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Le front républicain est mort! Vive la République!

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Pendant toute la campagne électorale, la droite nationale se voit accusée d’antirépublicanisme. Le directeur du Monde, Jérôme Fenoglio, a par exemple affirmé que les candidatures d’Éric Zemmour et de Marine Le Pen étaient « incompatibles avec tous nos principes, tout autant qu’elles sont contraires aux valeurs républicaines ». Un traitement de faveur curieux, que n’ont pas subi Nathalie Artaud, Philippe Poutou ou Fabien Roussel.


Le théâtre antifasciste se voulait tragique, le voici vaudevillesque, et le ridicule dont il se couvre aujourd’hui  n’a d’égal que la vilénie qui l’imbibait hier. Le chahut qu’il causait dans le public faussement conquis a laissé place au spectacle crépusculaire d’une troupe au famélique arsenal rhétorique, qui soliloque et n’effraie qu’elle-même. Son script est dépourvu de tout ce qu’il faut d’équilibré, de nuancé, d’élégant, et ces danseurs de l’effroi font usage de ce qu’il leur reste : de la poudre et des claques-doigts. Ces étiquetages rabougris et ces phrases industrielles, ces concepts fallacieux de «front républicain», de «barrage contre l’extrême droite» et autres tournures bassement sloganesques déclinent, et c’est salutaire. Cependant ces râles agonisants hantent encore certains couloirs de l’esprit, il paraît donc hautement impérieux de revenir aux fondements des concepts de «démocratie» et de «République», dont la mécompréhension est à l’origine de tant de superficielles divisions dans notre pays.

Une malheureuse confusion entre «démocratie» et «république»

La «République» présentée comme si autoporteuse de bienfaits et de salut public, n’est initialement pas un socle de principes ni de valeurs. La République, sous l’Antiquité romaine, désigne avant tout la «res publica», la «chose publique», qui concerne l’universalité des citoyens. Ainsi selon Montesquieu, «le gouvernement républicain est celui où le peuple en corps, ou seulement une partie du peuple, a la souveraine puissance».

Le gouvernement républicain est donc démocratique, ou aristocratique. Dans le premier cas, le peuple exerce directement le pouvoir, dans l’autre il délègue l’exercice de la souveraineté en élisant des représentants, c’est l’aristocratie. Le mépris contemporain pour l’idéogénie et l’oubli volontaire du sens originel des mots aidant, la commune sottise trouve un terreau fertile pour laisser se répandre les mauvaises herbes de la bévue et de la guignolerie. C’est ainsi que l’on peut sporadiquement entendre ces vocables dénués de sens comme celui de «démocratie directe», qui pèche par tautologie, ou celui de «démocratie représentative», qui  est un vilain oxymore.

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La démocratie est directe ou elle n’est pas une démocratie, c’est tout. Par cette attirance profonde qu’éprouvent certains docteurs envers la bévue et que leur immodestie fait jaillir, l’on peut lire ici ou là, pêle-mêle, que le peuple souverain n’a pas le droit de modifier la Constitution, qu’il n’est pas démocratique de le consulter par la voie référendaire, et que le recours à de tels procédés aboutirait à une «démocratie populiste».

La tromperie juchée derrière une chaire ! Voilà le spectacle que donne à voir le goût immodéré pour les figures de style qu’entretiennent certains professeurs de droit, car parler de «démocratie populiste» revient à parler de «démocratie populaire» – à moins qu’un inavouable mépris du peuple se soit posé sur la langue de ces messieurs – et cette formule est un impeccable pléonasme ! Cette assourdissante chevauchée des mensonges achève d’obscurcir l’esprit civique, en faisant croire par le maniement de mots polysémiques que l’anti-démocratie se trouve dans la volonté de redonner au peuple souverain ses prérogatives constitutionnelles. Si le terme de République désigne le salon des idées saintes, alors rien n’est plus anti-républicain que de sacrifier la langue sur l’autel de la fourberie.

La malléable sphère de respectabilité républicaine

Constitue traditionnellement un des fondements du républicanisme l’amour de la patrie où s’est établi l’État, et d’où ont jailli ses lois. Insulter d’anti-républicain l’électorat d’un parti qui soutient la constitution sociale de la France, l’héritage protéiforme des ancêtres, ses mœurs et ses lois, c’est incendier plus de deux siècles d’acculturation républicaine, laquelle s’est justement opérée en dressant les âmes à la patrie nouvelle.

Si l’exaltation de l’unité nationale est haineuse et anti-républicaine, faut-il en conclure que depuis Robespierre et Danton la France est d’extrême droite ? Anathématiser et pousser dans la bouillasse des patriotes en les traitant de racistes, de xénophobes, d’anti-démocrates et tout le baragouin, c’est montrer le vrai visage de l’anti-républicanisme. Cet insipide ragoût cacochyme, que l’on sert avec une cuillère rouillée dans la bouche d’une frange du peuple français en lui apprenant qu’il existe une droite «républicaine» et une droite «extrême», a aujourd’hui démontré son écoeurance, et il est recraché à la figure des sycophantes et des prononceurs d’expulsion du champ de la respectabilité républicaine. Il n’y a que par un brillant tour de force politique que l’on parvient à faire croire qu’un parti pourtant respectueux des lois est la réincarnation terrestre du diable.

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En réalité, l’anti-républicain est historiquement – depuis 1789 en France – celui qui veut renverser la République, au profit d’une restauration de la royauté, ou bien de l’instauration de la dictature du prolétariat. Depuis la Révolution et l’avènement du parlementarisme, l’extrême droite correspondait aux contre-révolutionnaires, aux ultras, aux monarchistes ou encore aux légitimistes puis aux antisémites et anti-dreyfusards. Aux antipodes, l’extrême gauche s’est révélée successivement sous les formes des jacobins, montagnards, républicains, socialistes, anarchistes puis marxistes et communistes. L’histoire accomplissant son office, elle a entraîné la déflagration d’une partie de cette taxinomie politique, ne laissant derrière elle que des termes dénués d’adaptation aux cadres actuels. Ils n’ont plus aucune valeur heuristique, et en condamnant allègrement son adversaire au rang de «l’extrême droite», on oublie qu’il existe encore une portion résiduelle d’individus réellement racistes, antisémites, et enclines à l’usage de moyens violents pour parvenir à la réalisation de leurs desseins. Mais l’antisémitisme n’est arithmétiquement plus l’apanage de l’extrême droite ; le racisme n’a jamais été aussi décontracté depuis qu’il s’est affranchi des frontières politiques pour passer dans l’indigénisme, et le recours à la violence et la privation des libertés qui permettaient de caractériser le fascisme hier, permet aujourd’hui de reconnaître l’extrême gauche qui bloque et saccage les lieux de savoir. A Sciences Po Paris, c’est même la bravoure d’une association «d’extrême droite» qui a pu rétablir l’ordre républicain, et libérer un site que des saltimbanques salissaient de leurs utopies.

À Paris en 2022, durant l’entre-deux tours, la résistance s’organise © Thomas COEX / AFP

La signification des termes rétablie, quel gazouilleur peut prétendre sans facétie que l’extrême droite avait des représentants dans cette élection présidentielle ?

Les vrais anti-républicains

Ceux qui proposent d’instaurer une dose de démocratie dans notre régime représentatif actuel, soit en instaurant une dose de proportionnelle aux élections législatives ou bien dans la consécration constitutionnelle d’un référendum d’initiative citoyenne, ceux qui ne rougissent pas de faire briller les symboles français et républicains, sont ceux sur qui un camp déclinant vide le seau de la tourbe dé-républicanisante. Aussi, le sens des mots rétabli, le spectacle de l’inversion des rôles paraît bien affriolant. On repense alors au candidat du parti communiste qui hésite sur le point de savoir si Staline est un camarade ou non. Un tel candidat déchu n’oserait pas, sans heurter la pudeur, appeler à un front républicain ? Une candidate qui scande mécaniquement un slogan antifasciste contre le Rassemblement national et la Reconquête, identifiant dès lors ses adversaires – pourtant parrainés et aux candidatures validées par une institution de la République qu’est le Conseil constitutionnel -, à des fascistes, oserait-elle évoquer un front républicain ? Un candidat s’identifiant lui-même à la République et dont la caste empêche les forces de l’ordre d’effectuer une perquisition légalement ordonnée et régulièrement effectuée, aurait-il la hardiesse d’appeler à un barrage contre la haine ? Un candidat traitant un adversaire de «juif de service» aurait-il l’indécence d’appeler de ses vœux à un front républicain ? Les diabolisants d’antan, au fond, n’étaient que les continuateurs de Saint-Just, lequel soutenait que «la volonté générale n’est pas la volonté de tous, mais la volonté des purs». Ce même Saint-Just qui avec tous ses homologues illuminés a précisément inventé, avant Lénine et Staline, le procédé rhétorique par l’effet duquel l’adversaire est transformé en «ennemi de la liberté» ou en fasciste, dont les idées comptent aussi peu que la parole. Dès lors le cadre éristique qui s’impose, celui d’une criminalisation de la pensée fondée sur un discours eschatologique, n’est plus celui de la dialectique, mais la lutte entre la légalité et l’illégalité, les bons contre les méchants.

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Ainsi sous le règne commençant d’un jour nouveau les épouvantails chancellent, et trébuchent devant la force du vent soufflé par l’élan libérateur que la France caresse. Le théâtre antifasciste compte dans sa troupe quelques irréductibles qui poursuivent les galipettes fascisantes, les acrobaties morales, mais les machines et les rouages subissent l’usure du temps. Le plancher craquelle, la corbeille se vide, les citoyens se lassent. Acta est fabula.  Ainsi s’achèvent quarante années durant lesquelles les termes de «nation», de «patrie», «d’amour de la France» ont été jugés nauséabonds, quarante années au terme desquelles il paraît suspect d’exhiber un drapeau de la France – celui de la République – ou d’entonner la Marseillaise –  celle de la République –  en somme, quarante années pendant lesquelles le débat intellectuel a été recroquevillé dans l’étroitesse de la plus vétuste des geôles bâties par le mensonge anti-républicain, et gardées par les argousins de la bonne pensée.

De grâce, jamais les étalagistes du progressisme et les diseurs d’anathèmes n’ont paru si funéraires, et jamais l’idée vraiment républicaine de passion nationale n’a semblé si neuve.

[Vos années Causeur] Vive la presse et surtout, surtout, vive Causeur

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À l’occasion de notre numéro 100, Georges Dumas vous parle de ses années Causeur…


J’aurais beaucoup aimé pouvoir me vanter d’avoir suivi l’aventure de Causeur dès le premier numéro, mais ce serait un mensonge.

Néanmoins, après neuf années de lecture continue, je considère que j’appartiens à la vieille garde. C’est la couverture du sixième numéro qui m’a littéralement arrêté tandis que je marchais dans les couloirs du métro République à Paris. Un souvenir indélébile. On y voyait un drapeau bleu blanc rouge inachevé en laine, avec deux aiguilles à tricoter de chaque côté, et pour titre : « La France à la carte ». Comment un magazine osait-il une telle couverture?

Piqué par une curiosité que je n’avais pas ressentie depuis longtemps, je suis entré dans le Relay et me suis approché pour ouvrir ce mensuel dont je n’avais jamais entendu parler et voir si le contenu paraissait à la hauteur de sa couverture accrocheuse, ou s’il s’agissait juste d’une infographie provocatrice comme les newsmagazines en font de temps en temps pour attirer l’attention.

Deuxième surprise : rien ne semblait à jeter de toutes les pages intérieures, et en plus il n’y avait pas de publicité ! J’ai donc tout naturellement acheté ce premier numéro, mettant sans le savoir le doigt dans un engrenage infernal puisque, outre que je n’en ai manqué aucun depuis, je me suis laissé prendre dans les rets du groupuscule de presse de Gil Mihaely en m’abonnant plus tard à Conflits et à Transitions & Énergies

A ne pas manquer, notre numéro 100 est disponible à la vente

Si je me souviens si bien de ce numéro 6 de Causeur, c’est aussi parce que je l’ai lu sur mon stand d’un salon artistique au Pavillon Baltard de Nogent-sur-Marne et que j’ai vu les regards torves de certains de mes confrères artistes lorsqu’ils me rendaient visite (le public était peu nombreux et laissait le temps de faire autre chose…). J’ai senti qu’être photographe plasticien et ne « pas être d’accord » ne faisaient pas très bon ménage au sein d’une communauté ancrée à gauche de manière quasi monolithique.

Ce qui ne m’a pas empêché, quelques années plus tard, d’aller rendre visite à Pierre Lamalattie accompagné du directeur de ce salon : tous deux se connaissaient de longue date et, lorsque j’avais dit à quel point je me régalais des articles de ce collaborateur régulier de Causeur, un rendez-vous fut pris pour le rencontrer et essayer de le faire écrire sur le mouvement photographique que nous avions lancé quelques mois auparavant.

