, d’origine cambodgienne, Ton-Tona Khul, se vantait sur les réseaux sociaux d’avoir rameuté des électeurs : « Après une campagne d’adhésion, les communautés françaises d’origine asiatique ont apporté́ plus de 600 adhérents à LR pour voter Valérie Pécresse. »

A lire ensuite:

Arrivée deuxième au premier tour, Pécresse n’avait devancé Michel Barnier que de 1 209 voix. Parmi les nouveaux adhérents, des militants de la dernière heure appartenant à la communauté chinoise, laotienne ou vietnamienne. « La proportion de non-Français vient plutôt des Chinois », mais « ils ne sont pas très très nombreux parmi les 600 », a relativisé l’élu, embarrassé par l’enquête de nos confrères. En meeting le 29 novembre, la candidate LR déclarait : « Il faut stopper l’immigration incontrôlée et choisir qui on veut accueillir. Mais il ne faut pas mentir, on aura besoin d’un peu d’immigration. » Message reçu. Patrick Stefanini, le stratège de Pécresse, se rassure peut-être en se disant que les électeurs de droite ne lisent pas Mediapart.


[1] Antoine Rouget, « Des électeurs étrangers derrière la victoire de Valérie Pécresse », Mediapart, 9 décembre 2021. https://www.mediapart.fr/journal/france/091221/des-electeurs-etrangers-derriere-la-victoire-de-valerie-pecresse