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L’élégance de l’ancien pauvre

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France 3 diffuse ce vendredi soir à 21h 10 « Salvatore Adamo, ma vie, la vraie… », une rétrospective de sa carrière écrite par Patrick Jeudy et racontée par Daniel Auteuil.


Et si vous passiez, ce soir, deux heures en compagnie de Salvatore ?

Deux heures où les images en noir et blanc défilent dans un halo de nostalgie, où la chanson d’amour, désuète et essentielle à la compréhension de nos troubles intérieurs, produit un effet sur les cœurs les plus endurcis. Deux heures où la voix de Salvatore, charbonneuse et ensoleillée, ce fil tendu entre la Sicile et les terrils du Hainaut depuis tant de décennies, nous fait voyager dans nos souvenirs. Salvatore ne fige pas le passé, il ne le fossilise pas, il est l’un des rares chanteurs populaires à arpenter cette terre vaste que l’on nomme la mémoire. Il nous libère du poids des années sans oublier ce que nous fûmes. Il arrive sur scène, coiffé et cravaté, dans son costume sur mesure, impeccable, trop sage certainement à l’heure des yéyés. Il a été si bien élevé, alors, on ne se méfie pas de lui. Il ne grogne pas. Il ne bégaye pas à la manière de « Salut les copains ». Il ne massacre pas des guitares électriques sur scène en vantant les vertus des substances illicites. Il ne cherche pas à se faire passer pour un autre, plus révolté, plus libéré, plus moderne, plus équivoque. Il n’a pas besoin de paradis artificiels pour nous emporter ailleurs. Cependant, ne vous laissez pas abuser par sa transparence de façade, cet immigré aux belles manières ne porte pas la pauvreté comme un lourd fardeau ou un étendard démago, Salvatore ne se victimise pas, ne se flagelle pas, il chante indifféremment pour les gamins de la mine et la princesse Paola, pour les lycéennes japonaises et les groupies chiliennes, pour les garde-barrières ch’timi et les romantiques de Passy, sa musique, car il est auteur et compositeur, n’appartient à aucune classe sociale définie. Elle touche partout dans le monde, par l’intelligence de son innocence, la simplicité des choses vécues, là, cet amour qui s’enfuit, ce rendez-vous manqué, toutes les légères meurtrissures du quotidien, Salvatore les capture, en fait son lit et nous les restitue dans leur vérité virginale. C’est la définition même de l’art, un jet direct et prodigieux, une secousse qui ne se ment pas à elle-même.

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« D’inspiration sicilienne, elle est en mineur », il parle ainsi de son inspiration, « anodine et badine » ajoute-t-il, pour en atténuer l’écho. Sa modestie, parfois surjouée, ne nous trompe pas sur son intention première, cristalliser les cahotements des temps indécis. Quand « Tombe la neige » éclata à la radio en 1963/1964 et fit de lui, en un éclair, une vedette riche et assaillie par des centaines de jeunes filles, il y avait déjà dans ce tube planétaire les ferments de la mélancolie.

Ce slow désespéré et tendre est un cri dans la nuit ; à tous les âges de la vie, nous succombons à ce fado lancinant et poignant. La voix de Salvatore, ce torrent de rocailles, agit comme un détonateur, il révèle nos failles, les explose à la dynamite, nous met à nu et nous apaise. Nous ne pouvons retenir nos larmes. Ses paroles d’une sobriété jésuitique sont un appel à la résilience, à monter dans cet impassible manège. Salvatore, petit frère de Brel, redonne aux mots, leur force tellurique, l’onde du fracas est en lui. Il faudrait être sec et bien insensible pour ne pas chavirer au son de « Requiem pour six millions d’âmes » et à sa « Jérusalem coquelicot sur un rocher ». Lors de son Olympia 1965, le fils de puisatier devenu mineur, reçut la reconnaissance du métier. Le tout-Paris l’applaudit durant de longues minutes. Bruno Coquatrix veillait sur lui derrière le rideau rouge, Richard Anthony et Gilbert Bécaud l’embrassèrent à la fin de son tour de chant, Françoise Dorléac le couvait d’un doux regard, et Mauriac préparait déjà sa chronique enthousiaste du lendemain.

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Durant deux heures, Salvatore se livre sur sa carrière, un mot qu’il n’aime pas, sur ses parents, son frère et ses sœurs, ses enfants, sur le Liban, sur les incompréhensions d’Inch’Allah, sur une vie de rock-star dans la peau du gendre idéal, sur sa vie privée, sur la solidarité entre émigrés dans le Nord, sur son compatriote Arno disparu en avril 2022, sur les filles du bord de mer, sur l’essence même de sa musique. Alors, vous permettez Monsieur Adamo que l’on vous place très haut dans la chanson française.

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Le courage des planqués

En manifestant depuis des semaines, les Iraniens nous donnent une leçon de courage. Ici, de nombreuses vedettes soutiennent leur combat, un «engagement» sans risque. Quand auront-elles le cran de se révolter contre ceux qui menacent nos valeurs sur notre propre sol?


Labellisé respectable?

Faire correctement son métier, voire exceller dans ses activités, ne suffit plus. Quoi qu’on fasse, il convient désormais de se dire aussi « engagé » si l’on veut obtenir le label de respectabilité qui tient lieu de sésame social. Alors s’engager pour une juste cause ? Sans aucun doute, mais à condition de s’être auparavant désolidarisé de la troupe des « engagés » de tous bords qui occupent l’espace médiatique, et dont la bonne conscience militante alimente une rhétorique accusatrice. Car on ne s’engage réellement que si l’on se met soi-même « en gage », autant dire si l’on court un vrai risque. Or, que constate-t-on ? Que les engagements les plus risqués ne sont pas les plus spectaculaires, mais ceux qui consistent à ne pas céder au quotidien un seul pouce de terrain aux terroristes en tous genres, aux islamistes, aux adeptes de la cancel culture, etc. ; des engagements privés ou publics qui ont su garder intacte la flamme de la révolte qui brûlait dans le cœur d’Antigone, de Louise Michel, et des femmes iraniennes aujourd’hui prêtes à tout pour retrouver liberté et dignité.

