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Heureuse comme une Albanaise à Lesbos

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« Mais pourquoi, quand on parle des migrants à Lesbos, ne parle-t-on que des Afghans, des Pakistanais ou des Syriens et jamais de nous ? »


Sa question à peine posée, Eleonora sourit avec malice, car elle sait bien que ladite question est éminemment rhétorique. « Nous », ce sont les Albanais de Lesbos. Ils y sont environ 5000 sur une population d’un peu plus de 80 000 habitants [1]. Environ, car entre ceux que la dégradation de la situation de l’emploi en Grèce pousse à prendre le chemin du Nord de l’Europe, ceux – très rares – qui sont gagnés par le mal du pays et ceux qui accèdent à la nationalité grecque, les chiffres concernant la population albanaise fluctuent selon un mode capricieux. Au village d’Antissa, situé à l’Ouest de Lesbos, ils sont une centaine sur 700 habitants. Et parfaitement assimilés (tant pis pour le gros mot !)

Eleonora Kryemadi

Si l’on ne compte pour le moment qu’un seul mariage mixte à Antissa, tous – Grecs et Albanais –  fréquentent les mêmes cafés et tavernes du village et y partagent souvent la même table. La seule ouzéri [2] d’Antissa est d’ailleurs tenue par Apostol Zeneli, un Albanais qui, le 28 octobre, jour de la Fête Nationale, a accroché un gigantesque drapeau grec sur la façade de son établissement, drapeau qu’il n’a retiré qu’après le 8 novembre, date à laquelle on célèbre le rattachement de Lesbos à la Grèce en 1912. C’est à deux pas de sa taverne que, le 21 août dernier, tout le gratin de l’île – gouverneur de la région en tête –  s’était retrouvé pour honorer la mémoire de Yannis Fotiadis, député centriste de Lesbos décédé en 1969. À deux enfants du village avait été confiée la tâche de porter les gerbes ; les institutrices avaient désigné un jeune garçon dont la famille est « grecque depuis Périclès » (son père dixit) et la petite Rallou, Albanaise. Elle n’était pas peu fière, Rallou, quand Taxiarchis Véros, le maire de Lesbos-Ouest, lui a passé affectueusement la main dans les cheveux.

Une intégration réussie

Si ce sont les hommes qui, les premiers, ont débarqué d’Albanie sur l’île (pour la cueillette des olives, l’une des principales richesses locales avec l’élevage des moutons et la production d’ouzo – on compte à Lesbos une vingtaine de marques différentes), ce sont les femmes qui expriment le plus spectaculairement l’intégration si réussie de la population albanaise dans la patrie de Sappho. Eleonora Kryemadi et Linda Kotsi sont deux d’entre elles.

Linda Kotsi

Elles sont toutes deux originaires de la petite ville de Gramsh, située au Sud de l’Albanie, et toutes deux mariées très jeunes à des hommes que leurs familles avaient choisis pour elles. Linda, fille d’un ouvrier agricole du kolkhoze local, a quitté Gramsh pour la Grèce en 2002 à l’âge de 19 ans avec son mari Tomorr et leur bébé Eneriko. A Gramsh, Tomorr était sans emploi. La vie du jeune couple étant très précaire, ils décidèrent, comme tant d’Albanais depuis les années 90, de fuir la misère et la corruption et de tenter leur chance en Grèce. Après un bref passage dans les Sporades, où Tomorr avait exercé plusieurs petits boulots six ans auparavant, ils prirent la direction de Lesbos et se fixèrent à Antissa. Leur première décision, à l’instar de la plupart de leurs compatriotes, fut de changer de prénom : Tomorr devint Alexis et Linda jeta aux oubliettes son trop exotique Maïlinda de naissance. Elle apprit le grec très vite, sur le tas, sans leçons. Elle le parle aujourd’hui comme une native, sans le moindre accent et emploie même avec aisance le dialecte de la région truffé de mots d’origine turque – 450 ans d’occupation, cela marque une langue. Le deuxième fils de Linda, Yorgos, est né à Lesbos. Il a aujourd’hui 13 ans et « est Grec à 200% », selon sa mère. Il devra cependant attendre encore un an avant d’être naturalisé, car le droit du sol ici est conditionné. Neuf ans de scolarité assidue en Grèce sont exigés. « C’est une bonne mesure » commente Linda. Le frère ainé de Yorgos, qui suit des études d’informatique à Kavala, le grand port à l’Est de Thessalonique, est lui déjà Grec. Grec, mais toujours musulman… même si depuis le baptême de son petit frère il n’écarte pas l’éventualité de se convertir à l’orthodoxie. Est-ce justement parce qu’il est musulman qu’il a gardé son prénom albanais ? « Eneriko ? Pas du tout ! répond Linda en riant. C’est à moi seule qu’il doit son prénom. C’est la traduction en albanais de l’espagnol Enrique. Je suis une fan du chanteur Enrique Iglesias… et, en grec, il n’y a pas d’équivalent. » L’été, Linda est aux fourneaux du restaurant Alfresco que Pavlos, le patrondu Kati Allo [3], la principale taverne d’Antissa, a ouvert sur la plage de Gavathas il y a trois saisons. En septembre, elle remonte au village et reprend, aux côtés de sa belle-sœur et de la femme du patron, son rôle de caryatide du Kati Allo. Une caryatide aux yeux immenses dont le fin visage, sous le casque noir des cheveux portés courts, fait immanquablement penser à Sophia Loren période « La Ciociara ».

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Âgée de 45 ans, Eleonora est un petit bout de femme tout en rondeur. Rien d’aigu en elle, si ce n’est sa voix que l’on entend de l’Hadès à l’Olympe quand elle plaisante avec les vieillards qui sirotent leur café grec sur la place. Employée à la boulangerie d’Antissa, Eleonora commence très tôt sa journée de travail qu’elle poursuit l’après-midi en faisant des ménages. L’été, quand les Antisséens d’Athènes, de Toronto, de Sydney et du Queens sont de retour et que la population du village fait plus que tripler, elle fait l’extra au Kati Allo. Alors, pendant deux mois, elle ne dort que deux à trois heures par nuit. C’est que deux de ses enfants sont encore scolarisés et que les études coûtent cher, surtout quand elles ne se mènent pas à Lesbos. « Heureusement, Elena, mon ainée, a fini son mastère de droit et vient d’être embauchée par un cabinet juridique ! » Missir, le mari d’Eleonora – le seul Albanais du village à ne pas avoir opté pour un prénom grec (par fidélité à sa famille et non par conviction religieuse) – exerce lui aussi trois activités professionnelles : maçon dans une petite entreprise locale, ouvrier sur le chantier de la future quatre-voies et éleveur de moutons. « Même quand les enfants étaient petits, il fallait qu’on ait plusieurs emplois pour payer l’école » dit Eleonora qui pointe du doigt les frontistiria (cours particuliers incontournables en Grèce si l’on veut réussir du CP au bac). « Avant qu’Elena n’entre à l’université, on en a eu jusqu’à 1000€ par mois pour tous les trois, alors quand j’entends les journalistes de Sky [4] pleurnicher sur les lathrométanastés [5] à qui on octroie 450€ mensuels pour se tourner les pouces à Mavrovouni [6]… » Eleonora ne termine pas sa phrase, elle déteste se plaindre et préfère évoquer ses participations à la grande manifestation du 22 janvier 2020 sur le port de Mytilène et aux “Trois Glorieuses” de Lesbos qui, les 25, 26 et 27 février de la même année, ont vu les habitants de l’île affronter les MAT [7] en criant « Ochi ! » (non !) à l’installation d’un nouveau camp pour migrants à Karava. « J’ai vu notre maire se faire frapper par un robocop, dit-elle… Je l’aime bien Véros. En revanche, Kitélis, c’est un vlachos [8] celui-là ! Même si j’ai apprécié qu’il ait boudé le Pape l’autre jour [9]. Lui non plus, je ne l’aime pas, le Frangkiskos. » « D’ailleurs, de quel droit il vient nous faire la leçon ? intervient Linda. En quoi ça le regarde ? »

Remontées contre le Pape François

 « S’il y avait eu une manif pour protester contre sa venue, j’y serais allée, ponctue Eleonora. De toute façon, il n’y avait personne pour l’accueillir à part une poignée de migrants. De l’aéroport à Kara Tépé, il n’y avait pas un chat sur sa route. Kanéna ! [10] »

Si Linda se sent totalement grecque, tout en sachant qu’elle a peu de chances d’accéder un jour à cette nationalité, tant les questions de l’examen (maîtrise de l’écrit, connaissances historiques, etc.) sont pointues, Eleonora confesse « Ma patrie, c’est l’Albanie, même si j’aime beaucoup la Grèce. Ce que j’aime surtout ici, c’est la religion. » Elle, qui se dit agnostique, adore ces fêtes – tout particulièrement celle de Pâques – où la fonction de ciment social de l’orthodoxie est si perceptible. Alors, retourner définitivement en Albanie ? « Je ne crois pas, dit Eleonora, et pourtant j’y ai toujours mes parents. » La réponse de Linda est plus franche encore : « Ah ! sûrement pas ! Même pour les vacances. »


[1] Sur les 4,5 millions d’Albanais, un tiers vit actuellement à l’étranger, principalement en Grèce et en Italie.

[2] Taverne qui ne sert que des mézés.

[3] Kati Allo signifie « Quelque chose en plus ».

[4] Télévision privée grecque.

[5] Les migrants illégaux, les clandestins.

[6] Camp qui a remplacé celui de Moria incendié par des migrants en septembre 2020. Ce camp est situé sur un ancien terrain militaire dans le quartier de Kara Tépé.

[7] CRS grecs.

[8] Efstratios Kitélis, maire de Mytilène, la capitale de Lesbos. Vlachos signifie à peu près « plouc ».

[9] Lors de la visite éclair du pape François à Lesbos le 5 décembre, seuls les représentants de l’État grec avaient fait le déplacement pour l’accueillir.

[10] Personne !

L’École selon Zemmour

Le programme pour l’école proposé par Éric Zemmour n’a pas tout à fait convaincu notre chroniqueur, qui en sait un peu plus long que le journaliste sur les problèmes de l’Education en France.


Le Z (comme Zorglub) a donc rendu sa copie : l’école sera celle de son enfance, ou ne sera pas. On rétablira le Certificat d’Études en guise d’examen d’entrée en sixième (ignore-t-il vraiment que le redoublement, qui doit être proposé quand il n’y a pas d’autre solution, n’est pas en soi une solution ?), les CPE redeviendront surveillants généraux. Et les élèves porteront une blouse grise — qui n’a jamais été obligatoire par le passé, et qui n’établirait que pour la galerie une égalité sociale qui ne se décrète pas.

Hmm… Il a oublié les coups de règle sur les doigts.

Interdire l’écriture « inclusive », certes. Mais après ?

D’autres propositions méritent que l’on s’y arrête. Supprimer le collège unique est une nécessité — reste à savoir comment on réorganise le premier cycle. Proposer des primes aux enseignants n’est pas absurde, mais ça ne se fera pas sur la base de l’évaluation de leurs compétences pédagogiques (qui en jugerait ?). La seule solution serait d’offrir des primes substantielles (disons 500€ par mois) à ceux qui accepteraient de travailler dans des académies déficitaires. Et à condition d’avoir largement remanié le processus de mutations, en multipliant par exemple les « postes à profil ». Mais c’est sans doute trop technique pour le Z, qui dispose pourtant, m’a-t-il dit, d’une « cellule Éducation » bourrée d’experts compétents.

Quant à l’idée qu’augmenter les salaires, les plus bas d’Europe, elle serait « démagogique », eh bien, essayez de vivre et d’enseigner en région parisienne avec 1500€ par mois : c’est ce que touche un néo-certifié après six ans d’études et un concours qui n’est pas donné…

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Le Z se fait des idées sur l’école privée, « qui fait un boulot formidable » : il est tout aussi contaminé que le public par des idéologies pédagogiques délétères. Il y a du bon et du mauvais privé, du bon et du mauvais public.

Et pour ce qui est de supprimer toute forme d’idéologie à l’école… En mettant un gauleiter derrière chaque enseignant ? En transformant les parents d’élèves en délateurs ? Non seulement la neutralité ne se décrète pas, mais elle est une pure vue de l’esprit, en Histoire ou en Lettres. Interdire l’écriture « inclusive », certes. Mais après ?

L’école devrait se soucier d’enseigner les maths et la grammaire, de réformer les programmes (mais qui les écrira ?) et de mieux former les maîtres « dans des Écoles Normales » : Éric, tu es sérieux ? Qui y enseignera ?

Supprimer les langues étrangères en primaire, certes — mais en expliquant qu’il ne sert à rien d’apprendre une langue quand on ne maîtrise pas la sienne. Bien sûr que j’approuve l’idée d’enseigner à nouveau les classiques. Mais il faudrait d’abord que les enseignants, recrutés dans des filières où on leur a davantage parlé de Lagasnerie que de La Fontaine, soient mieux formés. Et cela suppose une mise sous tutelle de l’enseignement supérieur, voire une réforme des règles de la fonction publique.

Le projet d’un « grand ministère »


L’idée d’un « grand ministère » n’est pas absurde, on devrait réunir Ministère de l’Education et Enseignement Supérieur sous la même houlette. Mais pourquoi vouloir y mêler la Culture ? D’ailleurs, a-t-on réellement besoin d’un ministère de la Culture ? Nous sommes le seul pays à en avoir un, et personne ne nous envie la rue de Valois. Quitte à être libéral, autant laisser les acteurs de la Culture se dépatouiller.

Bien sûr que la prochaine campagne devrait tourner autour de la culture, du sentiment de perte civilisationnelle, de l’identité culturelle. Mais l’école ne changera les choses, au niveau culturel, qu’en une vingtaine d’années au minimum : le temps scolaire est un temps long.

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Et pour cela, il faudrait préciser quel français on veut apprendre aux enfants (celui du Grand Siècle ?), quelles méthodes d’apprentissage de la lecture / écriture seront privilégiées. Et il est inutile de les imposer, 80% des « professeurs des écoles » n’ont aucune idée des méthodes alpha-syllabiques disponibles et hurlent au « caporalisme » quand Blanquer prétend leur imposer (à, Paris déjà) une méthode alpha-syllabique cohérente.

D’ailleurs, déjà que l’on a du mal à recruter des enseignants, quelles mesures, dans ces propositions superficielles, inciteraient un étudiant de Première année à se destiner à l’enseignement ? La promesse de primes en fonction de leur rectitude pédagogique ?

À propos, quid du Bac ? Un programme se lit autant par ce qu’il révèle que par ce qu’il occulte. Le Bac n’est pas tenable en l’état — et quels parents accepteraient des taux de réussite identiques à ceux des années 1960, 60% de réussite parmi des élèves de terminale qui ne représentaient que 20% d’une classe d’âge. Le Bac doit être remplacé par un vrai Certificat de fin d’études attribué à tout le monde — puis on laissera les universités se débrouiller avec les dossiers. Même le système des prépas doit être repensé, il a amené (à Paris particulièrement) des distorsions insupportables sous prétexte d’élitisme républicain. L’élitisme républicain ne consiste pas à regrouper des héritiers à Henri-IV. Il a pour objet d’amener chaque élève au plus haut de ses capacités. Et ça, ça ne se décrète pas, ça se construit.

Ce sont au final les propositions d’un amateur. Zemmour m’a dit disposer d’une « cellule Education » de haute tenue. Eh bien en vérité je vous le dis : ils rateraient l’examen d’entrée en sixième — sans parler de celui d’entrée à l’Elysée.

PS. Je ne commente pas les autres volets de ce programme, je n’ai pas de compétences en économie, ni en sécurité, ni… Contrairement au Z, qui comme les papes dispose désormais de l’infaillibilité.

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Non, le conflit syrien n’est pas une guerre climatique!

L’universitaire britannique Jan Selby démonte la thèse défendue par l’élite politique et intellectuelle mondiale selon laquelle la guerre en Syrie s’explique par le réchauffement climatique. Si les sécheresses à répétition sont une réalité, les racines du conflit se trouvent bien dans le régime des Assad.


« La Syrie est un excellent exemple de l’impact du changement climatique sur des problèmes préexistants tels que l’instabilité politique, la pauvreté et la rareté des ressources », a déclaré début 2021 Jamal Saghir, professeur à l’Institut d’étude du développement international de l’université McGill et ancien directeur à la Banque mondiale. Pour Saghir, comme pour l’ancien président des États-Unis, Barack Obama, et des centaines de milliers de journalistes chercheurs et autres faiseurs d’opinion, la Syrie était un cas d’école de migrations dues au climat. Une grave sécheresse, aggravée par le réchauffement climatique, aurait poussé des centaines de milliers d’agriculteurs à abandonner leurs cultures et à se réfugier dans les villes, puis cet exode rural aurait déstabilisé la société syrienne et contribué à déclencher la guerre civile. C’est la thèse défendue dans le National Geographic du 2 mars 2015 [1]. Le célèbre magazine cite un rapport, paru dans les Actes de l’Académie nationale des sciences des États-Unis et démontrant, chiffres à l’appui, que les pénuries d’eau dans le Croissant fertile en Syrie, en Irak et en Turquie ont décimé le bétail, fait grimper le prix des denrées alimentaires et forcé 1,5 million de résidents ruraux à se réfugier dans les banlieues des villes syriennes déjà surpeuplées, au moment même où le pays faisait difficilement face à un afflux d’immigrants fuyant la guerre en Irak. Si les auteurs reconnaissent que de nombreux facteurs ont conduit au soulèvement de la Syrie, notamment la corruption et l’incurie des dirigeants, sans oublier la croissance démographique massive, une fable simpliste simple commence alors à se propager : la guerre catastrophique en Syrie est au moins en partie causée par le changement climatique d’origine humaine.

Une « avant-première »

Les dirigeants politiques occidentaux, les organisations internationales, les ONG environnementales et d’innombrables commentateurs universitaires, activistes et médiatiques ont tous défendu cette thèse. Tant au sein du courant « mainstream » qu’au sein de la pensée radicale verte et rouge-verte, le conflit syrien est considéré comme une « avant-première » de ce qui attend le monde alors que la planète se réchauffe. Jan Selby, spécialiste en géopolitique et climat à l’université de Sheffield, s’est attaqué à ce qui semblait être une évidence. Ses conclusions sont édifiantes – et terrifiantes. L’élite politique et intellectuelle mondiale a pris pour argent comptant une thèse bancale fondée sur des erreurs factuelles et analyses douteuses [2].

