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Eh bien, la guerre!

La guerre entre la Russie et l’Ukraine n’est que la suite d’une série de conflits où la France s’est trouvée impliquée, de près ou de loin, depuis trente ans.


On se souvient des Liaisons dangereuses et de cette exclamation célèbre de Madame de Merteuil face à Valmont qui la menace de représailles puisqu’elle se refuse à lui : « Eh bien, la guerre ! » Poutine n’a pas grand-chose de Valmont car il n’a jamais voulu séduire mais plutôt forcer. Il n’empêche, on ne peut constater, encore une fois, que la catastrophe est là : « Eh bien, la guerre ! » 

Une guerre de plus…

Si je réfléchis à celles que j’ai connues depuis que je suis adulte, et à laquelle la France a été mêlée de près ou de loin, je me dis que cela en fait tout de même un certain nombre. Pour ne commencer qu’avec les années 90, il y a d’abord eu la première guerre du Golfe. On a envoyé des soldats pour aller combattre les troupes de Saddam Hussein en 1991, aux côtés des Américains. Je me souviens qu’à l’époque, j’avais manifesté contre cette guerre et que Chevènement avait démissionné. A l’époque, il ne faisait pas bon être contre l’intervention au Koweït. On était vite vu comme un complice de la dictature. Ensuite, il y a eu les guerres en Yougoslavie. Elles ont duré une bonne partie des années 90. Là aussi, il y avait un ennemi : les Serbes. On n’avait pas trop le droit de nuancer. Le siège de Sarajevo, la purification ethnique en Bosnie : il y avait les bons et les mauvais, et les mauvais, c’était les Serbes.

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Ensuite, quand il y a eu les procès pour crimes de guerres et crimes contre l’humanité au Tribunal Pénal International, on s’est aperçus qu’il y avait eu des salopards des deux côtés, ou des trois, ou des quatre. Mais il a fallu attendre vingt ans pour comprendre que dans une guerre civile, c’est toujours compliqué de voir les bons et les mauvais dans un seul camp.

Ensuite, nous sommes intervenus au Rwanda quand les Hutus ont commencé à génocider les Tutsis. C’était sous Balladur. Il semblerait que, comme cela avait lieu en Afrique, et qu’il y avait la guerre en Yougoslavie en même temps, on ait fait moins attention. Il paraîtrait même, pour le coup, que cette fois-ci, l’armée française, toute seule comme une grande, ait protégé les Hutus, ceux qui venaient de commettre le génocide. On s’est excusés, mais le mal était fait.

Je passe la seconde guerre du Golfe en 2003, une vengeance personnelle de Bush fils pour finir le travail de son papa. Chirac et Villepin auront au moins eu ce mérite de ne pas nous embarquer dans cette expédition punitive néo-conservatrice. Ensuite, sous Sarkozy, on est intervenu en Libye pour mettre par terre Kadhafi. Il lui fallait sa guerre, à lui et à Cameron. C’est entendu, Khadafi était un monstre. Il n’empêche que depuis l’intervention franco-anglaise, la Libye, ce n’est pas franchement le pays de Candy. Je pourrais aussi parler du Mali où nous ne sommes plus très appréciés et où l’on s’est retrouvés bien seuls à perdre des soldats pour protéger l’Union Européenne qui ne nous en a pas été vraiment reconnaissante, au point de refuser de retirer nos dépenses militaires de notre déficit budgétaire, alors que nous avons la seule armée potable du continent. A l’occasion, on a aussi bombardé en Afghanistan, à Belgrade, en Syrie… « Eh bien, la guerre ! »

Le temps des « bouteillons »

Et maintenant, l’Ukraine. Il n’y a pas de doute, Poutine est l’agresseur. Il n’y a pas de doute non plus, tout esprit critique doit s’effacer devant l’émotion : l’horreur de voir ces civils sur les routes, ces villes bombardées et le devoir d’accueillir les réfugiés. Même les candidats super-fans de Poutine, regardez en bas, sur mon extrême-droite, ont bien été obligés de suivre.  La guerre ne laisse pas le temps de réfléchir parce que les victimes n’attendent pas. Au moins, on n’aura pas à rougir sur le plan humanitaire. Mais un jour ou l’autre, dans quelques années, il faudra bien admettre que derrière la violence des affrontements, on aura tout de même entendus pas mal de bobards ou pour reprendre ce vieux mot d’argot militaire, cher à Jacques Perret dans Le Caporal épinglé, de « bouteillons ».

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Bruit de fond

C’est que s’il existe un point commun entre toutes ces guerres, c’est le bruit de fond médiatique. Depuis les années 90, on voit les guerres en temps réel, ou presque. Et ça bavarde pendant des heures et des heures sur des images à la provenance incertaine. Il est impossible, à chaque fois, d’échapper aux explications à la fois simplistes, -Poutine est fou -, et embrouillées : en fait cette guerre est formidable, elle prouve que l’Union européenne existe !  C’est tout de même dommage de n’exister qu’en temps de guerre et non en temps de paix pour améliorer l’existence de ses concitoyens. Alors qu’on avait promis d’éviter les guerres sur le territoire européen…

Certes, cette fois-ci, j’ai appris une chose nouvelle. Apparemment, il est possible, très rapidement, de saisir les biens et les avoirs bancaires des oligarques quand ils sont russes. Alors je me demande pourquoi, excusez ma naïveté, ce n’est plus possible de faire la même chose avec les multinationales et autres GAFAM qui s’obstinent à ne pas payer les milliards d’impôts qu’ils doivent, chez nous, depuis des années.

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En finir avec les fruits gâtés du féminisme

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Le 8 mars 2022 marque aussi la journée du droit des Françaises qui veulent… en finir avec le néo-féminisme !


Vous souvenez-vous de l’époque où vous pouviez évoquer « la journée de la femme » à un déjeuner familial, sans vous faire invectiver par une sœur ou une cousine acquise à la cause néo-féministe ? Vous souvenez-vous de l’époque où les fleurs offertes par un homme à une femme étaient synonyme d’affection et non d’agression ?

À cette période légère, ont succédé les cortèges misandres et intersectionnels appelant à vous « délivrer du mâle » et du patriarcat occidental, père de tous les maux. La Journée internationale des femmes de 2022 ne dérogera pas à la règle, s’inscrivant sous le thème de « l’égalité aujourd’hui pour un avenir durable », pour toujours plus de quotas, d’éducation indifférenciée, d’immigration, d’avortements, et surtout, de financements.

Nombre de Françaises ont pris conscience que le 8 mars n’est plus un jour qui leur est destiné et que les militantes érigeant des clitoris gonflables sur la voie publique ne répondent en rien à leurs préoccupations.

Les Françaises ont compris que les centrales néo-féministes agissent dans leurs intérêts propres et pour nourrir des ambitions politiques. Diffamation, injures publiques, invectives, les militantes écoféministes consentent à toutes les bassesses et soufflent sur les braises de la discorde pour arriver à leurs fins. La trahison de Sandrine Rousseau est révélatrice de la toxicité véhiculée par cette idéologie : vouloir « occuper les places » quitte à créer le chaos dans son propre camp. Comment ne pas voir le contraste avec les femmes qui ont choisi de rejoindre Éric Zemmour ? Fidèles à leurs valeurs, conquérantes et rayonnantes, à l’image de Marion Maréchal. Pas de femmes quotas dans nos rangs, seulement des femmes de talent !

Les diktats néo-féministes nous ont enferrés dans de telles contradictions qu’il nous faut désormais lutter pour en sortir, d’autant que la droite a depuis trop longtemps déserté le combat. Quand on voit ce que les progressistes ont fait de nos droits, nous comprenons que nous n’avons d’autre choix que de partir à leur « Reconquête ».

Les Françaises veulent que les pouvoirs publics les aident à concilier leur vie familiale et leur vie professionnelle, à ne plus craindre la fin du mois, à ne plus renoncer à des soins faute de spécialistes, à ne plus tolérer de vivre dans l’insécurité. Elles sont aujourd’hui 69% à être favorables à l’interdiction des prestations sociales aux étrangers qui ont passé moins de cinq ans en France de manière régulière, car elles ne veulent plus être celles qui doivent renoncer à leurs projets familiaux faute de moyens et de perspectives.

Les Françaises se sont rangées derrière la candidature d’Éric Zemmour car, lui président, créera 60 000 places de crèches supplémentaires sur le quinquennat, expulsera les criminels et délinquants sexuels étrangers comme binationaux, augmentera le nombre de places dédiées aux victimes de violences conjugales, doublera le numérus clausus, mettra en place une bourse de naissance de 10 000 euros pour chaque enfant né dans un territoire rural et augmentera les pensions de réversion pour les veuves. Toutes ces mesures concrètes et pleines de bon sens répondent enfin aux attentes des Françaises dans leur diversité : les femmes en milieu rural qui n’en peuvent plus de faire des centaines de kilomètres pour atteindre une maternité ou d’attendre des mois pour un simple rendez-vous gynécologique, les femmes urbaines qui n’en peuvent plus d’être importunées et menacées sur leurs trajets du quotidien, les retraitées solitaires qui tombent dans la précarité, les jeunes femmes qui renoncent à leur projet d’enfant… Les Françaises sont à bout et le font savoir, elles veulent en finir avec les fruits gâtés du féminisme et partir à la reconquête de leurs droits, de leur sécurité et de leur avenir aux côtés d’Éric Zemmour.

Macron à Poissy, le débat Potemkine

Le président sortant, qui effectuait son premier déplacement de candidat à Poissy, a confirmé hier soir qu’il ne participerait à aucun débat avec les autres candidats avant le premier tour. Évidemment, ses petits camarades de jeu de la campagne présidentielle dénoncent un scandale démocratique…


C’est officiel. Emmanuel Macron ne débattra pas avec les autres candidats ! Il l’a confirmé hier soir, lors de son déplacement de terrain à Poissy: « Aucun président qui se représentait ne l’a fait. Je ne vois pas pourquoi je ferais différemment ».

À lire aussi, l’éditorial du mois de mars: Aux larmes, citoyens!

Ses concurrents hurlent au scandale. Mais la politique n’est pas seulement une affaire d’abnégation, de justice ou de nobles considérations. À la place de Macron, ils feraient exactement pareil. Parce qu’il a cet avantage structurel d’être le président en exercice, et surtout parce que Poutine lui offre une scène mondiale. Ce n’est pas lui prêter uniquement du cynisme que d’affirmer cela : tout politique rêve de rencontrer l’Histoire, et cette dernièrement a rarement une bonne tête. En 2003, Hubert Védrine enviait son successeur Dominique de Villepin qui avait pu faire son grand discours à l’ONU contre la guerre en Irak.

Ses rivaux ne peuvent pas le concurrencer dans son rôle de père de la nation

Emmanuel Macron n’est évidemment pas responsable de la catastrophe ukrainienne, mais elle lui permet de se la jouer mal rasé et bras de chemises dans une vidéo ou de nous dire qu’il s’intéresse aux Français, mais qu’il doit éviter la troisième guerre mondiale. Oui il a dit ça !

Il en fait toujours un peu trop, c’est qu’il veut nous montrer son âme immaculée. C’est ce que le chroniqueur Guy Carlier appelle le « théâtre aux armées ». Emmanuel Macron emploie un vocabulaire moral : « Poutine, c’est mal ». Vous pensiez que la diplomatie supposait à la fois du secret et de la froideur ? Vous vous trompiez ! Pour quelle raison Macron ferait-il campagne ? Ses rivaux ne peuvent pas le concurrencer dans son rôle de père de la nation. Ce sera donc sans lui. Ne restera qu’une bataille pour la deuxième place.

A lire aussi: Causeur: Poutine détruit l’Ukraine et flingue la présidentielle

Faut-il pour autant y voir scandale démocratique ? 

La ficelle est énorme quand il ressort de son chapeau le lapin-grand-débat avec les Français comme à Poissy hier soir. C’est un débat Potemkine, avec des gens intimidés, voire sélectionnés. Macron va montrer son talent de stand-upper. Mais ce one man show entrecoupé de questions n’est pas un débat égalitaire. Cela dit, les autres candidats ne sont pas obligés de se résigner à cette vraie-fausse campagne. Ils n’ont qu’à être plus convaincants. Ils n’ont pas besoin de lui pour exposer et critiquer son bilan.  Finalement, la qualité du débat dépendra largement des médias. Il y aura scandale démocratique s’ils décident que pour cause de guerre, le débat est sans intérêt ou s’ils interrogent le candidat Macron avec la révérence qu’on doit au chef de guerre. On espère que les journalistes l’interrogeront comme les autres, en lui coupant la parole à toutes les phrases comme ils le font avec Marine Le Pen ou Éric Zemmour. À la fin, les Français décideront s’ils veulent reconduire le président « Top Gun » (c’est le mot d’un pécressiste). Et s’ils le font, élu et électeurs auront cinq ans pour méditer sur la distinction entre la conquête du pouvoir et son exercice.


Cette chronique a initialement été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez « Lévy sans interdit », la chronique radio de la directrice de Causeur, chaque matin à 8h10 dans la matinale.

La chance d’être une femme en France ce 8 mars 2022


En France, la journée internationale de la femme se transforme le plus souvent en un vaste fourre-tout dénonçant tous les désavantages et les violences faites aux femmes. C’est aussi l’occasion superficielle pour faire des relations publiques en invitant des femmes, et seulement des femmes, à des évènements promotionnels, ou encore de les mettre en Une de la presse économique, pour une fois… 

C’est en 1982, sous l’impulsion de la socialiste Yvette Roudy, ministre déléguée aux droits des femmes, que la France reconnaît le 8 mars comme Journée internationale des droits des femmes. Aujourd’hui, le mot “international” est bien celui qui devrait compter. Nous avons en effet la chance de vivre dans un pays où les relations entre les hommes et les femmes sont harmonieuses. Et ce n’est évidemment pas le cas dans nombre d’autres pays. Aussi, attention de ne pas faire pencher le balancier exagérément dans le sens de la complainte victimaire !

Notre nombrilisme en la matière est injuste, et nous ne nous battons pas assez pour les vraies dernières esclaves du monde que sont les femmes dans certains pays ! Si les conditions des hommes étaient similaires à celles de ces femmes ni soignées, ni instruites, ni libres, interdites de conduite d’une voiture, voilées forcément voilées, cela susciterait une indignation internationale passible de la Cour des droits de l’Homme ! Ne tolérons plus qu’on nous oppose qu’il s’agit de coutumes locales ou d’une condition féminine pleinement acceptée. Ne tolérons plus ce wokisme qui revendique la « liberté » vestimentaire d’être cachée, et qui défend les opprimés au point d’opprimer ceux qui ne l’étaient pas, par mesure de rétorsion ! 

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Ne mélangeons pas tout non plus : les femmes battues, les promotions dans les entreprises ou encore les restes d’inégalités salariales – des problèmes réels – on s’y attaque en réalité en France plus et mieux qu’ailleurs. Le systématisme de certaines revendications politiques outragées et permanentes de certaines féministes est pénible. Et si nous célébrions plutôt exceptionnellement la place croissante de la femme dans la société, en y associant avec déterminisme nos amis les hommes à tous ces nécessaires progrès ? Quant à ceux qui se trompent et nous offrent un bouquet de fleurs parce qu’ils pensent que c’est la fête des femmes, ils sont attendrissants plus qu’autre chose ! Remettons les choses à leur place, sans outrance. 

Dédions enfin cette journée du 8 mars à toutes les femmes ukrainiennes. Ces femmes méritent d’être à l’honneur et terriblement respectées, entre autres celles qui ont laissé les hommes qu’elles aiment, armés, dans leurs pays, abandonnant des maisons parfois détruites ou ayant fui avec leurs enfants. Elles arrivent en France avec la volonté farouche de travailler, d’apprendre la langue et de s’intégrer, encouragées par la reconnaissance d’être accueillies à bras ouverts : c’est le droit d’asile tel qu’il nous honore et les unes et les autres. La force de ces femmes vaut bien le courage des hommes et ils le savent. 

Alors rendons grâce aux conditions qui nous permettent aujourd’hui en France de vivre heureuses car toutes les conditions sont réunies pour, même si elles peuvent toujours être améliorées. Ah ! Si toutes les femmes du monde pouvaient se donner la main…

De l’habileté du président-candidat

Avec la guerre menée de manière effroyable par Poutine contre l’Ukraine, malgré les coups de téléphone fréquents de notre président-candidat au dictateur russe, qui à l’évidence ne servent à rien, Emmanuel Macron n’a aucun mal à se légitimer comme le protecteur du peuple français sur le plan international.


Emmanuel Macron a d’ailleurs la chance d’être confronté à des opposants, quelles que soient leurs convictions, qui ont de la tenue au regard de la situation diplomatique et militaire actuelle. Ceci étant dit, je rejoins le fond de la tribune du président des sénateurs LR Bruno Retailleau qui dénie que durant son mandat, Emmanuel Macron ait su protéger la communauté nationale de tout ce qui l’a accablée à plusieurs titres plus ou moins gravement.

« Alors oui, comme l’a affirmé Emmanuel Macron, cette guerre est un tournant dans l’histoire européenne. Mais un tournant dans lequel tout ce qu’a incarné le macronisme est allé au fossé. Jusqu’à l’optimisme béat de ce «pensez printemps» que lançait Emmanuel Macron en 2017. Avec le retour du tragique, toute la vacuité de l’irénisme macronien apparaît »

Bruno Retailleau dans Le Figaro, 6 mars 2022

Un président extralucide

Il me paraît essentiel de rejeter l’argumentation développée par le candidat et ses soutiens, par exemple le 6 mars par Gabriel Attal son porte-parole sur TF1. Car elle vise à rien moins qu’à laisser croire que les dénonciations constantes des faiblesses de cette présidence, notamment régaliennes, ont été sans objet puisque tout aurait été spontanément et efficacement mis en œuvre par le gouvernement sous l’autorité d’Emmanuel Macron depuis le début. Que le président n’aurait rien eu à apprendre puisqu’il savait tout ! Alors que durant quasiment cinq ans celui-ci a fait la sourde oreille à tout ce qui n’avait pour but que de le mettre en garde contre les lacunes graves de son action : sécurité, autorité de l’Etat, justice, absurdité opératoire du « en même temps »…

À lire ensuite: Causeur #99: Poutine détruit l’Ukraine et flingue la présidentielle

Cet aveuglement, dont sans doute l’une des moindres manifestations a été la nomination, avec une désinvolture royale, d’Eric Dupond-Moretti comme garde des Sceaux (on a pu voir encore récemment combien il était peu accordé à cet honneur), mérite d’être souligné parce qu’il projette une lumière au moins trouble sur les opérations de rattrapage de la fin du mandat. Le Beauvau de la sécurité, les Etats généraux de la Justice, ces tentatives de combler les vides, ce que j’ai nommé dans mon titre « le cynisme des dernières minutes »… Il n’y a aucun doute possible sur le caractère de pur simulacre de cette tactique qui contredit absolument l’indifférence qui tout au long du mandat a sévi.