Depuis octobre 2013, je suis donc un lecteur fidèle de Causeur, sur papier et en ligne, et je me réjouis que cet espace de liberté existe dans un paysage médiatique étouffant de conformisme. Je lis le magazine de la première à la dernière page sans jamais rien sauter, même les éditos politiques de Jérôme Leroy qui me donnent de la tachycardie. En précisant que Causeur sans lui ne serait pas Causeur et que j’espère le lire encore longtemps car, outre la ligne « politique » de ma publication préférée, c’est sa section culturelle (dont il est responsable) qui me la rend aussi chère qu’indispensable.

Appel à voter Macron: tous les artistes ont signé. Même Luchini? Même Luchini

Ils sont venus, ils sont tous là… Tous ? Oui: tous.


Ils sont, disent-ils, « conscients de [leur] devoir citoyen ». Qui sont-ils, ces « ils » qui ne se distinguent plus individuellement ? Les artistes, bien sûr. Les vrais, les faux, les intermittents, les fils de, les filles de, les rebelles, les belles âmes, les torturés, les célèbres, les maudits, les reconnus, les professionnels de la profession, tous réunis en troupeau et signant d’une même papatte la tribune appelant à voter Macron pour « faire barrage » à Marine le Pen.

Un troupeau bêlant qui vit grâce à nos subsides

Ces artistes sont délicieusement ridicules : alors qu’ils participent régulièrement à l’opération mondiale d’abrutissement médiatique, ils se prennent pour « le monde de la culture ». Ils confondent bien entendu le monde de la culture qui était élitiste et l’empire du culturel qui est destiné à hébéter la masse. Globalement, les œuvres d’art ont été remplacées par des produits culturels à consommer avant la date de péremption, souvent rapide. On vend ces produits dans des émissions culturelles où l’écrivain, le comédien et les critiques parlent la même langue de commerçant. La Grande Librairie télévisuelle et les petites librairies de quartier sont ainsi pleines des mêmes livres écrits et calibrés pour être retenus par le jury d’un des mille cinq cents prix littéraires que compte notre pays.

Luchini a rejoint le comité des ménestrels vigilants, des saltimbanques citoyens, des troubadours républicains et des baladins délateurs dont il se moquait hier…

Et le monde de la « culture musicale » ? La musique la plus écoutée aujourd’hui est un bruit appelé rap – le « Pass Culture » gouvernemental a surtout permis aux 15-18 ans d’enrichir les dynamiteurs de tympans et de neurones que sont Booba & Co. No comment. Quant au cinéma, le CNC fait tout ce qu’il peut pour que nulle originalité ne jaillisse sur le grand écran en privilégiant les scénarios bâclés portant sur des sujets sociétaux, sur la banlieue et ses « quartiers sensibles », sur le racisme, ou ceux tirés des œuvres lénifiantes de David Foenkinos (qui a signé la tribune) ou d’Annie Ernaux (qui n’a pas signé cette tribune – Ernaux préfère les pétitions policières avec résultats tangibles et définitifs, renvoi et mort sociale d’un véritable écrivain, par exemple).

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Près de cinq cents « artistes » – humanistes du théâtre, altruistes du cinéma, tolérants de la littérature, philanthropes de la musique – ont donc signé cette fameuse tribune. « Demain, nous n’osons imaginer ce que deviendrait la culture au sein de notre pays si c’était elle que le suffrage désignait », écrit le troupeau bêlant dont la moitié au moins vit grâce aux subsides de l’État. Leur modèle reste l’idolâtre des musiques décérébrantes, l’inventeur de la sinistre Fête de la Musique, Jack Lang. Cet effrayant Pécuchet des Arts et des Lettres souhaitait créer en 1988 un Ministère de… la Beauté et de l’Intelligence – François Mitterand fit capoter ce projet et empêcha que le gros melon de Jack Bouvard ridiculisât à jamais la France. Depuis, toutefois, nombre d’artistes français croient œuvrer pour l’une (la beauté) et/ou l’autre (l’intelligence), alors que ce qui caractérise le plus souvent les travaux de ces créateurs subversifs subventionnés, c’est le conformisme bien-pensant et la rébellion aux ordres. « Nous n’osons imaginer ce que deviendrait la culture », gémissent ces gentils animateurs du parc culturel en se gargarisant d’un mot qu’ils ne comprennent pas et qu’ils mettent à toutes les sauces.

Pas franchement une tribune surprise, mais…

On lit les noms des signataires. C’est sans surprise. Ils se réclament presque tous de la gauche. Parmi eux se trouvent d’excellents comédiens et musiciens qui ne se contentent malheureusement pas de se distinguer dans leur domaine – ils donnent en plus aux Français des leçons de morale en clapissant avec leurs collègues les moins doués. Ils n’évitent bien sûr ni les outrances langagières ni les sujets à la mode, signes de reconnaissance des vrais progressistes – le racisme, le détestable repli sur soi, le redoutable populisme, l’urgence climatique, etc. Ils écrivent : « Nous ne pouvons imaginer que la France, pays des lumières et de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, porte au pouvoir une présidente dont les amitiés revendiquées avec les pires dictateurs en exercice seraient notre honte et notre déshonneur. » Raison pour laquelle certains d’entre eux ont voté Jean-Luc Mélenchon, l’admirateur des régimes cubains et vénézuéliens réputés pour la liberté généreuse qu’ils octroient aux opposants politiques et aux artistes non officiels de leur pays respectif.

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On relit la liste des signataires. Pas de surprise, vraiment ? Si, une, qui est aussi une déception. Fabrice Luchini n’a pas su échapper à l’élan moutonnier. L’admirateur de Céline et de La Fontaine, le lecteur de Philippe Muray a sauté la clôture et quitté son enclos solitaire pour rejoindre les Mutins de Panurge. Le trublion retourne dans le magma de la culture officielle ; il rentre dans le rang. Celui qui avait compris en lisant Muray que « derrière l’Empire du Bien, un désir d’ordre apparaît », bêle aujourd’hui les mêmes formules débilitantes que ses congénères – celles-là mêmes qu’il aurait pu lire sur scène pour, à la façon de Muray, en montrer tout le comique involontaire. J’imagine Luchini sur la scène du Théâtre de l’Atelier ; il lit lentement, pour la briser de son rire contenu, la phrase suivante, tirée de cette tribune : « Rien dans le programme de Marine Le Pen ne nous rapproche de l’histoire de la France résistante, humaniste, généreuse et ouverte sur le monde. Rien ne relie Marine Le Pen à la France de Villon, de Beaumarchais, de Voltaire, de Hugo ou de Camus. » Suit une longue tirade sur la morale programmée de la Vertu et de la Culture, sur ces résistants côté cour et ces humanistes côté jardin qui aiment tant les Français qu’ils veulent les sauver en les laissant patauger sur la nouvelle scène du théâtre du monde ouvert, multiculturaliste, fluide et inclusif.

Malheureusement, cette mise en scène drolatique n’aura pas lieu. Luchini a rejoint le comité des ménestrels vigilants, des saltimbanques citoyens, des troubadours républicains et des baladins délateurs dont il se moquait hier. Ironie du sort, le voilà enrôlé aux côtés des artistes officiels de l’Empire du Bien, des adeptes de la pensée conformiste et des partisans du moindre effort intellectuel que dénonçait justement Muray.

[Vos années Causeur] Malheureusement pour certains, « Causeur » restera « Causeur »

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Comme vous le savez chers lecteurs, Causeur est attaché au pluralisme et à la liberté d’expression. C’est la raison pour laquelle nous publions le témoignage d’un adversaire politique. À l’occasion de notre numéro 100, il vous parle de ses années Causeur…


Je viens régulièrement sur le site internet de Causeur afin de savoir ce que « pense » l’extrême droite populiste.

Je suis à chaque fois sidéré de votre méconnaissance totale des dossiers, de vos raccourcis éhontés et de vos simplifications manipulatrices.

A lire aussi : « Populiste ! » — l’injure à laquelle le capitaine Haddock n’avait pas pensé

La récente interview de Michel Onfray en est encore un bon exemple. Ce philosophe (on peut légitimement en douter à l’entendre et à le lire) y aligne les poncifs de comptoirs, et Elisabeth Lévy peine à retenir ses cris de joie en lui servant la soupe.

Bref, Causeur est vraiment un club de réactionnaires imbus de leurs pauvres petites personnes, et on ne peut qu’espérer qu’il disparaisse bien vite du paysage médiatique.

Que ce soit sur le nucléaire, sur le réchauffement climatique, sur les questions de politique internationale ou nationale, votre bêtise est tout simplement sidérante…


>>> Sinon, notre numéro 100 vous attend chez le marchand de journaux.

Cauchemar en cuisine

Chef, le nouveau roman de Gautier Battistella, nous plonge dans l’univers de la haute gastronomie. Loin des paillettes et de la starification, la course aux étoiles est un parcours du combattant qui ne fait pas de quartier. Un ouvrage couronné du Prix Cazes de la brasserie Lipp !


Il y a du Gargantua chez Battistella. Avec un appétit non feint, il croque viandes et poissons, embrasse paysages de montagne et plaines campagnardes, observe la sensualité des corps au naturel et décortique – avec la justesse propre aux grands écrivains – les difficiles rapports humains. Gautier Battistella aime le terroir et les hommes qui y vivent, des âmes rudes et palpitantes, dures à la tâche par abnégation, résignation et vocation. Il avait déjà brillamment prouvé cet attachement dans ses précédents ouvrages : Un jeune homme prometteur (2014) et Ce que l’homme a cru voir (2018). Avec Chef, il remet le couvert. On retrouve son regard serein posé sur les beautés de la nature, ses couleurs et ses odeurs : on sent la roche des alpages et l’argile des champs, mais surtout le fumet des marmites. Chef est une histoire de cuisine, un hommage à ceux qui se brûlent dans la course aux étoiles, aux traditions qui se perpétuent autour des fourneaux et à celles qui se perdent.

La gloire et les emmerdes

Gautier Battistella n’a pas eu à mener une enquête de longue haleine pour documenter ce récit qui nous plonge dans l’univers secret des grands restaurants : il a lui-même été enquêteur pour le Guide Michelin durant des années. Les chefs, il les connaît, leurs manières de travailler aussi, tout comme leurs « plats signatures » et leur façon de gérer leurs brigades, leur stress et l’exigence qui les ronge. Ce monde de l’excellence, désormais rythmé par le temps médiatique, celui de la presse et des réseaux sociaux, fait des victimes. La haute gastronomie est un art qui nourrit et qui tue. D’ailleurs, Chef commence par un suicide.

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Les Promesses, de Paul Renoir, niché sur les hauteurs du lac d’Annecy, a été couronné meilleur restaurant du monde. Le chef multi-étoilé aime sa belle et jeune femme Natalia et achève le tournage du documentaire hagiographique que lui consacre Netflix. Mais le matin au réveil, il se tire un coup de chevrotine avec son fusil de chasse. On pense à Benoît Violier (mort dans les mêmes conditions en 2016) et à Bernard Loiseau (idem en 2003). L’histoire de Paul Renoir nous est racontée par lui-même, à travers les séquences des rushs du documentaire dans lesquelles il relate sa jeunesse à la ferme familiale, dans le Gers, le restaurant de sa grand-mère Yvonne – double de la Mère Brazier –, ses années de formation chez Paul Bocuse à Collonges, son arrivée à Paris et les cuisines de Maxim’s… jusqu’à son premier établissement qui lui ouvre les portes de la gloire et des emmerdes. Battistella tisse avec brio le vrai et le faux pour donner vie à ses personnages, rendant palpables les coulisses de ce curieux théâtre qu’est le restaurant : les cuisines, la salle vide entre les services, les vestiaires et les rapports de force. « Le monde de la cuisine demeure l’illustration moderne la plus évocatrice du darwinisme social : ceux qui réussissent ne sont pas les plus bosseurs ni les plus talentueux, mais ceux qui sont parvenus à survivre. La haute gastronomie est une arène, les chefs, des gladiateurs, et leur morituri te salutant pourrait se traduire ainsi : si tu n’es pas prêt à risquer ta peau, devient pizzaiolo. » Les pages de la vie du mort racontée par lui-même alternent avec les scènes de la vie du restaurant où, depuis le coup de fusil fatal, le sursaut succède à l’abattement, tandis que la convoitise et les rivalités sont plus fortes que les bons sentiments. Tous les coups sont permis pour faire dérailler le concurrent et obtenir le saint Graal : l’entrée dans le Guide. Cet objectif atteint marque aussi le début de la fin pour ces chefs tenus à la réussite. Avoir une étoile induit l’obligation de se hisser à la deuxième et, auréolés de la troisième, ils se doivent de la conserver à vie – quitte à en mourir. Dans cette course d’obstacles sur piste minée, un journaliste complexé, un bloggeur malveillant ou une influenceuse invertébrée peuvent, en un article ou une vidéo, ruiner une vie de travail.