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Même si les phénomènes climatiques ne peuvent pas être entièrement écartés de la liste des causes de la catastrophe syrienne, le récit d’un « conflit climatique syrien » ne tient pas debout. Pire, il masque ce qui s’est réellement passé dans la Syrie rurale dans les années précédant le déclenchement de la guerre civile en 2011, à savoir une crise économique et politique. Surtout, cette histoire sert parfaitement les intérêts du régime, trop heureux de pouvoir détourner l’attention de sa responsabilité accablante. Autrement dit, la Syrie n’est pas un exemple de ce qui nous attend avec le réchauffement de la planète, mais plutôt de la manière dont le climat va devenir l’alibi des échecs et incuries des dirigeants politiques.

Une sécheresse record en 2007-2008

Indéniablement, une grande partie de la Syrie et de la Méditerranée orientale ont connu une sécheresse exceptionnellement grave dans les années qui ont précédé le début de la guerre civile en Syrie. L’année 2007-2008 a été la plus sèche jamais enregistrée dans le nord-est du pays, tout comme la période entre 2006 et 2009. Et cette sécheresse peut être imputée de manière très plausible au dérèglement climatique. Selon le récit consensuel, cette sécheresse longue et terrible aurait entraîné un effondrement de la production agricole, poussant 2 à 3 millions de personnes dans l’extrême pauvreté et déplaçant environ 1,5 million de personnes du nord-est vers Damas, Alep et la ville méridionale de Deraa, berceau de la rébellion. Sauf que sur ces points précis, les preuves sont faibles. L’affirmation selon laquelle 2 à 3 millions de personnes ont été plongées dans l’extrême pauvreté par la sécheresse de 2006-2009 provient de données du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) sur les niveaux de pauvreté antérieurs à la sécheresse. Quant aux 1,5 million de personnes déplacées, c’est encore pire : ce chiffre est issu d’un seul bulletin d’information humanitaire, très probablement sur la base d’une mauvaise interprétation. La source citée (une estimation des Nations unies) parle des « personnes touchées » et non pas des « personnes déplacées » par la sécheresse. Utilisant les chiffres fournis par le gouvernement syrien lui-même, l’ONU a conclu que 40 000 à 60 000 familles avaient été déplacées pendant la sécheresse. Or, celle-ci n’a pas été le seul déclencheur de la crise économique et des migrations avant 2011. Un décret présidentiel de 2008, qui a renforcé les restrictions sur les ventes de terres dans la province de Hassaké, à l’extrême nord-est du pays, a entraîné la perte de nombreux droits fonciers et joué un rôle décisif dans l’exode du nord-est vers les centres urbains de la Syrie. Enfin, pendant les années 2008-2009, la Syrie rurale a été frappée par une très forte augmentation des principaux coûts de production agricoles : les subventions aux carburants ont été réduites de moitié, entraînant une hausse de 342 % du prix du diesel, les subventions aux engrais ont été supprimées, entraînant une hausse des prix de 200 à 450 %. On peut imaginer les conséquences dramatiques de l’explosion du prix des carburants sur les agriculteurs qui en dépendent pour pomper l’eau et irriguer leurs cultures. Par ailleurs, un certain nombre de pays voisins ont connu, entre 2006 et 2009, une diminution de précipitations équivalente – ou, dans le cas de l’Irak, encore plus importante –, mais aucune crise migratoire comparable. Les migrations intérieures en Syrie semblent donc explicables par des causes spécifiques à la Syrie.

La corrélation entre la migration due à la sécheresse et le début de la guerre civile est encore plus hasardeuse. Selon les tenants de la thèse du « conflit climatique », les déplacements induits par la sécheresse ont provoqué un « choc démographique » dans les périphéries des centres urbains syriens, exacerbant les tensions socioéconomiques déjà existantes. Pourtant, les villes syriennes ont connu une croissance rapide tout au long de la décennie qui a précédé la guerre civile, et pas seulement pendant les années de sécheresse. D’après les calculs de Jan Selby et son équipe, la migration excédentaire en provenance du nord-est en 2008-2009 n’a représenté que 4 à 12 % de la croissance urbaine de la Syrie entre 2003 et 2010.

Rien ne prouve non plus que les migrants du Nord-Est aient été largement impliqués dans les manifestations du printemps 2011. À Deraa, où beaucoup se sont établis, aucune des revendications des manifestants ne concernait directement la sécheresse ou la migration [3].

Hassaké, principal grenier de la Syrie

Après avoir réfuté méthodiquement le conte de fées de la « première guerre du climat », Selby et ses collègues proposent une explication alternative. Pour eux, les événements intervenus dans le nord-est de la Syrie avant la guerre civile s’expliquent par une crise agraire structurelle profonde qui remonte au moins à 2000. Dans le province de Hassaké, la production des deux principales cultures stratégiques désignées par le gouvernement, le blé et le coton, était en déclin depuis le début du siècle. Les terres et les habitations ont été abandonnées bien avant la sécheresse et au cours de cette période, Hassaké s’est vidée de ses habitants à un rythme plus élevé que toute autre province syrienne. Et les raisons de cette saignée démographique sont à chercher dans la politique syrienne de développement.

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À partir des années 1970, le régime baasiste syrien a poursuivi un programme de développement agraire favorisant l’expansion rapide du secteur agricole du pays, y consacrant une partie de l’aide soviétique et des revenus pétroliers. Ce programme impliquait, entre autres, d’importants investissements dans les infrastructures d’approvisionnement en eau ainsi que le financement du forage de puits privés. Cette politique a été complétée par le contrôle des prix des cultures stratégiques – bien supérieurs à ceux du marché international –, l’effacement annuel des pertes des fermes d’État et d’importantes subventions pour alléger le coût de la production agricole. 

La production de cultures stratégiques a donc artificiellement augmenté et la Syrie est passée du statut d’importateur à celui d’exportateur net, notamment pour le blé. Or, le modèle reposait sur la surexploitation des ressources en eau, notamment des nappes phréatiques, un problème devenu critique au début des années 2000. En prime, l’agriculture syrienne est devenue dépendante du diesel bon marché.

Avec l’arrivée au pouvoir de Bachar el-Assad en 2000, la Syrie a décidé de libéraliser son économie : privatisation des fermes d’État et du commerce, allègement du contrôle des prix. La réduction des subventions a été le coup de grâce. La production de cultures stratégiques a chuté, entraînant une migration massive des campagnes vers les villes, indépendamment de la sécheresse.

L’armée syrienne en patrouille au milieu des champs, province de Hassaké, 5 novembre 2019 ©Delil SOULEIMAN / AFP

Ces changements ont considérablement affecté Hassaké, principal grenier de la Syrie. Aucune autre région du pays n’était aussi dépendante des eaux souterraines pour l’irrigation, donc des prix du carburant. En outre, c’est dans le nord-est de la Syrie que la pauvreté était la plus grande. Hassaké paie aussi le choix de l’État syrien d’en faire une région de monoculture du blé. Ces mesures, écrit Selby, s’expliquent notamment par la volonté du régime d’arabiser cette région frontalière au détriment de la population kurde. Pendant l’apogée du développement agraire baasiste, la population et le secteur agricole de Hassaké se sont développés comme nulle part ailleurs. Avec l’effondrement de ce modèle, la crise rurale et l’exode rural ont renversé la tendance.

Une mystification qui arrange le régime

Face à cette masse d’informations facilement accessibles et connues des nombreux spécialistes de la région, Jan Selby s’interroge : comment autant de commentateurs, décideurs et faiseurs d’opinion occidentaux ont-ils fini par adopter le récit simpliste – et faux – liant directement changement climatique, migration et guerre civile en Syrie ? La réponse de Selby est que le régime de Bachar el-Assad a joué un rôle fondamental dans cette mystification. Ainsi le gouvernement emmenait-il régulièrement des diplomates dans le nord-est du pays pour leur démontrer que tout venait du réchauffement climatique. Ce récit providentiel (pour Damas) a été confirmé par des rapports officiels de l’ONU qui se gardaient de toute critique de la politique syrienne. Les médias internationaux, friands de catastrophes climatiques et peu habitués à critiquer les vérités onusiennes ont fait le reste.

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Cette intox a culminé en 2015, à l’occasion de la COP21 réunie à Paris, où elle a été reprise en chœur par de nombreux politiques et commentateurs pour illustrer l’urgence absolue d’une action internationale pour limiter les émissions de gaz à effet de serre.

Les failles et les biais de ce récit particulier de la crise climatique ne signifient nullement que le changement climatique n’existe pas, rappelle Selby qui n’est pas un « climato-sceptique ». Cependant, selon lui, ce changement climatique n’est pas uniquement une réalité scientifique, mais aussi un objet politique sujet à débats. Le dérèglement climatique est déjà régulièrement invoqué à des fins douteuses au Proche-Orient et en Afrique du Nord pour expliquer les catastrophes écologiques, dont les causes primaires sont l’expansion d’une agriculture non durable, et pour justifier les investissements (étrangers…) dans des projets souvent inutiles car traitant des symptômes, tandis que les vraies causes, comme la corruption ou l’incurie des pouvoirs, sont passées sous silence. 

En somme, le changement climatique a bon dos. Comme le dit Selby, il est souvent le prétexte d’une démonstration performative de citoyenneté mondiale et de supériorité morale. 


[1] Craig Welch, « Climate Change Helped Spark Syrian War, Study Says », National Geographic, 2 mars 2015.
[2] Jan Selby, « On Blaming Climate Change for the Syrian Civil War », Middle East Research, 296 (Fall, 2020).
[3] Jan Selby cite Marwa Daoudy, The Origins of the Syrian Conflict: Climate Change and Human Security, Cambridge University Press, 2020.

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Vaisselle cassée, c’est la fessée. Vaisselle foutue pan-pan cul-cul

Pour leurs opérations de team building, les managers lassés par les salles d' »escape game » peuvent désormais se tourner vers les « rage rooms ». « Ne vous en faites pas, tous les objets cassés seront recyclés » nous promet-on…


Georges Orwell avait imaginé les deux minutes de la haine. En 2022, on fait mieux. Notre haine organisée peut s’exprimer plus longtemps et, en plus, elle n’est pas réservée à la caste intermédiaire. Il suffit juste de payer.

Mes pas m’ont récemment portée rue Blondel, haut lieu, dans le monde d’avant, de la prostitution à la papa. Le monde et les temps ont changé, la rue aussi. Mais, au 23, à la Fury Room, on peut toujours « se défouler, s’amuser et même tout casser ». Petit détail, ce n’est plus l’antique « Qui casse, paie » mais le moderne « Qui paie, casse ».

Si vous la jouez petit bras et que vous préférez les plaisirs solitaires, vous pouvez choisir, pour la modique somme de 25€, le programme Housebreaker. Dans un environnement sécurisé, il vous est loisible, en 10 minutes, de bousiller 10 bouteilles, quatre verres et quatre assiettes. A deux, vous déboursez 50 €, le  plan à trois est à 75 €. Donc, pas de réduction pour les groupes.

Vous pouvez voir plus grand. Le programme Madhouse vous autorise à vous attaquer à une pièce équipée. Sur le thème bureau, vous fracassez écrans, imprimantes, circuits imprimés. Sur le thème appartement, vous réglez leur compte à des meubles et à du petit électro-ménager. Tout seul : 40€, à deux 79€, à trois : 110€. Durée 20 minutes.

Pour les enfants (il n’y a pas de raison), c’est « bataille de nerfs, d’oreillers, de mousse à raser ». Je n’ai pas trouvé le prix.

Forcément, tout cela dans le plus strict respect des règles sanitaires. Et surtout, surtout, pas d’angoisse, les objets et le matériel sont recyclés. Pour eux, c’est juste une petite excursion sympathique à l’extérieur de leurs vertueux circuits de reconversion.

Avis aux DRH (ou aux Premiers ministres ou aux chefs et cheftaines de partis) : possibilité de « Team Building ». « Lâchez-vous et cassez tout, entre collègues ! Mettez derrière vous le stress du quotidien et défoulez-vous lors d’une activité amusante et ludique. Originale et peu commune, cette séance de casse éveillera certainement une belle complicité et une cohésion d’équipe ».

Provinciaux, ne soyez pas chafouins, c’est arrivé près de chez vous, même si vous ne le savez pas encore. En plus, c’est souvent moins cher et plus diversifié. La Tanière des Enragés à Varennes-Vauzelles affiche 16 bouteilles, six vaisselles pour 15€ par personne et une durée autorisée de la rage de 10 minutes. Le Renkard à Valence propose des pistes de haches. Au Karnage club à Toulouse, comme dans certains estaminets de naguère : « on peut apporter son manger ». « C’est votre anniversaire et vous n’êtes pas satisfait de vos cadeaux ? Vous êtes tellement déçu que cela vous donne des envies de destructions ? Il y a une solution pour mettre à profit cette déception et s’amuser quand même ». Batte de baseball, pied de biche et marteau à disposition.

Pour ceux qui souhaitent investir dans un projet d’avenir, pas de soucis. Les franchises pour les Rage Rooms, encore appelées Salles de Casse, existent. Compter 5 000€ HT de droit d’entrée, une redevance annuelle de 5% du CA HT (dont 1% pour la com) et entre 10 000€ et 20 000€ d’investissement (retour prévu : entre 12 et 18 mois). Et, Big Brother bientôt coté en bourse.

Un antifa nommé Goldnadel

Le nouveau livre de Gilles-William Goldnadel dénonce les «fascistes» d’aujourd’hui: ils campent à l’extrême gauche. Et ils ont beau n’avoir rien à envier à leurs ancêtres d’extrême droite en matière de haine, de violence, de racisme et d’antisémitisme, ils bénéficient de l’inaltérable bienveillance des « grands » médias, notamment publics.


Gilles-William Goldnadel est un homme passionné, un avocat qui ne mâche pas ses mots, quand il parle comme quand il écrit. Son Manuel de résistance au fascisme d’extrême-gauche, sous-titré « les fachos ont changé de côté » lui ressemble : il va droit au but. Là où nombre de personnalités engagées dans ce combat se sentent tenues de donner quelques gages à la gauche culturelle par le biais de la théorie de la tenaille identitaire, selon laquelle à l’islamo-gauchisme conquérant correspondrait la poussée d’un identitarisme blanc, Gilles-William Goldnadel expédie assez vite ad patres l’un des manches de la tenaille, et assume pour sa part la bataille culturelle : « Je ne dis pas qu’il n’y a plus de fascistes à l’extrême-droite, mais j’affirme qu’en termes de quantité et de pouvoir de nuisance médiatique, il y a d’un côté une vieille alouette aux ailes rognées et de l’autre des troupeaux de jeunes chevaux sauvages qui saccagent nos vies avec leurs gros sabots. »

Goldnadel explore donc la réalité d’une extrême gauche qui justifie la violence politique, déteste les libertés, promeut le racisme et l’antisémitisme. Son livre ne prétend pas établir une analyse universitaire de l’islamo-gauchisme, mais illustrer par l’exemple son emprise sur nos existences et les complicités tant politiques que médiatiques ou universitaires qui lui permettent de prospérer.

La peur doit changer de camp !

« N’ayez pas peur » : bien que n’appartenant pas à la même tradition politique qu’Élisabeth Badinter, l’avocat doué d’une plume aussi alerte que sa parole commence son manuel de résistance par la même exhortation que la philosophe (et que le président Jésus, dirait Basile de Koch). Le 6 janvier 2016, elle n’avait pas hésité à déclarer dans la matinale de France Inter : « Il ne faut pas avoir peur de se faire traiter d’islamophobe. » En lisant Gilles-William Goldnadel, on constate avec lui que, depuis 2016, les accusations visant à rabattre le caquet de tout contradicteur se sont multipliées. C’est ainsi qu’aux procès en « islamophobie » se sont ajoutés ceux en « racisme systémique », « privilège blanc », « appropriation culturelle », « domination hétéro patriarcale blanche », « transphobie »… Ce cocktail où religion, race et sexe sont instrumentalisés en faveur de la censure du réel rendra folle notre société.

A lire aussi, Gilles-William Goldnadel: «Le scandale France Inter devrait être un thème majeur de la campagne»

Il remarque que là où le factuel devrait régner en maître, c’est-à-dire dans les médias, il est aboli dès qu’il dérange certaines représentations. Ainsi, selon que l’auteur d’un acte criminel est blanc ou noir, la presse mentionnera ou occultera son origine. Le plus souvent, celle-ci n’est mise en avant que si le criminel est blanc. L’avocat compare le traitement de nombre d’événements sous cet angle. Il évoque par exemple l’affaire de Charlottesville où une manifestante antiraciste fut écrasée par un camion conduit par un Blanc sympathisant sudiste, et un massacre de masse, perpétré dans le Colorado le 22 mars 2021 par un certain Ahmad Al Aliwi Alissa, venu de Syrie, dont les dix victimes étaient blanches. Il met en regard la quasi-occultation du massacre et le torrent de commentaires et d’analyses suscités par l’affaire de Charlottesville. Il revient également sur les viols de Cologne, commis par des migrants lors de la Saint-Sylvestre 2016 : presse et politiques s’étaient trouvés bien embarrassés par une affaire qui mettait en lumière les rapports violents des agresseurs aux femmes et à la sexualité, rapports largement explicables par les différences culturelles.

L’étonnante matinale de France Inter du 22 août 2021

Mais ces déroutantes différences de traitement selon les nuances chromatiques de la peau ou la religion s’observent également chez les artistes. Goldnadel se remémore l’épisode d’Aïssa Maïga comptant les Noirs lors de la cérémonie des Césars 2020, et nous invite à imaginer ce qui se serait passé si on avait envisagé de faire la même chose, le même jour, gare de Lyon, alors que des émeutes s’y déroulaient. Il rappelle aussi que les organisateurs du Festival de Cannes n’ont vu aucun inconvénient, un an plus tard, à choisir Spike Lee comme président du jury. Que celui-ci n’ait jamais occulté ses liens avec Louis Farrakhan, le leader de Nation of Islam, lequel ne cache ni sa haine des Blancs, ni son antisémitisme, ni son islamisme et trouve que « Hitler est un grand homme », ne les a pas gênés. « Imaginerait-on demander à un réalisateur blanc admirateur du Ku Klux Klan de présider un jury ? » nous demande l’avocat. La réponse est dans la question.