Que risquent par contre les écolos qui vont dans les musées maculer des tableaux, sinon une amende et quelques heures de garde à vue ? Que risquent les engagés professionnels qui hantent depuis des décennies les zones de combat et surtout leurs périphéries ? Sartre l’avait  bien dit, que l’intellectuel se dédouanait ainsi d’être resté un petit (ou grand) bourgeois ! Miné par sa mauvaise conscience autant que par son impuissance, l’intellectuel a depuis lors il est vrai cédé le pas aux organisations humanitaires qui, elles aussi, se dédouanent d’enfreindre les lois en invoquant une solidarité qu’elles sont seules à penser universelle, et qu’on ne saurait remettre en cause sans être taxé d’inhumanité. Que risquent enfin les minorités qui se font entendre pour faire payer à leurs oppresseurs supposés la « différence » qu’elles pourraient assumer en toute indépendance et avec une fierté cette fois-ci légitime ?

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Mais en matière d’engagement sans conséquences, la palme revient aux people usant de leur notoriété pour voler au secours de ceux des opprimés qu’ils jugent respectables. Ainsi en fut-il du spectacle récemment offert par les vedettes du show-biz se coupant devant les caméras une mèche de cheveux – la plus petite et la moins visible possible ! – en signe de solidarité avec les femmes iraniennes. Se seraient-elles tondues qu’on aurait peut-être commencé à les prendre au sérieux, au risque, il est vrai, de leur prêter une soudaine aspiration à la vie monastique peu compatible avec leur statut de star, ou de ranimer le très mauvais souvenir de femmes livrées à la vindicte populaire. Mais enfin la question se pose : comment, sans se couvrir de ridicule ou se payer de mots, se montrer réellement solidaire d’une cause qu’on pense juste mais dont les tenants et aboutissants nous échappent ? Car enfin, le régime des mollahs, c’est le peuple iranien qui l’a voulu, même si la jeunesse d’aujourd’hui n’en veut plus et si les femmes sont prêtes à risquer leur vie pour sortir dans la rue tête nue ! Comment une culture plusieurs fois millénaire d’une aussi exceptionnelle richesse que celle de l’Iran en est-elle arrivée à ce suicide collectif ?

Un bouclier théâtral loin du vrai courage

Il ne suffit donc pas de faire savoir à ces femmes que nous sommes solidaires de leur combat pour effacer les ambiguïtés de l’Histoire, car la liberté de vivre à l’occidentale pour laquelle elles se battent leur fut octroyée sous le règne du Shah, jugé par ailleurs haïssable. La complexité de la situation iranienne montre que, si nos fameuses « valeurs » permettent à court terme de briser les chaînes, elles ne constituent pas forcément à plus long terme un idéal désirable au regard d’une culture comme celle de l’Iran ou de l’Afghanistan[1]. Une leçon de solidarité nous est en retour donnée par cette femme afghane que nous voyons, dans un documentaire diffusé par Arte[2], sortir seule la nuit dans Kaboul pour distribuer des tracts, non sans avoir cité, pour se donner du courage le nom de Sophie Scholl[3]: ce qu’elle a fait, je peux aussi le faire ! Quel collégien français endoctriné par le wokisme sait aujourd’hui qui était Sophie Scholl, et ce que fut La Rose blanche en matière d’engagement total contre le nazisme ? Cette femme afghane le savait, sans avoir à évoquer nos « valeurs », mais parce que le courage, qui donne la force de se révolter, crée aussi les vraies solidarités.

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On ne peut donc exclure qu’à force de « s’engager » pour un oui et pour un non, on se dispense d’avoir un jour à se révolter pour de bon. Le différend idéologique qui opposa Jean-Paul Sartre et Albert Camus dans les années 1950 n’a en ce sens jamais cessé d’être d’actualité ; l’un prônant l’engagement des intellectuels en dépit de leur situation ambiguë et de son peu d’efficacité, et l’autre cherchant à ranimer la flamme de la révolte dans les esprits les plus blasés (L’Homme révolté, 1951). S’il est vrai, comme le pense Camus, que le révolté est celui qui ose un jour dire « non », et effectue la volte-face qui met sa vie en danger, alors il est clair que nous sommes tout sauf des révoltés et que « l’engagement » tend à devenir le paravent, le bouclier théâtral derrière lequel nous abriter. On nous dira sans doute qu’il est mieux de s’engager que de ne rien faire, et qu’on fait ce qu’on peut avec les moyens dont on dispose. Alors faisons-le d’abord localement, là où l’engagement a des chances de porter ses fruits, et manifestons notre solidarité avec toutes les femmes muselées par l’islamisme radical en ne le laissant pas gangrener la France où les plus menacées d’entre elles pourront alors, si elles le souhaitent, trouver refuge. Qu’aurons-nous à leur offrir si nous sommes nous-mêmes réduits au silence ?

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[1] Cf. Daryush Shayegan, Schizophrénie culturelle : les sociétés islamiques face à la modernité (1989).

[2]  Patrick de Saint-Exupéry et Pedro Brito da Fonseca, Afghanistan : un an après la prise de pouvoir par les talibans, documentaire de visible en replay sur Arte.

[3] Étudiante à l’université de Munich, Sophie Scholl (1921-1943) a été guillotinée avec son frère Hans pour avoir fondé le groupe dissident La Rose blanche et distribué des tracts invitant à la résistance contre le nazisme.

De quoi le rejet de la réforme des retraites est le nom

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Le rejet de la réforme cristallise en lui le manque de confiance des citoyens envers les élites, la déshumanisation du travail, l’évolution des mentalités des jeunes générations quant au rapport au travail, et surtout l’absence de projection vers l’avenir. L’analyse de Céline Pina.


