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Le député qui aimait un peu trop les réfugiées

Kiev sera-t-elle la nouvelle Phuket ?


L’Ukraine regorge de blé, d’orge, de gaz, de fer et de charbon, de belles centrales nucléaires, mais aussi de blondes radieuses à faire chavirer les cœurs des mâles de lointaines contrées. Arthur do Val vient d’en faire les frais.

« Quand elles ont vu mon compte Instagram plein d’abonnés, ça a super bien marché »

Il y a quelques jours, ce député conservateur de São Paulo saute dans un avion pour aller voir la guerre en Ukraine de près. « Jamais je n’aurais cru qu’un jour dans ma vie, je fabriquerais des cocktails molotov pour l’armée ukrainienne », clame-t-il le 4 mars sur son compte Twitter.

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On y voit le Paulista frigorifié dans son manteau et ses gants de laine noirs, encerclé de caisses emplies de bouteilles vides. Dans la foulée, l’intrépide poste deux vidéos sur sa chaîne Youtube. Sur la première, il y est en compagnie de gilets jaunes ukrainiens. Ayant la délicatesse de se placer hors du champ de la caméra, il les laisse dérouler leurs messages d’hostilité à l’encontre de Vladimir Poutine en anglais. Sur ces entrefaites, le fringant trentenaire fait encore mieux : il s’entretient durant vingt minutes avec des joueurs de foot ukrainiens fuyant les bombes. Recevoir un député du pays du ballon rond par temps de guerre, que peuvent-ils espérer de mieux ?

À la suite de ces rencontres hautes en couleur, la mission est remplie. Notre député peut donc rentrer à la maison. Mais entre deux vidéos, notre député commet quelques imprudences.

Berné par l’euphorie de sa rencontre avec l’Autre, il envoie sur son téléphone portable des messages audio sur l’application Whatsapp, à destination de ses copains d’un « groupe de foot ». « Je viens de traverser la frontière entre la Slovaquie et l’Ukraine à pied et je n’ai jamais vu autant de jolies filles. Dans la file d’attente des réfugiés, il n’y avait que des beautés. Si tu prends la file d’attente de la meilleure boîte de nuit de São Paulo, ça n’arrive pas aux chevilles de cette file de réfugiées ». Il affirme ensuite : « Elles te regardent et elles sont faciles, parce qu’elles sont pauvres. Quand elles ont vu mon compte Instagram plein d’abonnés, ça a super bien marché ». Une phrase sibylline… Arthur do Val a-t-il initié quelques réfugiées aux charmes de la bossa nova ? A-t-il fait quelques prouesses de bassin entre deux carcasses de Lada ? Nous ne le saurons pas.

Bientôt en vacances forcées ?

Il n’en reste pas moins qu’au Brésil, la fuite de ces mots doux a provoqué un tollé.

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Marcelo Ramos, vice-président de la Chambre des députés, a dénoncé « des propos cruellement sexistes ». De son côté, la ministre des femmes, de la famille et des Droits humains a demandé l’abrogation du mandat de député de l’indélicat. Dans la foulée, six autres partis en ont fait autant. En réponse, le parti d’Arthur do Val a annoncé qu’il allait lancer, dès ce vendredi, une procédure à l’encontre de ce dernier, laquelle pourrait aboutir à la destitution. En cas de vacances forcées, Arthur do Val ira-t-il en boîte de nuit à São Paulo ou s’empressera-t-il de retourner en Ukraine ? On subodore la réponse…

Les fuites du député ont eu lieu le jour même où le ministre des relations étrangères ukrainien dénonçait des viols d’Ukrainiennes par des soldats russes. Des sénateurs brésiliens ont alors renchéri, assurant que dans les deux cas, « c’est le même machisme qui transforme les femmes en objet ». Acculé à présenter ses excuses « au Brésil et aux femmes ukrainiennes », Arthur do Val a publié une nouvelle vidéo sur YouTube. Durant huit minutes, l’homme blessé s’y défend d’avoir été sur les champs de bataille « pour y faire du tourisme sexuel » (!)

A défaut d’envoyer Arthur au goulag se purifier de ses mauvaises pensées, la Russie fera-t-elle de Kiev la nouvelle Phuket (ville thaïlandaise connue pour son tourisme sexuel) ? Voilà qui pourrait, assurément, réconcilier Vladimir Poutine avec l’Occident.


Dernière minute : pour couper court aux rumeurs le visant, Arthur do Val a publié une énième vidéo. Cette fois, il y dévoile sa « vérité sur le voyage » :

La guerre des parrainages est enfin terminée

Tandis que douze candidatures viennent d’être officiellement validées, le système des parrainages a, une fois encore, été au cœur d’une controverse. Et nous avons tous cru que la publication des noms des parrains était une scandaleuse nouveauté imposée par Hollande, alors que cette disposition existe en réalité depuis 1976. Dans un essai récemment publié, les juristes Christophe Boutin et Frédéric Rouvillois prônent une réforme en vue de 2027.


Lundi 7 mars, le Conseil constitutionnel a publié la liste officielle des candidats à l’élection présidentielle des 10 et 24 avril 2022. Ils sont finalement douze sur la ligne de départ, quatre femmes et huit hommes, qui ont connu des fortunes diverses dans la collecte des 500 parrainages d’élus requis pour prétendre à la magistrature suprême. Les candidats qui peuvent s’appuyer sur un parti bien implanté localement n’ont eu que peu de difficultés à rassembler les fameuses 500 signatures. Pour d’autres, l’affaire a été complexe, du moins si l’on en croit le feuilleton médiatique qui a attiré fortement l’attention ces dernières semaines.

À lire aussi, entretien avec Frédéric Rouvillois: Parrainages: un système plus censitaire que démocratique?

Ce n’est pas nouveau : à chaque élection, des candidats, recueillant pourtant des intentions de vote significatives, affirment qu’ils ne pourront peut-être pas se présenter et soulignent alors un dysfonctionnement démocratique causé par un système jugé inique. Ce qui est en cause est, d’une part le nombre élevé de parrainages à collecter (500), et d’autre part la publicité des noms des parrains. Cet épisode 2022 de la « guerre des parrainages » pourrait déboucher sur une réforme en vue de la prochaine élection présidentielle. A cet égard, la réforme de 2016, instaurée par François Hollande, est dans le viseur : c’est elle qui aurait imposé cette transparence problématique pour certains maires qui risquent, en soutenant des candidats « hors système » ou « controversés », de s’attirer les foudres de leurs administrés, mais aussi la pression des communautés de communes qui jouent un rôle de plus important dans la distribution des dotations financières aux municipalités. Et pourtant, François Hollande a le dos large : il n’y est pour rien… ou presque.

Une réforme du système des parrainages pour 2027 ?

C’est ce que soulignent deux professeurs de droit public, Christophe Boutin et Frédéric Rouvillois, dans un court ouvrage intitulé Les parrainages, ou comment les peuples se donnent des maîtres, publié en février par les éditions La nouvelle librairie, en partenariat avec la Fondation du Pont-neuf. Les deux auteurs racontent l’histoire de l’élection présidentielle au suffrage universel depuis la réforme constitutionnelle de 1962, et notamment l’évolution de la règle des parrainages. Il s’avère que la publicité des parrainages a été instaurée dès 1976 par Valéry Giscard d’Estaing, en même temps que le nombre de parrainages requis fut relevé de 100 à 500. La seule différence, c’est que la loi prévoyait la publication de 500 parrains de chaque candidat, désignés par tirage au sort parmi la liste des parrainages. La réforme de François Hollande a, quant à elle, instauré la publication de la liste complète pour chaque candidat, ce qui ne change pas grand-chose…

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Le débat est désormais ouvert pour la prochaine présidentielle : le système de parrainage est-il anti-démocratique ? Christophe Boutin et Frédéric Rouvillois rappellent que le Général de Gaulle a voulu, à l’origine, « éviter l’énergumène qui jettera le trouble », selon ses propres mots. C’est en spécialistes du droit public et de notre histoire politique qu’ils posent, en termes de philosophie politique, le débat. Selon eux, nous sommes passés, de De Gaulle à Giscard, d’un système minimal de bon sens à un système libéral-centriste qui correspond tout à fait à une forme de despotisme éclairé que revendique alors le jeune président de la République. Et les auteurs de ne pas hésiter à rapprocher cette démarche du suffrage censitaire de jadis. Certes, le cens n’est plus fondé sur la possession de biens ou le paiement de l’impôt foncier comme sous la monarchie de Juillet mais sur une fonction élective qui vaudrait brevet de capacité pour celui qui la détient et serait appelé à sélectionner les candidats aptes à se présenter au premier tour de l’élection présidentielle.

Un parrainage de citoyens plutôt que d’élus

Ils dénoncent ainsi un « système injuste » et un « dévoiement de la démocratie », donnant raison à l’universitaire Stéphane Rials, pour qui la réforme de 1976 « est excessive et, viole l’esprit de la réforme de 1962 en rendant au personnel politique une influence dans le choix du chef de l’État : ce sont des signatures d’électeurs et non d’élus qu’il eût fallu exiger ». Les deux juristes proposent alors une réforme en ces termes : soit le « retour à l’intention initiale du législateur » quand il a instauré ce système de parrainages, c’est-à-dire 100 parrainages non publics – « car de même que le vote est secret, le parrainage doit pouvoir l’être également » précisent-ils – ; soit un parrainage par des citoyens inscrits sur les listes électorales, avec un minimum de 150 000 parrains.

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Une telle réforme est-elle envisageable ? La controverse des parrainages va-t-elle subir l’effet « marronnier », c’est-à-dire rentrer dans les oubliettes politiques pour être seulement ressortie et réchauffée à quelques semaines de la prochaine échéance de 2027 pour assurer le spectacle médiatique, ou va-t-elle, au contraire, installer une véritable réflexion en vue d’une réforme ? L’avenir le dira. Mais il est certain qu’en ces temps de crise de confiance populaire dans la démocratie, la classe politique serait sage de s’attaquer sans trop tarder à une révision qui puisse recueillir un certain consensus.

À lire : Les parrainages, ou comment les peuples se donnent des maîtres, éd. La nouvelle librairie, en partenariat avec la Fondation du Pont-neuf, février 2022.

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Guerre en Ukraine: l’Europe sollicite l’aide de Bakou

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La France se rapproche de l’Azerbaïdjan pour faire face aux conséquences de l’invasion russe   


La guerre en Ukraine est un séisme géopolitique sans précédent depuis la chute de l’URSS. Les principales caractéristiques de cette brutale secousse dans notre tectonique des plaques géopolitique sont l’émergence rapide d’une nouvelle logique de blocs, la découverte d’intérêts vitaux convergents, et la mise sous le tapis d’anciennes querelles et rivalités. Les négociations accélérées entre Washington et Caracas en sont un bon exemple. Après des années d’embargo qui ont ruiné le Venezuela, Joe Biden a récemment envoyé un message diplomatique clair à Maduro : “si tu reviens, j’annule tout” !  

Embrassons-nous, Folleville!

Une autre région où les choses évoluent rapidement est le Caucase du sud. Ce n’est un secret pour personne que ces dernières années, entre la France et l’Azerbaïdjan, ce n’était pas l’amour fou. Depuis le début du quinquennat d’Emmanuel Macron, bien avant la seconde guerre de Karabakh, la France, pourtant co-présidente du groupe de Minsk supposé encadrer et encourager un processus de paix entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, cachait de moins en moins ses sympathies et son soutien à Erevan sans se soucier des nombreux messages de plus en plus agacés de Bakou. Depuis la visite de Macron à Erevan en octobre 2018, les invitations pour une visite officielle de Macron à Bakou – même de courte durée – sont restées sans réponse. Et la position officielle de Paris pendant la guerre de l’automne 2020 et depuis n’a guère laissé de doutes chez les Azerbaïdjanais de la rue comme au gouvernement quant aux sentiments des Français. Et puis, la Russie a envahi l’Ukraine. 

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Tout d’un coup, on se souvient que l’Azerbaïdjan dispose d’un atout géostratégique assez rare : non seulement il a du gaz, mais il a ses propres gazoducs pour l’exporter directement ! Cet atout mérite bien qu’on s’y attarde un peu. 

Quand Heydar Aliyev est élu président de la République d’Azerbaïdjan en 1993, il prend la tête d’un pays ruiné en train de perdre la guerre avec l’Arménie et en conséquence de 20% de son territoire. Il se résigne à arrêter une guerre qui était perdue (décision extrêmement difficile) et se préoccupe du développement économique de son pays. Cela impliquait deux choses : reconstruire l’industrie pétrolière d’abord, se doter des moyens d’exporter les hydrocarbures sans passer par la Russie ensuite. 

Débarrassés de la tutelle russe

Pourtant, en 1995-1996, la Russie eltsinienne semblait peu menaçante et plutôt ouverte aux affaires. Mais dans cette région du monde plus qu’ailleurs, on sait qu’il faut avancer vite quand la Russie est à terre (les indépendances des trois Républiques de la région datent de fin mai 1918), car elle finit toujours par revenir (Géorgie, Arménie et Azerbaïdjan deviennent des Républiques socialistes soviétiques dès les années 1920). En 1991, une fenêtre d’opportunité est de nouveau ouverte et l’Azerbaïdjan la saisit. Le pipeline est inauguré en 2006 peu de temps avant que Poutine ne reprenne les choses en main. À quelques années près, Poutine n’aurait jamais laissé faire Bakou. Quand ce dernier est en mesure de bloquer le projet, il était trop tard… D’autres qui ne l’ont pas fait à temps sont aujourd’hui, malgré leurs immenses ressources énergétiques, les otages de la Russie (par exemple le Kazakhstan).

Cet atout vaut aujourd’hui à Bakou une place à la table. Selon certaines sources, le téléphone du président azerbaïdjanais, Ilham Aliyev, ne cesse pas de sonner. Charles Michel, Mario Draghi (celui-là même qui il y a deux ans n’avait pas compris pourquoi il fallait se donner la peine de le rencontrer pendant sa visite en Italie), le Secrétaire général de l’OTAN et Emmanuel Macron l’appellent souvent. Et avec la fréquence des échanges, le ton a changé aussi. 

L’Azerbaïdjan soutient l’Ukraine

Côté Bakou, on n’est pas rancuniers. Les Européens et notamment la France ont demandé à l’Azerbaïdjan d’aider la Moldavie, le maillon faible des anciens territoires de l’URSS. Bakou s’est engagée à fournir à Chisinau ce dont elle avait besoin pour se passer du gaz russe l’hiver prochain. C’est une opération compliquée qui exige de renverser le sens du flux de gaz (qui va aujourd’hui de la Russie vers la Bulgarie) pour pouvoir acheminer le précieux hydrocarbure du sud vers le nord. Depuis janvier 2021 l’Azerbaïdjan a déjà fourni 19,5 milliard de mètres cubes (MMC) de gaz (à la Turquie, à l’Italie, à la Grèce et à la Bulgarie), et il s’est engagé à augmenter les volumes exportés de 7 ou 8% (1,5 MMC) dans les mois à venir.

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L’Azerbaïdjan s’est engagé aussi à soutenir l’Ukraine avec l’acheminement d’aides humanitaires depuis le 26 février (soit dès le troisième jour de la guerre). La société nationale d’énergie (SOCAR), propriétaire d’une soixantaine de stations service en Ukraine, a mis ses établissements à disposition des ambulances, services de secours ou de santé qui peuvent venir y faire le plein d’essence jusqu’à épuisement des stocks. Ces dernières décennies, Bakou a su trouver une voie politique permettant de vivre en paix dans une région considérée par les Russes comme faisant partie de leur sphère d’influence. L’Azerbaïdjan poursuit son chemin sans redevenir le vassal de Moscou ni s’attirer ses foudres comme la Géorgie et l’Ukraine. Etre le voisin de la Russie est un emploi à temps plein ! La marge de manœuvre de Bakou entre les nouveaux blocs géostratégiques ayant émergé depuis le 24 février est certes limitée, mais elle est suffisamment importante pour que la France et l’Europe opèrent une volte-face dans leurs relations avec l’Azerbaïdjan.

Purs sangs

D’Aristocrates et grands bourgeois (Plon, 1994) à Singulière noblesse (Fayard, 2015) ou Enquête sur la noblesse (Perrin, 2019), cela fait plus de trente ans qu’Éric Mension-Rigau, professeur d’histoire à la Sorbonne (Paris IV), travaille – à la croisée de l’histoire, de la sociologie et de l’ethnologie – sur la noblesse française depuis la Révolution. Au point que, dorénavant, lorsque d’aucuns posent la question de savoir « quoi lire » à ce propos, la réponse tombe, invariable: « Mension-Rigau. »

 Il préface Cinq années de résistance, les mémoires de guerre de Gabriel de Choiseul, duc de Praslin (1879-1966), engagé dans la Résistance dès le 22 juin 1940.


Causeur. Vous êtes obsédé par le temps long de l’histoire. La noblesse est-elle l’observatoire le plus pertinent pour l’étudier ?

Éric Mension-Rigau. Les nobles ont une perception dynastique du temps. Comment n’éveilleraient-ils pas l’attention et la curiosité de l’historien hanté par le refus de l’oubli et le rêve fou de triompher de la fuite du temps grâce à l’écriture ? À la brièveté décevante d’une vie d’homme, ils opposent, tels les Guermantes de Proust, une continuité qui défie le temps. Comme l’a souligné Georges Duby, la naissance de la féodalité a entraîné l’essor d’une idéologie lignagère. À partir de l’an mille, quand les seigneurs commencent à transmettre leurs fonctions à leurs descendants, se constitue une classe d’héritiers, se référant à des ancêtres connus, à une « race » où se perpétue un patrimoine. Ainsi est né le trait identitaire de tout noble : la conscience d’être le maillon d’une chaîne de vies successives et solidaires dont il faut éviter la rupture.

