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Que faire des femmes de retour du califat et de leurs lionceaux?

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32 mineurs vivant dans des camps kurdes ont rejoint la France, mardi 24 janvier. Ainsi que 15 femmes, loin d’être repenties. Que l’on soit pour ou contre ce “rapatriement” des djihadistes, le vrai problème n’est jamais vraiment posé. Analyse.


Continuant à rompre avec la politique dite « du cas par cas » qui lui avait valu les foudres bien-pensantes et hypocrites du « Comité contre la torture » de l’ONU, du « Comité des droits de l’enfant » et de l’inénarrable Cour européenne des droits de l’homme, la France vient de rapatrier 15 femmes jihadistes et 32 enfants, retenus jusqu’ici dans un camp de prisonniers en Syrie, à Roj, sous administration kurde. Et si cette décision suscite de légitimes critiques, le véritable problème n’est hélas que très rarement abordé.

Précisons d’abord qu’il s’agit bien de femmes jihadistes. Qu’elles aient ou non porté les armes, elles ont activement soutenu le jihad et collaboré volontairement à l’un des pires régimes totalitaires de l’histoire de l’humanité. Toutes s’étaient rendues de leur plein gré dans les zones contrôlées par les groupes jihadistes, toutes savaient parfaitement ce qu’elles faisaient. Il faut lire et relire les témoignages bouleversants des femmes Yézidies pour ne jamais oublier à quel degré d’abomination celles qui vont être rapatriées (comme celles qui l’ont déjà été) ont participé, et de quelles monstruosités elles se sont rendues complices et coupables. Parler de « femmes de jihadistes » pour relativiser leur culpabilité ne sert qu’à cracher au visage de toutes les victimes de l’État Islamique (EI) : ces femmes égalent en ignominie les gardiennes des camps de concentration, et méritent le même sort que les nazis condamnés à Nuremberg.

On ne peut catégoriquement refuser de récupérer ces criminelles en France

Précisons également que l’on ne peut évidemment pas appliquer le même raisonnement à leurs enfants. Endoctrinés, dressés à devenir des monstres, ceux-ci ne sont évidemment pas coupables du lavage de cerveau infligé par leurs parents et les sbires de l’EI. Pour autant, il serait irresponsable d’oublier qu’ils sont extrêmement dangereux, et que protéger autrui du danger qu’ils représentent doit être prioritaire : leurs victimes potentielles, elles non plus, ne sont pas coupables du conditionnement de ces enfants, et n’ont pas à en subir les conséquences.

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Faut-il rapatrier ces femmes et ces enfants ? La réponse ne nous appartient pas réellement, pas plus qu’elle n’appartient à l’ONU ou à la CEDH. Si des étrangers venaient sur notre sol commettre ne serait-ce qu’une fraction des crimes auxquels ces jihadistes ont participé, nous exigerions à juste titre de décider de leur sort, et ne tolérerions pas que leurs pays d’origine nous empêchent de rendre la justice. Bien sûr, la situation de la Syrie et de son territoire est complexe. Mais il n’en demeure pas moins que les victimes de l’État Islamique ont des droits sur ces femmes, et doivent pouvoir les exercer.

La passivité d’aujourd’hui fait le lit des tragédies de demain

De même, nous ne devons pas oublier que nous-mêmes exigeons de pouvoir expulser les délinquants étrangers, n’en déplaise à notre gouvernement. Dès lors, quoi de plus normal que de devoir récupérer les criminels de nationalité française partis à l’étranger ?

Enfin, et malgré le danger qu’ils représentent, des enfants de nationalité française ont droit à un minimum de protection de la part de l’État, quels que soient les torts de leurs parents.

Sauf donc à déchoir ces femmes et leurs enfants de leur nationalité française, nous avons une double obligation : permettre à leurs victimes et à la Syrie d’exercer la justice comme elles l’entendent, d’abord, et assumer notre responsabilité dans le sort de nos ressortissants, ensuite.

Hésitation, tergiversations, laxisme: nos maux français

Pour autant, ces rapatriements sont-ils satisfaisants ? Bien sûr que non ! Pourquoi ? Parce que nous savons tous pertinemment qu’une fois qu’ils arrivent ici, la France se refuse à les traiter comme ils devraient l’être, qu’il s’agisse des jihadistes de l’État Islamique ou de leurs enfants. Et c’est là le véritable problème, c’est pour cette raison que beaucoup s’inquiètent de ce rapatriement et même le refusent, pour cette raison que le gouvernement a tant tergiversé.

Le Quai d’Orsay a beau jeu de dire que « les mineurs ont été remis aux services chargés de l’aide à l’enfance et feront l’objet d’un suivi médico-social », et d’ajouter que « les adultes ont été remis aux autorités judiciaires compétentes ».

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Ces femmes qui ont servi l’EI doivent être mises définitivement hors d’état de nuire, ce qui supposerait pour elles la perpétuité réelle ou une condamnation à mort – ce qui est exclu en France. Notre institution judiciaire est notoirement frileuse à l’idée de la perpétuité réelle, et nous nous sommes interdit l’autre solution. Pourtant, les récriminations indécentes de certaines de ces femmes (et de leurs familles) montrent bien qu’elles n’éprouvent pas d’authentiques remords, et qu’il est indispensable de les briser car à ce jour elles ne craignent pas véritablement la France (exactement comme Salah Abdeslam), ce qui est en soi un échec cuisant, et permet de douter très sérieusement de la force dissuasive que l’Etat saura exercer vis-à-vis d’elles dans la durée. Si une rédemption est possible pour certaines d’entre elles, celle-ci ne relève certainement pas des pouvoirs publics, ni de la société, mais d’une espérance métaphysique qui ne saurait être instrumentalisée pour servir d’excuse à un quelconque laxisme judiciaire.

Quant aux enfants, au regard de l’inefficacité évidente des services concernés dans la prise en compte des mineurs délinquants « ordinaires » (je renvoie le lecteur aux remarquables travaux du Dr Maurice Berger sur le sujet), de l’exemple pathétique des « centres éducatifs fermés » qui n’ont de « fermé » que le nom, de la récidive systémique, des profils douteux de certains « éducateurs », des fiascos à répétition avec des mineurs non accompagnés, et ainsi de suite, les déclarations du Quai d’Orsay sont décidément bien cyniques.

On le voit, le problème n’est pas de rapatrier ces femmes et ces enfants, le problème est de refuser collectivement d’agir envers eux comme nous le devrions. Par manque flagrant de volonté politique bien sûr, le mélange de rodomontades et de pusillanimité du gouvernement ne surprenant plus personne, mais pas seulement. Les Français savent manifester pour défendre leurs retraites (et qui le leur reprocherait ?) mais se gardent bien de descendre dans la rue pour exiger un « Nuremberg des jihadistes » et, bien sûr, de l’idéologie qui les anime, et qui a dévoilé toute son abjection dans les crimes de l’État Islamique. Idéologie qui, comme le rappelait il y a peu Rémi Brague, n’est au fond que la stricte application de préceptes du Coran, un livre dont l’apologie a partout pignon sur rue…

La passivité d’aujourd’hui fait le lit des tragédies de demain.

Journalistes invités en secret à l’Élysée: le moulin à fantasmes

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Avant la mobilisation contre la réforme des retraites, le président Macron a organisé un déjeuner secret, au cours duquel il s’est directement épanché auprès de célèbres éditorialistes. Objectif : distiller la bonne parole… Même pas vexée de ne pas avoir été conviée, Elisabeth Lévy donne son avis.


Le président a reçu une dizaine de journalistes en grand secret. Et ça fait jaser. Le secret a duré quatre jours. C’était mercredi 18 janvier, veille de la grande manifestation contre la réforme des retraites. Peut-être le président de la République pense-t-il qu’il est entouré de branquignols incapables de faire l’article de sa réforme ? Son service de presse a invité des éditorialistes de grands médias – qui ne sont pas tous des adversaires politiques – à déjeuner à l’Élysée pour qu’ils s’abreuvent directement à la parole divine. 

Déjeuner de cons?

Seule condition : le secret. Ne pas citer le président de la République. C’est ce qu’on appelle un briefing off. Pour faire passer un message clair : à l’Élysée, même pas peur. 

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Le off, c’est vieux comme le journalisme. Vous pouvez utiliser une info mais pas dire d’où elle vient (on évoque ainsi des « sources proches de l’Élysée », « l’entourage d’un tel ou d’un tel » etc.) Alors oui, on brouille un peu les cartes en transformant les journalistes en porte-parole. 

Mais la parole du président, c’est de l’information autant que celle d’un syndicaliste. Après leur déjeuner, les participants informent leur public sur l’état d’esprit d’Emmanuel Macron – « Il ne croit pas à la victoire de l’irresponsabilité »,« Il tiendra ! » entendra-t-on en boucle.

Est-ce pour autant scandaleux ?

Les airs de déontologues outragés, laissons-les à Daniel Schneiderman (Libération, Arrêt sur Images) et Edwy Plenel (Mediapart). Ce dernier fustige un journalisme de gouvernement. Le journalisme de délation et d’inquisition ne vaut pas mieux. Pour ma part, je ne vais pas donner de leçons aux confrères. Si on avait été invités, on y serait allés. Ne serait-ce que pour en parler dans les dîners, comme s’en amuse Guy Carlier

Mais justement, on n’a pas été invités ! Le problème, c’est l’entre-soi, on reste entre gens du même monde qui parlent le même langage. Des gens du cercle de la Raison, comme l’excellent Alain Duhamel. Il y avait aussi son neveu, Benjamin, qui officie sur BFMTV, et tous les médias convenables, Le Monde, Les Échos, Le Figaro, France Inter… Si certains éditorialistes reprennent ensuite à leur compte (sans citation) des arguments présidentiels, ce n’est pas par servilité mais parce qu’ils pensent comme lui. Cela n’est d’ailleurs pas infamant. Évidemment, autour d’eux, ces gens ne doivent pas avoir beaucoup d’amis qui votent mal. Si le président avait invité des gens de Causeur, de Valeurs Aactuelles, ou de Sud Radio, il aurait pu aussi apprendre des choses. Patrick Roger, par exemple, vous auriez été le porte-parole de cette France des gens ordinaires qui vous parle tous les jours en appelant le standard de Sud Radio.

A ne pas manquer, notre numéro en kiosques actuellement: Causeur: Arrêtez d’emmerder les automobilistes!

Le véritable risque, c’est que ce déjeuner confidentiel alimente le moulin à fantasmes qui prête aux journalistes des calculs tortueux, des collusions cachées et des pouvoirs occultes. En réalité, c’est bien plus simple : cet épisode qui fait couler beaucoup d’encre est la preuve que l’élite politico-médiatique, ça existe.

Le problème, c’est qu’elle n’inspire plus confiance à grand-monde. 


Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez Elisabeth Lévy du lundi au jeudi après le journal de 8 heures, dans la matinale. 

TikTok: la jeunesse est un naufrage (Philippe Muray)

Obsédés par eux-mêmes, nombre de jeunes se complaisent dans une culture de la thérapie qui explique et excuse en termes pseudo-scientifiques leur paresse, leur susceptibilité, leurs vulnérabilités, jusqu’à leur peur de la fin du monde. Et au lieu de se prendre en main, ils chougnent sur TikTok.



Capture d’écran de TikTok, avec le hashtag #ADHD. L’application permet aux annonceurs de cibler les jeunes utilisateurs qui croient souffrir d’un trouble du déficit de l’attention.

La dernière fois que j’ai enseigné dans une université anglophone, c’était pendant la première phase de la pandémie. Mon cours portait sur le traitement des actualités par les médias, et j’ai été surpris quand on m’a transmis la requête d’une étudiante qui demandait que l’examen final ne comporte aucune question sur le Covid-19, puisque ce sujet serait « trop stressant ». Dans son message d’origine, destiné à une secrétaire, l’étudiante ajoutait qu’elle allait s’isoler et se couper de toutes les sources d’information afin de « protéger sa santé mentale ». Au moment où la société combattait un virus inconnu, où des patients luttaient pour leur vie – et que certains la perdaient –, une partie de la jeunesse trouvait parfaitement normal et légitime de se retirer dans une bulle protectrice, à l’abri de cette réalité désagréable. Voilà de quoi justifier l’insulte « snowflakes » (« flocons de neige ») dont les gens plus âgés qualifient les jeunes de la génération Z, nés entre 1997 et 2010, considérés comme trop émotionnels, psychologiquement fragiles, glandeurs, facilement offensés, ne supportant pas la contradiction et imbus d’un sentiment de « tout m’est dû ». À cette insulte, courante depuis 2016, les jeunes ripostent à leurs aînés, nés entre 1945 et 1964, par l’exclamation « OK boomer ! » (« Ta gueule, papi ! »). Certes, les conflits intergénérationnels ont toujours existé : au Ve siècle avant J.-C., Les Nuées d’Aristophane opposent un père travailleur, économe, vertueux, à son fils paresseux, dispendieux, égoïste et adonné à des vices.

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Pourtant, si on regarde les vidéos postées par les jeunes de toutes les nationalités sur TikTok, la plateforme chinoise comptant plus de 1,2 milliard d’utilisateurs actifs, on trouve un monde bizarre où les individus rivalisent pour attirer l’attention générale en se travestissant en animaux de fantaisie, se déguisant selon la « fluidité » de leur « genre », se lamentant de la destruction imminente de la planète et se présentant comme affligés de troubles mentaux dont la plupart ne souffrent pas. Il ne s’agit pas de tous les jeunes de notre époque, mais d’une proportion inquiétante de ceux-ci. Et si ces modes et lubies viennent – comme tant d’autres – d’Amérique du Nord, elles s’infiltrent facilement parmi les populations européennes. Ici, nous sommes face à un phénomène inédit dont l’explication ne se réduit ni à une prétendue faiblesse inhérente aux nouvelles générations ni à une indulgence excessive de la part de leurs parents. Il s’agit de tout le cadre de vie de la société dans laquelle nous vivons aujourd’hui, prise en tenaille entre les technologies numériques et une culture de la peur qui, ensemble, provoquent une crise de l’identité personnelle.

La république des thérapeutes

Les réseaux sociaux numériques sont depuis presque vingt ans la source d’une véritable addiction pour les internautes, surtout les jeunes dont les cerveaux ne sont pas encore entièrement formés. Une étude du centre de cartographie cérébrale de l’Université de Californie à Los Angeles, datant de 2016, met en lumière la réceptivité des jeunes aux alertes et leur quête obsessive de likes qui provoquent des sécrétions de dopamine dans le cerveau. Les conséquences de cette addiction sont une baisse dans la pratique des sports et des activités en plein air, ainsi que des comparaisons obsessionnelles avec d’autres individus, en termes de popularité ou d’image corporelle (surtout pour les filles), aptes à créer un sentiment d’infériorité et une préoccupation excessive sur son statut personnel dans un groupe. Dans une étude réalisée par la société Express VPN en novembre 2021, 86 % des gens interrogés, âgés de 16 à 24 ans, pensaient que les réseaux sociaux avaient un impact négatif sur leur « bonheur ».