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La France des marmites

Se jouant avec délectation des vraisemblances, Battistella nous fait croiser Bernard Pacaud et Pierre Gagnaire, Alain Ducasse et Yoann Conte, Jean Sulpice et Éric Frechon… Les critiques gastronomiques et les gens du Guide ont une identité tronquée. Forts du pouvoir que leur confère leur fonction, ces faiseurs de rois sont des personnages de roman ; quant aux chefs, ils sont par nature hors normes. Ces hommes tout ce qu’il y a de plus ordinaires (au bon sens du terme), amateurs de pizzas et de sodas, de matchs de foot et de beuveries viriles se doublent de créateurs à la sensibilité exacerbée. Battistella se fait ciseleur pour décrire avec précision leur manière d’imaginer le déroulé d’un menu, l’élaboration d’un plat. Yumi, la jeune cheffe pâtissière des Promesses, crée un dessert en souvenir de son voyage en Grèce avec Paul Renoir. Son « Souvenir de Kalamata » est « un biscuit aux amandes monté à l’huile d’olive assorti d’une mayonnaise yuzu et surmonté d’un sorbet au fromage frais. Le tout nappé d’un filet de miel d’oranger et de zestes de bergamote ». Ripailleur, Battistella raconte avec la même gourmandise un repas de gibier, un pâté Richelieu ou le festin annuel du cochon à la ferme, à l’issue duquel chacun repart avec son jambonneau, ses crépinettes, sa galantine ou ses rillettes.

Ici comme ailleurs, un monde a disparu ou est en passe de l’être. Les banques et les investisseurs, les marques et la labellisation, les cinq fruits et légumes par jour et la surmédiatisation ont eu la peau d’un univers où le bien manger était synonyme de bonne chère et de rasades d’eau-de-vie pour sceller l’amitié – même entre chefs. Gautier Battistella ressuscite le souffle de la France des marmites, des Trente Glorieuses à nos jours, loin, très loin de la « littérature sans estomac » dénoncée par Pierre Jourde.

Gautier Battistella, Chef, Grasset, 2022.

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Débat télévisé: espérons une dispute civilisée!

Les deux candidats à l’élection présidentielle se retrouvent, ce soir, cinq ans après leur premier débat. L’émission convaincra-t-elle certains électeurs indécis ? Que faut-il en attendre ?


Première question: combien serons-nous ce soir ? La désaffection pour la politique, cette tarte à la crème du commentaire politique, se verra-t-elle dans les audiences ? Comme le vote, regarder le débat est une expression de l’appartenance collective. L’idée que, par-delà nos divergences et différences, nous nous intéressons suffisamment à notre destin collectif pour passer devant notre télé ou notre radio deux heures qui seront possiblement ennuyeuses. 
Bien sûr, on attend un spectacle, un affrontement, et des formules choc même si le plaisir qu’elles suscitent est un peu amoindri par le fait qu’elles auront été ciselées par les communicants. 

À lire aussi, Elisabeth Lévy: À la déloyale

Mais en même temps, on espère une dispute civilisée. Une preuve qu’il y a au minimum entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen un accord sur le désaccord. Si on excepte le duel Mélenchon/Zemmour et le consternant Pécresse/Zemmour, ce débat sera la première confrontation entre candidats de notre drôle de campagne présidentielle. De ce point de vue, la balle est dans le camp de Macron. Espérons qu’il nous épargnera les arguments consternants que ses soutiens ont martelés depuis dix jours sur le fascisme qui nous menace. Et qu’il n’affichera pas le mépris du surdiplômé pour les moins titrés qui caractérise souvent son camp…

Quel est l’enjeu de ce rituel ? 

Difficile de dire s’il y a vraiment un enjeu. Tous les spécialistes affirment péremptoirement qu’on n’a jamais vu un débat changer un vote. Pourtant, toujours à entendre ces mêmes commentateurs, selon des sondages, 15% des électeurs disent que leur opinion n’est pas faite et qu’elle pourrait donc évoluer ce soir.
En matière de Justice, on dit que l’oralité et la publicité des débats sont les conditions de la manifestation de la vérité. Alors peut-être que l’utilité de ce débat est de faire émerger une vérité. Pas seulement celle des personnalités – ce qu’on nous serine sans arrêt – et encore moins celle des programmes, catalogues de promesses qui n’engagent que ceux qui y croient.

À lire ensuite: Appel à voter Macron: tous les artistes ont signé. Même Luchini? Même Luchini

Contrairement à la plupart des journalistes, nous ne nous attendons pas à ce que les deux candidats nous parlent de la vie concrète. Tout le monde a une « vie concrète » différente, et on ne peut pas parler de tout en deux heures trente. Ce que nous attendons, c’est la vérité de deux visions de la France car, dans le fond, la grande différence entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen est culturelle. Ce qui nous intéresse, c’est leur colonne vertébrale idéologique, leur rapport à la France, au passé, aux frontières, à l’identité. Les grandes questions.
Notre directrice de la rédaction, Elisabeth Lévy, ajoute un dernier critère essentiel pour que le débat de ce soir soit réussi : « j’ai très envie de voir la volonté de chacun de s’adresser aux électeurs de l’autre, de parler à tous les Français plutôt que de rester dans son couloir. » Bref, ce qu’on voudrait tous avant toute chose, c’est voir deux personnes qui ont au moins en commun leur souci du bien commun !


Cette chronique a initialement été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez la chronique d’Elisabeth Lévy chaque matin à 8h10 dans la matinale

À la déloyale

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Ce soir, Marine Le Pen et le président sortant se retrouvent pour le grand débat télévisé de l’entre-deux tours. Après une nouvelle quinzaine anti-Le Pen, Emmanuel Macron pourrait bien être réélu dimanche. Durant la campagne, il aura fait la danse des sept voiles devant la gauche et les islamo-gauchistes, et pas prononcé un mot pour rassurer la « France périphérique » qu’il aimerait bien ne plus voir.


Il y a des raisons parfaitement légitimes de s’opposer à l’élection de Marine Le Pen – par exemple, son idée d’un rapprochement OTAN/Russie qui arrive quinze ans trop tard ou beaucoup trop tôt (même si elle n’a pas parlé d’un rapprochement OTAN/Poutine). Il y a aussi des méthodes honorables pour la combattre – discuter son programme, pointer ses contradictions, interroger ses évolutions. L’ennui, c’est que cet entre-deux tours ne nous offre ni les unes ni les autres mais une campagne de démonologie parsemée de mensonges, d’âneries et de procès d’intention. La nouvelle quinzaine anti-Le Pen, pour reprendre la formule de Muray en 2002, montre que nos faiseurs d’opinion n’ont décidément rien compris, parce qu’ils ne veulent rien comprendre. Il est vrai que s’ils faisaient preuve de lucidité, cela ébranlerait le joli théâtre antifasciste dans lequel ils se complaisent. Tant qu’il y a des méchants à dénoncer, ils sont le bon camp. Psalmodier qu’ils défendent la République les dispense de se demander comment, depuis des années, ils l’ont laissée décliner pour s’adonner au multiculti teinté de wokisme qui leur sert de pensée spontanée. Au nom de la tolérance bien sûr. 

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Impossible de citer les dizaines d’éditoriaux qui, pour aboutir au même résultat, brandissent des menaces définitives qui ne sont jamais étayées. Avec Le Pen à l’Elysée, c’en serait fini de l’Etat de droit et de la démocratie, de la culture, de l’Union européenne (dont elle planifierait secrètement de sortir). Sans compter qu’on sera tous changés en grenouilles, mais ça, bien sûr, personne ne veut le dire.

Alice Coffin et ses amis en danger de mort

Tout ce que la France compte de beaux esprits rivalise pour trouver l’argument le plus absurde et le plus infamant. Après les sportifs, les 500 intermittents les mieux payés de France, expression malicieuse et judicieuse d’Aaron Fonvieille-Buchwald, directeur numérique de Marianne, qui n’osent pas imaginer ce que la culture deviendrait si elle accédait au pouvoir. BHL, oubliant sa propre opposition à la folie sanitaire, brocarde les ignares antivax qui l’entourent, d’autres dénoncent, avec Macron, le Frexit caché. Il paraît même que le score cumulé de Le Pen et Zemmour, qui ont séduit 40% des catholiques, est un échec pour le christianisme. Faudra le dire au président Jésus, comme l’appelle affectueusement Basile de Koch. 

Chantre du respect et de la bienveillance, Emmanuel Macron fait le finaud en ne la désignant jamais par son nom (des fois que ça lui salirait la bouche) mais comme « la candidate d’extrême droite ». Gabriel Attal, lui, sonde le cœur noir de la peste blonde. Il affirme que, pour elle, les crimes russes en Ukraine sont un point de détail de l’histoire, façon de la renvoyer au père qu’elle a pourtant viré de son parti. Enfin, on décernera une mention spéciale ex-aequo à Gérald Darmanin qui a estimé qu’une victoire de Le Pen entraînerait la mort des pauvres, et à l’inénarrable Alice Coffin pour qui elle signifierait « très concrètement la mise à mort des militantes féministes. Au sens littéral ». Si j’osais blaguer j’aurais répondu « ne nous tentez pas », mais je ne suis pas sûre qu’elle pratique le second degré. Bien entendu, je ne souhaite aucun mal à Coffin et ses copines. 

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On me dira que cet antifascisme d’opérette ne marche plus et que les électeurs sont assez grands pour se faire leur idée… Pas sûr. Il est difficile de résister à cette pression morale. Qui voudrait donner sa voix à une personne dont ses copains répètent en boucle qu’en plus d’être homophobe, elle est raciste et antisémite ? Cela reviendrait à voter pour le retour des heures les plus sombres.  

Les électeurs méprisés

Evidemment, on peut choisir de rigoler car toute cette agitation est d’autant plus ridicule que les agitateurs n’y croient pas vraiment. Reste que le sort fait à Marine Le Pen témoigne d’une grande indifférence ou d’un profond mépris (de classe) pour ses électeurs. La France élitaire donne des leçons de maintien à la France populaire mais ne lui parle pas. Significativement, Macron a fait la danse des sept voiles devant les mélenchonistes, les écologistes et les islamo-gauchistes. Mais il n’a pas daigné s’adresser aux « égarés » qui ont voté Le Pen au premier tour. Pas un mot pour rassurer la France qui roule au diesel et fume des clopes – placé sous le signe de la planification écologique, le prochain quinquennat (si les résultats sont conformes aux sondages) risque bien d’être sa fête, à cette France qu’on aimerait bien ne plus voir. Pas un mot sur les questions régaliennes et sécuritaires qui l’inquiètent, rien sur l’islamisme sinon des mamours à une femme voilée-et-féministe.

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Christophe Guilluy l’avait bien compris : nos élites veulent bien subventionner la France périphérique à condition de ne plus la voir. Il ne s’agit pas de gouverner contre elle mais de vivre sans elle. Autant dire que le festival de sottises auquel on a assisté est de fort mauvais augure pour Macron II. S’il est élu, il l’aura été en surfant sur ce maccarthysme progressiste. C’est-à-dire à la déloyale. Et cela la France oubliée ne l’oubliera pas. 

[Nos années Causeur] Penser contre soi-même

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À l’occasion de notre numéro 100, Eugénie Bastié se souvient de son stage à Causeur


En farfouillant dans mes courriels, j’ai fini par retrouver ma demande stage adressée à Gil Mihaely le 5 avril 2013 alors que j’étais encore une jeune étudiante de Sciences Po de 21 ans :« Cher monsieur Mihaely, J’ai lu avec attention le nouveau numéro de Causeur, bravo , c’est vraiment très réussi. J’ai particulièrement apprécié l’éditorial d’Élisabeth Lévy qui parlait de “journalisme d’idées”. C’est cette démarche en effet qui m’intéresse dans votre magazine qui est un des rares médias qui donne une place unique au débat d’idées, avec humour et profondeur. (…) J’ignore si vous avez besoin de têtes jeunes et dévouées, mais sachez que je serai très enthousiaste de pouvoir découvrir les arcanes du “journalisme d’idées” aux côtés de l’équipe de Causeur. »

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En relisant ce message j’ai eu trois réactions. L’effroi, d’abord, de songer que presque une décennie déjà m’éloignait de ces premiers pas en journalisme, que j’avais déjà grillé ma vingtaine et que le temps était donc proche où je serai la Michèle Cotta du xxie siècle. La satisfaction, ensuite, de comprendre que la voie où je m’étais engagée à ce printemps 2013, celle du journalisme d’idées, était la bonne puisqu’elle est celle qui m’épanouit encore aujourd’hui. La reconnaissance, enfin, pour Gil et Élisabeth, qui ont su faire confiance à la jeune Rubemprette en minishort et mocassins pleine d’ambitions et de certitudes que j’étais.