Le normalien Eric Mension-Rigau D.R.

Combien de personnes, aujourd’hui en France, peuvent se réclamer de la noblesse ?

Le rôle historique de la noblesse (rayonnement, impact culturel, visibilité) n’a jamais été proportionnel à sa faible réalité numérique, inhérente à son statut. À la fin de l’Ancien Régime, la noblesse représentait 0,5% de la population française, soit 120 000 individus et 9 000 lignages, pour 26 millions d’habitants – ce qui faisait d’elle, en proportion, l’une des moins nombreuses d’Europe. À titre de comparaison, les nobles, au xviiie siècle, correspondent à 15% de la population en Pologne et 7% en Espagne. Aujourd’hui, en France, la noblesse représente 0,2% de la population, à peine plus de 3 000 lignages, soit environ 100 000 individus pour 60 millions d’habitants. J’aime dire que je suis l’historien de la marginalité…

Ce « phénomène de survivance » irrite et fascine à la fois. La Révolution n’aurait-elle servi à rien ?

La Révolution marque bien sûr une rupture majeure dans l’histoire de la noblesse en lui enlevant définitivement tout privilège. La noblesse retrouve une existence juridique en 1814, qu’elle perd en 1848. Il n’empêche qu’elle continue à incarner une permanence : il y a encore 315 familles nobles dont la filiation prouvée est antérieure à 1400. La continuité familiale ne relève pas du hasard. Elle résulte d’un double effort de connaissance de la tradition et d’ajustement aux mutations sociétales, interdisant de céder sans résistance aux changements éphémères – mais requérant l’audace que réclame toute adaptation. L’orgueil du nom, qui postule l’instinct de continuité, ne se révèle fructueux que s’il commande l’émulation transgénérationnelle et stimule l’activité créatrice.

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À l’inverse, si les descendants d’une vieille famille se révèlent incapables d’honorer les valeurs et les obligations qu’on attend d’eux…

Ils suscitent légitimement la réprobation et le mépris : ce sont les fameux « fin de race ». Il est évident que les descendants de la noblesse se condamnent s’ils ne se soucient que de ce qui meurt, se détournent de ce qui est en train de naître et restent dans l’attente messianique d’un temps révolu.

Cet intérêt persistant pour la noblesse signifie-t-il, comme l’a dit un jour le président Macron, que le peuple français n’aurait pas voulu la mort du roi ?

La visibilité sociale durable de la noblesse dans la société française contemporaine peut agacer car elle rappelle le souvenir de la société d’ordres et du privilège de l’inégalité. Mais, depuis deux siècles, la noblesse a prouvé sa compatibilité avec la République, la démocratie et la société égalitaire. Elle n’existe plus civilement, mais elle demeure présente au sein des classes socioprofessionnelles supérieures, maintient sa tradition de service en occupant des postes dans la haute fonction publique, agit dans le monde des affaires en étant parfois à sa tête. Les bouleversements politiques et sociaux n’empêchent pas l’inertie des imaginaires. Les princes et princesses peuplent toujours les fictions enfantines et les médias enregistrent des records d’audience à chaque mariage dans une famille royale. Emmanuel Macron a-t-il voulu dire que le peuple français reste sensible à cette autorité de la tradition que les dynasties toujours régnantes ont la charge de donner en spectacle en paraissant immuables dans leurs fonctions et dans leurs rites – même si elles veillent à adapter leur image aux attentes de la société contemporaine ? On peut le penser.

Longtemps surreprésentée dans l’armée, le service de Dieu et au Quai d’Orsay, la noblesse préfère aujourd’hui le monde des affaires. Les « lieux de pouvoir » ont-ils changé ?

L’entrée massive de la noblesse, hommes et femmes, dans le monde du travail depuis le milieu du xxe siècle illustre particulièrement bien son adaptabilité. Aujourd’hui les nobles passent par les grandes écoles de commerce et s’engagent dans le monde de l’entreprise qui est devenu leur lieu de combat, leur champ de bataille. Certains ont de belles carrières professionnelles, très rémunératrices. L’objectif est constant : pérenniser le statut social, en restant en concurrence avec les nouvelles élites à mesure qu’elles apparaissent sur la scène de l’histoire.

Que devient alors l’élite aristocratique lorsqu’elle se mêle aux autres élites ?

Le risque évident est la perte de sa spécificité car la similitude des carrières encourage le frottement social : le noble qui réussit professionnellement finit inévitablement par frayer avec des gens très friqués qui ne partagent pas ses valeurs. Il les retrouve dans des manifestations mondaines, des villégiatures de sport d’hiver ou de bord de mer. Pour éviter que leur intégration aux nouvelles élites s’assortisse d’une rupture radicale avec leurs valeurs ancestrales, les nobles les plus traditionnels ont la prudence d’établir une frontière étanche entre leurs vies professionnelle et privée.

Dans une société toujours plus individualiste, obsédée du selfie, du « moi-je », de « la dictature du nous » comme disait Philip Roth, l’adversité n’a-t-elle pas gagné en puissance contre une classe qui, au contraire, a toujours affirmé la prééminence du groupe sur l’individu et reste attachée à une conception clanique de la famille ? La « permanence » est-elle menacée par l’acculturation ?

Certes la connaissance des traditions et la conscience lignagère s’affaiblissent, les valeurs familiales traditionnelles paraissent en désaccord avec l’idéologie dominante qui glorifie l’individu libéré de toute entrave et dénonce toute transmission comme aliénante. Mais les jeunes générations ont conscience que croire qu’on peut se faire seul, sans mémoire de lien intergénérationnel, campé sur les seules valeurs de la liberté, se révèle souvent un leurre. Les enracinements et les repères, la cohésion et la robustesse de la fratrie, le large réseau de liens sociaux et de solidarités restent, dans notre société qui meurt de l’individualisme, une grande force.

La galanterie fait partie du savoir-vivre codifié par la noblesse. Perdure-t-elle à l’heure des néoféministes qui perçoivent la galanterie comme une agression sexiste ?

Nombre de traits de notre singularité nationale puisent leurs racines dans les contenus culturels de l’héritage nobiliaire. C’est le cas de la fièvre généalogiste qui traverse la société française depuis les années 1970, de l’élégance raffinée et discrète, à la française, à laquelle les grandes marques du luxe font référence, et aussi de la culture du respect de la femme, porté par l’esprit chevaleresque et l’idéal courtois, qui bannit la vulgarité, promeut la délicatesse, l’attention et le tact dans les attitudes et les conduites. N’en déplaise aux féministes implacables qui érigent l’homme en ennemi potentiel, cette tradition de commerce heureux entre les sexes se maintient dans la noblesse…

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Dans plusieurs de vos livres, vous décrivez la religion comme un « verrou » de la tenue morale et sociale, marquant les balises nécessaires à la bonne éducation…

Historiquement la noblesse s’est distinguée non seulement par la carrière des armes mais aussi par la défense de la religion, ce qu’elle n’a cessé de faire depuis ses débuts : dons à des abbayes, construction ou restauration d’églises, soutien à des œuvres charitables, fondation de l’Œuvre des campagnes qui depuis presque deux siècles aide le clergé rural… Aujourd’hui, alors que seulement 2% des Français vont encore à la messe tous les dimanches, la noblesse reste majoritairement habitée par la parole de Dieu et le besoin de croire. Elle participe pleinement au « catholicisme d’adhésion » qui s’affirme dans les grandes villes et chez les élites en remplacement d’un « catholicisme de convention » qui, lui, s’est effondré. Beaucoup de familles s’engagent aussi pour s’opposer à tout ce qui ébranle la conception traditionnelle de la famille. En témoigne leur soutien aux mouvements qui ont marqué, depuis 2012-2013, le réveil identitaire des catholiques pratiquants, en particulier « la Manif pour tous ».

Vous est-il arrivé de vous sentir « prisonnier » de la sympathie que vous éprouvez pour votre sujet d’étude ?

Non. Je procède toujours à une vérification des informations que je recueille lors des entretiens, je confronte qualitativement les réponses, je m’efforce de lire les intentions derrière les mots, les gestes et les attitudes en interprétant les détails ténus ou les anecdotes minuscules puisés dans les témoignages. Certes, mon analyse peut sembler tributaire de l’image que les nobles veulent donner d’eux-mêmes, mais j’en dresse une synthèse critique en en soulignant aussi les contradictions, les ambitions déçues, les efforts inaccomplis.

Qui était Gabriel de Choiseul, duc de Praslin, le « héros » du récit que vous préfacez dans Cinq années de résistance (Tallandier) ?

Gabriel de Choiseul, huitième duc de Praslin, naît en 1879 et meurt en 1966. Ancien élève de l’école militaire de Saint-Cyr, ancien combattant de la Grande Guerre pendant laquelle il a été grièvement blessé, très actif dans l’entre-deux-guerres au sein de l’Action française, il juge inacceptables, dès le 22 juin 1940, les conditions d’armistice dictées par l’Allemagne. Il rompt avec Maurras et s’engage dans la Résistance avec ses trois fils, convaincu que l’avenir est avec le général de Gaulle. Dans son château de Septfonds, près de Périgueux en Dordogne, il écoute la BBC, cache des armes, abrite des parachutistes anglais et participe à des opérations de sabotage. Edmond Michelet lui confie l’organisation du mouvement « Combat » en Périgord. Ce récit, rédigé par l’un des premiers résistants de l’intérieur, qui est aussi l’héritier d’une lignée aristocratique comptant cinq maréchaux, souligne combien la Résistance fut l’affaire d’hommes venus de tous les partis, de toutes les confessions, de toutes les origines sociales.


À lire: Gabriel de Choiseul, duc de Praslin, Cinq années de résistance (préf. de Éric Mension-Rigau), Tallandier, 2021.

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Des chercheuses l’affirment, France Inter confirme: les hommes coûtent une blinde à la société

La savante féministe Lucile Peytavin publie l’indispensable Coût de la virilité, ce que la France économiserait si les hommes se comportaient comme les femmes (Anne Carrière). Elle chiffre le coût du patriarcat et de la virilité à 118 milliards d’euros pour la société française. Environ.


La femme, écrivait Vialatte, remonte à la plus haute Antiquité. « Elle ne diffère de l’homme que par le sexe. » Des savants, précisait-il, ont montré que « la femme qui veut s’émanciper se réveille dans un lit glacé, devient très rapidement frigide, souffre de dettes et de diabète galopant, et finit dans l’acrocyanose, maladie de la circulation qui la rend chauve et lui fait les pieds bleus ». De nos jours, la femme qui veut s’émanciper souffre en plus du reste d’une sorte d’obsession comptable. Elle dresse, dans un cahier Clairefontaine à petits carreaux, des colonnes de chiffres représentant des sommes d’argent plus ou moins considérables.

Lucile, Ginevra et Camille, femmes puissantes

Puis elle écrit un livre stupéfiant dans lequel elle dévoile les conclusions scientifiques auxquelles elle a abouti grâce à ses calculs savants composés d’additions de « comportements virils » et de multiplications signifiant la « surreprésentation des hommes dans les comportements asociaux ». Parmi ces comportements asociaux on retiendra les homicides, les violences conjugales, la pétanque en plein soleil, l’insécurité routière, la belote de comptoir et l’alcoolisme. La femme émancipée du jour s’appelle Lucile Peytavin et a écrit un livre qui s’intitule Le coût de la virilité, ce que la France économiserait si les hommes se comportaient comme les femmes.

Lucile Peytavin publie « Le coût de la virilité, ce que la France économiserait si les hommes se comportaient comme les femmes ». Capture d’écran Brut

C’est un livre un peu sec mais instructif. Si on est célibataire, on peut le lire le soir, au lit, et découvrir ainsi l’avantage qu’il y a à ne pas partager avec une épouse légitime les motifs de fâcheries inhérents à toute vie commune et reposant souvent sur des questions d’argent. Si on est marié, on le lira en cachette, dans les toilettes, en évitant de rire bêtement.

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Nous prenons connaissance de ces nouvelles scientifiques grâce à un article paru sur le site de France Inter qui nous en apprend de belles. La virilité, écrit en substance la bouillonnante journaliste Camille Chaudière, coûte un bras à la société. Les calculs les plus sérieux ont été  faits par Mmes Lucile Peytavin (voir ci-dessus) et Ginevra Bersani, deux pointilleuses chercheuses, membres de l’association Genre et Statistiques, spécialistes en virilité et en économie très souterraine. Ces chercheuses se sont concentrées sur l’histoire récente et ont exclu de leurs calculs les « conduites à risque virilistes » des hommes lors des guerres plus ou moins longues, plus ou moins mondiales et plus ou moins meurtrières, qui auraient sûrement rendu les résultats plus aléatoires. Ou plus flous. Ou moins fiables. Et Camille Chaudière brûle d’envie de ne laisser planer aucun doute : les calculs de cette étude sont rigoureux, la méthode est scientifique, les chiffres sont objectifs. Par conséquent, le résultat est sans appel : la virilité coûterait à la société 89 milliards d’euros par an. Ou 102 milliards d’euros. Ou 118. Ou 212. Ou 915. Enfin, bref, la virilité coûte une blinde à la société.

Références philosophiques principalement rousseauistes

Lucile Peytavin ne s’est pas contentée de faire des comptes d’apothicaire. S’appuyant sur des références philosophiques principalement rousseauistes, de Jean-Jacques à Sandrine, elle écrit : « Nous verrons que les hommes ne sont pas naturellement violents ou malveillants » ; ce sont les sociétés qui « valorisent et perpétuent les valeurs viriles » ; la virilité est donc « une construction sociale ». Piochant dans les œuvres des penseurs les plus éminents de ce début de siècle, elle en appelle également au chanteur Renaud. Ce dernier aurait exprimé dans sa chanson Miss Maggie « son aversion pour les hommes et leur “morale guerrière” » en montrant que l’exception thatchérienne confirme la règle selon laquelle « les femmes sont pacifiques, comparées aux hommes ». Vialatte pensait que le sac à main des femmes devait ses dimensions gigantesques à la nécessité d’y caser un parapluie, des objets qui brillent, une torche pour éclairer le fond du sac et trouver la lettre qu’on cherchait depuis trois semaines, et une paire de souliers de montagne. Nous savons maintenant que peuvent s’y glisser en plus l’almanach Vermot et les œuvres complètes de Sandrine Rousseau et de Renaud. Malgré l’excellence des auteurs susnommés et la rigueur de Lucile Peytavin qui a calculé que, depuis dix ans, « les hommes ne s’emploient aux tâches ménagères qu’une minute de plus, passant de 1h59 à 2 heures par jour », il semblerait bien que « des études manquent sur le prix des inégalités de genre dans le domaine de la santé par exemple ». Autant dire qu’il y a encore du pain sur la planche et que les hommes ne sont pas sortis de l’auberge.

La fausse repentance de la Saint-Valentin

Nous apprenons aussi que les stéréotypes de genre poussent les femmes à dépenser leur argent dans des achats relevant d’un « effet du patriarcat ». Les hommes les moins sensibles ne sauraient rester de marbre devant les sommes annuelles révélées par nos chercheuses : 52 euros pour la coiffure, 103 pour les sous-vêtements, 104 pour la contraception, 392 pour l’épilation, 900 pour les produits de beauté. Tout ça pour ne pas ressembler à une souillon, faire la nique à sa voisine de bureau ou complaire au chef du service contentieux. Nous comprenons mieux pour quelle raison le calendrier compte, chaque 14 février, une fête dite des amoureux. Ce jour-là, l’homme casse sa tirelire et tente de se faire pardonner en se livrant lui aussi à des dépenses élyséennes : un restaurant ici, un diamant là, un bouquet de roses un peu partout. Mais la femme qui veut s’émanciper n’est pas dupe ; elle décèle la fourberie patriarcale et l’ingéniosité masculiniste derrière cette unique journée de fausse repentance. Elle le fait savoir : le diamant est bien petit, le restaurant ne propose pas de menus vegans, elle aurait préféré une orchidée. De plus, ce soir, elle a la migraine.

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De son côté, Lucile Quillet a écrit un livre intitulé Le prix à payer dans lequel elle cherche à savoir « ce que le couple hétéro coûte aux femmes ». Il coûte cher, évidemment. Bouleversée par les révélations qui lui sont apparues au fil de ses lectures et de ses expériences, Mme Quillet tente désespérément de retrouver ses esprits et conclut son livre en échouant, sous le coup de l’émotion, à retrouver sa langue natale : « J’ai réalisé à quel point les hommes et la société avec eux, étaient dépendants des femmes, de leur travail, de leur argent, de leur énergie. Sans elles, ils ne s’enrichisseraient pas de la sorte. » Autant dire qu’ils s’appauvrisseraient, et que ça ne serasserait que justice.