Et si le rejet de la réforme des retraites révélait le malaise très profond de notre société ? La mobilisation exceptionnelle qui a eu lieu dans les villes moyennes est une donnée qui semble l’attester et rappelle le surgissement des gilets jaunes. Certes, l’analyse la plus répandue du phénomène met l’accent sur une évolution des mentalités et du rapport au travail des jeunes générations. Ceux-ci seraient trop hédonistes pour ne voir dans le travail autre chose qu’une contrainte.

Les Français ont du mal à confier la réforme du système de sécurité sociale à des élites qu’ils voient comme n’ayant aucun rapport avec l’intérêt général

Mais d’autres alertent sur la dimension existentielle de la crise qui se profile. Et si derrière le rejet de cette réforme que le président Macron voudrait emblématique de son quinquennat, on trouvait encore en filigrane cette gestion purement technocratique qui fait de l’adaptation à la globalisation l’alpha et l’oméga de l’action politique alors qu’elle ne porte aucun projet d’avenir, fait exploser les inégalités et ramène la guerre à nos portes ? Exiger des sacrifices sans offrir de perspectives et le faire avec arrogance du haut d’une position privilégiée, voilà comment agissent les promoteurs de cette réforme. Les classes moyennes, elles, se voient être l’objet d’une disparition programmée ; le creusement des inégalités passant par leur destruction. Les crispations que suscite la réforme n’ont donc rien de déraisonnable.

Le travail n’est plus l’accession à l’indépendance

C’est en cela que l’opposition à cette réforme possède une dimension existentielle et c’est cela qu’expriment clairement Christophe Guilluy et Jean-Pierre Le Goff dans des entretiens au Figaro [1], mais aussi Alain Supiot, spécialiste des questions du travail. La première question qui est posée dans ce cadre est celle du sens du travail. Pour nombre de générations, la première vertu du travail était l’accession à l’indépendance, à une forme de maîtrise de sa vie et de ses choix. Une problématique encore plus accentuée pour les femmes.

On était adulte quand on accédait à cette indépendance. Le salaire était important, pas parce qu’il permettait d’accéder à une logique de consommation ostentatoire, mais parce qu’il vous permettait d’exercer réellement votre libre arbitre. Cette dimension paraît avoir totalement disparu des débats. Pourtant elle explique la difficulté de nombre de travailleurs à investir leur emploi : quand le salaire ne permet pas de mettre sa famille à l’abri et que les erreurs stratégiques de vos dirigeants vous empêchent de vous projeter dans le futur ou font que ces projections sont sombres et teintées d’inquiétudes, il est difficile de souscrire à la énième réforme qui vous ampute de quelques avantages.

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Le contenu de cette réforme est donc moins en cause que le contexte général dans laquelle elle intervient et la médiocre légitimité de ceux qui la portent. Elle éclaire aussi sur les conséquences d’un monde du travail où la déshumanisation est vue comme une bonne pratique de gestion. Quand les hommes sont considérés comme des pions et que les process remplacent les compétences, le travail n’aide plus à construire un homme en lui faisant prendre conscience de ses capacités, de ses compétences et de son utilité sociale. Il ne participe plus à donner la mesure d’une vie d’homme, mais permet la transformation de l’humain, en simple outil, en objet. Et si c’était aussi cela que fuyait la jeune génération et que ne comprennent pas nos élites biberonnées à la statistique et aux bilans comptables ?

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Jean-Pierre Le Goff. Photo : Hannah Assouline.

Le refus des élites de se remettre en cause

Le constat d’échec d’élites déconnectées de la réalité de leur pays, incapables de tracer un chemin pour une nation, qui prennent le pouvoir en s’appuyant sur des clientèles ciblées et le gardent malgré leur absence de capacité à fédérer et à proposer parce qu’elles diabolisent tout adversaire et toute contestation, a abîmé l’idéal démocratique. Que ce soit pour Christophe Guilluy et Jean-Pierre Le Goff, les Français ont du mal à confier la réforme du système de sécurité sociale à des élites qu’ils voient comme n’ayant aucun rapport avec l’intérêt général et totalement détachées de la notion de bien commun. Une majorité de Français ne voit plus ses représentants comme ceux du peuple, au service des intérêts de la France, mais comme les bénéficiaires d’un système néolibéral qui détruit leur modèle social et culturel pour ne servir que leurs intérêts personnels et de classe. Cette défiance creuse même quand les partisans de la réforme pensent sincèrement qu’il s’agit d’un moindre mal et sont persuadés d’agir en ce sens.

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Les crises qui s’accumulent (désindustrialisation, crise énergétique, crise sécuritaire, crise alimentaire, crise environnementale, crise économique, crise sanitaire) s’expliquent en grande partie par les choix idéologiques d’élites qui aujourd’hui refusent de se remettre en cause et qui face à leurs échecs expliquent au contraire qu’il faut encore augmenter la dose du poison. Or leur soumission à la logique néolibérale n’a pas seulement détruit notre capacité à produire de la richesse et à la redistribuer, mais a également abîmé notre modèle culturel et détruit la conscience collective qui faisait de nous un peuple, discutailleur et chamailleur certes, mais qui avait encore le sentiment d’être un peuple. Et ce sont les mêmes qui ont causé ce désastre qui aujourd’hui imposent leurs remèdes de Diafoirus. Mais si cette analyse est juste, alors ceux qui envisagent d’apporter leur soutien à cette réforme ne feront pas passer un message de responsabilité au-delà des clivages politiques. Ils enverront au contraire un message clair à cette majorité de Français qui ne vote plus et ne se sent plus en lien avec ses représentants : entre la volonté d’incarner le peuple et de proposer des réformes qui, pour dures qu’elles soient sur le moment, s’inscrivent dans un projet commun, ils ont choisi la connivence des privilégiés. À la nation, ils auront préféré la gestion de leur part de marché clientéliste : c’est précisément ce qui est en train de rompre le lien démocratique.