À l’époque (et je me rends compte en grinçant que j’atteins l’âge où l’on peut utiliser cette locution de boomer), il faut se rendre compte quel bol d’air apportait Causeur à des gens de ma génération qui avions connu le politiquement correct à la mamelle. Fraîchement débarquée de ma province où l’on était de droite par habitude familiale à Sciences Po où la moitié de ma classe votait Mélenchon et Poutou (ils étaient déjà là), je rasais les murs en m’admettant après trois verres de rhum-coca « gaulliste sociale », ce qui pouvait à la limite être toléré en état d’ébriété.

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Il était presque impossible, après le quinquennat qui avait failli nous replonger dans la France de Vichy, d’admettre un vote Sarkozy. C’est à ce moment que j’ai découvert Causeur (je ne sais plus exactement comment, par Facebook peut-être), et les noms d’Élisabeth Lévy, Alain Finkielkraut et Philippe Muray. Je me souviens avoir acheté l’intégralité de son œuvre après lecture d’un numéro qui lui était dédié. Cette floraison d’intelligence, de largesse d’esprit, d’humour et de distance, au milieu de la morosité moraliste qui m’entourait, a été comme une révélation. Dix ans ont passé, et aujourd’hui le paysage médiatique n’est plus le même. Causeur n’est plus seul à ferrailler contre les bien-pensants. Il fut le premier, et continue à se battre avec un panache, une audace particulière et subtile contre les vertus fausses et les puritanismes tondus de tout bord. Quant à moi, j’emporte comme un viatique dans ma carrière la leçon apprise rue du Faubourg-Poissonnière, celle de toujours penser contre son temps, mais encore plus contre soi-même.

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Chasse à la femme

Le débat de ce soir devrait permettre enfin de nous sortir de cette démocratie française « étouffée », la confrontation des projets se fera finalement à armes égales.


Marine Le Pen a été traitée par des minorités violentes, aux antipodes de la démocratie, comme si elle avait volé sa qualification au soir du premier tour et qu’elle était donc illégitime à participer à la campagne pour l’élection du 24 avril ! Emmanuel Macron sera réélu, j’en fais le pari, et il ne me viendra pas à l’esprit de contester sa légitimité, quelle qu’ait été ma décision finale. En revanche, depuis le 10 avril, je ne peux me défaire du sentiment qu’on n’a pas assisté à une compétition républicaine qui sauvegarderait au moins en principe l’égalité politique et médiatique entre les deux candidats mais à une véritable « chasse à la femme », résumée par le contraste entre le populisme qu’elle incarnerait et la démocratie dont Emmanuel Macron serait le dépositaire.

Le vote populaire méprisé

En effet, qu’on fasse le compte et on aura du mal à relever, tant elles ont été nombreuses, variées et péremptoires, les injonctions à faire barrage au RN – responsables européens, politiques de droite comme de gauche, médias prescripteurs et obsessionnels dans le même sens, groupes, associations, syndicats (y compris le Syndicat de la magistrature), avocats, sociologues, artistes, sportifs, animateurs, personnalités réellement ou prétendument influentes (dont l’inénarrable Mourad Boudjellal inventant un racisme génétique chez tous les électeurs du RN !), manifestants, une justice sans excès en France mais opportunément déchaînée en Europe, une multitude composite donnant des leçons de République au moment même où au lieu d’attendre sereinement le résultat du 20 avril, on déséquilibre la joute présidentielle en mettant sur un plateau, au détriment de l’autre avec des soutiens exsangues, une charge exclusive d’hostilité et même de haine. Tout est pardonné à Emmanuel Macron, rien à Marine Le Pen. Les élites viennent au secours du premier et le peuple est méprisé au travers de la seconde.

La victoire comblera Emmanuel Macron qui est, répète-t-on, le plus décent. J’ai toujours été incompris dans ma volonté de distinguer mes choix partisans ou éventuellement mon indécision délibérée des modalités mêmes de la démocratie. Ce n’est pas parce qu’on s’affirme hostile à la cause de Marine Le Pen qu’on doit tolérer toutes ces transgressions par rapport à l’équité civique. On n’est plus dans la liberté de damer le pion, sur un plan politique, à un adversaire qu’on désapprouve mais dans une sorte de partialité omniprésente se constituant tel un immense instrument de pression pour empêcher l’électeur de base d’arbitrer en faveur de ce que paresseusement, absurdement sur le registre historique, on qualifie d’extrême droite, de fascisme ou de dictature à venir. Comme si, faute d’avoir été interdit officiellement, il convenait que le Rassemblement national le fût systématiquement dans la quotidienneté politique et médiatique.

La danse du ventre d’Emmanuel Macron

Pourtant, pour une communauté nationale qui se serait imposée le devoir d’une intelligence mesurée et lucide, il y aurait eu de quoi maintenir, au moins dans la manière de faire campagne pour l’un comme pour l’autre, une balance égale entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Chez cette dernière, confusion, approximations et revirements reliés au pouls de l’opinion. Avec l’envie de réviser certaines positions (voile dans l’espace public, éoliennes notamment) parce que leur caractère impraticable et coûteux est dénoncé.

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Du côté d’Emmanuel Macron, un processus qui avait commencé, à la fin du mandat, avec des opérations désespérées de rattrapage sur le régalien, la police et la justice pour s’enfler, entre les deux tours, en une spoliation cynique et si peu fiable par rapport au bilan, du projet désavoué de peu de Jean-Luc Mélenchon, en particulier pour la planification écologique. Le candidat devient vert, le référendum ne lui fait plus peur, et après avoir copié sur Valérie Pécresse, il a un peu pillé Marine Le Pen avant de n’éprouver aucune honte à faire la danse du ventre devant Jean-Luc Mélenchon.

La majorité des électeurs de Mélenchon n’a pas été dupe puisqu’elle s’oriente vers le vote blanc ou l’abstention. Pour LFI – principe de précaution idéologique ! – on n’avait pas le droit de s’égarer vers Marine Le Pen !

Pas de progrès républicain

On ne peut pas soutenir, déjà en l’état, que la démocratie française a bien fonctionné. Imparfaite, hémiplégique, plus désireuse d’ostraciser que d’intégrer, comme si la division en trois camps politiques de notre pays impliquait nécessairement qu’on portât atteinte à la dignité de TOUS nos compatriotes, si elle a été un zeste moins médiocre qu’en 2017, cela a été dû à un affaiblissement quantitatif du barrage contre Marine Le Pen plus qu’à un réel progrès républicain.

Pourtant, malgré la certitude que j’ai exprimée plus haut, j’attends avec une impatience infinie le débat du 20 avril. D’abord parce qu’il pourra influer favorablement sur tous ceux qui n’auront pas encore tranché en les déterminant pour ce qui leur semblera le meilleur pour notre pays.

Mais surtout parce que cette confrontation sera enfin à armes égales, visage contre visage, personnalité contre personnalité, bilan contre analyse critique, programme contre programme.

Oui, c’en sera terminé avec tous ces défenseurs paradoxaux et pervers de la démocratie : ils s’en servent, contre l’ennemie exclusive, en l’étouffant.

Adidas: tout le macronisme en une image?

Sur les Champs-Elysées, la marque de vêtements de sport Adidas promeut l’inclusion, avec les photos de deux athlètes: l’une transsexuelle, l’autre islamiste! Notre chroniqueur trouve que cet affichage repoussant s’insère en réalité assez bien dans la France macronienne.


L’image est une parfaite synthèse de ce « progressisme » qui n’a rien d’un progrès.

« Convergence des intérêts marchands et communautaristes » résume très justement l’association « Unité Laïque ».

« Adidas met en vitrine un trans qui joue au volley féminin et une femme qui a obtenu pour les intégristes le droit de jouer au basket en hidjab. Où sont les femmes libres ? Invisibilisées ! Cancellisées ! » poursuit « Unité Laïque » qui s’en indigne sur le réseau social Twitter.

« Unité Laïque » a fait le choix de soutenir Emmanuel Macron, portant un regard sévère sur Marine Le Pen et son projet, et ne rejoint donc pas l’analyse exposée ici – le lecteur pourra utilement consulter son site pour connaître ses positions et ses engagements.
PPour autant, d’autres comme l’auteur de cet article estiment que le diagnostic de « convergence des intérêts marchands et communautaristes » fait à propos de la vitrine d’Adidas s’applique aussi à bien des aspects du projet macronien, incarnation politique du progressisme post-moderne dont cette vitrine est la manifestation commerciale, et même la quintessence symbolique.

Tout y est, en effet. C’est une double négation des femmes d’abord, en tant que sexe et dans leur dignité humaine. Ce militantisme trans est l’incarnation caricaturale du triomphe des caprices de la subjectivité sur le réel. On parle ainsi désormais de « personnes qui menstruent », et il est devenu « transphobe » de s’étonner que des prix de natation féminine soient raflés par quelqu’un qui a eu une puberté masculine et dispose d’un génome XY et d’un pénis. Rien n’est vrai, tout est permis.

Multiculturalisme et dangereux relativisme

Ces publicités sont ensuite la banalisation de l’islamisation. L’islamisation est normalisée. On nous présente comme une liberté l’exaltation permanente du symbole du déni de la liberté par un totalitarisme théocratique ! Mais l’UE nous enseignait déjà que « la liberté est dans le hijab », et notre candidat du front républicain en déplacement à Strasbourg le 12 avril trouve que « c’est ça qui est beau », qu’une femme soit en-même-temps féministe et voilée.

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Multiculturalisme et relativisme donc, puisque toutes les cultures ont également droit de cité, qu’importe qu’elles piétinent la dignité humaine. Communautarisme, destruction à la fois de l’universel, de l’identité nationale partagée et de la citoyenneté, archipellisation de la société découpée en segments marketing pour les vêtements comme pour les votes, où chacun ne peut se sentir représenté et concerné que par une personne issue de la micro-minorité opprimée à laquelle il s’identifie. Convergence du tout dans le creuset infernal de la pub, de l’humanité niée de ceux qui ne sont plus que consommateurs du monde, des intérêts marchands qui se drapent dans les marqueurs de « vertu » à la mode pour habiller leur absence totale du moindre sens moral. Cerise sur le gâteau : c’est Adidas, l’entreprise « sauvée » à coups de délocalisations par Bernard Tapie, dont la proximité avec Mitterrand représente à merveille les années fric et cette gauche donneuse de leçons à l’origine d’une très grande partie des problèmes d’aujourd’hui.

Les premiers de cordée s’équipent chez Adidas

Et pendant ce temps, autre incarnation du même « progressisme », dans le quasi-unanimisme d’un parti unique de fait, parade le candidat du multiculturalisme, du « hijab féministe » acclamé par les Frères Musulmans, des « premiers de cordée » – et les autres « n’ont qu’à traverser la rue » ; le candidat qui saborde l’instruction, l’hôpital, la sécurité et tout l’héritage social du Conseil National de la Résistance, pour que le peuple soit le client captif de prestataires privés reprenant le flambeau de services publics en déshérence ; le candidat qui écrase le peuple d’impôts pour financer le « tribut aux barbares » et les cadeaux clientélistes à toutes les « minorités » courtisées ; le candidat de McKinsey et de la vente d’Alstom ; le candidat qui « fait barrage », ses partisans agitant l’épouvantail d’une menace fantasmée pour faire des procès en « complaisance avec le nazisme » à quiconque ne reprend pas servilement leurs éléments de langage.

Emmanuel Macron est Calliclès, l’anti-Socrate, et la vitrine d’Adidas est l’image parfaite de ce qu’il veut faire de la France !

Le front républicain est mort! Vive la République!

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Manifestants opposés à Jean-Marie Le Pen, Paris, 2 mai 2002 © SIMON ISABELLE/SIPA

Pendant toute la campagne électorale, la droite nationale se voit accusée d’antirépublicanisme. Le directeur du Monde, Jérôme Fenoglio, a par exemple affirmé que les candidatures d’Éric Zemmour et de Marine Le Pen étaient « incompatibles avec tous nos principes, tout autant qu’elles sont contraires aux valeurs républicaines ». Un traitement de faveur curieux, que n’ont pas subi Nathalie Artaud, Philippe Poutou ou Fabien Roussel.


