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Le front républicain est mort! Vive la République!

Front républiqu... hein?


Le front républicain est mort! Vive la République!
Manifestants opposés à Jean-Marie Le Pen, Paris, 2 mai 2002 © SIMON ISABELLE/SIPA

Pendant toute la campagne électorale, la droite nationale se voit accusée d’antirépublicanisme. Le directeur du Monde, Jérôme Fenoglio, a par exemple affirmé que les candidatures d’Éric Zemmour et de Marine Le Pen étaient « incompatibles avec tous nos principes, tout autant qu’elles sont contraires aux valeurs républicaines ». Un traitement de faveur curieux, que n’ont pas subi Nathalie Artaud, Philippe Poutou ou Fabien Roussel.


Le théâtre antifasciste se voulait tragique, le voici vaudevillesque, et le ridicule dont il se couvre aujourd’hui  n’a d’égal que la vilénie qui l’imbibait hier. Le chahut qu’il causait dans le public faussement conquis a laissé place au spectacle crépusculaire d’une troupe au famélique arsenal rhétorique, qui soliloque et n’effraie qu’elle-même. Son script est dépourvu de tout ce qu’il faut d’équilibré, de nuancé, d’élégant, et ces danseurs de l’effroi font usage de ce qu’il leur reste : de la poudre et des claques-doigts. Ces étiquetages rabougris et ces phrases industrielles, ces concepts fallacieux de «front républicain», de «barrage contre l’extrême droite» et autres tournures bassement sloganesques déclinent, et c’est salutaire. Cependant ces râles agonisants hantent encore certains couloirs de l’esprit, il paraît donc hautement impérieux de revenir aux fondements des concepts de «démocratie» et de «République», dont la mécompréhension est à l’origine de tant de superficielles divisions dans notre pays.

Une malheureuse confusion entre «démocratie» et «république»

La «République» présentée comme si autoporteuse de bienfaits et de salut public, n’est initialement pas un socle de principes ni de valeurs. La République, sous l’Antiquité romaine, désigne avant tout la «res publica», la «chose publique», qui concerne l’universalité des citoyens. Ainsi selon Montesquieu, «le gouvernement républicain est celui où le peuple en corps, ou seulement une partie du peuple, a la souveraine puissance».

Le gouvernement républicain est donc démocratique, ou aristocratique. Dans le premier cas, le peuple exerce directement le pouvoir, dans l’autre il délègue l’exercice de la souveraineté en élisant des représentants, c’est l’aristocratie. Le mépris contemporain pour l’idéogénie et l’oubli volontaire du sens originel des mots aidant, la commune sottise trouve un terreau fertile pour laisser se répandre les mauvaises herbes de la bévue et de la guignolerie. C’est ainsi que l’on peut sporadiquement entendre ces vocables dénués de sens comme celui de «démocratie directe», qui pèche par tautologie, ou celui de «démocratie représentative», qui  est un vilain oxymore.

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La démocratie est directe ou elle n’est pas une démocratie, c’est tout. Par cette attirance profonde qu’éprouvent certains docteurs envers la bévue et que leur immodestie fait jaillir, l’on peut lire ici ou là, pêle-mêle, que le peuple souverain n’a pas le droit de modifier la Constitution, qu’il n’est pas démocratique de le consulter par la voie référendaire, et que le recours à de tels procédés aboutirait à une «démocratie populiste».

La tromperie juchée derrière une chaire ! Voilà le spectacle que donne à voir le goût immodéré pour les figures de style qu’entretiennent certains professeurs de droit, car parler de «démocratie populiste» revient à parler de «démocratie populaire» – à moins qu’un inavouable mépris du peuple se soit posé sur la langue de ces messieurs – et cette formule est un impeccable pléonasme ! Cette assourdissante chevauchée des mensonges achève d’obscurcir l’esprit civique, en faisant croire par le maniement de mots polysémiques que l’anti-démocratie se trouve dans la volonté de redonner au peuple souverain ses prérogatives constitutionnelles. Si le terme de République désigne le salon des idées saintes, alors rien n’est plus anti-républicain que de sacrifier la langue sur l’autel de la fourberie.

La malléable sphère de respectabilité républicaine

Constitue traditionnellement un des fondements du républicanisme l’amour de la patrie où s’est établi l’État, et d’où ont jailli ses lois. Insulter d’anti-républicain l’électorat d’un parti qui soutient la constitution sociale de la France, l’héritage protéiforme des ancêtres, ses mœurs et ses lois, c’est incendier plus de deux siècles d’acculturation républicaine, laquelle s’est justement opérée en dressant les âmes à la patrie nouvelle.

Si l’exaltation de l’unité nationale est haineuse et anti-républicaine, faut-il en conclure que depuis Robespierre et Danton la France est d’extrême droite ? Anathématiser et pousser dans la bouillasse des patriotes en les traitant de racistes, de xénophobes, d’anti-démocrates et tout le baragouin, c’est montrer le vrai visage de l’anti-républicanisme. Cet insipide ragoût cacochyme, que l’on sert avec une cuillère rouillée dans la bouche d’une frange du peuple français en lui apprenant qu’il existe une droite «républicaine» et une droite «extrême», a aujourd’hui démontré son écoeurance, et il est recraché à la figure des sycophantes et des prononceurs d’expulsion du champ de la respectabilité républicaine. Il n’y a que par un brillant tour de force politique que l’on parvient à faire croire qu’un parti pourtant respectueux des lois est la réincarnation terrestre du diable.

