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Chérie, ils ont rétréci le Mondial de l’auto!

Un salon passé de mode


Chérie, ils ont rétréci le Mondial de l’auto!
L'édition 2022 du Mondial de l'automobile de Paris. RETMEN/SIPA

Le dernier Mondial de l’automobile a été un triste rendez-vous. Finie la foule d’amateurs venus en famille, finies les belles carrosseries et les grosses cylindrées étrangères, adieu pin-up et hôtesses souriantes… L’heure est à la repentance sous l’égide d’un ordre moral écolo.


Je me suis autorisé à prendre un taxi pour aller au Mondial de l’auto. Il y a une sorte de cohérence à se rendre à ce genre de manifestation en voiture. Je voulais me renseigner. Ma voiture, Crit’Air 3, allait être bientôt interdite de centre-ville. J’ai quand même été un peu déçu de voir que le chauffeur avait besoin de chercher sur Internet pour savoir où ça se tenait.

La dernière fois que j’étais venu à ce salon, c’était avec mon père, il y a presque cinquante ans. Il m’avait accordé cette échappée à deux. C’est toujours bien, dans la vie, quand il y a un peu de place pour le plaisir. La cohue, à cette époque, était encore plus monstrueuse qu’au Salon de l’agriculture. Mon père croyait au progrès, au programme autoroutier, au peintre Matthieu et surtout à la voiture. En fait, il croyait à l’avenir du pays et peut-être même au mien par la même occasion.

Déprime au Mondial…

Le taxi m’a laissé à l’entrée du Palais des expositions. Il n’y avait pas de queue. Les gens ont dû prendre leurs billets sur Internet, me suis-je dit. Je me suis avancé sur l’allée principale, presque déserte. Cent mètres plus loin, une quinzaine de personnes, presque exclusivement des hommes, étaient agglutinées devant une colonne indiquant les marques participantes et leur emplacement.

– Il n’y a pas Alfa Romeo ! se désolait mon voisin de gauche.

– Aucune allemande ! râlait celui de droite.

– Ni de japonaises ! geignait un autre.

Certains pestaient contre les nouvelles taxes. D’autres s’en prenaient aux écolos. Finalement, le silence est retombé. C’était l’impasse.

– Mais, ai-je fait remarquer avec une nuance de gaieté forcée, il y a Renault et Peugeot !

Personne n’a relevé.

– Allez, René, on s’en va, a tranché une femme.

– Chérie, a répondu avec hargne son mari, c’est toi qui as voulu venir !

La plupart restaient là, bras ballants, à chercher l’erreur. C’était comme s’ils venaient de comprendre que les Français ordinaires seraient condamnés à rouler dans de petites voitures, comme jadis les habitants des pays de l’Est avec leur Trabant. Je me suis dirigé vers le hall B accueillant la première marque française participante.

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Symphonie des efforts

Contrairement aux souvenirs que j’avais de la visite avec mon père, il n’y avait pas de belles nanas sur les capots. Cependant, sur une estrade débutait un débat relayé par un écran géant. Le parterre était presque exclusivement masculin. Deux femmes managers, représentant le constructeur, étaient assises face à la caméra. Sur le côté, un homme du public avait été invité à monter à la tribune.

– Tu t’appelles comment ? a dit la première manager.

– Alain.

– Merci, Alain, d’avoir accepté de venir débattre. Dis-nous ce que tu aimes dans la vie !

– Bah, c’est pas compliqué, j’aime ce qui fait du bien !

Sifflements…

– Tu peux préciser ? a repris la première.

– Évidemment, j’aime bien les voitures, j’aime rouler, partir en week-end, partir en vacances, aller à la pêche ! Je suis content même quand je lave ma voiture !

– Je vois ! a lâché la première manager.

– J’imagine, est intervenue la seconde, que tu es bien conscient, Alain, qu’il va falloir faire des efforts, n’est-ce pas ? Sortir de ta zone de confort, n’est-ce pas ? Consentir quelques petits sacrifices. Ça s’appelle é-vo-luer, n’est-ce pas, Alain ?

Cette femme m’intriguait. Elle semblait avoir oublié son rôle promotionnel et commercial. Plutôt que sur la classique érotisation des voitures, elle misait tout sur l’enthousiasme à se fondre dans une symphonie des efforts. Elle mettait en avant la satisfaction morale de contribuer au salut de la planète. Les ingénieurs de la marque faisaient, disait-elle, des efforts considérables, mais chacun d’entre nous devait en faire autant. Les gens l’écoutaient sans broncher et avec bonne volonté. Au bout d’un moment, j’ai quand même eu vaguement l’impression que cette femme savourait le fait d’expliquer à cette assemblée d’hommes que leurs plaisirs, misérablement virilistes, seraient dorénavant rationnés.

Le débat fini, j’ai fait la queue pour m’asseoir dans le véhicule le plus gros de la marque. L’intérieur était pourtant très exigu, ma tête touchait le plafond et mon épaule la vitre. Le pare-brise et les glaces étaient d’étroites fentes, comme si ce SUV était configuré pour la chasse au rhinocéros. La carrosserie aux formes polygonales était moche, presque vulgaire. Le plus grave était le prix, presque le double de celui de ma voiture actuelle, et il fallait y ajouter un éprouvant calcul de taxes et de bonus. En résumé, ce véhicule hybride rechargeable extraordinairement coûteux n’était nullement désirable. J’ai fait la même expérience avec les voitures voisines. C’est pourtant bien, la vie, quand il y reste un peu de place pour le plaisir.

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Consolation coupable

Ensuite, j’ai filé vers le hall C. Chemin faisant, j’ai noté la présence d’une foultitude d’équipementiers qui m’étaient inconnus, mettant en avant des arguments principalement d’ordre moral. J’ai repensé à ma première voiture, une R5 rouge décapotable d’occasion. J’ai des souvenirs imprécis et peu nombreux de ma première femme – honte à moi –, mais je n’ai rien oublié de ma première voiture. Elle était la liberté à l’état pur. Aucune scène de ménage. Juste la liberté. Avec elle, j’ai découvert la France, j’ai découvert l’Europe. J’ai découvert la vie.

Je suis arrivé au hall C où se trouvait le deuxième grand constructeur français. J’ai compris instantanément que tout était du même tonneau. En cherchant la sortie, j’ai remarqué de l’affluence dans un cul-de-sac, au fond du hall. Il semblait y avoir des rideaux, comme si ce coin était réservé aux stands pornos. Je me suis approché. On exposait là d’anciens modèles de voitures de sport. On y avait même autorisé des pin-up. Les gens étaient contents. Ils faisaient des selfies.

Mon père, à la fin de sa vie, avait tenu à s’acheter une Mercedes. Il voulait finir en beauté. Sa berline a peu roulé. Si on avait été au Néolithique, on l’aurait enterrée avec lui, sous un tumulus.

Quand je suis sorti, le temps était gris et doux. J’ai parcouru une centaine de mètres avant de déboucher sur un espace où des bancs formaient un cercle. Il y avait également une cahute où l’on vendait des saucisses. Une trentaine d’hommes y étaient assis et la plupart mangeaient des hot-dogs. Personne ne disait rien. Ils mâchaient en regardant devant eux. Moi aussi, je me suis payé un hot-dog, avec supplément moutarde. C’est toujours bien, dans la vie, quand il y a un peu de place pour le plaisir.

Janvier 2023 – Causeur #108

Article extrait du Magazine Causeur




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est écrivain. Dernier ouvrage paru : Précipitation en milieu acide (L'éditeur, 2013).

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