Le théâtre antifasciste se voulait tragique, le voici vaudevillesque, et le ridicule dont il se couvre aujourd’hui  n’a d’égal que la vilénie qui l’imbibait hier. Le chahut qu’il causait dans le public faussement conquis a laissé place au spectacle crépusculaire d’une troupe au famélique arsenal rhétorique, qui soliloque et n’effraie qu’elle-même. Son script est dépourvu de tout ce qu’il faut d’équilibré, de nuancé, d’élégant, et ces danseurs de l’effroi font usage de ce qu’il leur reste : de la poudre et des claques-doigts. Ces étiquetages rabougris et ces phrases industrielles, ces concepts fallacieux de «front républicain», de «barrage contre l’extrême droite» et autres tournures bassement sloganesques déclinent, et c’est salutaire. Cependant ces râles agonisants hantent encore certains couloirs de l’esprit, il paraît donc hautement impérieux de revenir aux fondements des concepts de «démocratie» et de «République», dont la mécompréhension est à l’origine de tant de superficielles divisions dans notre pays.

Une malheureuse confusion entre «démocratie» et «république»

La «République» présentée comme si autoporteuse de bienfaits et de salut public, n’est initialement pas un socle de principes ni de valeurs. La République, sous l’Antiquité romaine, désigne avant tout la «res publica», la «chose publique», qui concerne l’universalité des citoyens. Ainsi selon Montesquieu, «le gouvernement républicain est celui où le peuple en corps, ou seulement une partie du peuple, a la souveraine puissance».

Le gouvernement républicain est donc démocratique, ou aristocratique. Dans le premier cas, le peuple exerce directement le pouvoir, dans l’autre il délègue l’exercice de la souveraineté en élisant des représentants, c’est l’aristocratie. Le mépris contemporain pour l’idéogénie et l’oubli volontaire du sens originel des mots aidant, la commune sottise trouve un terreau fertile pour laisser se répandre les mauvaises herbes de la bévue et de la guignolerie. C’est ainsi que l’on peut sporadiquement entendre ces vocables dénués de sens comme celui de «démocratie directe», qui pèche par tautologie, ou celui de «démocratie représentative», qui  est un vilain oxymore.

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La démocratie est directe ou elle n’est pas une démocratie, c’est tout. Par cette attirance profonde qu’éprouvent certains docteurs envers la bévue et que leur immodestie fait jaillir, l’on peut lire ici ou là, pêle-mêle, que le peuple souverain n’a pas le droit de modifier la Constitution, qu’il n’est pas démocratique de le consulter par la voie référendaire, et que le recours à de tels procédés aboutirait à une «démocratie populiste».

La tromperie juchée derrière une chaire ! Voilà le spectacle que donne à voir le goût immodéré pour les figures de style qu’entretiennent certains professeurs de droit, car parler de «démocratie populiste» revient à parler de «démocratie populaire» – à moins qu’un inavouable mépris du peuple se soit posé sur la langue de ces messieurs – et cette formule est un impeccable pléonasme ! Cette assourdissante chevauchée des mensonges achève d’obscurcir l’esprit civique, en faisant croire par le maniement de mots polysémiques que l’anti-démocratie se trouve dans la volonté de redonner au peuple souverain ses prérogatives constitutionnelles. Si le terme de République désigne le salon des idées saintes, alors rien n’est plus anti-républicain que de sacrifier la langue sur l’autel de la fourberie.

La malléable sphère de respectabilité républicaine

Constitue traditionnellement un des fondements du républicanisme l’amour de la patrie où s’est établi l’État, et d’où ont jailli ses lois. Insulter d’anti-républicain l’électorat d’un parti qui soutient la constitution sociale de la France, l’héritage protéiforme des ancêtres, ses mœurs et ses lois, c’est incendier plus de deux siècles d’acculturation républicaine, laquelle s’est justement opérée en dressant les âmes à la patrie nouvelle.

Si l’exaltation de l’unité nationale est haineuse et anti-républicaine, faut-il en conclure que depuis Robespierre et Danton la France est d’extrême droite ? Anathématiser et pousser dans la bouillasse des patriotes en les traitant de racistes, de xénophobes, d’anti-démocrates et tout le baragouin, c’est montrer le vrai visage de l’anti-républicanisme. Cet insipide ragoût cacochyme, que l’on sert avec une cuillère rouillée dans la bouche d’une frange du peuple français en lui apprenant qu’il existe une droite «républicaine» et une droite «extrême», a aujourd’hui démontré son écoeurance, et il est recraché à la figure des sycophantes et des prononceurs d’expulsion du champ de la respectabilité républicaine. Il n’y a que par un brillant tour de force politique que l’on parvient à faire croire qu’un parti pourtant respectueux des lois est la réincarnation terrestre du diable.

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En réalité, l’anti-républicain est historiquement – depuis 1789 en France – celui qui veut renverser la République, au profit d’une restauration de la royauté, ou bien de l’instauration de la dictature du prolétariat. Depuis la Révolution et l’avènement du parlementarisme, l’extrême droite correspondait aux contre-révolutionnaires, aux ultras, aux monarchistes ou encore aux légitimistes puis aux antisémites et anti-dreyfusards. Aux antipodes, l’extrême gauche s’est révélée successivement sous les formes des jacobins, montagnards, républicains, socialistes, anarchistes puis marxistes et communistes. L’histoire accomplissant son office, elle a entraîné la déflagration d’une partie de cette taxinomie politique, ne laissant derrière elle que des termes dénués d’adaptation aux cadres actuels. Ils n’ont plus aucune valeur heuristique, et en condamnant allègrement son adversaire au rang de «l’extrême droite», on oublie qu’il existe encore une portion résiduelle d’individus réellement racistes, antisémites, et enclines à l’usage de moyens violents pour parvenir à la réalisation de leurs desseins. Mais l’antisémitisme n’est arithmétiquement plus l’apanage de l’extrême droite ; le racisme n’a jamais été aussi décontracté depuis qu’il s’est affranchi des frontières politiques pour passer dans l’indigénisme, et le recours à la violence et la privation des libertés qui permettaient de caractériser le fascisme hier, permet aujourd’hui de reconnaître l’extrême gauche qui bloque et saccage les lieux de savoir. A Sciences Po Paris, c’est même la bravoure d’une association «d’extrême droite» qui a pu rétablir l’ordre républicain, et libérer un site que des saltimbanques salissaient de leurs utopies.

À Paris en 2022, durant l’entre-deux tours, la résistance s’organise © Thomas COEX / AFP

La signification des termes rétablie, quel gazouilleur peut prétendre sans facétie que l’extrême droite avait des représentants dans cette élection présidentielle ?

Les vrais anti-républicains

Ceux qui proposent d’instaurer une dose de démocratie dans notre régime représentatif actuel, soit en instaurant une dose de proportionnelle aux élections législatives ou bien dans la consécration constitutionnelle d’un référendum d’initiative citoyenne, ceux qui ne rougissent pas de faire briller les symboles français et républicains, sont ceux sur qui un camp déclinant vide le seau de la tourbe dé-républicanisante. Aussi, le sens des mots rétabli, le spectacle de l’inversion des rôles paraît bien affriolant. On repense alors au candidat du parti communiste qui hésite sur le point de savoir si Staline est un camarade ou non. Un tel candidat déchu n’oserait pas, sans heurter la pudeur, appeler à un front républicain ? Une candidate qui scande mécaniquement un slogan antifasciste contre le Rassemblement national et la Reconquête, identifiant dès lors ses adversaires – pourtant parrainés et aux candidatures validées par une institution de la République qu’est le Conseil constitutionnel -, à des fascistes, oserait-elle évoquer un front républicain ? Un candidat s’identifiant lui-même à la République et dont la caste empêche les forces de l’ordre d’effectuer une perquisition légalement ordonnée et régulièrement effectuée, aurait-il la hardiesse d’appeler à un barrage contre la haine ? Un candidat traitant un adversaire de «juif de service» aurait-il l’indécence d’appeler de ses vœux à un front républicain ? Les diabolisants d’antan, au fond, n’étaient que les continuateurs de Saint-Just, lequel soutenait que «la volonté générale n’est pas la volonté de tous, mais la volonté des purs». Ce même Saint-Just qui avec tous ses homologues illuminés a précisément inventé, avant Lénine et Staline, le procédé rhétorique par l’effet duquel l’adversaire est transformé en «ennemi de la liberté» ou en fasciste, dont les idées comptent aussi peu que la parole. Dès lors le cadre éristique qui s’impose, celui d’une criminalisation de la pensée fondée sur un discours eschatologique, n’est plus celui de la dialectique, mais la lutte entre la légalité et l’illégalité, les bons contre les méchants.

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Ainsi sous le règne commençant d’un jour nouveau les épouvantails chancellent, et trébuchent devant la force du vent soufflé par l’élan libérateur que la France caresse. Le théâtre antifasciste compte dans sa troupe quelques irréductibles qui poursuivent les galipettes fascisantes, les acrobaties morales, mais les machines et les rouages subissent l’usure du temps. Le plancher craquelle, la corbeille se vide, les citoyens se lassent. Acta est fabula.  Ainsi s’achèvent quarante années durant lesquelles les termes de «nation», de «patrie», «d’amour de la France» ont été jugés nauséabonds, quarante années au terme desquelles il paraît suspect d’exhiber un drapeau de la France – celui de la République – ou d’entonner la Marseillaise –  celle de la République –  en somme, quarante années pendant lesquelles le débat intellectuel a été recroquevillé dans l’étroitesse de la plus vétuste des geôles bâties par le mensonge anti-républicain, et gardées par les argousins de la bonne pensée.

De grâce, jamais les étalagistes du progressisme et les diseurs d’anathèmes n’ont paru si funéraires, et jamais l’idée vraiment républicaine de passion nationale n’a semblé si neuve.

[Vos années Causeur] Vive la presse et surtout, surtout, vive Causeur

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© Causeur

À l’occasion de notre numéro 100, Georges Dumas vous parle de ses années Causeur…


J’aurais beaucoup aimé pouvoir me vanter d’avoir suivi l’aventure de Causeur dès le premier numéro, mais ce serait un mensonge.

Néanmoins, après neuf années de lecture continue, je considère que j’appartiens à la vieille garde. C’est la couverture du sixième numéro qui m’a littéralement arrêté tandis que je marchais dans les couloirs du métro République à Paris. Un souvenir indélébile. On y voyait un drapeau bleu blanc rouge inachevé en laine, avec deux aiguilles à tricoter de chaque côté, et pour titre : « La France à la carte ». Comment un magazine osait-il une telle couverture?

Piqué par une curiosité que je n’avais pas ressentie depuis longtemps, je suis entré dans le Relay et me suis approché pour ouvrir ce mensuel dont je n’avais jamais entendu parler et voir si le contenu paraissait à la hauteur de sa couverture accrocheuse, ou s’il s’agissait juste d’une infographie provocatrice comme les newsmagazines en font de temps en temps pour attirer l’attention.

Deuxième surprise : rien ne semblait à jeter de toutes les pages intérieures, et en plus il n’y avait pas de publicité ! J’ai donc tout naturellement acheté ce premier numéro, mettant sans le savoir le doigt dans un engrenage infernal puisque, outre que je n’en ai manqué aucun depuis, je me suis laissé prendre dans les rets du groupuscule de presse de Gil Mihaely en m’abonnant plus tard à Conflits et à Transitions & Énergies

A ne pas manquer, notre numéro 100 est disponible à la vente

Si je me souviens si bien de ce numéro 6 de Causeur, c’est aussi parce que je l’ai lu sur mon stand d’un salon artistique au Pavillon Baltard de Nogent-sur-Marne et que j’ai vu les regards torves de certains de mes confrères artistes lorsqu’ils me rendaient visite (le public était peu nombreux et laissait le temps de faire autre chose…). J’ai senti qu’être photographe plasticien et ne « pas être d’accord » ne faisaient pas très bon ménage au sein d’une communauté ancrée à gauche de manière quasi monolithique.

Ce qui ne m’a pas empêché, quelques années plus tard, d’aller rendre visite à Pierre Lamalattie accompagné du directeur de ce salon : tous deux se connaissaient de longue date et, lorsque j’avais dit à quel point je me régalais des articles de ce collaborateur régulier de Causeur, un rendez-vous fut pris pour le rencontrer et essayer de le faire écrire sur le mouvement photographique que nous avions lancé quelques mois auparavant.

Depuis octobre 2013, je suis donc un lecteur fidèle de Causeur, sur papier et en ligne, et je me réjouis que cet espace de liberté existe dans un paysage médiatique étouffant de conformisme. Je lis le magazine de la première à la dernière page sans jamais rien sauter, même les éditos politiques de Jérôme Leroy qui me donnent de la tachycardie. En précisant que Causeur sans lui ne serait pas Causeur et que j’espère le lire encore longtemps car, outre la ligne « politique » de ma publication préférée, c’est sa section culturelle (dont il est responsable) qui me la rend aussi chère qu’indispensable.