Il est rassurant de constater que la radio publique a décidé de porter à notre connaissance ces indispensables ouvrages scientifiques. Loin des vieux grimoires écrits par des auteurs testiculés qui ignoraient péremptoirement la responsabilité ancestrale du mâle moyen dans à peu près toutes les atrocités du monde, les livres de ces dames invitent l’homme à se pencher sur sa carrière de tyran et à se repentir. Sévères mais justes, la tête haute et la chevelure au vent, ces magnanimes chercheuses précisent par ailleurs que l’étude comptable et scientifique qu’elles ont réalisée n’inclut pas les coûts liés aux protections périodiques car « ce poste de dépense supplémentaire résulte d’une réalité biologique et non d’un effet du patriarcat ». On voit par-là que la femme qui veut s’émanciper ne se départit jamais d’une grandeur d’âme et d’un port altier qui la rendront toujours plus rayonnante qu’un physicien nucléaire, plus aimable qu’un maréchal des logis et plus désirable qu’un routier. De toute manière, ces monstres masculinistes, ces aberrations virilistes sont, Dieu merci, en cours de disparition. Car l’homme devient une femme comme tout le monde : après s’être épilé le torse il farfouille dans son sac Vuitton en se demandant ce qu’il a bien pu faire de son vernis à ongles et des clés du camion – voilà qui rassure les marchands de maroquinerie et de cosmétiques qui craignaient, avec la chute du patriarcat, l’effondrement de leurs bénéfices. Mais pas certaines femmes, qui n’en demandaient pas tant.

Lettre de la frontière russe

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Alain Neurohr partage ici le témoignage d’un ami russe qui a une nouvelle voisine : la guerre.


Je l’appellerai ici Fiodor, à cause de la grandeur dostoïevskienne de sa souffrance.

C’est un tout jeune homme rencontré en Asie, il m’a surpris par sa culture, son enthousiasme, sa générosité. Il m’écrit en russe, je réponds en français et nous nous comprenons très bien.

Ce n’est que tout récemment que j’ai réalisé que sa ville se trouve tout près de la frontière russo-ukrainienne. J’ai conservé la partie personnelle de la lettre parce que l’enchaînement des malheurs de Fiodor, une panne de voiture, sa fiancée qui le quitte et la guerre qui éclate à sa porte, me paraît à la fois comique et sublime. Risquons la banalité de mise : la réalité est le plus grand des romanciers.

Je dédie ma traduction à tous ceux qui seraient tentés de désespérer de la Russie que nous aimons.


                                                                                                       4 mars 2022,

Bonjour cher Alain !

Les deux dernières semaines ont probablement été les plus terribles de ma vie. Le 18 février, j’ai subi une panne d’automobile en rentrant du travail en taxi. Le 20 février Olga m’a annoncé qu’elle me quittait. Je vis désormais seul.

Le matin du 24, des explosions ont retenti dans notre ville. C’était huit obus dont certains sont tombés sur des maisons habitées (Note du traducteur : en Ukraine voisine ou en Russie par erreur ? Ce n’est pas précisé). Depuis lors nous entendons des explosions chaque jour, qui en principe se produisent au-delà de notre ville. Nous voyons dans la ville des véhicules de l’armée russe marqués du signe “Z”. Nous voyons des hélicoptères et des avions, le ciel n’est jamais calme, sans arrêt il y a du tohubohu.

Une grande partie des Russes soutient cette guerre terrible. Moi je suis chaque jour plus consterné par mon pays, c’est un sentiment atroce qui ébranle mon patriotisme jusqu’au fond de mon cœur. Ma mère, moi et une partie de mon entourage nous trouvons invraisemblables les explications officielles et nous souhaitons à l’Ukraine la paix et la prospérité. Nous considérons le président Poutine comme un criminel de guerre et nous espérons que cette attaque infernale prendra fin le plus tôt possible. Aujourd’hui la Russie se trouve dans le rôle de l’Allemagne nazie en 1939 ou 41. Et ce signe Z sur les engins de guerre me fait tout à fait penser à la croix gammée nazie.

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La vidéo qui montre le bombardement de la Place de l’Avenir à X (NDT : ville ukrainienne voisine) restera toute ma vie dans ma mémoire. Je pense à mes amis et cousins d’Ukraine qui vivent à Marioupol, Ivano-Frankivski, Poltava et Odessa. Ils ne pardonneront jamais ce crime à la Russie.

A la frontière russo-ukrainienne sont cantonnés des détachements de l’armée russe, les soldats du “Service Urgent”, des appelés qui font leur service militaire. Ce sont des gamins de 18 à 20 ans qui dorment dans des tentes et manquent de tous les produits d’hygiène. J’ai été dans la zone du front pour y porter de l’aide humanitaire. Des citoyens de ma ville amènent à ces pauvres gamins du savon, du papier hygiénique, du dentifrice, des chaussettes chaudes, des cigarettes, des médicaments : apparemment dans l’armée tout cela manque.

Au début de la guerre, pas une seule fois je n’ai pu dormir plus de trois heures par nuit. Mon travail ne m’empêche pas de penser à la guerre, pas plus que le fait que ma ville soit en paix, et je sens mon cœur brisé en une multitude de petits morceaux. Maintenant je voudrais être épaule contre épaule avec ces Ukrainiens si audacieux et si forts. Je ne sais pas faire la guerre, mais je pourrais m’occuper d’actions humanitaires, par exemple aider à l’approvisionnement en nourriture et médicaments. Hélas, je suis dans l’impossibilité de me trouver maintenant en Ukraine, quel dommage.

Reçois mes sentiments amicaux. Fiodor.

2022, «Je reviens te chercher…»

Bécaud, Jupiter, Athéna et Ulysse


« Je reviens te chercher ; Je savais que tu m’attendais ; Je savais que l’on ne pourrait ; Se passer l’un de l’autre longtemps ; Je reviens te chercher ; Ben tu vois, j’ai pas trop changé … ». Emmanuel Bécaud, plus riche qu’aux jours passés, de tendresse et de larmes et de temps, veut rempiler cinq ans, fait les yeux doux à Marianne. Va-t-il pécho ? Beaucoup de prétendants au grand karaoké présidentiel. Le port du masque est obligatoire.

Monsieur 100 000 voltefaces

Fini la blitzkrieg de 2017, le hors-pistes rouges, noires, vertes, bleus, la marche radieuse vers l’empyrée du « monde d’après ». L’usure du pouvoir, les gilets jaunes, les couacs dans la gestion du Covid ont laissé des traces. Derrière le foulard d’un Lucky Luke pacificateur, se cachait un Dalton bien ordinaire. Après Jo Sarkozy et Averell Hollande, William Macron boucle son quinquennat ; In medio stat virtus. Jupiter des hommes n’a pas réussi à réconcilier les Français. La Concorde, ce sera peut-être saison 2, Inch Allah et Largo Winch. Pour rester sur le trône, il reste les vieux adages : Diviser pour régner ; Feignons d’être l’ordonnateur (et l’emmerdeur) des mystères qui nous dépassent ; Qu’ils me haïssent, pourvu qu’ils me craignent… Après les Mormons, un commando de Témoins de Jéhovah, frères Bolga.neufs, travaillent le story telling, des idées waaooohhh, grands numéros de prestidigitation avec jokers, lapins, tourterelles et caniches. Je veux, Je vais, J’y suis. Il suffira d’un sigle, un matin !

À la décharge du président, dans un monde libéral-libertaire de tout à l’égo, « l’en commun solidaire et inclusif », ce n’est pas simple. Les haruspices, succubes pré-pubères, cottereaux analphabètes, Médée furieuses, songe-creux du woke around the cloud, enragent, s’insultent, font la loi sur les rezzous sociaux, mitent tout. C’est mon droit ! Habeas Porcus ! Marianne partage un secret avec Maître Cornille. Fini les farandoles. Les sacs de blé sont remplis de plâtre. Affubler la démocratie de qualificatifs new-look – participative, humaniste – ne change rien à la maldonne. Réenchanter le XVIIIe siècle et le XIXe arrondissement n’est pas une mince affaire. Scénariser le Panthéon en Fort Boyard bienveillant sauce MasterChef.resse, les numéros de claquettes multiculturelles, réinventions permanentes, pétitions de grands principes, accélèrent le délitement de la nation.

La droite et les postulats d’Euclide

Après Jupiter, Athéna ? Valérie Pécresse, alias Ma Dalton, peut-elle l’emporter ? Screamin’ Jay Hawkins de l’insoumission, vert de rage, Jean-Luc Mélenchon met en boite sa petite camarade. Depuis cinquante ans, infatigable, il court derrière les idéologies et les suffrages, comme Rantanplan après les os.

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À droite, les valeurs et ambitions – libérales, colbertistes, nationalistes, européennes – varient au gré des calculs et postulats d’Euclide. Si une droite tombant sur deux droites fait les angles intérieurs du même côté plus petits que deux droits, ces droites, prolongées à l’infini, se rencontreront du côté où les angles sont plus petits que deux droits. Le Z est un nombre complexe, géométrique, polaire, réel et imaginaire… Même pour Patrick Stefanini et Alain Minc, les additions sont compliquées. La politique poker bol (une base de protéine, trois ingrédients, deux toppings…) lasse l’électeur. Le gaullisme sans de Gaulle, c’est le civet de lièvre sans lièvre. Les parénèses, Sainte-Geneviève, Bayard et d’Artagnan, n’ont plus cours. La Princesse de Clèves, les héros et karchers sont fatigués. À l’heure où blêmit l’hypokhâgne – les yeux fixés sur leurs pensées, tristes, le dos courbé – les Français regrettent Rosemonde Gérard, la craie, l’odeur de l’encre, le grand Littré, le petit Liré, la douceur Angevine, veulent limiter le temps perdu par les enfants devant les écrans numériques, interdire les couteaux à cran d’arrêt dans les classes.

Nicolas et Pimprenelle sont sur un radeau…

Le Kon-Tiki, ou la Méduse ? Sans boussole ni capitaine, difficile d’arriver à bon port. Fini Hegel, les Kolkhozes, la mer rouge. Esther Duflo, Chantal Nobel inspirante du MIT, repense la pauvreté et les micro crédits. À la recherche de l’Atlantide, dans l’amer des sarcasmes, en pédalo sur le lac de Tibériade, la gauche se refait une conscience. Tromelin et Lampédusa sont à la mode. L’Île de Ré pour les ex-fan des trotskistes, pas très loin de l’île d’Yeu, plus tradi. Dans cent jours, ce ne sera pas Elbe, mais Sainte-Hélène. On ne change pas une équipe qui perd.

Thomas Piketty est en colère : « Emmanuel Macron porte une responsabilité écrasante dans la droitisation du paysage politique ». D’illustres prédécesseurs ont porté le chapeau de cette infamie : Nicolas Sarkozy, François Hollande, Jacques Chirac, François Mitterrand, Michel Rocard, Mikhaïl Gorbatchev, Danton, Gengis Khan…. La gauche se réfugie dans l’indignation et les promesses de Limbes. Comme le Zelig de Woody Allen, elle adore se déguiser : lundi en OS, mardi en Nicolas Hulot… euh, non, en Commandant Cousteau, mercredi en burkini, jeudi en Femen, vendredi en Malcom X… Alas, les symphonies du nouveau monde n’adoucissent plus les mœurs. Pour différencier le populaire du populiste, le révolté du révoltant, comme Jacques Vabre dans les publicités des années 80, des doctorants éclairés séparent sur les hauts plateaux (télés) les bons grains du café vénézuélien El Gringo, de l’ivraie réac. Les progressistes gyrodivagues perdent le peuple, l’espoir et les pédales. Le diabolus ex machina, meilleur ennemi de toujours, c’est l’extrême droite, dans la cinquième zone du neuvième cercle de l’enfer. Les pauvres ont des malheurs, les sociologues des principes.

Tout n’est pas perdu. En additionnant les intentions de votes pour Nathalie, Anne, Yannick, Jean-Luc, Philippe, Fabien, Christiane, sans oublier les voix de Jacques Duclos en 1969, de François-Vincent Raspail (et les autres) en 1848, un candidat de gauche pourrait se qualifier au second tour. Assez, des guerres fratricides et coulées d’angoisses ! Sur TikTok, le SOS (Socle Œcuménique de Sauvetage) propose un Koh-Lanta citoyen avec concours d’impro.gressistes. Casimir, Tchoupi et Christiane Taubira sont donnés finalistes. Il se murmure qu’Annie Ernaux, désespérée par les dérisoires querelles d’égos, pour fédérer les dominés, pourrait faire le don de sa personne à la France. « Être une femme n’a jamais cessé de m’intéresser ». Tout n’est pas perdu.

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J’y suis, j’y reste, La Dame de chez Maxim, Le dindon… La comédie Française, c’est du Boulevard. Tous les cinq ans, les mouches changent d’âne, déclament leurs indignations: poujadisme, islamo-gauchisme, zadisme, dégagisme et une profonde lassitude du vulgum pecus. L’abstentionnisme et l’extrémisme prospèrent sur un terreau de dénis et lâchetés trans-idéologiques. Attention, la marche sur Rome, Nosferatu le vampire, Le Docteur Mabuse, c’était il y a cent ans !

2022, anniversaires, roman national et recherche du temps perdu

L’Occident maléfique éclaire le monde de sa repentance, réécrit les « romans nationaux », l’Histoire mondiale de la France, un beau roman, une belle histoire, une romance d’aujourd’hui. Patrick Boucheron, François Héran, les Placid et Muzo de la doxa bienpensante, décoloniaux, dégenrés, agités du bancal, enfilent les clichés politiquement corrects, jouent à saute-moutons (de Panurge) entre le souhaitable et le possible, la militance, le droit et la morale, s’aiment à tout vent des « faits alternatifs ». Le passé, la littérature, les statistiques, les prénoms sont re-calibrées ad usum Delphini, retouchées comme les photos officielles des dignitaires soviétiques, au fil des purges. Pas de méchants sur l’île aux enfants. Bourdieu, mais c’est bien sûr ! Ou comment attiser les braises du fanatisme, l’obscurantisme, la déraison, dynamiter les derniers murs porteurs de notre contrat social. L’enfer est pavé de mauvaises intentions. Dans Woke en stock le Shéhérazade va sauver les naufragés. Tout est bien qui finit bien ! Que deviennent toutes les larmes qu’on ne verse pas, se demandait Jules Renard ? Heureux qui comme Alice au pays des Marvels… La glissade peut-elle s’arrêter ? En attendant l’homme en saint, l’orgasme pour tout.e.s, l’élitisme universel, la sélection inclusive, la laïcité cléricale, le « monde d’après », essayons de sauver le meilleur du « monde d’avant ».

En 2022 nous célébrerons Du Bellay (1522), Molière (1622), le centenaire de la mort de Marcel Proust. Il y a 100 ans, la France, Paris, exsangues, rayonnaient, aimantaient les artistes, l’intelligence, la culture. Le roman national en 1922 c’était Sodome et Gomorrhe, Siegfried et le Limousin, La Maison de Claudine, Le Baiser au lépreux. 1922, c’était aussi la naissance d’Antoine Blondin, Maria Casarès, Gérard Philipe, Pier Paolo Pasolini, Jack Kerouac, Vittorio Gassman, Ava Gardner, le Tractatus logico-philosophicus de Ludwig Wittgenstein. Last but not least, c’est le 2 février 1922, rue de l’Odéon, que Sylvia Beach et la librairie Shakespeare and Company publient dans son intégralité le chef-d’œuvre de James Joyce, Ulysses. Si l’Odyssée se termine bien pour le héros aux mille tours qui retrouve Pénélope, le délit d’Hybris n’est pas pardonné aux prétendants. Le chant 22, la Mnestérophonie, est celui de la vengeance.

« Je reviens te chercher ; J’ai l’air bête sur ce palier ; Aide-moi et viens m’embrasser ; Un taxi est en bas qui attend… ». Valérie ? Emmanuel ? Marine ? Eric ? Jean-Luc ?… Pénélope est méfiante, Marianne hésite.

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Aux larmes, citoyens!

L’éditorial de mars d’Elisabeth Lévy


Depuis le 24 février, le Mal a un visage, celui de Vladimir Poutine. Lancées dans une interminable édition spéciale, qui ne s’est interrompue que pour célébrer la mémoire de Jean-Pierre Pernaut, les chaînes de télévision n’ont pas relooké leurs plateaux aux couleurs de l’Ukraine – seul Yann Barthès a risqué le jaune et bleu, au moins n’a-t-il pas osé la pancarte « Je suis Zelensky ». Mais elles n’ont pas mégoté sur l’indignation, et encore moins sur l’émotion, mise en scène à grand renfort de regards graves, de voix étranglées et de témoignages poignants. Nous avons donc appris que la guerre, c’est terrible, mais que l’humain est plus fort que les armes, la preuve par cette petite Ukrainienne chantant un air des Choristes sur laquelle nous avons été sommés de nous attendrir.