Franco-israélien, l’auteur montre enfin à quel point la haine d’Israël est réactivée par la haine du Blanc. « Dans l’inconscient collectif de l’islamo-gauchiste, le plus fanatique des Arabes palestiniens est aimable parce qu’il incarne l’altérité et le Juif israélien détestable parce qu’il défend les frontières d’un État-nation. L’extrême-gauche façon Plenel vénère le Juif déporté en pyjama rayé, elle voit l’Israélien qui se défend comme un Blanc au carré. » Et de raconter cette séquence surréaliste où sur France Inter, la sociologue Nonna Mayer et le président du MRAP Pierre Mairat réussirent l’exploit de débattre du retour de l’antisémitisme en incriminant la seule extrême droite, sans prononcer un mot sur le massacre de l’école juive de Toulouse, l’Hypercacher, Ilan Halimi, Sarah Halimi ou Mireille Knoll.

Bien d’autres exemples dans le livre viennent encore illustrer le phénomène. Pour expliquer notre situation, Goldnadel avance deux arguments : la haine de soi d’abord, et ensuite le magistère moral d’une gauche qui n’a eu de cesse de condamner le patriotisme ou le refus d’une immigration massive, tout comme, précise-t-il, elle a toujours refusé « de faire le procès du totalitarisme communiste ». Dans sa conclusion, il prend acte de la récente perte d’influence du gauchisme culturel sur le peuple. Ce qui doit conduire ce dernier à assumer son identité et à oser la colère, face aux tentatives de culpabilisation. Une colère saine, dépourvue de haine, de celles qui façonnent les résistants, pas les fachos.

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2022: nos politiques dans les starting-blocks

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Le président Macron est un immense espoir avorté pour la France, c’est entendu. Mais qui sont ses petits concurrents ? Philippe Bilger croque les candidats à moins de trois mois de l’élection.


Il y aurait tant de sujets plus sérieux à traiter… Les « féminicides » dont pour ma part je souhaiterais qu’on les intégrât dans la criminalité en général, même si j’admets le caractère spécifique du rapport de pouvoir et de la violence se substituant au langage souvent à la source de ces horreurs « intimes ».

Les propositions très pragmatiques et lucides des procureurs de la République dont la réflexion collective a d’heureux effets. Si on en retenait la plupart pour les appliquer, nul doute que la justice s’en porterait mieux. Il est intéressant de comparer cette approche très opératoire avec une tribune récente sur le statut du parquet, théorique et idéologique, sans la moindre incidence sur la justice réelle, au quotidien.

On pourrait m’inviter à traiter des sujets de fond en politique mais on devra admettre que depuis quelque temps, surtout à gauche et à l’extrême gauche, la psychologie des personnalités, la foire aux vanités et la lassitude devant d’incessants appels à l’unité sans la moindre chance d’être suivis d’effet, justifient ce que ma passion des tempéraments et mon désintérêt au fond pour des engagements qui seront à vérifier au feu du réel ne me conduisent que trop à faire : me plonger dans les êtres et les montrer tels que je les vois.

Commençons donc.

Fabien Roussel dont l’honnêteté, le bon sens, l’absence de démagogie sur certains sujets permettent même aux opposants résolus du parti communiste de ne pas s’étouffer face à certaines de ses autres considérations infiniment plus discutables. Il n’a aucune raison de ne pas camper sur ses positions autonomes.

Jean-Luc Mélenchon, insoumis peut-être mais très habile, le plus talentueux et parfois le plus convaincant médiatiquement, devenu apparemment si sûr de soi qu’il s’autorise une étrange modération à l’égard de ceux qui n’ont pas envie de rejoindre son giron qui vite les étoufferait, une certitude affichée (sans y croire ?) sur ses chances d’être au second tour, une intelligence, une inventivité, une richesse d’imagination, avec le mauvais caractère dont il se flatte, que paradoxalement je verrais mieux exploitées comme éminent conseiller plutôt que comme président qui forcément le limiterait.

L’inénarrable Christiane Taubira qui s’appuie sur ses échecs comme d’autres sur leurs réussites et qui à force de s’entendre répéter qu’elle était une icône a fini par y croire. Elle arrive à la fin tout enflée de son importance et s’imagine que l’annonce de sa participation à la primaire citoyenne va créer un immense mouvement de foule. Mais personne ne bouge ou quasiment. Je ne blâme pas la gauche. Elle a besoin d’idoles. Si elle les observait vraiment – par exemple lamentable garde des Sceaux -, elle n’en aurait pas. Alors elle brode et fantasme, qui pourrait le lui reprocher ? Une Taubira du vide pompeux et lyrique vaut mieux qu’une gauche vide de Taubira.

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Yannick Jadot en a assez et je le comprends. Il se bat pour une conception équilibrée, moins punitive, de l’écologie mais certaines municipalités ne cessent de lui préjudicier avec leurs absurdités. Il a déjà eu une primaire citoyenne avec une Sandrine Rousseau dont il a eu du mal à se dépêtrer, il n’a pas envie d’en recommencer une autre qui n’aurait aucun sens trois mois seulement avant l’échéance d’avril. Dans le passé, il a déjà pâti d’un comportement sacrificiel sur le plan politique : il n’est pas masochiste au point de vouloir le renouveler ! Au fond, parce qu’il tente douloureusement d’être un écologiste acceptable par tous, on ne cesse de lui reprocher d’être macroniste ou, pire, de droite. C’est sans doute pour ce qu’on lui prête que je l’apprécie mais je sais que je fantasme : il est de gauche et il coche toutes les cases d’un futur réfrigérant à force d’être sobre. Mais citoyen on n’est pas enfermé dans son camp : je me donne le droit d’estimer ailleurs !

Anne Hidalgo a fini par accepter le fait que sa réélection à la tête de la mairie de Paris a été un miracle que l’état de la capitale, sur tous les plans, rend de plus en plus scandaleux. Au moins elle n’a pas pu s’appuyer sur une gestion municipale calamiteuse pour nous vanter son avenir présidentiel avec elle. Coincée entre une surenchère quantitative et démagogique et un mépris infini pour ceux qui n’ont pas leurs signatures – il est vrai qu’ils sont à plus de 10 quand elle est à quatre ! -, elle cherche désespérément à favoriser une primaire pour que son fiasco individuel probable soit noyé dans un désastre global. Il y a tout de même une justice en politique : on ne peut pas tromper tout le temps l’électeur.

J’aime bien Arnaud Montebourg, son élan et son talent mais cela ne suffit pas pour que je l’insère dans mon portrait de groupe.

Éric Zemmour – ce « républicain radical » que j’apprécie mais pour lequel je ne voterai pas au cas où il aurait ses signatures (il est clair qu’on cherche à l’éliminer par ce biais si peu démocratique) – ne sera pas au second tour. Il continue certes son tour de France, applaudi par des soutiens persuadés du contraire. En même temps il me semble qu’il a déjà tout donné de ce pour quoi il avait décidé de se lancer dans la joute, ses thèmes seront encore au cœur des débats officiels mais j’éprouve comme l’impression, chez lui, d’une lassitude, moins physique qu’intellectuelle. Comme si l’enchantement et l’ivresse avaient dû céder la place au dur exercice d’un métier politique et que ce n’est pas drôle tous les jours. Vouloir « se payer » tous les jours Valérie Pécresse ou Marine Le Pen n’est sans doute pas à la hauteur des ambitions qui étaient les siennes. On lui fera peut-être jeter l’éponge mais lui-même ne la jettera pas. Il ira au bout d’une manière ou d’une autre. Sans vouloir être offensant, l’arrivée de l’évolutif Guillaume Peltier comme porte-parole ne modifiera pas la donne : ce dernier risque d’être plus questionné sur son parcours que sur sa destination. En tout cas, les médiocres ou haineux qui n’auront cessé de le traîner dans la boue en seront pour leurs frais : il méritait d’en être (même si j’ai toujours estimé que la « bête » médiatique, triomphateur dans tous les débats de ce type, aurait dû demeurer dans son extraordinaire registre).

Le député (ex-LR) du Loir-et-Cher Guillaume Peltier, La Marolle en Sologne, septembre 2020 © Vincent Loison/SIPA Numéro de reportage : 00982079_000009

Marine Le Pen sera peut-être au second tour mais elle perdra, de peu au mieux, face à Emmanuel Macron, encore royalement installé dans son simulacre de président hésitant et de candidat pourtant ostentatoire. Elle aura tout essayé pour se dédiaboliser, pour se normaliser, pour perdre le soufre en conservant la rupture mais l’un n’allait pas sans l’autre. Elle est devenue classique, responsable, comptable de ses pensées et de ses mots, une sorte d’anti-Zemmour dont elle prophétise le déclin et regrette l’hostilité. Jamais apparemment l’ombre d’un pessimisme chez elle : une femme de combat ; elle en a tant pris ! Le regret fugace, rejeté, honni, de ne pas s’appeler Marine Maréchal… ainsi tout aurait été métamorphosé. Mais Marine Le Pen ne rêve pas et se répète qu’il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre. Une dernière fois.

Valérie Pécresse a fait l’union autour d’elle et ce n’était pas simple. Mêler la vigueur, voire la roideur Ciotti à la fermeté douce Pécresse n’était pas un pari gagné d’avance. Ceux qui ont besoin des apparences et ne reviennent jamais sur les fausses images qu’ils cultivent ressassent que Emmanuel Macron et elle constituent une personnalité interchangeable. Guillaume Peltier fait semblant de partager cette absurdité. Rien n’est plus faux. Valérie Pécresse dominera ce contraste, qui peut gêner, entre la fermeté roborative d’un discours, toujours espéré, jamais entendu au niveau présidentiel depuis 2017, et le velouté civilisé d’une voix qui paraît la démentir. Mais on n’est pas obligé d’être une « grande gueule » pour être fiable. En réalité, sur elle, reposent beaucoup, trop, d’espérances. Ses soutiens veulent qu’elle gagne. D’autres attendent qu’elle l’emporte pour éviter la réélection d’Emmanuel Macron, qui serait pour eux le pire futur. Qu’elle n’oublie pas qu’elle est sollicitée de ces deux côtés. Parce que, si elle est au second tour, elle peut, elle doit le vaincre.

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Je ne peux pas finir sans évoquer le monarque devenu au fil du temps si peu républicain. Emmanuel Macron tel qu’en lui-même le nouveau monde entrevu l’espace d’une seconde et l’ancien poussé à son comble l’ont révélé. Intelligent, roué, cynique, humaniste quand il faut, déconstructionniste à l’étranger et pour complaire, adepte des convictions successives et contradictoires, des repentances à foison, des commémorations emplies de larmes et d’impuissance, s’affichant régalien tout à la fin, plein de lui-même, brutal à l’encontre de ceux qui ne lui font rien risquer, complaisant de compréhension molle et de verbe confortablement volontariste à l’égard de ceux qui, partout, dans les cités ou ailleurs, ensauvagent la France, convaincu d’être réélu, s’étant approprié le camp de la raison mais n’ayant pas négligé celui de la provocation, repentant mais à nouveau coupable le lendemain, transgressif dans la soie et le velours, jouant d’un favoritisme sans scrupule, nommant sans autre principe que son bon plaisir, certain que les promesses n’engagent que lui, donc nulles et non avenues, lettré mais sans excès, solitaire dans la pompe de soi, pour le paraphraser avec son fameux « Cuba sans le soleil »), lui, roi mais sans le soleil, méprisant les Français mais pas comme de Gaulle, en les faisant participer à une Histoire, à une épopée plus grandes qu’eux.

Emmanuel Macron demeurerait, non réélu, tel un immense espoir avorté, avec une gauche et une droite non pas dépassées mais survivantes, l’une apparemment défaite mais l’autre revigorée, et, s’il gagne à nouveau, comme la preuve que la politique n’est pas morale et que le suffrage universel souffle sur qui il veut. Avec la légitimité qui en résultera.

Qu’on ne voie pas dans ce portrait de groupe l’ombre d’une dérision à l’égard de quiconque. Je respecte profondément le service politique et républicain en gros même si j’ai quelques réserves au détail…

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Homais pèse sur nos vies. Non… Homais si!

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Un héros de Flaubert, ça ose tout ou… ça n’ose pas.


Pensons à l’apothicaire Homais : drapé dans ses certitudes de notable, fort de sa petite science, le pharmacien rayonne depuis son officine. Il darde sur son entourage une bêtise satisfaite, fascinante tant elle est impudique. Homais plastronne, Homais s’impose, Homais dévore. Son arme : débiter des platitudes ou des énormités d’un air paterne. Celles-ci sont prises pour argent comptant par un auditoire subjugué tant l’air d’autorité affiché pour les assener leur confère force et justesse. Il faut bien s’incliner devant la ténacité toute morpionesque de l’apothicaire qui n’a d’égal que son culot. Notre potard plastronnant finit du reste par recevoir, récompensé pour une bêtise triomphante autant qu’expansionniste, la croix d’honneur qu’il convoite.

Au prétexte que tout se vaut, nous partons à vau – l’eau

Frédéric Moreau est plus intelligent, certes, mais sans confiance en soi ni volonté de puissance. Baste ! Notre héros demeurera en lisière de la vie, sans consommer ni consumer celle-ci. Adolescent, il était, on s’en souvient, resté aux portes du bordel, ratant ainsi son rite de passage à l’âge adulte. L’affaire était d’emblée pliée… Embourbé dans la veulerie et la velléité, Frédéric ne connaît pas plus la plénitude de l’accomplissement que la pointe acérée de l’échec. Il mijote sans douleur jusqu’à l’âge d’homme, confit dans les vapeurs torpides de l’inaction, insensible à la morsure du ratage.

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Nés au vingtième siècle, nous avons lu L’Éducation sentimentale et nous avons ricané, goguenards. On n’allait pas nous la faire ! Quelle moule ce Frédéric ! Bien sûr, nous nous sommes furtivement reconnus en lui : « rêvant au plan d’un drame, à des passions futures. » Heureusement nous étions armés pour comprendre l’ironie du maître et saisir le message qu’il délivrait : « Sortez-vous les doigts du cul. » Nous avons vécu, un peu. Suffisamment pour nous rendre compte du triomphe actuel des Homais de tout poil et de la soumission de plus en plus résignée de tous les Frédéric.

En cette première moitié du XXIe siècle, Homais prospère, domine, se répand, subversif. Il s’agit d’assujettir, sous prétexte d’œuvrer pour le Bien et le Progrès, tous les Frédéric du monde. L’arme qu’Homais a trouvée pour parvenir à ses fins : atomiser avec aplomb l’individu sous couvert de l’aider à être qui ou quoi il doit être, surtout, le même. Fini les couleurs de peau, l’originalité des langues, des peuples, des cultures, des croyances, des religions. Niées les blessures de la vie ou celles de l’Histoire. Au prétexte que tout se vaut, nous partons à vau – l’eau. Rognés les dos d’âne de la vie, limée la bosse de l’injustice, anéantie la rudesse du hasard, adultérée la saveur de l’altérité. Ne vivons plus, dès fois qu’on en mourrait, contentons-nous d’être. Rejoignons le magma originel.

La promotion exacerbée du droit à la différence nous conduit sans faillir à l’indifférenciation, dans une indifférence qui mènera au différend dans le meilleur des cas, si les Frédéric se réveillent. Au pire, ils se sentiront de plus en plus, comme le dit Maupassant, : « écrasé sous le sentiment de l’éternelle misère de tout », pour le plus grand confort du Homais dominant qui continuera à araser le monde.

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Nos libertés en voie de disparition?

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Les bonnes vieilles libertés, non solubles dans la numérisation du monde et réfractaires à la nouvelle religion du distanciel, sont passées de mode. Analyse.


La France est-elle toujours un État de droit en bonne et due forme ? La question fait rage. François-Xavier Bellamy, pivot intellectuel des Républicains, s’inquiète depuis plusieurs mois du « délitement de l’État de droit » devenu, pour reprendre l’expression de Muriel Fabre-Magnan, « malade du Covid-19 ». Il est vrai qu’en ces temps où des lieux publics – restaurants, théâtres, salles de spectacle – sont réservés aux citoyens munis du précieux passe, où manger des chips dans le train est passible d’une amende, où les discothèques sont vues comme des boîtes à virus, où l’adolescence ne rime plus avec premiers flirts mais port du masque dans la rue, où la faible létalité du variant Omicron n’empêche pas la sinistrose de maintenir son couvercle sur le pays, où la santé est devenu l’unique sujet des présidentielles, le débat n’est pas seulement légitime. Il est impératif.

Menace sur nos droits fondamentaux

Certains de nos droits fondamentaux, sanctifiés depuis des décennies – dignité de la personne, protection de la vie privée, liberté d’aller et venir, droit à l’instruction – semblent chaque jour s’évanouir dans le cimetière des principes d’antan. Les restrictions se suivent et s’amoncellent, en une sorte d’arborescence technocratique – ou kafkaïenne – dont la logique échappe à tout le monde. C’est dans ce contexte que, quelques jours après des vœux qui suintaient la bienveillance, l’optimisme et l’unité, Emmanuel Macron a lancé, face aux lecteurs du Parisien, avoir « très envie d’emmerder les non-vaccinés jusqu’au bout ». Plus que sa grossièreté, condamnée par une grande partie de la classe politique, plus que la personnalisation dégradée du pouvoir qu’elle exhibe, cette formule révèle le sens de l’action du gouvernement : alors même que la vaccination n’est pas obligatoire, c’est en son nom que des millions de Français se voient interdits de café ou de cinéma. Boutés hors du champ du visible. Telle une masse de Gaulois réfractaires, les non-vaccinés n’ont d’autre choix que de s’adapter. La liberté ou la mort, disaient jadis les Révolutionnaires. La vaccination ou l’exclusion, clament aujourd’hui les Marcheurs.

