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Chasse à la femme

Constat accablé avant l'heure...


Chasse à la femme
À Paris, durant l'entre-deux tours, la résistance s'organise © Thomas COEX / AFP

Le débat de ce soir devrait permettre enfin de nous sortir de cette démocratie française « étouffée », la confrontation des projets se fera finalement à armes égales.


Marine Le Pen a été traitée par des minorités violentes, aux antipodes de la démocratie, comme si elle avait volé sa qualification au soir du premier tour et qu’elle était donc illégitime à participer à la campagne pour l’élection du 24 avril ! Emmanuel Macron sera réélu, j’en fais le pari, et il ne me viendra pas à l’esprit de contester sa légitimité, quelle qu’ait été ma décision finale. En revanche, depuis le 10 avril, je ne peux me défaire du sentiment qu’on n’a pas assisté à une compétition républicaine qui sauvegarderait au moins en principe l’égalité politique et médiatique entre les deux candidats mais à une véritable « chasse à la femme », résumée par le contraste entre le populisme qu’elle incarnerait et la démocratie dont Emmanuel Macron serait le dépositaire.

Le vote populaire méprisé

En effet, qu’on fasse le compte et on aura du mal à relever, tant elles ont été nombreuses, variées et péremptoires, les injonctions à faire barrage au RN – responsables européens, politiques de droite comme de gauche, médias prescripteurs et obsessionnels dans le même sens, groupes, associations, syndicats (y compris le Syndicat de la magistrature), avocats, sociologues, artistes, sportifs, animateurs, personnalités réellement ou prétendument influentes (dont l’inénarrable Mourad Boudjellal inventant un racisme génétique chez tous les électeurs du RN !), manifestants, une justice sans excès en France mais opportunément déchaînée en Europe, une multitude composite donnant des leçons de République au moment même où au lieu d’attendre sereinement le résultat du 20 avril, on déséquilibre la joute présidentielle en mettant sur un plateau, au détriment de l’autre avec des soutiens exsangues, une charge exclusive d’hostilité et même de haine. Tout est pardonné à Emmanuel Macron, rien à Marine Le Pen. Les élites viennent au secours du premier et le peuple est méprisé au travers de la seconde.

La victoire comblera Emmanuel Macron qui est, répète-t-on, le plus décent. J’ai toujours été incompris dans ma volonté de distinguer mes choix partisans ou éventuellement mon indécision délibérée des modalités mêmes de la démocratie. Ce n’est pas parce qu’on s’affirme hostile à la cause de Marine Le Pen qu’on doit tolérer toutes ces transgressions par rapport à l’équité civique. On n’est plus dans la liberté de damer le pion, sur un plan politique, à un adversaire qu’on désapprouve mais dans une sorte de partialité omniprésente se constituant tel un immense instrument de pression pour empêcher l’électeur de base d’arbitrer en faveur de ce que paresseusement, absurdement sur le registre historique, on qualifie d’extrême droite, de fascisme ou de dictature à venir. Comme si, faute d’avoir été interdit officiellement, il convenait que le Rassemblement national le fût systématiquement dans la quotidienneté politique et médiatique.

La danse du ventre d’Emmanuel Macron

Pourtant, pour une communauté nationale qui se serait imposée le devoir d’une intelligence mesurée et lucide, il y aurait eu de quoi maintenir, au moins dans la manière de faire campagne pour l’un comme pour l’autre, une balance égale entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Chez cette dernière, confusion, approximations et revirements reliés au pouls de l’opinion. Avec l’envie de réviser certaines positions (voile dans l’espace public, éoliennes notamment) parce que leur caractère impraticable et coûteux est dénoncé.

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Du côté d’Emmanuel Macron, un processus qui avait commencé, à la fin du mandat, avec des opérations désespérées de rattrapage sur le régalien, la police et la justice pour s’enfler, entre les deux tours, en une spoliation cynique et si peu fiable par rapport au bilan, du projet désavoué de peu de Jean-Luc Mélenchon, en particulier pour la planification écologique. Le candidat devient vert, le référendum ne lui fait plus peur, et après avoir copié sur Valérie Pécresse, il a un peu pillé Marine Le Pen avant de n’éprouver aucune honte à faire la danse du ventre devant Jean-Luc Mélenchon.

La majorité des électeurs de Mélenchon n’a pas été dupe puisqu’elle s’oriente vers le vote blanc ou l’abstention. Pour LFI – principe de précaution idéologique ! – on n’avait pas le droit de s’égarer vers Marine Le Pen !

Pas de progrès républicain

On ne peut pas soutenir, déjà en l’état, que la démocratie française a bien fonctionné. Imparfaite, hémiplégique, plus désireuse d’ostraciser que d’intégrer, comme si la division en trois camps politiques de notre pays impliquait nécessairement qu’on portât atteinte à la dignité de TOUS nos compatriotes, si elle a été un zeste moins médiocre qu’en 2017, cela a été dû à un affaiblissement quantitatif du barrage contre Marine Le Pen plus qu’à un réel progrès républicain.

Pourtant, malgré la certitude que j’ai exprimée plus haut, j’attends avec une impatience infinie le débat du 20 avril. D’abord parce qu’il pourra influer favorablement sur tous ceux qui n’auront pas encore tranché en les déterminant pour ce qui leur semblera le meilleur pour notre pays.

Mais surtout parce que cette confrontation sera enfin à armes égales, visage contre visage, personnalité contre personnalité, bilan contre analyse critique, programme contre programme.

Oui, c’en sera terminé avec tous ces défenseurs paradoxaux et pervers de la démocratie : ils s’en servent, contre l’ennemie exclusive, en l’étouffant.




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Magistrat honoraire, président de l'Institut de la parole, chroniqueur à CNews et à Sud Radio.

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