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En réalité, l’anti-républicain est historiquement – depuis 1789 en France – celui qui veut renverser la République, au profit d’une restauration de la royauté, ou bien de l’instauration de la dictature du prolétariat. Depuis la Révolution et l’avènement du parlementarisme, l’extrême droite correspondait aux contre-révolutionnaires, aux ultras, aux monarchistes ou encore aux légitimistes puis aux antisémites et anti-dreyfusards. Aux antipodes, l’extrême gauche s’est révélée successivement sous les formes des jacobins, montagnards, républicains, socialistes, anarchistes puis marxistes et communistes. L’histoire accomplissant son office, elle a entraîné la déflagration d’une partie de cette taxinomie politique, ne laissant derrière elle que des termes dénués d’adaptation aux cadres actuels. Ils n’ont plus aucune valeur heuristique, et en condamnant allègrement son adversaire au rang de «l’extrême droite», on oublie qu’il existe encore une portion résiduelle d’individus réellement racistes, antisémites, et enclines à l’usage de moyens violents pour parvenir à la réalisation de leurs desseins. Mais l’antisémitisme n’est arithmétiquement plus l’apanage de l’extrême droite ; le racisme n’a jamais été aussi décontracté depuis qu’il s’est affranchi des frontières politiques pour passer dans l’indigénisme, et le recours à la violence et la privation des libertés qui permettaient de caractériser le fascisme hier, permet aujourd’hui de reconnaître l’extrême gauche qui bloque et saccage les lieux de savoir. A Sciences Po Paris, c’est même la bravoure d’une association «d’extrême droite» qui a pu rétablir l’ordre républicain, et libérer un site que des saltimbanques salissaient de leurs utopies.

À Paris en 2022, durant l’entre-deux tours, la résistance s’organise © Thomas COEX / AFP

La signification des termes rétablie, quel gazouilleur peut prétendre sans facétie que l’extrême droite avait des représentants dans cette élection présidentielle ?

Les vrais anti-républicains

Ceux qui proposent d’instaurer une dose de démocratie dans notre régime représentatif actuel, soit en instaurant une dose de proportionnelle aux élections législatives ou bien dans la consécration constitutionnelle d’un référendum d’initiative citoyenne, ceux qui ne rougissent pas de faire briller les symboles français et républicains, sont ceux sur qui un camp déclinant vide le seau de la tourbe dé-républicanisante. Aussi, le sens des mots rétabli, le spectacle de l’inversion des rôles paraît bien affriolant. On repense alors au candidat du parti communiste qui hésite sur le point de savoir si Staline est un camarade ou non. Un tel candidat déchu n’oserait pas, sans heurter la pudeur, appeler à un front républicain ? Une candidate qui scande mécaniquement un slogan antifasciste contre le Rassemblement national et la Reconquête, identifiant dès lors ses adversaires – pourtant parrainés et aux candidatures validées par une institution de la République qu’est le Conseil constitutionnel -, à des fascistes, oserait-elle évoquer un front républicain ? Un candidat s’identifiant lui-même à la République et dont la caste empêche les forces de l’ordre d’effectuer une perquisition légalement ordonnée et régulièrement effectuée, aurait-il la hardiesse d’appeler à un barrage contre la haine ? Un candidat traitant un adversaire de «juif de service» aurait-il l’indécence d’appeler de ses vœux à un front républicain ? Les diabolisants d’antan, au fond, n’étaient que les continuateurs de Saint-Just, lequel soutenait que «la volonté générale n’est pas la volonté de tous, mais la volonté des purs». Ce même Saint-Just qui avec tous ses homologues illuminés a précisément inventé, avant Lénine et Staline, le procédé rhétorique par l’effet duquel l’adversaire est transformé en «ennemi de la liberté» ou en fasciste, dont les idées comptent aussi peu que la parole. Dès lors le cadre éristique qui s’impose, celui d’une criminalisation de la pensée fondée sur un discours eschatologique, n’est plus celui de la dialectique, mais la lutte entre la légalité et l’illégalité, les bons contre les méchants.

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Ainsi sous le règne commençant d’un jour nouveau les épouvantails chancellent, et trébuchent devant la force du vent soufflé par l’élan libérateur que la France caresse. Le théâtre antifasciste compte dans sa troupe quelques irréductibles qui poursuivent les galipettes fascisantes, les acrobaties morales, mais les machines et les rouages subissent l’usure du temps. Le plancher craquelle, la corbeille se vide, les citoyens se lassent. Acta est fabula.  Ainsi s’achèvent quarante années durant lesquelles les termes de «nation», de «patrie», «d’amour de la France» ont été jugés nauséabonds, quarante années au terme desquelles il paraît suspect d’exhiber un drapeau de la France – celui de la République – ou d’entonner la Marseillaise –  celle de la République –  en somme, quarante années pendant lesquelles le débat intellectuel a été recroquevillé dans l’étroitesse de la plus vétuste des geôles bâties par le mensonge anti-républicain, et gardées par les argousins de la bonne pensée.

De grâce, jamais les étalagistes du progressisme et les diseurs d’anathèmes n’ont paru si funéraires, et jamais l’idée vraiment républicaine de passion nationale n’a semblé si neuve.



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