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[1] Christophe Guilluy, « Les classes moyennes ne croient plus et n’écoutent plus ceux qui les dépossèdent », entretien avec Vincent Trémolet de Villers, 22 janvier 2023 et Jean-Pierre Le Goff, « La société de consommation et de loisir a bouleversé le rapport au travail », entretien avec Vincent Trémolet de Villers, 18 janvier 2023.

Marc Menant: «Vive la voiture !»

Avec une voiture, on a d’abord un rapport physique. Et au volant d’un bolide de course, on conduit avec ses tripes. On met à l’épreuve ses propres limites, autant que celles du moteur, pour faire l’expérience de la démesure. Souvenirs.


Objet culte, la voiture fait son apparition dans les années 1870. À Amédée Bollée, fondeur de cloches au Mans, reviennent l’honneur et la joie de la première apparition publique aux commandes d’une voiture de 12 places, « L’Obéissante », propulsée par la vapeur. En 1875, avec un nouveau prototype, « La Mancelle », il parcourt Le Mans-Paris-Le Mans, soit 500 km, en dix-huit heures, exploit authentifié par 75 procès-verbaux. Hors-la-loi, Bollée, la réglementation n’autorisait que la circulation de véhicules tirés par des chevaux ! En 1878, il produit et vend quarante « Mancelle ». La concurrence surgit immédiatement : Panhard, Levassor, Peugeot, de Dion-Bouton. En Allemagne, Daimler et Benz créent le moteur à essence. En France, Gustave Trouvé invente le moteur électrique et le 29 avril 1890, à Achères près de Paris, le Belge Camille Jénatzy, au volant d’une voiture électrique, « La Jamais contente », atteint 105,882 km/h.

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L’auto égaye la vie

Bien que réservée à une élite, la voiture, en quelques décennies, brise le carcan originel, horizon circonscrit à une centaine de kilomètres aux alentours du village. La voiture, c’est l’évasion, les voyages, la liberté et une nouvelle fraternité avec les autostoppeurs en resquille d’aventures, pouce levé en bordure de route comme sur la mythique nationale 7.

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Qu’elle soit rutilante limousine, rugissante sportive, grinçantes ferrailles, la bagnole vaut le coin de paradis pour les élans d’amour ou les clandestines cabrioles. L’auto égaye la vie, soulage nos servitudes et, puis, il y a le plaisir incommensurable que tout adolescent attend, impatient : conduire ! Prendre le volant à pleines paumes, corps en épousailles du châssis, sentir le précaire équilibre de la tenue de route, tripes au diapason des vibrations, oreilles à l’affût du vrombissement du moteur pour le soulager d’un prompt passage de vitesse et, au fur et à mesure, raccourcir les distances de freinage. Toutes mes années de gosse, calé sur le siège derrière mon père, j’ai mimé les gestes décrits dans une revue de sport auto par John Surtees, champion du monde et vainqueur des 24 heures du Mans. M’en germa la folie de devenir pilote. Déterminé au point de jurer de ne jamais boire la moindre goutte d’alcool, de ne jamais fumer une cigarette et de m’astreindre à une gym quotidienne. Ascétisme précoce et jubilatoire qui forgea ma volonté et gouverne encore ma vie.

Les 24 Heures du Mans 1976. D.R

La voiture, compagne d’aventures

Par deux fois, en 1979 et 1986, j’ai couru les 24 heures du Mans. Instants magiques, paroxysmiques, qui me placent dans le camp des irréductibles défenseurs de la voiture et des courses auto, convaincu que c’est par les défis de l’extrême que l’homme taquine la transcendance. Bien plus qu’un moyen de déplacement, la voiture propulse l’homme dans une autre dimension, monde de sensations uniques, vertigineuses, bastringue de la démesure, tutoiement du sublime… L’apothéose pour l’audacieux, c’est le dépassement des 350 km/h au milieu des arbres dans la ligne droite des Hunaudières sur le circuit du Mans, temple de la déraison, 13,5 km de folie ouverts aux champions. J’ai obtenu le sésame par dérogation, grâce à mes performances sur une monoplace à l’école de pilotage de Magny-Cours et une quatrième place aux 24 heures du Castelet pour mon baptême en compétition. Mais à mon arrivée au circuit, les chocottes, les vraies, carambolent mon euphorie. Horreur, cauchemar, jamais je ne serai capable de piloter le bolide que je découvrais à moitié désossé, entrailles auscultées par une nuée de mécaniciens. Pas un ne lève la tête quand le patron de l’écurie me présente. Mon crâne baratte le noir jusqu’aux essais qualificatifs. Une fois passée la combinaison, magie de l’habit, l’angoisse se dissipe, je me sens élu des dieux, impatient de me glisser dans la 47 d’où s’extrait Jean-Philippe Grand, l’un de mes deux coéquipiers. « Elle va vraiment bien, aboie-t-il une fois son casque retiré, elle est un peu vive en courbe mais on la tient à petites touches », le tout accompagné d’une tape fraternelle sur l’épaule. Me voilà seul face à mon rêve : obtenir ma qualification. J’infiltre des boules antibruit dans les oreilles, enfile la cagoule pare-feu, puis mon casque et me glisse au volant à ras du sol. Un mécano abat la portière et m’emprisonne dans le cockpit. L’espace est si étroit qu’une main ne pourrait passer entre le toit et mon casque. J’appuie sur le démarreur, les 550 chevaux mugissent, tintamarre d’enfer, j’enclenche la première, la 47 jaillit en léger travers, je la rattrape au contre-braquage, deuxième, troisième, je fuse dans la grande courbe Dunlop, plonge dans la descente vers les S d’Indianapolis, déboule vers la gauche, freine trop tôt, deux voitures me sautent et contrarient ma plongée à la corde, légère glissade, rattrapage par petits coups de volant, la 47 obéit, j’accélère, jaillis dans la fameuse ligne droite… cinquième, sixième… 280… 300… 310… holà !… que se passe-t-il ?… je louvoie droite, gauche, je soulage, au tour suivant, l’emballement reprend, je l’ignore, il faut que je reste à fond pour me qualifier… droite-gauche, la gigue s’amplifie, une voix me crie de lever le pied, je l’occulte, pas question de mollir, sinon, adieu la qualif, pied à fond… plus de 300… la piste rétrécit, suis comme propulsé dans un entonnoir, c’est l’effet tunnel… le chaloupage s’accroît… Reste à fond… 320… la dérive se stabilise à un mètre d’amplitude… 340… 350… je catapulte dans la grande courbe… j’exulte, sens exacerbés, en fusion avec la 47… j’enchaîne les virages en extralucide, deux tours suffisent à ma qualification. Retour au stand sous les ovations, les mécaniciens radieux m’agrippent, m’extirpent de mon baquet, me voilà brinqueballé aux accolades et embrassades. Félicité ! Elle se renouvelle le dimanche quand Jacques Goudchaux, mon deuxième coéquipier, franchit la ligne à la 13e place au classement général.