Une parenthèse

Comment alors ne pas s’inquiéter pour la suite ? Pourquoi cette apparente bonne volonté semblant faire fond, enfin, sur le sentiment populaire serait-elle autre chose qu’une courte et utilitaire parenthèse pour faciliter une réélection déjà probable ?

Quelle confiance pourra-t-on accorder demain au respect des promesses, à la sincérité des engagements ? Pas seulement, d’ailleurs, en ce qui relève de l’autorité, de la sécurité, de la Justice et de la considération des attentes et des peurs du peuple mais de l’ensemble d’une politique qu’on nous vante comme ayant découvert miraculeusement, en fin de parcours, ce qui crevait les yeux et l’esprit depuis le début du quinquennat, avec ce nouveau monde mort-né…

À lire ensuite, du même auteur: Ne laissons pas M. Macron totalement fuir le débat national!

Je regrette que l’argumentation de Valérie Pécresse n’ait pas su, jusqu’à maintenant, exploiter cette immoralité politique prenant les citoyens pour des naïfs parce qu’ils seraient incapables de s’émouvoir des grossières coutures de cette entreprise cousue de fil blanc et un zeste méprisante.

Une campagne LR exaspérante

Rien n’est plus exaspérant que cette campagne de LR, non pas parce qu’elle est mal en point aujourd’hui face aux lignes de force des sondages mais à cause de l’infirmité de sa dialectique et de la faiblesse conceptuelle de ses répliques. Perdre, ce peut être le jeu démocratique, mais perdre en négligeant beaucoup d’armes est trop frustrant pour être accepté sans aigreur. Ceux qui restent aujourd’hui aux côtés de Valérie Pécresse et persévèrent dans la fidélité à sa cause sont des héros républicains. Mais de grâce qu’on dénonce enfin, chez le candidat Emmanuel Macron déclaré en dernière minute, le cynisme des dernières minutes… Où toute conviction a été remplacée par de l’habileté. Et il n’en a jamais manqué !

Le XXIe siècle sera nucléaire ou ne sera pas

L’épopée nucléaire française est une réussite industrielle et scientifique qui nous permet de produire 70 % de notre énergie. Or, par lâcheté et manque de vision, nos gouvernements successifs se sont acharnés à casser ce modèle d’excellence : libéralisation du marché de l’électricité, dépeçage d’EDF, lois dictées par le lobby vert… ou l’Allemagne. Le nucléaire demeure pourtant la seule source d’énergie capable de diminuer les émissions de carbone sans déclencher une crise économique majeure.


Hors du nucléaire point de salut. Qu’on s’en désole ou qu’on s’en réjouisse, pour notre civilisation, c’est une certitude. L’enjeu est économique et technique, mais avant tout politique : privée de centrale nucléaire et avec 100 % d’énergies renouvelables (EnR), la France aurait beaucoup de difficultés à maintenir un niveau acceptable de création de richesse. Quant à l’État, il ne pourrait pas financer les prestations sociales ni même ses fonctions régaliennes.

En matière de transition énergétique, l’unique stratégie possible conjugue quatre types d’actions. La première et la moins compliquée consiste à économiser de l’énergie. Faire autant, voire plus (chauffer, rouler, fabriquer) avec de moins en moins. C’est essentiel, mais insuffisant. Il faut donc en même temps, autant que faire se peut, remplacer toutes les énergies fossiles par de l’électricité ou du gaz verts, c’est-à-dire produits sans émission de gaz à effet de serre (on dira également « décarbonée »). Bien entendu, la source d’énergie doit être fiable, constante et abordable, ce qui, aujourd’hui, exclut les renouvelables. En effet, celles-ci, notamment l’éolien, le photovoltaïque (solaire) et l’hydraulique, ne peuvent nullement être le composant essentiel, et encore moins unique, de notre mix énergétique, comme on semble le croire en Allemagne. Pour une bonne raison : c’est qu’elles sont intermittentes. Un anticyclone peut mettre à l’arrêt le parc national d’éoliennes en plein pic de consommation de l’hiver de la même façon que le mauvais temps peut cacher le soleil et faire chuter la production du solaire en période chaude sans égard pour les besoins de transport, de l’industrie ou des foyers dans la journée.

Les énergies renouvelables ne peuvent supplanter le nucléaire

Ainsi, paradoxalement, plus la part des EnR dans le mix énergétique d’un pays augmente, plus il faut construire de centrales capables de produire à la demande et rapidement pour assurer la continuité de l’approvisionnement quand les intermittentes sont hors service. Et si ce n’est pas le nucléaire, ce sera le gaz. Ce qu’explique Dominique Finon, directeur de recherche honoraire au CNRS, conseiller spécial du Conseil français de l’énergie et ancien consultant de la Banque mondiale : « Le planificateur ne peut manquer de trouver que, même avec un nucléaire plus cher que l’éolien et le photovoltaïque pour chaque MWh d’énergie produite, ça coûterait moins cher au total de faire à la fois du nucléaire et des EnR parce que les MWh des EnR, produits n’importe comment et n’importe quand, ont bien moins de valeur économique que le MWh venant du nucléaire qui produit à pleine puissance et pendant les pics de manière fiable et prévisible. Les études montrent que, dans les pays dans lesquels l’opinion publique accepte le nucléaire, comme la France, le mix énergétique idéal est composé au maximum de 5 % de photovoltaïque, de 20 % d’éolien et de quelque 70 % de nucléaire, en n’oubliant pas les 10 % de production hydraulique existant. »

A lire aussi : Prix de l’électricité, Bruxelles et Paris responsables et coupables

Pour aller plus loin et surmonter les limites techniques des réacteurs actuels (utilisation médiocre de l’uranium 235 fissile, volume des déchets à gérer), il faudra mettre au point de meilleures technologies de fission, capables de servir de base pour la quatrième génération de réacteurs, celle d’après l’EPR construit à Flamanville, comme les neutrons rapides-sodium, les rapides à sel fondu ou les réacteurs à haute température (HTR) appuyés sur un cycle de combustible au thorium, qui ne sont pas encore mûres et ne le seront pas avant deux ou trois décennies, même si on consent d’importants d’efforts. En effet les technologies actuelles de réacteurs à eau légère ont l’avantage d’être performantes et d’avoir accumulé des effets d’apprentissage, notamment en matière de sûreté.

On peut bien sûr espérer une rupture technologique pour satisfaire les besoins en énergie de l’humanité. « On pourrait rêver, explique Dominique Finon, de la fusion nucléaire qui consiste en la fusion de deux noyaux d’hydrogène isotopique pour former un noyau plus lourd, procédé sans commune mesure avec la fission des atomes d’uranium ou de plutonium en usage actuellement, mais ô combien difficile à maîtriser de façon industrielle et commerciale. » Des efforts considérables, notamment la construction du réacteur ITER à Cadarache (20 milliards d’euros), sont actuellement fournis pour maîtriser cette technologie, mais on est encore loin de pouvoir remplacer les réacteurs à fission.

Les contraintes économiques du nucléaire incompatibles avec la finance et les marchés

Nous avons besoin du nucléaire de fission, technique aujourd’hui employée dans nos réacteurs). Mais le nucléaire est une technologie très gourmande en capitaux, exigeant de lourds investissements sur de longues années, incompatible avec la logique de la finance privée. Si la technologie nucléaire a pu se développer, c’est parce que, dans tous les pays, le secteur électrique fonctionnait dans un cadre dirigiste et dans un régime de monopole public. Cela permettait de transférer les risques de surcoûts sur les consommateurs via les tarifs de l’électricité.

La dérégulation des industries électriques a bouleversé ce schéma. Tous les risques sont désormais portés par les producteurs/investisseurs. De plus, les prix sont formés sur des marchés horaires de façon très volatile [voir p.72-74 l’article de Léon Thau). Pour Finon, le plus important est d’admettre a priori que le nucléaire est une technologie d’État. Et une technologie d’État exige une entreprise d’État capable de concevoir des réacteurs, de piloter leur déploiement et d’assurer leur exploitation efficace dans le respect de règles de sûreté très strictes. C’est le cas en France avec EDF, qui reste un atout important pour asseoir une stratégie de transition fondée en grande partie sur le nucléaire. Et, avec un recul de plusieurs décennies, on peut dire que notre électricien historique n’a pas démérité.

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Il faut le marteler, la France possède un atout considérable : une filière nucléaire riche d’une longue histoire et d’une infrastructure très développée. Le nucléaire – civil et militaire – est l’une des plus grandes réussites de notre histoire. C’est ainsi qu’entre 1970 et 1999, date de la mise en service du dernier réacteur, on a construit 58 réacteurs qui produisent 70 % de l’électricité nationale – les deux premiers réacteurs fournissant une partie significative de notre électricité, ceux de la centrale de Fessenheim, ont été raccordés au réseau en 1977. C’est une situation unique au monde, loin devant les deux autres pays nucléaires : la Corée du Sud (30 %) et les États-Unis (20 %).

L’atout historique du nucléaire pour la France

L’acte de naissance officiel de cette filière remonte au 18 octobre 1945, avec la création par le général de Gaulle du Commissariat à l’énergie atomique (CEA), quatre mois après que deux bombes nucléaires ont anéanti Hiroshima et Nagasaki. La France est alors ruinée, le sentiment national blessé par la défaite de 1940 et les années d’occupation, ses infrastructures détruites et son économie incapable de nourrir sa population ; elle décide pourtant de jouer dans la cour des grands et d’engager les efforts nécessaires pour développer la maîtrise de la bombe atomique et l’exploitation des usages civils de l’atome. Dix ans après, le premier réacteur électronucléaire est construit à Marcoule pour produire du plutonium militaire, mais aussi pour faire de l’électricité (en faible quantité). Dans la foulée entre 1957 et 1965, EDF engrange les commandes pour plusieurs réacteurs du même modèle développé par le CEA.

Le général de Gaulle visite le centre de production de plutonium de Marcoule dans le Gard, créé trois ans plus tôt par le Commissariat à l’énergie atomique (CEA), 2 août 1958 © AFP

La première période se termine avec la fin de règne du Général en 1969. Pendant ce quart de siècle, le nucléaire civil est un grand projet national dont la logique profonde est de permettre à la France de tenir son rang parmi les sociétés développées à travers la maîtrise de savoirs et techniques de pointe. Ce grand projet national tire vers le haut des pans entiers de la recherche universitaire et privée, et encourage l’émergence de filières industrielles importantes. Les programmes nucléaires ont grandement contribué au développement des ordinateurs tant les besoins de calculs étaient énormes.

Avec le départ du général de Gaulle, la filière nucléaire prend le virage américain et, à la place du modèle développé par le CEA, adopte la technologie REP (réacteur à uranium enrichi et eau légère pressurisée) brevetée par Westinghouse. Un raisonnement économique se substituant à la logique purement stratégique de l’époque gaullienne, la préférence nationale est abandonnée . La crise pétrolière de 1973 accélère la structuration de la filière en véritable industrie et, au milieu de la décennie, un programme ambitieux de construction standardisée en série est lancé. La France, qui n’a pas de pétrole, a trouvé sa grande idée. Des dizaines de chantiers sont alors lancés.

Les 5 acteurs de l’énergie nucléaire française

Cet ensemble dédié à l’énergie nucléaire a été dirigé de manière centralisée par une élite homogène d’experts et porté par cinq grands acteurs : les premiers sont EDF, le constructeur de réacteurs Framatome (plus tard Areva et aujourd’hui de nouveau Framatome) et le Commissariat à l’énergie atomique (CEA). En 1976 un quatrième acteur a été créé, la Compagnie générale des mines (Cogema), englobant toutes les activités liées au combustible nucléaire (notamment les mines d’uranium), d’abord comme filiale du CEA puis intégrée avec Framatome dans Areva, et désormais baptisée Orano. Le cinquième pilier de la filière est Alstom, qui construit des turbines thermonucléaires dites « Arabelle », qui effectuent la transformation du combustible en électricité. Ce département, rappelle Dominique Finon, a été vendu à General Electric en 2014. Cependant, huit ans et un dépeçage de notre champion industriel plus tard, EDF négocie le rachat de ce département depuis plusieurs mois car ces matériels sont indispensables au développement des ventes des réacteurs…

EDF, qui était pendant cette période une entreprise publique à la pointe du progrès technique et économique, disposait d’une puissance financière et d’une organisation solide pour mener à bien des projets compliqués et coûteux. Cependant, les intérêts du CEA et d’EDF n’ont pas toujours convergé. Ainsi avant 1973, quand le pétrole était très peu cher, donc l’électricité thermique aussi, EDF a retardé le déploiement de centrales nucléaires prévu par le cinquième plan (1966-1970), le limitant à un ou deux réacteurs nucléaires par an.

La France, leader mondial du nucléaire

À partir de 1975, la belle époque atomique est celle des réalisations en série avec une moyenne de cinq commandes annuelles jusqu’en 1983. Ensuite, la cadence diminue jusqu’à l’achèvement de Civaux-2 en 1999.

Dans le même temps, le partenariat EDF-Framatome-CEA s’est affirmé comme un acteur majeur sur le marché mondial en décrochant, entre 1975 et 1995, 40 % des commandes de centrales. Quant à la sûreté nucléaire, on peut dire que, pendant les années 1950-1980, le lait a été confié à la surveillance des chats avec une proximité aujourd’hui difficile à imaginer entre contrôlés et contrôleurs. En effet, ce sont les acteurs de la filière qui en sont chargés. C’est dans les années 1990, bien après Tchernobyl, qu’une nouvelle stratégie est adoptée, aboutissant en 2001 à la création de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), placée sous la tutelle conjointe des ministères de l’Environnement, de la Santé et de l’Industrie, et donc déconnectée, en principe, du trio EDF-Areva-CEA.

Une énergie de plus en plus contestée

Comme les sous-marins, les centrales nucléaires ont toutes une date de préemption qu’il est coûteux et risqué de dépasser. C’est pourquoi, en pleine période héroïque du nucléaire civil français, la filière n’a pas perdu de vue l’avenir en lançant les réacteurs de troisième génération (la première était le réacteur à graphite modèle CEA, la deuxième la famille Westinghouse). Sauf que, pendant les années 1970-1980, la question de l’environnement commence à faire surface et à prendre une dimension politique (voir encadré p. 74).

Manifestation anti-nucléaire près de la centrale Superphénix de Creys-Malville, après l’annonce de sa fermeture par la ministre de l’environnement Dominique Voynet, 2 août 1997 © PHILIPPE DESMAZES / AFP

La vision d’avenir de la filière nucléaire française s’articule à la fin des années 1970 autour d’une nouvelle technologie : le réacteur à neutrons rapides, dont le fluide caloporteur est le sodium. C’est Superphénix. Cette technologie répond au problème majeur que posent les deux premières générations : leur grande consommation d’uranium, une matière rare que la France importe. Superphénix utilise l’uranium appauvri, un combustible plus abondant et plus facile à se procurer, via le recyclage des déchets.

Cependant, le projet se heurte à des difficultés techniques et, plus encore, à des obstacles politiques. Le budget et le délai initiaux sont pulvérisés, ce qui, il est vrai, a été le cas pour tous les grands programmes de recherche (Ariane, Concorde…). Bien pire, Superphénix cristallise l’opposition à l’énergie nucléaire en France. Il marque le début d’un véritable chemin de croix politique et technique, semé d’incidents, manifestations, guérillas juridiques et fermetures administratives jusqu’à l’abandon définitif du projet annoncé par Lionel Jospin en 1997.

Une alliance avec l’Allemagne pour apaiser la situation

Pour sortir de l’ornière, le gouvernement français change de stratégie et, pendant le deuxième septennat de François Mitterrand, la filière converge vers un projet franco-allemand censé rassurer les opposants : le réacteur pressurisé européen ou EPR (« European Pressurized Reactor »). Il s’agit d’un réacteur de troisième génération, conçu et développé par la société NPI (Nuclear Power International), détenue à parts égales par Framatome SA et Siemens. EDF, qui achève alors la construction des réacteurs nucléaires N4 (génération intermédiaire supposée opérer la jonction entre la fin de vie des anciens réacteurs et l’entrée en service de la troisième génération), intègre le projet franco-allemand dans son planning, et met en sommeil les réacteurs qui devaient suivre, les N4+.

Or, comme Superphénix, l’EPR prend beaucoup de retard et son coût explose : prévue pour durer quatre ans et demi, la construction de l’EPR français à Flamanville a commencé en 2007 et sa mise en service, repoussée à plusieurs reprises, devrait finalement intervenir en 2022 (en particulier à cause des changements de réglementation adoptés après Fukushima en 2011. Son coût a dérivé, passant de 3,5 à 19 milliards d’euros. Toutefois, trois centrales EPR sont opérationnelles, deux en Chine (Taishan 1 et 2) et Olkiluoto en Finlande, entrée en service fin 2021 avec douze ans de retard. Trois autres sont en construction : une à Flamanville et deux à Hinkley Point, au Royaume-Uni.