Appel à voter Macron: tous les artistes ont signé. Même Luchini? Même Luchini

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Juliette Binoche, Fabrice Luchini et Valeria Bruni Tedeschi, Cannes, 2016 © SIMON DECLEVES/SIPA

Ils sont venus, ils sont tous là… Tous ? Oui: tous.


Ils sont, disent-ils, « conscients de [leur] devoir citoyen ». Qui sont-ils, ces « ils » qui ne se distinguent plus individuellement ? Les artistes, bien sûr. Les vrais, les faux, les intermittents, les fils de, les filles de, les rebelles, les belles âmes, les torturés, les célèbres, les maudits, les reconnus, les professionnels de la profession, tous réunis en troupeau et signant d’une même papatte la tribune appelant à voter Macron pour « faire barrage » à Marine le Pen.

Un troupeau bêlant qui vit grâce à nos subsides

Ces artistes sont délicieusement ridicules : alors qu’ils participent régulièrement à l’opération mondiale d’abrutissement médiatique, ils se prennent pour « le monde de la culture ». Ils confondent bien entendu le monde de la culture qui était élitiste et l’empire du culturel qui est destiné à hébéter la masse. Globalement, les œuvres d’art ont été remplacées par des produits culturels à consommer avant la date de péremption, souvent rapide. On vend ces produits dans des émissions culturelles où l’écrivain, le comédien et les critiques parlent la même langue de commerçant. La Grande Librairie télévisuelle et les petites librairies de quartier sont ainsi pleines des mêmes livres écrits et calibrés pour être retenus par le jury d’un des mille cinq cents prix littéraires que compte notre pays.

Luchini a rejoint le comité des ménestrels vigilants, des saltimbanques citoyens, des troubadours républicains et des baladins délateurs dont il se moquait hier…

Et le monde de la « culture musicale » ? La musique la plus écoutée aujourd’hui est un bruit appelé rap – le « Pass Culture » gouvernemental a surtout permis aux 15-18 ans d’enrichir les dynamiteurs de tympans et de neurones que sont Booba & Co. No comment. Quant au cinéma, le CNC fait tout ce qu’il peut pour que nulle originalité ne jaillisse sur le grand écran en privilégiant les scénarios bâclés portant sur des sujets sociétaux, sur la banlieue et ses « quartiers sensibles », sur le racisme, ou ceux tirés des œuvres lénifiantes de David Foenkinos (qui a signé la tribune) ou d’Annie Ernaux (qui n’a pas signé cette tribune – Ernaux préfère les pétitions policières avec résultats tangibles et définitifs, renvoi et mort sociale d’un véritable écrivain, par exemple).

A lire aussi, Elisabeth Lévy: À la déloyale

Près de cinq cents « artistes » – humanistes du théâtre, altruistes du cinéma, tolérants de la littérature, philanthropes de la musique – ont donc signé cette fameuse tribune. « Demain, nous n’osons imaginer ce que deviendrait la culture au sein de notre pays si c’était elle que le suffrage désignait », écrit le troupeau bêlant dont la moitié au moins vit grâce aux subsides de l’État. Leur modèle reste l’idolâtre des musiques décérébrantes, l’inventeur de la sinistre Fête de la Musique, Jack Lang. Cet effrayant Pécuchet des Arts et des Lettres souhaitait créer en 1988 un Ministère de… la Beauté et de l’Intelligence – François Mitterand fit capoter ce projet et empêcha que le gros melon de Jack Bouvard ridiculisât à jamais la France. Depuis, toutefois, nombre d’artistes français croient œuvrer pour l’une (la beauté) et/ou l’autre (l’intelligence), alors que ce qui caractérise le plus souvent les travaux de ces créateurs subversifs subventionnés, c’est le conformisme bien-pensant et la rébellion aux ordres. « Nous n’osons imaginer ce que deviendrait la culture », gémissent ces gentils animateurs du parc culturel en se gargarisant d’un mot qu’ils ne comprennent pas et qu’ils mettent à toutes les sauces.

Pas franchement une tribune surprise, mais…

On lit les noms des signataires. C’est sans surprise. Ils se réclament presque tous de la gauche. Parmi eux se trouvent d’excellents comédiens et musiciens qui ne se contentent malheureusement pas de se distinguer dans leur domaine – ils donnent en plus aux Français des leçons de morale en clapissant avec leurs collègues les moins doués. Ils n’évitent bien sûr ni les outrances langagières ni les sujets à la mode, signes de reconnaissance des vrais progressistes – le racisme, le détestable repli sur soi, le redoutable populisme, l’urgence climatique, etc. Ils écrivent : « Nous ne pouvons imaginer que la France, pays des lumières et de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, porte au pouvoir une présidente dont les amitiés revendiquées avec les pires dictateurs en exercice seraient notre honte et notre déshonneur. » Raison pour laquelle certains d’entre eux ont voté Jean-Luc Mélenchon, l’admirateur des régimes cubains et vénézuéliens réputés pour la liberté généreuse qu’ils octroient aux opposants politiques et aux artistes non officiels de leur pays respectif.

A lire aussi, du même auteur: Quand Mélenchon évoquait les Normands «alcooliques»

On relit la liste des signataires. Pas de surprise, vraiment ? Si, une, qui est aussi une déception. Fabrice Luchini n’a pas su échapper à l’élan moutonnier. L’admirateur de Céline et de La Fontaine, le lecteur de Philippe Muray a sauté la clôture et quitté son enclos solitaire pour rejoindre les Mutins de Panurge. Le trublion retourne dans le magma de la culture officielle ; il rentre dans le rang. Celui qui avait compris en lisant Muray que « derrière l’Empire du Bien, un désir d’ordre apparaît », bêle aujourd’hui les mêmes formules débilitantes que ses congénères – celles-là mêmes qu’il aurait pu lire sur scène pour, à la façon de Muray, en montrer tout le comique involontaire. J’imagine Luchini sur la scène du Théâtre de l’Atelier ; il lit lentement, pour la briser de son rire contenu, la phrase suivante, tirée de cette tribune : « Rien dans le programme de Marine Le Pen ne nous rapproche de l’histoire de la France résistante, humaniste, généreuse et ouverte sur le monde. Rien ne relie Marine Le Pen à la France de Villon, de Beaumarchais, de Voltaire, de Hugo ou de Camus. » Suit une longue tirade sur la morale programmée de la Vertu et de la Culture, sur ces résistants côté cour et ces humanistes côté jardin qui aiment tant les Français qu’ils veulent les sauver en les laissant patauger sur la nouvelle scène du théâtre du monde ouvert, multiculturaliste, fluide et inclusif.

Malheureusement, cette mise en scène drolatique n’aura pas lieu. Luchini a rejoint le comité des ménestrels vigilants, des saltimbanques citoyens, des troubadours républicains et des baladins délateurs dont il se moquait hier. Ironie du sort, le voilà enrôlé aux côtés des artistes officiels de l’Empire du Bien, des adeptes de la pensée conformiste et des partisans du moindre effort intellectuel que dénonçait justement Muray.

[Vos années Causeur] Malheureusement pour certains, « Causeur » restera « Causeur »

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© Causeur

Comme vous le savez chers lecteurs, Causeur est attaché au pluralisme et à la liberté d’expression. C’est la raison pour laquelle nous publions le témoignage d’un adversaire politique. À l’occasion de notre numéro 100, il vous parle de ses années Causeur…


Je viens régulièrement sur le site internet de Causeur afin de savoir ce que « pense » l’extrême droite populiste.

Je suis à chaque fois sidéré de votre méconnaissance totale des dossiers, de vos raccourcis éhontés et de vos simplifications manipulatrices.

A lire aussi : « Populiste ! » — l’injure à laquelle le capitaine Haddock n’avait pas pensé

La récente interview de Michel Onfray en est encore un bon exemple. Ce philosophe (on peut légitimement en douter à l’entendre et à le lire) y aligne les poncifs de comptoirs, et Elisabeth Lévy peine à retenir ses cris de joie en lui servant la soupe.

Bref, Causeur est vraiment un club de réactionnaires imbus de leurs pauvres petites personnes, et on ne peut qu’espérer qu’il disparaisse bien vite du paysage médiatique.

Que ce soit sur le nucléaire, sur le réchauffement climatique, sur les questions de politique internationale ou nationale, votre bêtise est tout simplement sidérante…


>>> Sinon, notre numéro 100 vous attend chez le marchand de journaux.

Cauchemar en cuisine

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Gautier Battistella © Hannah Assouline

Chef, le nouveau roman de Gautier Battistella, nous plonge dans l’univers de la haute gastronomie. Loin des paillettes et de la starification, la course aux étoiles est un parcours du combattant qui ne fait pas de quartier. Un ouvrage couronné du Prix Cazes de la brasserie Lipp !


Il y a du Gargantua chez Battistella. Avec un appétit non feint, il croque viandes et poissons, embrasse paysages de montagne et plaines campagnardes, observe la sensualité des corps au naturel et décortique – avec la justesse propre aux grands écrivains – les difficiles rapports humains. Gautier Battistella aime le terroir et les hommes qui y vivent, des âmes rudes et palpitantes, dures à la tâche par abnégation, résignation et vocation. Il avait déjà brillamment prouvé cet attachement dans ses précédents ouvrages : Un jeune homme prometteur (2014) et Ce que l’homme a cru voir (2018). Avec Chef, il remet le couvert. On retrouve son regard serein posé sur les beautés de la nature, ses couleurs et ses odeurs : on sent la roche des alpages et l’argile des champs, mais surtout le fumet des marmites. Chef est une histoire de cuisine, un hommage à ceux qui se brûlent dans la course aux étoiles, aux traditions qui se perpétuent autour des fourneaux et à celles qui se perdent.

La gloire et les emmerdes

Gautier Battistella n’a pas eu à mener une enquête de longue haleine pour documenter ce récit qui nous plonge dans l’univers secret des grands restaurants : il a lui-même été enquêteur pour le Guide Michelin durant des années. Les chefs, il les connaît, leurs manières de travailler aussi, tout comme leurs « plats signatures » et leur façon de gérer leurs brigades, leur stress et l’exigence qui les ronge. Ce monde de l’excellence, désormais rythmé par le temps médiatique, celui de la presse et des réseaux sociaux, fait des victimes. La haute gastronomie est un art qui nourrit et qui tue. D’ailleurs, Chef commence par un suicide.

A lire aussi: La Mère Brazier, reine des fourneaux depuis cent ans

Les Promesses, de Paul Renoir, niché sur les hauteurs du lac d’Annecy, a été couronné meilleur restaurant du monde. Le chef multi-étoilé aime sa belle et jeune femme Natalia et achève le tournage du documentaire hagiographique que lui consacre Netflix. Mais le matin au réveil, il se tire un coup de chevrotine avec son fusil de chasse. On pense à Benoît Violier (mort dans les mêmes conditions en 2016) et à Bernard Loiseau (idem en 2003). L’histoire de Paul Renoir nous est racontée par lui-même, à travers les séquences des rushs du documentaire dans lesquelles il relate sa jeunesse à la ferme familiale, dans le Gers, le restaurant de sa grand-mère Yvonne – double de la Mère Brazier –, ses années de formation chez Paul Bocuse à Collonges, son arrivée à Paris et les cuisines de Maxim’s… jusqu’à son premier établissement qui lui ouvre les portes de la gloire et des emmerdes. Battistella tisse avec brio le vrai et le faux pour donner vie à ses personnages, rendant palpables les coulisses de ce curieux théâtre qu’est le restaurant : les cuisines, la salle vide entre les services, les vestiaires et les rapports de force. « Le monde de la cuisine demeure l’illustration moderne la plus évocatrice du darwinisme social : ceux qui réussissent ne sont pas les plus bosseurs ni les plus talentueux, mais ceux qui sont parvenus à survivre. La haute gastronomie est une arène, les chefs, des gladiateurs, et leur morituri te salutant pourrait se traduire ainsi : si tu n’es pas prêt à risquer ta peau, devient pizzaiolo. » Les pages de la vie du mort racontée par lui-même alternent avec les scènes de la vie du restaurant où, depuis le coup de fusil fatal, le sursaut succède à l’abattement, tandis que la convoitise et les rivalités sont plus fortes que les bons sentiments. Tous les coups sont permis pour faire dérailler le concurrent et obtenir le saint Graal : l’entrée dans le Guide. Cet objectif atteint marque aussi le début de la fin pour ces chefs tenus à la réussite. Avoir une étoile induit l’obligation de se hisser à la deuxième et, auréolés de la troisième, ils se doivent de la conserver à vie – quitte à en mourir. Dans cette course d’obstacles sur piste minée, un journaliste complexé, un bloggeur malveillant ou une influenceuse invertébrée peuvent, en un article ou une vidéo, ruiner une vie de travail.