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Comment après de tels frissons, ne pas dégorger à pleins poumons : « Vive la voiture ! » C’est en offrant aux jeunes l’opportunité de telles démesures qu’on leur inocule le goût du surpassement et leur évite l’avachissement. Gnognotte, le CO2 dégagé par les autos, de l’infinitésimal en comparaison de toutes les consommations inutiles. Et, puis, cette obsession du CO2 est-elle si légitime au regard de ce que l’on sait de l’histoire du climat ? Défions-nous des experts et de leurs suppôts écolos, prosélytes par ailleurs, du multiculturalisme, de l’indigénisme, du néoféminisme et de toutes les délétères fragmentations. Oui au doute, non, à la dictature des certitudes !

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«Populiste, moi? J’assume!»

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Il ne faut pas avoir honte du populisme judiciaire !


Rien que le mépris dont les médias distingués et les élites à l’abri accablent le populisme judiciaire me donnerait envie de le défendre, mais il y a plus à dire en sa faveur…

Quand je lis ce titre du Monde – « Face au populisme judiciaire, le monde de la justice inquiet » – et l’article qui suit, avec une sélection très précautionneuse d’un ministre, de magistrats (Denis Salas) et d’avocats (Patrice Spinosi) accordés sur le danger que représenterait le populisme pénal, je suis naturellement conduit à m’interroger sur cette manière de présenter les pièces d’un procès dont la cause est entendue avant même le moindre débat.

Et sans que la plupart soient à même d’expliciter cette notion entrée dans le langage courant et dont ils abusent.

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Les exemples donnés de « populisme judiciaire » montrent bien cette facilité qu’on s’octroie et qui consiste à juger scandaleuse toute aspiration à une justice plus répressive.

On se sert d’un extrémisme et d’une outrance rares – ainsi ceux de Cyril Hanouna qui mérite cependant d’être écoutés et questionnés – pour fustiger des revendications dont l’excès signerait leur prétendue indécence.

Le laxisme de la justice questionné

Pour l’essentiel, que de poncifs ornés d’humanisme !

Pourtant toutes les personnes interrogées par le Monde ont-elles raison quand elles affirment que « la justice n’est pas laxiste » ? Si, globalement, elle ne l’est pas, on peut cependant faire état de multiples exemples qui permettent de comprendre l’émoi, voire l’indignation civiques à la suite de certains jugements ou arrêts. Je ne suis pas persuadé que les théoriciens d’une justice qu’ils s’acharnent à voir conforme à leur idéal de fermeté très relative soient les mieux placés pour fustiger tous ces citoyens « populistes ».

Considérer que dans le procès pénal la cause de la victime et son écoute ne doivent pas être exclusives est une évidence. Mais de là à leur dénier un rôle fondamental dans l’élaboration de la sanction à venir, cela relève d’une absurdité qui n’est destinée, à nouveau, qu’à déplacer le point d’équilibre de l’audience criminelle vers l’accusé.

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Invoquer par ailleurs la surpopulation carcérale pour battre en brèche l’idée du laxisme de la justice n’est pas un argument décisif. Cette trop forte densité ne démontre rien d’autre que la nécessité de construire vite de nouvelles places d’enfermement. Cette erreur d’analyse est la conséquence directe du discrédit qu’on attache par principe à l’incarcération, en mesurant mal qu’elle est rendue obligatoire pour les délits graves et les crimes. Ils ne sont pas commis à cause d’elle mais malgré elle.

La prison de La Talaudiere (Saint Etienne) dans le département de la Loire, photographiée en 2019 © KONRAD K./SIPA Numéro de reportage: 00933744_000026

Sur un autre plan, se moquer des 61 % des personnes interrogées (étude annuelle Kantar Public-Epoka pour Le Monde et Franceinfo) parce qu’elles estiment que « la justice n’est pas assez sévère avec les petits délinquants » n’est pas non plus une attitude convenable. Alors qu’on peut soutenir que dans le cadre d’une politique pénale cohérente, une répression correctement ciblée sur les « petits délinquants » serait au contraire une pratique souhaitable.

La majorité ordinaire abandonnée

Je pourrais faire référence à d’autres débats qui tourneraient systématiquement en dérision le « populisme judiciaire » qui au fond n’est que l’attente impatiente d’une autre justice et le sentiment angoissé que l’actuelle n’est pas à la hauteur de ce qui sourdement ou de manière explicite surgit des tréfonds du pays.

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Il me semble qu’une explication ayant du sens éclaire au moins partiellement le mépris politique et médiatique à l’encontre de ce « populisme pénal », très souvent assimilé à ce que ses adversaires appellent la démagogie du RN. On a l’impression, à entendre de multiples réactions parlementaires ou autres, qu’on rend sans le vouloir un hommage équivoque au RN en le constituant comme porte-parole du « populisme ». Une perception plus fine pourrait au contraire désigner comme groupe dominant de ce populisme, cette « majorité ordinaire » qu’évoque Christophe Guilluy et peu ou prou abandonnée par le pouvoir.