A lire aussi: L’idéologie de la culpabilité et du ressentiment tire profit du «totem» de l’État de droit

Au-delà de l’illisibilité de toutes ces restrictions, c’est notre rapport à la liberté qui se joue. Qu’on le veuille ou non, ce que défendent les non-vaccinés, nébuleuse d’anti-vax, d’anti-passe et de sceptiques de tous bords, cousins des gilets jaunes dans leur rejet des institutions, c’est le maintien des libertés grégaires. D’une part, les anti-vax réclament le droit de refuser la vaccination – soit la mise en pratique de l’inviolabilité du corps humain, dérivé du principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne. D’autre part, les anti-passe revendiquent le droit à la libre circulation et au respect de la vie privée, garantis par les outils de protection des droits de l’Homme. Soit des libertés quasi primitives, reconnues de longue date par les juges, européens et nationaux.

Or, qu’observe-t-on en même temps ? D’un côté, en octobre dernier, le Conseil de l’Europe s’est lancé dans une campagne de promotion du voile islamique au nom de « la liberté dans la diversité » – heureusement avortée –, présentant le hijab comme « un choix » et un « droit humain ». Ou comment l’antiracisme militant, faux-nez du lobbying islamiste, se drape dans le manteau de tolérance de l’État de droit pour mieux le subvertir… D’autre part, en janvier 2021, la Cour européenne des droits de l’Homme a sanctionné la Roumanie pour sa loi refusant la modification du sexe à l’état civil sans opération chirurgicale préalable. La liberté de changer et de rechanger de sexe par simple déclaration est désormais un droit fondamental, intégré aux valeurs de l’État de droit brandi par l’Europe contre les démocraties « illibérales », la Hongrie et la Pologne en tête, brocardées pour leur attachement à la famille traditionnelle et aux valeurs chrétiennes.

Les bonnes vieilles libertés n’intéressent plus que la France périphérique

Bilan des opérations : une échelle des libertés se dessine. D’un côté, les tenants des libertés à l’ancienne, attachés au droit de sortir de chez soi, de « prendre un canon » au comptoir, comme veut les en priver Emmanuel Macron, ou de conserver la maîtrise de leur corps, sont dépeints tels d’infâmes réactionnaires englués dans leur ignorance. Pire, des « irresponsables » pas même dignes d’être des citoyens, pour reprendre les propos cinglants du président. De l’autre, les tenants des libertés à la pointe, placées sous l’égide du diversitaire ou de la fluidité de genre, sont perçus comme ceux que l’État de droit doit absolument choyer. Son public cible, pour parler comme un marketeur.

C’est ce clivage qui transperce notre époque. Les bonnes vieilles libertés, qui n’intéressent plus que la France périphérique et les râleurs d’un autre temps, non solubles dans la numérisation du monde et réfractaires à la nouvelle religion du distanciel, sont passées de mode. Les libertés dernier cri, qui fleurent bon le sociétal et le multiculturel, qui ont la saveur de notre période houellebecquienne où le contact humain se dissout, méritent quant à elles tous les égards. Avec le Covid, toutes les libertés ne sont pas en voie de disparition. Juste les premières d’entre elles.

Valérie Pécresse, carpette anglaise «à vie»?

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Entretien avec Paul-Marie Coûteaux, essayiste et directeur de la revue Le nouveau conservateur, aujourd’hui engagé dans la campagne d’Eric Zemmour. Réponses recueillies par Lucien Rabouille.


Lucien Rabouille. Valérie Pécresse est la candidate des Républicains, parti qui revendique une filiation gaulliste. Mais il y a un passif important, Valérie Pécresse est fameuse pour sa défense du protocole de Londres. Pouvez-vous revenir sur cette affaire ?

Paul-Marie Coûteaux. En fait de Londres, on est loin des conscrits de la France Libre ! Je sais bien que la seule vertu efficace du Général de Gaulle est de conférer aux minuscules qui abusent de son nom une illusion de grandeur – c’est en quelque sorte la vertu absolutoire du Général, dont on touche la statue pour faire oublier les grands et les petits péchés de chaque jour ; mais tout de même, ceux de la gaulliste professionnelle qu’est Valérie Pécresse sont trop patents, sur le sujet de la langue au moins, pour qu’elle puisse être absoute.

Commençons en effet par le Protocole de Londres : en 2008, comme ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, Mme Pécresse a délibérément milité pour que la langue française perde une de ses positions de force sur un sujet crucial de droit commercial international, la langue dans laquelle sont déposés les brevets pour faire foi. Depuis un demi-siècle, l’Office Européen des Brevets, dont le siège est à Munich, fixait que l’intégralité d’un brevet pouvait être déposé dans la langue de l’auteur, mais devait comporter en outre une traduction complète dans une des trois langues considérées comme langues économiques de l’Europe : allemand, français, anglais. Il y a vingt ans, Frau Merkel mit sur la table un curieux projet de réforme aux termes duquel seul un court résumé du brevet (sans ses stipulations techniques) pouvait être déposé en n’importe quelle langue, l’intégralité du brevet ne pouvant l’être qu’en anglais. L’hypocrisie est ici totale puisque justement, ce qui intéresse les entreprises, ce sont les spécifications techniques et que tout le monde travaillera sur la seule version complète, l’anglaise. Il en résulta un protocole signé à Londres en 2000 mais que ne ratifièrent pas alors la plupart des pays de l’UE. C’est que, pour ces réfractaires l’affaire était importante, non seulement parce qu’on écartait leurs propres langues, mais surtout parce que, ce faisant, on compliquait infiniment la vie de leurs petites et des moyennes entreprises qui, en ces matières techniques, devaient alors recourir à des traducteurs ou des avocats rompus à l’anglais technique, ou carrément Anglais ou Américains, ce que beaucoup ne pouvaient s’offrir.

Miss Pécresse n’a pas grand goût pour la défense du français parce qu’elle n’a pas grand goût pour ce qui est français: son monde, comme tant d’autres, c’est l’international ; elle fait partie de cette petite élite (ou oligarchie) qui ne voit pas ce que pourrait être la culture française  

La France a tenu bon jusqu’à ce que Valérie Pécresse cède en faisant valoir, notamment dans la presse, que l’on pouvait toujours obtenir une version en français, ce qui était fort hypocrite puisque seul pouvait l’être un court résumé à peu près inopérant. Beaucoup de parlementaires protestèrent (sur tous les bans) en particulier l’ancien Garde des Sceaux Pascal Clément qui montra avec précision combien la majorité des entreprises françaises seraient pénalisées, les exportatrices comme les importatrices. Une pétition, lancée notamment par Nicolas Dupont-Aignan recueillit même des dizaines de milliers de signatures. Mme Pécresse continua à mentir en affirmant dans un article du Figaro que les trois langues officielles gardaient leurs droits ! Mentir pour servir son pays pourrait se concevoir, mais mentir pour le desservir, c’est une honte.

Il n’y a pas que cette affaire… N’est-ce pas systématique chez elle ?

Oui. L’affaire de Londres ne fut pas un cas isolé. Cette dame, toute fraîche nommée ministre de l’Enseignement Supérieur, s’est transportée à Bruxelles pour y déclarer que, en matière de langue, elle entendait « briser les tabous» ; le tabou, en l’occurrence était de parler français à Bruxelles et Strasbourg, et Luxembourg, les trois « capitales » francophones de l’UE – que la France, rappelons-le, a voulu telles en faisant des concessions aux autres membres sur d’autres points. Longtemps, pour la France, la prééminence du français fut la condition de la construction européenne et la contrepartie d’abandons de souveraineté. Cette priorité pour la langue fut permanente – par exemple, Georges Pompidou ne donna son accord à l’entrée de la Grande Bretagne dans la « Communauté européenne » de l’époque qu’à la condition que les fonctionnaires britanniques y parlassent français – ce fut d’ailleurs un engagement du Premier ministre britannique de l’époque, Edouard Heath. Autre exemple, le rappel périodique adressé par les Premiers ministres successifs aux fonctionnaires français en poste dans les Institutions européennes de l’obligation de n’utiliser que le français au sein des institutions de l’Union – ainsi fit François Fillon, alors Premier ministre, dans une directive de 2007. Cela n’empêcha pas la ministre Pécresse de déclarer quelques mois plus tard, ex abrupto que la stratégie consistant à maintenir le français dans les instances de l’UE était contre-productive et que mieux valait recourir à l’anglais pour être mieux compris. Le Figaro l’a épinglée à l’époque pour ses déclarations fantastiques (Le Figaro du 28/02/2008). C’était en plus contredire le Premier ministre à angle droit !  

Victorieuse, Valérie Pécresse prononce son allocution à l’issue du second tour des élections régionales, Paris, 27 juin 2021 © Jacques Witt/SIPA Numéro de reportage : 01025718_000004

Or, une telle sortie allait très loin : cela ne voulait pas seulement dire que le français n’était plus une langue internationale, ce qu’aucun membre d’aucun gouvernement n’avait osé dire jusqu’alors ; ce n’était pas seulement envoyer promener la francophonie, et se moquer des Luxembourgeois et des Belges qui s’appliquent à parler français dans les institutions de l’UE (ainsi que bien d’autres représentants ou fonctionnaires de pays non francophones, des Italiens, des Portugais etc.) ; c’était aussi estimer que les imposants dispositifs de traduction (mais aussi d’interprétation et de terminologie) ne servaient plus à grand-chose. Or, je peux témoigner pour avoir été dix ans parlementaire européen que, si les dispositifs de traduction n‘existaient pas, la très grande majorité des députés français à Strasbourg et Bruxelles connaissaient trop mal l’anglais pour comprendre quoi que ce soit à ce qui se passe dans le Parlement où ils étaient supposés représenter les Français : délibérer et voter sans l’aide des interprètes revenait à travailler dans le plus parfait brouillard. Ou bien faudrait-il, dans la logique de la ministre, doubler l’élection de nos députés d’un sérieux examen d’anglais (préalable à leur élection ?), faute de quoi nul député français n’aurait servi à grand-chose.

Pour tant de gens modernes, la culture française ne signifie rien de spécial, sinon un embarras

Peu après, la même militante du « tout anglais », ministre de l’Enseignement supérieur, regrettait que les professeurs étrangers qui enseignaient en France ne puissent dispenser leurs cours en anglais – ou ce que devient l’anglais, c’est-à-dire l’anglo-américain. De même pour les enseignements techniques ; ce qui voulait dire en somme que les étudiants aussi devaient passer un examen d’anglais avant d’entrer à l’Université – assurant à cette langue un statut exorbitant à l’Université, puis, par-là, à nombre de domaines professionnels. Si nous multiplions ce genre de mesures, la France deviendrait bilingue en deux ou trois décennies, le français étant peu à peu réservé aux usages privés. Et ce n’est pas simple, ensuite, d’éviter que s’efface la langue qu’on dira alors «ancienne» : demandez aux Québécois ce qu’il en coûte en fait de vexations et d’efforts…

Valérie Pécresse vient de manquer de peu d’être primée par la carpette anglaise  – un fameux jury dont vous êtes membre.  

L’anecdote est presque drôle : il existe en effet un prix, dénommé « la carpette anglaise » (hélas, pas aussi fameux que vous le dites gentiment) distinguant chaque année une personnalité qui a d’une façon ou d’une autre, favorisé l’anglais comme langue d’usage en France ; ce prix est remis par un jury de douze personnes, représentants d’associations, linguistes et personnalités diverses comme Natacha Polony, Eugénie Bastié, Benoît Duteurtre et Philippe de Saint Robert, son président. Cette année, nous avons failli remettre ce prix à la dame Pécresse en tant que Présidente du conseil d’île de France, qui lance « l’easy pass », ignorant au passage la Loi Toubon ; certes, celle-ci est souvent bafouée, quelquefois même pas l’Etat – mais pas la RATP. On pourrait tout de même se montrer imaginatif en français, non ? Sinon, notre langue va tout simplement se ringardiser, s’étioler et disparaître.

Notre secrétaire général, Marc Favre d’Echallens, rappela in extremis que ladite Pécresse avait déjà reçu le prix douze ans plus tôt pour « avoir déclaré que le français était une langue en déclin et qu’il fallait briser le tabou de l’anglais dans les institutions européennes ». Or, il était difficile de remettre deux fois la capette à une même personne : elle l’a déjà, et c’est « à vie ». Quatre voix ne s’en portèrent pas moins sur elle ! Il y avait cependant un concurrent solide, son ancien ami (de parti) Gérald Darmanin, qui décida voici quelques mois de rendre toute nouvelle carte d’identité bilingue ; car, l’a-t-on remarqué, le français est désormais à égalité avec l’anglais sur nos cartes nationales d’identité – ce qui est tout dire de ladite identité. M. (ou Mr.) Darmanin l’a finalement emporté par sept voix, contre quatre pour une seconde carpette à notre abonnée.

On a envie de conclure que Valérie Pécresse fait partie de ces gens qui ont une culture bilingue… Plutôt étrange pour quelqu’un qui aspire à présider une République dont le préambule de la Constitution précise que la langue est le français.

Oui, une Constitution qui dispose d’autre part que le président de la République est son gardien ce qui ferait une double forfaiture… Tout simplement Miss Pécresse n’a pas grand goût pour la défense du français parce qu’elle n’a pas grand goût pour ce qui est français : son monde, comme tant d’autres, c’est l’international ; elle fait partie de cette petite élite (ou oligarchie) qui ne voit pas ce que pourrait être la culture française. Toute sa formation est d’ailleurs, comme on dit avec gourmandise « orientée à l’international », univers réputé américanophone. Pour tant de gens modernes, la culture française ne signifie rien de spécial, sinon un embarras.  

Certes, on pourrait dire que parler est une compétence attendue chez un chef d’Etat. Je suis conscient de l’atout que représente une bonne maîtrise de l’anglo-américain pour quiconque exerce une activité internationale. Mais à condition de ne pas en abuser, et tout miser sur l’anglais : j’ai souvent vérifié que celui qui parle espagnol avec des hispanophones, allemand avec des germanophones, arabe avec des arabophones etc. a une nette avance sur celui qui ne parle qu’anglo-américain. Ayant exercé des responsabilités au cabinet du S-G de l’ONU à New-York, je peux témoigner que, si la maitrise de l’anglo-américain est certes précieux, il est dangereux d’y recourir en toutes circonstances : bien souvent, le plus efficace est de recourir à la traduction ou l’interprétation simultanée – qu’elle soit humaine ou numérique, les derniers progrès en ce domaine permettant de remettre les langues principales à égalité. Rien ne vaut, pour le savoir, que de participer, comme je l’ai fait cent fois à Bruxelles, Strasbourg ou New-York, à une réunion en tout anglais dans laquelle un Japonais répond à un Texan qui répond à un Congolais, qui répond à un Polonais etc. Je garantis que le niveau de compréhension des participants est assez faible…

Dans toutes les missions internationales que j’ai pu exercer, au Quai d’Orsay ou ailleurs, je me suis fixé une règle dont je me suis bien porté : dès que possible recourir à l’interprétation. Ainsi, je travaillais dans ma langue et restais maître de ce que je disais : qui parle dans une autre langue soumet sa pensée à cette autre langue, alors que celui qui travaille dans sa langue soumet sa langue à sa pensée : c’est nettement plus sûr. Et pendant que le traducteur traduit, on a le temps de réfléchir – précaution souvent utile, que Mme Pécresse aurait tort de négliger…

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[Vidéo] Causons! Colloque anti-wokiste à la Sorbonne

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Est-ce le début de la fin du wokisme?


L’idéologie wokiste semble avoir conquis les universités occidentales. Elle étend son pouvoir sur l’école et sur une grande partie des médias, des entreprises et des partis politiques traditionnels. Le moment est-il enfin venu de lancer une grande campagne de reconquête de tout ce terrain perdu ? Pour trouver la réponse, Jeremy Stubbs, notre directeur adjoint de la rédaction, s’est rendu vendredi et samedi à la Sorbonne où le Collège de Philosophie organisait un grand colloque intitulé: «Après la déconstruction: reconstruire les sciences et la culture. » Le colloque était inauguré par le Ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer lui-même, le signe peut-être que le président Macron cherche à prendre ses distances par rapport à l’extrémisme progressiste – à des fins électorales ?

A programme, des universitaires distingués de France et d’ailleurs, comme Pierre-Henri Tavoillot, Pierre Vermeren, Pascal Perrineau, Pierre-André Taguieff, Jean Szlamowicz, Bruno Chaouat, Sami Biasoni, Berhard Rougier, Florence Bergeaud-Blacker, Jean-François Braunstein, Nathalie Heinich, Anne-Marie Le Pourhiet ou Eric Anceau… Mais aussi des intellectuels et des témoins comme Pascal Bruckner, Mathieu Bock-Côté, Pierre Jourde, Helen Pluckrose, Boualem Sansal.

À lire aussi, Jean-Paul Brighelli: Vous avez dit woke?

Tous ont une expérience directe de l’idéologie wokiste et de la cancel culture que pratiquent ses zélateurs. Tous sont prêts à combattre les idées destructrices que cette idéologie promeut… Retrouvez notre reportage sur place. Les anti-wokistes doivent relever deux défis immédiats: forger une alliance puissante, un front commun, et briser l’alliance wokiste. À suivre…


La citation de la semaine est la suivante: de qui est-ce, selon vous ?
Postez vos réponses en dessous de la vidéo, sur YouTube.

« La pensée est […] une chose admirable et incomparable par sa nature. Il fallait qu’elle eût d’étranges défauts pour être méprisable. Mais elle en a de tels que rien n’est plus ridicule. Qu’elle est grande par sa nature, qu’elle est basse par ses défauts. » 

Heureuse comme une Albanaise à Lesbos

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Paysage de l'île de Lesbos, image d'archive Unsplash

« Mais pourquoi, quand on parle des migrants à Lesbos, ne parle-t-on que des Afghans, des Pakistanais ou des Syriens et jamais de nous ? »


Sa question à peine posée, Eleonora sourit avec malice, car elle sait bien que ladite question est éminemment rhétorique. « Nous », ce sont les Albanais de Lesbos. Ils y sont environ 5000 sur une population d’un peu plus de 80 000 habitants [1]. Environ, car entre ceux que la dégradation de la situation de l’emploi en Grèce pousse à prendre le chemin du Nord de l’Europe, ceux – très rares – qui sont gagnés par le mal du pays et ceux qui accèdent à la nationalité grecque, les chiffres concernant la population albanaise fluctuent selon un mode capricieux. Au village d’Antissa, situé à l’Ouest de Lesbos, ils sont une centaine sur 700 habitants. Et parfaitement assimilés (tant pis pour le gros mot !)