Emmanuel Macron, favorable au nucléaire et soumis aux Verts… en même temps

Ce dernier chantier, dans lequel le ministre de l’Économie Emmanuel Macron s’est fortement impliqué, est devenu à son tour un objet politique radioactif. Au Royaume-Uni, la décision d’installer une centrale nucléaire (Hinkley Point C, projet lancé en 2012, démarrage en 2021) sur le site d’une ancienne centrale à charbon (Hinkley Point A, 1957/1965) et plus tard à gaz (Hinkley Point B, 1967/1976) et de confier le projet à EDF s’est retrouvée sous le feu croisé des opposants au nucléaire et des adversaires de l’implication française. Le projet est sévèrement critiqué pour le prix élevé de l’électricité que le gouvernement de Sa Majesté s’est engagé à acheter à EDF. Depuis le coût a encore augmenté et les retards s’accumulent. Les raisons de ces déconvenues sont les mêmes qu’à Flamanville et Olkiluoto. Tout d’abord, ce sont des « têtes de série », plus longues et coûteuses par définition. Il faut ajouter la perte de compétences de certains acteurs de la filière nucléaire (notamment de la dimension BTP) et le renforcement conséquent des normes de sécurité imposé après le lancement du chantier, à la suite de Fukushima.

Cependant, l’EPR n’est qu’un modèle très amélioré des réacteurs français construits dans les années 1970-1990 et le projet a donc laissé ouverte la question du nucléaire d’avenir, déconnecté de la dimension militaire, beaucoup plus efficace, propre et sûr. C’est ainsi qu’en 2009, Nicolas Sarkozy veut accélérer le projet Astrid (« Advanced Sodium Technological Reactor for Industrial Demonstration »), qui n’est qu’un autre Superphénix. Comme celui-ci, Astrid devait permettre de produire cent fois plus d’énergie que les réacteurs actuellement déployés sur le parc nucléaire français. Mais en 2019, Emmanuel Macron l’abandonne, choisissant de le sacrifier sur l’autel de l’alliance avec les Verts.

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La concurrence au détriment du nucléaire français

Dernier élément essentiel dans cet état des lieux de notre filière nucléaire, l’ouverture à la concurrence du marché de l’électricité et sa conséquence majeure, l’affaiblissement d’EDF. L’idée de la libéralisation naît au Royaume-Uni pendant les années 1980 : la découverte d’importantes réserves de gaz en mer du Nord permet d’envisager de remplacer le charbon par le gaz dans la production d’électricité, de rénover la filière électrique britannique et, cerise sur le gâteau, de casser définitivement les syndicats de mineurs. Dans un premier temps, l’initiative britannique est bloquée par l’opposition de la France et de l’Allemagne, mais vers la fin du siècle dernier, Berlin, absorbé par la réintégration de l’Est et souhaitant moderniser sa production électrique, finit par se ranger du côté de Londres. La France se retrouve alors seule et s’aligne. Aujourd’hui, c’est la raison principale de la flambée des prix (voir le papier de Léon Thau déjà cité).

Pour ne rien arranger, le gouvernement français, inspiré par l’Allemagne, lance sous la présidence Hollande le projet Hercule, dont l’objectif est d’éclater EDF en au moins deux grosses entités, l’une dédiée au nucléaire, l’autre aux énergies renouvelables. Défendue par Emmanuel Macron alors qu’il était ministre de l’Économie et de l’Industrie (2014-2016), cette réorganisation risquait fortement de servir une stratégie de liquidation du nucléaire, comme une sorte de « Banque poubelle » (« Bad Bank »), une structure de défaisance chargée de concentrer les mauvais actifs d’une entreprise. Ainsi Hercule permet la création d’un bon EDF, vert, vertueux, sexy et donc cher, et d’un mauvais EDF, que l’État (avec l’argent des contribuables) va laisser mourir de sa belle mort. Ce projet semble aujourd’hui être caduc, mais le fait même qu’il ait été imaginé et promu témoigne de l’état d’esprit de l’État français sous les deux derniers quinquennats.

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Une énergie qui compte de nombreux avantages et pourtant…

Enfin, l’Europe qui ne jure que par la transition écologique n’a rien fait pour faciliter les choses. Dans les dispositifs du plan de relance, le nucléaire ne figurait pas sur la liste des technologies vertes et donc éligibles à l’aide des États membres (notamment dans la forme de prix d’achat fixe, une sorte de subvention). C’est le débat sur ce qu’on appelle la taxonomie. Or, cette absence limite non seulement l’accès aux subventions mais aussi l’éligibilité aux crédits bancaires et obligations verts. En même temps, le gaz y figurait fièrement. C’est seulement le 31 décembre, vers 22 heures, que la nouvelle liste, intégrant le nucléaire, a été publiée. Et ce compromis de dernière minute est contesté par au moins quatre pays membres de l’UE.

C’est ainsi que la France, qui détenait la clé de son propre avenir énergétique et de celui de l’Europe, voire du reste du monde, a petit à petit laissé dépérir la filière nucléaire. Il est absurde de dénoncer l’énergie nucléaire au nom de la sécurité, d’une part (risques d’accident ou d’attentats), et de la défense de l’environnement, de l’autre (pour le problème des déchets), tout  en empêchant la filière d’avancer vers des technologies permettant de résoudre ces deux problèmes. Il est également insensé d’abandonner la seule source d’énergie compatible à la fois avec la transition énergétique, l’économie de marché, la démocratie libérale et la croissance. À moins que, pour certaines forces politiques, notamment la majorité des Verts et la FI, l’opposition au nucléaire ne soit qu’une manière détournée d’empêcher la croissance pour faire advenir une crise économique et sociale majeure et créer ainsi les conditions d’une révolution.

Et l’atome créa les Verts
En 1971, 15 000 personnes manifestaient contre le projet français d’implantation de la première centrale nucléaire à eau légère dans le Bugey. Cette protestation de masse était d’une longue série, jusqu’à ce que la manifestation massive contre le surgénérateur Superphénix, à Creys-Malville en 1977, tourne à la confrontation violente avec les forces de l’ordre, faisant un mort parmi les manifestants. La mobilisation est conséquente : entre 1975 et 1977, quelque 175 000 personnes ont participé à des actions contre l’énergie nucléaire civile.
Néanmoins jusqu’en 1981 rien ne change dans le programme d’installation des centrales. C’est la volonté d’en installer une à Plogoff, près de la pointe du Raz dans le Sud-Finistère, qui cristallise de nouveau l’opposition et donne lieu à des manifestations brutales. Le candidat Mitterrand promet d’arrêter le projet, ce qu’il fait dès son arrivée au pouvoir. Et même s’il poursuit le programme national d’ouvertures de centrales élaboré par son prédécesseur, le vert est dans le fruit. C’est ainsi que les alternatives au site de Plogoff n’ont  jamais vu le jour et que la Bretagne reste toujours dépendante de la centrale à charbon de Cordemais (près de Saint-Nazaire) pour sécuriser son approvisionnement électrique !
Ces mobilisations de la fin des années 1970 ont servi, entre autres, à créer une pépinière pour l’étape politique suivante, la création du mouvement vert. On peut citer à titre d’exemple le parcours d’Yves Cochet. Président de l’UNEF à la faculté de Rennes à la fin des années 1960, il s’engage dans la lutte antinucléaire dans les années 1970 avant de participer à la campagne présidentielle de Brice Lalonde en 1981.
En 1984, il fait partie des fondateurs des Verts, dont il est membre du Conseil national interrégional. Élu conseiller municipal de Rennes lors des municipales de 1989, il s’intéresse à l’idée de décroissance. Il devient député en 1997, faisant partie des sept premiers élus écologistes au Parlement français. Enfin, en 2001, il est ministre de l’Environnement et de l’Aménagement du territoire du gouvernement de Lionel Jospin.
Dès lors, le développement du nucléaire doit intégrer cette donnée en répondant aux antinucléaires et en tentant d’apaiser les peurs de l’opinion publique – Le Syndrome chinois, film sorti en 1979, attire l’attention sur le risque du nucléaire civil. Parallèlement, des militants antinucléaires s’approchent du sommet de l’État et pèsent, de l’intérieur, sur l’élaboration de la politique énergétique française.
EDF, histoire d’un démantèlement
Depuis 1991 EDF, l’entreprise symbole du progrès technologique et de la modernisation de la France, ne cesse de perdre de plumes. Les années noires commencent avec la loi Bataille (30 décembre 1991) relative aux déchets nucléaires, qui introduit le principe de « pollueur-payeur » et oblige EDF à endosser la responsabilité de ces matières très radioactives à durée de vie longue. Aux États-Unis, par exemple, c’est l’État fédéral qui prend à sa charge l’essentiel de cette responsabilité aux conséquences financières très lourdes.
Fin 1996, la première phase de l’ouverture du marché européen de l’électricité, qui concerne les très gros consommateurs, entre en vigueur. Quoi qu’on pense de cette mesure, EDF ne s’adapte pas suffisamment bien au nouvel environnement concurrentiel annoncé depuis longtemps et la perte de gros clients ébranle l’entreprise. La direction adopte une approche défensive. Un ancien cadre raconte comment des mesures d’économie, le gel des embauches et un discours négatif de la direction (« si nous sommes trop cher, c’est la faute aux ingénieurs ») ont créé une ambiance morose. Il se rappelle que, côté GDF (qui fait alors partie de la même entreprise), le message – et l’ambiance – était à l’opposé : combatif, dynamique, visionnaire.
Quelques mois plus tard, les législatives anticipées de juin 1997 amènent au pouvoir la coalition de la Gauche plurielle, dirigée par Lionel Jospin. Celui-ci confie le ministère de l’Environnement à Dominique Voynet, l’une des fondatrices des Verts qui, comme son successeur Yves Cochet (voir encadré), avait fait ses classes de militante dans les manifestations contre Fessenheim et Superphénix. Une quinzaine de jours après l’avoir nommée à l’Environnement, Jospin annonce l’abandon de ce projet. Sans opposition de la part du chef de l’État, Jacques Chirac, l’exécutif signale à EDF que le nucléaire n’est plus l’alpha et l’oméga de la stratégie énergétique française. Avec un EPR toujours en gestation, pour la première fois depuis un demi-siècle, EDF n’a plus d’horizon nucléaire.
Sous l’effet de ces coups à répétition, l’hémorragie commence. Réaffectations de personnel, départs des cadres découragés et simples départs à la retraite dissolvent petit à petit des équipes et font perdre à l’électricien historique expérience et savoir-faire. Or, c’est de longue date un point faible d’EDF. Selon un ancien ingénieur, le « knowledge management » est déficient et en conséquence chaque départ sans remplacement sur le même poste est une perte sèche, car à EDF, on ne créait pas d’archives sur les pannes et leur résolution.
Le savoir passait d’une personne à l’autre et au sein de l’équipe. Ainsi, toujours selon cet ingénieur, malgré des dizaines de chantiers nucléaires et l’exploitation de quelque 60 réacteurs, il n’existait pas de mécanisme de mise en commun d’informations permettant de chercher des cas similaires lors de problème sur un réacteur. Chaque unité, chaque personne devait apprendre des anciens et de leur expérience… Envoyé en Chine pour participer aux chantiers nucléaires, ce même ingénieur découvre que là-bas, une base de données existe et s’avère fort utile.
EDF perd des compétences rapidement, surtout dans les domaines du génie civil et du pilotage de projet. Quand, en 2003, Areva gagne le contrat de l’EPR finlandais, ses équipes, dépourvues d’expérience et de compétence en génie civil et en gestion de chantiers nucléaires d’une telle ampleur, prennent pourtant en charge ces responsabilités au lieu de les confier à EDF. Cette situation devient aberrante en 2007 quand EDF lance le chantier EPR de Flamanville… Selon l’ancien ingénieur, au lieu de mettre en commun leur expérience, chaque entreprise mène jalousement son chantier de son côté.
En dehors d’EDF, le délitement de l’écosystème nucléaire a été encore plus rapide et brutal. Sans commandes, les sous-traitants licencient, se reconvertissent ou font faillite. D’autres  trouvent des clients à l’étranger et restent dans le secteur, mais pas en France… Une nouvelle politique d’achat aggrave encore plus la situation des PME. Désormais, raconte l’ancien cadre, les conditions préalables pour participer à des appels d’offres sont telles que seules de très grandes entreprises peuvent concourir. Les PME sont obligées de s’associer avec les gros acteurs, aux dépens de leur marge. Personne n’ayant anticipé la catastrophe, il n’existe pas de liste des compétences et entreprises stratégiques qu’il faudrait sauver par des commandes publiques. Entre le milieu des années 1990 et la fin des années 2000, la filière nucléaire française a collectivement perdu la main.
Entre-temps, le 21 novembre 2005 EDF est introduite en bourse, et même si seulement 15 % de son capital « flotte » (l’État conservant le reste), l’entreprise et ses dirigeants sont obligés de s’adapter à une nouvelle culture de gestion et de reporting. Depuis, EDF est contrainte à la schizophrénie : ses différents actionnaires et surtout le premier – l’État français – exigent tantôt qu’elle se comporte comme une entreprise privée, gagne de l’argent, améliore ses marges, tantôt qu’elle assume des responsabilités d’entreprise publique capable de défendre des intérêts nationaux stratégiques. On peut devenir fou pour moins que ça.

Applaudir avec les mains, c’est agresser?

Selon notre chroniqueuse, la présidente de la Chambre des représentants des États-Unis aurait adopté une nouvelle manière d’applaudir en public. Dans ce monde merveilleux où les politiques progressistes vantent bienveillance et inclusivité, les applaudissements sont perçus par certains comme autant de micro-agressions sonores.


Pendant que nos regards sont braqués avec stupeur vers l’est, la guerre que mènent les éveillés woke gagne encore du terrain à l’ouest.

Au regard de la déflagration militaire qui menace de déstabiliser le monde entier depuis l’Ukraine, je vous parle bien entendu ici d’un épiphénomène. Mais au regard de l’avancée du wokisme, c’est une nouvelle étape de franchie ! De quoi est-il question ? D’un simple geste, remarqué lors du discours sur l’Etat de l’Union prononcé mardi dernier par Joe Biden.

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Outre l’énorme bourde commise par le président américain (il s’est emmêlé les pinceaux en confondant le peuple ukrainien et le peuple iranien piteusement), ce discours a été marqué par une étrange réaction de Nancy Pelosi. Alors que le visage de la vice-présidente Kamala Harris laissait deviner qu’elle avait du mal à digérer la gaffe malheureuse de son patron, on a vu à un moment à ses côtés la présidente de la Chambre des représentants, toute émoustillée, se lever, non pas en applaudissant à tout rompre comme d’autres protagonistes présents dans le Capitole, mais en se frottant les phalanges… Aussi étrange soit-il, ce geste n’est peut-être pas anodin.

Une énigme

La vidéo, devenue rapidement populaire sur les réseaux sociaux, a suscité de nombreuses critiques dans les rangs du parti Républicain et en particulier des railleries des partisans de Donald Trump. Ces derniers ont surtout dénoncé le caractère déplacé de ces applaudissements, qui survenaient il est vrai au moment même où Joe Biden rappelait l’âpreté de combats en Irak et en Afghanistan – où des soldats américains ont inhalé de la fumée toxique. Mais au-delà, c’est bien la forme énigmatique des applaudissements de Nancy Pelosi qui interpelle.

Est-ce parce que l’octogénaire souffrirait d’une arthrose de la main qu’elle se frotte ainsi les phalanges ? ou bien est-ce parce qu’elle a adopté un applaudissement de forme inédite, silencieux, plus « inclusif » envers les personnes malentendantes ou celles souffrant d’hyperacousie ou de troubles anxieux ? Il y a fort à parier qu’il s’agit de la deuxième option, et que Nancy Pelosi se soit mise à l’applaudissement woke, sur les bons conseils de l’aile la plus progressiste du parti démocrate.

Langue des signes

Cet applaudissement non agressif est apparu pour la première fois à l’université d’Oxford au Royaume-Uni en 2019. Comme le révèle le New York Post [1], c’est un syndicat étudiant qui est parvenu à l’imposer là-bas, à l’issue d’un vote avalisant l’interdiction d’applaudir avec les mains lors des réunions ou des cérémonies de remise de prix. On privilégie dorénavant ces applaudissements silencieux (on peut aussi agiter les mains en l’air, ce qui est d’ailleurs la version en langue des signes des applaudissements).

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Dans le monde woke complètement binaire, qui sépare la société en deux camps opposés, les agressés et les agresseurs, applaudir avec les mains reviendrait à ce que les « validistes entendants » agressent les personnes sourdes ou celles souffrant d’une hypersensibilité sensorielle. Ce serait une forme d’exclusion à leur égard, évidemment malvenue. L’applaudissement silencieux, voilà qui est beaucoup plus inclusif…

Si ce type d’applaudissements devait s’imposer dans le monde du spectacle, on imagine la frustration des comédiens, danseurs ou chanteurs pour qui le tonnerre d’applaudissements est depuis longtemps la manifestation de la consécration. Ils devront ravaler ce désir de reconnaissance. Mais sauf à complètement nous empêcher de vivre, cette inclusion à marche forcée trouvera toujours une limite et ne sera jamais totale. En effet, on attend toujours que Pelosi et les progressistes nous disent comment on va faire pour les manchots et les aveugles.


[1] https://nypost.com/2019/10/25/oxford-bans-clapping-to-avoid-upsetting-students/

Jean-Pierre Pernaut, la France au cœur

Jean-Pierre Pernaut est mort à 71 ans. Recordman des journaux télévisés sur la première chaîne pendant plus de trente ans, il a été le premier – et longtemps le seul – à parler à la vraie France. Il laisse des millions de téléspectateurs en deuil.


La célébrité, c’est comme les ballons dirigeables. Plus on est connu, plus on est puissant et plus on prend de l’altitude. Au bout du compte et à force de lâcher du lest, on finit toujours par quitter la terre avec un melon de Montgolfière en perdant au passage le sens des réalités. Voire des valeurs. Le risque, c’est que les grands peuvent vous paraître alors de haut minuscules, et le rêve d’Icare enfin accessible.

Jean-Pierre Pernaut n’a jamais voulu être une star. Simplement parce qu’il n’a jamais rêvé de toucher les étoiles. Il avait bien trop de talent pour ça. D’humilité et de réalisme. Peut-être aussi parce qu’il avait un sincère respect de l’autre. Une empathie et une curiosité pour autrui. Et puis surtout, il était né parmi nous. Les pieds bien campés dans sa terre chérie du nord de la France. Sa Picardie de sang. Il n’a jamais voulu l’oublier. Jamais pu trahir cette authenticité qu’il portait chevillée au corps comme un trophée. Ce naturel indécrottable. Aussi vrai dans la vie qu’à l’écran.