« Les attaques contre les fondements du droit, les gens de justice – avocats et magistrats – y sont habitués. Mais leur généralisation les inquiète » : cette généralisation, à la supposer exacte, ne vient pas de nulle part. D’abord, pour le commun, de la démonstration trop souvent décourageante de l’impuissance de l’État de droit classique. Quand l’insécurité augmente et prend des formes de plus en plus violentes et précoces, la faiblesse de nos dispositifs de protection traditionnels, mal adaptés à aujourd’hui, saute aux yeux pour peu qu’on veuille les garder ouverts. Ensuite, si le populisme judiciaire est une plaie de la République, que magistrats et avocats fassent leur examen de conscience : ne sont-ils pas, à des titres divers, directement responsables de ce qu’ils s’imaginent combattre ? L’aristocratisme pénal est le pire remède au populisme : il le valide au lieu de le réduire.

Des Grands Boulevards à l’Orient, les Kurdes, un peuple sans terre

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Les Kurdes sont revenus sous les feux de l’actualité à la suite de l’attentat de la rue d’Enghien. Mais la question kurde existe depuis bien longtemps et ne trouve pas encore de solution. Une guerre sans fin qui déstabilise le nord du Moyen-Orient. Tigrane Yegavian a répondu aux questions de la revue Conflits. Propos recueillis par Louis-Marie de Badts.


Tigrane Yegavian est chercheur au CF2R (Centre Français de Recherche sur le Renseignement).

Conflits. À la sortie de la Première Guerre mondiale, le traité de Sèvres reconnaissait aux Kurdes le droit de se constituer en nation indépendante. La période entre-deux-guerres fut baignée de sang. C’est de là que part tout le problème kurde, mais qu’en est-il aujourd’hui, après près d’un siècle de conflits et de tension ?  

Tigrane Yégavian. Il faut bien comprendre que les Kurdes forment la plus grande nation sans État au monde. Ils seraient aujourd’hui entre 30 et 40 millions répartis entre la Turquie (20 millions de Kurdes), l’Iran, l’Irak et la Syrie (respectivement 12, 8,5 et 3,6 millions). Ces quatre pays entretiennent des relations orageuses, mais s’accordent néanmoins sur la nécessité d’empêcher l’émergence d’un État kurde indépendant.

Depuis août 1920, les Kurdes entretiennent un profond sentiment d’injustice. Les Occidentaux leur avaient promis à cette période qu’ils auraient un État, sur un territoire qui aujourd’hui se trouve au sud-est de l’actuelle Turquie et empiète au nord de l’Irak.

Les Kurdes n’ont pas vraiment leur place en Turquie et ne s’y assimilent pas. Aux yeux d’Ankara, la question kurde est un problème de sécurité nationale, car dans le cas où les Kurdes obtiendraient leur autonomie, le processus d’indépendance serait irrémédiablement enclenché. La Turquie devrait craindre son propre démembrement pour éviter un nouveau « traité de Sèvres » (1920) qui avait scellé la disparition de l’Empire ottoman et fracturé la Turquie anatolienne.  Il est cependant intéressant de noter que depuis 2012, les Kurdes possèdent une certaine autonomie en Syrie, mais Damas n’a pas l’intention de la rendre durable.

De son côté la guérilla du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) est engagée dans l’action armée depuis 1984, avec au départ un programme visant à l’indépendance du Kurdistan et l’instauration d’un régime marxiste-léniniste, d’inspiration stalinienne. L’organisation a fait sa mue après l’arrestation de son leader Abdullah Ocalan en 1999. Elle défend à présent un système d’autonomie inspirée de la théorie du penseur marxiste libertaire américain Murray Bookchin, décédé en 2006. Depuis, le PKK s’est donné comme objectif de fonder la première société qui établirait un confédéralisme démocratique inspiré des réflexions du théoricien de l’écologie sociale et du municipalisme libertaire, en encourageant une forme de féminisme, inédite au Moyen-Orient. C’est notamment le cas dans le nord-est de la Syrie. Mais derrière son discours démocratique, le PKK (et sa franchise syrienne du PYD) mène un maillage des territoires qu’il contrôle et ne tolère que les forces politiques qui lui sont soumises.

Il faut vraiment comprendre qu’il existe de vraies divisions au sein du peuple kurde. Il ne faut pas les confondre entre eux : religion, politique, ethnies. Et ces divisions ne font que s’accentuer avec le temps.

La diaspora kurde fait aujourd’hui beaucoup parler d’elle, mais dans quelle mesure croit-elle encore à son projet d’indépendance ? N’est-il pas devenu utopique ?

Le problème actuel kurde c’est qu’il n’y a pas de leadership trans-national. Abdullah Öcalan, fondateur et chef du parti des travailleurs du Kurdistan, est en prison en Turquie. Son œuvre est limitée parce qu’il ne peut pas fédérer tous les Kurdes, car un clivage existe entre islamistes et nationalistes, mais il n’est malheureusement pas suffisamment étudié. Par exemple, certains Kurdes sont membres de Daech tandis que d’autres dont on ne parle pas assez, soutiennent Erdogan, en Turquie et même en Allemagne. Il est aussi important de savoir que le chef des services secrets turcs est d’origine kurde, Hakan Fidan, un proche d’Erdogan. Fidan est un Kurde originaire de Van qui parle cette langue lorsqu’il négociait avec des cadres du PKK. Il est essentiel de comprendre que l’on a affaire à une nébuleuse politique. Les Kurdes n’ont pas vraiment de …

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Extension du domaine de la perversité

Les victimes de violences conjugales sont loin d’être exclusivement des femmes. Les pervers narcissiques ne sont pas uniquement des hommes.