A lire aussi: Néo-boucher, c’est un métier

La France des marmites

Se jouant avec délectation des vraisemblances, Battistella nous fait croiser Bernard Pacaud et Pierre Gagnaire, Alain Ducasse et Yoann Conte, Jean Sulpice et Éric Frechon… Les critiques gastronomiques et les gens du Guide ont une identité tronquée. Forts du pouvoir que leur confère leur fonction, ces faiseurs de rois sont des personnages de roman ; quant aux chefs, ils sont par nature hors normes. Ces hommes tout ce qu’il y a de plus ordinaires (au bon sens du terme), amateurs de pizzas et de sodas, de matchs de foot et de beuveries viriles se doublent de créateurs à la sensibilité exacerbée. Battistella se fait ciseleur pour décrire avec précision leur manière d’imaginer le déroulé d’un menu, l’élaboration d’un plat. Yumi, la jeune cheffe pâtissière des Promesses, crée un dessert en souvenir de son voyage en Grèce avec Paul Renoir. Son « Souvenir de Kalamata » est « un biscuit aux amandes monté à l’huile d’olive assorti d’une mayonnaise yuzu et surmonté d’un sorbet au fromage frais. Le tout nappé d’un filet de miel d’oranger et de zestes de bergamote ». Ripailleur, Battistella raconte avec la même gourmandise un repas de gibier, un pâté Richelieu ou le festin annuel du cochon à la ferme, à l’issue duquel chacun repart avec son jambonneau, ses crépinettes, sa galantine ou ses rillettes.

Ici comme ailleurs, un monde a disparu ou est en passe de l’être. Les banques et les investisseurs, les marques et la labellisation, les cinq fruits et légumes par jour et la surmédiatisation ont eu la peau d’un univers où le bien manger était synonyme de bonne chère et de rasades d’eau-de-vie pour sceller l’amitié – même entre chefs. Gautier Battistella ressuscite le souffle de la France des marmites, des Trente Glorieuses à nos jours, loin, très loin de la « littérature sans estomac » dénoncée par Pierre Jourde.

Gautier Battistella, Chef, Grasset, 2022.

Chef

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Débat télévisé: espérons une dispute civilisée!

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Marine Le Pen et Emmanuel Macron avant le débat de l'entre-deux-tours de la présidentielle 2017, mai 2017.

Les deux candidats à l’élection présidentielle se retrouvent, ce soir, cinq ans après leur premier débat. L’émission convaincra-t-elle certains électeurs indécis ? Que faut-il en attendre ?


Première question: combien serons-nous ce soir ? La désaffection pour la politique, cette tarte à la crème du commentaire politique, se verra-t-elle dans les audiences ? Comme le vote, regarder le débat est une expression de l’appartenance collective. L’idée que, par-delà nos divergences et différences, nous nous intéressons suffisamment à notre destin collectif pour passer devant notre télé ou notre radio deux heures qui seront possiblement ennuyeuses. 
Bien sûr, on attend un spectacle, un affrontement, et des formules choc même si le plaisir qu’elles suscitent est un peu amoindri par le fait qu’elles auront été ciselées par les communicants. 

À lire aussi, Elisabeth Lévy: À la déloyale

Mais en même temps, on espère une dispute civilisée. Une preuve qu’il y a au minimum entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen un accord sur le désaccord. Si on excepte le duel Mélenchon/Zemmour et le consternant Pécresse/Zemmour, ce débat sera la première confrontation entre candidats de notre drôle de campagne présidentielle. De ce point de vue, la balle est dans le camp de Macron. Espérons qu’il nous épargnera les arguments consternants que ses soutiens ont martelés depuis dix jours sur le fascisme qui nous menace. Et qu’il n’affichera pas le mépris du surdiplômé pour les moins titrés qui caractérise souvent son camp…

Quel est l’enjeu de ce rituel ? 

Difficile de dire s’il y a vraiment un enjeu. Tous les spécialistes affirment péremptoirement qu’on n’a jamais vu un débat changer un vote. Pourtant, toujours à entendre ces mêmes commentateurs, selon des sondages, 15% des électeurs disent que leur opinion n’est pas faite et qu’elle pourrait donc évoluer ce soir.
En matière de Justice, on dit que l’oralité et la publicité des débats sont les conditions de la manifestation de la vérité. Alors peut-être que l’utilité de ce débat est de faire émerger une vérité. Pas seulement celle des personnalités – ce qu’on nous serine sans arrêt – et encore moins celle des programmes, catalogues de promesses qui n’engagent que ceux qui y croient.

À lire ensuite: Appel à voter Macron: tous les artistes ont signé. Même Luchini? Même Luchini

Contrairement à la plupart des journalistes, nous ne nous attendons pas à ce que les deux candidats nous parlent de la vie concrète. Tout le monde a une « vie concrète » différente, et on ne peut pas parler de tout en deux heures trente. Ce que nous attendons, c’est la vérité de deux visions de la France car, dans le fond, la grande différence entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen est culturelle. Ce qui nous intéresse, c’est leur colonne vertébrale idéologique, leur rapport à la France, au passé, aux frontières, à l’identité. Les grandes questions.
Notre directrice de la rédaction, Elisabeth Lévy, ajoute un dernier critère essentiel pour que le débat de ce soir soit réussi : « j’ai très envie de voir la volonté de chacun de s’adresser aux électeurs de l’autre, de parler à tous les Français plutôt que de rester dans son couloir. » Bref, ce qu’on voudrait tous avant toute chose, c’est voir deux personnes qui ont au moins en commun leur souci du bien commun !


Cette chronique a initialement été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez la chronique d’Elisabeth Lévy chaque matin à 8h10 dans la matinale

À la déloyale

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13 avril 2022 © LUDOVIC MARIN-POOL/SIPA

Ce soir, Marine Le Pen et le président sortant se retrouvent pour le grand débat télévisé de l’entre-deux tours. Après une nouvelle quinzaine anti-Le Pen, Emmanuel Macron pourrait bien être réélu dimanche. Durant la campagne, il aura fait la danse des sept voiles devant la gauche et les islamo-gauchistes, et pas prononcé un mot pour rassurer la « France périphérique » qu’il aimerait bien ne plus voir.


Il y a des raisons parfaitement légitimes de s’opposer à l’élection de Marine Le Pen – par exemple, son idée d’un rapprochement OTAN/Russie qui arrive quinze ans trop tard ou beaucoup trop tôt (même si elle n’a pas parlé d’un rapprochement OTAN/Poutine). Il y a aussi des méthodes honorables pour la combattre – discuter son programme, pointer ses contradictions, interroger ses évolutions. L’ennui, c’est que cet entre-deux tours ne nous offre ni les unes ni les autres mais une campagne de démonologie parsemée de mensonges, d’âneries et de procès d’intention. La nouvelle quinzaine anti-Le Pen, pour reprendre la formule de Muray en 2002, montre que nos faiseurs d’opinion n’ont décidément rien compris, parce qu’ils ne veulent rien comprendre. Il est vrai que s’ils faisaient preuve de lucidité, cela ébranlerait le joli théâtre antifasciste dans lequel ils se complaisent. Tant qu’il y a des méchants à dénoncer, ils sont le bon camp. Psalmodier qu’ils défendent la République les dispense de se demander comment, depuis des années, ils l’ont laissée décliner pour s’adonner au multiculti teinté de wokisme qui leur sert de pensée spontanée. Au nom de la tolérance bien sûr. 

A lire aussi, du même auteur: Certains l’aiment chauve

Impossible de citer les dizaines d’éditoriaux qui, pour aboutir au même résultat, brandissent des menaces définitives qui ne sont jamais étayées. Avec Le Pen à l’Elysée, c’en serait fini de l’Etat de droit et de la démocratie, de la culture, de l’Union européenne (dont elle planifierait secrètement de sortir). Sans compter qu’on sera tous changés en grenouilles, mais ça, bien sûr, personne ne veut le dire.

Alice Coffin et ses amis en danger de mort

Tout ce que la France compte de beaux esprits rivalise pour trouver l’argument le plus absurde et le plus infamant. Après les sportifs, les 500 intermittents les mieux payés de France, expression malicieuse et judicieuse d’Aaron Fonvieille-Buchwald, directeur numérique de Marianne, qui n’osent pas imaginer ce que la culture deviendrait si elle accédait au pouvoir. BHL, oubliant sa propre opposition à la folie sanitaire, brocarde les ignares antivax qui l’entourent, d’autres dénoncent, avec Macron, le Frexit caché. Il paraît même que le score cumulé de Le Pen et Zemmour, qui ont séduit 40% des catholiques, est un échec pour le christianisme. Faudra le dire au président Jésus, comme l’appelle affectueusement Basile de Koch. 

Chantre du respect et de la bienveillance, Emmanuel Macron fait le finaud en ne la désignant jamais par son nom (des fois que ça lui salirait la bouche) mais comme « la candidate d’extrême droite ». Gabriel Attal, lui, sonde le cœur noir de la peste blonde. Il affirme que, pour elle, les crimes russes en Ukraine sont un point de détail de l’histoire, façon de la renvoyer au père qu’elle a pourtant viré de son parti. Enfin, on décernera une mention spéciale ex-aequo à Gérald Darmanin qui a estimé qu’une victoire de Le Pen entraînerait la mort des pauvres, et à l’inénarrable Alice Coffin pour qui elle signifierait « très concrètement la mise à mort des militantes féministes. Au sens littéral ». Si j’osais blaguer j’aurais répondu « ne nous tentez pas », mais je ne suis pas sûre qu’elle pratique le second degré. Bien entendu, je ne souhaite aucun mal à Coffin et ses copines. 

A lire aussi, Didier Desrimais: Voilée et féministe, bah voyons…

On me dira que cet antifascisme d’opérette ne marche plus et que les électeurs sont assez grands pour se faire leur idée… Pas sûr. Il est difficile de résister à cette pression morale. Qui voudrait donner sa voix à une personne dont ses copains répètent en boucle qu’en plus d’être homophobe, elle est raciste et antisémite ? Cela reviendrait à voter pour le retour des heures les plus sombres.  

Les électeurs méprisés

Evidemment, on peut choisir de rigoler car toute cette agitation est d’autant plus ridicule que les agitateurs n’y croient pas vraiment. Reste que le sort fait à Marine Le Pen témoigne d’une grande indifférence ou d’un profond mépris (de classe) pour ses électeurs. La France élitaire donne des leçons de maintien à la France populaire mais ne lui parle pas. Significativement, Macron a fait la danse des sept voiles devant les mélenchonistes, les écologistes et les islamo-gauchistes. Mais il n’a pas daigné s’adresser aux « égarés » qui ont voté Le Pen au premier tour. Pas un mot pour rassurer la France qui roule au diesel et fume des clopes – placé sous le signe de la planification écologique, le prochain quinquennat (si les résultats sont conformes aux sondages) risque bien d’être sa fête, à cette France qu’on aimerait bien ne plus voir. Pas un mot sur les questions régaliennes et sécuritaires qui l’inquiètent, rien sur l’islamisme sinon des mamours à une femme voilée-et-féministe.

A lire aussi, Marion Maréchal: «Macron, c’est la négation de la politique»

Christophe Guilluy l’avait bien compris : nos élites veulent bien subventionner la France périphérique à condition de ne plus la voir. Il ne s’agit pas de gouverner contre elle mais de vivre sans elle. Autant dire que le festival de sottises auquel on a assisté est de fort mauvais augure pour Macron II. S’il est élu, il l’aura été en surfant sur ce maccarthysme progressiste. C’est-à-dire à la déloyale. Et cela la France oubliée ne l’oubliera pas. 