Eleonora Kryemadi

Si l’on ne compte pour le moment qu’un seul mariage mixte à Antissa, tous – Grecs et Albanais –  fréquentent les mêmes cafés et tavernes du village et y partagent souvent la même table. La seule ouzéri [2] d’Antissa est d’ailleurs tenue par Apostol Zeneli, un Albanais qui, le 28 octobre, jour de la Fête Nationale, a accroché un gigantesque drapeau grec sur la façade de son établissement, drapeau qu’il n’a retiré qu’après le 8 novembre, date à laquelle on célèbre le rattachement de Lesbos à la Grèce en 1912. C’est à deux pas de sa taverne que, le 21 août dernier, tout le gratin de l’île – gouverneur de la région en tête –  s’était retrouvé pour honorer la mémoire de Yannis Fotiadis, député centriste de Lesbos décédé en 1969. À deux enfants du village avait été confiée la tâche de porter les gerbes ; les institutrices avaient désigné un jeune garçon dont la famille est « grecque depuis Périclès » (son père dixit) et la petite Rallou, Albanaise. Elle n’était pas peu fière, Rallou, quand Taxiarchis Véros, le maire de Lesbos-Ouest, lui a passé affectueusement la main dans les cheveux.

Une intégration réussie

Si ce sont les hommes qui, les premiers, ont débarqué d’Albanie sur l’île (pour la cueillette des olives, l’une des principales richesses locales avec l’élevage des moutons et la production d’ouzo – on compte à Lesbos une vingtaine de marques différentes), ce sont les femmes qui expriment le plus spectaculairement l’intégration si réussie de la population albanaise dans la patrie de Sappho. Eleonora Kryemadi et Linda Kotsi sont deux d’entre elles.

Linda Kotsi

Elles sont toutes deux originaires de la petite ville de Gramsh, située au Sud de l’Albanie, et toutes deux mariées très jeunes à des hommes que leurs familles avaient choisis pour elles. Linda, fille d’un ouvrier agricole du kolkhoze local, a quitté Gramsh pour la Grèce en 2002 à l’âge de 19 ans avec son mari Tomorr et leur bébé Eneriko. A Gramsh, Tomorr était sans emploi. La vie du jeune couple étant très précaire, ils décidèrent, comme tant d’Albanais depuis les années 90, de fuir la misère et la corruption et de tenter leur chance en Grèce. Après un bref passage dans les Sporades, où Tomorr avait exercé plusieurs petits boulots six ans auparavant, ils prirent la direction de Lesbos et se fixèrent à Antissa. Leur première décision, à l’instar de la plupart de leurs compatriotes, fut de changer de prénom : Tomorr devint Alexis et Linda jeta aux oubliettes son trop exotique Maïlinda de naissance. Elle apprit le grec très vite, sur le tas, sans leçons. Elle le parle aujourd’hui comme une native, sans le moindre accent et emploie même avec aisance le dialecte de la région truffé de mots d’origine turque – 450 ans d’occupation, cela marque une langue. Le deuxième fils de Linda, Yorgos, est né à Lesbos. Il a aujourd’hui 13 ans et « est Grec à 200% », selon sa mère. Il devra cependant attendre encore un an avant d’être naturalisé, car le droit du sol ici est conditionné. Neuf ans de scolarité assidue en Grèce sont exigés. « C’est une bonne mesure » commente Linda. Le frère ainé de Yorgos, qui suit des études d’informatique à Kavala, le grand port à l’Est de Thessalonique, est lui déjà Grec. Grec, mais toujours musulman… même si depuis le baptême de son petit frère il n’écarte pas l’éventualité de se convertir à l’orthodoxie. Est-ce justement parce qu’il est musulman qu’il a gardé son prénom albanais ? « Eneriko ? Pas du tout ! répond Linda en riant. C’est à moi seule qu’il doit son prénom. C’est la traduction en albanais de l’espagnol Enrique. Je suis une fan du chanteur Enrique Iglesias… et, en grec, il n’y a pas d’équivalent. » L’été, Linda est aux fourneaux du restaurant Alfresco que Pavlos, le patrondu Kati Allo [3], la principale taverne d’Antissa, a ouvert sur la plage de Gavathas il y a trois saisons. En septembre, elle remonte au village et reprend, aux côtés de sa belle-sœur et de la femme du patron, son rôle de caryatide du Kati Allo. Une caryatide aux yeux immenses dont le fin visage, sous le casque noir des cheveux portés courts, fait immanquablement penser à Sophia Loren période « La Ciociara ».

A lire aussi, Nicolas de Pape: Pape François: un immigrationniste au Vatican?

Âgée de 45 ans, Eleonora est un petit bout de femme tout en rondeur. Rien d’aigu en elle, si ce n’est sa voix que l’on entend de l’Hadès à l’Olympe quand elle plaisante avec les vieillards qui sirotent leur café grec sur la place. Employée à la boulangerie d’Antissa, Eleonora commence très tôt sa journée de travail qu’elle poursuit l’après-midi en faisant des ménages. L’été, quand les Antisséens d’Athènes, de Toronto, de Sydney et du Queens sont de retour et que la population du village fait plus que tripler, elle fait l’extra au Kati Allo. Alors, pendant deux mois, elle ne dort que deux à trois heures par nuit. C’est que deux de ses enfants sont encore scolarisés et que les études coûtent cher, surtout quand elles ne se mènent pas à Lesbos. « Heureusement, Elena, mon ainée, a fini son mastère de droit et vient d’être embauchée par un cabinet juridique ! » Missir, le mari d’Eleonora – le seul Albanais du village à ne pas avoir opté pour un prénom grec (par fidélité à sa famille et non par conviction religieuse) – exerce lui aussi trois activités professionnelles : maçon dans une petite entreprise locale, ouvrier sur le chantier de la future quatre-voies et éleveur de moutons. « Même quand les enfants étaient petits, il fallait qu’on ait plusieurs emplois pour payer l’école » dit Eleonora qui pointe du doigt les frontistiria (cours particuliers incontournables en Grèce si l’on veut réussir du CP au bac). « Avant qu’Elena n’entre à l’université, on en a eu jusqu’à 1000€ par mois pour tous les trois, alors quand j’entends les journalistes de Sky [4] pleurnicher sur les lathrométanastés [5] à qui on octroie 450€ mensuels pour se tourner les pouces à Mavrovouni [6]… » Eleonora ne termine pas sa phrase, elle déteste se plaindre et préfère évoquer ses participations à la grande manifestation du 22 janvier 2020 sur le port de Mytilène et aux “Trois Glorieuses” de Lesbos qui, les 25, 26 et 27 février de la même année, ont vu les habitants de l’île affronter les MAT [7] en criant « Ochi ! » (non !) à l’installation d’un nouveau camp pour migrants à Karava. « J’ai vu notre maire se faire frapper par un robocop, dit-elle… Je l’aime bien Véros. En revanche, Kitélis, c’est un vlachos [8] celui-là ! Même si j’ai apprécié qu’il ait boudé le Pape l’autre jour [9]. Lui non plus, je ne l’aime pas, le Frangkiskos. » « D’ailleurs, de quel droit il vient nous faire la leçon ? intervient Linda. En quoi ça le regarde ? »

Remontées contre le Pape François

 « S’il y avait eu une manif pour protester contre sa venue, j’y serais allée, ponctue Eleonora. De toute façon, il n’y avait personne pour l’accueillir à part une poignée de migrants. De l’aéroport à Kara Tépé, il n’y avait pas un chat sur sa route. Kanéna ! [10] »

Si Linda se sent totalement grecque, tout en sachant qu’elle a peu de chances d’accéder un jour à cette nationalité, tant les questions de l’examen (maîtrise de l’écrit, connaissances historiques, etc.) sont pointues, Eleonora confesse « Ma patrie, c’est l’Albanie, même si j’aime beaucoup la Grèce. Ce que j’aime surtout ici, c’est la religion. » Elle, qui se dit agnostique, adore ces fêtes – tout particulièrement celle de Pâques – où la fonction de ciment social de l’orthodoxie est si perceptible. Alors, retourner définitivement en Albanie ? « Je ne crois pas, dit Eleonora, et pourtant j’y ai toujours mes parents. » La réponse de Linda est plus franche encore : « Ah ! sûrement pas ! Même pour les vacances. »


[1] Sur les 4,5 millions d’Albanais, un tiers vit actuellement à l’étranger, principalement en Grèce et en Italie.

[2] Taverne qui ne sert que des mézés.

[3] Kati Allo signifie « Quelque chose en plus ».

[4] Télévision privée grecque.

[5] Les migrants illégaux, les clandestins.

[6] Camp qui a remplacé celui de Moria incendié par des migrants en septembre 2020. Ce camp est situé sur un ancien terrain militaire dans le quartier de Kara Tépé.

[7] CRS grecs.

[8] Efstratios Kitélis, maire de Mytilène, la capitale de Lesbos. Vlachos signifie à peu près « plouc ».

[9] Lors de la visite éclair du pape François à Lesbos le 5 décembre, seuls les représentants de l’État grec avaient fait le déplacement pour l’accueillir.

[10] Personne !

L’École selon Zemmour

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Le programme pour l’école proposé par Éric Zemmour n’a pas tout à fait convaincu notre chroniqueur, qui en sait un peu plus long que le journaliste sur les problèmes de l’Education en France.


Le Z (comme Zorglub) a donc rendu sa copie : l’école sera celle de son enfance, ou ne sera pas. On rétablira le Certificat d’Études en guise d’examen d’entrée en sixième (ignore-t-il vraiment que le redoublement, qui doit être proposé quand il n’y a pas d’autre solution, n’est pas en soi une solution ?), les CPE redeviendront surveillants généraux. Et les élèves porteront une blouse grise — qui n’a jamais été obligatoire par le passé, et qui n’établirait que pour la galerie une égalité sociale qui ne se décrète pas.

Hmm… Il a oublié les coups de règle sur les doigts.

Interdire l’écriture « inclusive », certes. Mais après ?

D’autres propositions méritent que l’on s’y arrête. Supprimer le collège unique est une nécessité — reste à savoir comment on réorganise le premier cycle. Proposer des primes aux enseignants n’est pas absurde, mais ça ne se fera pas sur la base de l’évaluation de leurs compétences pédagogiques (qui en jugerait ?). La seule solution serait d’offrir des primes substantielles (disons 500€ par mois) à ceux qui accepteraient de travailler dans des académies déficitaires. Et à condition d’avoir largement remanié le processus de mutations, en multipliant par exemple les « postes à profil ». Mais c’est sans doute trop technique pour le Z, qui dispose pourtant, m’a-t-il dit, d’une « cellule Éducation » bourrée d’experts compétents.

Quant à l’idée qu’augmenter les salaires, les plus bas d’Europe, elle serait « démagogique », eh bien, essayez de vivre et d’enseigner en région parisienne avec 1500€ par mois : c’est ce que touche un néo-certifié après six ans d’études et un concours qui n’est pas donné…

À lire aussi, du même auteur: Vous avez dit woke?

Le Z se fait des idées sur l’école privée, « qui fait un boulot formidable » : il est tout aussi contaminé que le public par des idéologies pédagogiques délétères. Il y a du bon et du mauvais privé, du bon et du mauvais public.

Et pour ce qui est de supprimer toute forme d’idéologie à l’école… En mettant un gauleiter derrière chaque enseignant ? En transformant les parents d’élèves en délateurs ? Non seulement la neutralité ne se décrète pas, mais elle est une pure vue de l’esprit, en Histoire ou en Lettres. Interdire l’écriture « inclusive », certes. Mais après ?

L’école devrait se soucier d’enseigner les maths et la grammaire, de réformer les programmes (mais qui les écrira ?) et de mieux former les maîtres « dans des Écoles Normales » : Éric, tu es sérieux ? Qui y enseignera ?

Supprimer les langues étrangères en primaire, certes — mais en expliquant qu’il ne sert à rien d’apprendre une langue quand on ne maîtrise pas la sienne. Bien sûr que j’approuve l’idée d’enseigner à nouveau les classiques. Mais il faudrait d’abord que les enseignants, recrutés dans des filières où on leur a davantage parlé de Lagasnerie que de La Fontaine, soient mieux formés. Et cela suppose une mise sous tutelle de l’enseignement supérieur, voire une réforme des règles de la fonction publique.

Le projet d’un « grand ministère »


L’idée d’un « grand ministère » n’est pas absurde, on devrait réunir Ministère de l’Education et Enseignement Supérieur sous la même houlette. Mais pourquoi vouloir y mêler la Culture ? D’ailleurs, a-t-on réellement besoin d’un ministère de la Culture ? Nous sommes le seul pays à en avoir un, et personne ne nous envie la rue de Valois. Quitte à être libéral, autant laisser les acteurs de la Culture se dépatouiller.

Bien sûr que la prochaine campagne devrait tourner autour de la culture, du sentiment de perte civilisationnelle, de l’identité culturelle. Mais l’école ne changera les choses, au niveau culturel, qu’en une vingtaine d’années au minimum : le temps scolaire est un temps long.

À lire aussi, Laurence Simon: Tu seras une femme, mon fils

Et pour cela, il faudrait préciser quel français on veut apprendre aux enfants (celui du Grand Siècle ?), quelles méthodes d’apprentissage de la lecture / écriture seront privilégiées. Et il est inutile de les imposer, 80% des « professeurs des écoles » n’ont aucune idée des méthodes alpha-syllabiques disponibles et hurlent au « caporalisme » quand Blanquer prétend leur imposer (à, Paris déjà) une méthode alpha-syllabique cohérente.

D’ailleurs, déjà que l’on a du mal à recruter des enseignants, quelles mesures, dans ces propositions superficielles, inciteraient un étudiant de Première année à se destiner à l’enseignement ? La promesse de primes en fonction de leur rectitude pédagogique ?

À propos, quid du Bac ? Un programme se lit autant par ce qu’il révèle que par ce qu’il occulte. Le Bac n’est pas tenable en l’état — et quels parents accepteraient des taux de réussite identiques à ceux des années 1960, 60% de réussite parmi des élèves de terminale qui ne représentaient que 20% d’une classe d’âge. Le Bac doit être remplacé par un vrai Certificat de fin d’études attribué à tout le monde — puis on laissera les universités se débrouiller avec les dossiers. Même le système des prépas doit être repensé, il a amené (à Paris particulièrement) des distorsions insupportables sous prétexte d’élitisme républicain. L’élitisme républicain ne consiste pas à regrouper des héritiers à Henri-IV. Il a pour objet d’amener chaque élève au plus haut de ses capacités. Et ça, ça ne se décrète pas, ça se construit.

Ce sont au final les propositions d’un amateur. Zemmour m’a dit disposer d’une « cellule Education » de haute tenue. Eh bien en vérité je vous le dis : ils rateraient l’examen d’entrée en sixième — sans parler de celui d’entrée à l’Elysée.

PS. Je ne commente pas les autres volets de ce programme, je n’ai pas de compétences en économie, ni en sécurité, ni… Contrairement au Z, qui comme les papes dispose désormais de l’infaillibilité.

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Non, le conflit syrien n’est pas une guerre climatique!

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Un éleveur et son troupeau, province d'Idlib, 30 mai 2021 ©Anadolu Agency via AFP

L’universitaire britannique Jan Selby démonte la thèse défendue par l’élite politique et intellectuelle mondiale selon laquelle la guerre en Syrie s’explique par le réchauffement climatique. Si les sécheresses à répétition sont une réalité, les racines du conflit se trouvent bien dans le régime des Assad.


« La Syrie est un excellent exemple de l’impact du changement climatique sur des problèmes préexistants tels que l’instabilité politique, la pauvreté et la rareté des ressources », a déclaré début 2021 Jamal Saghir, professeur à l’Institut d’étude du développement international de l’université McGill et ancien directeur à la Banque mondiale. Pour Saghir, comme pour l’ancien président des États-Unis, Barack Obama, et des centaines de milliers de journalistes chercheurs et autres faiseurs d’opinion, la Syrie était un cas d’école de migrations dues au climat. Une grave sécheresse, aggravée par le réchauffement climatique, aurait poussé des centaines de milliers d’agriculteurs à abandonner leurs cultures et à se réfugier dans les villes, puis cet exode rural aurait déstabilisé la société syrienne et contribué à déclencher la guerre civile. C’est la thèse défendue dans le National Geographic du 2 mars 2015 [1]. Le célèbre magazine cite un rapport, paru dans les Actes de l’Académie nationale des sciences des États-Unis et démontrant, chiffres à l’appui, que les pénuries d’eau dans le Croissant fertile en Syrie, en Irak et en Turquie ont décimé le bétail, fait grimper le prix des denrées alimentaires et forcé 1,5 million de résidents ruraux à se réfugier dans les banlieues des villes syriennes déjà surpeuplées, au moment même où le pays faisait difficilement face à un afflux d’immigrants fuyant la guerre en Irak. Si les auteurs reconnaissent que de nombreux facteurs ont conduit au soulèvement de la Syrie, notamment la corruption et l’incurie des dirigeants, sans oublier la croissance démographique massive, une fable simpliste simple commence alors à se propager : la guerre catastrophique en Syrie est au moins en partie causée par le changement climatique d’origine humaine.

Une « avant-première »

Les dirigeants politiques occidentaux, les organisations internationales, les ONG environnementales et d’innombrables commentateurs universitaires, activistes et médiatiques ont tous défendu cette thèse. Tant au sein du courant « mainstream » qu’au sein de la pensée radicale verte et rouge-verte, le conflit syrien est considéré comme une « avant-première » de ce qui attend le monde alors que la planète se réchauffe. Jan Selby, spécialiste en géopolitique et climat à l’université de Sheffield, s’est attaqué à ce qui semblait être une évidence. Ses conclusions sont édifiantes – et terrifiantes. L’élite politique et intellectuelle mondiale a pris pour argent comptant une thèse bancale fondée sur des erreurs factuelles et analyses douteuses [2].