Munies des bougies et drapeaux de circonstance, des milliers de personnes ont manifesté place de la République. Intellectuels et artistes n’ont pas chômé, rivalisant dans la pose martiale et le lyrisme un brin boursouflé. Tandis que les uns traquaient les défaitistes et autres poutinistes ou appelaient à la création de brigades internationales, généralement sur le mode « Armons-nous et partez », que la Philharmonie de Paris annulait courageusement les concerts d’un chef d’orchestre russe considéré comme un proche de Poutine, le musée Grévin exfiltrait de ses salles la statue du président russe : pour le coup, il ne s’agissait pas, pour la direction de l’établissement, d’apporter sa contribution à la semaine de la haine mais de protéger le Poutine de cire contre les agressions des visiteurs…

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La fête n’aurait pas été complète sans le « grand rassemblement de solidarité avec le peuple ukrainien » organisé le 1er mars dans un théâtre parisien par BHL et la Règle du jeu, raout dont l’affiche précisait qu’il serait diffusé dans les principales villes ukrainiennes, cela a dû être d’un grand réconfort. On a entendu l’hymne ukrainien revisité par Patti Smith, écouté Jean-Michel Blanquer, Christophe Castaner, Frédéric Mitterrand et Frédéric Beigbeder, sans oublier François Hollande qui s’est demandé pourquoi on achetait encore du pétrole et du gaz à la Russie (pour se chauffer, banane !). On a aussi fustigé l’extrême droite et l’extrême gauche, laquelle semble avoir perdu l’immunité dont elle jouit habituellement, sans oublier de dénoncer la propagande qui, à en croire Caroline Fourest, « tue plus que les bombes », il faudra le dire aux Ukrainiens. Et c’est sans doute le seul moment de la campagne où Valérie Pécresse et Anne Hidalgo – « une grande dame de la politique », selon BHL, oui, vous avez bien lu – ont été applaudies spontanément.

On se gardera de taxer les protestataires d’insincérité. N’empêche, Poutine leur rend un signalé service en leur offrant une cause qui mérite, sinon que l’on meure, au moins que l’on pleure pour elle. Et une raison impérieuse de s’unir. Face au dernier avatar d’Hitler, l’heure n’est plus aux chamailleries de boutiques entre la droite modérée et la gauche molle, comme l’a reconnu Raphaël Enthoven dans une interview d’anthologie donnée à L’Express où il fustige les nouveaux munichois : « Dans un monde sevré de manichéisme (…), Poutine incarne l’opportune résurrection d’un mal absolu, d’un ennemi cauchemardesque, d’un croquemitaine dont l’universelle détestation soude les volontés et réconcilie des gens qui se déchiraient auparavant. » Quel aveu. Je n’avais pas remarqué que le monde fût sevré de manichéisme, on ne me dit jamais rien. Cependant, cher Raphaël, il faudra m’expliquer en quoi ces volontés soudées améliorent le sort d’un seul Ukrainien. Mais peut-être n’est-ce pas l’objectif.

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On me dira que, si ça ne fait pas de bien ça ne peut pas faire de mal, que l’émotion, la compassion, la solidarité sont naturelles quand des villes européennes sont bombardées. D’ailleurs, autant l’avouer, je possède moi aussi un cœur et il se serre quand je pense à ces vies brisées, à ces enfants terrorisés, à ces amants séparés.

Ce qui me gêne, et même m’exaspère, ce n’est pas l’émotion, c’est son exhibition, d’autant plus incongrue que la France tout entière communie dans la détestation du « dictateur de carton », selon la formule de BHL. S’il fallait réveiller un gouvernement mou du genou ou une opinion indifférente, s’il fallait combattre un puissant parti pro-russe, les protestations, et même le pathos, se comprendraient. L’ennui, c’est qu’il n’y a pas un seul poutinien en vue. Afficher son antinazisme en 1940, c’était de l’héroïsme, en 1946, du conformisme. Proclamer sa haine de Poutine quand le monde entier ou presque la partage, c’est jouer à la Résistance en toute sécurité. Rions mes amis, de voir nos âmes si belles dans le miroir de la guerre. Reste à espérer que la bonne conscience arrête les bombes.

Guerre en Ukraine: se faire une idée du déroulement du conflit

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Qui faut-il croire?


La Guerre en Ukraine dure depuis presque deux semaines et nous sommes inondés d’informations et d’interprétations dans les médias et sur les réseaux sociaux. Certaines sont partielles, d’autres sont des manipulations voire des mensonges. Cependant, il est possible de tirer quelques conclusions grâce à des sources professionnelles et prudentes (OSINTechnical par exemple). Les services de renseignements américains et britanniques se sont montrés eux aussi fiables dans la période précédant l’invasion russe et semblent l’être également depuis. Il ne faut pas oublier que la plupart des vidéos et des images de matériel de guerre russe détruit ou abandonné proviennent du côté ukrainien, un fait qui risque de créer un biais au détriment des Russes. Enfin, les représentations cartographiques du conflit tendent à colorer des espaces entendus comme contrôlés par l’armée russe tandis qu’il est plus raisonnable de considérer qu’elle contrôle seulement les principaux axes et quelques installations (aéroports, centrales électriques) mais pas la totalité du territoire. C’est d’autant plus vrai qu’en dehors du Donbass, la population est hostile et que des unités ukrainiennes (militaires, milices, résistants) restent présentes et contrôlent certaines zones.

Qui pour se rendre sur le front ?

Le premier fait qu’on peut prudemment avancer est que l’armée russe aurait déjà engagé la grande majorité de ses forces concentrées en Russie, en Biélorussie et en Crimée et que son Etat-major serait aujourd’hui à court de réserves immédiatement disponibles. Certaines sources parlent de combattants syriens recrutés pour soutenir les forces russes (il faudra attendre les premiers prisonniers pour avoir des certitudes), et Poutine lui-même a tenu à rassurer les mères russes (la journée internationale des femmes est célébrée en grande pompe chaque année en Russie, certes avec une vision plus traditionnelle du partage des rôles qu’en Occident) en promettant de ne pas envoyer les conscrits au front. Il semble évident que les questions jumelles des renforts et de la durée sont à l’ordre du jour.       

L’armée russe dispose bien entendu de nombreuses autres formations mais il faudrait les faire venir. Cela veut dire dégarnir certains théâtres d’opérations comme la Syrie (selon certaines sources, l’activité russe y est déjà en baisse) voire l’Afrique (le Mali, par exemple) ou encore les républiques autoproclamées en Géorgie. La Russie peut certes prendre des risques à l’Est face à la Chine, mais en Syrie et en Afrique une faiblesse russe pourrait coûter cher à Moscou. Il n’est pas inimaginable que le djihad reprenne à partir d’Idlib ou que la base aérienne de Hmeimim soit harcelée. Au Mali, le retrait des Wagner pourrait également avoir des conséquences sur le prestige et la fiabilité de la Russie et on peut estimer sans prendre trop de risques qu’à Bamako les généraux au pouvoir dorment moins bien depuis quelques jours.

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Quant aux forces déjà engagées, un large consensus permet de dire que les opérations sont mal engagées et mal dirigées. Le fait qu’il n’y ait pas eu une « guerre éclair » n’est ni une surprise ni un problème en soi. Les Russes opèrent autrement, engageant systématiquement et avec méthode, échelon après échelon, commençant par les opérations de percées des lignes ennemies avant de lancer les opérations d’exploitation avec des forces « courant » vite vers les profondeurs pour déchiqueter les bases arrières de l’ennemi, ses lignes de communications et infrastructures. Or, en plusieurs secteurs, les efforts russes sont plus faibles que ce qu’on aurait pu attendre et ils s’essoufflent rapidement. Les énormes embouteillages (ces lignes infinies de camions et de blindés qu’on observe depuis une semaine), le matériel abandonné et les problèmes de ravitaillement sont autant d’indices d’une machine mal préparée qui fonctionne mal. Les renseignements britanniques ont même identifié une baisse d’intensité des bombardements russes dans différentes zones, ce qui laisse penser que les munitions n’arrivent pas suffisamment vite aux unités combattantes et qu’elles sont obligées d’économiser leurs moyens. Enfin, la coordination interarmes était – et l’est toujours à date – très lacunaire.  

Une supériorité aérienne à relativiser

Et puis il y a le mystère de la guerre aérienne. La guerre a commencé de manière classique avec une frappe aérienne russe visant à acquérir la supériorité aérienne et une totale liberté d’action au-dessus du champ de bataille.  Cela est passé par la destruction des avions ukrainiens au sol, la mise hors d’état des pistes, l’élimination des radars et moyens de contrôle aérien ainsi que des capacités sol-air (hormis les moyens tactiques de l’armée de terre). Force est de constater qu’après 12 jours, l’aviation ukrainienne effectue encore des sorties et les Russes perdent toujours des aéronefs. À l’évidence, quelque chose ne va pas.        

Cependant, malgré les problèmes, malgré la résistance de l’armée ukrainienne et les pertes (probablement pas aussi élevées que prétendent les Ukrainiens mais assez conséquentes et plus lourdes que prévu), le rouleau-compresseur russe avance et semble après 12 jours avoir percé la plupart des lignes de défense ukrainiennes. On peut donc conclure que les forces ukrainiennes arrivent à retarder les Russes et les faire saigner mais que pour le moment les efforts principaux avancent lentement au Nord et plus rapidement au Sud (depuis la Crimée). Ces derniers jours, selon les sources américaines, l’armée russe avance ses échelons logistiques pour se rapprocher du front et raccourcir ses lignes de communication. Cela signifie probablement que les échelons combattants vont être mieux soutenus et approvisionnés dans les prochains jours. Ces efforts logistiques semblent indiquer une concentration des efforts et des moyens en direction de Kiev. 

Comment expliquer les performances médiocres de l’armée russe ? À l’évidence, ce genre de phénomène a des causes multiples. Cependant, la première raison semble être une sous-estimation de l’adversaire ukrainien. Les stratèges russes se sont trompés d’ennemi : ils s’attendaient aux Ukrainiens de 2014. Ils se sont trompés concernant les capacités militaires ukrainiennes ainsi que sur la cohésion nationale de l’ennemi et même sur les sentiments des russophones ou « Russes ethniques ». En dehors du Donbass, ils sont en territoire ennemi.

Mais ce n’est pas tout. Des lacunes flagrantes dans des domaines aussi importants que la radio par exemple sont tout simplement stupéfiantes. Des nombreuses unités russes utilisent une communication radio non protégée et même des systèmes GPS non militaires. Parfois on a l’impression qu’ils se sont équipés Au Vieux Campeur ou chez Décathlon ! Si on ajoute à ceci l’état d’entretien des camions et véhicules blindés – pour ne pointer que ces problèmes-là – difficile de ne pas penser à de graves et profonds problèmes de corruption et de négligence. Il paraît clair que les lacunes identifiées pendant la guerre en Géorgie n’ont pas encore été corrigées, et que Serguei Choigou, le ministre de la Défense, n’a finalement pas réussi à éradiquer la culture de corruption qui avait coûté son poste à son prédécesseur, Anatoli Serdioukov.   

Pour conclure, il ne faut surtout pas croire que tout se passe comme prévu et que les Russes ont toujours deux ou trois coups d’avance sur leurs adversaires. Même si les Russes sont de très bons stratèges, la Russie est aujourd’hui engluée dans une Raspoutitsa ukrainienne bien profonde. Elle s’y est mise toute seule.        

Causeur: Poutine détruit l’Ukraine et flingue la présidentielle

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Découvrez le sommaire de notre numéro de mars


Parmi les nombreuses raisons de déplorer la guerre en Ukraine, il y a le fait que, à cause d’elle, la guerre de l’Élysée n’aura pas lieu. Si l’on peut comprendre l’union sacrée autour de Macron, chef d’État devenu chef de guerre, il est en revanche fâcheux que l’élection présidentielle soit de facto confisquée. Ainsi, le président sortant n’aura ni à s’expliquer sur son bilan, ni à exposer son programme. Les conséquences de l’invasion de l’Ukraine pour notre système politique ne sont pas négligeables, car, selon Élisabeth Lévy, « la démocratie que nous nous rengorgeons de défendre là-bas est au bas mot assoupie ici. » Chez les candidats à la présidentielle, selon Stéphane Germain, il y a un aveuglement symétrique qui permet aux progressistes de ne dénoncer que la brutalité des dictateurs et à la droite nationale de se focaliser sur celle des banlieues. Mais tandis que l’extrême gauche, anticapitaliste et anti-occidentale, assimile la force employée par Poutine à celle des black blocs ou des Frères musulmans, Zemmour et Le Pen soutiennent moins Poutine qu’ils ne blâment les renoncements occidentaux. Quant à la campagne russe, Gil Mihaely raconte comment le chef du Kremlin s’est piégé lui-même. Vladimir Poutine a sous-estimé la résistance des soldats ukrainiens et la détermination occidentale. Sur le terrain, ses soldats ont déjà perdu la guerre des images. Selon l’analyse de l’historien et militaire, Michel Goya, l’armée russe n’est pas à la hauteur des ambitions de son chef suprême. Failles opérationnelles et erreurs stratégiques pourraient faire revivre à la Russie ce qu’elle a connu en Syrie. Pour l’historien et journaliste, Mériadec Raffray, officier de réserve, l’OTAN a une part de responsabilité pour cette guerre. Au lieu de saisir la main tendue par la Russie au début des années 2000, elle a multiplié les provocations stratégiques. En revanche, Bruno Tertrais, spécialiste de l’analyse géopolitique et stratégique, maintient que l’OTAN ne menace pas la Russie. Ce qui inquiète Moscou, c’est l’insolente longévité et la bonne santé de l’Alliance atlantique face à sa propre perte d’influence.

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L’éditorial d’Élisabeth Lévy pointe les réactions à la guerre des belles âmes des milieux politique, médiatique, intellectuel et show-biz en France. Ce que ces réactions ont d’exaspérant réside dans leur côté, non pas émotionnel – tout le monde a le cœur serré devant ce qui se passe en Ukraine – mais exhibitionniste. « Proclamer sa haine de Poutine quand le monde entier ou presque la partage, c’est jouer à la Résistance en toute sécurité. » Frédéric Ferney dresse le portrait de Fabien Roussel qui avait réussi à chasser l’ennui de la campagne présidentielle – un comble pour un communiste ! Richard Malka, l’avocat de Mila et de Charlie Hebdo, se confie à Élisabeth Lévy. Pour lui, la lutte contre l’islamisme a besoin que la gauche se ressaisisse des questions identitaires et, pour séduire les jeunes des banlieues, fasse revivre le rêve de liberté qu’offrent les valeurs de la République. Pourtant, comme le révèle Erwan Seznec, si tous les partis politiques en France sont frappés par la démagogie communautaire, c’est indiscutablement à gauche que les dérives islamophiles sont les plus graves. Cyril Bennasar nous fait le récit d’une réunion de militants zemmouriens à Paris où d’anciens fillonistes se mêlent à des marinistes déçus. Emballés par le candidat nouveau, ils fraternisent sans regrets pour leurs ex. Jean Sévillia, dont Les Véritées cachées de la guerre d’Algérie a paru en 2021, se confie à Martin Pimentel. On apprend que les commémorations de 60e anniversaire des accords d’Évian, le 19 mars, risquent d’être une énième démonstration du « en même temps » mémoriel d’Emmanuel Macron. Ses contorsions ne mettront pas fin à la politique de culpabilisation imposée par Alger. Directeur général de la Fondation Napoléon, Thierry Lentz revient sur l’année du bicentenaire de la mort de l’Empereur. Le succès des événements organisés prouve que les Français sont moins complexés que leurs dirigeants face à l’histoire. On peut compter sur Napoléon, même mort, pour infliger une défaite à la cancel culture.

La vraie culture est celle que personne ne peut « annuler ». Et notre rubrique « Culture et humeurs » est toujours là pour le prouver. Qui est mieux qualifié pour porter haut les valeurs de l’esthétique qu’Arielle Dombasle dont Yannis Ezziadi a recueilli les paroles ? Elle défend le paraître, car « paraître, c’est profond, c’est sculpter son être… c’est insolent et mignon. » Jérôme Leroy salue l’arrivée du dernier roman de Nicolas Mathieu, Connemara, pendant que Steven Sampson salue le départ du regretté écrivain et chroniqueur, Serge Koster. Se confiant à Jonathan Siksou, Benoît Duteurtre parle de son nouveau roman, Dénoncez-vous les uns les autres : pour imaginer la société de demain, il suffit d’exagérer – à peine – les travers de celle d’aujourd’hui. Joshua Cohen, interrogé par Steven Sampson, aborde avec humour l’identité juive américaine. Lorsqu’il confronte celle-ci au sionisme radical, cela donne un roman grinçant, Les Nétanyahou, qui vient de paraître en français. Pierre Lamalattie raconte la fin – prévisible et souhaitable – de la Foire internationale d’art contemporain de Paris, tandis que Jean Chauvet présente le cinéma français dans tout son éclat mensuel. Emmanuel Tresmontant a rencontré le génial barman, l’Anglais Colin Field, qui a ressuscité le bar Hemingway au Ritz il y a vingt-huit ans et qui en a fait « une poche de résistance civilisée. » Enfin, Cyril Bennasar a une légère différence d’opinion sur l’immigration par rapport à Éric Zemmour. Laquelle ? Et qui est-ce qui, selon lui, peut faire oublier aux Français leur Alice Coffin nationale ? Pour le savoir, il suffit de lire… Causeur !

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Le député qui aimait un peu trop les réfugiées

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Le Brésilien Arthur do Val. Capture d'écran YouTube.

Kiev sera-t-elle la nouvelle Phuket ?


L’Ukraine regorge de blé, d’orge, de gaz, de fer et de charbon, de belles centrales nucléaires, mais aussi de blondes radieuses à faire chavirer les cœurs des mâles de lointaines contrées. Arthur do Val vient d’en faire les frais.

« Quand elles ont vu mon compte Instagram plein d’abonnés, ça a super bien marché »

Il y a quelques jours, ce député conservateur de São Paulo saute dans un avion pour aller voir la guerre en Ukraine de près. « Jamais je n’aurais cru qu’un jour dans ma vie, je fabriquerais des cocktails molotov pour l’armée ukrainienne », clame-t-il le 4 mars sur son compte Twitter.