Méprisé par l’intelligentsia parisienne

A ses débuts au JT, pendant que d’autres montaient à Paname pour s’abreuver à la soupe parisienne, il rentrait tous les soirs à Amiens humblement. Ruminant sans doute la phrase de Courteline « passer pour un idiot aux yeux d’un imbécile est une volupté de fin gourmet ». C’est sans doute aussi pour cette raison qu’il n’a jamais souhaité appartenir à l’intelligentsia de la capitale. Qu’il n’a jamais non plus trop fréquenté la grande confrérie de la carte de presse. La noblesse de robe autoproclamée de la cocarde. Cette chevalerie de pacotille qui confond le timbre de son coupe-file avec le drapeau de la Liberté de Delacroix. Il a toujours aussi évité soigneusement les officines, fuyant les chapelles. Dédaigné les salons de thé du Trocadéro et négligé les plafonds lambrissés des ministères. Il fut méprisé pour cela. Pris pour un con. Pire, pour un ringard. Un journaliste parisien ne pratique pas l’altruisme franchouillard, pensaient les belles âmes. Les attentions sont soigneusement triées, autorisées même, par les juges de la bien-pensance, et réservées aux grandes causes.  Alors, vous imaginez, s’occuper des Français en révélant la richesse de leurs territoires… Ou en essayant de leur ouvrir les yeux sur l’importance des traditions, quelle ringardise ! Mais des quolibets, il s’en fichait bien le JPP. Comme dirait Audiard, personne au monde n’empêchera les gens de parler dans ton dos. Le principal, c’est qu’ils se taisent quand tu te retournes. Parce que, chaque jour qui passait, il arborait fièrement à neuf heures la plus belle des décorations : les résultats d’audience de la veille. Cinq millions de Français qui vous suivent chaque jour fidèlement. Cinq millions d’aficionados presque énamourés. Jusqu’à la moitié des téléspectateurs qui convergent – lâchant tous les autres canaux – pour vous regarder à 13 heures en vous prouvant qu’on peut aimer son pays sans être un bourrin. Ça fait fermer les gueules. Ça fait taire les cons.

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« Et puis pas que des vieux, des quinquas ou de la ménagère, nous confiait-il fièrement dans une récente interview, il y’a des jeunes aussi ! » Parce qu’après 8000 JT et 33 ans de TF1, le Pernaut avait fini par plaire aux gamins. Par faire dans « l’intergénérationnel » comme on dit de nos jours. Comme un témoin qu’on passe d’âge en âge en famille. Une mire intégrée à votre abonnement Freebox. De témoin à icône, il n’y a qu’un pas.

Plus fort que les sondeurs

« Et surtout en restant soi-même », répétait-il à l’envi, « quand tu joues un jeu, ça finit toujours par se voir, tu ne peux pas te mentir à toi-même sans te lasser. Tu ne tiens pas 30 ans ». La notoriété, c’est lorsqu’on remarque votre présence, la célébrité c’est lorsqu’on note votre absence. Le succès, il en faut plus à Pernaut pour le faire quitter son terroir. Pas de quoi l’arracher non plus à ses racines. Entre ses haltes en province, son marché qu’il faisait encore lui-même et les 150 correspondants de la chaîne, c’est lui le premier qui va sentir monter la révolte des gilets jaunes. Lui le premier qui verra venir la bronca contre la hausse de la CSG qui grèvera les retraites, lui le premier qui va détecter enfin le ras le bol contre les 80 km/h et la détestation des éoliennes. Mougeotte, son premier patron, était un visionnaire de l’époque, une vigie des tendances sociétales. Un marabout de l’augure. JPP lui, restera comme le meilleur sondeur des territoires. Cette France qu’il adule tant. Celle des régions. Celle qui se lève tôt. Celle qui fume aussi – encore bêtement – et qui pue le diesel. Un hexagone que conchient évidemment quelques ministres hors sol qui n’ont rien compris.

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Un monument de la télé

Mais curieusement pas les présidents. Parce que ceux-là, ils savent depuis longtemps où sont les votants. Il les a tous reçus sur son plateau les PR, à l’Elysée et même dans une école de sous-pref. Les Mitterrand plastronnant, les Chirac empesé, les Sarkozy concerné ou les Macron en plongée. Tous en quête de France profonde. A la recherche de la proximité. Au gardav qu’ils étaient sur le plateau de la plus grosse audience d’Europe. Pas étonnant donc qu’à l’occasion de ses derniers déplacements on ait entendu des « Pernaut président ! » scandés par la foule. Qu’on lui ait même tendu un enfant à bénir ! Aucun journaliste avant lui, à la télévision, n’avait été aussi populaire. Et surtout si accessible. Et Pernaut de se souvenir encore «et dire qu’à mes débuts au 13H, un titre de presse avait titré « Jean-Pierre qui ? lorsque j’ai remplacé Mourousi». C’est peut-être aussi pourquoi, jusqu’au bout, il s’est toujours présenté en donnant son nom lorsqu’il serrait la main d’un quidam. Au cas où son interlocuteur n’aurait pas reconnu un des hommes les plus connus de France. Peut-être aussi pour cette raison qu’il a toujours dédaigné les honneurs. Ne recevant le grade de Chevalier que l’année dernière à 70 ans. Alors que certains de ses confrères collectionnaient les médailles depuis leurs 40 ans. Nul doute qu’il aurait préféré le Mérite agricole. En France, on ne peut pas dire qu’on manque de journalistes. Ils fleurissent partout comme des symboles architecturaux. Il y en a des majestueux comme certaines tours qui montent au firmament. Des magistraux, comme certains arcs triomphants. Des indestructibles, des rocs, des montagnes et même des Mont Blanc. En France, on a toutes les tailles de porte-plumes. Tous les calibres de passeurs de micro. Des petits, des gros et même des militants. Des reporters, des suiveurs, parfois des combattants. On en a aussi heureusement des grands. Et même occasionnellement des géants. JPP lui, c’était un monument.

Nucléaire: un gâchis français

Ouverture du marché de l’électricité à la concurrence, affaiblissement d’EDF et de l’ensemble de l’écosystème nucléaire… nos gouvernants, soumis aux exigences des eurocrates, ont abîmé un fleuron de notre industrie, pilier de notre économie. À l’approche de la présidentielle, tous les candidats ou presque se posent en défenseurs de notre souveraineté énergétique. Si l’heureux élu réussit à la sauver, ce sera un quasi-miracle.


C’est l’invité surprise de la présidentielle. Entre immigration, sécurité, pouvoir d’achat et droits de succession, la question nucléaire pourrait être l’un des enjeux cruciaux du débat électoral. Et c’est une bonne nouvelle. Ce dossier devrait en effet être une priorité absolue de nos gouvernants et de ceux qui aspirent à les remplacer. En effet, comme le montre Gil Mihaely, l’atome est non seulement la clef de notre souveraineté énergétique, et l’une des plus grandes réussites industrielles et scientifiques françaises, excellence que nous sommes en train de dilapider, faute de volonté politique et de vision à long terme, mais il est aussi notre seule possibilité de lutter contre le réchauffement. L’électricité nucléaire représente aujourd’hui 70 % de notre mix énergétique. Si nous y renonçons, pour câliner les Verts et autres décroissants, pour cause d’apathie industrielle ou en raison des palinodies européennes, nous le paierons soit d’une crise économique et sociale majeure, soit d’une dépendance accrue et très probablement des deux.

Divine concurrence

Or, comme l’explique Léon Thau, ce renoncement est à l’œuvre depuis que des gouvernants sans courage, Jacques Chirac en tête, ont accepté une libéralisation du marché de l’électricité parfaitement contraire à nos intérêts. Curieusement, ce choix en faveur du marché s’est accompagné de la décision d’aligner le prix de toute l’électricité, quelle que soit son origine, sur celui du dernier kilowatt-heure produit en Europe, qui s’avère aujourd’hui être le plus coûteux: ainsi soumet-on de vénérables monopoles à la concurrence tandis que les différentes sources d’énergie sont artificiellement mises sur un plan d’égalité, ce qui oblige aujourd’hui EDF à brader une partie de sa production à ses concurrents, au risque de la tuer par l’endettement ; aurait-on voulu flinguer notre électricien et notre filière nucléaire qu’on n’aurait pas fait autrement. Et si l’un et l’autre conservent de très beaux restes – on ne détruit pas cinquante ans d’efforts en un tournemain – ce projet est en bonne voie de réussite. Dans un article fort éclairant, l’économiste Jean-Claude Werrebrouck écrit : « Les prix 2022 seront approximativement maintenus par réduction de la fiscalité à hauteur d’environ 8 milliards d’euros, et par un accès élargi à l’ARENH[1] pour un coût d’environ 8 milliards d’euros également, coût ici financé par EDF… Le total correspond à une somme représentant quelque 40 % du budget militaire de la France[2]. »

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La divine concurrence vous vaut d’être enquiquiné tous les deux jours par un de ces nouveaux « opérateurs » qui ne sont en réalité que des marchands, voire des spéculateurs traitant l’électricité comme n’importe quel bien susceptible d’être vendu. Mais, chacun peut le constater, elle ne s’est nullement traduite par la baisse des prix promise par la théorie économique et les chamanes de Bruxelles. C’est que, justement, l’électricité n’est pas un bien comme un autre, raison pour laquelle la génération des reconstructeurs soucieux d’intérêt général en avait confié la production et la distribution à un monopole d’État qui a longtemps été considéré comme un fleuron industriel et qui est en passe de devenir l’homme malade de notre économie.

Rétropédalage

Assistons-nous à un miracle ? À quelques mois des élections et sur fond d’envolée des prix, Emmanuel Macron semble découvrir l’importance de l’enjeu. Le 9 novembre, il a fait part de sa volonté de relancer la construction de réacteurs. Bien sûr, soucieux d’apparaître comme le bon élève de la transition énergétique et fidèle à sa pratique du en même temps (qui consiste à vouloir faire plaisir à tout le monde, sans opérer de choix, douloureux par définition), il a également promis de poursuivre nos investissements dans les renouvelables, mot-sésame supposé flatter la fibre écolo de l’électeur. Cependant, comme nous ne contrôlons ni le soleil ni le vent, le solaire et les éoliennes resteront, pour très longtemps encore, des sources d’appoint. Des esprits chagrins remarqueront que le même Macron a décidé, en 2019, de mettre fin au programme Astrid (« Advanced Sodium Technological Reactor for Industrial Demonstration »), qui devait préparer la nouvelle génération de réacteurs, plus performants en termes de capacités de production, mais aussi de sécurité et de recyclage des déchets, deux domaines qui constituent les plus grandes faiblesses de l’énergie nucléaire. De nouvelles avancées technologiques sont en effet indispensables pour que le nucléaire soit à l’avenir une énergie totalement sûre et décarbonée. On comprend que, face à un enjeu aussi dérisoire, le président ait décidé de privilégier son alliance avec les Verts, on ne va tout de même pas sacrifier une élection à l’avenir du pays.

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L’atome revient à la mode

Mais enfin, réjouissons-nous, le Macron nouveau semble soucieux de souveraineté – conformément à l’analyse développée il y a quinze ans par notre cher Philippe Cohen qui constatait que les élus les plus mondialisateurs veillaient, avant chaque échéance, à ressortir le bonnet phrygien de la naphtaline. Le nucléaire a ceci de rassurant qu’il réactive le vieux clivage droite/gauche. Si, à l’exception du PCF, la gauche, qui s’est jetée à corps perdu dans la religion du climat, est désormais nucléophobe par nature, la droite en campagne est très largement nucléophile. Marine Le Pen veut construire trois nouveaux réacteurs, Éric Zemmour en promet dix, tandis que Valérie Pécresse en annonce six. L’ennui, c’est qu’en 2018, elle souhaitait au contraire sortir du nucléaire. Il faut croire que l’atome est à la mode.

Dans ce contexte, on peut se réjouir que l’UE ait, aux dernières heures de 2021, annoncé l’inscription du nucléaire dans la liste des énergies vertes, c’est-à-dire éligibles aux investissements garantis par l’Union (la fameuse taxonomie). Seulement, l’encre du compromis n’était pas sèche qu’on apprenait qu’il pouvait être promptement vidé de sa substance, voire purement et simplement remis en cause par un comité d’experts encouragé par l’Allemagne. Les technos bruxellois ont-ils voulu faire une bonne manière à un président qui leur promet de beaux jours ? Possible. En attendant, on se dit que le nucléaire est une affaire trop sérieuse pour être confiée aux politiciens et aux eurocrates.


[1]. « Accès réglementé à l’énergie nucléaire historique ». Dispositif donnant accès à 25 % de la production nucléaire à des prix inférieurs aux coûts unitaires.

[2]. « Délirante année 2022 : l’équivalent de 40 % du budget militaire de la France pour “sauver” le marché de l’électricité », Jean-Claude Werrebrouck, lacrisedesannees2010.com, 19 janvier 2022. Que Marcel Gauchet soit remercié pour me l’avoir signalé.

La Russie attaque? Vengeons-nous sur les handicapés!

Pendant le conflit se déroulent à Pékin les Jeux Olympiques des handicapés. Les instances internationales n’ont rien trouvé de mieux, pour punir Poutine, que d’interdire aux handicapés russes de participer. Une décision sinistrement stupide.


Ils sont handicapés, ils vivent en Russie — ce qui en soi n’est pas forcément drôle —, ils se sont entraînés comme des fous pour un événement qui ne leur offre une chance d’exister et de briller que tous les quatre ans, et le Comité olympique, sous influence américaine, vient de leur interdire de participer. On tue leurs rêves pour punir Poutine — qui s’en fiche un peu, figurez-vous.

Les responsables de cet ostracisme sont de sombres connards. Ceux qui l’approuvent (et il en est, qui affirment que les culs-de-jatte n’avaient qu’à ne pas voter Poutine) sont encore plus cons. S’il en est parmi les lecteurs de Causeur, j’espère que ça leur fait du bien de cracher sur des handicapés. Que ça leur dégage les bronches.

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Les sportifs sont globalement des cibles désignées pour les bonnes consciences occidentales. Les patineurs russes sont désormais interdits de compétition (ça donnera enfin aux autres une chance de monter sur les podiums), les athlètes russes sont partout refoulés, et la Fédération ukrainienne de tennis réclame l’interdiction des tennismen russes — y compris ceux qui comme Medvedev ont manifesté leur hostilité à la guerre et qui seraient bien plus efficaces en se maintenant justement sur le circuit. De puissants connards, ces Ukrainiens-là, et ceux qui les approuvent.

Quant à la Fédération internationale féline, elle décrète l’embargo sur les chats russes. Il y a aussi des connards de première chez les amis des bêtes.

Dans le monde de la culture, c’est encore pire. Des chefs d’orchestre ou des cantatrices sont interdits, et sous l’influence des woke anti-guerre, un cours sur Dostoïevski a été suspendu à Milan (puis rétabli devant les protestations des Italiens intelligents, il en reste). Allons-nous brûler tous les ouvrages écrits par Tolstoï, Gogol ou Gorki ? Belle occasion de tuer Pouchkine une seconde fois. Le monde universitaire est bourré de connards. « La détestation de Poutine tourne au maccarthysme anti-russe », écrit avec un grand à-propos Anne-Sophie Chazaud dans Causeur. La « cancel culture » a trouvé avec cette guerre un terrain d’élection.

Ça me rappelle la grande intelligence des Américains lorsqu’après le refus (raisonné) de Chirac de s’embarquer dans la croisade irakienne, ils avaient rebaptisé « liberty fries » ce qu’ils appelaient autrefois « french fries ». Que ne les ont-elles étouffés !

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Dans la musique classique, c’est encore pire. Un chef d’orchestre, Valery Gergiev, est rayé des cadres de la Scala, et une soprano — la magnifique Anna Netrebko — est suspendue (par les bretelles de son soutien-gorge ?) par l’Opéra de New York. Sans doute ont-ils résisté au désir de la pendre pour de bon. Les Américains ont un chic particulier pour les lynchages et les chasses aux sorcières.

Et aux censures décrétées par Poutine, qui n’est pas exactement un démocrate, ont répondu les censures françaises de Russia Today et de Sputnik France. Nous devons nous sentir très intelligents d’appliquer les mêmes normes qu’un dictateur post-soviétique.

Enfin, pour punir la Russie, on n’a rien trouvé de plus efficace que d’interdire à son représentant de disputer le concours de l’Eurovision, et LVMH et Chanel ont provisoirement fermé leurs boutiques dans la capitale russe. Les Moscovites tremblent, j’en suis sûr.

C’est entendu, les Ukrainiens sont en première ligne dans un conflit qui oppose en fait l’OTAN, faux-nez des États-Unis, et la Russie. Querelles d’empires, les Ukrainiens sont le doigt entre l’écorce et l’arbre. De là à s’en prendre aux handicapés ou aux félins… Je sens venir un embargo sur le caviar (déjà que celui d’origine iranienne est soumis au blocus imposé par ces mêmes Américains, shérifs de la planète entière) et sur la zibeline. Le pétrole et le gaz, eux, coulent toujours, parce que l’Europe serait exsangue en quelques jours si l’on en coupait la source, comme l’a très bien expliqué Charles Gave au micro de Sud-Radio vendredi dernier.

Mais que ne ferions-nous pas pour permettre une fois encore à Bernard-Henry Lévy d’exhiber ses chemises et son brushing sur les plateaux télé ? Le joli coup de la déstabilisation de la Libye ne lui a pas suffi, il lui faut un conflit mondial pour pérorer à l’aise !

Eh bien, la guerre!

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Ukrainiens fuyant la guerre, Irpin, périphérie de Kiev © Heidi Levine/SIPA

La guerre entre la Russie et l’Ukraine n’est que la suite d’une série de conflits où la France s’est trouvée impliquée, de près ou de loin, depuis trente ans.