Dans un récent article, Philippe Bilger se demande si l’emprise ne serait pas une « tarte à la crème », à savoir une explication simpliste et passe-partout « jamais questionnée ». Pourtant l’emprise existe bel et bien.

Note liminaire: s’il est avéré que le phénomène de perversité concerne majoritairement des hommes, les femmes manipulatrices perverses ne sont pas moins redoutables et provoquent des dégâts aussi graves sur leur conjoint, leurs enfants ou tout autre cible passant à portée. N’en déplaise aux idiots préconisant l’écriture dite inclusive, le masculin conserve, pour ceux qui parlent encore le français, sa valeur générique. J’emploierai donc le terme pervers pour évoquer cette pathologie qui concerne bien les deux sexes.

Outre de multiples autres œuvres cinématographiques et littéraires, les comportements intriqués des protagonistes de ces couples infernaux sont subtilement illustrés par le film À la folie [1].

Ce n’est pas l’apanage de l’homme

En premier lieu tordons le cou à l’idée selon laquelle la violence physique serait l’apanage des hommes. Sujet « tabou », les violences conjugales subies par les hommes pâtissent de lacunes dans leur évaluation. Les données officielles à ce sujet disent a minima l’ampleur du problème. Selon l’enquête cadre de vie et sécurité (CVS) de l’Insee de 2019, plus du quart (28 %) des victimes de violences conjugales physiques et/ou sexuelles autodéclarées sont des hommes (soit 82 000 victimes par an, en moyenne sur la période 2011-2018). En 2018, 12 % des victimes enregistrées par les services de police ou de gendarmerie étaient des hommes (selon les chiffres du Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMI), cités dans la lettre de l’Observatoire national des violences faites aux femmes 2019), soit près de 15 000, sachant que la propension des hommes à dénoncer les faits de violence subie est réputée plus faible, avec un taux de plainte moindre (3%!).

« Il n’y a rien à attendre de la fréquentation des pervers narcissiques, on peut seulement espérer s’en sortir indemne »

L’explication d’un tel déni ? Les féministes nouvelle mouture ont fait de la violence conjugale un débat politique plutôt que de présenter la violence dans son intégralité. Le politiquement correct actuel est dominé par le lobby féministe radical (courant geignard et vindicatif à la #metoo) qui rend l’homme seul responsable de toute violence domestique, malgré des faits scientifiques indéniables contredisant cette imposture.

Ce sont les victimes qui — dans le meilleur des cas — viennent consulter, parfois après plusieurs années, voire décennies. La plupart du temps, au reste, sans trop bien savoir ce qui les fait souffrir. Auraient-elles accepté de percevoir, puis désigner, la cause de leur misérable situation, des décisions auraient (peut-être) pu suivre cette prise de conscience. Or les choses sont beaucoup plus compliquées que le bon sens ne le laisse penser.

Depuis quelques années, j’ai reçu beaucoup de femmes victimes. Dans ma clientèle, les femmes consultant pour ces motifs sont certes plus nombreuses, mais les hommes sont moins enclins à consulter, tant est forte la honte de se laisser violenter par une femme : 97 % des hommes victimes ne déposent pas plainte. Dans la plupart des cas, il ne s’agit pas de violences physiques mais de ce que les analystes appellent « emprise », à savoir un ascendant intellectuel ou moral exercé par quelqu’un sur un individu (CNRTL).

Une pathologie peu étudiée

La pathologie des pervers narcissiques est étudiée depuis relativement peu de temps. Par Paul-Claude Racamier [2] d’abord, en 1986, qui met en garde par ces mots : « Il n’y a rien à attendre de la fréquentation des pervers narcissiques, on peut seulement espérer s’en sortir indemne ». Comment expliquer cette latence, puisque la pulsion d’emprise existe sans aucun doute depuis que l’humain se confronte à ses semblables ?

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Nous avons tous en nous, en proportion variable, des traits névrotiques (phobiques, obsessionnels, hystériques), des penchants caractériels, des noyaux psychotiques. L’important pour notre santé mentale est qu’ils soient supportables, équilibrés, discrets, et n’entravent en rien nos capacités à vivre, aimer, travailler. Mais nous-autres humains n’aimons pas explorer les zones les plus répugnantes de notre psyché. Cela pourrait peut-être expliquer le faible nombre d’études psychanalytiques sur ce sujet jusqu’aux années récentes.

C’est la notion de harcèlement moral, décrite par Marie-France Hirigoyen en 1998[3], qui met en lumière un type de comportement utilisé par le pervers narcissique : « le harcèlement moral désigne une situation (familiale, professionnelle) dans le cadre de laquelle un Autre jouisseur vampirise une victime passive via de sournois mécanismes de domination manipulatoire. Comme le gourou, le harceleur use lui aussi de l’emprise, cette action insidieuse qui retire tout sens critique et peut aller jusqu’à la captation de l’esprit de l’autre, comme dans un véritable lavage de cerveau. En conséquence, la victime est prise dans une toile d’araignée, tenue à disposition, ligotée psychologiquement, anesthésiée. »

Nous restons toujours sidérés par l’absence de réaction des victimes. Qui accepterait en effet de vivre un enfer pendant des années, parfois des décennies ?

Le manque de confirmation narcissique précoce (par une figure parentale maltraitante, dépréciatrice et toxique), est vécu comme une blessure narcissique sévère qui obérera l’avenir : l’enfant se sentira sans valeur personnelle. Cela ravivera son sentiment d’insuffisance, de petitesse, d’impuissance (terme à ne pas prendre dans son sens sexuel), d’où un profond sentiment de honte. La constitution de la future personnalité s’en ressentira définitivement et il en résultera une sensibilité particulière aux inévitables blessures narcissiques ultérieures qui atteindront le sujet. Ces sujets ont le plus grand mal, non seulement à se remettre d’un échec ou d’une perte, mais aussi à jouir de leurs réussites. Ils vivent en permanence avec en arrière-plan des fantasmes d’effondrement, ce qui les amène à se durcir de façon défensive et à refuser toute menace de dépressivité en refusant ou en déniant tout affect de tristesse.