Tout cela avait été prédit dans les années 1960 par l’universitaire canadien Marshall McLuhan qui soutenait que la forme de nos médias – qu’il définissait comme des extensions technologiques de notre corps et de notre cerveau – influençait fortement le fond des messages envoyés [1]. Lui qui ne connaissait que la radio et la télévision prédisait déjà que l’évolution des médias électroniques conduirait à un nouveau tribalisme post-nationaliste, chaque citoyen cherchant désespérément une appartenance qui lui apporte consécration sociale et estime de soi. Ce n’est pas le narcissisme débordant de nos jeunes qui trouve à s’exprimer à travers la technologie numérique, mais cette dernière qui engendre une obsession de soi-même et la crise d’identité qui en résulte. Les confinements récents, en plus de ce qu’ils pouvaient avoir de déprimant en eux-mêmes, ont renforcé cette dépendance par rapport aux écrans.

Mais certaines des causes de notre situation actuelle viennent de plus loin que la révolution numérique et remontent aux années 1980 et 1990. Comme le montrent les travaux de Frank Furedi, sociologue canado-magyar basé outre-Manche, c’est à partir de cette époque que, petit à petit, se construit dans nos sociétés occidentales ce qu’il appelle une « culture de la thérapie [2] ». Selon la perspective développée par cette culture, tout défi, tout revers de fortune, voire tout problème de la vie normale est représenté comme une menace pour le bien-être émotionnel de l’individu, un choc pour son estime de soi et la source potentielle d’un trauma durable nécessitant une intervention thérapeutique. Au-delà du rôle concret des psychothérapeutes, le langage et l’imagerie promus par nos institutions tournent autour de la vulnérabilité non seulement physique, mais mentale de l’individu. Bref, toutes les difficultés de la vie sont psychologisées. En détournant le titre d’Albert Thibaudet, La République des professeurs (1927), on peut dire que nous vivons désormais dans une société de thérapeutes où il suffit de s’écrier « I feel unsafe » (« je ne me sens pas en sécurité ») pour attirer l’attention et l’indulgence. Cette société de la thérapie se révèle inapte à la socialisation des enfants, incapable qu’elle est d’inculquer aux nouvelles générations les valeurs du passé et de leur transmettre cette résilience qui a permis jusqu’ici la survie de l’espèce humaine. Si, à la société des thérapeutes, on ajoute la technologie, le résultat est TikTok.

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Êtes-vous neurodivergent ?

Nos adolescents, tourmentés par leur crise d’identité, formatés par la culture thérapeutique, ne se tournent pourtant pas vers les professionnels de la santé mentale, mais vers internet. C’est sur TikTok en particulier que circulent pléthore de vidéos où des individus partagent les symptômes de leurs souffrances psychiques. C’est là que se constituent des groupes de personnes en proie aux mêmes afflictions mentales qui prodiguent des conseils permettant aux néophytes de faire leur autodiagnostic. Vous avez des difficultés à vous concentrer, à accomplir des tâches ennuyeuses ou difficiles ? Vous souffrez du Trouble du déficit de l’attention avec/sans hyperactivité (TDAH). Vous ressentez de l’anxiété ? Votre cas est celui d’un Trouble anxieux généralisé. Vous êtes sujet à des changements d’humeur ? Trouble bipolaire ! Il vous semble parfois que vous êtes habité par des personnalités différentes ? Trouble dissociatif de l’identité ! Vous avez des difficultés à entretenir des relations avec autrui ? Vous vous situez quelque part sur le spectre de l’autisme… N’importe quelle difficulté banale – de celles que nous connaissons tous – peut être interprétée comme le signe d’une pathologie qui explique et justifie les problèmes d’un individu, renforce et légitime ses échecs, son impuissance, son inaction. Une fois qu’il a enfin trouvé son diagnostic, l’individu peut l’afficher devant les autres. C’est ainsi que le vrai stress induit par les réseaux sociaux est compensé par l’exhibition d’un statut privilégié de souffrant.

Ce qui rend possible ces autojustifications sous forme d’autodiagnostics, c’est que nous parlons de plus en plus de troubles flous qui n’ont pas encore de statut médical officiel, mais qui en ont les apparences. Un exemple notoire – et très commode pour les jeunes – est la « scolionophobie » ou la peur de l’école. Mais même quand il s’agit de pathologies très réelles qui sont répertoriées dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, dont le dernier avatar, le DSM-5, date de 2015, les interprétations peuvent être élastiques. C’est notamment le cas du spectre de l’autisme, qui va des cas les plus sévères aux plus légers sur lesquels des individus pourtant en bonne santé peuvent se projeter. Certes, nous savons depuis longtemps que les frontières entre le normal et le pathologique sont instables, mais ce genre d’amalgame est favorisé par le concept de neurodiversité. Ce terme non médical a été forgé en 1998 dans une bonne intention, celle de donner une image positive de ceux qui souffrent notamment de Troubles du spectre de l’autisme. Un individu « neurodivergent » est quelqu’un dont le cerveau est atypique, dont les défis et les qualités positives ne sont pas les mêmes que ceux des « neurotypiques ». Bien que les neurodivergents puissent présenter des difficultés d’apprentissage ou peiner à entretenir les relations sociales, ils peuvent aussi avoir des dons exceptionnels en mathématiques ou en arts plastiques.

Pourtant, cette vision excessivement positive a été survendue au grand public, y compris par des professionnels de la santé qui ont souvent un intérêt commercial à attirer des clients. On trouve fréquemment sur internet des listes de personnes célèbres censées être ou avoir été neurodivergents : Einstein, Marie Curie, Van Gogh, l’acteur Anthony Hopkins, le footballeur Lionel Messi – et bien sûr Greta Thunberg. Il est tentant d’ajouter son nom à ces augustes lignées pour se singulariser devant les autres dans un geste qui mélange à la fois l’autocompassion et l’autoglorification. On excuse ses points faibles et on transforme ses points forts en pouvoirs de super-héros. On peut aussi intégrer une communauté en ligne, rejoindre une tribu dont les membres sont unis à la fois dans leur souffrance et leur supériorité. Enfin, on est inattaquable parce que victime : les critiques et les adversaires, aveuglés par leur « capacitisme », sont aussi peu ouverts à la diversité (dont la neurodiversité est une forme) que les racistes et les machistes. Vulnérable, je deviens invulnérable.

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La fin des temps

Pourtant, n’y a-t-il pas de vraies raisons d’être inquiet ? Le monde, à cause de la paresse et de l’égoïsme des boomers et des générations X et Y, ne va-t-il pas bientôt finir dans une apocalypse écologique ? Cette possibilité a donné naissance à un autre trouble qui n’est pas encore entré dans le DSM-5 : l’éco-anxiété. L’individu qui en souffre est en proie à des émotions de colère, de culpabilité et de désespoir provoquées par son impuissance face à l’inévitabilité de la catastrophe climatique. Une étude réalisée cette année pour l’Académie américaine de la médecine du sommeil suggère que 70 % d’Américains auraient souffert d’insomnie à cause de l’éco-anxiété. Beaucoup de psychothérapeutes ne sont pas encore formés à traiter ce trouble, car comment gérer l’inévitable ? Comment se préparer à la fin des temps ?

On peut se consoler avec la mode des « animaux de soutien émotionnel » qui se multiplient. Ce ne sont pas de vrais animaux d’assistance comme des chiens-guides, mais on peut les emmener un peu partout si on a une lettre d’un thérapeute attestant que la bête contribue à son bien-être psychologique. L’École de médecine de Harvard et l’École de droit de Yale fourniraient de tels animaux dans leurs bibliothèques pour rassurer les étudiants. On peut aussi décider de sortir de cette culture thérapeutique, de refuser le double rôle de victime et d’accusateur des autres et enfin de tourner le dos aux mondes numériques et virtuels qui nous mesmérisent et nous infériorisent. On peut encore proclamer comme le poète Rimbaud à la fin d’Une Saison en enfer : « moi qui me suis dit mage ou ange, dispensé de toute morale, je suis rendu au sol, avec un devoir à chercher, et la réalité rugueuse à éteindre ! »


[1] Marshall McLuhan, Pour comprendre les médias es prolongements technologiques de l’homme (1964 ; traduction française, 1968).

[2] Frank Furedi, Therapy Culture (2004) et How Fear Works (2018).

Ouvrez, ouvrez la cage aux oiseaux bleus!


Il l’avait dit : « I’ll be back », et tel un célèbre gouverneur de Californie (et robot du futur), il l’a fait : Jean Messiha est de retour sur Twitter ! Et il est toujours aussi à l’aise pour alterner les analyses de fond et les punchlines bien senties. À la fois pied de nez au politiquement correct, autodérision assumée et clin d’œil complice à ses nombreux fans, sa vidéo de retour (voir plus bas) est à elle seule un véritable manifeste jubilatoire.

Twitter, une agora indispensable pour les hommes politiques

Mardi 24 janvier, Jean Messiha a reçu un mail de Twitter l’informant que son compte était rétabli dans le cadre d’un « programme de réintégration » (reinstatement program), qui non seulement lui rend son compte, mais le lui rend avec ses abonnements et ses abonnés intacts. Comme d’autres, son compte avait été suspendu pour des raisons faciles à deviner mais jamais avouées, l’ancienne direction de Twitter ayant toujours gardée obscure la réalité de sa politique de censure. Mais Elon Musk est arrivé, et avec lui les Twitter files et un vent de liberté et de vérité. Car le milliardaire n’a pas seulement rétabli la liberté d’expression sur son réseau, il a prouvé par l’exemple une vérité cruciale: comme Jean Messiha lui-même le souligne à juste titre, dans l’Occident d’aujourd’hui, seule la droite préserve la possibilité même du débat d’idées et de la confrontation démocratique, alors que la gauche « progressiste » utilise tous les prétextes pour imposer sa censure. L’Académicien François Sureau a dit tout ce qu’il y a à dire sur cette soi-disant « lutte contre la haine » : « gouvernement et Parlement ensemble (ajoutons-y les directions militantes de réseaux sociaux) prétendent, comme si la France n’avait pas dépassé la minorité légale, en bannir toute haine, oubliant qu’il est des haines justes et que la République s’est fondée sur la haine des tyrans. La liberté, c’est être révolté, blessé, au moins surpris, par les opinions contraires. Personne n’aimerait vivre dans un pays où des institutions généralement défaillantes dans leurs fonctions essentielles, celle de la représentation comme celles de l’action, se revancheraient en nous disant quoi penser, comment parler, quand se taire. » Avec Elon Musk, non seulement Jean Messiha peut à nouveau s’exprimer sur Twitter, mais ceux qui l’en avaient fait bannir n’ont pas été bannis à leur tour : eux aussi peuvent écrire, répondre et débattre. Enfin, ils le pourraient s’ils avaient des arguments, mais c’est une autre histoire !

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Le sujet pourrait sembler anecdotique, il n’en est rien: sans remplacer le travail de terrain, Twitter est devenu une agora indispensable pour quiconque s’engage dans l’action politique, un espace de débats, de questions impertinentes et de suggestions absurdes ou géniales, de rencontres parfois inattendues mais fructueuses, d’abord virtuelles puis réelles, un lieu où chacun a une chance de se faire entendre. Prenons l’exemple de Jean Messiha : il a plus de 160 000 abonnés, et son tweet de retour a été vu près de 550 000 fois au moment où j’écris ces lignes, c’est-à-dire en moins de 24 heures. Rares sont les outils qui permettent de toucher autant de personnes en aussi peu de temps, et parce que nombre de journalistes suivent avec attention l’oiseau bleu pour y trouver les sujets qui parlent au public, le retentissement est encore démultiplié.

Un espace de liberté très critiqué

Certains éditorialistes ont beau jeu de critiquer Twitter : bien sûr, on y trouve parfois les pires horreurs et des sommets d’imbécillité – mais ce commentaire s’applique aussi aux propos de certains éditorialistes, sans parler d’un nombre non négligeable de parlementaires… Ah, qu’il est tentant lorsqu’on est bouffi d’arrogance de vouloir restreindre la liberté d’autrui au droit de faire de sa liberté un usage que j’approuve ! Au nom d’une noble cause, naturellement : tous les tyrans, depuis toujours, ont ce genre d’arguments. Mais regardons en arrière, en excluant les dernières années pour lesquelles, par définition, nous manquons de recul : il n’y a pas un seul exemple de censure qui ait été préférable à la liberté d’expression, du procès de Socrate aux procès staliniens en passant par celui de Galilée, la mise à l’index de Montaigne, de Montesquieu, de Kant, la traque des lettrés par Qin Shi Huangdi, les livres d’Averroès brûlés à sa mort par les autorités musulmanes, et les séances d’autocritique maoïstes. Est-ce à dire que ceux qui ont été censurés ont toujours eu raison sur tout ? Bien sûr que non. Mais ceux qui les ont censurés non plus, loin de là, et il n’est jamais bon d’étouffer la flamme de la pensée, qui nécessite la libre confrontation des idées et des arguments pour « frotter et limer notre cervelle contre celle d’autrui. »

Alors merci Elon Musk, bon retour Jean Messiha, et vive la liberté !

Quête d’identité

« Retour à Séoul », le nouveau film de Davy Chou avec Park Ji-Min, est l’aventure, loin des clichés, du retour aux sources d’une enfant adoptée.


Davy Chou est un cinéaste rare – à tous les sens du mot. Son premier long métrage, « Diamond Island », remonte à 2016. Ce film âpre, généreux, admirablement réalisé, a pour cadre un chantier lancé par des promoteurs immobiliers sur une île de Phnom Penh, où un garçon de la campagne, parmi d’autres jeunes ruraux, est venu travailler pour nourrir sa famille. Il retrouve là son frère aîné, qui a su s’adapter à la capitale, mais d’une toute autre manière…  

Entre temps, Davy Chou a produit « White building », long métrage de fiction (réalisé sur la base d’un documentaire auquel il emprunte jusqu’à son titre) sur la destruction d’un édifice moderniste de la capitale et le devenir de ses résidents. Ou encore, il y a deux ans, « Onoda », film français d’Arthur Harari tourné dans la jungle cambodgienne.

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A présent, le réalisateur franco-cambodgien a choisi de situer l’intrigue de son nouveau film non plus au Cambodge mais en Corée. Freddie (Park Ji-Min), 25 ans, adoptée lorsqu’elle était bébé par un couple français, décide brusquement, sur un coup de tête, au milieu d’un périple avorté vers le Japon, d’y partir à la recherche de ses parents biologiques.

Si elle a les traits d’une native du « pays du matin calme », elle n’en connaît ni la langue, ni les usages, ni la culture. Bravache, provocatrice, Freddie est une femme émancipée, dans une confrontation permanente avec elle-même, mais également avec ceux qui croisent son existence. En trois parties, naviguant du français au coréen et à l’anglais, « Retour à Séoul » accompagne les bifurcations de l’héroïne sur une durée de huit ans : recherches auprès d’un institut centralisant les données sur les adoptions ; retrouvailles hautement problématiques avec ce géniteur provincial qui, trop misérable pour l’élever dans cette époque tragique du Cambodge, n’avait pas eu d’autre choix que de l’abandonner à des étrangers – traumatisme réactivé par la réapparition de sa fille ; installation de Freddie à Seoul, immergée dans les milieux underground, et désormais conseillère internationale au sein d’une entreprise française qui négocie la vente de missiles….