On se souvient des Liaisons dangereuses et de cette exclamation célèbre de Madame de Merteuil face à Valmont qui la menace de représailles puisqu’elle se refuse à lui : « Eh bien, la guerre ! » Poutine n’a pas grand-chose de Valmont car il n’a jamais voulu séduire mais plutôt forcer. Il n’empêche, on ne peut constater, encore une fois, que la catastrophe est là : « Eh bien, la guerre ! » 

Une guerre de plus…

Si je réfléchis à celles que j’ai connues depuis que je suis adulte, et à laquelle la France a été mêlée de près ou de loin, je me dis que cela en fait tout de même un certain nombre. Pour ne commencer qu’avec les années 90, il y a d’abord eu la première guerre du Golfe. On a envoyé des soldats pour aller combattre les troupes de Saddam Hussein en 1991, aux côtés des Américains. Je me souviens qu’à l’époque, j’avais manifesté contre cette guerre et que Chevènement avait démissionné. A l’époque, il ne faisait pas bon être contre l’intervention au Koweït. On était vite vu comme un complice de la dictature. Ensuite, il y a eu les guerres en Yougoslavie. Elles ont duré une bonne partie des années 90. Là aussi, il y avait un ennemi : les Serbes. On n’avait pas trop le droit de nuancer. Le siège de Sarajevo, la purification ethnique en Bosnie : il y avait les bons et les mauvais, et les mauvais, c’était les Serbes.

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Ensuite, quand il y a eu les procès pour crimes de guerres et crimes contre l’humanité au Tribunal Pénal International, on s’est aperçus qu’il y avait eu des salopards des deux côtés, ou des trois, ou des quatre. Mais il a fallu attendre vingt ans pour comprendre que dans une guerre civile, c’est toujours compliqué de voir les bons et les mauvais dans un seul camp.

Ensuite, nous sommes intervenus au Rwanda quand les Hutus ont commencé à génocider les Tutsis. C’était sous Balladur. Il semblerait que, comme cela avait lieu en Afrique, et qu’il y avait la guerre en Yougoslavie en même temps, on ait fait moins attention. Il paraîtrait même, pour le coup, que cette fois-ci, l’armée française, toute seule comme une grande, ait protégé les Hutus, ceux qui venaient de commettre le génocide. On s’est excusés, mais le mal était fait.

Je passe la seconde guerre du Golfe en 2003, une vengeance personnelle de Bush fils pour finir le travail de son papa. Chirac et Villepin auront au moins eu ce mérite de ne pas nous embarquer dans cette expédition punitive néo-conservatrice. Ensuite, sous Sarkozy, on est intervenu en Libye pour mettre par terre Kadhafi. Il lui fallait sa guerre, à lui et à Cameron. C’est entendu, Khadafi était un monstre. Il n’empêche que depuis l’intervention franco-anglaise, la Libye, ce n’est pas franchement le pays de Candy. Je pourrais aussi parler du Mali où nous ne sommes plus très appréciés et où l’on s’est retrouvés bien seuls à perdre des soldats pour protéger l’Union Européenne qui ne nous en a pas été vraiment reconnaissante, au point de refuser de retirer nos dépenses militaires de notre déficit budgétaire, alors que nous avons la seule armée potable du continent. A l’occasion, on a aussi bombardé en Afghanistan, à Belgrade, en Syrie… « Eh bien, la guerre ! »

Le temps des « bouteillons »

Et maintenant, l’Ukraine. Il n’y a pas de doute, Poutine est l’agresseur. Il n’y a pas de doute non plus, tout esprit critique doit s’effacer devant l’émotion : l’horreur de voir ces civils sur les routes, ces villes bombardées et le devoir d’accueillir les réfugiés. Même les candidats super-fans de Poutine, regardez en bas, sur mon extrême-droite, ont bien été obligés de suivre.  La guerre ne laisse pas le temps de réfléchir parce que les victimes n’attendent pas. Au moins, on n’aura pas à rougir sur le plan humanitaire. Mais un jour ou l’autre, dans quelques années, il faudra bien admettre que derrière la violence des affrontements, on aura tout de même entendus pas mal de bobards ou pour reprendre ce vieux mot d’argot militaire, cher à Jacques Perret dans Le Caporal épinglé, de « bouteillons ».

À lire aussi, Loup Viallet: Sahel: «La tentative de conquête néocoloniale de Poutine en Ukraine va décrédibiliser la propagande russe en Afrique»

Bruit de fond

C’est que s’il existe un point commun entre toutes ces guerres, c’est le bruit de fond médiatique. Depuis les années 90, on voit les guerres en temps réel, ou presque. Et ça bavarde pendant des heures et des heures sur des images à la provenance incertaine. Il est impossible, à chaque fois, d’échapper aux explications à la fois simplistes, -Poutine est fou -, et embrouillées : en fait cette guerre est formidable, elle prouve que l’Union européenne existe !  C’est tout de même dommage de n’exister qu’en temps de guerre et non en temps de paix pour améliorer l’existence de ses concitoyens. Alors qu’on avait promis d’éviter les guerres sur le territoire européen…

Certes, cette fois-ci, j’ai appris une chose nouvelle. Apparemment, il est possible, très rapidement, de saisir les biens et les avoirs bancaires des oligarques quand ils sont russes. Alors je me demande pourquoi, excusez ma naïveté, ce n’est plus possible de faire la même chose avec les multinationales et autres GAFAM qui s’obstinent à ne pas payer les milliards d’impôts qu’ils doivent, chez nous, depuis des années.

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En finir avec les fruits gâtés du féminisme

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Marion Maréchal et Eric Zemmour, Toulon, 6 mars 2022 © Jean-Francois Badias/AP/SIPA

Le 8 mars 2022 marque aussi la journée du droit des Françaises qui veulent… en finir avec le néo-féminisme !


Vous souvenez-vous de l’époque où vous pouviez évoquer « la journée de la femme » à un déjeuner familial, sans vous faire invectiver par une sœur ou une cousine acquise à la cause néo-féministe ? Vous souvenez-vous de l’époque où les fleurs offertes par un homme à une femme étaient synonyme d’affection et non d’agression ?

À cette période légère, ont succédé les cortèges misandres et intersectionnels appelant à vous « délivrer du mâle » et du patriarcat occidental, père de tous les maux. La Journée internationale des femmes de 2022 ne dérogera pas à la règle, s’inscrivant sous le thème de « l’égalité aujourd’hui pour un avenir durable », pour toujours plus de quotas, d’éducation indifférenciée, d’immigration, d’avortements, et surtout, de financements.

Nombre de Françaises ont pris conscience que le 8 mars n’est plus un jour qui leur est destiné et que les militantes érigeant des clitoris gonflables sur la voie publique ne répondent en rien à leurs préoccupations.

Les Françaises ont compris que les centrales néo-féministes agissent dans leurs intérêts propres et pour nourrir des ambitions politiques. Diffamation, injures publiques, invectives, les militantes écoféministes consentent à toutes les bassesses et soufflent sur les braises de la discorde pour arriver à leurs fins. La trahison de Sandrine Rousseau est révélatrice de la toxicité véhiculée par cette idéologie : vouloir « occuper les places » quitte à créer le chaos dans son propre camp. Comment ne pas voir le contraste avec les femmes qui ont choisi de rejoindre Éric Zemmour ? Fidèles à leurs valeurs, conquérantes et rayonnantes, à l’image de Marion Maréchal. Pas de femmes quotas dans nos rangs, seulement des femmes de talent !

Les diktats néo-féministes nous ont enferrés dans de telles contradictions qu’il nous faut désormais lutter pour en sortir, d’autant que la droite a depuis trop longtemps déserté le combat. Quand on voit ce que les progressistes ont fait de nos droits, nous comprenons que nous n’avons d’autre choix que de partir à leur « Reconquête ».

Les Françaises veulent que les pouvoirs publics les aident à concilier leur vie familiale et leur vie professionnelle, à ne plus craindre la fin du mois, à ne plus renoncer à des soins faute de spécialistes, à ne plus tolérer de vivre dans l’insécurité. Elles sont aujourd’hui 69% à être favorables à l’interdiction des prestations sociales aux étrangers qui ont passé moins de cinq ans en France de manière régulière, car elles ne veulent plus être celles qui doivent renoncer à leurs projets familiaux faute de moyens et de perspectives.

Les Françaises se sont rangées derrière la candidature d’Éric Zemmour car, lui président, créera 60 000 places de crèches supplémentaires sur le quinquennat, expulsera les criminels et délinquants sexuels étrangers comme binationaux, augmentera le nombre de places dédiées aux victimes de violences conjugales, doublera le numérus clausus, mettra en place une bourse de naissance de 10 000 euros pour chaque enfant né dans un territoire rural et augmentera les pensions de réversion pour les veuves. Toutes ces mesures concrètes et pleines de bon sens répondent enfin aux attentes des Françaises dans leur diversité : les femmes en milieu rural qui n’en peuvent plus de faire des centaines de kilomètres pour atteindre une maternité ou d’attendre des mois pour un simple rendez-vous gynécologique, les femmes urbaines qui n’en peuvent plus d’être importunées et menacées sur leurs trajets du quotidien, les retraitées solitaires qui tombent dans la précarité, les jeunes femmes qui renoncent à leur projet d’enfant… Les Françaises sont à bout et le font savoir, elles veulent en finir avec les fruits gâtés du féminisme et partir à la reconquête de leurs droits, de leur sécurité et de leur avenir aux côtés d’Éric Zemmour.

Macron à Poissy, le débat Potemkine

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Emmanuel Macron à Poissy, 7 mars 2022 © Jacques Witt/ SIPA

Le président sortant, qui effectuait son premier déplacement de candidat à Poissy, a confirmé hier soir qu’il ne participerait à aucun débat avec les autres candidats avant le premier tour. Évidemment, ses petits camarades de jeu de la campagne présidentielle dénoncent un scandale démocratique…


C’est officiel. Emmanuel Macron ne débattra pas avec les autres candidats ! Il l’a confirmé hier soir, lors de son déplacement de terrain à Poissy: « Aucun président qui se représentait ne l’a fait. Je ne vois pas pourquoi je ferais différemment ».

À lire aussi, l’éditorial du mois de mars: Aux larmes, citoyens!

Ses concurrents hurlent au scandale. Mais la politique n’est pas seulement une affaire d’abnégation, de justice ou de nobles considérations. À la place de Macron, ils feraient exactement pareil. Parce qu’il a cet avantage structurel d’être le président en exercice, et surtout parce que Poutine lui offre une scène mondiale. Ce n’est pas lui prêter uniquement du cynisme que d’affirmer cela : tout politique rêve de rencontrer l’Histoire, et cette dernièrement a rarement une bonne tête. En 2003, Hubert Védrine enviait son successeur Dominique de Villepin qui avait pu faire son grand discours à l’ONU contre la guerre en Irak.

Ses rivaux ne peuvent pas le concurrencer dans son rôle de père de la nation

Emmanuel Macron n’est évidemment pas responsable de la catastrophe ukrainienne, mais elle lui permet de se la jouer mal rasé et bras de chemises dans une vidéo ou de nous dire qu’il s’intéresse aux Français, mais qu’il doit éviter la troisième guerre mondiale. Oui il a dit ça !

Il en fait toujours un peu trop, c’est qu’il veut nous montrer son âme immaculée. C’est ce que le chroniqueur Guy Carlier appelle le « théâtre aux armées ». Emmanuel Macron emploie un vocabulaire moral : « Poutine, c’est mal ». Vous pensiez que la diplomatie supposait à la fois du secret et de la froideur ? Vous vous trompiez ! Pour quelle raison Macron ferait-il campagne ? Ses rivaux ne peuvent pas le concurrencer dans son rôle de père de la nation. Ce sera donc sans lui. Ne restera qu’une bataille pour la deuxième place.

A lire aussi: Causeur: Poutine détruit l’Ukraine et flingue la présidentielle

Faut-il pour autant y voir scandale démocratique ? 

La ficelle est énorme quand il ressort de son chapeau le lapin-grand-débat avec les Français comme à Poissy hier soir. C’est un débat Potemkine, avec des gens intimidés, voire sélectionnés. Macron va montrer son talent de stand-upper. Mais ce one man show entrecoupé de questions n’est pas un débat égalitaire. Cela dit, les autres candidats ne sont pas obligés de se résigner à cette vraie-fausse campagne. Ils n’ont qu’à être plus convaincants. Ils n’ont pas besoin de lui pour exposer et critiquer son bilan.  Finalement, la qualité du débat dépendra largement des médias. Il y aura scandale démocratique s’ils décident que pour cause de guerre, le débat est sans intérêt ou s’ils interrogent le candidat Macron avec la révérence qu’on doit au chef de guerre. On espère que les journalistes l’interrogeront comme les autres, en lui coupant la parole à toutes les phrases comme ils le font avec Marine Le Pen ou Éric Zemmour. À la fin, les Français décideront s’ils veulent reconduire le président « Top Gun » (c’est le mot d’un pécressiste). Et s’ils le font, élu et électeurs auront cinq ans pour méditer sur la distinction entre la conquête du pouvoir et son exercice.


Cette chronique a initialement été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez « Lévy sans interdit », la chronique radio de la directrice de Causeur, chaque matin à 8h10 dans la matinale.

La chance d’être une femme en France ce 8 mars 2022

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Sophie de Menthon © IBO/SIPA Numéro de reportage: 00725460_000001.

En France, la journée internationale de la femme se transforme le plus souvent en un vaste fourre-tout dénonçant tous les désavantages et les violences faites aux femmes. C’est aussi l’occasion superficielle pour faire des relations publiques en invitant des femmes, et seulement des femmes, à des évènements promotionnels, ou encore de les mettre en Une de la presse économique, pour une fois… 

C’est en 1982, sous l’impulsion de la socialiste Yvette Roudy, ministre déléguée aux droits des femmes, que la France reconnaît le 8 mars comme Journée internationale des droits des femmes. Aujourd’hui, le mot “international” est bien celui qui devrait compter. Nous avons en effet la chance de vivre dans un pays où les relations entre les hommes et les femmes sont harmonieuses. Et ce n’est évidemment pas le cas dans nombre d’autres pays. Aussi, attention de ne pas faire pencher le balancier exagérément dans le sens de la complainte victimaire !

Notre nombrilisme en la matière est injuste, et nous ne nous battons pas assez pour les vraies dernières esclaves du monde que sont les femmes dans certains pays ! Si les conditions des hommes étaient similaires à celles de ces femmes ni soignées, ni instruites, ni libres, interdites de conduite d’une voiture, voilées forcément voilées, cela susciterait une indignation internationale passible de la Cour des droits de l’Homme ! Ne tolérons plus qu’on nous oppose qu’il s’agit de coutumes locales ou d’une condition féminine pleinement acceptée. Ne tolérons plus ce wokisme qui revendique la « liberté » vestimentaire d’être cachée, et qui défend les opprimés au point d’opprimer ceux qui ne l’étaient pas, par mesure de rétorsion ! 

A lire aussi: 24 février 2022, l’étrange défaite

Ne mélangeons pas tout non plus : les femmes battues, les promotions dans les entreprises ou encore les restes d’inégalités salariales – des problèmes réels – on s’y attaque en réalité en France plus et mieux qu’ailleurs. Le systématisme de certaines revendications politiques outragées et permanentes de certaines féministes est pénible. Et si nous célébrions plutôt exceptionnellement la place croissante de la femme dans la société, en y associant avec déterminisme nos amis les hommes à tous ces nécessaires progrès ? Quant à ceux qui se trompent et nous offrent un bouquet de fleurs parce qu’ils pensent que c’est la fête des femmes, ils sont attendrissants plus qu’autre chose ! Remettons les choses à leur place, sans outrance. 

Dédions enfin cette journée du 8 mars à toutes les femmes ukrainiennes. Ces femmes méritent d’être à l’honneur et terriblement respectées, entre autres celles qui ont laissé les hommes qu’elles aiment, armés, dans leurs pays, abandonnant des maisons parfois détruites ou ayant fui avec leurs enfants. Elles arrivent en France avec la volonté farouche de travailler, d’apprendre la langue et de s’intégrer, encouragées par la reconnaissance d’être accueillies à bras ouverts : c’est le droit d’asile tel qu’il nous honore et les unes et les autres. La force de ces femmes vaut bien le courage des hommes et ils le savent. 

Alors rendons grâce aux conditions qui nous permettent aujourd’hui en France de vivre heureuses car toutes les conditions sont réunies pour, même si elles peuvent toujours être améliorées. Ah ! Si toutes les femmes du monde pouvaient se donner la main…

De l’habileté du président-candidat

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Paris, 6 mars 2022 © Jacques Witt/SIPA

Avec la guerre menée de manière effroyable par Poutine contre l’Ukraine, malgré les coups de téléphone fréquents de notre président-candidat au dictateur russe, qui à l’évidence ne servent à rien, Emmanuel Macron n’a aucun mal à se légitimer comme le protecteur du peuple français sur le plan international.


Emmanuel Macron a d’ailleurs la chance d’être confronté à des opposants, quelles que soient leurs convictions, qui ont de la tenue au regard de la situation diplomatique et militaire actuelle. Ceci étant dit, je rejoins le fond de la tribune du président des sénateurs LR Bruno Retailleau qui dénie que durant son mandat, Emmanuel Macron ait su protéger la communauté nationale de tout ce qui l’a accablée à plusieurs titres plus ou moins gravement.

« Alors oui, comme l’a affirmé Emmanuel Macron, cette guerre est un tournant dans l’histoire européenne. Mais un tournant dans lequel tout ce qu’a incarné le macronisme est allé au fossé. Jusqu’à l’optimisme béat de ce «pensez printemps» que lançait Emmanuel Macron en 2017. Avec le retour du tragique, toute la vacuité de l’irénisme macronien apparaît »

Bruno Retailleau dans Le Figaro, 6 mars 2022

Un président extralucide

Il me paraît essentiel de rejeter l’argumentation développée par le candidat et ses soutiens, par exemple le 6 mars par Gabriel Attal son porte-parole sur TF1. Car elle vise à rien moins qu’à laisser croire que les dénonciations constantes des faiblesses de cette présidence, notamment régaliennes, ont été sans objet puisque tout aurait été spontanément et efficacement mis en œuvre par le gouvernement sous l’autorité d’Emmanuel Macron depuis le début. Que le président n’aurait rien eu à apprendre puisqu’il savait tout ! Alors que durant quasiment cinq ans celui-ci a fait la sourde oreille à tout ce qui n’avait pour but que de le mettre en garde contre les lacunes graves de son action : sécurité, autorité de l’Etat, justice, absurdité opératoire du « en même temps »…

À lire ensuite: Causeur #99: Poutine détruit l’Ukraine et flingue la présidentielle

Cet aveuglement, dont sans doute l’une des moindres manifestations a été la nomination, avec une désinvolture royale, d’Eric Dupond-Moretti comme garde des Sceaux (on a pu voir encore récemment combien il était peu accordé à cet honneur), mérite d’être souligné parce qu’il projette une lumière au moins trouble sur les opérations de rattrapage de la fin du mandat. Le Beauvau de la sécurité, les Etats généraux de la Justice, ces tentatives de combler les vides, ce que j’ai nommé dans mon titre « le cynisme des dernières minutes »… Il n’y a aucun doute possible sur le caractère de pur simulacre de cette tactique qui contredit absolument l’indifférence qui tout au long du mandat a sévi.