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Même si les phénomènes climatiques ne peuvent pas être entièrement écartés de la liste des causes de la catastrophe syrienne, le récit d’un « conflit climatique syrien » ne tient pas debout. Pire, il masque ce qui s’est réellement passé dans la Syrie rurale dans les années précédant le déclenchement de la guerre civile en 2011, à savoir une crise économique et politique. Surtout, cette histoire sert parfaitement les intérêts du régime, trop heureux de pouvoir détourner l’attention de sa responsabilité accablante. Autrement dit, la Syrie n’est pas un exemple de ce qui nous attend avec le réchauffement de la planète, mais plutôt de la manière dont le climat va devenir l’alibi des échecs et incuries des dirigeants politiques.

Une sécheresse record en 2007-2008

Indéniablement, une grande partie de la Syrie et de la Méditerranée orientale ont connu une sécheresse exceptionnellement grave dans les années qui ont précédé le début de la guerre civile en Syrie. L’année 2007-2008 a été la plus sèche jamais enregistrée dans le nord-est du pays, tout comme la période entre 2006 et 2009. Et cette sécheresse peut être imputée de manière très plausible au dérèglement climatique. Selon le récit consensuel, cette sécheresse longue et terrible aurait entraîné un effondrement de la production agricole, poussant 2 à 3 millions de personnes dans l’extrême pauvreté et déplaçant environ 1,5 million de personnes du nord-est vers Damas, Alep et la ville méridionale de Deraa, berceau de la rébellion. Sauf que sur ces points précis, les preuves sont faibles. L’affirmation selon laquelle 2 à 3 millions de personnes ont été plongées dans l’extrême pauvreté par la sécheresse de 2006-2009 provient de données du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) sur les niveaux de pauvreté antérieurs à la sécheresse. Quant aux 1,5 million de personnes déplacées, c’est encore pire : ce chiffre est issu d’un seul bulletin d’information humanitaire, très probablement sur la base d’une mauvaise interprétation. La source citée (une estimation des Nations unies) parle des « personnes touchées » et non pas des « personnes déplacées » par la sécheresse. Utilisant les chiffres fournis par le gouvernement syrien lui-même, l’ONU a conclu que 40 000 à 60 000 familles avaient été déplacées pendant la sécheresse. Or, celle-ci n’a pas été le seul déclencheur de la crise économique et des migrations avant 2011. Un décret présidentiel de 2008, qui a renforcé les restrictions sur les ventes de terres dans la province de Hassaké, à l’extrême nord-est du pays, a entraîné la perte de nombreux droits fonciers et joué un rôle décisif dans l’exode du nord-est vers les centres urbains de la Syrie. Enfin, pendant les années 2008-2009, la Syrie rurale a été frappée par une très forte augmentation des principaux coûts de production agricoles : les subventions aux carburants ont été réduites de moitié, entraînant une hausse de 342 % du prix du diesel, les subventions aux engrais ont été supprimées, entraînant une hausse des prix de 200 à 450 %. On peut imaginer les conséquences dramatiques de l’explosion du prix des carburants sur les agriculteurs qui en dépendent pour pomper l’eau et irriguer leurs cultures. Par ailleurs, un certain nombre de pays voisins ont connu, entre 2006 et 2009, une diminution de précipitations équivalente – ou, dans le cas de l’Irak, encore plus importante –, mais aucune crise migratoire comparable. Les migrations intérieures en Syrie semblent donc explicables par des causes spécifiques à la Syrie.

La corrélation entre la migration due à la sécheresse et le début de la guerre civile est encore plus hasardeuse. Selon les tenants de la thèse du « conflit climatique », les déplacements induits par la sécheresse ont provoqué un « choc démographique » dans les périphéries des centres urbains syriens, exacerbant les tensions socioéconomiques déjà existantes. Pourtant, les villes syriennes ont connu une croissance rapide tout au long de la décennie qui a précédé la guerre civile, et pas seulement pendant les années de sécheresse. D’après les calculs de Jan Selby et son équipe, la migration excédentaire en provenance du nord-est en 2008-2009 n’a représenté que 4 à 12 % de la croissance urbaine de la Syrie entre 2003 et 2010.

Rien ne prouve non plus que les migrants du Nord-Est aient été largement impliqués dans les manifestations du printemps 2011. À Deraa, où beaucoup se sont établis, aucune des revendications des manifestants ne concernait directement la sécheresse ou la migration [3].

Hassaké, principal grenier de la Syrie

Après avoir réfuté méthodiquement le conte de fées de la « première guerre du climat », Selby et ses collègues proposent une explication alternative. Pour eux, les événements intervenus dans le nord-est de la Syrie avant la guerre civile s’expliquent par une crise agraire structurelle profonde qui remonte au moins à 2000. Dans le province de Hassaké, la production des deux principales cultures stratégiques désignées par le gouvernement, le blé et le coton, était en déclin depuis le début du siècle. Les terres et les habitations ont été abandonnées bien avant la sécheresse et au cours de cette période, Hassaké s’est vidée de ses habitants à un rythme plus élevé que toute autre province syrienne. Et les raisons de cette saignée démographique sont à chercher dans la politique syrienne de développement.

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À partir des années 1970, le régime baasiste syrien a poursuivi un programme de développement agraire favorisant l’expansion rapide du secteur agricole du pays, y consacrant une partie de l’aide soviétique et des revenus pétroliers. Ce programme impliquait, entre autres, d’importants investissements dans les infrastructures d’approvisionnement en eau ainsi que le financement du forage de puits privés. Cette politique a été complétée par le contrôle des prix des cultures stratégiques – bien supérieurs à ceux du marché international –, l’effacement annuel des pertes des fermes d’État et d’importantes subventions pour alléger le coût de la production agricole. 

La production de cultures stratégiques a donc artificiellement augmenté et la Syrie est passée du statut d’importateur à celui d’exportateur net, notamment pour le blé. Or, le modèle reposait sur la surexploitation des ressources en eau, notamment des nappes phréatiques, un problème devenu critique au début des années 2000. En prime, l’agriculture syrienne est devenue dépendante du diesel bon marché.

Avec l’arrivée au pouvoir de Bachar el-Assad en 2000, la Syrie a décidé de libéraliser son économie : privatisation des fermes d’État et du commerce, allègement du contrôle des prix. La réduction des subventions a été le coup de grâce. La production de cultures stratégiques a chuté, entraînant une migration massive des campagnes vers les villes, indépendamment de la sécheresse.

L’armée syrienne en patrouille au milieu des champs, province de Hassaké, 5 novembre 2019 ©Delil SOULEIMAN / AFP

Ces changements ont considérablement affecté Hassaké, principal grenier de la Syrie. Aucune autre région du pays n’était aussi dépendante des eaux souterraines pour l’irrigation, donc des prix du carburant. En outre, c’est dans le nord-est de la Syrie que la pauvreté était la plus grande. Hassaké paie aussi le choix de l’État syrien d’en faire une région de monoculture du blé. Ces mesures, écrit Selby, s’expliquent notamment par la volonté du régime d’arabiser cette région frontalière au détriment de la population kurde. Pendant l’apogée du développement agraire baasiste, la population et le secteur agricole de Hassaké se sont développés comme nulle part ailleurs. Avec l’effondrement de ce modèle, la crise rurale et l’exode rural ont renversé la tendance.

Une mystification qui arrange le régime

Face à cette masse d’informations facilement accessibles et connues des nombreux spécialistes de la région, Jan Selby s’interroge : comment autant de commentateurs, décideurs et faiseurs d’opinion occidentaux ont-ils fini par adopter le récit simpliste – et faux – liant directement changement climatique, migration et guerre civile en Syrie ? La réponse de Selby est que le régime de Bachar el-Assad a joué un rôle fondamental dans cette mystification. Ainsi le gouvernement emmenait-il régulièrement des diplomates dans le nord-est du pays pour leur démontrer que tout venait du réchauffement climatique. Ce récit providentiel (pour Damas) a été confirmé par des rapports officiels de l’ONU qui se gardaient de toute critique de la politique syrienne. Les médias internationaux, friands de catastrophes climatiques et peu habitués à critiquer les vérités onusiennes ont fait le reste.

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Cette intox a culminé en 2015, à l’occasion de la COP21 réunie à Paris, où elle a été reprise en chœur par de nombreux politiques et commentateurs pour illustrer l’urgence absolue d’une action internationale pour limiter les émissions de gaz à effet de serre.

Les failles et les biais de ce récit particulier de la crise climatique ne signifient nullement que le changement climatique n’existe pas, rappelle Selby qui n’est pas un « climato-sceptique ». Cependant, selon lui, ce changement climatique n’est pas uniquement une réalité scientifique, mais aussi un objet politique sujet à débats. Le dérèglement climatique est déjà régulièrement invoqué à des fins douteuses au Proche-Orient et en Afrique du Nord pour expliquer les catastrophes écologiques, dont les causes primaires sont l’expansion d’une agriculture non durable, et pour justifier les investissements (étrangers…) dans des projets souvent inutiles car traitant des symptômes, tandis que les vraies causes, comme la corruption ou l’incurie des pouvoirs, sont passées sous silence. 

En somme, le changement climatique a bon dos. Comme le dit Selby, il est souvent le prétexte d’une démonstration performative de citoyenneté mondiale et de supériorité morale. 


[1] Craig Welch, « Climate Change Helped Spark Syrian War, Study Says », National Geographic, 2 mars 2015.
[2] Jan Selby, « On Blaming Climate Change for the Syrian Civil War », Middle East Research, 296 (Fall, 2020).
[3] Jan Selby cite Marwa Daoudy, The Origins of the Syrian Conflict: Climate Change and Human Security, Cambridge University Press, 2020.

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Vaisselle cassée, c’est la fessée. Vaisselle foutue pan-pan cul-cul

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Le chanteur Pierre Perret, 1995 © BENAROCH/SIPA

Pour leurs opérations de team building, les managers lassés par les salles d' »escape game » peuvent désormais se tourner vers les « rage rooms ». « Ne vous en faites pas, tous les objets cassés seront recyclés » nous promet-on…


Georges Orwell avait imaginé les deux minutes de la haine. En 2022, on fait mieux. Notre haine organisée peut s’exprimer plus longtemps et, en plus, elle n’est pas réservée à la caste intermédiaire. Il suffit juste de payer.

Mes pas m’ont récemment portée rue Blondel, haut lieu, dans le monde d’avant, de la prostitution à la papa. Le monde et les temps ont changé, la rue aussi. Mais, au 23, à la Fury Room, on peut toujours « se défouler, s’amuser et même tout casser ». Petit détail, ce n’est plus l’antique « Qui casse, paie » mais le moderne « Qui paie, casse ».

Si vous la jouez petit bras et que vous préférez les plaisirs solitaires, vous pouvez choisir, pour la modique somme de 25€, le programme Housebreaker. Dans un environnement sécurisé, il vous est loisible, en 10 minutes, de bousiller 10 bouteilles, quatre verres et quatre assiettes. A deux, vous déboursez 50 €, le  plan à trois est à 75 €. Donc, pas de réduction pour les groupes.

Vous pouvez voir plus grand. Le programme Madhouse vous autorise à vous attaquer à une pièce équipée. Sur le thème bureau, vous fracassez écrans, imprimantes, circuits imprimés. Sur le thème appartement, vous réglez leur compte à des meubles et à du petit électro-ménager. Tout seul : 40€, à deux 79€, à trois : 110€. Durée 20 minutes.

Pour les enfants (il n’y a pas de raison), c’est « bataille de nerfs, d’oreillers, de mousse à raser ». Je n’ai pas trouvé le prix.

Forcément, tout cela dans le plus strict respect des règles sanitaires. Et surtout, surtout, pas d’angoisse, les objets et le matériel sont recyclés. Pour eux, c’est juste une petite excursion sympathique à l’extérieur de leurs vertueux circuits de reconversion.

Avis aux DRH (ou aux Premiers ministres ou aux chefs et cheftaines de partis) : possibilité de « Team Building ». « Lâchez-vous et cassez tout, entre collègues ! Mettez derrière vous le stress du quotidien et défoulez-vous lors d’une activité amusante et ludique. Originale et peu commune, cette séance de casse éveillera certainement une belle complicité et une cohésion d’équipe ».

Provinciaux, ne soyez pas chafouins, c’est arrivé près de chez vous, même si vous ne le savez pas encore. En plus, c’est souvent moins cher et plus diversifié. La Tanière des Enragés à Varennes-Vauzelles affiche 16 bouteilles, six vaisselles pour 15€ par personne et une durée autorisée de la rage de 10 minutes. Le Renkard à Valence propose des pistes de haches. Au Karnage club à Toulouse, comme dans certains estaminets de naguère : « on peut apporter son manger ». « C’est votre anniversaire et vous n’êtes pas satisfait de vos cadeaux ? Vous êtes tellement déçu que cela vous donne des envies de destructions ? Il y a une solution pour mettre à profit cette déception et s’amuser quand même ». Batte de baseball, pied de biche et marteau à disposition.

Pour ceux qui souhaitent investir dans un projet d’avenir, pas de soucis. Les franchises pour les Rage Rooms, encore appelées Salles de Casse, existent. Compter 5 000€ HT de droit d’entrée, une redevance annuelle de 5% du CA HT (dont 1% pour la com) et entre 10 000€ et 20 000€ d’investissement (retour prévu : entre 12 et 18 mois). Et, Big Brother bientôt coté en bourse.

Un antifa nommé Goldnadel

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Gilles-William Goldnadel © Hannah Assouline

Le nouveau livre de Gilles-William Goldnadel dénonce les «fascistes» d’aujourd’hui: ils campent à l’extrême gauche. Et ils ont beau n’avoir rien à envier à leurs ancêtres d’extrême droite en matière de haine, de violence, de racisme et d’antisémitisme, ils bénéficient de l’inaltérable bienveillance des « grands » médias, notamment publics.


Gilles-William Goldnadel est un homme passionné, un avocat qui ne mâche pas ses mots, quand il parle comme quand il écrit. Son Manuel de résistance au fascisme d’extrême-gauche, sous-titré « les fachos ont changé de côté » lui ressemble : il va droit au but. Là où nombre de personnalités engagées dans ce combat se sentent tenues de donner quelques gages à la gauche culturelle par le biais de la théorie de la tenaille identitaire, selon laquelle à l’islamo-gauchisme conquérant correspondrait la poussée d’un identitarisme blanc, Gilles-William Goldnadel expédie assez vite ad patres l’un des manches de la tenaille, et assume pour sa part la bataille culturelle : « Je ne dis pas qu’il n’y a plus de fascistes à l’extrême-droite, mais j’affirme qu’en termes de quantité et de pouvoir de nuisance médiatique, il y a d’un côté une vieille alouette aux ailes rognées et de l’autre des troupeaux de jeunes chevaux sauvages qui saccagent nos vies avec leurs gros sabots. »

Goldnadel explore donc la réalité d’une extrême gauche qui justifie la violence politique, déteste les libertés, promeut le racisme et l’antisémitisme. Son livre ne prétend pas établir une analyse universitaire de l’islamo-gauchisme, mais illustrer par l’exemple son emprise sur nos existences et les complicités tant politiques que médiatiques ou universitaires qui lui permettent de prospérer.

La peur doit changer de camp !

« N’ayez pas peur » : bien que n’appartenant pas à la même tradition politique qu’Élisabeth Badinter, l’avocat doué d’une plume aussi alerte que sa parole commence son manuel de résistance par la même exhortation que la philosophe (et que le président Jésus, dirait Basile de Koch). Le 6 janvier 2016, elle n’avait pas hésité à déclarer dans la matinale de France Inter : « Il ne faut pas avoir peur de se faire traiter d’islamophobe. » En lisant Gilles-William Goldnadel, on constate avec lui que, depuis 2016, les accusations visant à rabattre le caquet de tout contradicteur se sont multipliées. C’est ainsi qu’aux procès en « islamophobie » se sont ajoutés ceux en « racisme systémique », « privilège blanc », « appropriation culturelle », « domination hétéro patriarcale blanche », « transphobie »… Ce cocktail où religion, race et sexe sont instrumentalisés en faveur de la censure du réel rendra folle notre société.

A lire aussi, Gilles-William Goldnadel: «Le scandale France Inter devrait être un thème majeur de la campagne»

Il remarque que là où le factuel devrait régner en maître, c’est-à-dire dans les médias, il est aboli dès qu’il dérange certaines représentations. Ainsi, selon que l’auteur d’un acte criminel est blanc ou noir, la presse mentionnera ou occultera son origine. Le plus souvent, celle-ci n’est mise en avant que si le criminel est blanc. L’avocat compare le traitement de nombre d’événements sous cet angle. Il évoque par exemple l’affaire de Charlottesville où une manifestante antiraciste fut écrasée par un camion conduit par un Blanc sympathisant sudiste, et un massacre de masse, perpétré dans le Colorado le 22 mars 2021 par un certain Ahmad Al Aliwi Alissa, venu de Syrie, dont les dix victimes étaient blanches. Il met en regard la quasi-occultation du massacre et le torrent de commentaires et d’analyses suscités par l’affaire de Charlottesville. Il revient également sur les viols de Cologne, commis par des migrants lors de la Saint-Sylvestre 2016 : presse et politiques s’étaient trouvés bien embarrassés par une affaire qui mettait en lumière les rapports violents des agresseurs aux femmes et à la sexualité, rapports largement explicables par les différences culturelles.