A lire aussi, Gil Mihaely: Guerre en Ukraine: se faire une idée du déroulement du conflit

On y voit le Paulista frigorifié dans son manteau et ses gants de laine noirs, encerclé de caisses emplies de bouteilles vides. Dans la foulée, l’intrépide poste deux vidéos sur sa chaîne Youtube. Sur la première, il y est en compagnie de gilets jaunes ukrainiens. Ayant la délicatesse de se placer hors du champ de la caméra, il les laisse dérouler leurs messages d’hostilité à l’encontre de Vladimir Poutine en anglais. Sur ces entrefaites, le fringant trentenaire fait encore mieux : il s’entretient durant vingt minutes avec des joueurs de foot ukrainiens fuyant les bombes. Recevoir un député du pays du ballon rond par temps de guerre, que peuvent-ils espérer de mieux ?

À la suite de ces rencontres hautes en couleur, la mission est remplie. Notre député peut donc rentrer à la maison. Mais entre deux vidéos, notre député commet quelques imprudences.

Berné par l’euphorie de sa rencontre avec l’Autre, il envoie sur son téléphone portable des messages audio sur l’application Whatsapp, à destination de ses copains d’un « groupe de foot ». « Je viens de traverser la frontière entre la Slovaquie et l’Ukraine à pied et je n’ai jamais vu autant de jolies filles. Dans la file d’attente des réfugiés, il n’y avait que des beautés. Si tu prends la file d’attente de la meilleure boîte de nuit de São Paulo, ça n’arrive pas aux chevilles de cette file de réfugiées ». Il affirme ensuite : « Elles te regardent et elles sont faciles, parce qu’elles sont pauvres. Quand elles ont vu mon compte Instagram plein d’abonnés, ça a super bien marché ». Une phrase sibylline… Arthur do Val a-t-il initié quelques réfugiées aux charmes de la bossa nova ? A-t-il fait quelques prouesses de bassin entre deux carcasses de Lada ? Nous ne le saurons pas.

Bientôt en vacances forcées ?

Il n’en reste pas moins qu’au Brésil, la fuite de ces mots doux a provoqué un tollé.

A lire aussi, notre magazine en kiosque: Causeur #99: Poutine détruit l’Ukraine et flingue la présidentielle

Marcelo Ramos, vice-président de la Chambre des députés, a dénoncé « des propos cruellement sexistes ». De son côté, la ministre des femmes, de la famille et des Droits humains a demandé l’abrogation du mandat de député de l’indélicat. Dans la foulée, six autres partis en ont fait autant. En réponse, le parti d’Arthur do Val a annoncé qu’il allait lancer, dès ce vendredi, une procédure à l’encontre de ce dernier, laquelle pourrait aboutir à la destitution. En cas de vacances forcées, Arthur do Val ira-t-il en boîte de nuit à São Paulo ou s’empressera-t-il de retourner en Ukraine ? On subodore la réponse…

Les fuites du député ont eu lieu le jour même où le ministre des relations étrangères ukrainien dénonçait des viols d’Ukrainiennes par des soldats russes. Des sénateurs brésiliens ont alors renchéri, assurant que dans les deux cas, « c’est le même machisme qui transforme les femmes en objet ». Acculé à présenter ses excuses « au Brésil et aux femmes ukrainiennes », Arthur do Val a publié une nouvelle vidéo sur YouTube. Durant huit minutes, l’homme blessé s’y défend d’avoir été sur les champs de bataille « pour y faire du tourisme sexuel » (!)

A défaut d’envoyer Arthur au goulag se purifier de ses mauvaises pensées, la Russie fera-t-elle de Kiev la nouvelle Phuket (ville thaïlandaise connue pour son tourisme sexuel) ? Voilà qui pourrait, assurément, réconcilier Vladimir Poutine avec l’Occident.


Dernière minute : pour couper court aux rumeurs le visant, Arthur do Val a publié une énième vidéo. Cette fois, il y dévoile sa « vérité sur le voyage » :

La guerre des parrainages est enfin terminée

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Valérie Pécresse (LR), ici photographiée à Paris le 15 février 2022, a recueilli 2636 parrainages © Chang Martin/SIPA

Tandis que douze candidatures viennent d’être officiellement validées, le système des parrainages a, une fois encore, été au cœur d’une controverse. Et nous avons tous cru que la publication des noms des parrains était une scandaleuse nouveauté imposée par Hollande, alors que cette disposition existe en réalité depuis 1976. Dans un essai récemment publié, les juristes Christophe Boutin et Frédéric Rouvillois prônent une réforme en vue de 2027.


Lundi 7 mars, le Conseil constitutionnel a publié la liste officielle des candidats à l’élection présidentielle des 10 et 24 avril 2022. Ils sont finalement douze sur la ligne de départ, quatre femmes et huit hommes, qui ont connu des fortunes diverses dans la collecte des 500 parrainages d’élus requis pour prétendre à la magistrature suprême. Les candidats qui peuvent s’appuyer sur un parti bien implanté localement n’ont eu que peu de difficultés à rassembler les fameuses 500 signatures. Pour d’autres, l’affaire a été complexe, du moins si l’on en croit le feuilleton médiatique qui a attiré fortement l’attention ces dernières semaines.

À lire aussi, entretien avec Frédéric Rouvillois: Parrainages: un système plus censitaire que démocratique?

Ce n’est pas nouveau : à chaque élection, des candidats, recueillant pourtant des intentions de vote significatives, affirment qu’ils ne pourront peut-être pas se présenter et soulignent alors un dysfonctionnement démocratique causé par un système jugé inique. Ce qui est en cause est, d’une part le nombre élevé de parrainages à collecter (500), et d’autre part la publicité des noms des parrains. Cet épisode 2022 de la « guerre des parrainages » pourrait déboucher sur une réforme en vue de la prochaine élection présidentielle. A cet égard, la réforme de 2016, instaurée par François Hollande, est dans le viseur : c’est elle qui aurait imposé cette transparence problématique pour certains maires qui risquent, en soutenant des candidats « hors système » ou « controversés », de s’attirer les foudres de leurs administrés, mais aussi la pression des communautés de communes qui jouent un rôle de plus important dans la distribution des dotations financières aux municipalités. Et pourtant, François Hollande a le dos large : il n’y est pour rien… ou presque.

Une réforme du système des parrainages pour 2027 ?

C’est ce que soulignent deux professeurs de droit public, Christophe Boutin et Frédéric Rouvillois, dans un court ouvrage intitulé Les parrainages, ou comment les peuples se donnent des maîtres, publié en février par les éditions La nouvelle librairie, en partenariat avec la Fondation du Pont-neuf. Les deux auteurs racontent l’histoire de l’élection présidentielle au suffrage universel depuis la réforme constitutionnelle de 1962, et notamment l’évolution de la règle des parrainages. Il s’avère que la publicité des parrainages a été instaurée dès 1976 par Valéry Giscard d’Estaing, en même temps que le nombre de parrainages requis fut relevé de 100 à 500. La seule différence, c’est que la loi prévoyait la publication de 500 parrains de chaque candidat, désignés par tirage au sort parmi la liste des parrainages. La réforme de François Hollande a, quant à elle, instauré la publication de la liste complète pour chaque candidat, ce qui ne change pas grand-chose…

À lire aussi: Macron à Poissy, le débat Potemkine

Le débat est désormais ouvert pour la prochaine présidentielle : le système de parrainage est-il anti-démocratique ? Christophe Boutin et Frédéric Rouvillois rappellent que le Général de Gaulle a voulu, à l’origine, « éviter l’énergumène qui jettera le trouble », selon ses propres mots. C’est en spécialistes du droit public et de notre histoire politique qu’ils posent, en termes de philosophie politique, le débat. Selon eux, nous sommes passés, de De Gaulle à Giscard, d’un système minimal de bon sens à un système libéral-centriste qui correspond tout à fait à une forme de despotisme éclairé que revendique alors le jeune président de la République. Et les auteurs de ne pas hésiter à rapprocher cette démarche du suffrage censitaire de jadis. Certes, le cens n’est plus fondé sur la possession de biens ou le paiement de l’impôt foncier comme sous la monarchie de Juillet mais sur une fonction élective qui vaudrait brevet de capacité pour celui qui la détient et serait appelé à sélectionner les candidats aptes à se présenter au premier tour de l’élection présidentielle.

Un parrainage de citoyens plutôt que d’élus

Ils dénoncent ainsi un « système injuste » et un « dévoiement de la démocratie », donnant raison à l’universitaire Stéphane Rials, pour qui la réforme de 1976 « est excessive et, viole l’esprit de la réforme de 1962 en rendant au personnel politique une influence dans le choix du chef de l’État : ce sont des signatures d’électeurs et non d’élus qu’il eût fallu exiger ». Les deux juristes proposent alors une réforme en ces termes : soit le « retour à l’intention initiale du législateur » quand il a instauré ce système de parrainages, c’est-à-dire 100 parrainages non publics – « car de même que le vote est secret, le parrainage doit pouvoir l’être également » précisent-ils – ; soit un parrainage par des citoyens inscrits sur les listes électorales, avec un minimum de 150 000 parrains.

À lire aussi: Macron favori, mais pour quoi faire?

Une telle réforme est-elle envisageable ? La controverse des parrainages va-t-elle subir l’effet « marronnier », c’est-à-dire rentrer dans les oubliettes politiques pour être seulement ressortie et réchauffée à quelques semaines de la prochaine échéance de 2027 pour assurer le spectacle médiatique, ou va-t-elle, au contraire, installer une véritable réflexion en vue d’une réforme ? L’avenir le dira. Mais il est certain qu’en ces temps de crise de confiance populaire dans la démocratie, la classe politique serait sage de s’attaquer sans trop tarder à une révision qui puisse recueillir un certain consensus.

À lire : Les parrainages, ou comment les peuples se donnent des maîtres, éd. La nouvelle librairie, en partenariat avec la Fondation du Pont-neuf, février 2022.

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Guerre en Ukraine: l’Europe sollicite l’aide de Bakou

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Le président Aliyev à Paris, juillet 2018 © Francois Mori/AP/SIPA

La France se rapproche de l’Azerbaïdjan pour faire face aux conséquences de l’invasion russe   


La guerre en Ukraine est un séisme géopolitique sans précédent depuis la chute de l’URSS. Les principales caractéristiques de cette brutale secousse dans notre tectonique des plaques géopolitique sont l’émergence rapide d’une nouvelle logique de blocs, la découverte d’intérêts vitaux convergents, et la mise sous le tapis d’anciennes querelles et rivalités. Les négociations accélérées entre Washington et Caracas en sont un bon exemple. Après des années d’embargo qui ont ruiné le Venezuela, Joe Biden a récemment envoyé un message diplomatique clair à Maduro : “si tu reviens, j’annule tout” !  

Embrassons-nous, Folleville!

Une autre région où les choses évoluent rapidement est le Caucase du sud. Ce n’est un secret pour personne que ces dernières années, entre la France et l’Azerbaïdjan, ce n’était pas l’amour fou. Depuis le début du quinquennat d’Emmanuel Macron, bien avant la seconde guerre de Karabakh, la France, pourtant co-présidente du groupe de Minsk supposé encadrer et encourager un processus de paix entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, cachait de moins en moins ses sympathies et son soutien à Erevan sans se soucier des nombreux messages de plus en plus agacés de Bakou. Depuis la visite de Macron à Erevan en octobre 2018, les invitations pour une visite officielle de Macron à Bakou – même de courte durée – sont restées sans réponse. Et la position officielle de Paris pendant la guerre de l’automne 2020 et depuis n’a guère laissé de doutes chez les Azerbaïdjanais de la rue comme au gouvernement quant aux sentiments des Français. Et puis, la Russie a envahi l’Ukraine. 

A lire aussi, du même auteur: Guerre en Ukraine: se faire une idée du déroulement du conflit

Tout d’un coup, on se souvient que l’Azerbaïdjan dispose d’un atout géostratégique assez rare : non seulement il a du gaz, mais il a ses propres gazoducs pour l’exporter directement ! Cet atout mérite bien qu’on s’y attarde un peu. 

Quand Heydar Aliyev est élu président de la République d’Azerbaïdjan en 1993, il prend la tête d’un pays ruiné en train de perdre la guerre avec l’Arménie et en conséquence de 20% de son territoire. Il se résigne à arrêter une guerre qui était perdue (décision extrêmement difficile) et se préoccupe du développement économique de son pays. Cela impliquait deux choses : reconstruire l’industrie pétrolière d’abord, se doter des moyens d’exporter les hydrocarbures sans passer par la Russie ensuite. 

Débarrassés de la tutelle russe

Pourtant, en 1995-1996, la Russie eltsinienne semblait peu menaçante et plutôt ouverte aux affaires. Mais dans cette région du monde plus qu’ailleurs, on sait qu’il faut avancer vite quand la Russie est à terre (les indépendances des trois Républiques de la région datent de fin mai 1918), car elle finit toujours par revenir (Géorgie, Arménie et Azerbaïdjan deviennent des Républiques socialistes soviétiques dès les années 1920). En 1991, une fenêtre d’opportunité est de nouveau ouverte et l’Azerbaïdjan la saisit. Le pipeline est inauguré en 2006 peu de temps avant que Poutine ne reprenne les choses en main. À quelques années près, Poutine n’aurait jamais laissé faire Bakou. Quand ce dernier est en mesure de bloquer le projet, il était trop tard… D’autres qui ne l’ont pas fait à temps sont aujourd’hui, malgré leurs immenses ressources énergétiques, les otages de la Russie (par exemple le Kazakhstan).

Cet atout vaut aujourd’hui à Bakou une place à la table. Selon certaines sources, le téléphone du président azerbaïdjanais, Ilham Aliyev, ne cesse pas de sonner. Charles Michel, Mario Draghi (celui-là même qui il y a deux ans n’avait pas compris pourquoi il fallait se donner la peine de le rencontrer pendant sa visite en Italie), le Secrétaire général de l’OTAN et Emmanuel Macron l’appellent souvent. Et avec la fréquence des échanges, le ton a changé aussi. 

L’Azerbaïdjan soutient l’Ukraine

Côté Bakou, on n’est pas rancuniers. Les Européens et notamment la France ont demandé à l’Azerbaïdjan d’aider la Moldavie, le maillon faible des anciens territoires de l’URSS. Bakou s’est engagée à fournir à Chisinau ce dont elle avait besoin pour se passer du gaz russe l’hiver prochain. C’est une opération compliquée qui exige de renverser le sens du flux de gaz (qui va aujourd’hui de la Russie vers la Bulgarie) pour pouvoir acheminer le précieux hydrocarbure du sud vers le nord. Depuis janvier 2021 l’Azerbaïdjan a déjà fourni 19,5 milliard de mètres cubes (MMC) de gaz (à la Turquie, à l’Italie, à la Grèce et à la Bulgarie), et il s’est engagé à augmenter les volumes exportés de 7 ou 8% (1,5 MMC) dans les mois à venir.

À lire aussi, Elisabeth Lévy: Aux larmes, citoyens!

L’Azerbaïdjan s’est engagé aussi à soutenir l’Ukraine avec l’acheminement d’aides humanitaires depuis le 26 février (soit dès le troisième jour de la guerre). La société nationale d’énergie (SOCAR), propriétaire d’une soixantaine de stations service en Ukraine, a mis ses établissements à disposition des ambulances, services de secours ou de santé qui peuvent venir y faire le plein d’essence jusqu’à épuisement des stocks. Ces dernières décennies, Bakou a su trouver une voie politique permettant de vivre en paix dans une région considérée par les Russes comme faisant partie de leur sphère d’influence. L’Azerbaïdjan poursuit son chemin sans redevenir le vassal de Moscou ni s’attirer ses foudres comme la Géorgie et l’Ukraine. Etre le voisin de la Russie est un emploi à temps plein ! La marge de manœuvre de Bakou entre les nouveaux blocs géostratégiques ayant émergé depuis le 24 février est certes limitée, mais elle est suffisamment importante pour que la France et l’Europe opèrent une volte-face dans leurs relations avec l’Azerbaïdjan.

Purs sangs

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Image d'illustration Unsplash

D’Aristocrates et grands bourgeois (Plon, 1994) à Singulière noblesse (Fayard, 2015) ou Enquête sur la noblesse (Perrin, 2019), cela fait plus de trente ans qu’Éric Mension-Rigau, professeur d’histoire à la Sorbonne (Paris IV), travaille – à la croisée de l’histoire, de la sociologie et de l’ethnologie – sur la noblesse française depuis la Révolution. Au point que, dorénavant, lorsque d’aucuns posent la question de savoir « quoi lire » à ce propos, la réponse tombe, invariable: « Mension-Rigau. »

 Il préface Cinq années de résistance, les mémoires de guerre de Gabriel de Choiseul, duc de Praslin (1879-1966), engagé dans la Résistance dès le 22 juin 1940.


Causeur. Vous êtes obsédé par le temps long de l’histoire. La noblesse est-elle l’observatoire le plus pertinent pour l’étudier ?