Une parenthèse

Comment alors ne pas s’inquiéter pour la suite ? Pourquoi cette apparente bonne volonté semblant faire fond, enfin, sur le sentiment populaire serait-elle autre chose qu’une courte et utilitaire parenthèse pour faciliter une réélection déjà probable ?

Quelle confiance pourra-t-on accorder demain au respect des promesses, à la sincérité des engagements ? Pas seulement, d’ailleurs, en ce qui relève de l’autorité, de la sécurité, de la Justice et de la considération des attentes et des peurs du peuple mais de l’ensemble d’une politique qu’on nous vante comme ayant découvert miraculeusement, en fin de parcours, ce qui crevait les yeux et l’esprit depuis le début du quinquennat, avec ce nouveau monde mort-né…

À lire ensuite, du même auteur: Ne laissons pas M. Macron totalement fuir le débat national!

Je regrette que l’argumentation de Valérie Pécresse n’ait pas su, jusqu’à maintenant, exploiter cette immoralité politique prenant les citoyens pour des naïfs parce qu’ils seraient incapables de s’émouvoir des grossières coutures de cette entreprise cousue de fil blanc et un zeste méprisante.

Une campagne LR exaspérante

Rien n’est plus exaspérant que cette campagne de LR, non pas parce qu’elle est mal en point aujourd’hui face aux lignes de force des sondages mais à cause de l’infirmité de sa dialectique et de la faiblesse conceptuelle de ses répliques. Perdre, ce peut être le jeu démocratique, mais perdre en négligeant beaucoup d’armes est trop frustrant pour être accepté sans aigreur. Ceux qui restent aujourd’hui aux côtés de Valérie Pécresse et persévèrent dans la fidélité à sa cause sont des héros républicains. Mais de grâce qu’on dénonce enfin, chez le candidat Emmanuel Macron déclaré en dernière minute, le cynisme des dernières minutes… Où toute conviction a été remplacée par de l’habileté. Et il n’en a jamais manqué !

Le XXIe siècle sera nucléaire ou ne sera pas

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Début de la construction du réacteur EPR de Flamanville, 4 décembre 2007 © JEAN-PAUL BARBIER / AFP

L’épopée nucléaire française est une réussite industrielle et scientifique qui nous permet de produire 70 % de notre énergie. Or, par lâcheté et manque de vision, nos gouvernements successifs se sont acharnés à casser ce modèle d’excellence : libéralisation du marché de l’électricité, dépeçage d’EDF, lois dictées par le lobby vert… ou l’Allemagne. Le nucléaire demeure pourtant la seule source d’énergie capable de diminuer les émissions de carbone sans déclencher une crise économique majeure.


Hors du nucléaire point de salut. Qu’on s’en désole ou qu’on s’en réjouisse, pour notre civilisation, c’est une certitude. L’enjeu est économique et technique, mais avant tout politique : privée de centrale nucléaire et avec 100 % d’énergies renouvelables (EnR), la France aurait beaucoup de difficultés à maintenir un niveau acceptable de création de richesse. Quant à l’État, il ne pourrait pas financer les prestations sociales ni même ses fonctions régaliennes.

En matière de transition énergétique, l’unique stratégie possible conjugue quatre types d’actions. La première et la moins compliquée consiste à économiser de l’énergie. Faire autant, voire plus (chauffer, rouler, fabriquer) avec de moins en moins. C’est essentiel, mais insuffisant. Il faut donc en même temps, autant que faire se peut, remplacer toutes les énergies fossiles par de l’électricité ou du gaz verts, c’est-à-dire produits sans émission de gaz à effet de serre (on dira également « décarbonée »). Bien entendu, la source d’énergie doit être fiable, constante et abordable, ce qui, aujourd’hui, exclut les renouvelables. En effet, celles-ci, notamment l’éolien, le photovoltaïque (solaire) et l’hydraulique, ne peuvent nullement être le composant essentiel, et encore moins unique, de notre mix énergétique, comme on semble le croire en Allemagne. Pour une bonne raison : c’est qu’elles sont intermittentes. Un anticyclone peut mettre à l’arrêt le parc national d’éoliennes en plein pic de consommation de l’hiver de la même façon que le mauvais temps peut cacher le soleil et faire chuter la production du solaire en période chaude sans égard pour les besoins de transport, de l’industrie ou des foyers dans la journée.

Les énergies renouvelables ne peuvent supplanter le nucléaire

Ainsi, paradoxalement, plus la part des EnR dans le mix énergétique d’un pays augmente, plus il faut construire de centrales capables de produire à la demande et rapidement pour assurer la continuité de l’approvisionnement quand les intermittentes sont hors service. Et si ce n’est pas le nucléaire, ce sera le gaz. Ce qu’explique Dominique Finon, directeur de recherche honoraire au CNRS, conseiller spécial du Conseil français de l’énergie et ancien consultant de la Banque mondiale : « Le planificateur ne peut manquer de trouver que, même avec un nucléaire plus cher que l’éolien et le photovoltaïque pour chaque MWh d’énergie produite, ça coûterait moins cher au total de faire à la fois du nucléaire et des EnR parce que les MWh des EnR, produits n’importe comment et n’importe quand, ont bien moins de valeur économique que le MWh venant du nucléaire qui produit à pleine puissance et pendant les pics de manière fiable et prévisible. Les études montrent que, dans les pays dans lesquels l’opinion publique accepte le nucléaire, comme la France, le mix énergétique idéal est composé au maximum de 5 % de photovoltaïque, de 20 % d’éolien et de quelque 70 % de nucléaire, en n’oubliant pas les 10 % de production hydraulique existant. »

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Pour aller plus loin et surmonter les limites techniques des réacteurs actuels (utilisation médiocre de l’uranium 235 fissile, volume des déchets à gérer), il faudra mettre au point de meilleures technologies de fission, capables de servir de base pour la quatrième génération de réacteurs, celle d’après l’EPR construit à Flamanville, comme les neutrons rapides-sodium, les rapides à sel fondu ou les réacteurs à haute température (HTR) appuyés sur un cycle de combustible au thorium, qui ne sont pas encore mûres et ne le seront pas avant deux ou trois décennies, même si on consent d’importants d’efforts. En effet les technologies actuelles de réacteurs à eau légère ont l’avantage d’être performantes et d’avoir accumulé des effets d’apprentissage, notamment en matière de sûreté.

On peut bien sûr espérer une rupture technologique pour satisfaire les besoins en énergie de l’humanité. « On pourrait rêver, explique Dominique Finon, de la fusion nucléaire qui consiste en la fusion de deux noyaux d’hydrogène isotopique pour former un noyau plus lourd, procédé sans commune mesure avec la fission des atomes d’uranium ou de plutonium en usage actuellement, mais ô combien difficile à maîtriser de façon industrielle et commerciale. » Des efforts considérables, notamment la construction du réacteur ITER à Cadarache (20 milliards d’euros), sont actuellement fournis pour maîtriser cette technologie, mais on est encore loin de pouvoir remplacer les réacteurs à fission.

Les contraintes économiques du nucléaire incompatibles avec la finance et les marchés

Nous avons besoin du nucléaire de fission, technique aujourd’hui employée dans nos réacteurs). Mais le nucléaire est une technologie très gourmande en capitaux, exigeant de lourds investissements sur de longues années, incompatible avec la logique de la finance privée. Si la technologie nucléaire a pu se développer, c’est parce que, dans tous les pays, le secteur électrique fonctionnait dans un cadre dirigiste et dans un régime de monopole public. Cela permettait de transférer les risques de surcoûts sur les consommateurs via les tarifs de l’électricité.

La dérégulation des industries électriques a bouleversé ce schéma. Tous les risques sont désormais portés par les producteurs/investisseurs. De plus, les prix sont formés sur des marchés horaires de façon très volatile [voir p.72-74 l’article de Léon Thau). Pour Finon, le plus important est d’admettre a priori que le nucléaire est une technologie d’État. Et une technologie d’État exige une entreprise d’État capable de concevoir des réacteurs, de piloter leur déploiement et d’assurer leur exploitation efficace dans le respect de règles de sûreté très strictes. C’est le cas en France avec EDF, qui reste un atout important pour asseoir une stratégie de transition fondée en grande partie sur le nucléaire. Et, avec un recul de plusieurs décennies, on peut dire que notre électricien historique n’a pas démérité.

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Il faut le marteler, la France possède un atout considérable : une filière nucléaire riche d’une longue histoire et d’une infrastructure très développée. Le nucléaire – civil et militaire – est l’une des plus grandes réussites de notre histoire. C’est ainsi qu’entre 1970 et 1999, date de la mise en service du dernier réacteur, on a construit 58 réacteurs qui produisent 70 % de l’électricité nationale – les deux premiers réacteurs fournissant une partie significative de notre électricité, ceux de la centrale de Fessenheim, ont été raccordés au réseau en 1977. C’est une situation unique au monde, loin devant les deux autres pays nucléaires : la Corée du Sud (30 %) et les États-Unis (20 %).

L’atout historique du nucléaire pour la France

L’acte de naissance officiel de cette filière remonte au 18 octobre 1945, avec la création par le général de Gaulle du Commissariat à l’énergie atomique (CEA), quatre mois après que deux bombes nucléaires ont anéanti Hiroshima et Nagasaki. La France est alors ruinée, le sentiment national blessé par la défaite de 1940 et les années d’occupation, ses infrastructures détruites et son économie incapable de nourrir sa population ; elle décide pourtant de jouer dans la cour des grands et d’engager les efforts nécessaires pour développer la maîtrise de la bombe atomique et l’exploitation des usages civils de l’atome. Dix ans après, le premier réacteur électronucléaire est construit à Marcoule pour produire du plutonium militaire, mais aussi pour faire de l’électricité (en faible quantité). Dans la foulée entre 1957 et 1965, EDF engrange les commandes pour plusieurs réacteurs du même modèle développé par le CEA.

Le général de Gaulle visite le centre de production de plutonium de Marcoule dans le Gard, créé trois ans plus tôt par le Commissariat à l’énergie atomique (CEA), 2 août 1958 © AFP

La première période se termine avec la fin de règne du Général en 1969. Pendant ce quart de siècle, le nucléaire civil est un grand projet national dont la logique profonde est de permettre à la France de tenir son rang parmi les sociétés développées à travers la maîtrise de savoirs et techniques de pointe. Ce grand projet national tire vers le haut des pans entiers de la recherche universitaire et privée, et encourage l’émergence de filières industrielles importantes. Les programmes nucléaires ont grandement contribué au développement des ordinateurs tant les besoins de calculs étaient énormes.

Avec le départ du général de Gaulle, la filière nucléaire prend le virage américain et, à la place du modèle développé par le CEA, adopte la technologie REP (réacteur à uranium enrichi et eau légère pressurisée) brevetée par Westinghouse. Un raisonnement économique se substituant à la logique purement stratégique de l’époque gaullienne, la préférence nationale est abandonnée . La crise pétrolière de 1973 accélère la structuration de la filière en véritable industrie et, au milieu de la décennie, un programme ambitieux de construction standardisée en série est lancé. La France, qui n’a pas de pétrole, a trouvé sa grande idée. Des dizaines de chantiers sont alors lancés.

Les 5 acteurs de l’énergie nucléaire française

Cet ensemble dédié à l’énergie nucléaire a été dirigé de manière centralisée par une élite homogène d’experts et porté par cinq grands acteurs : les premiers sont EDF, le constructeur de réacteurs Framatome (plus tard Areva et aujourd’hui de nouveau Framatome) et le Commissariat à l’énergie atomique (CEA). En 1976 un quatrième acteur a été créé, la Compagnie générale des mines (Cogema), englobant toutes les activités liées au combustible nucléaire (notamment les mines d’uranium), d’abord comme filiale du CEA puis intégrée avec Framatome dans Areva, et désormais baptisée Orano. Le cinquième pilier de la filière est Alstom, qui construit des turbines thermonucléaires dites « Arabelle », qui effectuent la transformation du combustible en électricité. Ce département, rappelle Dominique Finon, a été vendu à General Electric en 2014. Cependant, huit ans et un dépeçage de notre champion industriel plus tard, EDF négocie le rachat de ce département depuis plusieurs mois car ces matériels sont indispensables au développement des ventes des réacteurs…

EDF, qui était pendant cette période une entreprise publique à la pointe du progrès technique et économique, disposait d’une puissance financière et d’une organisation solide pour mener à bien des projets compliqués et coûteux. Cependant, les intérêts du CEA et d’EDF n’ont pas toujours convergé. Ainsi avant 1973, quand le pétrole était très peu cher, donc l’électricité thermique aussi, EDF a retardé le déploiement de centrales nucléaires prévu par le cinquième plan (1966-1970), le limitant à un ou deux réacteurs nucléaires par an.

La France, leader mondial du nucléaire

À partir de 1975, la belle époque atomique est celle des réalisations en série avec une moyenne de cinq commandes annuelles jusqu’en 1983. Ensuite, la cadence diminue jusqu’à l’achèvement de Civaux-2 en 1999.

Dans le même temps, le partenariat EDF-Framatome-CEA s’est affirmé comme un acteur majeur sur le marché mondial en décrochant, entre 1975 et 1995, 40 % des commandes de centrales. Quant à la sûreté nucléaire, on peut dire que, pendant les années 1950-1980, le lait a été confié à la surveillance des chats avec une proximité aujourd’hui difficile à imaginer entre contrôlés et contrôleurs. En effet, ce sont les acteurs de la filière qui en sont chargés. C’est dans les années 1990, bien après Tchernobyl, qu’une nouvelle stratégie est adoptée, aboutissant en 2001 à la création de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), placée sous la tutelle conjointe des ministères de l’Environnement, de la Santé et de l’Industrie, et donc déconnectée, en principe, du trio EDF-Areva-CEA.

Une énergie de plus en plus contestée

Comme les sous-marins, les centrales nucléaires ont toutes une date de préemption qu’il est coûteux et risqué de dépasser. C’est pourquoi, en pleine période héroïque du nucléaire civil français, la filière n’a pas perdu de vue l’avenir en lançant les réacteurs de troisième génération (la première était le réacteur à graphite modèle CEA, la deuxième la famille Westinghouse). Sauf que, pendant les années 1970-1980, la question de l’environnement commence à faire surface et à prendre une dimension politique (voir encadré p. 74).

Manifestation anti-nucléaire près de la centrale Superphénix de Creys-Malville, après l’annonce de sa fermeture par la ministre de l’environnement Dominique Voynet, 2 août 1997 © PHILIPPE DESMAZES / AFP

La vision d’avenir de la filière nucléaire française s’articule à la fin des années 1970 autour d’une nouvelle technologie : le réacteur à neutrons rapides, dont le fluide caloporteur est le sodium. C’est Superphénix. Cette technologie répond au problème majeur que posent les deux premières générations : leur grande consommation d’uranium, une matière rare que la France importe. Superphénix utilise l’uranium appauvri, un combustible plus abondant et plus facile à se procurer, via le recyclage des déchets.

Cependant, le projet se heurte à des difficultés techniques et, plus encore, à des obstacles politiques. Le budget et le délai initiaux sont pulvérisés, ce qui, il est vrai, a été le cas pour tous les grands programmes de recherche (Ariane, Concorde…). Bien pire, Superphénix cristallise l’opposition à l’énergie nucléaire en France. Il marque le début d’un véritable chemin de croix politique et technique, semé d’incidents, manifestations, guérillas juridiques et fermetures administratives jusqu’à l’abandon définitif du projet annoncé par Lionel Jospin en 1997.

Une alliance avec l’Allemagne pour apaiser la situation

Pour sortir de l’ornière, le gouvernement français change de stratégie et, pendant le deuxième septennat de François Mitterrand, la filière converge vers un projet franco-allemand censé rassurer les opposants : le réacteur pressurisé européen ou EPR (« European Pressurized Reactor »). Il s’agit d’un réacteur de troisième génération, conçu et développé par la société NPI (Nuclear Power International), détenue à parts égales par Framatome SA et Siemens. EDF, qui achève alors la construction des réacteurs nucléaires N4 (génération intermédiaire supposée opérer la jonction entre la fin de vie des anciens réacteurs et l’entrée en service de la troisième génération), intègre le projet franco-allemand dans son planning, et met en sommeil les réacteurs qui devaient suivre, les N4+.

Or, comme Superphénix, l’EPR prend beaucoup de retard et son coût explose : prévue pour durer quatre ans et demi, la construction de l’EPR français à Flamanville a commencé en 2007 et sa mise en service, repoussée à plusieurs reprises, devrait finalement intervenir en 2022 (en particulier à cause des changements de réglementation adoptés après Fukushima en 2011. Son coût a dérivé, passant de 3,5 à 19 milliards d’euros. Toutefois, trois centrales EPR sont opérationnelles, deux en Chine (Taishan 1 et 2) et Olkiluoto en Finlande, entrée en service fin 2021 avec douze ans de retard. Trois autres sont en construction : une à Flamanville et deux à Hinkley Point, au Royaume-Uni.

