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Nucléaire: un gâchis français

L'atome revient à la mode


Nucléaire: un gâchis français
Emmanuel Macron visite l'usine Framatone (ex-Areva ) au Creusot, Saône-et-Loire, 8 décembre 2020 © ELIOT BLONDET-POLL/SIPA

Ouverture du marché de l’électricité à la concurrence, affaiblissement d’EDF et de l’ensemble de l’écosystème nucléaire… nos gouvernants, soumis aux exigences des eurocrates, ont abîmé un fleuron de notre industrie, pilier de notre économie. À l’approche de la présidentielle, tous les candidats ou presque se posent en défenseurs de notre souveraineté énergétique. Si l’heureux élu réussit à la sauver, ce sera un quasi-miracle.


C’est l’invité surprise de la présidentielle. Entre immigration, sécurité, pouvoir d’achat et droits de succession, la question nucléaire pourrait être l’un des enjeux cruciaux du débat électoral. Et c’est une bonne nouvelle. Ce dossier devrait en effet être une priorité absolue de nos gouvernants et de ceux qui aspirent à les remplacer. En effet, comme le montre Gil Mihaely, l’atome est non seulement la clef de notre souveraineté énergétique, et l’une des plus grandes réussites industrielles et scientifiques françaises, excellence que nous sommes en train de dilapider, faute de volonté politique et de vision à long terme, mais il est aussi notre seule possibilité de lutter contre le réchauffement. L’électricité nucléaire représente aujourd’hui 70 % de notre mix énergétique. Si nous y renonçons, pour câliner les Verts et autres décroissants, pour cause d’apathie industrielle ou en raison des palinodies européennes, nous le paierons soit d’une crise économique et sociale majeure, soit d’une dépendance accrue et très probablement des deux.

Divine concurrence

Or, comme l’explique Léon Thau, ce renoncement est à l’œuvre depuis que des gouvernants sans courage, Jacques Chirac en tête, ont accepté une libéralisation du marché de l’électricité parfaitement contraire à nos intérêts. Curieusement, ce choix en faveur du marché s’est accompagné de la décision d’aligner le prix de toute l’électricité, quelle que soit son origine, sur celui du dernier kilowatt-heure produit en Europe, qui s’avère aujourd’hui être le plus coûteux: ainsi soumet-on de vénérables monopoles à la concurrence tandis que les différentes sources d’énergie sont artificiellement mises sur un plan d’égalité, ce qui oblige aujourd’hui EDF à brader une partie de sa production à ses concurrents, au risque de la tuer par l’endettement ; aurait-on voulu flinguer notre électricien et notre filière nucléaire qu’on n’aurait pas fait autrement. Et si l’un et l’autre conservent de très beaux restes – on ne détruit pas cinquante ans d’efforts en un tournemain – ce projet est en bonne voie de réussite. Dans un article fort éclairant, l’économiste Jean-Claude Werrebrouck écrit : « Les prix 2022 seront approximativement maintenus par réduction de la fiscalité à hauteur d’environ 8 milliards d’euros, et par un accès élargi à l’ARENH[1] pour un coût d’environ 8 milliards d’euros également, coût ici financé par EDF… Le total correspond à une somme représentant quelque 40 % du budget militaire de la France[2]. »

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La divine concurrence vous vaut d’être enquiquiné tous les deux jours par un de ces nouveaux « opérateurs » qui ne sont en réalité que des marchands, voire des spéculateurs traitant l’électricité comme n’importe quel bien susceptible d’être vendu. Mais, chacun peut le constater, elle ne s’est nullement traduite par la baisse des prix promise par la théorie économique et les chamanes de Bruxelles. C’est que, justement, l’électricité n’est pas un bien comme un autre, raison pour laquelle la génération des reconstructeurs soucieux d’intérêt général en avait confié la production et la distribution à un monopole d’État qui a longtemps été considéré comme un fleuron industriel et qui est en passe de devenir l’homme malade de notre économie.

Rétropédalage

Assistons-nous à un miracle ? À quelques mois des élections et sur fond d’envolée des prix, Emmanuel Macron semble découvrir l’importance de l’enjeu. Le 9 novembre, il a fait part de sa volonté de relancer la construction de réacteurs. Bien sûr, soucieux d’apparaître comme le bon élève de la transition énergétique et fidèle à sa pratique du en même temps (qui consiste à vouloir faire plaisir à tout le monde, sans opérer de choix, douloureux par définition), il a également promis de poursuivre nos investissements dans les renouvelables, mot-sésame supposé flatter la fibre écolo de l’électeur. Cependant, comme nous ne contrôlons ni le soleil ni le vent, le solaire et les éoliennes resteront, pour très longtemps encore, des sources d’appoint. Des esprits chagrins remarqueront que le même Macron a décidé, en 2019, de mettre fin au programme Astrid (« Advanced Sodium Technological Reactor for Industrial Demonstration »), qui devait préparer la nouvelle génération de réacteurs, plus performants en termes de capacités de production, mais aussi de sécurité et de recyclage des déchets, deux domaines qui constituent les plus grandes faiblesses de l’énergie nucléaire. De nouvelles avancées technologiques sont en effet indispensables pour que le nucléaire soit à l’avenir une énergie totalement sûre et décarbonée. On comprend que, face à un enjeu aussi dérisoire, le président ait décidé de privilégier son alliance avec les Verts, on ne va tout de même pas sacrifier une élection à l’avenir du pays.

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L’atome revient à la mode

Mais enfin, réjouissons-nous, le Macron nouveau semble soucieux de souveraineté – conformément à l’analyse développée il y a quinze ans par notre cher Philippe Cohen qui constatait que les élus les plus mondialisateurs veillaient, avant chaque échéance, à ressortir le bonnet phrygien de la naphtaline. Le nucléaire a ceci de rassurant qu’il réactive le vieux clivage droite/gauche. Si, à l’exception du PCF, la gauche, qui s’est jetée à corps perdu dans la religion du climat, est désormais nucléophobe par nature, la droite en campagne est très largement nucléophile. Marine Le Pen veut construire trois nouveaux réacteurs, Éric Zemmour en promet dix, tandis que Valérie Pécresse en annonce six. L’ennui, c’est qu’en 2018, elle souhaitait au contraire sortir du nucléaire. Il faut croire que l’atome est à la mode.

Dans ce contexte, on peut se réjouir que l’UE ait, aux dernières heures de 2021, annoncé l’inscription du nucléaire dans la liste des énergies vertes, c’est-à-dire éligibles aux investissements garantis par l’Union (la fameuse taxonomie). Seulement, l’encre du compromis n’était pas sèche qu’on apprenait qu’il pouvait être promptement vidé de sa substance, voire purement et simplement remis en cause par un comité d’experts encouragé par l’Allemagne. Les technos bruxellois ont-ils voulu faire une bonne manière à un président qui leur promet de beaux jours ? Possible. En attendant, on se dit que le nucléaire est une affaire trop sérieuse pour être confiée aux politiciens et aux eurocrates.


[1]. « Accès réglementé à l’énergie nucléaire historique ». Dispositif donnant accès à 25 % de la production nucléaire à des prix inférieurs aux coûts unitaires.

[2]. « Délirante année 2022 : l’équivalent de 40 % du budget militaire de la France pour “sauver” le marché de l’électricité », Jean-Claude Werrebrouck, lacrisedesannees2010.com, 19 janvier 2022. Que Marcel Gauchet soit remercié pour me l’avoir signalé.

Février 2022 - Causeur #98

Article extrait du Magazine Causeur




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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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