L’étonnante matinale de France Inter du 22 août 2021

Mais ces déroutantes différences de traitement selon les nuances chromatiques de la peau ou la religion s’observent également chez les artistes. Goldnadel se remémore l’épisode d’Aïssa Maïga comptant les Noirs lors de la cérémonie des Césars 2020, et nous invite à imaginer ce qui se serait passé si on avait envisagé de faire la même chose, le même jour, gare de Lyon, alors que des émeutes s’y déroulaient. Il rappelle aussi que les organisateurs du Festival de Cannes n’ont vu aucun inconvénient, un an plus tard, à choisir Spike Lee comme président du jury. Que celui-ci n’ait jamais occulté ses liens avec Louis Farrakhan, le leader de Nation of Islam, lequel ne cache ni sa haine des Blancs, ni son antisémitisme, ni son islamisme et trouve que « Hitler est un grand homme », ne les a pas gênés. « Imaginerait-on demander à un réalisateur blanc admirateur du Ku Klux Klan de présider un jury ? » nous demande l’avocat. La réponse est dans la question.

Franco-israélien, l’auteur montre enfin à quel point la haine d’Israël est réactivée par la haine du Blanc. « Dans l’inconscient collectif de l’islamo-gauchiste, le plus fanatique des Arabes palestiniens est aimable parce qu’il incarne l’altérité et le Juif israélien détestable parce qu’il défend les frontières d’un État-nation. L’extrême-gauche façon Plenel vénère le Juif déporté en pyjama rayé, elle voit l’Israélien qui se défend comme un Blanc au carré. » Et de raconter cette séquence surréaliste où sur France Inter, la sociologue Nonna Mayer et le président du MRAP Pierre Mairat réussirent l’exploit de débattre du retour de l’antisémitisme en incriminant la seule extrême droite, sans prononcer un mot sur le massacre de l’école juive de Toulouse, l’Hypercacher, Ilan Halimi, Sarah Halimi ou Mireille Knoll.

Bien d’autres exemples dans le livre viennent encore illustrer le phénomène. Pour expliquer notre situation, Goldnadel avance deux arguments : la haine de soi d’abord, et ensuite le magistère moral d’une gauche qui n’a eu de cesse de condamner le patriotisme ou le refus d’une immigration massive, tout comme, précise-t-il, elle a toujours refusé « de faire le procès du totalitarisme communiste ». Dans sa conclusion, il prend acte de la récente perte d’influence du gauchisme culturel sur le peuple. Ce qui doit conduire ce dernier à assumer son identité et à oser la colère, face aux tentatives de culpabilisation. Une colère saine, dépourvue de haine, de celles qui façonnent les résistants, pas les fachos.

MANUEL DE RÉSISTANCE AU FASCISME D'EXTRÊME-GAUCHE

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2022: nos politiques dans les starting-blocks

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Christiane Taubira en visite à Nantes © Jeremias Gonzalez / AP / SIPA

Le président Macron est un immense espoir avorté pour la France, c’est entendu. Mais qui sont ses petits concurrents ? Philippe Bilger croque les candidats à moins de trois mois de l’élection.


Il y aurait tant de sujets plus sérieux à traiter… Les « féminicides » dont pour ma part je souhaiterais qu’on les intégrât dans la criminalité en général, même si j’admets le caractère spécifique du rapport de pouvoir et de la violence se substituant au langage souvent à la source de ces horreurs « intimes ».

Les propositions très pragmatiques et lucides des procureurs de la République dont la réflexion collective a d’heureux effets. Si on en retenait la plupart pour les appliquer, nul doute que la justice s’en porterait mieux. Il est intéressant de comparer cette approche très opératoire avec une tribune récente sur le statut du parquet, théorique et idéologique, sans la moindre incidence sur la justice réelle, au quotidien.

On pourrait m’inviter à traiter des sujets de fond en politique mais on devra admettre que depuis quelque temps, surtout à gauche et à l’extrême gauche, la psychologie des personnalités, la foire aux vanités et la lassitude devant d’incessants appels à l’unité sans la moindre chance d’être suivis d’effet, justifient ce que ma passion des tempéraments et mon désintérêt au fond pour des engagements qui seront à vérifier au feu du réel ne me conduisent que trop à faire : me plonger dans les êtres et les montrer tels que je les vois.

Commençons donc.

Fabien Roussel dont l’honnêteté, le bon sens, l’absence de démagogie sur certains sujets permettent même aux opposants résolus du parti communiste de ne pas s’étouffer face à certaines de ses autres considérations infiniment plus discutables. Il n’a aucune raison de ne pas camper sur ses positions autonomes.

Jean-Luc Mélenchon, insoumis peut-être mais très habile, le plus talentueux et parfois le plus convaincant médiatiquement, devenu apparemment si sûr de soi qu’il s’autorise une étrange modération à l’égard de ceux qui n’ont pas envie de rejoindre son giron qui vite les étoufferait, une certitude affichée (sans y croire ?) sur ses chances d’être au second tour, une intelligence, une inventivité, une richesse d’imagination, avec le mauvais caractère dont il se flatte, que paradoxalement je verrais mieux exploitées comme éminent conseiller plutôt que comme président qui forcément le limiterait.

L’inénarrable Christiane Taubira qui s’appuie sur ses échecs comme d’autres sur leurs réussites et qui à force de s’entendre répéter qu’elle était une icône a fini par y croire. Elle arrive à la fin tout enflée de son importance et s’imagine que l’annonce de sa participation à la primaire citoyenne va créer un immense mouvement de foule. Mais personne ne bouge ou quasiment. Je ne blâme pas la gauche. Elle a besoin d’idoles. Si elle les observait vraiment – par exemple lamentable garde des Sceaux -, elle n’en aurait pas. Alors elle brode et fantasme, qui pourrait le lui reprocher ? Une Taubira du vide pompeux et lyrique vaut mieux qu’une gauche vide de Taubira.

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Yannick Jadot en a assez et je le comprends. Il se bat pour une conception équilibrée, moins punitive, de l’écologie mais certaines municipalités ne cessent de lui préjudicier avec leurs absurdités. Il a déjà eu une primaire citoyenne avec une Sandrine Rousseau dont il a eu du mal à se dépêtrer, il n’a pas envie d’en recommencer une autre qui n’aurait aucun sens trois mois seulement avant l’échéance d’avril. Dans le passé, il a déjà pâti d’un comportement sacrificiel sur le plan politique : il n’est pas masochiste au point de vouloir le renouveler ! Au fond, parce qu’il tente douloureusement d’être un écologiste acceptable par tous, on ne cesse de lui reprocher d’être macroniste ou, pire, de droite. C’est sans doute pour ce qu’on lui prête que je l’apprécie mais je sais que je fantasme : il est de gauche et il coche toutes les cases d’un futur réfrigérant à force d’être sobre. Mais citoyen on n’est pas enfermé dans son camp : je me donne le droit d’estimer ailleurs !

Anne Hidalgo a fini par accepter le fait que sa réélection à la tête de la mairie de Paris a été un miracle que l’état de la capitale, sur tous les plans, rend de plus en plus scandaleux. Au moins elle n’a pas pu s’appuyer sur une gestion municipale calamiteuse pour nous vanter son avenir présidentiel avec elle. Coincée entre une surenchère quantitative et démagogique et un mépris infini pour ceux qui n’ont pas leurs signatures – il est vrai qu’ils sont à plus de 10 quand elle est à quatre ! -, elle cherche désespérément à favoriser une primaire pour que son fiasco individuel probable soit noyé dans un désastre global. Il y a tout de même une justice en politique : on ne peut pas tromper tout le temps l’électeur.

J’aime bien Arnaud Montebourg, son élan et son talent mais cela ne suffit pas pour que je l’insère dans mon portrait de groupe.

Éric Zemmour – ce « républicain radical » que j’apprécie mais pour lequel je ne voterai pas au cas où il aurait ses signatures (il est clair qu’on cherche à l’éliminer par ce biais si peu démocratique) – ne sera pas au second tour. Il continue certes son tour de France, applaudi par des soutiens persuadés du contraire. En même temps il me semble qu’il a déjà tout donné de ce pour quoi il avait décidé de se lancer dans la joute, ses thèmes seront encore au cœur des débats officiels mais j’éprouve comme l’impression, chez lui, d’une lassitude, moins physique qu’intellectuelle. Comme si l’enchantement et l’ivresse avaient dû céder la place au dur exercice d’un métier politique et que ce n’est pas drôle tous les jours. Vouloir « se payer » tous les jours Valérie Pécresse ou Marine Le Pen n’est sans doute pas à la hauteur des ambitions qui étaient les siennes. On lui fera peut-être jeter l’éponge mais lui-même ne la jettera pas. Il ira au bout d’une manière ou d’une autre. Sans vouloir être offensant, l’arrivée de l’évolutif Guillaume Peltier comme porte-parole ne modifiera pas la donne : ce dernier risque d’être plus questionné sur son parcours que sur sa destination. En tout cas, les médiocres ou haineux qui n’auront cessé de le traîner dans la boue en seront pour leurs frais : il méritait d’en être (même si j’ai toujours estimé que la « bête » médiatique, triomphateur dans tous les débats de ce type, aurait dû demeurer dans son extraordinaire registre).

Le député (ex-LR) du Loir-et-Cher Guillaume Peltier, La Marolle en Sologne, septembre 2020 © Vincent Loison/SIPA Numéro de reportage : 00982079_000009

Marine Le Pen sera peut-être au second tour mais elle perdra, de peu au mieux, face à Emmanuel Macron, encore royalement installé dans son simulacre de président hésitant et de candidat pourtant ostentatoire. Elle aura tout essayé pour se dédiaboliser, pour se normaliser, pour perdre le soufre en conservant la rupture mais l’un n’allait pas sans l’autre. Elle est devenue classique, responsable, comptable de ses pensées et de ses mots, une sorte d’anti-Zemmour dont elle prophétise le déclin et regrette l’hostilité. Jamais apparemment l’ombre d’un pessimisme chez elle : une femme de combat ; elle en a tant pris ! Le regret fugace, rejeté, honni, de ne pas s’appeler Marine Maréchal… ainsi tout aurait été métamorphosé. Mais Marine Le Pen ne rêve pas et se répète qu’il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre. Une dernière fois.

Valérie Pécresse a fait l’union autour d’elle et ce n’était pas simple. Mêler la vigueur, voire la roideur Ciotti à la fermeté douce Pécresse n’était pas un pari gagné d’avance. Ceux qui ont besoin des apparences et ne reviennent jamais sur les fausses images qu’ils cultivent ressassent que Emmanuel Macron et elle constituent une personnalité interchangeable. Guillaume Peltier fait semblant de partager cette absurdité. Rien n’est plus faux. Valérie Pécresse dominera ce contraste, qui peut gêner, entre la fermeté roborative d’un discours, toujours espéré, jamais entendu au niveau présidentiel depuis 2017, et le velouté civilisé d’une voix qui paraît la démentir. Mais on n’est pas obligé d’être une « grande gueule » pour être fiable. En réalité, sur elle, reposent beaucoup, trop, d’espérances. Ses soutiens veulent qu’elle gagne. D’autres attendent qu’elle l’emporte pour éviter la réélection d’Emmanuel Macron, qui serait pour eux le pire futur. Qu’elle n’oublie pas qu’elle est sollicitée de ces deux côtés. Parce que, si elle est au second tour, elle peut, elle doit le vaincre.

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Je ne peux pas finir sans évoquer le monarque devenu au fil du temps si peu républicain. Emmanuel Macron tel qu’en lui-même le nouveau monde entrevu l’espace d’une seconde et l’ancien poussé à son comble l’ont révélé. Intelligent, roué, cynique, humaniste quand il faut, déconstructionniste à l’étranger et pour complaire, adepte des convictions successives et contradictoires, des repentances à foison, des commémorations emplies de larmes et d’impuissance, s’affichant régalien tout à la fin, plein de lui-même, brutal à l’encontre de ceux qui ne lui font rien risquer, complaisant de compréhension molle et de verbe confortablement volontariste à l’égard de ceux qui, partout, dans les cités ou ailleurs, ensauvagent la France, convaincu d’être réélu, s’étant approprié le camp de la raison mais n’ayant pas négligé celui de la provocation, repentant mais à nouveau coupable le lendemain, transgressif dans la soie et le velours, jouant d’un favoritisme sans scrupule, nommant sans autre principe que son bon plaisir, certain que les promesses n’engagent que lui, donc nulles et non avenues, lettré mais sans excès, solitaire dans la pompe de soi, pour le paraphraser avec son fameux « Cuba sans le soleil »), lui, roi mais sans le soleil, méprisant les Français mais pas comme de Gaulle, en les faisant participer à une Histoire, à une épopée plus grandes qu’eux.

Emmanuel Macron demeurerait, non réélu, tel un immense espoir avorté, avec une gauche et une droite non pas dépassées mais survivantes, l’une apparemment défaite mais l’autre revigorée, et, s’il gagne à nouveau, comme la preuve que la politique n’est pas morale et que le suffrage universel souffle sur qui il veut. Avec la légitimité qui en résultera.

Qu’on ne voie pas dans ce portrait de groupe l’ombre d’une dérision à l’égard de quiconque. Je respecte profondément le service politique et républicain en gros même si j’ai quelques réserves au détail…

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Homais pèse sur nos vies. Non… Homais si!

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Image d'illustration Unsplash

Un héros de Flaubert, ça ose tout ou… ça n’ose pas.


Pensons à l’apothicaire Homais : drapé dans ses certitudes de notable, fort de sa petite science, le pharmacien rayonne depuis son officine. Il darde sur son entourage une bêtise satisfaite, fascinante tant elle est impudique. Homais plastronne, Homais s’impose, Homais dévore. Son arme : débiter des platitudes ou des énormités d’un air paterne. Celles-ci sont prises pour argent comptant par un auditoire subjugué tant l’air d’autorité affiché pour les assener leur confère force et justesse. Il faut bien s’incliner devant la ténacité toute morpionesque de l’apothicaire qui n’a d’égal que son culot. Notre potard plastronnant finit du reste par recevoir, récompensé pour une bêtise triomphante autant qu’expansionniste, la croix d’honneur qu’il convoite.

Au prétexte que tout se vaut, nous partons à vau – l’eau

Frédéric Moreau est plus intelligent, certes, mais sans confiance en soi ni volonté de puissance. Baste ! Notre héros demeurera en lisière de la vie, sans consommer ni consumer celle-ci. Adolescent, il était, on s’en souvient, resté aux portes du bordel, ratant ainsi son rite de passage à l’âge adulte. L’affaire était d’emblée pliée… Embourbé dans la veulerie et la velléité, Frédéric ne connaît pas plus la plénitude de l’accomplissement que la pointe acérée de l’échec. Il mijote sans douleur jusqu’à l’âge d’homme, confit dans les vapeurs torpides de l’inaction, insensible à la morsure du ratage.

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Nés au vingtième siècle, nous avons lu L’Éducation sentimentale et nous avons ricané, goguenards. On n’allait pas nous la faire ! Quelle moule ce Frédéric ! Bien sûr, nous nous sommes furtivement reconnus en lui : « rêvant au plan d’un drame, à des passions futures. » Heureusement nous étions armés pour comprendre l’ironie du maître et saisir le message qu’il délivrait : « Sortez-vous les doigts du cul. » Nous avons vécu, un peu. Suffisamment pour nous rendre compte du triomphe actuel des Homais de tout poil et de la soumission de plus en plus résignée de tous les Frédéric.

En cette première moitié du XXIe siècle, Homais prospère, domine, se répand, subversif. Il s’agit d’assujettir, sous prétexte d’œuvrer pour le Bien et le Progrès, tous les Frédéric du monde. L’arme qu’Homais a trouvée pour parvenir à ses fins : atomiser avec aplomb l’individu sous couvert de l’aider à être qui ou quoi il doit être, surtout, le même. Fini les couleurs de peau, l’originalité des langues, des peuples, des cultures, des croyances, des religions. Niées les blessures de la vie ou celles de l’Histoire. Au prétexte que tout se vaut, nous partons à vau – l’eau. Rognés les dos d’âne de la vie, limée la bosse de l’injustice, anéantie la rudesse du hasard, adultérée la saveur de l’altérité. Ne vivons plus, dès fois qu’on en mourrait, contentons-nous d’être. Rejoignons le magma originel.

La promotion exacerbée du droit à la différence nous conduit sans faillir à l’indifférenciation, dans une indifférence qui mènera au différend dans le meilleur des cas, si les Frédéric se réveillent. Au pire, ils se sentiront de plus en plus, comme le dit Maupassant, : « écrasé sous le sentiment de l’éternelle misère de tout », pour le plus grand confort du Homais dominant qui continuera à araser le monde.

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Nos libertés en voie de disparition?

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Manifestants contre le projet de passe vaccinal, Paris, 8 janvier 2022 © Eric Dessons/JDD/SIPA

Les bonnes vieilles libertés, non solubles dans la numérisation du monde et réfractaires à la nouvelle religion du distanciel, sont passées de mode. Analyse.


La France est-elle toujours un État de droit en bonne et due forme ? La question fait rage. François-Xavier Bellamy, pivot intellectuel des Républicains, s’inquiète depuis plusieurs mois du « délitement de l’État de droit » devenu, pour reprendre l’expression de Muriel Fabre-Magnan, « malade du Covid-19 ». Il est vrai qu’en ces temps où des lieux publics – restaurants, théâtres, salles de spectacle – sont réservés aux citoyens munis du précieux passe, où manger des chips dans le train est passible d’une amende, où les discothèques sont vues comme des boîtes à virus, où l’adolescence ne rime plus avec premiers flirts mais port du masque dans la rue, où la faible létalité du variant Omicron n’empêche pas la sinistrose de maintenir son couvercle sur le pays, où la santé est devenu l’unique sujet des présidentielles, le débat n’est pas seulement légitime. Il est impératif.

Menace sur nos droits fondamentaux

Certains de nos droits fondamentaux, sanctifiés depuis des décennies – dignité de la personne, protection de la vie privée, liberté d’aller et venir, droit à l’instruction – semblent chaque jour s’évanouir dans le cimetière des principes d’antan. Les restrictions se suivent et s’amoncellent, en une sorte d’arborescence technocratique – ou kafkaïenne – dont la logique échappe à tout le monde. C’est dans ce contexte que, quelques jours après des vœux qui suintaient la bienveillance, l’optimisme et l’unité, Emmanuel Macron a lancé, face aux lecteurs du Parisien, avoir « très envie d’emmerder les non-vaccinés jusqu’au bout ». Plus que sa grossièreté, condamnée par une grande partie de la classe politique, plus que la personnalisation dégradée du pouvoir qu’elle exhibe, cette formule révèle le sens de l’action du gouvernement : alors même que la vaccination n’est pas obligatoire, c’est en son nom que des millions de Français se voient interdits de café ou de cinéma. Boutés hors du champ du visible. Telle une masse de Gaulois réfractaires, les non-vaccinés n’ont d’autre choix que de s’adapter. La liberté ou la mort, disaient jadis les Révolutionnaires. La vaccination ou l’exclusion, clament aujourd’hui les Marcheurs.