Emmanuel Macron, favorable au nucléaire et soumis aux Verts… en même temps

Ce dernier chantier, dans lequel le ministre de l’Économie Emmanuel Macron s’est fortement impliqué, est devenu à son tour un objet politique radioactif. Au Royaume-Uni, la décision d’installer une centrale nucléaire (Hinkley Point C, projet lancé en 2012, démarrage en 2021) sur le site d’une ancienne centrale à charbon (Hinkley Point A, 1957/1965) et plus tard à gaz (Hinkley Point B, 1967/1976) et de confier le projet à EDF s’est retrouvée sous le feu croisé des opposants au nucléaire et des adversaires de l’implication française. Le projet est sévèrement critiqué pour le prix élevé de l’électricité que le gouvernement de Sa Majesté s’est engagé à acheter à EDF. Depuis le coût a encore augmenté et les retards s’accumulent. Les raisons de ces déconvenues sont les mêmes qu’à Flamanville et Olkiluoto. Tout d’abord, ce sont des « têtes de série », plus longues et coûteuses par définition. Il faut ajouter la perte de compétences de certains acteurs de la filière nucléaire (notamment de la dimension BTP) et le renforcement conséquent des normes de sécurité imposé après le lancement du chantier, à la suite de Fukushima.

Cependant, l’EPR n’est qu’un modèle très amélioré des réacteurs français construits dans les années 1970-1990 et le projet a donc laissé ouverte la question du nucléaire d’avenir, déconnecté de la dimension militaire, beaucoup plus efficace, propre et sûr. C’est ainsi qu’en 2009, Nicolas Sarkozy veut accélérer le projet Astrid (« Advanced Sodium Technological Reactor for Industrial Demonstration »), qui n’est qu’un autre Superphénix. Comme celui-ci, Astrid devait permettre de produire cent fois plus d’énergie que les réacteurs actuellement déployés sur le parc nucléaire français. Mais en 2019, Emmanuel Macron l’abandonne, choisissant de le sacrifier sur l’autel de l’alliance avec les Verts.

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La concurrence au détriment du nucléaire français

Dernier élément essentiel dans cet état des lieux de notre filière nucléaire, l’ouverture à la concurrence du marché de l’électricité et sa conséquence majeure, l’affaiblissement d’EDF. L’idée de la libéralisation naît au Royaume-Uni pendant les années 1980 : la découverte d’importantes réserves de gaz en mer du Nord permet d’envisager de remplacer le charbon par le gaz dans la production d’électricité, de rénover la filière électrique britannique et, cerise sur le gâteau, de casser définitivement les syndicats de mineurs. Dans un premier temps, l’initiative britannique est bloquée par l’opposition de la France et de l’Allemagne, mais vers la fin du siècle dernier, Berlin, absorbé par la réintégration de l’Est et souhaitant moderniser sa production électrique, finit par se ranger du côté de Londres. La France se retrouve alors seule et s’aligne. Aujourd’hui, c’est la raison principale de la flambée des prix (voir le papier de Léon Thau déjà cité).

Pour ne rien arranger, le gouvernement français, inspiré par l’Allemagne, lance sous la présidence Hollande le projet Hercule, dont l’objectif est d’éclater EDF en au moins deux grosses entités, l’une dédiée au nucléaire, l’autre aux énergies renouvelables. Défendue par Emmanuel Macron alors qu’il était ministre de l’Économie et de l’Industrie (2014-2016), cette réorganisation risquait fortement de servir une stratégie de liquidation du nucléaire, comme une sorte de « Banque poubelle » (« Bad Bank »), une structure de défaisance chargée de concentrer les mauvais actifs d’une entreprise. Ainsi Hercule permet la création d’un bon EDF, vert, vertueux, sexy et donc cher, et d’un mauvais EDF, que l’État (avec l’argent des contribuables) va laisser mourir de sa belle mort. Ce projet semble aujourd’hui être caduc, mais le fait même qu’il ait été imaginé et promu témoigne de l’état d’esprit de l’État français sous les deux derniers quinquennats.

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Une énergie qui compte de nombreux avantages et pourtant…

Enfin, l’Europe qui ne jure que par la transition écologique n’a rien fait pour faciliter les choses. Dans les dispositifs du plan de relance, le nucléaire ne figurait pas sur la liste des technologies vertes et donc éligibles à l’aide des États membres (notamment dans la forme de prix d’achat fixe, une sorte de subvention). C’est le débat sur ce qu’on appelle la taxonomie. Or, cette absence limite non seulement l’accès aux subventions mais aussi l’éligibilité aux crédits bancaires et obligations verts. En même temps, le gaz y figurait fièrement. C’est seulement le 31 décembre, vers 22 heures, que la nouvelle liste, intégrant le nucléaire, a été publiée. Et ce compromis de dernière minute est contesté par au moins quatre pays membres de l’UE.

C’est ainsi que la France, qui détenait la clé de son propre avenir énergétique et de celui de l’Europe, voire du reste du monde, a petit à petit laissé dépérir la filière nucléaire. Il est absurde de dénoncer l’énergie nucléaire au nom de la sécurité, d’une part (risques d’accident ou d’attentats), et de la défense de l’environnement, de l’autre (pour le problème des déchets), tout  en empêchant la filière d’avancer vers des technologies permettant de résoudre ces deux problèmes. Il est également insensé d’abandonner la seule source d’énergie compatible à la fois avec la transition énergétique, l’économie de marché, la démocratie libérale et la croissance. À moins que, pour certaines forces politiques, notamment la majorité des Verts et la FI, l’opposition au nucléaire ne soit qu’une manière détournée d’empêcher la croissance pour faire advenir une crise économique et sociale majeure et créer ainsi les conditions d’une révolution.

Et l’atome créa les Verts
En 1971, 15 000 personnes manifestaient contre le projet français d’implantation de la première centrale nucléaire à eau légère dans le Bugey. Cette protestation de masse était d’une longue série, jusqu’à ce que la manifestation massive contre le surgénérateur Superphénix, à Creys-Malville en 1977, tourne à la confrontation violente avec les forces de l’ordre, faisant un mort parmi les manifestants. La mobilisation est conséquente : entre 1975 et 1977, quelque 175 000 personnes ont participé à des actions contre l’énergie nucléaire civile.
Néanmoins jusqu’en 1981 rien ne change dans le programme d’installation des centrales. C’est la volonté d’en installer une à Plogoff, près de la pointe du Raz dans le Sud-Finistère, qui cristallise de nouveau l’opposition et donne lieu à des manifestations brutales. Le candidat Mitterrand promet d’arrêter le projet, ce qu’il fait dès son arrivée au pouvoir. Et même s’il poursuit le programme national d’ouvertures de centrales élaboré par son prédécesseur, le vert est dans le fruit. C’est ainsi que les alternatives au site de Plogoff n’ont  jamais vu le jour et que la Bretagne reste toujours dépendante de la centrale à charbon de Cordemais (près de Saint-Nazaire) pour sécuriser son approvisionnement électrique !
Ces mobilisations de la fin des années 1970 ont servi, entre autres, à créer une pépinière pour l’étape politique suivante, la création du mouvement vert. On peut citer à titre d’exemple le parcours d’Yves Cochet. Président de l’UNEF à la faculté de Rennes à la fin des années 1960, il s’engage dans la lutte antinucléaire dans les années 1970 avant de participer à la campagne présidentielle de Brice Lalonde en 1981.
En 1984, il fait partie des fondateurs des Verts, dont il est membre du Conseil national interrégional. Élu conseiller municipal de Rennes lors des municipales de 1989, il s’intéresse à l’idée de décroissance. Il devient député en 1997, faisant partie des sept premiers élus écologistes au Parlement français. Enfin, en 2001, il est ministre de l’Environnement et de l’Aménagement du territoire du gouvernement de Lionel Jospin.
Dès lors, le développement du nucléaire doit intégrer cette donnée en répondant aux antinucléaires et en tentant d’apaiser les peurs de l’opinion publique – Le Syndrome chinois, film sorti en 1979, attire l’attention sur le risque du nucléaire civil. Parallèlement, des militants antinucléaires s’approchent du sommet de l’État et pèsent, de l’intérieur, sur l’élaboration de la politique énergétique française.
EDF, histoire d’un démantèlement
Depuis 1991 EDF, l’entreprise symbole du progrès technologique et de la modernisation de la France, ne cesse de perdre de plumes. Les années noires commencent avec la loi Bataille (30 décembre 1991) relative aux déchets nucléaires, qui introduit le principe de « pollueur-payeur » et oblige EDF à endosser la responsabilité de ces matières très radioactives à durée de vie longue. Aux États-Unis, par exemple, c’est l’État fédéral qui prend à sa charge l’essentiel de cette responsabilité aux conséquences financières très lourdes.
Fin 1996, la première phase de l’ouverture du marché européen de l’électricité, qui concerne les très gros consommateurs, entre en vigueur. Quoi qu’on pense de cette mesure, EDF ne s’adapte pas suffisamment bien au nouvel environnement concurrentiel annoncé depuis longtemps et la perte de gros clients ébranle l’entreprise. La direction adopte une approche défensive. Un ancien cadre raconte comment des mesures d’économie, le gel des embauches et un discours négatif de la direction (« si nous sommes trop cher, c’est la faute aux ingénieurs ») ont créé une ambiance morose. Il se rappelle que, côté GDF (qui fait alors partie de la même entreprise), le message – et l’ambiance – était à l’opposé : combatif, dynamique, visionnaire.
Quelques mois plus tard, les législatives anticipées de juin 1997 amènent au pouvoir la coalition de la Gauche plurielle, dirigée par Lionel Jospin. Celui-ci confie le ministère de l’Environnement à Dominique Voynet, l’une des fondatrices des Verts qui, comme son successeur Yves Cochet (voir encadré), avait fait ses classes de militante dans les manifestations contre Fessenheim et Superphénix. Une quinzaine de jours après l’avoir nommée à l’Environnement, Jospin annonce l’abandon de ce projet. Sans opposition de la part du chef de l’État, Jacques Chirac, l’exécutif signale à EDF que le nucléaire n’est plus l’alpha et l’oméga de la stratégie énergétique française. Avec un EPR toujours en gestation, pour la première fois depuis un demi-siècle, EDF n’a plus d’horizon nucléaire.
Sous l’effet de ces coups à répétition, l’hémorragie commence. Réaffectations de personnel, départs des cadres découragés et simples départs à la retraite dissolvent petit à petit des équipes et font perdre à l’électricien historique expérience et savoir-faire. Or, c’est de longue date un point faible d’EDF. Selon un ancien ingénieur, le « knowledge management » est déficient et en conséquence chaque départ sans remplacement sur le même poste est une perte sèche, car à EDF, on ne créait pas d’archives sur les pannes et leur résolution.
Le savoir passait d’une personne à l’autre et au sein de l’équipe. Ainsi, toujours selon cet ingénieur, malgré des dizaines de chantiers nucléaires et l’exploitation de quelque 60 réacteurs, il n’existait pas de mécanisme de mise en commun d’informations permettant de chercher des cas similaires lors de problème sur un réacteur. Chaque unité, chaque personne devait apprendre des anciens et de leur expérience… Envoyé en Chine pour participer aux chantiers nucléaires, ce même ingénieur découvre que là-bas, une base de données existe et s’avère fort utile.
EDF perd des compétences rapidement, surtout dans les domaines du génie civil et du pilotage de projet. Quand, en 2003, Areva gagne le contrat de l’EPR finlandais, ses équipes, dépourvues d’expérience et de compétence en génie civil et en gestion de chantiers nucléaires d’une telle ampleur, prennent pourtant en charge ces responsabilités au lieu de les confier à EDF. Cette situation devient aberrante en 2007 quand EDF lance le chantier EPR de Flamanville… Selon l’ancien ingénieur, au lieu de mettre en commun leur expérience, chaque entreprise mène jalousement son chantier de son côté.
En dehors d’EDF, le délitement de l’écosystème nucléaire a été encore plus rapide et brutal. Sans commandes, les sous-traitants licencient, se reconvertissent ou font faillite. D’autres  trouvent des clients à l’étranger et restent dans le secteur, mais pas en France… Une nouvelle politique d’achat aggrave encore plus la situation des PME. Désormais, raconte l’ancien cadre, les conditions préalables pour participer à des appels d’offres sont telles que seules de très grandes entreprises peuvent concourir. Les PME sont obligées de s’associer avec les gros acteurs, aux dépens de leur marge. Personne n’ayant anticipé la catastrophe, il n’existe pas de liste des compétences et entreprises stratégiques qu’il faudrait sauver par des commandes publiques. Entre le milieu des années 1990 et la fin des années 2000, la filière nucléaire française a collectivement perdu la main.
Entre-temps, le 21 novembre 2005 EDF est introduite en bourse, et même si seulement 15 % de son capital « flotte » (l’État conservant le reste), l’entreprise et ses dirigeants sont obligés de s’adapter à une nouvelle culture de gestion et de reporting. Depuis, EDF est contrainte à la schizophrénie : ses différents actionnaires et surtout le premier – l’État français – exigent tantôt qu’elle se comporte comme une entreprise privée, gagne de l’argent, améliore ses marges, tantôt qu’elle assume des responsabilités d’entreprise publique capable de défendre des intérêts nationaux stratégiques. On peut devenir fou pour moins que ça.

Applaudir avec les mains, c’est agresser?

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De gauche à droite, Kamala Harris, Joe Biden et Nancy Pelosi. Washington, 2 mars 2022 D.R.

Selon notre chroniqueuse, la présidente de la Chambre des représentants des États-Unis aurait adopté une nouvelle manière d’applaudir en public. Dans ce monde merveilleux où les politiques progressistes vantent bienveillance et inclusivité, les applaudissements sont perçus par certains comme autant de micro-agressions sonores.


Pendant que nos regards sont braqués avec stupeur vers l’est, la guerre que mènent les éveillés woke gagne encore du terrain à l’ouest.

Au regard de la déflagration militaire qui menace de déstabiliser le monde entier depuis l’Ukraine, je vous parle bien entendu ici d’un épiphénomène. Mais au regard de l’avancée du wokisme, c’est une nouvelle étape de franchie ! De quoi est-il question ? D’un simple geste, remarqué lors du discours sur l’Etat de l’Union prononcé mardi dernier par Joe Biden.

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Outre l’énorme bourde commise par le président américain (il s’est emmêlé les pinceaux en confondant le peuple ukrainien et le peuple iranien piteusement), ce discours a été marqué par une étrange réaction de Nancy Pelosi. Alors que le visage de la vice-présidente Kamala Harris laissait deviner qu’elle avait du mal à digérer la gaffe malheureuse de son patron, on a vu à un moment à ses côtés la présidente de la Chambre des représentants, toute émoustillée, se lever, non pas en applaudissant à tout rompre comme d’autres protagonistes présents dans le Capitole, mais en se frottant les phalanges… Aussi étrange soit-il, ce geste n’est peut-être pas anodin.

Une énigme

La vidéo, devenue rapidement populaire sur les réseaux sociaux, a suscité de nombreuses critiques dans les rangs du parti Républicain et en particulier des railleries des partisans de Donald Trump. Ces derniers ont surtout dénoncé le caractère déplacé de ces applaudissements, qui survenaient il est vrai au moment même où Joe Biden rappelait l’âpreté de combats en Irak et en Afghanistan – où des soldats américains ont inhalé de la fumée toxique. Mais au-delà, c’est bien la forme énigmatique des applaudissements de Nancy Pelosi qui interpelle.

Est-ce parce que l’octogénaire souffrirait d’une arthrose de la main qu’elle se frotte ainsi les phalanges ? ou bien est-ce parce qu’elle a adopté un applaudissement de forme inédite, silencieux, plus « inclusif » envers les personnes malentendantes ou celles souffrant d’hyperacousie ou de troubles anxieux ? Il y a fort à parier qu’il s’agit de la deuxième option, et que Nancy Pelosi se soit mise à l’applaudissement woke, sur les bons conseils de l’aile la plus progressiste du parti démocrate.

Langue des signes

Cet applaudissement non agressif est apparu pour la première fois à l’université d’Oxford au Royaume-Uni en 2019. Comme le révèle le New York Post [1], c’est un syndicat étudiant qui est parvenu à l’imposer là-bas, à l’issue d’un vote avalisant l’interdiction d’applaudir avec les mains lors des réunions ou des cérémonies de remise de prix. On privilégie dorénavant ces applaudissements silencieux (on peut aussi agiter les mains en l’air, ce qui est d’ailleurs la version en langue des signes des applaudissements).

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Dans le monde woke complètement binaire, qui sépare la société en deux camps opposés, les agressés et les agresseurs, applaudir avec les mains reviendrait à ce que les « validistes entendants » agressent les personnes sourdes ou celles souffrant d’une hypersensibilité sensorielle. Ce serait une forme d’exclusion à leur égard, évidemment malvenue. L’applaudissement silencieux, voilà qui est beaucoup plus inclusif…

Si ce type d’applaudissements devait s’imposer dans le monde du spectacle, on imagine la frustration des comédiens, danseurs ou chanteurs pour qui le tonnerre d’applaudissements est depuis longtemps la manifestation de la consécration. Ils devront ravaler ce désir de reconnaissance. Mais sauf à complètement nous empêcher de vivre, cette inclusion à marche forcée trouvera toujours une limite et ne sera jamais totale. En effet, on attend toujours que Pelosi et les progressistes nous disent comment on va faire pour les manchots et les aveugles.


[1] https://nypost.com/2019/10/25/oxford-bans-clapping-to-avoid-upsetting-students/

Jean-Pierre Pernaut, la France au cœur

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Jean-Pierre Pernaut dans l'émission " Animaux Stars " de Bernard Montiel, le 23 novembre 2021 Lionel GUERICOLAS /MPP/SIPA

Jean-Pierre Pernaut est mort à 71 ans. Recordman des journaux télévisés sur la première chaîne pendant plus de trente ans, il a été le premier – et longtemps le seul – à parler à la vraie France. Il laisse des millions de téléspectateurs en deuil.


La célébrité, c’est comme les ballons dirigeables. Plus on est connu, plus on est puissant et plus on prend de l’altitude. Au bout du compte et à force de lâcher du lest, on finit toujours par quitter la terre avec un melon de Montgolfière en perdant au passage le sens des réalités. Voire des valeurs. Le risque, c’est que les grands peuvent vous paraître alors de haut minuscules, et le rêve d’Icare enfin accessible.