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Héroïne ? Pas tout à fait. Car Davy Chou s’est ingénié à subvertir tous les clichés sur le « retour aux sources », faisant même de Freddie un personnage plutôt rebutant. À ses dépens, le jeu un tantinet agressif de l’actrice, Park Ji-Min, ajoute à la difficulté, pour le spectateur, d’être dans l’empathie avec un caractère campé de façon aussi ingrate. Réflexion sur l’identité, – est-on le produit inconscient, ou souterrain, de ses origines organiques ? Mais dans quelle mesure, aussi bien, peut-on se construire dans l’ignorance ou le déni de sa propre histoire ? – le film renvoie, bien sûr, à la propre biographie de Davy Chou, né en France de parents nés au Cambodge. Comme ce dernier le dit très bien dans l’entretien qui accompagne le dossier de presse: « Sur la question de l’identité, de l’intégration, on rencontre beaucoup de schéma fictionnel prémâché: en un coup de baguette magique, les personnages finissent en paix avec eux-mêmes. Dans les histoires d’adoption, on pourrait penser que la rencontre avec le parent biologique referme la blessure. Or, dans les récits que j’ai pu recueillir, c’est justement le début des problèmes ». Et tout l’enjeu de ce « Retour à Séoul », d’une âpreté sans artifice. 

Retour à Séoul. Film de Davy Chou. Avec Park Ji-Min, Louis-Do de Lencquesaing, Yoann Zimmer, Emeline Briffaud… France, Allemagne, Belgique, Qatar. Couleur, 2022.  Durée : 1h59. En salles le 25 janvier.

Allons enfants de la batterie !

Les premiers véhicules électriques ont été brevetés il y a près de cent cinquante ans ! Aujourd’hui encore, leur point fort demeure le moteur mais la batterie reste leur principale faiblesse. Sa fabrication nécessite de telles quantités de métaux stratégiques qu’elle représente aussi une aberration écologique. C’est pourtant ce modèle que nous imposent nos dirigeants.


Les batteries passent souvent pour le composant essentiel de la voiture électrique. Mais c’est bien son moteur qui lui donne son identité et ses performances. Il suffit de se trouver à côté d’une voiture électrique à un feu rouge pour ressentir la différence en termes d’accélération lors du démarrage.

Cette différence tient au couple de la voiture électrique qui a la propriété d’atteindre son maximum quasi immédiatement. Le couple mesure la capacité d’accélération. Un moteur thermique atteint son couple maximum aux alentours de 1 500 à 2 000 tours par minute pour un diesel et plutôt autour de 3 000 tours pour une essence, tandis qu’un moteur électrique en dispose dès les premiers tours.

Simplicité contre complexité

La différence est liée au fonctionnement des deux types de moteurs. Un moteur thermique automobile, c’est-à-dire un moteur à explosion, a, par construction, besoin d’un certain délai pour délivrer sa pleine puissance. Il s’agit même d’une véritable usine à gaz. Au sens propre et figuré. Qu’il soit à essence ou diesel, le moteur doit passer par quatre temps (admission, compression, combustion-détente, échappement) qui actionnent les pistons et les bielles, et font tourner le vilebrequin, lequel, via un arbre de transmission et une boîte de vitesse, entraîne les roues… Véritables exploits mécaniques, les moteurs à explosion transforment l’énergie provenant de l’explosion du mélange air-carburant en mouvement de rotation des roues.

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En comparaison, le moteur électrique se révèle d’une simplicité extrême. L’interaction entre un courant électrique et un champ magnétique engendre une force mécanique. Il suffit de deux composants principaux, le stator et le rotor, alimentés par du courant pour obtenir le moteur. La découverte de ce phénomène ne date pas d’hier. Dès 1821, le physicien anglais Michael Faraday obtient une rotation électromagnétique. Dans les années 1830, plusieurs brevets de moteurs électriques sont déposés et, en 1886, c’est Nikola Tesla qui brevette une première « machine électrique-dynamo ». Les brevets concernant les moteurs à explosion datent de la même époque – 1862 : cycle à quatre temps de Beau de Rochas développé par Nikolaus Otto en 1867 et Gottlieb Daimler en 1887.

La suprématie du moteur à explosion n’est donc pas liée à son antériorité ni à ses performances. Le rendement énergétique d’un moteur thermique est très inférieur. Il varie de 36 % pour un moteur à essence à 42 % pour un diesel. Ces chiffres, théoriques, sont liés à la transformation de l’énergie thermique en énergie mécanique. Une partie importante de l’énergie fournie par le carburant est perdue sous forme de chaleur.

La faiblesse des batteries

Côté moteur électrique, le rendement théorique atteint les 90 %. Dans la pratique, en tenant compte des pertes liées à la recharge des batteries, il se situe entre 55 et 60 %, grâce à l’absence de chaleur dans le cycle de production de l’énergie motrice.

Alors pourquoi l’usine à gaz a-t-elle si longtemps supplanté l’électricité ? Pourquoi des générations d’ingénieurs se sont-elles évertuées à perfectionner un moteur moins efficace ? La réponse est fort simple. Si un tiers des voitures circulant en 1900 étaient électriques, l’industrialisation de la Ford T, en 1908, a changé la donne. Dans le même temps, les multiples découvertes de gisements de pétrole ont permis au moteur thermique de s’imposer. Les voitures électriques, elles, n’ont pas réussi à éliminer leur talon d’Achille : les batteries. Leur fabrication très polluante nécessite des quantités considérables de métaux stratégiques et d’énergie. Bien entendu, les batteries vont continuer à faire des progrès, mais il est peu probable qu’elles puissent offrir rapidement une autonomie de 1 000 km pour un temps de recharge de cinq minutes en dépit des promesses et des annonces fracassantes entendues toutes les semaines…. depuis dix ans.

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Pour donner un ordre d’idées, pour fabriquer une batterie lithium-ion de 400 kg d’une technologie classique pour un véhicule électrique tout aussi classique, il faut 15 kg de lithium, 30 kg de cobalt, 60 kg de nickel, 90 kg de graphite et 40 kg de cuivre. Plus parlant encore, pour obtenir les 15 kg de lithium nécessaires, il faut traiter dix tonnes de saumure de lithium. Pour obtenir les 30 kg de cobalt, ce sont 30 tonnes de minerai. Pour les 60 kg de nickel, on en est à cinq tonnes de minerai. Il faut six tonnes pour les 40 kg de cuivre et une tonne pour les 90 kg de graphite.

L’hydrogène peut changer la donne… un jour

Cependant, il est possible de s’affranchir de ces limites et d’avoir le meilleur des deux mondes, le moteur électrique tout en se passant des batteries. À l’époque des premiers brevets sur les moteurs électriques, en 1839, le chimiste allemand Christian Schönbein découvre l’effet pile à combustible. Le principe repose sur une double réaction chimique : l’oxydation sur une électrode d’un combustible réducteur et la réduction d’un oxydant sur l’autre électrode. Le résultat est une production d’électricité. Pour l’obtenir, il suffit de deux combustibles : l’hydrogène (H2) et l’oxygène (O2). Le premier doit être produit à partir, par exemple, de la molécule d’eau (H2O) et le second est contenu dans l’air.

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Concrètement, il suffit d’installer un réservoir d’hydrogène sous pression dans une voiture et une pile à combustible pour obtenir une voiture électrique qui se passe presque de batteries. Elle produit sa propre électricité. Pour l’alimenter, on se contente de remplir le réservoir d’hydrogène dans une station-service équipée. L’opération ne dure que quelques minutes comme pour le remplissage d’un réservoir d’essence.

D’où la question : pour quelles raisons le couple moteur électrique – pile à combustible n’apparaît-il pas, aujourd’hui, comme la solution idéale pour la transition énergétique dans le transport routier ? Pour deux raisons. Parce que fabriquer de l’hydrogène décarboné demande beaucoup d’électricité elle-même décarbonée. Et depuis des décennies, les gouvernements ont sous-investi dans les capacités de production électrique. Ensuite, parce que sous la pression des mêmes gouvernements et des institutions européennes, les constructeurs automobiles ont investi des dizaines et des dizaines de milliards d’euros dans le véhicule électrique à batteries… Le rôle des politiques est bien de fixer des objectifs à atteindre par les industriels et les ingénieurs. Mais il n’est certainement pas de leur dicter les technologies à utiliser.

Le fantasme du tout-électrique

La voiture électrique n’a pas que des avantages. Chère à l’achat, elle est sensible aux variations climatiques, son autonomie reste limitée et le temps de recharge dépend de sa batterie – et des prises existantes! Quant à sa valeur à la revente, elle baisse aussi vite que la technologie progresse.


Si les véhicules électriques à batterie s’imposent, ils le doivent à la nécessaire électrification des transports pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et pas à leurs qualités propres. Leurs performances, leurs prestations et leur facilité d’usage sont inférieures à celles de leurs homologues à moteur thermique. Le véhicule électrique est plus simple à fabriquer que son homologue à moteur thermique, son efficacité énergétique est supérieure, mais il présente de nombreux inconvénients pour l’automobiliste. On peut pointer dix faiblesses des véhicules électriques à batterie.

L’autonomie réelle

L’utilisation d’un véhicule 100 % électrique est fondamentalement différente de celle d’un véhicule thermique. Elle doit prendre en compte une contrainte supplémentaire, celle de la planification de sa recharge en fonction de son autonomie et de son usage prévus. L’autonomie est variable et dépend des performances du véhicule, et plus particulièrement de sa batterie, mais aussi de son utilisation (ville, route, autoroutes, montagne…) et de la météorologie (grands froids, fortes chaleurs).

La puissance des centaines de kilos de la batterie embarquée a beaucoup augmenté au cours des dernières années et les trajets quotidiens ne présentent aucun problème. Il en va tout autrement des longues distances à allure soutenue sur autoroute.

Le coût

Même si, sur l’ensemble de sa durée de vie, un véhicule électrique coûte aujourd’hui au total et en théorie moins cher qu’un équivalent thermique, au moins en bas de gamme, et si les offres se sont considérablement élargies, le coût d’acquisition reste élevé et encore inaccessible aux ménages modestes. Par ailleurs, les véhicules électriques sont encore rares sur le marché de l’occasion qui est de loin celui sur lequel les transactions sont les plus nombreuses.

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Le coût de fabrication du groupe motopropulseur

Le problème du coût élevé à l’achat et à la fabrication d’un véhicule électrique tient avant tout à celui de son groupe motopropulseur et plus particulièrement de sa batterie. Ainsi, pour une voiture à moteur thermique, le groupe motopropulseur représente 18 % du coût de fabrication. Pour un véhicule électrique, cela représente 51 %. Cela signifie que pour faire baisser le prix de vente d’une voiture électrique, il faudra réduire dans des proportions importantes le coût de fabrication des batteries et des moteurs électriques. Même si les capacités de production augmentent rapidement, l’envolée des coûts des matières premières n’est pas vraiment de bon augure.

L’utilisation intensive de métaux stratégiques

Les véhicules électriques permettent de réduire les émissions de gaz à effet de serre, quand on les recharge avec de l’électricité décarbonée comme en France, beaucoup moins en Chine avec de l’électricité provenant de centrales à charbon. Mais leur fabrication laisse une empreinte carbone et environnementale deux à trois fois supérieure à celle d’un véhicule thermique. Cela tient aux matières premières et aux métaux nécessaires à la fabrication des batteries et des moteurs électriques.

Le temps de recharge

Il s’agit d’un élément très important pour la facilité d’usage d’un véhicule électrique. Les progrès réalisés au cours des dernières années sont importants et il est possible de recharger à près de 80 % une batterie en trente minutes avec un superchargeur ou un chargeur rapide. Mais cela fonctionne avant tout avec les modèles haut de gamme et il faut pouvoir accéder à ses chargeurs rapides en nombre très limités. En outre, l’utilisation fréquente de recharges rapides coûte cher et réduit la durée de vie des batteries.

Le manque d’infrastructures de recharge

Il s’agit d’un des points clés pour assurer la poursuite du développement des voitures électriques. La France comme l’Europe accumulent les retards par rapport aux promesses d’implantations de bornes. Sans parler d’une jungle de réglementations et de normes pour pouvoir y accéder et les faire fonctionner. Par ailleurs, l’installation de bornes rapides et donc puissantes nécessite des réseaux électriques adaptés, ce qui est loin d’être le cas.

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La dépréciation rapide et la durée de vie des batteries

La dépréciation de la valeur des véhicules électriques est rapide. Cela tient évidemment avant tout aux batteries qui sont une pièce d’usure. Elles se dégradent et ont une espérance de vie de l’ordre de dix ans en fonction de leur utilisation et de leur qualité, notamment le refroidissement. L’espérance de vie d’un véhicule thermique est aujourd’hui bien plus grande.

Des progrès technologiques rapides à double tranchant

Il s’agit d’un paradoxe, mais la vitesse à laquelle se succèdent les lancements de nouveaux modèles plus performants est à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle pour les acheteurs. Cela signifie que leurs véhicules électriques offrent des prestations améliorées, mais qu’ils risquent d’être dépassés et obsolètes en quelques années. Il sera ainsi plus difficile de les revendre.

Sensibles aux températures extrêmes

Les véhicules électriques n’aiment pas les grands froids et les vagues de chaleur. Dans le premier cas, outre la consommation électrique importante pour chauffer l’habitacle, les performances mêmes des batteries sont sensiblement réduites. Pour ce qui est des fortes chaleurs, les batteries souffrent moins, mais c’est la nécessité de faire fonctionner la climatisation de l’habitacle qui réduit l’autonomie.

Des constructeurs vont disparaître

Aujourd’hui, aucun constructeur automobile ou presque ne gagne d’argent avec la commercialisation de voitures électriques. Il est très vraisemblable qu’une partie des grands groupes automobiles actuels ne survivra pas à cette mutation forcée. Dans le classement des sociétés les plus endettées au monde, l’automobile est le secteur le plus représenté. Volkswagen est le numéro un mondial avec 192 milliards de dollars de dettes, Daimler-Benz est quatrième (151 milliards), Toyota cinquième (138 milliards), Ford septième (122 milliards) et BMW huitième (114 milliards).

Les hommes viennent de Mars, les femmes de Vénus et le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes tombe de la Lune

Mercredi 25 janvier, Emmanuel Macron reçoit la présidente du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, qui vient proposer des mesures pour renforcer ladite égalité. Le sexisme s’aggrave en France. Le Haut Conseil a publié un rapport qui non seulement se désole de la pérennité des discriminations, mais constate l’attitude particulièrement «masculiniste» des 25-34 ans. Jean-Paul Brighelli, qui a légèrement dépassé cette tranche d’âge, jette un regard dépassionné mais perplexe sur ce rapport qui stigmatise globalement tous les hommes.


L’étude publiée par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes s’appuie sur un sondage réalisé en octobre dernier. Le très progressiste Huffington Post s’est empressé d’en synthétiser les éléments les plus remarquables. Mais la lecture exhaustive du document n’est pas sans intérêt.

Dès le début, le rapport rappelle que « le monde professionnel s’avère particulièrement sexiste (seul·e·s deux Français·e·s sur 10 estiment que les femmes et les hommes y sont égaux en pratique, un score en baisse de trois points) suivi de près par les pratiques religieuses, les mondes politique et du sport, l’espace public, les réseaux sociaux, la vie de famille et les médias. » C’est le seul moment dans le rapport où les « pratiques religieuses » sont citées. Et pourtant — pourtant…

Ainsi, « c’est dans les sphères perçues comme particulièrement inégalitaires qu’elles ont vécu le plus ces situations sexistes : la rue et les transports (pour 57 % d’entre elles), le foyer (49 %) ou encore le monde du travail (46 %). »

Allons, une petite anecdote pour aller dans ce sens.