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Au-delà de l’illisibilité de toutes ces restrictions, c’est notre rapport à la liberté qui se joue. Qu’on le veuille ou non, ce que défendent les non-vaccinés, nébuleuse d’anti-vax, d’anti-passe et de sceptiques de tous bords, cousins des gilets jaunes dans leur rejet des institutions, c’est le maintien des libertés grégaires. D’une part, les anti-vax réclament le droit de refuser la vaccination – soit la mise en pratique de l’inviolabilité du corps humain, dérivé du principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne. D’autre part, les anti-passe revendiquent le droit à la libre circulation et au respect de la vie privée, garantis par les outils de protection des droits de l’Homme. Soit des libertés quasi primitives, reconnues de longue date par les juges, européens et nationaux.

Or, qu’observe-t-on en même temps ? D’un côté, en octobre dernier, le Conseil de l’Europe s’est lancé dans une campagne de promotion du voile islamique au nom de « la liberté dans la diversité » – heureusement avortée –, présentant le hijab comme « un choix » et un « droit humain ». Ou comment l’antiracisme militant, faux-nez du lobbying islamiste, se drape dans le manteau de tolérance de l’État de droit pour mieux le subvertir… D’autre part, en janvier 2021, la Cour européenne des droits de l’Homme a sanctionné la Roumanie pour sa loi refusant la modification du sexe à l’état civil sans opération chirurgicale préalable. La liberté de changer et de rechanger de sexe par simple déclaration est désormais un droit fondamental, intégré aux valeurs de l’État de droit brandi par l’Europe contre les démocraties « illibérales », la Hongrie et la Pologne en tête, brocardées pour leur attachement à la famille traditionnelle et aux valeurs chrétiennes.

Les bonnes vieilles libertés n’intéressent plus que la France périphérique

Bilan des opérations : une échelle des libertés se dessine. D’un côté, les tenants des libertés à l’ancienne, attachés au droit de sortir de chez soi, de « prendre un canon » au comptoir, comme veut les en priver Emmanuel Macron, ou de conserver la maîtrise de leur corps, sont dépeints tels d’infâmes réactionnaires englués dans leur ignorance. Pire, des « irresponsables » pas même dignes d’être des citoyens, pour reprendre les propos cinglants du président. De l’autre, les tenants des libertés à la pointe, placées sous l’égide du diversitaire ou de la fluidité de genre, sont perçus comme ceux que l’État de droit doit absolument choyer. Son public cible, pour parler comme un marketeur.

C’est ce clivage qui transperce notre époque. Les bonnes vieilles libertés, qui n’intéressent plus que la France périphérique et les râleurs d’un autre temps, non solubles dans la numérisation du monde et réfractaires à la nouvelle religion du distanciel, sont passées de mode. Les libertés dernier cri, qui fleurent bon le sociétal et le multiculturel, qui ont la saveur de notre période houellebecquienne où le contact humain se dissout, méritent quant à elles tous les égards. Avec le Covid, toutes les libertés ne sont pas en voie de disparition. Juste les premières d’entre elles.

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Valérie Pécresse, carpette anglaise «à vie»?

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Paul-Marie Coûteaux, 2019 © Michel Euler/AP/SIPA

Entretien avec Paul-Marie Coûteaux, essayiste et directeur de la revue Le nouveau conservateur, aujourd’hui engagé dans la campagne d’Eric Zemmour. Réponses recueillies par Lucien Rabouille.


Lucien Rabouille. Valérie Pécresse est la candidate des Républicains, parti qui revendique une filiation gaulliste. Mais il y a un passif important, Valérie Pécresse est fameuse pour sa défense du protocole de Londres. Pouvez-vous revenir sur cette affaire ?

Paul-Marie Coûteaux. En fait de Londres, on est loin des conscrits de la France Libre ! Je sais bien que la seule vertu efficace du Général de Gaulle est de conférer aux minuscules qui abusent de son nom une illusion de grandeur – c’est en quelque sorte la vertu absolutoire du Général, dont on touche la statue pour faire oublier les grands et les petits péchés de chaque jour ; mais tout de même, ceux de la gaulliste professionnelle qu’est Valérie Pécresse sont trop patents, sur le sujet de la langue au moins, pour qu’elle puisse être absoute.

Commençons en effet par le Protocole de Londres : en 2008, comme ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, Mme Pécresse a délibérément milité pour que la langue française perde une de ses positions de force sur un sujet crucial de droit commercial international, la langue dans laquelle sont déposés les brevets pour faire foi. Depuis un demi-siècle, l’Office Européen des Brevets, dont le siège est à Munich, fixait que l’intégralité d’un brevet pouvait être déposé dans la langue de l’auteur, mais devait comporter en outre une traduction complète dans une des trois langues considérées comme langues économiques de l’Europe : allemand, français, anglais. Il y a vingt ans, Frau Merkel mit sur la table un curieux projet de réforme aux termes duquel seul un court résumé du brevet (sans ses stipulations techniques) pouvait être déposé en n’importe quelle langue, l’intégralité du brevet ne pouvant l’être qu’en anglais. L’hypocrisie est ici totale puisque justement, ce qui intéresse les entreprises, ce sont les spécifications techniques et que tout le monde travaillera sur la seule version complète, l’anglaise. Il en résulta un protocole signé à Londres en 2000 mais que ne ratifièrent pas alors la plupart des pays de l’UE. C’est que, pour ces réfractaires l’affaire était importante, non seulement parce qu’on écartait leurs propres langues, mais surtout parce que, ce faisant, on compliquait infiniment la vie de leurs petites et des moyennes entreprises qui, en ces matières techniques, devaient alors recourir à des traducteurs ou des avocats rompus à l’anglais technique, ou carrément Anglais ou Américains, ce que beaucoup ne pouvaient s’offrir.

Miss Pécresse n’a pas grand goût pour la défense du français parce qu’elle n’a pas grand goût pour ce qui est français: son monde, comme tant d’autres, c’est l’international ; elle fait partie de cette petite élite (ou oligarchie) qui ne voit pas ce que pourrait être la culture française  

La France a tenu bon jusqu’à ce que Valérie Pécresse cède en faisant valoir, notamment dans la presse, que l’on pouvait toujours obtenir une version en français, ce qui était fort hypocrite puisque seul pouvait l’être un court résumé à peu près inopérant. Beaucoup de parlementaires protestèrent (sur tous les bans) en particulier l’ancien Garde des Sceaux Pascal Clément qui montra avec précision combien la majorité des entreprises françaises seraient pénalisées, les exportatrices comme les importatrices. Une pétition, lancée notamment par Nicolas Dupont-Aignan recueillit même des dizaines de milliers de signatures. Mme Pécresse continua à mentir en affirmant dans un article du Figaro que les trois langues officielles gardaient leurs droits ! Mentir pour servir son pays pourrait se concevoir, mais mentir pour le desservir, c’est une honte.

Il n’y a pas que cette affaire… N’est-ce pas systématique chez elle ?

Oui. L’affaire de Londres ne fut pas un cas isolé. Cette dame, toute fraîche nommée ministre de l’Enseignement Supérieur, s’est transportée à Bruxelles pour y déclarer que, en matière de langue, elle entendait « briser les tabous» ; le tabou, en l’occurrence était de parler français à Bruxelles et Strasbourg, et Luxembourg, les trois « capitales » francophones de l’UE – que la France, rappelons-le, a voulu telles en faisant des concessions aux autres membres sur d’autres points. Longtemps, pour la France, la prééminence du français fut la condition de la construction européenne et la contrepartie d’abandons de souveraineté. Cette priorité pour la langue fut permanente – par exemple, Georges Pompidou ne donna son accord à l’entrée de la Grande Bretagne dans la « Communauté européenne » de l’époque qu’à la condition que les fonctionnaires britanniques y parlassent français – ce fut d’ailleurs un engagement du Premier ministre britannique de l’époque, Edouard Heath. Autre exemple, le rappel périodique adressé par les Premiers ministres successifs aux fonctionnaires français en poste dans les Institutions européennes de l’obligation de n’utiliser que le français au sein des institutions de l’Union – ainsi fit François Fillon, alors Premier ministre, dans une directive de 2007. Cela n’empêcha pas la ministre Pécresse de déclarer quelques mois plus tard, ex abrupto que la stratégie consistant à maintenir le français dans les instances de l’UE était contre-productive et que mieux valait recourir à l’anglais pour être mieux compris. Le Figaro l’a épinglée à l’époque pour ses déclarations fantastiques (Le Figaro du 28/02/2008). C’était en plus contredire le Premier ministre à angle droit !  

Victorieuse, Valérie Pécresse prononce son allocution à l’issue du second tour des élections régionales, Paris, 27 juin 2021 © Jacques Witt/SIPA Numéro de reportage : 01025718_000004

Or, une telle sortie allait très loin : cela ne voulait pas seulement dire que le français n’était plus une langue internationale, ce qu’aucun membre d’aucun gouvernement n’avait osé dire jusqu’alors ; ce n’était pas seulement envoyer promener la francophonie, et se moquer des Luxembourgeois et des Belges qui s’appliquent à parler français dans les institutions de l’UE (ainsi que bien d’autres représentants ou fonctionnaires de pays non francophones, des Italiens, des Portugais etc.) ; c’était aussi estimer que les imposants dispositifs de traduction (mais aussi d’interprétation et de terminologie) ne servaient plus à grand-chose. Or, je peux témoigner pour avoir été dix ans parlementaire européen que, si les dispositifs de traduction n‘existaient pas, la très grande majorité des députés français à Strasbourg et Bruxelles connaissaient trop mal l’anglais pour comprendre quoi que ce soit à ce qui se passe dans le Parlement où ils étaient supposés représenter les Français : délibérer et voter sans l’aide des interprètes revenait à travailler dans le plus parfait brouillard. Ou bien faudrait-il, dans la logique de la ministre, doubler l’élection de nos députés d’un sérieux examen d’anglais (préalable à leur élection ?), faute de quoi nul député français n’aurait servi à grand-chose.

Pour tant de gens modernes, la culture française ne signifie rien de spécial, sinon un embarras

Peu après, la même militante du « tout anglais », ministre de l’Enseignement supérieur, regrettait que les professeurs étrangers qui enseignaient en France ne puissent dispenser leurs cours en anglais – ou ce que devient l’anglais, c’est-à-dire l’anglo-américain. De même pour les enseignements techniques ; ce qui voulait dire en somme que les étudiants aussi devaient passer un examen d’anglais avant d’entrer à l’Université – assurant à cette langue un statut exorbitant à l’Université, puis, par-là, à nombre de domaines professionnels. Si nous multiplions ce genre de mesures, la France deviendrait bilingue en deux ou trois décennies, le français étant peu à peu réservé aux usages privés. Et ce n’est pas simple, ensuite, d’éviter que s’efface la langue qu’on dira alors «ancienne» : demandez aux Québécois ce qu’il en coûte en fait de vexations et d’efforts…

Valérie Pécresse vient de manquer de peu d’être primée par la carpette anglaise  – un fameux jury dont vous êtes membre.  

L’anecdote est presque drôle : il existe en effet un prix, dénommé « la carpette anglaise » (hélas, pas aussi fameux que vous le dites gentiment) distinguant chaque année une personnalité qui a d’une façon ou d’une autre, favorisé l’anglais comme langue d’usage en France ; ce prix est remis par un jury de douze personnes, représentants d’associations, linguistes et personnalités diverses comme Natacha Polony, Eugénie Bastié, Benoît Duteurtre et Philippe de Saint Robert, son président. Cette année, nous avons failli remettre ce prix à la dame Pécresse en tant que Présidente du conseil d’île de France, qui lance « l’easy pass », ignorant au passage la Loi Toubon ; certes, celle-ci est souvent bafouée, quelquefois même pas l’Etat – mais pas la RATP. On pourrait tout de même se montrer imaginatif en français, non ? Sinon, notre langue va tout simplement se ringardiser, s’étioler et disparaître.

Notre secrétaire général, Marc Favre d’Echallens, rappela in extremis que ladite Pécresse avait déjà reçu le prix douze ans plus tôt pour « avoir déclaré que le français était une langue en déclin et qu’il fallait briser le tabou de l’anglais dans les institutions européennes ». Or, il était difficile de remettre deux fois la capette à une même personne : elle l’a déjà, et c’est « à vie ». Quatre voix ne s’en portèrent pas moins sur elle ! Il y avait cependant un concurrent solide, son ancien ami (de parti) Gérald Darmanin, qui décida voici quelques mois de rendre toute nouvelle carte d’identité bilingue ; car, l’a-t-on remarqué, le français est désormais à égalité avec l’anglais sur nos cartes nationales d’identité – ce qui est tout dire de ladite identité. M. (ou Mr.) Darmanin l’a finalement emporté par sept voix, contre quatre pour une seconde carpette à notre abonnée.

On a envie de conclure que Valérie Pécresse fait partie de ces gens qui ont une culture bilingue… Plutôt étrange pour quelqu’un qui aspire à présider une République dont le préambule de la Constitution précise que la langue est le français.

Oui, une Constitution qui dispose d’autre part que le président de la République est son gardien ce qui ferait une double forfaiture… Tout simplement Miss Pécresse n’a pas grand goût pour la défense du français parce qu’elle n’a pas grand goût pour ce qui est français : son monde, comme tant d’autres, c’est l’international ; elle fait partie de cette petite élite (ou oligarchie) qui ne voit pas ce que pourrait être la culture française. Toute sa formation est d’ailleurs, comme on dit avec gourmandise « orientée à l’international », univers réputé américanophone. Pour tant de gens modernes, la culture française ne signifie rien de spécial, sinon un embarras.  

Certes, on pourrait dire que parler est une compétence attendue chez un chef d’Etat. Je suis conscient de l’atout que représente une bonne maîtrise de l’anglo-américain pour quiconque exerce une activité internationale. Mais à condition de ne pas en abuser, et tout miser sur l’anglais : j’ai souvent vérifié que celui qui parle espagnol avec des hispanophones, allemand avec des germanophones, arabe avec des arabophones etc. a une nette avance sur celui qui ne parle qu’anglo-américain. Ayant exercé des responsabilités au cabinet du S-G de l’ONU à New-York, je peux témoigner que, si la maitrise de l’anglo-américain est certes précieux, il est dangereux d’y recourir en toutes circonstances : bien souvent, le plus efficace est de recourir à la traduction ou l’interprétation simultanée – qu’elle soit humaine ou numérique, les derniers progrès en ce domaine permettant de remettre les langues principales à égalité. Rien ne vaut, pour le savoir, que de participer, comme je l’ai fait cent fois à Bruxelles, Strasbourg ou New-York, à une réunion en tout anglais dans laquelle un Japonais répond à un Texan qui répond à un Congolais, qui répond à un Polonais etc. Je garantis que le niveau de compréhension des participants est assez faible…

Dans toutes les missions internationales que j’ai pu exercer, au Quai d’Orsay ou ailleurs, je me suis fixé une règle dont je me suis bien porté : dès que possible recourir à l’interprétation. Ainsi, je travaillais dans ma langue et restais maître de ce que je disais : qui parle dans une autre langue soumet sa pensée à cette autre langue, alors que celui qui travaille dans sa langue soumet sa langue à sa pensée : c’est nettement plus sûr. Et pendant que le traducteur traduit, on a le temps de réfléchir – précaution souvent utile, que Mme Pécresse aurait tort de négliger…

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[Vidéo] Causons! Colloque anti-wokiste à la Sorbonne

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Est-ce le début de la fin du wokisme?


L’idéologie wokiste semble avoir conquis les universités occidentales. Elle étend son pouvoir sur l’école et sur une grande partie des médias, des entreprises et des partis politiques traditionnels. Le moment est-il enfin venu de lancer une grande campagne de reconquête de tout ce terrain perdu ? Pour trouver la réponse, Jeremy Stubbs, notre directeur adjoint de la rédaction, s’est rendu vendredi et samedi à la Sorbonne où le Collège de Philosophie organisait un grand colloque intitulé: «Après la déconstruction: reconstruire les sciences et la culture. » Le colloque était inauguré par le Ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer lui-même, le signe peut-être que le président Macron cherche à prendre ses distances par rapport à l’extrémisme progressiste – à des fins électorales ?

A programme, des universitaires distingués de France et d’ailleurs, comme Pierre-Henri Tavoillot, Pierre Vermeren, Pascal Perrineau, Pierre-André Taguieff, Jean Szlamowicz, Bruno Chaouat, Sami Biasoni, Berhard Rougier, Florence Bergeaud-Blacker, Jean-François Braunstein, Nathalie Heinich, Anne-Marie Le Pourhiet ou Eric Anceau… Mais aussi des intellectuels et des témoins comme Pascal Bruckner, Mathieu Bock-Côté, Pierre Jourde, Helen Pluckrose, Boualem Sansal.

À lire aussi, Jean-Paul Brighelli: Vous avez dit woke?

Tous ont une expérience directe de l’idéologie wokiste et de la cancel culture que pratiquent ses zélateurs. Tous sont prêts à combattre les idées destructrices que cette idéologie promeut… Retrouvez notre reportage sur place. Les anti-wokistes doivent relever deux défis immédiats: forger une alliance puissante, un front commun, et briser l’alliance wokiste. À suivre…


La citation de la semaine est la suivante: de qui est-ce, selon vous ?
Postez vos réponses en dessous de la vidéo, sur YouTube.

« La pensée est […] une chose admirable et incomparable par sa nature. Il fallait qu’elle eût d’étranges défauts pour être méprisable. Mais elle en a de tels que rien n’est plus ridicule. Qu’elle est grande par sa nature, qu’elle est basse par ses défauts. »