Éric Mension-Rigau. Les nobles ont une perception dynastique du temps. Comment n’éveilleraient-ils pas l’attention et la curiosité de l’historien hanté par le refus de l’oubli et le rêve fou de triompher de la fuite du temps grâce à l’écriture ? À la brièveté décevante d’une vie d’homme, ils opposent, tels les Guermantes de Proust, une continuité qui défie le temps. Comme l’a souligné Georges Duby, la naissance de la féodalité a entraîné l’essor d’une idéologie lignagère. À partir de l’an mille, quand les seigneurs commencent à transmettre leurs fonctions à leurs descendants, se constitue une classe d’héritiers, se référant à des ancêtres connus, à une « race » où se perpétue un patrimoine. Ainsi est né le trait identitaire de tout noble : la conscience d’être le maillon d’une chaîne de vies successives et solidaires dont il faut éviter la rupture.

Le normalien Eric Mension-Rigau D.R.

Combien de personnes, aujourd’hui en France, peuvent se réclamer de la noblesse ?

Le rôle historique de la noblesse (rayonnement, impact culturel, visibilité) n’a jamais été proportionnel à sa faible réalité numérique, inhérente à son statut. À la fin de l’Ancien Régime, la noblesse représentait 0,5% de la population française, soit 120 000 individus et 9 000 lignages, pour 26 millions d’habitants – ce qui faisait d’elle, en proportion, l’une des moins nombreuses d’Europe. À titre de comparaison, les nobles, au xviiie siècle, correspondent à 15% de la population en Pologne et 7% en Espagne. Aujourd’hui, en France, la noblesse représente 0,2% de la population, à peine plus de 3 000 lignages, soit environ 100 000 individus pour 60 millions d’habitants. J’aime dire que je suis l’historien de la marginalité…

Ce « phénomène de survivance » irrite et fascine à la fois. La Révolution n’aurait-elle servi à rien ?

La Révolution marque bien sûr une rupture majeure dans l’histoire de la noblesse en lui enlevant définitivement tout privilège. La noblesse retrouve une existence juridique en 1814, qu’elle perd en 1848. Il n’empêche qu’elle continue à incarner une permanence : il y a encore 315 familles nobles dont la filiation prouvée est antérieure à 1400. La continuité familiale ne relève pas du hasard. Elle résulte d’un double effort de connaissance de la tradition et d’ajustement aux mutations sociétales, interdisant de céder sans résistance aux changements éphémères – mais requérant l’audace que réclame toute adaptation. L’orgueil du nom, qui postule l’instinct de continuité, ne se révèle fructueux que s’il commande l’émulation transgénérationnelle et stimule l’activité créatrice.

A lire aussi: En Russie, un retour de la monarchie n’est pas à exclure

À l’inverse, si les descendants d’une vieille famille se révèlent incapables d’honorer les valeurs et les obligations qu’on attend d’eux…

Ils suscitent légitimement la réprobation et le mépris : ce sont les fameux « fin de race ». Il est évident que les descendants de la noblesse se condamnent s’ils ne se soucient que de ce qui meurt, se détournent de ce qui est en train de naître et restent dans l’attente messianique d’un temps révolu.

Cet intérêt persistant pour la noblesse signifie-t-il, comme l’a dit un jour le président Macron, que le peuple français n’aurait pas voulu la mort du roi ?

La visibilité sociale durable de la noblesse dans la société française contemporaine peut agacer car elle rappelle le souvenir de la société d’ordres et du privilège de l’inégalité. Mais, depuis deux siècles, la noblesse a prouvé sa compatibilité avec la République, la démocratie et la société égalitaire. Elle n’existe plus civilement, mais elle demeure présente au sein des classes socioprofessionnelles supérieures, maintient sa tradition de service en occupant des postes dans la haute fonction publique, agit dans le monde des affaires en étant parfois à sa tête. Les bouleversements politiques et sociaux n’empêchent pas l’inertie des imaginaires. Les princes et princesses peuplent toujours les fictions enfantines et les médias enregistrent des records d’audience à chaque mariage dans une famille royale. Emmanuel Macron a-t-il voulu dire que le peuple français reste sensible à cette autorité de la tradition que les dynasties toujours régnantes ont la charge de donner en spectacle en paraissant immuables dans leurs fonctions et dans leurs rites – même si elles veillent à adapter leur image aux attentes de la société contemporaine ? On peut le penser.

Longtemps surreprésentée dans l’armée, le service de Dieu et au Quai d’Orsay, la noblesse préfère aujourd’hui le monde des affaires. Les « lieux de pouvoir » ont-ils changé ?

L’entrée massive de la noblesse, hommes et femmes, dans le monde du travail depuis le milieu du xxe siècle illustre particulièrement bien son adaptabilité. Aujourd’hui les nobles passent par les grandes écoles de commerce et s’engagent dans le monde de l’entreprise qui est devenu leur lieu de combat, leur champ de bataille. Certains ont de belles carrières professionnelles, très rémunératrices. L’objectif est constant : pérenniser le statut social, en restant en concurrence avec les nouvelles élites à mesure qu’elles apparaissent sur la scène de l’histoire.

Que devient alors l’élite aristocratique lorsqu’elle se mêle aux autres élites ?

Le risque évident est la perte de sa spécificité car la similitude des carrières encourage le frottement social : le noble qui réussit professionnellement finit inévitablement par frayer avec des gens très friqués qui ne partagent pas ses valeurs. Il les retrouve dans des manifestations mondaines, des villégiatures de sport d’hiver ou de bord de mer. Pour éviter que leur intégration aux nouvelles élites s’assortisse d’une rupture radicale avec leurs valeurs ancestrales, les nobles les plus traditionnels ont la prudence d’établir une frontière étanche entre leurs vies professionnelle et privée.

Dans une société toujours plus individualiste, obsédée du selfie, du « moi-je », de « la dictature du nous » comme disait Philip Roth, l’adversité n’a-t-elle pas gagné en puissance contre une classe qui, au contraire, a toujours affirmé la prééminence du groupe sur l’individu et reste attachée à une conception clanique de la famille ? La « permanence » est-elle menacée par l’acculturation ?

Certes la connaissance des traditions et la conscience lignagère s’affaiblissent, les valeurs familiales traditionnelles paraissent en désaccord avec l’idéologie dominante qui glorifie l’individu libéré de toute entrave et dénonce toute transmission comme aliénante. Mais les jeunes générations ont conscience que croire qu’on peut se faire seul, sans mémoire de lien intergénérationnel, campé sur les seules valeurs de la liberté, se révèle souvent un leurre. Les enracinements et les repères, la cohésion et la robustesse de la fratrie, le large réseau de liens sociaux et de solidarités restent, dans notre société qui meurt de l’individualisme, une grande force.

La galanterie fait partie du savoir-vivre codifié par la noblesse. Perdure-t-elle à l’heure des néoféministes qui perçoivent la galanterie comme une agression sexiste ?

Nombre de traits de notre singularité nationale puisent leurs racines dans les contenus culturels de l’héritage nobiliaire. C’est le cas de la fièvre généalogiste qui traverse la société française depuis les années 1970, de l’élégance raffinée et discrète, à la française, à laquelle les grandes marques du luxe font référence, et aussi de la culture du respect de la femme, porté par l’esprit chevaleresque et l’idéal courtois, qui bannit la vulgarité, promeut la délicatesse, l’attention et le tact dans les attitudes et les conduites. N’en déplaise aux féministes implacables qui érigent l’homme en ennemi potentiel, cette tradition de commerce heureux entre les sexes se maintient dans la noblesse…

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Dans plusieurs de vos livres, vous décrivez la religion comme un « verrou » de la tenue morale et sociale, marquant les balises nécessaires à la bonne éducation…

Historiquement la noblesse s’est distinguée non seulement par la carrière des armes mais aussi par la défense de la religion, ce qu’elle n’a cessé de faire depuis ses débuts : dons à des abbayes, construction ou restauration d’églises, soutien à des œuvres charitables, fondation de l’Œuvre des campagnes qui depuis presque deux siècles aide le clergé rural… Aujourd’hui, alors que seulement 2% des Français vont encore à la messe tous les dimanches, la noblesse reste majoritairement habitée par la parole de Dieu et le besoin de croire. Elle participe pleinement au « catholicisme d’adhésion » qui s’affirme dans les grandes villes et chez les élites en remplacement d’un « catholicisme de convention » qui, lui, s’est effondré. Beaucoup de familles s’engagent aussi pour s’opposer à tout ce qui ébranle la conception traditionnelle de la famille. En témoigne leur soutien aux mouvements qui ont marqué, depuis 2012-2013, le réveil identitaire des catholiques pratiquants, en particulier « la Manif pour tous ».

Vous est-il arrivé de vous sentir « prisonnier » de la sympathie que vous éprouvez pour votre sujet d’étude ?

Non. Je procède toujours à une vérification des informations que je recueille lors des entretiens, je confronte qualitativement les réponses, je m’efforce de lire les intentions derrière les mots, les gestes et les attitudes en interprétant les détails ténus ou les anecdotes minuscules puisés dans les témoignages. Certes, mon analyse peut sembler tributaire de l’image que les nobles veulent donner d’eux-mêmes, mais j’en dresse une synthèse critique en en soulignant aussi les contradictions, les ambitions déçues, les efforts inaccomplis.

Qui était Gabriel de Choiseul, duc de Praslin, le « héros » du récit que vous préfacez dans Cinq années de résistance (Tallandier) ?

Gabriel de Choiseul, huitième duc de Praslin, naît en 1879 et meurt en 1966. Ancien élève de l’école militaire de Saint-Cyr, ancien combattant de la Grande Guerre pendant laquelle il a été grièvement blessé, très actif dans l’entre-deux-guerres au sein de l’Action française, il juge inacceptables, dès le 22 juin 1940, les conditions d’armistice dictées par l’Allemagne. Il rompt avec Maurras et s’engage dans la Résistance avec ses trois fils, convaincu que l’avenir est avec le général de Gaulle. Dans son château de Septfonds, près de Périgueux en Dordogne, il écoute la BBC, cache des armes, abrite des parachutistes anglais et participe à des opérations de sabotage. Edmond Michelet lui confie l’organisation du mouvement « Combat » en Périgord. Ce récit, rédigé par l’un des premiers résistants de l’intérieur, qui est aussi l’héritier d’une lignée aristocratique comptant cinq maréchaux, souligne combien la Résistance fut l’affaire d’hommes venus de tous les partis, de toutes les confessions, de toutes les origines sociales.


À lire: Gabriel de Choiseul, duc de Praslin, Cinq années de résistance (préf. de Éric Mension-Rigau), Tallandier, 2021.

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Des chercheuses l’affirment, France Inter confirme: les hommes coûtent une blinde à la société

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Manifestation à Bordeaux, 8 mars 2021 © UGO AMEZ/SIPA

La savante féministe Lucile Peytavin publie l’indispensable Coût de la virilité, ce que la France économiserait si les hommes se comportaient comme les femmes (Anne Carrière). Elle chiffre le coût du patriarcat et de la virilité à 118 milliards d’euros pour la société française. Environ.


La femme, écrivait Vialatte, remonte à la plus haute Antiquité. « Elle ne diffère de l’homme que par le sexe. » Des savants, précisait-il, ont montré que « la femme qui veut s’émanciper se réveille dans un lit glacé, devient très rapidement frigide, souffre de dettes et de diabète galopant, et finit dans l’acrocyanose, maladie de la circulation qui la rend chauve et lui fait les pieds bleus ». De nos jours, la femme qui veut s’émanciper souffre en plus du reste d’une sorte d’obsession comptable. Elle dresse, dans un cahier Clairefontaine à petits carreaux, des colonnes de chiffres représentant des sommes d’argent plus ou moins considérables.

Lucile, Ginevra et Camille, femmes puissantes

Puis elle écrit un livre stupéfiant dans lequel elle dévoile les conclusions scientifiques auxquelles elle a abouti grâce à ses calculs savants composés d’additions de « comportements virils » et de multiplications signifiant la « surreprésentation des hommes dans les comportements asociaux ». Parmi ces comportements asociaux on retiendra les homicides, les violences conjugales, la pétanque en plein soleil, l’insécurité routière, la belote de comptoir et l’alcoolisme. La femme émancipée du jour s’appelle Lucile Peytavin et a écrit un livre qui s’intitule Le coût de la virilité, ce que la France économiserait si les hommes se comportaient comme les femmes.

Lucile Peytavin publie « Le coût de la virilité, ce que la France économiserait si les hommes se comportaient comme les femmes ». Capture d’écran Brut

C’est un livre un peu sec mais instructif. Si on est célibataire, on peut le lire le soir, au lit, et découvrir ainsi l’avantage qu’il y a à ne pas partager avec une épouse légitime les motifs de fâcheries inhérents à toute vie commune et reposant souvent sur des questions d’argent. Si on est marié, on le lira en cachette, dans les toilettes, en évitant de rire bêtement.

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Nous prenons connaissance de ces nouvelles scientifiques grâce à un article paru sur le site de France Inter qui nous en apprend de belles. La virilité, écrit en substance la bouillonnante journaliste Camille Chaudière, coûte un bras à la société. Les calculs les plus sérieux ont été  faits par Mmes Lucile Peytavin (voir ci-dessus) et Ginevra Bersani, deux pointilleuses chercheuses, membres de l’association Genre et Statistiques, spécialistes en virilité et en économie très souterraine. Ces chercheuses se sont concentrées sur l’histoire récente et ont exclu de leurs calculs les « conduites à risque virilistes » des hommes lors des guerres plus ou moins longues, plus ou moins mondiales et plus ou moins meurtrières, qui auraient sûrement rendu les résultats plus aléatoires. Ou plus flous. Ou moins fiables. Et Camille Chaudière brûle d’envie de ne laisser planer aucun doute : les calculs de cette étude sont rigoureux, la méthode est scientifique, les chiffres sont objectifs. Par conséquent, le résultat est sans appel : la virilité coûterait à la société 89 milliards d’euros par an. Ou 102 milliards d’euros. Ou 118. Ou 212. Ou 915. Enfin, bref, la virilité coûte une blinde à la société.

Références philosophiques principalement rousseauistes

Lucile Peytavin ne s’est pas contentée de faire des comptes d’apothicaire. S’appuyant sur des références philosophiques principalement rousseauistes, de Jean-Jacques à Sandrine, elle écrit : « Nous verrons que les hommes ne sont pas naturellement violents ou malveillants » ; ce sont les sociétés qui « valorisent et perpétuent les valeurs viriles » ; la virilité est donc « une construction sociale ». Piochant dans les œuvres des penseurs les plus éminents de ce début de siècle, elle en appelle également au chanteur Renaud. Ce dernier aurait exprimé dans sa chanson Miss Maggie « son aversion pour les hommes et leur “morale guerrière” » en montrant que l’exception thatchérienne confirme la règle selon laquelle « les femmes sont pacifiques, comparées aux hommes ». Vialatte pensait que le sac à main des femmes devait ses dimensions gigantesques à la nécessité d’y caser un parapluie, des objets qui brillent, une torche pour éclairer le fond du sac et trouver la lettre qu’on cherchait depuis trois semaines, et une paire de souliers de montagne. Nous savons maintenant que peuvent s’y glisser en plus l’almanach Vermot et les œuvres complètes de Sandrine Rousseau et de Renaud. Malgré l’excellence des auteurs susnommés et la rigueur de Lucile Peytavin qui a calculé que, depuis dix ans, « les hommes ne s’emploient aux tâches ménagères qu’une minute de plus, passant de 1h59 à 2 heures par jour », il semblerait bien que « des études manquent sur le prix des inégalités de genre dans le domaine de la santé par exemple ». Autant dire qu’il y a encore du pain sur la planche et que les hommes ne sont pas sortis de l’auberge.

La fausse repentance de la Saint-Valentin

Nous apprenons aussi que les stéréotypes de genre poussent les femmes à dépenser leur argent dans des achats relevant d’un « effet du patriarcat ». Les hommes les moins sensibles ne sauraient rester de marbre devant les sommes annuelles révélées par nos chercheuses : 52 euros pour la coiffure, 103 pour les sous-vêtements, 104 pour la contraception, 392 pour l’épilation, 900 pour les produits de beauté. Tout ça pour ne pas ressembler à une souillon, faire la nique à sa voisine de bureau ou complaire au chef du service contentieux. Nous comprenons mieux pour quelle raison le calendrier compte, chaque 14 février, une fête dite des amoureux. Ce jour-là, l’homme casse sa tirelire et tente de se faire pardonner en se livrant lui aussi à des dépenses élyséennes : un restaurant ici, un diamant là, un bouquet de roses un peu partout. Mais la femme qui veut s’émanciper n’est pas dupe ; elle décèle la fourberie patriarcale et l’ingéniosité masculiniste derrière cette unique journée de fausse repentance. Elle le fait savoir : le diamant est bien petit, le restaurant ne propose pas de menus vegans, elle aurait préféré une orchidée. De plus, ce soir, elle a la migraine.

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De son côté, Lucile Quillet a écrit un livre intitulé Le prix à payer dans lequel elle cherche à savoir « ce que le couple hétéro coûte aux femmes ». Il coûte cher, évidemment. Bouleversée par les révélations qui lui sont apparues au fil de ses lectures et de ses expériences, Mme Quillet tente désespérément de retrouver ses esprits et conclut son livre en échouant, sous le coup de l’émotion, à retrouver sa langue natale : « J’ai réalisé à quel point les hommes et la société avec eux, étaient dépendants des femmes, de leur travail, de leur argent, de leur énergie. Sans elles, ils ne s’enrichisseraient pas de la sorte. » Autant dire qu’ils s’appauvrisseraient, et que ça ne serasserait que justice.