Je vis à Marseille. En septembre dernier, par temps très chaud, ma compagne se baladait, en short, à quatre heures de l’après-midi dans le centre-ville de la cité phocéenne, comme on dit. Deux hommes jeunes de type marseillais — tous ceux qui connaissent le quartier Noailles voient ce qu’il en est — l’ont traitée de pute, comme il convient. Elle se rebella, les invita à aller se faire voir chez les kabyles, ils lui sautèrent dessus, elle leur décocha quelques gnons bien placés —ô et fut immédiatement ceinturée par un passant, non pour la protéger, mais pour l’empêcher de les houspiller. « Enfin, madame, c’est leur culture, c’est normal ! »

Persistance du machisme

Des situations de ce type, ici, sont monnaie courante. C’est l’une des raisons qui expliquent que les musulmanes de la ville se voilent, moins par conviction que pour empêcher de se faire stigmatiser par leurs coreligionnaires.

Image d’illustration Unsplash

Alors le rapport du Haut Conseil à l’égalité restera un peu hors sol, tant qu’il ne fera pas une étude fine des comportements. Il n’est pas bien grave que « « 32 % des 25-34 ans considèrent que le barbecue est une affaire d’homme ». Il est plus inquiétant de lire que « 14 % des femmes ont subi un « acte sexuel imposé » (22 % des femmes de 18 à 24 ans) », y compris « sous l’emprise d’alcool ou de drogue ». Peut-être faudrait-il éviter de se torcher méchamment en mauvaise compagnie.

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La tranche des 24-35 ans est particulièrement sexiste, sachez-le. Quelle surprise, à un âge où la testostérone parle à haute voix… Mais surtout, dans quel milieu, sous quelle emprise religieuse, quelle culture ? Le rapport est muet sur ce point. Par ailleurs, « 20 % des 25-34 ans considèrent que pour être respecté en tant qu’homme dans la société, il faut vanter ses exploits sexuels auprès de ses amis (contre 8 % en moyenne) » — et bien entendu, les filles ne se racontent jamais leurs bons et mauvais coups.

Le rapport inclut dans cette persistance du machisme ce qu’il appelle le mansplaining, un joli mot-valise anglo-saxon (dont nous n’avons aucun équivalent français) qui consiste à « expliquer » à une femme avec condescendance ce qu’elle doit faire pour réussir telle ou telle opération. « Ma chérie, pour faire du café, il vaut mieux allumer le gaz sous la cafetière. Et auparavant, mettre du café dans l’ustensile » — situation vécue.

Diableries

Peut-être aussi faudrait-il éviter de prendre en compte, dans ce sondage, ce qui est règlements de compte d’après divorce. Parions que Céline Quatennens, qui a finalement porté plainte pour mauvais traitements contre l’abominable Adrien, racontera bientôt que leurs étreintes antérieures étaient toutes sous la contrainte, l’élu LFI l’ayant à chaque fois attachée aux montants du lit avec son écharpe tricolore. Peu importe que les enfants l’aient pendant des années entendue haleter dans l’étreinte comme une locomotive asthmatique : a posteriori, si je puis m’exprimer ainsi, ce n’étaient que diableries « masculinistes ».

Patrick Besson vient de rassembler sous le titre générique Est-ce ainsi que les hommes vivent ? ses chroniques hébergées dans Le Point — et le contenu, d’une ironie sans cesse mordante, est conforme au titre, empruntée à la chanson de Léo Ferré, elle-même reprenant le titre d’un poème d’Aragon (à la fin du Roman inachevé) narrant les belles aventures du poète dans les bordels de l’après-Grande Guerre. Dans « Accord préalable », Besson imagine le texte d’un accord passé devant notaire visant au « rapprochement physique » consécutif à leur rencontre : « Par ledit document, Monsieur A et Mademoiselle B s’engagent l’un envers l’autre à ne pas contester le fait que leur premier baiser, intervenu à 6h14 le jour même dans un taxi traversant la Seine sur le pont Alexandre III, n’a donné lieu, par aucune des parties, à une quelconque résistance. »

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« Monsieur A et Mademoiselle B, souhaitant donner suite à leur rencontre, se sont présentés ce jour devant notaire afin d’établir un accord préalable qui leur permettra, en cas de litige, de pouvoir se retourner l’un contre l’autre en toute légalité. »

S’ensuivent les circonstances planifiées de la future étreinte, « dans un hôtel parisien de catégorie grand luxe ou luxe » : « Le rapport sexuel en lui-même ne devra pas excéder deux heures trente et ne pourra inclure la sodomie que si Mademoiselle B en fait la demande écrite sur un papier daté et signé à en-tête de l’hôtel. »

J’attends avec impatience qu’un metteur en scène inspiré en tire un court métrage posément hilarant (chaque article du recueil peut d’ailleurs fournir la matière d’un petit film ironique). J’attends aussi qu’un réalisateur au long cours se saisisse du rapport du Haut Conseil à l’égalité et en décortique à l’écran les situations équivoques et scandaleuses qu’il répertorie. Nous aurons enfin de quoi rire — mais peut-être ne sourirons-nous plus jamais.

Patrick Besson, Est-ce ainsi que les hommes vivent ?, Albin Michel, janvier 2023, 480 p.

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Les Coréens contre les mosquées

En Corée du Sud, le projet de construction d’une mosquée importante dans la troisième ville du pays suscite des objections de la part des riverains, des objections qui vont très loin sur le plan symbolique.


En Corée du Sud, un projet de construction de mosquée fait polémique [1].

Christianisme et bouddhisme représentent 25% et 15% des croyants respectivement

Dans la ville de Daegu, dans le sud du pays, une maison que des fidèles originaires du Pakistan et du Bangladesh utilisaient comme salle de prière doit être transformée en édifice de trois étages avec minaret.

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Bien que les autorités locales aient autorisé cette construction il y a deux ans, de nombreux habitants du quartier s’y opposent. Des têtes de cochon (voir notre vidéo, ci-après) sont régulièrement placées en face du lieu de prière. Sur les pancartes en anglais de certains manifestants on a pu lire : « Les musulmans qui tuent des gens brutalement et les décapitent, allez-vous en de ce quartier immédiatement. Terroristes ! » Ou encore : « L’islam est une religion diabolique qui tue des gens ». Rappelons que le christianisme et le bouddhisme sont les deux principales religions du pays. Bien que la majorité des 51 millions de Sud-Coréens se déclarent sans religion, le pays compte un peu plus de 25% de chrétiens et 15% de bouddhistes, tandis que les musulmans représentent moins de 1% de la population et sont en grande majorité des étrangers, essentiellement originaires d’Asie du Sud-Est.

Crise démographique

La première mosquée du pays est la Mosquée centrale de Séoul, construite en 1976. Depuis, 18 autres sont venues s’ajouter à la liste, toutes répertoriées par la Fédération musulmane de Corée. Bien que les actions de certains Coréens opposés au projet ne soient pas acceptables, les inquiétudes des habitants quant à l’édification d’une nouvelle mosquée dans le pays sont peut-être alimentées par le fait que ce dernier est confronté à un problème démographique majeur. Avec un taux de fécondité inférieur à un enfant par femme, le gouvernement prévoit une population de 39 millions d’habitants d’ici les années 2060. La Corée du Sud fera-t-elle le choix, comme de nombreux pays occidentaux, de recourir à une immigration de masse pour pallier son déficit démographique ? En attendant, certains Coréens décident de mettre le holà pour se prémunir des fous d’Allah, réels ou présumés.


[1] https://www.lemonde.fr/international/article/2023/01/11/en-coree-du-sud-la-mosquee-de-la-discorde_6157355_3210.html

Nos jeunes, «pauvres» du langage, condamnés à l’impuissance et à la violence

Plus d’un jeune Français sur 5, après des années passées dans les murs de l’école de la République, se trouve dans une situation d’insécurité linguistique globale à l’oral comme à l’écrit. Cette insécurité obscurcit durablement son horizon culturel et professionnel. Échec scolaire, errance sociale, voilà où les a conduit l’incapacité de mettre en mots leur pensée avec précision et de recevoir celle de l’Autre avec vigilance. Pour tous ces jeunes gens et jeunes filles, la défaite de la langue c’est aussi la défaite de la pensée et le renoncement à tout engagement pacifique.


Que l’on ne se méprenne pas ! Je ne plaide pas pour une servile obéissance à une norme immuable. Je ne me lamente pas sur la pureté perdue d’une langue que tout changement pervertirait. Dénoncer l’insécurité linguistique, ce n’est pas stigmatiser les fautes d’orthographe et de grammaire. Ce n’est pas, non plus, pester contre les innovations lexicales. En matière de langage, la nostalgie est toujours mauvaise conseillère… Ce que je dénonce, c’est qu’aujourd’hui trop de jeunes soient privés de mots suffisamment nombreux et précis, de structures grammaticales suffisamment rigoureuses et de formes d’argumentation suffisamment articulées pour imposer leur pensée au plus près de leurs intentions et pour accueillir celle des autres avec infiniment de lucidité et d’exigence.

Une école de la République trop complaisante

Reclus dans leur entre-soi, ils n’ont connu que promiscuité, banalité et indifférence ; leur horizon de parole limité a réduit leur vocabulaire et brouillé leur organisation grammaticale. Ce sont les « pauvres » du langage, impuissants à défendre leurs points de vue, incapables de dénoncer la manipulation, sans défense contre l’arbitraire et l’injustice. Dans ce contexte d’insupportables inégalités linguistiques, les moins favorisés, qui ont manqué cruellement de modèles (notamment à l’école), ont besoin aujourd’hui d’exigence et non de complaisance.

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L’impuissance linguistique contraint ceux qui la subissent au constat ponctuel et à la qualification radicale ; elle interdit le questionnement et l’analyse ; elle rend difficile le refus de mots d’ordre définitifs et la mise en cause de comportements et de règles archaïques faussement présentés comme universelles. Les citoyens, privés de pouvoir linguistique, en difficulté de conceptualisation et d’argumentation, ne pourront en effet pas prendre une distance propice à la réflexion et au questionnement. Ils seront certainement plus perméables à tous les discours sectaires et intégristes qui prétendront leur apporter des réponses simples, immédiates et définitives. Ils pourront plus facilement se laisser séduire par tous les stéréotypes qui offrent du monde une vision dichotomique et manichéenne. Ils se soumettront plus docilement aux règles les plus rigides et les plus arbitraires pourvu qu’elles leur donnent l’illusion de transcender les insupportables frustrations quotidiennes.

La bataille contre l’abêtissement perdue

Au sortir de l’école, nos jeunes ont aujourd’hui à affronter un monde face auquel l’impuissance linguistique et la vulnérabilité intellectuelle se révèlent souvent fatales. Un monde où discours et textes de nature totalitaire et sectaire, portés par des réseaux sociaux frelatés, risquent de s’imposer à des esprits faibles et crédules. Après avoir passé plus de 10 ans à l’école, ils avaleront donc  avec délectation ce qui  relève de l’amalgame, de l’illogisme et de la haine imbécile. Ils se laisseront berner par des démonstrations marquées au coin du contre sens. Ils seront convaincus par des arguments de pacotille. 

L’école, depuis trop longtemps en friche, et la famille, souvent sans repères, ont ainsi perdu la bataille contre l’abêtissement. Sur les réseaux dits sociaux, qui enferment plus qu’ils ne libèrent, la vulnérabilité linguistique et intellectuelle de nos jeunes leur font  renoncer à agir sur le monde et à y laisser une trace singulière. Là, les responsables de tous leurs malheurs sont dénoncés, des complots enfin identifiés, une cible à leur haine pointée dans une guerre qu’on leur dit juste et nécessaire. Tout ce qui éclaire leur quotidien glauque, tout ce qui apaise leur sentiment de néant est accueilli avec reconnaissance: enfin élus, enfin reconnus ! Ce que nous avons offert en sacrifice, sur l’autel du web, à de dangereux manipulateurs, ce sont les mots imprécis, les mémoires vides et le dégoût de soi d’une partie de notre jeunesse.

Parole éruptive

Une part importante des jeunes Français ne possède donc que quelques centaines de mots, quand il leur en faudrait plusieurs milliers pour tenter d’examiner et d’accepter pacifiquement leurs différences. S’expliquer leur paraît alors aussi difficile qu’incongru. Beaucoup de jeunes en insécurité linguistique ont ainsi perdu cette capacité spécifiquement humaine de tenter d’inscrire pacifiquement leur pensée dans l’intelligence d’un autre par la force respectueuse des mots. Réduite à la proximité et à l’immédiat, leur parole a renoncé au pouvoir de créer un temps de sereine négociation linguistique, seule capable d’éviter le passage à l’acte violent et à l’affrontement physique.

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Cette parole devenue éruptive n’est le plus souvent qu’un instrument d’interpellation brutale et d’invective qui banalise l’insulte et précipite le conflit plus qu’elle ne le diffère. S’ils passent à l’acte de plus en plus vite et de plus en plus fort aujourd’hui, c’est parce que l’école comme la famille n’ont pas défendu avec suffisamment de conviction et… d’amour la vertu de rassemblement pacifique du langage. L’une comme l’autre ont oublié que cultiver la langue de leurs enfants et de leurs élèves, veiller à son efficacité et à sa précision, c’était leur permettre de mettre en mots leurs frustrations, de formuler leurs désaccords et… de retenir leurs coups. École et famille n’ont pas su  mener un combat quotidien et combien nécessaire contre la dictature de l’appartenance, contre l’imprécision et la confusion des mots, sources de tous les malentendus. Elles ont ainsi renoncé à ce que chacun puisse aller chercher au plus loin de lui-même celui qu’il ne connaît pas, celui qui ne lui ressemble pas, celui qui… ne l’aime pas et à qui il le rend bien. Comment peut-on appeler à une participation de tous les jeunes aux débats essentiels d’aujourd’hui  alors que, pour certains, la langue qu’on leur a passée ne leur permet pas de dénouer les incompréhensions, de jeter des ponts au-dessus des fossés culturels, sociaux et confessionnels qui les divisent ? Reconnaître leurs différences, les explorer ensemble, reconnaître leurs divergences, leurs oppositions, leurs haines et les analyser ensemble, ne jamais les édulcorer, ne jamais les banaliser, mais ne jamais leur permettre de mettre en cause leur commune humanité: voilà à quoi devrait servir la langue qu’on leur a si mal transmise; voilà à quoi devraient servir les conventions orthographiques et grammaticales non négociables qui devraient les rassembler dans un échange serein.

L’impuissance linguistique a réduit certains jeunes à utiliser d’autres moyens que le langage pour imprimer leurs marques : ils altèrent, ils menacent, ils tueront peut-être un jour parce qu’ils ne peuvent se résigner à ne laisser ici-bas aucune trace de leur éphémère existence. Leur violence s’est nourri de l’impuissance à convaincre, de l’impossibilité d’expliquer, du dégoût  d’eux-mêmes et de la peur des autres. Leur violence est d’autant plus incontrôlée, d’autant plus immédiate qu’elle est devenue muette. Et un regard de travers peut aujourd’hui couter la vie !

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Que faire des femmes de retour du califat et de leurs lionceaux?

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« Nous pouvons obtenir des résultats spectaculaires grâce aux protocoles mis en place » affirme la secrétaire d'Etat à l'enfance Charlotte Caubel (notre photo) au sujet des lionceaux du califat © SOPA Images/SIPA

32 mineurs vivant dans des camps kurdes ont rejoint la France, mardi 24 janvier. Ainsi que 15 femmes, loin d’être repenties. Que l’on soit pour ou contre ce “rapatriement” des djihadistes, le vrai problème n’est jamais vraiment posé. Analyse.