Jean-Pierre Pernaut n’a jamais voulu être une star. Simplement parce qu’il n’a jamais rêvé de toucher les étoiles. Il avait bien trop de talent pour ça. D’humilité et de réalisme. Peut-être aussi parce qu’il avait un sincère respect de l’autre. Une empathie et une curiosité pour autrui. Et puis surtout, il était né parmi nous. Les pieds bien campés dans sa terre chérie du nord de la France. Sa Picardie de sang. Il n’a jamais voulu l’oublier. Jamais pu trahir cette authenticité qu’il portait chevillée au corps comme un trophée. Ce naturel indécrottable. Aussi vrai dans la vie qu’à l’écran.

Méprisé par l’intelligentsia parisienne

A ses débuts au JT, pendant que d’autres montaient à Paname pour s’abreuver à la soupe parisienne, il rentrait tous les soirs à Amiens humblement. Ruminant sans doute la phrase de Courteline « passer pour un idiot aux yeux d’un imbécile est une volupté de fin gourmet ». C’est sans doute aussi pour cette raison qu’il n’a jamais souhaité appartenir à l’intelligentsia de la capitale. Qu’il n’a jamais non plus trop fréquenté la grande confrérie de la carte de presse. La noblesse de robe autoproclamée de la cocarde. Cette chevalerie de pacotille qui confond le timbre de son coupe-file avec le drapeau de la Liberté de Delacroix. Il a toujours aussi évité soigneusement les officines, fuyant les chapelles. Dédaigné les salons de thé du Trocadéro et négligé les plafonds lambrissés des ministères. Il fut méprisé pour cela. Pris pour un con. Pire, pour un ringard. Un journaliste parisien ne pratique pas l’altruisme franchouillard, pensaient les belles âmes. Les attentions sont soigneusement triées, autorisées même, par les juges de la bien-pensance, et réservées aux grandes causes.  Alors, vous imaginez, s’occuper des Français en révélant la richesse de leurs territoires… Ou en essayant de leur ouvrir les yeux sur l’importance des traditions, quelle ringardise ! Mais des quolibets, il s’en fichait bien le JPP. Comme dirait Audiard, personne au monde n’empêchera les gens de parler dans ton dos. Le principal, c’est qu’ils se taisent quand tu te retournes. Parce que, chaque jour qui passait, il arborait fièrement à neuf heures la plus belle des décorations : les résultats d’audience de la veille. Cinq millions de Français qui vous suivent chaque jour fidèlement. Cinq millions d’aficionados presque énamourés. Jusqu’à la moitié des téléspectateurs qui convergent – lâchant tous les autres canaux – pour vous regarder à 13 heures en vous prouvant qu’on peut aimer son pays sans être un bourrin. Ça fait fermer les gueules. Ça fait taire les cons.

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« Et puis pas que des vieux, des quinquas ou de la ménagère, nous confiait-il fièrement dans une récente interview, il y’a des jeunes aussi ! » Parce qu’après 8000 JT et 33 ans de TF1, le Pernaut avait fini par plaire aux gamins. Par faire dans « l’intergénérationnel » comme on dit de nos jours. Comme un témoin qu’on passe d’âge en âge en famille. Une mire intégrée à votre abonnement Freebox. De témoin à icône, il n’y a qu’un pas.

Plus fort que les sondeurs

« Et surtout en restant soi-même », répétait-il à l’envi, « quand tu joues un jeu, ça finit toujours par se voir, tu ne peux pas te mentir à toi-même sans te lasser. Tu ne tiens pas 30 ans ». La notoriété, c’est lorsqu’on remarque votre présence, la célébrité c’est lorsqu’on note votre absence. Le succès, il en faut plus à Pernaut pour le faire quitter son terroir. Pas de quoi l’arracher non plus à ses racines. Entre ses haltes en province, son marché qu’il faisait encore lui-même et les 150 correspondants de la chaîne, c’est lui le premier qui va sentir monter la révolte des gilets jaunes. Lui le premier qui verra venir la bronca contre la hausse de la CSG qui grèvera les retraites, lui le premier qui va détecter enfin le ras le bol contre les 80 km/h et la détestation des éoliennes. Mougeotte, son premier patron, était un visionnaire de l’époque, une vigie des tendances sociétales. Un marabout de l’augure. JPP lui, restera comme le meilleur sondeur des territoires. Cette France qu’il adule tant. Celle des régions. Celle qui se lève tôt. Celle qui fume aussi – encore bêtement – et qui pue le diesel. Un hexagone que conchient évidemment quelques ministres hors sol qui n’ont rien compris.

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Un monument de la télé

Mais curieusement pas les présidents. Parce que ceux-là, ils savent depuis longtemps où sont les votants. Il les a tous reçus sur son plateau les PR, à l’Elysée et même dans une école de sous-pref. Les Mitterrand plastronnant, les Chirac empesé, les Sarkozy concerné ou les Macron en plongée. Tous en quête de France profonde. A la recherche de la proximité. Au gardav qu’ils étaient sur le plateau de la plus grosse audience d’Europe. Pas étonnant donc qu’à l’occasion de ses derniers déplacements on ait entendu des « Pernaut président ! » scandés par la foule. Qu’on lui ait même tendu un enfant à bénir ! Aucun journaliste avant lui, à la télévision, n’avait été aussi populaire. Et surtout si accessible. Et Pernaut de se souvenir encore «et dire qu’à mes débuts au 13H, un titre de presse avait titré « Jean-Pierre qui ? lorsque j’ai remplacé Mourousi». C’est peut-être aussi pourquoi, jusqu’au bout, il s’est toujours présenté en donnant son nom lorsqu’il serrait la main d’un quidam. Au cas où son interlocuteur n’aurait pas reconnu un des hommes les plus connus de France. Peut-être aussi pour cette raison qu’il a toujours dédaigné les honneurs. Ne recevant le grade de Chevalier que l’année dernière à 70 ans. Alors que certains de ses confrères collectionnaient les médailles depuis leurs 40 ans. Nul doute qu’il aurait préféré le Mérite agricole. En France, on ne peut pas dire qu’on manque de journalistes. Ils fleurissent partout comme des symboles architecturaux. Il y en a des majestueux comme certaines tours qui montent au firmament. Des magistraux, comme certains arcs triomphants. Des indestructibles, des rocs, des montagnes et même des Mont Blanc. En France, on a toutes les tailles de porte-plumes. Tous les calibres de passeurs de micro. Des petits, des gros et même des militants. Des reporters, des suiveurs, parfois des combattants. On en a aussi heureusement des grands. Et même occasionnellement des géants. JPP lui, c’était un monument.

Nucléaire: un gâchis français

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Emmanuel Macron visite l'usine Framatone (ex-Areva ) au Creusot, Saône-et-Loire, 8 décembre 2020 © ELIOT BLONDET-POLL/SIPA

Ouverture du marché de l’électricité à la concurrence, affaiblissement d’EDF et de l’ensemble de l’écosystème nucléaire… nos gouvernants, soumis aux exigences des eurocrates, ont abîmé un fleuron de notre industrie, pilier de notre économie. À l’approche de la présidentielle, tous les candidats ou presque se posent en défenseurs de notre souveraineté énergétique. Si l’heureux élu réussit à la sauver, ce sera un quasi-miracle.


C’est l’invité surprise de la présidentielle. Entre immigration, sécurité, pouvoir d’achat et droits de succession, la question nucléaire pourrait être l’un des enjeux cruciaux du débat électoral. Et c’est une bonne nouvelle. Ce dossier devrait en effet être une priorité absolue de nos gouvernants et de ceux qui aspirent à les remplacer. En effet, comme le montre Gil Mihaely, l’atome est non seulement la clef de notre souveraineté énergétique, et l’une des plus grandes réussites industrielles et scientifiques françaises, excellence que nous sommes en train de dilapider, faute de volonté politique et de vision à long terme, mais il est aussi notre seule possibilité de lutter contre le réchauffement. L’électricité nucléaire représente aujourd’hui 70 % de notre mix énergétique. Si nous y renonçons, pour câliner les Verts et autres décroissants, pour cause d’apathie industrielle ou en raison des palinodies européennes, nous le paierons soit d’une crise économique et sociale majeure, soit d’une dépendance accrue et très probablement des deux.

Divine concurrence

Or, comme l’explique Léon Thau, ce renoncement est à l’œuvre depuis que des gouvernants sans courage, Jacques Chirac en tête, ont accepté une libéralisation du marché de l’électricité parfaitement contraire à nos intérêts. Curieusement, ce choix en faveur du marché s’est accompagné de la décision d’aligner le prix de toute l’électricité, quelle que soit son origine, sur celui du dernier kilowatt-heure produit en Europe, qui s’avère aujourd’hui être le plus coûteux: ainsi soumet-on de vénérables monopoles à la concurrence tandis que les différentes sources d’énergie sont artificiellement mises sur un plan d’égalité, ce qui oblige aujourd’hui EDF à brader une partie de sa production à ses concurrents, au risque de la tuer par l’endettement ; aurait-on voulu flinguer notre électricien et notre filière nucléaire qu’on n’aurait pas fait autrement. Et si l’un et l’autre conservent de très beaux restes – on ne détruit pas cinquante ans d’efforts en un tournemain – ce projet est en bonne voie de réussite. Dans un article fort éclairant, l’économiste Jean-Claude Werrebrouck écrit : « Les prix 2022 seront approximativement maintenus par réduction de la fiscalité à hauteur d’environ 8 milliards d’euros, et par un accès élargi à l’ARENH[1] pour un coût d’environ 8 milliards d’euros également, coût ici financé par EDF… Le total correspond à une somme représentant quelque 40 % du budget militaire de la France[2]. »

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La divine concurrence vous vaut d’être enquiquiné tous les deux jours par un de ces nouveaux « opérateurs » qui ne sont en réalité que des marchands, voire des spéculateurs traitant l’électricité comme n’importe quel bien susceptible d’être vendu. Mais, chacun peut le constater, elle ne s’est nullement traduite par la baisse des prix promise par la théorie économique et les chamanes de Bruxelles. C’est que, justement, l’électricité n’est pas un bien comme un autre, raison pour laquelle la génération des reconstructeurs soucieux d’intérêt général en avait confié la production et la distribution à un monopole d’État qui a longtemps été considéré comme un fleuron industriel et qui est en passe de devenir l’homme malade de notre économie.

Rétropédalage

Assistons-nous à un miracle ? À quelques mois des élections et sur fond d’envolée des prix, Emmanuel Macron semble découvrir l’importance de l’enjeu. Le 9 novembre, il a fait part de sa volonté de relancer la construction de réacteurs. Bien sûr, soucieux d’apparaître comme le bon élève de la transition énergétique et fidèle à sa pratique du en même temps (qui consiste à vouloir faire plaisir à tout le monde, sans opérer de choix, douloureux par définition), il a également promis de poursuivre nos investissements dans les renouvelables, mot-sésame supposé flatter la fibre écolo de l’électeur. Cependant, comme nous ne contrôlons ni le soleil ni le vent, le solaire et les éoliennes resteront, pour très longtemps encore, des sources d’appoint. Des esprits chagrins remarqueront que le même Macron a décidé, en 2019, de mettre fin au programme Astrid (« Advanced Sodium Technological Reactor for Industrial Demonstration »), qui devait préparer la nouvelle génération de réacteurs, plus performants en termes de capacités de production, mais aussi de sécurité et de recyclage des déchets, deux domaines qui constituent les plus grandes faiblesses de l’énergie nucléaire. De nouvelles avancées technologiques sont en effet indispensables pour que le nucléaire soit à l’avenir une énergie totalement sûre et décarbonée. On comprend que, face à un enjeu aussi dérisoire, le président ait décidé de privilégier son alliance avec les Verts, on ne va tout de même pas sacrifier une élection à l’avenir du pays.

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L’atome revient à la mode

Mais enfin, réjouissons-nous, le Macron nouveau semble soucieux de souveraineté – conformément à l’analyse développée il y a quinze ans par notre cher Philippe Cohen qui constatait que les élus les plus mondialisateurs veillaient, avant chaque échéance, à ressortir le bonnet phrygien de la naphtaline. Le nucléaire a ceci de rassurant qu’il réactive le vieux clivage droite/gauche. Si, à l’exception du PCF, la gauche, qui s’est jetée à corps perdu dans la religion du climat, est désormais nucléophobe par nature, la droite en campagne est très largement nucléophile. Marine Le Pen veut construire trois nouveaux réacteurs, Éric Zemmour en promet dix, tandis que Valérie Pécresse en annonce six. L’ennui, c’est qu’en 2018, elle souhaitait au contraire sortir du nucléaire. Il faut croire que l’atome est à la mode.

Dans ce contexte, on peut se réjouir que l’UE ait, aux dernières heures de 2021, annoncé l’inscription du nucléaire dans la liste des énergies vertes, c’est-à-dire éligibles aux investissements garantis par l’Union (la fameuse taxonomie). Seulement, l’encre du compromis n’était pas sèche qu’on apprenait qu’il pouvait être promptement vidé de sa substance, voire purement et simplement remis en cause par un comité d’experts encouragé par l’Allemagne. Les technos bruxellois ont-ils voulu faire une bonne manière à un président qui leur promet de beaux jours ? Possible. En attendant, on se dit que le nucléaire est une affaire trop sérieuse pour être confiée aux politiciens et aux eurocrates.


[1]. « Accès réglementé à l’énergie nucléaire historique ». Dispositif donnant accès à 25 % de la production nucléaire à des prix inférieurs aux coûts unitaires.

[2]. « Délirante année 2022 : l’équivalent de 40 % du budget militaire de la France pour “sauver” le marché de l’électricité », Jean-Claude Werrebrouck, lacrisedesannees2010.com, 19 janvier 2022. Que Marcel Gauchet soit remercié pour me l’avoir signalé.

La Russie attaque? Vengeons-nous sur les handicapés!

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Le président du Comité international paralympique Andrew Parsons, Pékin, 3 mars 2022 © Tsuyoshi Matsumoto/AP/SIPA

Pendant le conflit se déroulent à Pékin les Jeux Olympiques des handicapés. Les instances internationales n’ont rien trouvé de mieux, pour punir Poutine, que d’interdire aux handicapés russes de participer. Une décision sinistrement stupide.


Ils sont handicapés, ils vivent en Russie — ce qui en soi n’est pas forcément drôle —, ils se sont entraînés comme des fous pour un événement qui ne leur offre une chance d’exister et de briller que tous les quatre ans, et le Comité olympique, sous influence américaine, vient de leur interdire de participer. On tue leurs rêves pour punir Poutine — qui s’en fiche un peu, figurez-vous.

Les responsables de cet ostracisme sont de sombres connards. Ceux qui l’approuvent (et il en est, qui affirment que les culs-de-jatte n’avaient qu’à ne pas voter Poutine) sont encore plus cons. S’il en est parmi les lecteurs de Causeur, j’espère que ça leur fait du bien de cracher sur des handicapés. Que ça leur dégage les bronches.

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Les sportifs sont globalement des cibles désignées pour les bonnes consciences occidentales. Les patineurs russes sont désormais interdits de compétition (ça donnera enfin aux autres une chance de monter sur les podiums), les athlètes russes sont partout refoulés, et la Fédération ukrainienne de tennis réclame l’interdiction des tennismen russes — y compris ceux qui comme Medvedev ont manifesté leur hostilité à la guerre et qui seraient bien plus efficaces en se maintenant justement sur le circuit. De puissants connards, ces Ukrainiens-là, et ceux qui les approuvent.

Quant à la Fédération internationale féline, elle décrète l’embargo sur les chats russes. Il y a aussi des connards de première chez les amis des bêtes.

Dans le monde de la culture, c’est encore pire. Des chefs d’orchestre ou des cantatrices sont interdits, et sous l’influence des woke anti-guerre, un cours sur Dostoïevski a été suspendu à Milan (puis rétabli devant les protestations des Italiens intelligents, il en reste). Allons-nous brûler tous les ouvrages écrits par Tolstoï, Gogol ou Gorki ? Belle occasion de tuer Pouchkine une seconde fois. Le monde universitaire est bourré de connards. « La détestation de Poutine tourne au maccarthysme anti-russe », écrit avec un grand à-propos Anne-Sophie Chazaud dans Causeur. La « cancel culture » a trouvé avec cette guerre un terrain d’élection.

Ça me rappelle la grande intelligence des Américains lorsqu’après le refus (raisonné) de Chirac de s’embarquer dans la croisade irakienne, ils avaient rebaptisé « liberty fries » ce qu’ils appelaient autrefois « french fries ». Que ne les ont-elles étouffés !

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Dans la musique classique, c’est encore pire. Un chef d’orchestre, Valery Gergiev, est rayé des cadres de la Scala, et une soprano — la magnifique Anna Netrebko — est suspendue (par les bretelles de son soutien-gorge ?) par l’Opéra de New York. Sans doute ont-ils résisté au désir de la pendre pour de bon. Les Américains ont un chic particulier pour les lynchages et les chasses aux sorcières.

Et aux censures décrétées par Poutine, qui n’est pas exactement un démocrate, ont répondu les censures françaises de Russia Today et de Sputnik France. Nous devons nous sentir très intelligents d’appliquer les mêmes normes qu’un dictateur post-soviétique.

Enfin, pour punir la Russie, on n’a rien trouvé de plus efficace que d’interdire à son représentant de disputer le concours de l’Eurovision, et LVMH et Chanel ont provisoirement fermé leurs boutiques dans la capitale russe. Les Moscovites tremblent, j’en suis sûr.

C’est entendu, les Ukrainiens sont en première ligne dans un conflit qui oppose en fait l’OTAN, faux-nez des États-Unis, et la Russie. Querelles d’empires, les Ukrainiens sont le doigt entre l’écorce et l’arbre. De là à s’en prendre aux handicapés ou aux félins… Je sens venir un embargo sur le caviar (déjà que celui d’origine iranienne est soumis au blocus imposé par ces mêmes Américains, shérifs de la planète entière) et sur la zibeline. Le pétrole et le gaz, eux, coulent toujours, parce que l’Europe serait exsangue en quelques jours si l’on en coupait la source, comme l’a très bien expliqué Charles Gave au micro de Sud-Radio vendredi dernier.

Mais que ne ferions-nous pas pour permettre une fois encore à Bernard-Henry Lévy d’exhiber ses chemises et son brushing sur les plateaux télé ? Le joli coup de la déstabilisation de la Libye ne lui a pas suffi, il lui faut un conflit mondial pour pérorer à l’aise !