[Nos années Causeur] Penser contre soi-même

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La journaliste Eugénie Bastié © Hannah Assouline

À l’occasion de notre numéro 100, Eugénie Bastié se souvient de son stage à Causeur


En farfouillant dans mes courriels, j’ai fini par retrouver ma demande stage adressée à Gil Mihaely le 5 avril 2013 alors que j’étais encore une jeune étudiante de Sciences Po de 21 ans :« Cher monsieur Mihaely, J’ai lu avec attention le nouveau numéro de Causeur, bravo , c’est vraiment très réussi. J’ai particulièrement apprécié l’éditorial d’Élisabeth Lévy qui parlait de “journalisme d’idées”. C’est cette démarche en effet qui m’intéresse dans votre magazine qui est un des rares médias qui donne une place unique au débat d’idées, avec humour et profondeur. (…) J’ignore si vous avez besoin de têtes jeunes et dévouées, mais sachez que je serai très enthousiaste de pouvoir découvrir les arcanes du “journalisme d’idées” aux côtés de l’équipe de Causeur. »

A lire aussi : Eugénie Bastié : “Observer la vie intellectuelle m’a rendue moins péremptoire”

En relisant ce message j’ai eu trois réactions. L’effroi, d’abord, de songer que presque une décennie déjà m’éloignait de ces premiers pas en journalisme, que j’avais déjà grillé ma vingtaine et que le temps était donc proche où je serai la Michèle Cotta du xxie siècle. La satisfaction, ensuite, de comprendre que la voie où je m’étais engagée à ce printemps 2013, celle du journalisme d’idées, était la bonne puisqu’elle est celle qui m’épanouit encore aujourd’hui. La reconnaissance, enfin, pour Gil et Élisabeth, qui ont su faire confiance à la jeune Rubemprette en minishort et mocassins pleine d’ambitions et de certitudes que j’étais.

À l’époque (et je me rends compte en grinçant que j’atteins l’âge où l’on peut utiliser cette locution de boomer), il faut se rendre compte quel bol d’air apportait Causeur à des gens de ma génération qui avions connu le politiquement correct à la mamelle. Fraîchement débarquée de ma province où l’on était de droite par habitude familiale à Sciences Po où la moitié de ma classe votait Mélenchon et Poutou (ils étaient déjà là), je rasais les murs en m’admettant après trois verres de rhum-coca « gaulliste sociale », ce qui pouvait à la limite être toléré en état d’ébriété.

A lire aussi: Michel Onfray: «Macron n’aime pas qu’on ne l’aime pas»

Il était presque impossible, après le quinquennat qui avait failli nous replonger dans la France de Vichy, d’admettre un vote Sarkozy. C’est à ce moment que j’ai découvert Causeur (je ne sais plus exactement comment, par Facebook peut-être), et les noms d’Élisabeth Lévy, Alain Finkielkraut et Philippe Muray. Je me souviens avoir acheté l’intégralité de son œuvre après lecture d’un numéro qui lui était dédié. Cette floraison d’intelligence, de largesse d’esprit, d’humour et de distance, au milieu de la morosité moraliste qui m’entourait, a été comme une révélation. Dix ans ont passé, et aujourd’hui le paysage médiatique n’est plus le même. Causeur n’est plus seul à ferrailler contre les bien-pensants. Il fut le premier, et continue à se battre avec un panache, une audace particulière et subtile contre les vertus fausses et les puritanismes tondus de tout bord. Quant à moi, j’emporte comme un viatique dans ma carrière la leçon apprise rue du Faubourg-Poissonnière, celle de toujours penser contre son temps, mais encore plus contre soi-même.

La Guerre des idées - Enquête au coeur de l'intelligentsia française

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Chasse à la femme

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Le débat de ce soir devrait permettre enfin de nous sortir de cette démocratie française « étouffée », la confrontation des projets se fera finalement à armes égales.


Marine Le Pen a été traitée par des minorités violentes, aux antipodes de la démocratie, comme si elle avait volé sa qualification au soir du premier tour et qu’elle était donc illégitime à participer à la campagne pour l’élection du 24 avril ! Emmanuel Macron sera réélu, j’en fais le pari, et il ne me viendra pas à l’esprit de contester sa légitimité, quelle qu’ait été ma décision finale. En revanche, depuis le 10 avril, je ne peux me défaire du sentiment qu’on n’a pas assisté à une compétition républicaine qui sauvegarderait au moins en principe l’égalité politique et médiatique entre les deux candidats mais à une véritable « chasse à la femme », résumée par le contraste entre le populisme qu’elle incarnerait et la démocratie dont Emmanuel Macron serait le dépositaire.

Le vote populaire méprisé

En effet, qu’on fasse le compte et on aura du mal à relever, tant elles ont été nombreuses, variées et péremptoires, les injonctions à faire barrage au RN – responsables européens, politiques de droite comme de gauche, médias prescripteurs et obsessionnels dans le même sens, groupes, associations, syndicats (y compris le Syndicat de la magistrature), avocats, sociologues, artistes, sportifs, animateurs, personnalités réellement ou prétendument influentes (dont l’inénarrable Mourad Boudjellal inventant un racisme génétique chez tous les électeurs du RN !), manifestants, une justice sans excès en France mais opportunément déchaînée en Europe, une multitude composite donnant des leçons de République au moment même où au lieu d’attendre sereinement le résultat du 20 avril, on déséquilibre la joute présidentielle en mettant sur un plateau, au détriment de l’autre avec des soutiens exsangues, une charge exclusive d’hostilité et même de haine. Tout est pardonné à Emmanuel Macron, rien à Marine Le Pen. Les élites viennent au secours du premier et le peuple est méprisé au travers de la seconde.

La victoire comblera Emmanuel Macron qui est, répète-t-on, le plus décent. J’ai toujours été incompris dans ma volonté de distinguer mes choix partisans ou éventuellement mon indécision délibérée des modalités mêmes de la démocratie. Ce n’est pas parce qu’on s’affirme hostile à la cause de Marine Le Pen qu’on doit tolérer toutes ces transgressions par rapport à l’équité civique. On n’est plus dans la liberté de damer le pion, sur un plan politique, à un adversaire qu’on désapprouve mais dans une sorte de partialité omniprésente se constituant tel un immense instrument de pression pour empêcher l’électeur de base d’arbitrer en faveur de ce que paresseusement, absurdement sur le registre historique, on qualifie d’extrême droite, de fascisme ou de dictature à venir. Comme si, faute d’avoir été interdit officiellement, il convenait que le Rassemblement national le fût systématiquement dans la quotidienneté politique et médiatique.

La danse du ventre d’Emmanuel Macron

Pourtant, pour une communauté nationale qui se serait imposée le devoir d’une intelligence mesurée et lucide, il y aurait eu de quoi maintenir, au moins dans la manière de faire campagne pour l’un comme pour l’autre, une balance égale entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Chez cette dernière, confusion, approximations et revirements reliés au pouls de l’opinion. Avec l’envie de réviser certaines positions (voile dans l’espace public, éoliennes notamment) parce que leur caractère impraticable et coûteux est dénoncé.

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Du côté d’Emmanuel Macron, un processus qui avait commencé, à la fin du mandat, avec des opérations désespérées de rattrapage sur le régalien, la police et la justice pour s’enfler, entre les deux tours, en une spoliation cynique et si peu fiable par rapport au bilan, du projet désavoué de peu de Jean-Luc Mélenchon, en particulier pour la planification écologique. Le candidat devient vert, le référendum ne lui fait plus peur, et après avoir copié sur Valérie Pécresse, il a un peu pillé Marine Le Pen avant de n’éprouver aucune honte à faire la danse du ventre devant Jean-Luc Mélenchon.

La majorité des électeurs de Mélenchon n’a pas été dupe puisqu’elle s’oriente vers le vote blanc ou l’abstention. Pour LFI – principe de précaution idéologique ! – on n’avait pas le droit de s’égarer vers Marine Le Pen !

Pas de progrès républicain

On ne peut pas soutenir, déjà en l’état, que la démocratie française a bien fonctionné. Imparfaite, hémiplégique, plus désireuse d’ostraciser que d’intégrer, comme si la division en trois camps politiques de notre pays impliquait nécessairement qu’on portât atteinte à la dignité de TOUS nos compatriotes, si elle a été un zeste moins médiocre qu’en 2017, cela a été dû à un affaiblissement quantitatif du barrage contre Marine Le Pen plus qu’à un réel progrès républicain.

Pourtant, malgré la certitude que j’ai exprimée plus haut, j’attends avec une impatience infinie le débat du 20 avril. D’abord parce qu’il pourra influer favorablement sur tous ceux qui n’auront pas encore tranché en les déterminant pour ce qui leur semblera le meilleur pour notre pays.

Mais surtout parce que cette confrontation sera enfin à armes égales, visage contre visage, personnalité contre personnalité, bilan contre analyse critique, programme contre programme.

Oui, c’en sera terminé avec tous ces défenseurs paradoxaux et pervers de la démocratie : ils s’en servent, contre l’ennemie exclusive, en l’étouffant.

Adidas: tout le macronisme en une image?

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D.R.

Sur les Champs-Elysées, la marque de vêtements de sport Adidas promeut l’inclusion, avec les photos de deux athlètes: l’une transsexuelle, l’autre islamiste! Notre chroniqueur trouve que cet affichage repoussant s’insère en réalité assez bien dans la France macronienne.


L’image est une parfaite synthèse de ce « progressisme » qui n’a rien d’un progrès.

« Convergence des intérêts marchands et communautaristes » résume très justement l’association « Unité Laïque ».

« Adidas met en vitrine un trans qui joue au volley féminin et une femme qui a obtenu pour les intégristes le droit de jouer au basket en hidjab. Où sont les femmes libres ? Invisibilisées ! Cancellisées ! » poursuit « Unité Laïque » qui s’en indigne sur le réseau social Twitter.

« Unité Laïque » a fait le choix de soutenir Emmanuel Macron, portant un regard sévère sur Marine Le Pen et son projet, et ne rejoint donc pas l’analyse exposée ici – le lecteur pourra utilement consulter son site pour connaître ses positions et ses engagements.
PPour autant, d’autres comme l’auteur de cet article estiment que le diagnostic de « convergence des intérêts marchands et communautaristes » fait à propos de la vitrine d’Adidas s’applique aussi à bien des aspects du projet macronien, incarnation politique du progressisme post-moderne dont cette vitrine est la manifestation commerciale, et même la quintessence symbolique.

Tout y est, en effet. C’est une double négation des femmes d’abord, en tant que sexe et dans leur dignité humaine. Ce militantisme trans est l’incarnation caricaturale du triomphe des caprices de la subjectivité sur le réel. On parle ainsi désormais de « personnes qui menstruent », et il est devenu « transphobe » de s’étonner que des prix de natation féminine soient raflés par quelqu’un qui a eu une puberté masculine et dispose d’un génome XY et d’un pénis. Rien n’est vrai, tout est permis.

Multiculturalisme et dangereux relativisme

Ces publicités sont ensuite la banalisation de l’islamisation. L’islamisation est normalisée. On nous présente comme une liberté l’exaltation permanente du symbole du déni de la liberté par un totalitarisme théocratique ! Mais l’UE nous enseignait déjà que « la liberté est dans le hijab », et notre candidat du front républicain en déplacement à Strasbourg le 12 avril trouve que « c’est ça qui est beau », qu’une femme soit en-même-temps féministe et voilée.

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Multiculturalisme et relativisme donc, puisque toutes les cultures ont également droit de cité, qu’importe qu’elles piétinent la dignité humaine. Communautarisme, destruction à la fois de l’universel, de l’identité nationale partagée et de la citoyenneté, archipellisation de la société découpée en segments marketing pour les vêtements comme pour les votes, où chacun ne peut se sentir représenté et concerné que par une personne issue de la micro-minorité opprimée à laquelle il s’identifie. Convergence du tout dans le creuset infernal de la pub, de l’humanité niée de ceux qui ne sont plus que consommateurs du monde, des intérêts marchands qui se drapent dans les marqueurs de « vertu » à la mode pour habiller leur absence totale du moindre sens moral. Cerise sur le gâteau : c’est Adidas, l’entreprise « sauvée » à coups de délocalisations par Bernard Tapie, dont la proximité avec Mitterrand représente à merveille les années fric et cette gauche donneuse de leçons à l’origine d’une très grande partie des problèmes d’aujourd’hui.

Les premiers de cordée s’équipent chez Adidas

Et pendant ce temps, autre incarnation du même « progressisme », dans le quasi-unanimisme d’un parti unique de fait, parade le candidat du multiculturalisme, du « hijab féministe » acclamé par les Frères Musulmans, des « premiers de cordée » – et les autres « n’ont qu’à traverser la rue » ; le candidat qui saborde l’instruction, l’hôpital, la sécurité et tout l’héritage social du Conseil National de la Résistance, pour que le peuple soit le client captif de prestataires privés reprenant le flambeau de services publics en déshérence ; le candidat qui écrase le peuple d’impôts pour financer le « tribut aux barbares » et les cadeaux clientélistes à toutes les « minorités » courtisées ; le candidat de McKinsey et de la vente d’Alstom ; le candidat qui « fait barrage », ses partisans agitant l’épouvantail d’une menace fantasmée pour faire des procès en « complaisance avec le nazisme » à quiconque ne reprend pas servilement leurs éléments de langage.

Emmanuel Macron est Calliclès, l’anti-Socrate, et la vitrine d’Adidas est l’image parfaite de ce qu’il veut faire de la France !