Continuant à rompre avec la politique dite « du cas par cas » qui lui avait valu les foudres bien-pensantes et hypocrites du « Comité contre la torture » de l’ONU, du « Comité des droits de l’enfant » et de l’inénarrable Cour européenne des droits de l’homme, la France vient de rapatrier 15 femmes jihadistes et 32 enfants, retenus jusqu’ici dans un camp de prisonniers en Syrie, à Roj, sous administration kurde. Et si cette décision suscite de légitimes critiques, le véritable problème n’est hélas que très rarement abordé.

Précisons d’abord qu’il s’agit bien de femmes jihadistes. Qu’elles aient ou non porté les armes, elles ont activement soutenu le jihad et collaboré volontairement à l’un des pires régimes totalitaires de l’histoire de l’humanité. Toutes s’étaient rendues de leur plein gré dans les zones contrôlées par les groupes jihadistes, toutes savaient parfaitement ce qu’elles faisaient. Il faut lire et relire les témoignages bouleversants des femmes Yézidies pour ne jamais oublier à quel degré d’abomination celles qui vont être rapatriées (comme celles qui l’ont déjà été) ont participé, et de quelles monstruosités elles se sont rendues complices et coupables. Parler de « femmes de jihadistes » pour relativiser leur culpabilité ne sert qu’à cracher au visage de toutes les victimes de l’État Islamique (EI) : ces femmes égalent en ignominie les gardiennes des camps de concentration, et méritent le même sort que les nazis condamnés à Nuremberg.

On ne peut catégoriquement refuser de récupérer ces criminelles en France

Précisons également que l’on ne peut évidemment pas appliquer le même raisonnement à leurs enfants. Endoctrinés, dressés à devenir des monstres, ceux-ci ne sont évidemment pas coupables du lavage de cerveau infligé par leurs parents et les sbires de l’EI. Pour autant, il serait irresponsable d’oublier qu’ils sont extrêmement dangereux, et que protéger autrui du danger qu’ils représentent doit être prioritaire : leurs victimes potentielles, elles non plus, ne sont pas coupables du conditionnement de ces enfants, et n’ont pas à en subir les conséquences.

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Faut-il rapatrier ces femmes et ces enfants ? La réponse ne nous appartient pas réellement, pas plus qu’elle n’appartient à l’ONU ou à la CEDH. Si des étrangers venaient sur notre sol commettre ne serait-ce qu’une fraction des crimes auxquels ces jihadistes ont participé, nous exigerions à juste titre de décider de leur sort, et ne tolérerions pas que leurs pays d’origine nous empêchent de rendre la justice. Bien sûr, la situation de la Syrie et de son territoire est complexe. Mais il n’en demeure pas moins que les victimes de l’État Islamique ont des droits sur ces femmes, et doivent pouvoir les exercer.

La passivité d’aujourd’hui fait le lit des tragédies de demain

De même, nous ne devons pas oublier que nous-mêmes exigeons de pouvoir expulser les délinquants étrangers, n’en déplaise à notre gouvernement. Dès lors, quoi de plus normal que de devoir récupérer les criminels de nationalité française partis à l’étranger ?

Enfin, et malgré le danger qu’ils représentent, des enfants de nationalité française ont droit à un minimum de protection de la part de l’État, quels que soient les torts de leurs parents.

Sauf donc à déchoir ces femmes et leurs enfants de leur nationalité française, nous avons une double obligation : permettre à leurs victimes et à la Syrie d’exercer la justice comme elles l’entendent, d’abord, et assumer notre responsabilité dans le sort de nos ressortissants, ensuite.

Hésitation, tergiversations, laxisme: nos maux français

Pour autant, ces rapatriements sont-ils satisfaisants ? Bien sûr que non ! Pourquoi ? Parce que nous savons tous pertinemment qu’une fois qu’ils arrivent ici, la France se refuse à les traiter comme ils devraient l’être, qu’il s’agisse des jihadistes de l’État Islamique ou de leurs enfants. Et c’est là le véritable problème, c’est pour cette raison que beaucoup s’inquiètent de ce rapatriement et même le refusent, pour cette raison que le gouvernement a tant tergiversé.

Le Quai d’Orsay a beau jeu de dire que « les mineurs ont été remis aux services chargés de l’aide à l’enfance et feront l’objet d’un suivi médico-social », et d’ajouter que « les adultes ont été remis aux autorités judiciaires compétentes ».

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Ces femmes qui ont servi l’EI doivent être mises définitivement hors d’état de nuire, ce qui supposerait pour elles la perpétuité réelle ou une condamnation à mort – ce qui est exclu en France. Notre institution judiciaire est notoirement frileuse à l’idée de la perpétuité réelle, et nous nous sommes interdit l’autre solution. Pourtant, les récriminations indécentes de certaines de ces femmes (et de leurs familles) montrent bien qu’elles n’éprouvent pas d’authentiques remords, et qu’il est indispensable de les briser car à ce jour elles ne craignent pas véritablement la France (exactement comme Salah Abdeslam), ce qui est en soi un échec cuisant, et permet de douter très sérieusement de la force dissuasive que l’Etat saura exercer vis-à-vis d’elles dans la durée. Si une rédemption est possible pour certaines d’entre elles, celle-ci ne relève certainement pas des pouvoirs publics, ni de la société, mais d’une espérance métaphysique qui ne saurait être instrumentalisée pour servir d’excuse à un quelconque laxisme judiciaire.

Quant aux enfants, au regard de l’inefficacité évidente des services concernés dans la prise en compte des mineurs délinquants « ordinaires » (je renvoie le lecteur aux remarquables travaux du Dr Maurice Berger sur le sujet), de l’exemple pathétique des « centres éducatifs fermés » qui n’ont de « fermé » que le nom, de la récidive systémique, des profils douteux de certains « éducateurs », des fiascos à répétition avec des mineurs non accompagnés, et ainsi de suite, les déclarations du Quai d’Orsay sont décidément bien cyniques.

On le voit, le problème n’est pas de rapatrier ces femmes et ces enfants, le problème est de refuser collectivement d’agir envers eux comme nous le devrions. Par manque flagrant de volonté politique bien sûr, le mélange de rodomontades et de pusillanimité du gouvernement ne surprenant plus personne, mais pas seulement. Les Français savent manifester pour défendre leurs retraites (et qui le leur reprocherait ?) mais se gardent bien de descendre dans la rue pour exiger un « Nuremberg des jihadistes » et, bien sûr, de l’idéologie qui les anime, et qui a dévoilé toute son abjection dans les crimes de l’État Islamique. Idéologie qui, comme le rappelait il y a peu Rémi Brague, n’est au fond que la stricte application de préceptes du Coran, un livre dont l’apologie a partout pignon sur rue…

La passivité d’aujourd’hui fait le lit des tragédies de demain.

Journalistes invités en secret à l’Élysée: le moulin à fantasmes

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Emmanuel Macron, palais de l'Élysée, 6 février 2019 © Nicolas Messyasz / SIPA

Avant la mobilisation contre la réforme des retraites, le président Macron a organisé un déjeuner secret, au cours duquel il s’est directement épanché auprès de célèbres éditorialistes. Objectif : distiller la bonne parole… Même pas vexée de ne pas avoir été conviée, Elisabeth Lévy donne son avis.


Le président a reçu une dizaine de journalistes en grand secret. Et ça fait jaser. Le secret a duré quatre jours. C’était mercredi 18 janvier, veille de la grande manifestation contre la réforme des retraites. Peut-être le président de la République pense-t-il qu’il est entouré de branquignols incapables de faire l’article de sa réforme ? Son service de presse a invité des éditorialistes de grands médias – qui ne sont pas tous des adversaires politiques – à déjeuner à l’Élysée pour qu’ils s’abreuvent directement à la parole divine. 

Déjeuner de cons?

Seule condition : le secret. Ne pas citer le président de la République. C’est ce qu’on appelle un briefing off. Pour faire passer un message clair : à l’Élysée, même pas peur. 

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Le off, c’est vieux comme le journalisme. Vous pouvez utiliser une info mais pas dire d’où elle vient (on évoque ainsi des « sources proches de l’Élysée », « l’entourage d’un tel ou d’un tel » etc.) Alors oui, on brouille un peu les cartes en transformant les journalistes en porte-parole. 

Mais la parole du président, c’est de l’information autant que celle d’un syndicaliste. Après leur déjeuner, les participants informent leur public sur l’état d’esprit d’Emmanuel Macron – « Il ne croit pas à la victoire de l’irresponsabilité »,« Il tiendra ! » entendra-t-on en boucle.

Est-ce pour autant scandaleux ?

Les airs de déontologues outragés, laissons-les à Daniel Schneiderman (Libération, Arrêt sur Images) et Edwy Plenel (Mediapart). Ce dernier fustige un journalisme de gouvernement. Le journalisme de délation et d’inquisition ne vaut pas mieux. Pour ma part, je ne vais pas donner de leçons aux confrères. Si on avait été invités, on y serait allés. Ne serait-ce que pour en parler dans les dîners, comme s’en amuse Guy Carlier

Mais justement, on n’a pas été invités ! Le problème, c’est l’entre-soi, on reste entre gens du même monde qui parlent le même langage. Des gens du cercle de la Raison, comme l’excellent Alain Duhamel. Il y avait aussi son neveu, Benjamin, qui officie sur BFMTV, et tous les médias convenables, Le Monde, Les Échos, Le Figaro, France Inter… Si certains éditorialistes reprennent ensuite à leur compte (sans citation) des arguments présidentiels, ce n’est pas par servilité mais parce qu’ils pensent comme lui. Cela n’est d’ailleurs pas infamant. Évidemment, autour d’eux, ces gens ne doivent pas avoir beaucoup d’amis qui votent mal. Si le président avait invité des gens de Causeur, de Valeurs Aactuelles, ou de Sud Radio, il aurait pu aussi apprendre des choses. Patrick Roger, par exemple, vous auriez été le porte-parole de cette France des gens ordinaires qui vous parle tous les jours en appelant le standard de Sud Radio.

A ne pas manquer, notre numéro en kiosques actuellement: Causeur: Arrêtez d’emmerder les automobilistes!

Le véritable risque, c’est que ce déjeuner confidentiel alimente le moulin à fantasmes qui prête aux journalistes des calculs tortueux, des collusions cachées et des pouvoirs occultes. En réalité, c’est bien plus simple : cet épisode qui fait couler beaucoup d’encre est la preuve que l’élite politico-médiatique, ça existe.

Le problème, c’est qu’elle n’inspire plus confiance à grand-monde. 


Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez Elisabeth Lévy du lundi au jeudi après le journal de 8 heures, dans la matinale. 

TikTok: la jeunesse est un naufrage (Philippe Muray)

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National Animal Rights March, Londres le 17 août 2024. SOPA Images/SIPA

Obsédés par eux-mêmes, nombre de jeunes se complaisent dans une culture de la thérapie qui explique et excuse en termes pseudo-scientifiques leur paresse, leur susceptibilité, leurs vulnérabilités, jusqu’à leur peur de la fin du monde. Et au lieu de se prendre en main, ils chougnent sur TikTok.



Capture d’écran de TikTok, avec le hashtag #ADHD. L’application permet aux annonceurs de cibler les jeunes utilisateurs qui croient souffrir d’un trouble du déficit de l’attention.

La dernière fois que j’ai enseigné dans une université anglophone, c’était pendant la première phase de la pandémie. Mon cours portait sur le traitement des actualités par les médias, et j’ai été surpris quand on m’a transmis la requête d’une étudiante qui demandait que l’examen final ne comporte aucune question sur le Covid-19, puisque ce sujet serait « trop stressant ». Dans son message d’origine, destiné à une secrétaire, l’étudiante ajoutait qu’elle allait s’isoler et se couper de toutes les sources d’information afin de « protéger sa santé mentale ». Au moment où la société combattait un virus inconnu, où des patients luttaient pour leur vie – et que certains la perdaient –, une partie de la jeunesse trouvait parfaitement normal et légitime de se retirer dans une bulle protectrice, à l’abri de cette réalité désagréable. Voilà de quoi justifier l’insulte « snowflakes » (« flocons de neige ») dont les gens plus âgés qualifient les jeunes de la génération Z, nés entre 1997 et 2010, considérés comme trop émotionnels, psychologiquement fragiles, glandeurs, facilement offensés, ne supportant pas la contradiction et imbus d’un sentiment de « tout m’est dû ». À cette insulte, courante depuis 2016, les jeunes ripostent à leurs aînés, nés entre 1945 et 1964, par l’exclamation « OK boomer ! » (« Ta gueule, papi ! »). Certes, les conflits intergénérationnels ont toujours existé : au Ve siècle avant J.-C., Les Nuées d’Aristophane opposent un père travailleur, économe, vertueux, à son fils paresseux, dispendieux, égoïste et adonné à des vices.

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Pourtant, si on regarde les vidéos postées par les jeunes de toutes les nationalités sur TikTok, la plateforme chinoise comptant plus de 1,2 milliard d’utilisateurs actifs, on trouve un monde bizarre où les individus rivalisent pour attirer l’attention générale en se travestissant en animaux de fantaisie, se déguisant selon la « fluidité » de leur « genre », se lamentant de la destruction imminente de la planète et se présentant comme affligés de troubles mentaux dont la plupart ne souffrent pas. Il ne s’agit pas de tous les jeunes de notre époque, mais d’une proportion inquiétante de ceux-ci. Et si ces modes et lubies viennent – comme tant d’autres – d’Amérique du Nord, elles s’infiltrent facilement parmi les populations européennes. Ici, nous sommes face à un phénomène inédit dont l’explication ne se réduit ni à une prétendue faiblesse inhérente aux nouvelles générations ni à une indulgence excessive de la part de leurs parents. Il s’agit de tout le cadre de vie de la société dans laquelle nous vivons aujourd’hui, prise en tenaille entre les technologies numériques et une culture de la peur qui, ensemble, provoquent une crise de l’identité personnelle.

La république des thérapeutes

Les réseaux sociaux numériques sont depuis presque vingt ans la source d’une véritable addiction pour les internautes, surtout les jeunes dont les cerveaux ne sont pas encore entièrement formés. Une étude du centre de cartographie cérébrale de l’Université de Californie à Los Angeles, datant de 2016, met en lumière la réceptivité des jeunes aux alertes et leur quête obsessive de likes qui provoquent des sécrétions de dopamine dans le cerveau. Les conséquences de cette addiction sont une baisse dans la pratique des sports et des activités en plein air, ainsi que des comparaisons obsessionnelles avec d’autres individus, en termes de popularité ou d’image corporelle (surtout pour les filles), aptes à créer un sentiment d’infériorité et une préoccupation excessive sur son statut personnel dans un groupe. Dans une étude réalisée par la société Express VPN en novembre 2021, 86 % des gens interrogés, âgés de 16 à 24 ans, pensaient que les réseaux sociaux avaient un impact négatif sur leur « bonheur ».

Tout cela avait été prédit dans les années 1960 par l’universitaire canadien Marshall McLuhan qui soutenait que la forme de nos médias – qu’il définissait comme des extensions technologiques de notre corps et de notre cerveau – influençait fortement le fond des messages envoyés [1]. Lui qui ne connaissait que la radio et la télévision prédisait déjà que l’évolution des médias électroniques conduirait à un nouveau tribalisme post-nationaliste, chaque citoyen cherchant désespérément une appartenance qui lui apporte consécration sociale et estime de soi. Ce n’est pas le narcissisme débordant de nos jeunes qui trouve à s’exprimer à travers la technologie numérique, mais cette dernière qui engendre une obsession de soi-même et la crise d’identité qui en résulte. Les confinements récents, en plus de ce qu’ils pouvaient avoir de déprimant en eux-mêmes, ont renforcé cette dépendance par rapport aux écrans.