Il est rassurant de constater que la radio publique a décidé de porter à notre connaissance ces indispensables ouvrages scientifiques. Loin des vieux grimoires écrits par des auteurs testiculés qui ignoraient péremptoirement la responsabilité ancestrale du mâle moyen dans à peu près toutes les atrocités du monde, les livres de ces dames invitent l’homme à se pencher sur sa carrière de tyran et à se repentir. Sévères mais justes, la tête haute et la chevelure au vent, ces magnanimes chercheuses précisent par ailleurs que l’étude comptable et scientifique qu’elles ont réalisée n’inclut pas les coûts liés aux protections périodiques car « ce poste de dépense supplémentaire résulte d’une réalité biologique et non d’un effet du patriarcat ». On voit par-là que la femme qui veut s’émanciper ne se départit jamais d’une grandeur d’âme et d’un port altier qui la rendront toujours plus rayonnante qu’un physicien nucléaire, plus aimable qu’un maréchal des logis et plus désirable qu’un routier. De toute manière, ces monstres masculinistes, ces aberrations virilistes sont, Dieu merci, en cours de disparition. Car l’homme devient une femme comme tout le monde : après s’être épilé le torse il farfouille dans son sac Vuitton en se demandant ce qu’il a bien pu faire de son vernis à ongles et des clés du camion – voilà qui rassure les marchands de maroquinerie et de cosmétiques qui craignaient, avec la chute du patriarcat, l’effondrement de leurs bénéfices. Mais pas certaines femmes, qui n’en demandaient pas tant.

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Lettre de la frontière russe

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irpin, Ukraine, 8 mars 2022 © Vadim Ghirda/AP/SIPA

Alain Neurohr partage ici le témoignage d’un ami russe qui a une nouvelle voisine : la guerre.


Je l’appellerai ici Fiodor, à cause de la grandeur dostoïevskienne de sa souffrance.

C’est un tout jeune homme rencontré en Asie, il m’a surpris par sa culture, son enthousiasme, sa générosité. Il m’écrit en russe, je réponds en français et nous nous comprenons très bien.

Ce n’est que tout récemment que j’ai réalisé que sa ville se trouve tout près de la frontière russo-ukrainienne. J’ai conservé la partie personnelle de la lettre parce que l’enchaînement des malheurs de Fiodor, une panne de voiture, sa fiancée qui le quitte et la guerre qui éclate à sa porte, me paraît à la fois comique et sublime. Risquons la banalité de mise : la réalité est le plus grand des romanciers.

Je dédie ma traduction à tous ceux qui seraient tentés de désespérer de la Russie que nous aimons.


                                                                                                       4 mars 2022,

Bonjour cher Alain !

Les deux dernières semaines ont probablement été les plus terribles de ma vie. Le 18 février, j’ai subi une panne d’automobile en rentrant du travail en taxi. Le 20 février Olga m’a annoncé qu’elle me quittait. Je vis désormais seul.

Le matin du 24, des explosions ont retenti dans notre ville. C’était huit obus dont certains sont tombés sur des maisons habitées (Note du traducteur : en Ukraine voisine ou en Russie par erreur ? Ce n’est pas précisé). Depuis lors nous entendons des explosions chaque jour, qui en principe se produisent au-delà de notre ville. Nous voyons dans la ville des véhicules de l’armée russe marqués du signe “Z”. Nous voyons des hélicoptères et des avions, le ciel n’est jamais calme, sans arrêt il y a du tohubohu.

Une grande partie des Russes soutient cette guerre terrible. Moi je suis chaque jour plus consterné par mon pays, c’est un sentiment atroce qui ébranle mon patriotisme jusqu’au fond de mon cœur. Ma mère, moi et une partie de mon entourage nous trouvons invraisemblables les explications officielles et nous souhaitons à l’Ukraine la paix et la prospérité. Nous considérons le président Poutine comme un criminel de guerre et nous espérons que cette attaque infernale prendra fin le plus tôt possible. Aujourd’hui la Russie se trouve dans le rôle de l’Allemagne nazie en 1939 ou 41. Et ce signe Z sur les engins de guerre me fait tout à fait penser à la croix gammée nazie.

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La vidéo qui montre le bombardement de la Place de l’Avenir à X (NDT : ville ukrainienne voisine) restera toute ma vie dans ma mémoire. Je pense à mes amis et cousins d’Ukraine qui vivent à Marioupol, Ivano-Frankivski, Poltava et Odessa. Ils ne pardonneront jamais ce crime à la Russie.

A la frontière russo-ukrainienne sont cantonnés des détachements de l’armée russe, les soldats du “Service Urgent”, des appelés qui font leur service militaire. Ce sont des gamins de 18 à 20 ans qui dorment dans des tentes et manquent de tous les produits d’hygiène. J’ai été dans la zone du front pour y porter de l’aide humanitaire. Des citoyens de ma ville amènent à ces pauvres gamins du savon, du papier hygiénique, du dentifrice, des chaussettes chaudes, des cigarettes, des médicaments : apparemment dans l’armée tout cela manque.

Au début de la guerre, pas une seule fois je n’ai pu dormir plus de trois heures par nuit. Mon travail ne m’empêche pas de penser à la guerre, pas plus que le fait que ma ville soit en paix, et je sens mon cœur brisé en une multitude de petits morceaux. Maintenant je voudrais être épaule contre épaule avec ces Ukrainiens si audacieux et si forts. Je ne sais pas faire la guerre, mais je pourrais m’occuper d’actions humanitaires, par exemple aider à l’approvisionnement en nourriture et médicaments. Hélas, je suis dans l’impossibilité de me trouver maintenant en Ukraine, quel dommage.

Reçois mes sentiments amicaux. Fiodor.

2022, «Je reviens te chercher…»

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Le président Macron et Élisabeth Moreno, Journée de la gonzesse, Paris, 8 mars 2022 © Ludovic Marin/AP/SIPA

Bécaud, Jupiter, Athéna et Ulysse


« Je reviens te chercher ; Je savais que tu m’attendais ; Je savais que l’on ne pourrait ; Se passer l’un de l’autre longtemps ; Je reviens te chercher ; Ben tu vois, j’ai pas trop changé … ». Emmanuel Bécaud, plus riche qu’aux jours passés, de tendresse et de larmes et de temps, veut rempiler cinq ans, fait les yeux doux à Marianne. Va-t-il pécho ? Beaucoup de prétendants au grand karaoké présidentiel. Le port du masque est obligatoire.

Monsieur 100 000 voltefaces

Fini la blitzkrieg de 2017, le hors-pistes rouges, noires, vertes, bleus, la marche radieuse vers l’empyrée du « monde d’après ». L’usure du pouvoir, les gilets jaunes, les couacs dans la gestion du Covid ont laissé des traces. Derrière le foulard d’un Lucky Luke pacificateur, se cachait un Dalton bien ordinaire. Après Jo Sarkozy et Averell Hollande, William Macron boucle son quinquennat ; In medio stat virtus. Jupiter des hommes n’a pas réussi à réconcilier les Français. La Concorde, ce sera peut-être saison 2, Inch Allah et Largo Winch. Pour rester sur le trône, il reste les vieux adages : Diviser pour régner ; Feignons d’être l’ordonnateur (et l’emmerdeur) des mystères qui nous dépassent ; Qu’ils me haïssent, pourvu qu’ils me craignent… Après les Mormons, un commando de Témoins de Jéhovah, frères Bolga.neufs, travaillent le story telling, des idées waaooohhh, grands numéros de prestidigitation avec jokers, lapins, tourterelles et caniches. Je veux, Je vais, J’y suis. Il suffira d’un sigle, un matin !

À la décharge du président, dans un monde libéral-libertaire de tout à l’égo, « l’en commun solidaire et inclusif », ce n’est pas simple. Les haruspices, succubes pré-pubères, cottereaux analphabètes, Médée furieuses, songe-creux du woke around the cloud, enragent, s’insultent, font la loi sur les rezzous sociaux, mitent tout. C’est mon droit ! Habeas Porcus ! Marianne partage un secret avec Maître Cornille. Fini les farandoles. Les sacs de blé sont remplis de plâtre. Affubler la démocratie de qualificatifs new-look – participative, humaniste – ne change rien à la maldonne. Réenchanter le XVIIIe siècle et le XIXe arrondissement n’est pas une mince affaire. Scénariser le Panthéon en Fort Boyard bienveillant sauce MasterChef.resse, les numéros de claquettes multiculturelles, réinventions permanentes, pétitions de grands principes, accélèrent le délitement de la nation.

La droite et les postulats d’Euclide

Après Jupiter, Athéna ? Valérie Pécresse, alias Ma Dalton, peut-elle l’emporter ? Screamin’ Jay Hawkins de l’insoumission, vert de rage, Jean-Luc Mélenchon met en boite sa petite camarade. Depuis cinquante ans, infatigable, il court derrière les idéologies et les suffrages, comme Rantanplan après les os.

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À droite, les valeurs et ambitions – libérales, colbertistes, nationalistes, européennes – varient au gré des calculs et postulats d’Euclide. Si une droite tombant sur deux droites fait les angles intérieurs du même côté plus petits que deux droits, ces droites, prolongées à l’infini, se rencontreront du côté où les angles sont plus petits que deux droits. Le Z est un nombre complexe, géométrique, polaire, réel et imaginaire… Même pour Patrick Stefanini et Alain Minc, les additions sont compliquées. La politique poker bol (une base de protéine, trois ingrédients, deux toppings…) lasse l’électeur. Le gaullisme sans de Gaulle, c’est le civet de lièvre sans lièvre. Les parénèses, Sainte-Geneviève, Bayard et d’Artagnan, n’ont plus cours. La Princesse de Clèves, les héros et karchers sont fatigués. À l’heure où blêmit l’hypokhâgne – les yeux fixés sur leurs pensées, tristes, le dos courbé – les Français regrettent Rosemonde Gérard, la craie, l’odeur de l’encre, le grand Littré, le petit Liré, la douceur Angevine, veulent limiter le temps perdu par les enfants devant les écrans numériques, interdire les couteaux à cran d’arrêt dans les classes.

Nicolas et Pimprenelle sont sur un radeau…

Le Kon-Tiki, ou la Méduse ? Sans boussole ni capitaine, difficile d’arriver à bon port. Fini Hegel, les Kolkhozes, la mer rouge. Esther Duflo, Chantal Nobel inspirante du MIT, repense la pauvreté et les micro crédits. À la recherche de l’Atlantide, dans l’amer des sarcasmes, en pédalo sur le lac de Tibériade, la gauche se refait une conscience. Tromelin et Lampédusa sont à la mode. L’Île de Ré pour les ex-fan des trotskistes, pas très loin de l’île d’Yeu, plus tradi. Dans cent jours, ce ne sera pas Elbe, mais Sainte-Hélène. On ne change pas une équipe qui perd.

Thomas Piketty est en colère : « Emmanuel Macron porte une responsabilité écrasante dans la droitisation du paysage politique ». D’illustres prédécesseurs ont porté le chapeau de cette infamie : Nicolas Sarkozy, François Hollande, Jacques Chirac, François Mitterrand, Michel Rocard, Mikhaïl Gorbatchev, Danton, Gengis Khan…. La gauche se réfugie dans l’indignation et les promesses de Limbes. Comme le Zelig de Woody Allen, elle adore se déguiser : lundi en OS, mardi en Nicolas Hulot… euh, non, en Commandant Cousteau, mercredi en burkini, jeudi en Femen, vendredi en Malcom X… Alas, les symphonies du nouveau monde n’adoucissent plus les mœurs. Pour différencier le populaire du populiste, le révolté du révoltant, comme Jacques Vabre dans les publicités des années 80, des doctorants éclairés séparent sur les hauts plateaux (télés) les bons grains du café vénézuélien El Gringo, de l’ivraie réac. Les progressistes gyrodivagues perdent le peuple, l’espoir et les pédales. Le diabolus ex machina, meilleur ennemi de toujours, c’est l’extrême droite, dans la cinquième zone du neuvième cercle de l’enfer. Les pauvres ont des malheurs, les sociologues des principes.

Tout n’est pas perdu. En additionnant les intentions de votes pour Nathalie, Anne, Yannick, Jean-Luc, Philippe, Fabien, Christiane, sans oublier les voix de Jacques Duclos en 1969, de François-Vincent Raspail (et les autres) en 1848, un candidat de gauche pourrait se qualifier au second tour. Assez, des guerres fratricides et coulées d’angoisses ! Sur TikTok, le SOS (Socle Œcuménique de Sauvetage) propose un Koh-Lanta citoyen avec concours d’impro.gressistes. Casimir, Tchoupi et Christiane Taubira sont donnés finalistes. Il se murmure qu’Annie Ernaux, désespérée par les dérisoires querelles d’égos, pour fédérer les dominés, pourrait faire le don de sa personne à la France. « Être une femme n’a jamais cessé de m’intéresser ». Tout n’est pas perdu.

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J’y suis, j’y reste, La Dame de chez Maxim, Le dindon… La comédie Française, c’est du Boulevard. Tous les cinq ans, les mouches changent d’âne, déclament leurs indignations: poujadisme, islamo-gauchisme, zadisme, dégagisme et une profonde lassitude du vulgum pecus. L’abstentionnisme et l’extrémisme prospèrent sur un terreau de dénis et lâchetés trans-idéologiques. Attention, la marche sur Rome, Nosferatu le vampire, Le Docteur Mabuse, c’était il y a cent ans !

2022, anniversaires, roman national et recherche du temps perdu

L’Occident maléfique éclaire le monde de sa repentance, réécrit les « romans nationaux », l’Histoire mondiale de la France, un beau roman, une belle histoire, une romance d’aujourd’hui. Patrick Boucheron, François Héran, les Placid et Muzo de la doxa bienpensante, décoloniaux, dégenrés, agités du bancal, enfilent les clichés politiquement corrects, jouent à saute-moutons (de Panurge) entre le souhaitable et le possible, la militance, le droit et la morale, s’aiment à tout vent des « faits alternatifs ». Le passé, la littérature, les statistiques, les prénoms sont re-calibrées ad usum Delphini, retouchées comme les photos officielles des dignitaires soviétiques, au fil des purges. Pas de méchants sur l’île aux enfants. Bourdieu, mais c’est bien sûr ! Ou comment attiser les braises du fanatisme, l’obscurantisme, la déraison, dynamiter les derniers murs porteurs de notre contrat social. L’enfer est pavé de mauvaises intentions. Dans Woke en stock le Shéhérazade va sauver les naufragés. Tout est bien qui finit bien ! Que deviennent toutes les larmes qu’on ne verse pas, se demandait Jules Renard ? Heureux qui comme Alice au pays des Marvels… La glissade peut-elle s’arrêter ? En attendant l’homme en saint, l’orgasme pour tout.e.s, l’élitisme universel, la sélection inclusive, la laïcité cléricale, le « monde d’après », essayons de sauver le meilleur du « monde d’avant ».

En 2022 nous célébrerons Du Bellay (1522), Molière (1622), le centenaire de la mort de Marcel Proust. Il y a 100 ans, la France, Paris, exsangues, rayonnaient, aimantaient les artistes, l’intelligence, la culture. Le roman national en 1922 c’était Sodome et Gomorrhe, Siegfried et le Limousin, La Maison de Claudine, Le Baiser au lépreux. 1922, c’était aussi la naissance d’Antoine Blondin, Maria Casarès, Gérard Philipe, Pier Paolo Pasolini, Jack Kerouac, Vittorio Gassman, Ava Gardner, le Tractatus logico-philosophicus de Ludwig Wittgenstein. Last but not least, c’est le 2 février 1922, rue de l’Odéon, que Sylvia Beach et la librairie Shakespeare and Company publient dans son intégralité le chef-d’œuvre de James Joyce, Ulysses. Si l’Odyssée se termine bien pour le héros aux mille tours qui retrouve Pénélope, le délit d’Hybris n’est pas pardonné aux prétendants. Le chant 22, la Mnestérophonie, est celui de la vengeance.

« Je reviens te chercher ; J’ai l’air bête sur ce palier ; Aide-moi et viens m’embrasser ; Un taxi est en bas qui attend… ». Valérie ? Emmanuel ? Marine ? Eric ? Jean-Luc ?… Pénélope est méfiante, Marianne hésite.

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Aux larmes, citoyens!

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La journaliste Elisabeth Lévy © Pierre Olivier

L’éditorial de mars d’Elisabeth Lévy


Depuis le 24 février, le Mal a un visage, celui de Vladimir Poutine. Lancées dans une interminable édition spéciale, qui ne s’est interrompue que pour célébrer la mémoire de Jean-Pierre Pernaut, les chaînes de télévision n’ont pas relooké leurs plateaux aux couleurs de l’Ukraine – seul Yann Barthès a risqué le jaune et bleu, au moins n’a-t-il pas osé la pancarte « Je suis Zelensky ». Mais elles n’ont pas mégoté sur l’indignation, et encore moins sur l’émotion, mise en scène à grand renfort de regards graves, de voix étranglées et de témoignages poignants. Nous avons donc appris que la guerre, c’est terrible, mais que l’humain est plus fort que les armes, la preuve par cette petite Ukrainienne chantant un air des Choristes sur laquelle nous avons été sommés de nous attendrir.