Mais certaines des causes de notre situation actuelle viennent de plus loin que la révolution numérique et remontent aux années 1980 et 1990. Comme le montrent les travaux de Frank Furedi, sociologue canado-magyar basé outre-Manche, c’est à partir de cette époque que, petit à petit, se construit dans nos sociétés occidentales ce qu’il appelle une « culture de la thérapie [2] ». Selon la perspective développée par cette culture, tout défi, tout revers de fortune, voire tout problème de la vie normale est représenté comme une menace pour le bien-être émotionnel de l’individu, un choc pour son estime de soi et la source potentielle d’un trauma durable nécessitant une intervention thérapeutique. Au-delà du rôle concret des psychothérapeutes, le langage et l’imagerie promus par nos institutions tournent autour de la vulnérabilité non seulement physique, mais mentale de l’individu. Bref, toutes les difficultés de la vie sont psychologisées. En détournant le titre d’Albert Thibaudet, La République des professeurs (1927), on peut dire que nous vivons désormais dans une société de thérapeutes où il suffit de s’écrier « I feel unsafe » (« je ne me sens pas en sécurité ») pour attirer l’attention et l’indulgence. Cette société de la thérapie se révèle inapte à la socialisation des enfants, incapable qu’elle est d’inculquer aux nouvelles générations les valeurs du passé et de leur transmettre cette résilience qui a permis jusqu’ici la survie de l’espèce humaine. Si, à la société des thérapeutes, on ajoute la technologie, le résultat est TikTok.

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Êtes-vous neurodivergent ?

Nos adolescents, tourmentés par leur crise d’identité, formatés par la culture thérapeutique, ne se tournent pourtant pas vers les professionnels de la santé mentale, mais vers internet. C’est sur TikTok en particulier que circulent pléthore de vidéos où des individus partagent les symptômes de leurs souffrances psychiques. C’est là que se constituent des groupes de personnes en proie aux mêmes afflictions mentales qui prodiguent des conseils permettant aux néophytes de faire leur autodiagnostic. Vous avez des difficultés à vous concentrer, à accomplir des tâches ennuyeuses ou difficiles ? Vous souffrez du Trouble du déficit de l’attention avec/sans hyperactivité (TDAH). Vous ressentez de l’anxiété ? Votre cas est celui d’un Trouble anxieux généralisé. Vous êtes sujet à des changements d’humeur ? Trouble bipolaire ! Il vous semble parfois que vous êtes habité par des personnalités différentes ? Trouble dissociatif de l’identité ! Vous avez des difficultés à entretenir des relations avec autrui ? Vous vous situez quelque part sur le spectre de l’autisme… N’importe quelle difficulté banale – de celles que nous connaissons tous – peut être interprétée comme le signe d’une pathologie qui explique et justifie les problèmes d’un individu, renforce et légitime ses échecs, son impuissance, son inaction. Une fois qu’il a enfin trouvé son diagnostic, l’individu peut l’afficher devant les autres. C’est ainsi que le vrai stress induit par les réseaux sociaux est compensé par l’exhibition d’un statut privilégié de souffrant.

Ce qui rend possible ces autojustifications sous forme d’autodiagnostics, c’est que nous parlons de plus en plus de troubles flous qui n’ont pas encore de statut médical officiel, mais qui en ont les apparences. Un exemple notoire – et très commode pour les jeunes – est la « scolionophobie » ou la peur de l’école. Mais même quand il s’agit de pathologies très réelles qui sont répertoriées dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, dont le dernier avatar, le DSM-5, date de 2015, les interprétations peuvent être élastiques. C’est notamment le cas du spectre de l’autisme, qui va des cas les plus sévères aux plus légers sur lesquels des individus pourtant en bonne santé peuvent se projeter. Certes, nous savons depuis longtemps que les frontières entre le normal et le pathologique sont instables, mais ce genre d’amalgame est favorisé par le concept de neurodiversité. Ce terme non médical a été forgé en 1998 dans une bonne intention, celle de donner une image positive de ceux qui souffrent notamment de Troubles du spectre de l’autisme. Un individu « neurodivergent » est quelqu’un dont le cerveau est atypique, dont les défis et les qualités positives ne sont pas les mêmes que ceux des « neurotypiques ». Bien que les neurodivergents puissent présenter des difficultés d’apprentissage ou peiner à entretenir les relations sociales, ils peuvent aussi avoir des dons exceptionnels en mathématiques ou en arts plastiques.

Pourtant, cette vision excessivement positive a été survendue au grand public, y compris par des professionnels de la santé qui ont souvent un intérêt commercial à attirer des clients. On trouve fréquemment sur internet des listes de personnes célèbres censées être ou avoir été neurodivergents : Einstein, Marie Curie, Van Gogh, l’acteur Anthony Hopkins, le footballeur Lionel Messi – et bien sûr Greta Thunberg. Il est tentant d’ajouter son nom à ces augustes lignées pour se singulariser devant les autres dans un geste qui mélange à la fois l’autocompassion et l’autoglorification. On excuse ses points faibles et on transforme ses points forts en pouvoirs de super-héros. On peut aussi intégrer une communauté en ligne, rejoindre une tribu dont les membres sont unis à la fois dans leur souffrance et leur supériorité. Enfin, on est inattaquable parce que victime : les critiques et les adversaires, aveuglés par leur « capacitisme », sont aussi peu ouverts à la diversité (dont la neurodiversité est une forme) que les racistes et les machistes. Vulnérable, je deviens invulnérable.

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La fin des temps

Pourtant, n’y a-t-il pas de vraies raisons d’être inquiet ? Le monde, à cause de la paresse et de l’égoïsme des boomers et des générations X et Y, ne va-t-il pas bientôt finir dans une apocalypse écologique ? Cette possibilité a donné naissance à un autre trouble qui n’est pas encore entré dans le DSM-5 : l’éco-anxiété. L’individu qui en souffre est en proie à des émotions de colère, de culpabilité et de désespoir provoquées par son impuissance face à l’inévitabilité de la catastrophe climatique. Une étude réalisée cette année pour l’Académie américaine de la médecine du sommeil suggère que 70 % d’Américains auraient souffert d’insomnie à cause de l’éco-anxiété. Beaucoup de psychothérapeutes ne sont pas encore formés à traiter ce trouble, car comment gérer l’inévitable ? Comment se préparer à la fin des temps ?

On peut se consoler avec la mode des « animaux de soutien émotionnel » qui se multiplient. Ce ne sont pas de vrais animaux d’assistance comme des chiens-guides, mais on peut les emmener un peu partout si on a une lettre d’un thérapeute attestant que la bête contribue à son bien-être psychologique. L’École de médecine de Harvard et l’École de droit de Yale fourniraient de tels animaux dans leurs bibliothèques pour rassurer les étudiants. On peut aussi décider de sortir de cette culture thérapeutique, de refuser le double rôle de victime et d’accusateur des autres et enfin de tourner le dos aux mondes numériques et virtuels qui nous mesmérisent et nous infériorisent. On peut encore proclamer comme le poète Rimbaud à la fin d’Une Saison en enfer : « moi qui me suis dit mage ou ange, dispensé de toute morale, je suis rendu au sol, avec un devoir à chercher, et la réalité rugueuse à éteindre ! »


[1] Marshall McLuhan, Pour comprendre les médias es prolongements technologiques de l’homme (1964 ; traduction française, 1968).

[2] Frank Furedi, Therapy Culture (2004) et How Fear Works (2018).

Ouvrez, ouvrez la cage aux oiseaux bleus!

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Jean Messiha prononce un discours à Paris, 20 février 2021 © ISA HARSIN/SIPA

Il l’avait dit : « I’ll be back », et tel un célèbre gouverneur de Californie (et robot du futur), il l’a fait : Jean Messiha est de retour sur Twitter ! Et il est toujours aussi à l’aise pour alterner les analyses de fond et les punchlines bien senties. À la fois pied de nez au politiquement correct, autodérision assumée et clin d’œil complice à ses nombreux fans, sa vidéo de retour (voir plus bas) est à elle seule un véritable manifeste jubilatoire.

Twitter, une agora indispensable pour les hommes politiques

Mardi 24 janvier, Jean Messiha a reçu un mail de Twitter l’informant que son compte était rétabli dans le cadre d’un « programme de réintégration » (reinstatement program), qui non seulement lui rend son compte, mais le lui rend avec ses abonnements et ses abonnés intacts. Comme d’autres, son compte avait été suspendu pour des raisons faciles à deviner mais jamais avouées, l’ancienne direction de Twitter ayant toujours gardée obscure la réalité de sa politique de censure. Mais Elon Musk est arrivé, et avec lui les Twitter files et un vent de liberté et de vérité. Car le milliardaire n’a pas seulement rétabli la liberté d’expression sur son réseau, il a prouvé par l’exemple une vérité cruciale: comme Jean Messiha lui-même le souligne à juste titre, dans l’Occident d’aujourd’hui, seule la droite préserve la possibilité même du débat d’idées et de la confrontation démocratique, alors que la gauche « progressiste » utilise tous les prétextes pour imposer sa censure. L’Académicien François Sureau a dit tout ce qu’il y a à dire sur cette soi-disant « lutte contre la haine » : « gouvernement et Parlement ensemble (ajoutons-y les directions militantes de réseaux sociaux) prétendent, comme si la France n’avait pas dépassé la minorité légale, en bannir toute haine, oubliant qu’il est des haines justes et que la République s’est fondée sur la haine des tyrans. La liberté, c’est être révolté, blessé, au moins surpris, par les opinions contraires. Personne n’aimerait vivre dans un pays où des institutions généralement défaillantes dans leurs fonctions essentielles, celle de la représentation comme celles de l’action, se revancheraient en nous disant quoi penser, comment parler, quand se taire. » Avec Elon Musk, non seulement Jean Messiha peut à nouveau s’exprimer sur Twitter, mais ceux qui l’en avaient fait bannir n’ont pas été bannis à leur tour : eux aussi peuvent écrire, répondre et débattre. Enfin, ils le pourraient s’ils avaient des arguments, mais c’est une autre histoire !

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Le sujet pourrait sembler anecdotique, il n’en est rien: sans remplacer le travail de terrain, Twitter est devenu une agora indispensable pour quiconque s’engage dans l’action politique, un espace de débats, de questions impertinentes et de suggestions absurdes ou géniales, de rencontres parfois inattendues mais fructueuses, d’abord virtuelles puis réelles, un lieu où chacun a une chance de se faire entendre. Prenons l’exemple de Jean Messiha : il a plus de 160 000 abonnés, et son tweet de retour a été vu près de 550 000 fois au moment où j’écris ces lignes, c’est-à-dire en moins de 24 heures. Rares sont les outils qui permettent de toucher autant de personnes en aussi peu de temps, et parce que nombre de journalistes suivent avec attention l’oiseau bleu pour y trouver les sujets qui parlent au public, le retentissement est encore démultiplié.

Un espace de liberté très critiqué

Certains éditorialistes ont beau jeu de critiquer Twitter : bien sûr, on y trouve parfois les pires horreurs et des sommets d’imbécillité – mais ce commentaire s’applique aussi aux propos de certains éditorialistes, sans parler d’un nombre non négligeable de parlementaires… Ah, qu’il est tentant lorsqu’on est bouffi d’arrogance de vouloir restreindre la liberté d’autrui au droit de faire de sa liberté un usage que j’approuve ! Au nom d’une noble cause, naturellement : tous les tyrans, depuis toujours, ont ce genre d’arguments. Mais regardons en arrière, en excluant les dernières années pour lesquelles, par définition, nous manquons de recul : il n’y a pas un seul exemple de censure qui ait été préférable à la liberté d’expression, du procès de Socrate aux procès staliniens en passant par celui de Galilée, la mise à l’index de Montaigne, de Montesquieu, de Kant, la traque des lettrés par Qin Shi Huangdi, les livres d’Averroès brûlés à sa mort par les autorités musulmanes, et les séances d’autocritique maoïstes. Est-ce à dire que ceux qui ont été censurés ont toujours eu raison sur tout ? Bien sûr que non. Mais ceux qui les ont censurés non plus, loin de là, et il n’est jamais bon d’étouffer la flamme de la pensée, qui nécessite la libre confrontation des idées et des arguments pour « frotter et limer notre cervelle contre celle d’autrui. »

Alors merci Elon Musk, bon retour Jean Messiha, et vive la liberté !

Quête d’identité

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Photo d'une scène du film "Retour à Séoul" ©Films du Losange

« Retour à Séoul », le nouveau film de Davy Chou avec Park Ji-Min, est l’aventure, loin des clichés, du retour aux sources d’une enfant adoptée.


Davy Chou est un cinéaste rare – à tous les sens du mot. Son premier long métrage, « Diamond Island », remonte à 2016. Ce film âpre, généreux, admirablement réalisé, a pour cadre un chantier lancé par des promoteurs immobiliers sur une île de Phnom Penh, où un garçon de la campagne, parmi d’autres jeunes ruraux, est venu travailler pour nourrir sa famille. Il retrouve là son frère aîné, qui a su s’adapter à la capitale, mais d’une toute autre manière…  

Entre temps, Davy Chou a produit « White building », long métrage de fiction (réalisé sur la base d’un documentaire auquel il emprunte jusqu’à son titre) sur la destruction d’un édifice moderniste de la capitale et le devenir de ses résidents. Ou encore, il y a deux ans, « Onoda », film français d’Arthur Harari tourné dans la jungle cambodgienne.

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A présent, le réalisateur franco-cambodgien a choisi de situer l’intrigue de son nouveau film non plus au Cambodge mais en Corée. Freddie (Park Ji-Min), 25 ans, adoptée lorsqu’elle était bébé par un couple français, décide brusquement, sur un coup de tête, au milieu d’un périple avorté vers le Japon, d’y partir à la recherche de ses parents biologiques.

Si elle a les traits d’une native du « pays du matin calme », elle n’en connaît ni la langue, ni les usages, ni la culture. Bravache, provocatrice, Freddie est une femme émancipée, dans une confrontation permanente avec elle-même, mais également avec ceux qui croisent son existence. En trois parties, naviguant du français au coréen et à l’anglais, « Retour à Séoul » accompagne les bifurcations de l’héroïne sur une durée de huit ans : recherches auprès d’un institut centralisant les données sur les adoptions ; retrouvailles hautement problématiques avec ce géniteur provincial qui, trop misérable pour l’élever dans cette époque tragique du Cambodge, n’avait pas eu d’autre choix que de l’abandonner à des étrangers – traumatisme réactivé par la réapparition de sa fille ; installation de Freddie à Seoul, immergée dans les milieux underground, et désormais conseillère internationale au sein d’une entreprise française qui négocie la vente de missiles….

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Héroïne ? Pas tout à fait. Car Davy Chou s’est ingénié à subvertir tous les clichés sur le « retour aux sources », faisant même de Freddie un personnage plutôt rebutant. À ses dépens, le jeu un tantinet agressif de l’actrice, Park Ji-Min, ajoute à la difficulté, pour le spectateur, d’être dans l’empathie avec un caractère campé de façon aussi ingrate. Réflexion sur l’identité, – est-on le produit inconscient, ou souterrain, de ses origines organiques ? Mais dans quelle mesure, aussi bien, peut-on se construire dans l’ignorance ou le déni de sa propre histoire ? – le film renvoie, bien sûr, à la propre biographie de Davy Chou, né en France de parents nés au Cambodge. Comme ce dernier le dit très bien dans l’entretien qui accompagne le dossier de presse: « Sur la question de l’identité, de l’intégration, on rencontre beaucoup de schéma fictionnel prémâché: en un coup de baguette magique, les personnages finissent en paix avec eux-mêmes. Dans les histoires d’adoption, on pourrait penser que la rencontre avec le parent biologique referme la blessure. Or, dans les récits que j’ai pu recueillir, c’est justement le début des problèmes ». Et tout l’enjeu de ce « Retour à Séoul », d’une âpreté sans artifice. 

Retour à Séoul. Film de Davy Chou. Avec Park Ji-Min, Louis-Do de Lencquesaing, Yoann Zimmer, Emeline Briffaud… France, Allemagne, Belgique, Qatar. Couleur, 2022.  Durée : 1h59. En salles le 25 janvier.

Allons enfants de la batterie !

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Assemblage d'une batterie sur une Volkswagen ID.3, dans « l'usine de verre » Volkswagen à Dresde, le 8 juin 2021. ©Sebastien Kahnert/dpa Picture-Alliance via AFP

Les premiers véhicules électriques ont été brevetés il y a près de cent cinquante ans ! Aujourd’hui encore, leur point fort demeure le moteur mais la batterie reste leur principale faiblesse. Sa fabrication nécessite de telles quantités de métaux stratégiques qu’elle représente aussi une aberration écologique. C’est pourtant ce modèle que nous imposent nos dirigeants.


Les batteries passent souvent pour le composant essentiel de la voiture électrique. Mais c’est bien son moteur qui lui donne son identité et ses performances. Il suffit de se trouver à côté d’une voiture électrique à un feu rouge pour ressentir la différence en termes d’accélération lors du démarrage.

Cette différence tient au couple de la voiture électrique qui a la propriété d’atteindre son maximum quasi immédiatement. Le couple mesure la capacité d’accélération. Un moteur thermique atteint son couple maximum aux alentours de 1 500 à 2 000 tours par minute pour un diesel et plutôt autour de 3 000 tours pour une essence, tandis qu’un moteur électrique en dispose dès les premiers tours.

Simplicité contre complexité

La différence est liée au fonctionnement des deux types de moteurs. Un moteur thermique automobile, c’est-à-dire un moteur à explosion, a, par construction, besoin d’un certain délai pour délivrer sa pleine puissance. Il s’agit même d’une véritable usine à gaz. Au sens propre et figuré. Qu’il soit à essence ou diesel, le moteur doit passer par quatre temps (admission, compression, combustion-détente, échappement) qui actionnent les pistons et les bielles, et font tourner le vilebrequin, lequel, via un arbre de transmission et une boîte de vitesse, entraîne les roues… Véritables exploits mécaniques, les moteurs à explosion transforment l’énergie provenant de l’explosion du mélange air-carburant en mouvement de rotation des roues.

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En comparaison, le moteur électrique se révèle d’une simplicité extrême. L’interaction entre un courant électrique et un champ magnétique engendre une force mécanique. Il suffit de deux composants principaux, le stator et le rotor, alimentés par du courant pour obtenir le moteur. La découverte de ce phénomène ne date pas d’hier. Dès 1821, le physicien anglais Michael Faraday obtient une rotation électromagnétique. Dans les années 1830, plusieurs brevets de moteurs électriques sont déposés et, en 1886, c’est Nikola Tesla qui brevette une première « machine électrique-dynamo ». Les brevets concernant les moteurs à explosion datent de la même époque – 1862 : cycle à quatre temps de Beau de Rochas développé par Nikolaus Otto en 1867 et Gottlieb Daimler en 1887.

La suprématie du moteur à explosion n’est donc pas liée à son antériorité ni à ses performances. Le rendement énergétique d’un moteur thermique est très inférieur. Il varie de 36 % pour un moteur à essence à 42 % pour un diesel. Ces chiffres, théoriques, sont liés à la transformation de l’énergie thermique en énergie mécanique. Une partie importante de l’énergie fournie par le carburant est perdue sous forme de chaleur.

La faiblesse des batteries

Côté moteur électrique, le rendement théorique atteint les 90 %. Dans la pratique, en tenant compte des pertes liées à la recharge des batteries, il se situe entre 55 et 60 %, grâce à l’absence de chaleur dans le cycle de production de l’énergie motrice.

Alors pourquoi l’usine à gaz a-t-elle si longtemps supplanté l’électricité ? Pourquoi des générations d’ingénieurs se sont-elles évertuées à perfectionner un moteur moins efficace ? La réponse est fort simple. Si un tiers des voitures circulant en 1900 étaient électriques, l’industrialisation de la Ford T, en 1908, a changé la donne. Dans le même temps, les multiples découvertes de gisements de pétrole ont permis au moteur thermique de s’imposer. Les voitures électriques, elles, n’ont pas réussi à éliminer leur talon d’Achille : les batteries. Leur fabrication très polluante nécessite des quantités considérables de métaux stratégiques et d’énergie. Bien entendu, les batteries vont continuer à faire des progrès, mais il est peu probable qu’elles puissent offrir rapidement une autonomie de 1 000 km pour un temps de recharge de cinq minutes en dépit des promesses et des annonces fracassantes entendues toutes les semaines…. depuis dix ans.

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Pour donner un ordre d’idées, pour fabriquer une batterie lithium-ion de 400 kg d’une technologie classique pour un véhicule électrique tout aussi classique, il faut 15 kg de lithium, 30 kg de cobalt, 60 kg de nickel, 90 kg de graphite et 40 kg de cuivre. Plus parlant encore, pour obtenir les 15 kg de lithium nécessaires, il faut traiter dix tonnes de saumure de lithium. Pour obtenir les 30 kg de cobalt, ce sont 30 tonnes de minerai. Pour les 60 kg de nickel, on en est à cinq tonnes de minerai. Il faut six tonnes pour les 40 kg de cuivre et une tonne pour les 90 kg de graphite.

L’hydrogène peut changer la donne… un jour

Cependant, il est possible de s’affranchir de ces limites et d’avoir le meilleur des deux mondes, le moteur électrique tout en se passant des batteries. À l’époque des premiers brevets sur les moteurs électriques, en 1839, le chimiste allemand Christian Schönbein découvre l’effet pile à combustible. Le principe repose sur une double réaction chimique : l’oxydation sur une électrode d’un combustible réducteur et la réduction d’un oxydant sur l’autre électrode. Le résultat est une production d’électricité. Pour l’obtenir, il suffit de deux combustibles : l’hydrogène (H2) et l’oxygène (O2). Le premier doit être produit à partir, par exemple, de la molécule d’eau (H2O) et le second est contenu dans l’air.

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Concrètement, il suffit d’installer un réservoir d’hydrogène sous pression dans une voiture et une pile à combustible pour obtenir une voiture électrique qui se passe presque de batteries. Elle produit sa propre électricité. Pour l’alimenter, on se contente de remplir le réservoir d’hydrogène dans une station-service équipée. L’opération ne dure que quelques minutes comme pour le remplissage d’un réservoir d’essence.

D’où la question : pour quelles raisons le couple moteur électrique – pile à combustible n’apparaît-il pas, aujourd’hui, comme la solution idéale pour la transition énergétique dans le transport routier ? Pour deux raisons. Parce que fabriquer de l’hydrogène décarboné demande beaucoup d’électricité elle-même décarbonée. Et depuis des décennies, les gouvernements ont sous-investi dans les capacités de production électrique. Ensuite, parce que sous la pression des mêmes gouvernements et des institutions européennes, les constructeurs automobiles ont investi des dizaines et des dizaines de milliards d’euros dans le véhicule électrique à batteries… Le rôle des politiques est bien de fixer des objectifs à atteindre par les industriels et les ingénieurs. Mais il n’est certainement pas de leur dicter les technologies à utiliser.

Le fantasme du tout-électrique

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Elon Musk présente en grande pompe son futur pick-up électrique Tesla Cybertruck, à Hawthorne, en Californie, 21 novembre 2019. © FREDERIC J. BROWN/AFP

La voiture électrique n’a pas que des avantages. Chère à l’achat, elle est sensible aux variations climatiques, son autonomie reste limitée et le temps de recharge dépend de sa batterie – et des prises existantes! Quant à sa valeur à la revente, elle baisse aussi vite que la technologie progresse.


Si les véhicules électriques à batterie s’imposent, ils le doivent à la nécessaire électrification des transports pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et pas à leurs qualités propres. Leurs performances, leurs prestations et leur facilité d’usage sont inférieures à celles de leurs homologues à moteur thermique. Le véhicule électrique est plus simple à fabriquer que son homologue à moteur thermique, son efficacité énergétique est supérieure, mais il présente de nombreux inconvénients pour l’automobiliste. On peut pointer dix faiblesses des véhicules électriques à batterie.

L’autonomie réelle

L’utilisation d’un véhicule 100 % électrique est fondamentalement différente de celle d’un véhicule thermique. Elle doit prendre en compte une contrainte supplémentaire, celle de la planification de sa recharge en fonction de son autonomie et de son usage prévus. L’autonomie est variable et dépend des performances du véhicule, et plus particulièrement de sa batterie, mais aussi de son utilisation (ville, route, autoroutes, montagne…) et de la météorologie (grands froids, fortes chaleurs).

La puissance des centaines de kilos de la batterie embarquée a beaucoup augmenté au cours des dernières années et les trajets quotidiens ne présentent aucun problème. Il en va tout autrement des longues distances à allure soutenue sur autoroute.

Le coût

Même si, sur l’ensemble de sa durée de vie, un véhicule électrique coûte aujourd’hui au total et en théorie moins cher qu’un équivalent thermique, au moins en bas de gamme, et si les offres se sont considérablement élargies, le coût d’acquisition reste élevé et encore inaccessible aux ménages modestes. Par ailleurs, les véhicules électriques sont encore rares sur le marché de l’occasion qui est de loin celui sur lequel les transactions sont les plus nombreuses.

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Le coût de fabrication du groupe motopropulseur

Le problème du coût élevé à l’achat et à la fabrication d’un véhicule électrique tient avant tout à celui de son groupe motopropulseur et plus particulièrement de sa batterie. Ainsi, pour une voiture à moteur thermique, le groupe motopropulseur représente 18 % du coût de fabrication. Pour un véhicule électrique, cela représente 51 %. Cela signifie que pour faire baisser le prix de vente d’une voiture électrique, il faudra réduire dans des proportions importantes le coût de fabrication des batteries et des moteurs électriques. Même si les capacités de production augmentent rapidement, l’envolée des coûts des matières premières n’est pas vraiment de bon augure.

L’utilisation intensive de métaux stratégiques

Les véhicules électriques permettent de réduire les émissions de gaz à effet de serre, quand on les recharge avec de l’électricité décarbonée comme en France, beaucoup moins en Chine avec de l’électricité provenant de centrales à charbon. Mais leur fabrication laisse une empreinte carbone et environnementale deux à trois fois supérieure à celle d’un véhicule thermique. Cela tient aux matières premières et aux métaux nécessaires à la fabrication des batteries et des moteurs électriques.

Le temps de recharge

Il s’agit d’un élément très important pour la facilité d’usage d’un véhicule électrique. Les progrès réalisés au cours des dernières années sont importants et il est possible de recharger à près de 80 % une batterie en trente minutes avec un superchargeur ou un chargeur rapide. Mais cela fonctionne avant tout avec les modèles haut de gamme et il faut pouvoir accéder à ses chargeurs rapides en nombre très limités. En outre, l’utilisation fréquente de recharges rapides coûte cher et réduit la durée de vie des batteries.

Le manque d’infrastructures de recharge

Il s’agit d’un des points clés pour assurer la poursuite du développement des voitures électriques. La France comme l’Europe accumulent les retards par rapport aux promesses d’implantations de bornes. Sans parler d’une jungle de réglementations et de normes pour pouvoir y accéder et les faire fonctionner. Par ailleurs, l’installation de bornes rapides et donc puissantes nécessite des réseaux électriques adaptés, ce qui est loin d’être le cas.

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La dépréciation rapide et la durée de vie des batteries

La dépréciation de la valeur des véhicules électriques est rapide. Cela tient évidemment avant tout aux batteries qui sont une pièce d’usure. Elles se dégradent et ont une espérance de vie de l’ordre de dix ans en fonction de leur utilisation et de leur qualité, notamment le refroidissement. L’espérance de vie d’un véhicule thermique est aujourd’hui bien plus grande.

Des progrès technologiques rapides à double tranchant

Il s’agit d’un paradoxe, mais la vitesse à laquelle se succèdent les lancements de nouveaux modèles plus performants est à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle pour les acheteurs. Cela signifie que leurs véhicules électriques offrent des prestations améliorées, mais qu’ils risquent d’être dépassés et obsolètes en quelques années. Il sera ainsi plus difficile de les revendre.

Sensibles aux températures extrêmes

Les véhicules électriques n’aiment pas les grands froids et les vagues de chaleur. Dans le premier cas, outre la consommation électrique importante pour chauffer l’habitacle, les performances mêmes des batteries sont sensiblement réduites. Pour ce qui est des fortes chaleurs, les batteries souffrent moins, mais c’est la nécessité de faire fonctionner la climatisation de l’habitacle qui réduit l’autonomie.

Des constructeurs vont disparaître

Aujourd’hui, aucun constructeur automobile ou presque ne gagne d’argent avec la commercialisation de voitures électriques. Il est très vraisemblable qu’une partie des grands groupes automobiles actuels ne survivra pas à cette mutation forcée. Dans le classement des sociétés les plus endettées au monde, l’automobile est le secteur le plus représenté. Volkswagen est le numéro un mondial avec 192 milliards de dollars de dettes, Daimler-Benz est quatrième (151 milliards), Toyota cinquième (138 milliards), Ford septième (122 milliards) et BMW huitième (114 milliards).

Les hommes viennent de Mars, les femmes de Vénus et le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes tombe de la Lune

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Sylvie Pierre-Brossolette, ici photographiée en 2014, est présidente du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes © WITT/SIPA

Mercredi 25 janvier, Emmanuel Macron reçoit la présidente du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, qui vient proposer des mesures pour renforcer ladite égalité. Le sexisme s’aggrave en France. Le Haut Conseil a publié un rapport qui non seulement se désole de la pérennité des discriminations, mais constate l’attitude particulièrement «masculiniste» des 25-34 ans. Jean-Paul Brighelli, qui a légèrement dépassé cette tranche d’âge, jette un regard dépassionné mais perplexe sur ce rapport qui stigmatise globalement tous les hommes.


L’étude publiée par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes s’appuie sur un sondage réalisé en octobre dernier. Le très progressiste Huffington Post s’est empressé d’en synthétiser les éléments les plus remarquables. Mais la lecture exhaustive du document n’est pas sans intérêt.

Dès le début, le rapport rappelle que « le monde professionnel s’avère particulièrement sexiste (seul·e·s deux Français·e·s sur 10 estiment que les femmes et les hommes y sont égaux en pratique, un score en baisse de trois points) suivi de près par les pratiques religieuses, les mondes politique et du sport, l’espace public, les réseaux sociaux, la vie de famille et les médias. » C’est le seul moment dans le rapport où les « pratiques religieuses » sont citées. Et pourtant — pourtant…

Ainsi, « c’est dans les sphères perçues comme particulièrement inégalitaires qu’elles ont vécu le plus ces situations sexistes : la rue et les transports (pour 57 % d’entre elles), le foyer (49 %) ou encore le monde du travail (46 %). »

Allons, une petite anecdote pour aller dans ce sens.