Munies des bougies et drapeaux de circonstance, des milliers de personnes ont manifesté place de la République. Intellectuels et artistes n’ont pas chômé, rivalisant dans la pose martiale et le lyrisme un brin boursouflé. Tandis que les uns traquaient les défaitistes et autres poutinistes ou appelaient à la création de brigades internationales, généralement sur le mode « Armons-nous et partez », que la Philharmonie de Paris annulait courageusement les concerts d’un chef d’orchestre russe considéré comme un proche de Poutine, le musée Grévin exfiltrait de ses salles la statue du président russe : pour le coup, il ne s’agissait pas, pour la direction de l’établissement, d’apporter sa contribution à la semaine de la haine mais de protéger le Poutine de cire contre les agressions des visiteurs…

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La fête n’aurait pas été complète sans le « grand rassemblement de solidarité avec le peuple ukrainien » organisé le 1er mars dans un théâtre parisien par BHL et la Règle du jeu, raout dont l’affiche précisait qu’il serait diffusé dans les principales villes ukrainiennes, cela a dû être d’un grand réconfort. On a entendu l’hymne ukrainien revisité par Patti Smith, écouté Jean-Michel Blanquer, Christophe Castaner, Frédéric Mitterrand et Frédéric Beigbeder, sans oublier François Hollande qui s’est demandé pourquoi on achetait encore du pétrole et du gaz à la Russie (pour se chauffer, banane !). On a aussi fustigé l’extrême droite et l’extrême gauche, laquelle semble avoir perdu l’immunité dont elle jouit habituellement, sans oublier de dénoncer la propagande qui, à en croire Caroline Fourest, « tue plus que les bombes », il faudra le dire aux Ukrainiens. Et c’est sans doute le seul moment de la campagne où Valérie Pécresse et Anne Hidalgo – « une grande dame de la politique », selon BHL, oui, vous avez bien lu – ont été applaudies spontanément.

On se gardera de taxer les protestataires d’insincérité. N’empêche, Poutine leur rend un signalé service en leur offrant une cause qui mérite, sinon que l’on meure, au moins que l’on pleure pour elle. Et une raison impérieuse de s’unir. Face au dernier avatar d’Hitler, l’heure n’est plus aux chamailleries de boutiques entre la droite modérée et la gauche molle, comme l’a reconnu Raphaël Enthoven dans une interview d’anthologie donnée à L’Express où il fustige les nouveaux munichois : « Dans un monde sevré de manichéisme (…), Poutine incarne l’opportune résurrection d’un mal absolu, d’un ennemi cauchemardesque, d’un croquemitaine dont l’universelle détestation soude les volontés et réconcilie des gens qui se déchiraient auparavant. » Quel aveu. Je n’avais pas remarqué que le monde fût sevré de manichéisme, on ne me dit jamais rien. Cependant, cher Raphaël, il faudra m’expliquer en quoi ces volontés soudées améliorent le sort d’un seul Ukrainien. Mais peut-être n’est-ce pas l’objectif.

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On me dira que, si ça ne fait pas de bien ça ne peut pas faire de mal, que l’émotion, la compassion, la solidarité sont naturelles quand des villes européennes sont bombardées. D’ailleurs, autant l’avouer, je possède moi aussi un cœur et il se serre quand je pense à ces vies brisées, à ces enfants terrorisés, à ces amants séparés.

Ce qui me gêne, et même m’exaspère, ce n’est pas l’émotion, c’est son exhibition, d’autant plus incongrue que la France tout entière communie dans la détestation du « dictateur de carton », selon la formule de BHL. S’il fallait réveiller un gouvernement mou du genou ou une opinion indifférente, s’il fallait combattre un puissant parti pro-russe, les protestations, et même le pathos, se comprendraient. L’ennui, c’est qu’il n’y a pas un seul poutinien en vue. Afficher son antinazisme en 1940, c’était de l’héroïsme, en 1946, du conformisme. Proclamer sa haine de Poutine quand le monde entier ou presque la partage, c’est jouer à la Résistance en toute sécurité. Rions mes amis, de voir nos âmes si belles dans le miroir de la guerre. Reste à espérer que la bonne conscience arrête les bombes.

Guerre en Ukraine: se faire une idée du déroulement du conflit

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Des Ukrainiens inspectent des véhicules russes abandonnés, région de Kharkiv, 7 mars 2022 © Marienko Andrew/AP/SIPA

Qui faut-il croire?


La Guerre en Ukraine dure depuis presque deux semaines et nous sommes inondés d’informations et d’interprétations dans les médias et sur les réseaux sociaux. Certaines sont partielles, d’autres sont des manipulations voire des mensonges. Cependant, il est possible de tirer quelques conclusions grâce à des sources professionnelles et prudentes (OSINTechnical par exemple). Les services de renseignements américains et britanniques se sont montrés eux aussi fiables dans la période précédant l’invasion russe et semblent l’être également depuis. Il ne faut pas oublier que la plupart des vidéos et des images de matériel de guerre russe détruit ou abandonné proviennent du côté ukrainien, un fait qui risque de créer un biais au détriment des Russes. Enfin, les représentations cartographiques du conflit tendent à colorer des espaces entendus comme contrôlés par l’armée russe tandis qu’il est plus raisonnable de considérer qu’elle contrôle seulement les principaux axes et quelques installations (aéroports, centrales électriques) mais pas la totalité du territoire. C’est d’autant plus vrai qu’en dehors du Donbass, la population est hostile et que des unités ukrainiennes (militaires, milices, résistants) restent présentes et contrôlent certaines zones.

Qui pour se rendre sur le front ?

Le premier fait qu’on peut prudemment avancer est que l’armée russe aurait déjà engagé la grande majorité de ses forces concentrées en Russie, en Biélorussie et en Crimée et que son Etat-major serait aujourd’hui à court de réserves immédiatement disponibles. Certaines sources parlent de combattants syriens recrutés pour soutenir les forces russes (il faudra attendre les premiers prisonniers pour avoir des certitudes), et Poutine lui-même a tenu à rassurer les mères russes (la journée internationale des femmes est célébrée en grande pompe chaque année en Russie, certes avec une vision plus traditionnelle du partage des rôles qu’en Occident) en promettant de ne pas envoyer les conscrits au front. Il semble évident que les questions jumelles des renforts et de la durée sont à l’ordre du jour.       

L’armée russe dispose bien entendu de nombreuses autres formations mais il faudrait les faire venir. Cela veut dire dégarnir certains théâtres d’opérations comme la Syrie (selon certaines sources, l’activité russe y est déjà en baisse) voire l’Afrique (le Mali, par exemple) ou encore les républiques autoproclamées en Géorgie. La Russie peut certes prendre des risques à l’Est face à la Chine, mais en Syrie et en Afrique une faiblesse russe pourrait coûter cher à Moscou. Il n’est pas inimaginable que le djihad reprenne à partir d’Idlib ou que la base aérienne de Hmeimim soit harcelée. Au Mali, le retrait des Wagner pourrait également avoir des conséquences sur le prestige et la fiabilité de la Russie et on peut estimer sans prendre trop de risques qu’à Bamako les généraux au pouvoir dorment moins bien depuis quelques jours.

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Quant aux forces déjà engagées, un large consensus permet de dire que les opérations sont mal engagées et mal dirigées. Le fait qu’il n’y ait pas eu une « guerre éclair » n’est ni une surprise ni un problème en soi. Les Russes opèrent autrement, engageant systématiquement et avec méthode, échelon après échelon, commençant par les opérations de percées des lignes ennemies avant de lancer les opérations d’exploitation avec des forces « courant » vite vers les profondeurs pour déchiqueter les bases arrières de l’ennemi, ses lignes de communications et infrastructures. Or, en plusieurs secteurs, les efforts russes sont plus faibles que ce qu’on aurait pu attendre et ils s’essoufflent rapidement. Les énormes embouteillages (ces lignes infinies de camions et de blindés qu’on observe depuis une semaine), le matériel abandonné et les problèmes de ravitaillement sont autant d’indices d’une machine mal préparée qui fonctionne mal. Les renseignements britanniques ont même identifié une baisse d’intensité des bombardements russes dans différentes zones, ce qui laisse penser que les munitions n’arrivent pas suffisamment vite aux unités combattantes et qu’elles sont obligées d’économiser leurs moyens. Enfin, la coordination interarmes était – et l’est toujours à date – très lacunaire.  

Une supériorité aérienne à relativiser

Et puis il y a le mystère de la guerre aérienne. La guerre a commencé de manière classique avec une frappe aérienne russe visant à acquérir la supériorité aérienne et une totale liberté d’action au-dessus du champ de bataille.  Cela est passé par la destruction des avions ukrainiens au sol, la mise hors d’état des pistes, l’élimination des radars et moyens de contrôle aérien ainsi que des capacités sol-air (hormis les moyens tactiques de l’armée de terre). Force est de constater qu’après 12 jours, l’aviation ukrainienne effectue encore des sorties et les Russes perdent toujours des aéronefs. À l’évidence, quelque chose ne va pas.        

Cependant, malgré les problèmes, malgré la résistance de l’armée ukrainienne et les pertes (probablement pas aussi élevées que prétendent les Ukrainiens mais assez conséquentes et plus lourdes que prévu), le rouleau-compresseur russe avance et semble après 12 jours avoir percé la plupart des lignes de défense ukrainiennes. On peut donc conclure que les forces ukrainiennes arrivent à retarder les Russes et les faire saigner mais que pour le moment les efforts principaux avancent lentement au Nord et plus rapidement au Sud (depuis la Crimée). Ces derniers jours, selon les sources américaines, l’armée russe avance ses échelons logistiques pour se rapprocher du front et raccourcir ses lignes de communication. Cela signifie probablement que les échelons combattants vont être mieux soutenus et approvisionnés dans les prochains jours. Ces efforts logistiques semblent indiquer une concentration des efforts et des moyens en direction de Kiev. 

Comment expliquer les performances médiocres de l’armée russe ? À l’évidence, ce genre de phénomène a des causes multiples. Cependant, la première raison semble être une sous-estimation de l’adversaire ukrainien. Les stratèges russes se sont trompés d’ennemi : ils s’attendaient aux Ukrainiens de 2014. Ils se sont trompés concernant les capacités militaires ukrainiennes ainsi que sur la cohésion nationale de l’ennemi et même sur les sentiments des russophones ou « Russes ethniques ». En dehors du Donbass, ils sont en territoire ennemi.

Mais ce n’est pas tout. Des lacunes flagrantes dans des domaines aussi importants que la radio par exemple sont tout simplement stupéfiantes. Des nombreuses unités russes utilisent une communication radio non protégée et même des systèmes GPS non militaires. Parfois on a l’impression qu’ils se sont équipés Au Vieux Campeur ou chez Décathlon ! Si on ajoute à ceci l’état d’entretien des camions et véhicules blindés – pour ne pointer que ces problèmes-là – difficile de ne pas penser à de graves et profonds problèmes de corruption et de négligence. Il paraît clair que les lacunes identifiées pendant la guerre en Géorgie n’ont pas encore été corrigées, et que Serguei Choigou, le ministre de la Défense, n’a finalement pas réussi à éradiquer la culture de corruption qui avait coûté son poste à son prédécesseur, Anatoli Serdioukov.   

Pour conclure, il ne faut surtout pas croire que tout se passe comme prévu et que les Russes ont toujours deux ou trois coups d’avance sur leurs adversaires. Même si les Russes sont de très bons stratèges, la Russie est aujourd’hui engluée dans une Raspoutitsa ukrainienne bien profonde. Elle s’y est mise toute seule.        

Causeur: Poutine détruit l’Ukraine et flingue la présidentielle

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© Causeur

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Parmi les nombreuses raisons de déplorer la guerre en Ukraine, il y a le fait que, à cause d’elle, la guerre de l’Élysée n’aura pas lieu. Si l’on peut comprendre l’union sacrée autour de Macron, chef d’État devenu chef de guerre, il est en revanche fâcheux que l’élection présidentielle soit de facto confisquée. Ainsi, le président sortant n’aura ni à s’expliquer sur son bilan, ni à exposer son programme. Les conséquences de l’invasion de l’Ukraine pour notre système politique ne sont pas négligeables, car, selon Élisabeth Lévy, « la démocratie que nous nous rengorgeons de défendre là-bas est au bas mot assoupie ici. » Chez les candidats à la présidentielle, selon Stéphane Germain, il y a un aveuglement symétrique qui permet aux progressistes de ne dénoncer que la brutalité des dictateurs et à la droite nationale de se focaliser sur celle des banlieues. Mais tandis que l’extrême gauche, anticapitaliste et anti-occidentale, assimile la force employée par Poutine à celle des black blocs ou des Frères musulmans, Zemmour et Le Pen soutiennent moins Poutine qu’ils ne blâment les renoncements occidentaux. Quant à la campagne russe, Gil Mihaely raconte comment le chef du Kremlin s’est piégé lui-même. Vladimir Poutine a sous-estimé la résistance des soldats ukrainiens et la détermination occidentale. Sur le terrain, ses soldats ont déjà perdu la guerre des images. Selon l’analyse de l’historien et militaire, Michel Goya, l’armée russe n’est pas à la hauteur des ambitions de son chef suprême. Failles opérationnelles et erreurs stratégiques pourraient faire revivre à la Russie ce qu’elle a connu en Syrie. Pour l’historien et journaliste, Mériadec Raffray, officier de réserve, l’OTAN a une part de responsabilité pour cette guerre. Au lieu de saisir la main tendue par la Russie au début des années 2000, elle a multiplié les provocations stratégiques. En revanche, Bruno Tertrais, spécialiste de l’analyse géopolitique et stratégique, maintient que l’OTAN ne menace pas la Russie. Ce qui inquiète Moscou, c’est l’insolente longévité et la bonne santé de l’Alliance atlantique face à sa propre perte d’influence.

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L’éditorial d’Élisabeth Lévy pointe les réactions à la guerre des belles âmes des milieux politique, médiatique, intellectuel et show-biz en France. Ce que ces réactions ont d’exaspérant réside dans leur côté, non pas émotionnel – tout le monde a le cœur serré devant ce qui se passe en Ukraine – mais exhibitionniste. « Proclamer sa haine de Poutine quand le monde entier ou presque la partage, c’est jouer à la Résistance en toute sécurité. » Frédéric Ferney dresse le portrait de Fabien Roussel qui avait réussi à chasser l’ennui de la campagne présidentielle – un comble pour un communiste ! Richard Malka, l’avocat de Mila et de Charlie Hebdo, se confie à Élisabeth Lévy. Pour lui, la lutte contre l’islamisme a besoin que la gauche se ressaisisse des questions identitaires et, pour séduire les jeunes des banlieues, fasse revivre le rêve de liberté qu’offrent les valeurs de la République. Pourtant, comme le révèle Erwan Seznec, si tous les partis politiques en France sont frappés par la démagogie communautaire, c’est indiscutablement à gauche que les dérives islamophiles sont les plus graves. Cyril Bennasar nous fait le récit d’une réunion de militants zemmouriens à Paris où d’anciens fillonistes se mêlent à des marinistes déçus. Emballés par le candidat nouveau, ils fraternisent sans regrets pour leurs ex. Jean Sévillia, dont Les Véritées cachées de la guerre d’Algérie a paru en 2021, se confie à Martin Pimentel. On apprend que les commémorations de 60e anniversaire des accords d’Évian, le 19 mars, risquent d’être une énième démonstration du « en même temps » mémoriel d’Emmanuel Macron. Ses contorsions ne mettront pas fin à la politique de culpabilisation imposée par Alger. Directeur général de la Fondation Napoléon, Thierry Lentz revient sur l’année du bicentenaire de la mort de l’Empereur. Le succès des événements organisés prouve que les Français sont moins complexés que leurs dirigeants face à l’histoire. On peut compter sur Napoléon, même mort, pour infliger une défaite à la cancel culture.

La vraie culture est celle que personne ne peut « annuler ». Et notre rubrique « Culture et humeurs » est toujours là pour le prouver. Qui est mieux qualifié pour porter haut les valeurs de l’esthétique qu’Arielle Dombasle dont Yannis Ezziadi a recueilli les paroles ? Elle défend le paraître, car « paraître, c’est profond, c’est sculpter son être… c’est insolent et mignon. » Jérôme Leroy salue l’arrivée du dernier roman de Nicolas Mathieu, Connemara, pendant que Steven Sampson salue le départ du regretté écrivain et chroniqueur, Serge Koster. Se confiant à Jonathan Siksou, Benoît Duteurtre parle de son nouveau roman, Dénoncez-vous les uns les autres : pour imaginer la société de demain, il suffit d’exagérer – à peine – les travers de celle d’aujourd’hui. Joshua Cohen, interrogé par Steven Sampson, aborde avec humour l’identité juive américaine. Lorsqu’il confronte celle-ci au sionisme radical, cela donne un roman grinçant, Les Nétanyahou, qui vient de paraître en français. Pierre Lamalattie raconte la fin – prévisible et souhaitable – de la Foire internationale d’art contemporain de Paris, tandis que Jean Chauvet présente le cinéma français dans tout son éclat mensuel. Emmanuel Tresmontant a rencontré le génial barman, l’Anglais Colin Field, qui a ressuscité le bar Hemingway au Ritz il y a vingt-huit ans et qui en a fait « une poche de résistance civilisée. » Enfin, Cyril Bennasar a une légère différence d’opinion sur l’immigration par rapport à Éric Zemmour. Laquelle ? Et qui est-ce qui, selon lui, peut faire oublier aux Français leur Alice Coffin nationale ? Pour le savoir, il suffit de lire… Causeur !

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