Je vis à Marseille. En septembre dernier, par temps très chaud, ma compagne se baladait, en short, à quatre heures de l’après-midi dans le centre-ville de la cité phocéenne, comme on dit. Deux hommes jeunes de type marseillais — tous ceux qui connaissent le quartier Noailles voient ce qu’il en est — l’ont traitée de pute, comme il convient. Elle se rebella, les invita à aller se faire voir chez les kabyles, ils lui sautèrent dessus, elle leur décocha quelques gnons bien placés —ô et fut immédiatement ceinturée par un passant, non pour la protéger, mais pour l’empêcher de les houspiller. « Enfin, madame, c’est leur culture, c’est normal ! »

Persistance du machisme

Des situations de ce type, ici, sont monnaie courante. C’est l’une des raisons qui expliquent que les musulmanes de la ville se voilent, moins par conviction que pour empêcher de se faire stigmatiser par leurs coreligionnaires.

Image d’illustration Unsplash

Alors le rapport du Haut Conseil à l’égalité restera un peu hors sol, tant qu’il ne fera pas une étude fine des comportements. Il n’est pas bien grave que « « 32 % des 25-34 ans considèrent que le barbecue est une affaire d’homme ». Il est plus inquiétant de lire que « 14 % des femmes ont subi un « acte sexuel imposé » (22 % des femmes de 18 à 24 ans) », y compris « sous l’emprise d’alcool ou de drogue ». Peut-être faudrait-il éviter de se torcher méchamment en mauvaise compagnie.

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La tranche des 24-35 ans est particulièrement sexiste, sachez-le. Quelle surprise, à un âge où la testostérone parle à haute voix… Mais surtout, dans quel milieu, sous quelle emprise religieuse, quelle culture ? Le rapport est muet sur ce point. Par ailleurs, « 20 % des 25-34 ans considèrent que pour être respecté en tant qu’homme dans la société, il faut vanter ses exploits sexuels auprès de ses amis (contre 8 % en moyenne) » — et bien entendu, les filles ne se racontent jamais leurs bons et mauvais coups.

Le rapport inclut dans cette persistance du machisme ce qu’il appelle le mansplaining, un joli mot-valise anglo-saxon (dont nous n’avons aucun équivalent français) qui consiste à « expliquer » à une femme avec condescendance ce qu’elle doit faire pour réussir telle ou telle opération. « Ma chérie, pour faire du café, il vaut mieux allumer le gaz sous la cafetière. Et auparavant, mettre du café dans l’ustensile » — situation vécue.

Diableries

Peut-être aussi faudrait-il éviter de prendre en compte, dans ce sondage, ce qui est règlements de compte d’après divorce. Parions que Céline Quatennens, qui a finalement porté plainte pour mauvais traitements contre l’abominable Adrien, racontera bientôt que leurs étreintes antérieures étaient toutes sous la contrainte, l’élu LFI l’ayant à chaque fois attachée aux montants du lit avec son écharpe tricolore. Peu importe que les enfants l’aient pendant des années entendue haleter dans l’étreinte comme une locomotive asthmatique : a posteriori, si je puis m’exprimer ainsi, ce n’étaient que diableries « masculinistes ».

Patrick Besson vient de rassembler sous le titre générique Est-ce ainsi que les hommes vivent ? ses chroniques hébergées dans Le Point — et le contenu, d’une ironie sans cesse mordante, est conforme au titre, empruntée à la chanson de Léo Ferré, elle-même reprenant le titre d’un poème d’Aragon (à la fin du Roman inachevé) narrant les belles aventures du poète dans les bordels de l’après-Grande Guerre. Dans « Accord préalable », Besson imagine le texte d’un accord passé devant notaire visant au « rapprochement physique » consécutif à leur rencontre : « Par ledit document, Monsieur A et Mademoiselle B s’engagent l’un envers l’autre à ne pas contester le fait que leur premier baiser, intervenu à 6h14 le jour même dans un taxi traversant la Seine sur le pont Alexandre III, n’a donné lieu, par aucune des parties, à une quelconque résistance. »

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« Monsieur A et Mademoiselle B, souhaitant donner suite à leur rencontre, se sont présentés ce jour devant notaire afin d’établir un accord préalable qui leur permettra, en cas de litige, de pouvoir se retourner l’un contre l’autre en toute légalité. »

S’ensuivent les circonstances planifiées de la future étreinte, « dans un hôtel parisien de catégorie grand luxe ou luxe » : « Le rapport sexuel en lui-même ne devra pas excéder deux heures trente et ne pourra inclure la sodomie que si Mademoiselle B en fait la demande écrite sur un papier daté et signé à en-tête de l’hôtel. »

J’attends avec impatience qu’un metteur en scène inspiré en tire un court métrage posément hilarant (chaque article du recueil peut d’ailleurs fournir la matière d’un petit film ironique). J’attends aussi qu’un réalisateur au long cours se saisisse du rapport du Haut Conseil à l’égalité et en décortique à l’écran les situations équivoques et scandaleuses qu’il répertorie. Nous aurons enfin de quoi rire — mais peut-être ne sourirons-nous plus jamais.

Patrick Besson, Est-ce ainsi que les hommes vivent ?, Albin Michel, janvier 2023, 480 p.

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Les Coréens contre les mosquées

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Capture d'écran France 24 / YouTube

En Corée du Sud, le projet de construction d’une mosquée importante dans la troisième ville du pays suscite des objections de la part des riverains, des objections qui vont très loin sur le plan symbolique.


En Corée du Sud, un projet de construction de mosquée fait polémique [1].

Christianisme et bouddhisme représentent 25% et 15% des croyants respectivement

Dans la ville de Daegu, dans le sud du pays, une maison que des fidèles originaires du Pakistan et du Bangladesh utilisaient comme salle de prière doit être transformée en édifice de trois étages avec minaret.

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Bien que les autorités locales aient autorisé cette construction il y a deux ans, de nombreux habitants du quartier s’y opposent. Des têtes de cochon (voir notre vidéo, ci-après) sont régulièrement placées en face du lieu de prière. Sur les pancartes en anglais de certains manifestants on a pu lire : « Les musulmans qui tuent des gens brutalement et les décapitent, allez-vous en de ce quartier immédiatement. Terroristes ! » Ou encore : « L’islam est une religion diabolique qui tue des gens ». Rappelons que le christianisme et le bouddhisme sont les deux principales religions du pays. Bien que la majorité des 51 millions de Sud-Coréens se déclarent sans religion, le pays compte un peu plus de 25% de chrétiens et 15% de bouddhistes, tandis que les musulmans représentent moins de 1% de la population et sont en grande majorité des étrangers, essentiellement originaires d’Asie du Sud-Est.

Crise démographique

La première mosquée du pays est la Mosquée centrale de Séoul, construite en 1976. Depuis, 18 autres sont venues s’ajouter à la liste, toutes répertoriées par la Fédération musulmane de Corée. Bien que les actions de certains Coréens opposés au projet ne soient pas acceptables, les inquiétudes des habitants quant à l’édification d’une nouvelle mosquée dans le pays sont peut-être alimentées par le fait que ce dernier est confronté à un problème démographique majeur. Avec un taux de fécondité inférieur à un enfant par femme, le gouvernement prévoit une population de 39 millions d’habitants d’ici les années 2060. La Corée du Sud fera-t-elle le choix, comme de nombreux pays occidentaux, de recourir à une immigration de masse pour pallier son déficit démographique ? En attendant, certains Coréens décident de mettre le holà pour se prémunir des fous d’Allah, réels ou présumés.


[1] https://www.lemonde.fr/international/article/2023/01/11/en-coree-du-sud-la-mosquee-de-la-discorde_6157355_3210.html

Nos jeunes, «pauvres» du langage, condamnés à l’impuissance et à la violence

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Bande annonce de "La Haine" (1995), film de Mathieu Kassovitz. Image: capture d'écran YouTube.

Plus d’un jeune Français sur 5, après des années passées dans les murs de l’école de la République, se trouve dans une situation d’insécurité linguistique globale à l’oral comme à l’écrit. Cette insécurité obscurcit durablement son horizon culturel et professionnel. Échec scolaire, errance sociale, voilà où les a conduit l’incapacité de mettre en mots leur pensée avec précision et de recevoir celle de l’Autre avec vigilance. Pour tous ces jeunes gens et jeunes filles, la défaite de la langue c’est aussi la défaite de la pensée et le renoncement à tout engagement pacifique.


Que l’on ne se méprenne pas ! Je ne plaide pas pour une servile obéissance à une norme immuable. Je ne me lamente pas sur la pureté perdue d’une langue que tout changement pervertirait. Dénoncer l’insécurité linguistique, ce n’est pas stigmatiser les fautes d’orthographe et de grammaire. Ce n’est pas, non plus, pester contre les innovations lexicales. En matière de langage, la nostalgie est toujours mauvaise conseillère… Ce que je dénonce, c’est qu’aujourd’hui trop de jeunes soient privés de mots suffisamment nombreux et précis, de structures grammaticales suffisamment rigoureuses et de formes d’argumentation suffisamment articulées pour imposer leur pensée au plus près de leurs intentions et pour accueillir celle des autres avec infiniment de lucidité et d’exigence.

Une école de la République trop complaisante

Reclus dans leur entre-soi, ils n’ont connu que promiscuité, banalité et indifférence ; leur horizon de parole limité a réduit leur vocabulaire et brouillé leur organisation grammaticale. Ce sont les « pauvres » du langage, impuissants à défendre leurs points de vue, incapables de dénoncer la manipulation, sans défense contre l’arbitraire et l’injustice. Dans ce contexte d’insupportables inégalités linguistiques, les moins favorisés, qui ont manqué cruellement de modèles (notamment à l’école), ont besoin aujourd’hui d’exigence et non de complaisance.

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L’impuissance linguistique contraint ceux qui la subissent au constat ponctuel et à la qualification radicale ; elle interdit le questionnement et l’analyse ; elle rend difficile le refus de mots d’ordre définitifs et la mise en cause de comportements et de règles archaïques faussement présentés comme universelles. Les citoyens, privés de pouvoir linguistique, en difficulté de conceptualisation et d’argumentation, ne pourront en effet pas prendre une distance propice à la réflexion et au questionnement. Ils seront certainement plus perméables à tous les discours sectaires et intégristes qui prétendront leur apporter des réponses simples, immédiates et définitives. Ils pourront plus facilement se laisser séduire par tous les stéréotypes qui offrent du monde une vision dichotomique et manichéenne. Ils se soumettront plus docilement aux règles les plus rigides et les plus arbitraires pourvu qu’elles leur donnent l’illusion de transcender les insupportables frustrations quotidiennes.

La bataille contre l’abêtissement perdue

Au sortir de l’école, nos jeunes ont aujourd’hui à affronter un monde face auquel l’impuissance linguistique et la vulnérabilité intellectuelle se révèlent souvent fatales. Un monde où discours et textes de nature totalitaire et sectaire, portés par des réseaux sociaux frelatés, risquent de s’imposer à des esprits faibles et crédules. Après avoir passé plus de 10 ans à l’école, ils avaleront donc  avec délectation ce qui  relève de l’amalgame, de l’illogisme et de la haine imbécile. Ils se laisseront berner par des démonstrations marquées au coin du contre sens. Ils seront convaincus par des arguments de pacotille. 

L’école, depuis trop longtemps en friche, et la famille, souvent sans repères, ont ainsi perdu la bataille contre l’abêtissement. Sur les réseaux dits sociaux, qui enferment plus qu’ils ne libèrent, la vulnérabilité linguistique et intellectuelle de nos jeunes leur font  renoncer à agir sur le monde et à y laisser une trace singulière. Là, les responsables de tous leurs malheurs sont dénoncés, des complots enfin identifiés, une cible à leur haine pointée dans une guerre qu’on leur dit juste et nécessaire. Tout ce qui éclaire leur quotidien glauque, tout ce qui apaise leur sentiment de néant est accueilli avec reconnaissance: enfin élus, enfin reconnus ! Ce que nous avons offert en sacrifice, sur l’autel du web, à de dangereux manipulateurs, ce sont les mots imprécis, les mémoires vides et le dégoût de soi d’une partie de notre jeunesse.

Parole éruptive

Une part importante des jeunes Français ne possède donc que quelques centaines de mots, quand il leur en faudrait plusieurs milliers pour tenter d’examiner et d’accepter pacifiquement leurs différences. S’expliquer leur paraît alors aussi difficile qu’incongru. Beaucoup de jeunes en insécurité linguistique ont ainsi perdu cette capacité spécifiquement humaine de tenter d’inscrire pacifiquement leur pensée dans l’intelligence d’un autre par la force respectueuse des mots. Réduite à la proximité et à l’immédiat, leur parole a renoncé au pouvoir de créer un temps de sereine négociation linguistique, seule capable d’éviter le passage à l’acte violent et à l’affrontement physique.

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Cette parole devenue éruptive n’est le plus souvent qu’un instrument d’interpellation brutale et d’invective qui banalise l’insulte et précipite le conflit plus qu’elle ne le diffère. S’ils passent à l’acte de plus en plus vite et de plus en plus fort aujourd’hui, c’est parce que l’école comme la famille n’ont pas défendu avec suffisamment de conviction et… d’amour la vertu de rassemblement pacifique du langage. L’une comme l’autre ont oublié que cultiver la langue de leurs enfants et de leurs élèves, veiller à son efficacité et à sa précision, c’était leur permettre de mettre en mots leurs frustrations, de formuler leurs désaccords et… de retenir leurs coups. École et famille n’ont pas su  mener un combat quotidien et combien nécessaire contre la dictature de l’appartenance, contre l’imprécision et la confusion des mots, sources de tous les malentendus. Elles ont ainsi renoncé à ce que chacun puisse aller chercher au plus loin de lui-même celui qu’il ne connaît pas, celui qui ne lui ressemble pas, celui qui… ne l’aime pas et à qui il le rend bien. Comment peut-on appeler à une participation de tous les jeunes aux débats essentiels d’aujourd’hui  alors que, pour certains, la langue qu’on leur a passée ne leur permet pas de dénouer les incompréhensions, de jeter des ponts au-dessus des fossés culturels, sociaux et confessionnels qui les divisent ? Reconnaître leurs différences, les explorer ensemble, reconnaître leurs divergences, leurs oppositions, leurs haines et les analyser ensemble, ne jamais les édulcorer, ne jamais les banaliser, mais ne jamais leur permettre de mettre en cause leur commune humanité: voilà à quoi devrait servir la langue qu’on leur a si mal transmise; voilà à quoi devraient servir les conventions orthographiques et grammaticales non négociables qui devraient les rassembler dans un échange serein.

L’impuissance linguistique a réduit certains jeunes à utiliser d’autres moyens que le langage pour imprimer leurs marques : ils altèrent, ils menacent, ils tueront peut-être un jour parce qu’ils ne peuvent se résigner à ne laisser ici-bas aucune trace de leur éphémère existence. Leur violence s’est nourri de l’impuissance à convaincre, de l’impossibilité d’expliquer, du dégoût  d’eux-mêmes et de la peur des autres. Leur violence est d’autant plus incontrôlée, d’autant plus immédiate qu’elle est devenue muette. Et un regard de travers peut aujourd’hui couter la vie !

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