Rémy Puyuelo dans son article « les Enfants empêchés de latence », évoque ces enfants abusés narcissiques qui présentent des carences et des blessures qui ont empiété leur développement, et les ont mis en difficulté de se vivre comme un sujet autonome. Ces « enfants moi tout seul sans jamais l’autre » ne sont pas eux-mêmes, ils sont des photocopies et sont incapables de supporter une perte ou un échec.

Confusion dévastatrice du mal et de l’amour

C’est avec de tels sujets que le pervers narcissique trouvera son miel, car ces ligatures hautement pathologiques sont vécues comme si elles étaient des relations d’amour: le sujet en déficience narcissique cherche constamment des moyens de réassurance sur sa valeur et donc, des preuves qu’il est digne d’être aimé. Cette mauvaise estime de soi prédispose à la dépendance affective dont se nourrit le pervers qui usera de toutes les stratégies nécessaires — séduction, mensonge, chantage affectif, menace, culpabilisation, mise en dépendance, dénigrement, dévalorisation, renversement des rôles, confusionnement, isolement — pour totalement régner sur sa victime.

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Ce qui retient mon attention depuis quelques années sont les conséquences dramatiques des agissements des pervers narcissiques. Bien entendu, ces derniers ne viennent jamais consulter. Pourquoi le feraient-ils ? Ils ne souffrent en/de rien, tant qu’ils gardent leur victime entre leurs griffes.

Mais un certain nombre de victimes de pervers viennent consulter. Dans presque tous les cas, le travail psychique a permis un dégagement de l’emprise. Venir demander une psychothérapie — qui fait intervenir un tiers dans une relation pathologique ne pouvant se maintenir que dans le secret — signe déjà un début de prise de conscience et une volonté de dégagement. Il faut parfois des années avant qu’un rendez-vous soit demandé. Mais une fois la psychothérapie engagée, le plus souvent la prise de conscience ne tarde pas. Et une fois prise la décision de refuser ces maltraitantes et de quitter le pervers, elle est quasi définitive et irrévocable. Ce qui est, pour patient et thérapeute, source de grande satisfaction.


[1] Tiré d’une histoire vraie, réalisé par Andréa Bescond et Eric Métayer, écrit par Eléonore Bauer et Guillaume Labbé.

[2] Membre titulaire (1962) de la Société psychanalytique de Paris

[3] Le Harcèlement moral : la violence perverse au quotidien, Éditions La Découverte & Syros, 1998

Mince! Un premier roman sur la grossophobie

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Grossophobie, le tout premier roman de notre contributeur Alexis Brunet, critique notre société woke, chaque jour à l’affut de nouveaux «phobiques», grâce aux péripéties d’un anti-héros prénommé Kévin. Si ce roman à thèse est plaisant à lire, il aurait peut-être gagné à développer un peu plus la psychologie de ses personnages. Ce sera le cas, à n’en point douter, la prochaine fois.


Kevin, métis originaire de Guyane par sa mère qui l’emmena avec lui lorsqu’elle décida de venir s’installer en métropole puisqu’il était encore dans son ventre, n’a pas connu son père, volatilisé. Homme de 40 ans à présent, en surpoids ou obèse selon les mois, personnage indéterminé et profondément « désorienté », à l’image de l’époque que nous vivons, a perdu le nord comme on dit et c’est en remontant vers lui qu’une direction lui sera indiquée… Mais n’allons pas trop vite !

Kevin, un personnage houellebecquien

Au début du roman, Kevin perd sa seule famille ; à savoir sa mère qu’il était allé rejoindre à Hyères et se retrouve dès lors orphelin et, d’une manière générale, privé de communauté. Certes, il travaille, dans l’informatique, et n’a pas son pareil pour réparer ses machines. Mais sa solitude n’en reste pas moins entière et ce ne sont pas les quelques rencontres avec sa voisine qui peuvent l’amoindrir. D’autant plus qu’elle sera vite assassinée… « Pour autant, Kevin ne comprend pas pourquoi elle ne lui a pas demandé, à lui, de l’aider à régler correctement sa télé. La veille du meurtre, la télé marchait très bien. Ils avaient regardé un peu CNews puis il l’avait laissée devant Squid Game, il trouvait cette série d’un ennui abyssal. Il n’avait jamais aimé les séries et encore moins les séries coréennes. Il songeait d’ailleurs que ça pourrait être un motif de rupture avec Alice. »

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Personnage houellebecquien, notre anti-héros qui, lui, rêve d’en être un, et qui ne fait pas dans le plat surgelé mais dans le Nutella à la louche, porte un regard désenchanté et acéré sur le monde, entre deux érections intempestives suivies d’intenses frustrations. Sa vie intérieure est rythmée par des pulsions sexuelles inassouvies. Alors que, justement, il vient encore de passer à côté d’une chance possible, il se découvre une nouvelle raison chagrine: « Sa peine fut encore plus forte lorsqu’il prit conscience qu’il n’avait jamais fait l’amour dans une voiture. Il était encore vierge de l’amour en voiture et cela le travaillait, il aimait la voiture, il se sentait bien en voiture, rester vierge de l’amour en voiture pour le restant de sa vie était une perspective qui ne le réjouissait guère. »

Un roman sur le wokisme en France

En dehors d’une vie sexuelle problématique, notre personnage est en quête d’une direction à prendre et ce sera Paris, et cette traversée de la France s’avérera aussi géographique que critique. Le roman est sans cesse l’occasion (trop peut-être ?) de mettre en scène l’idéologie ambiante qui aura trouvé en ce début de millénaire avec le mot « phobie » son principe majeur. Pour cela, quelques personnages rencontrés sur le chemin seront l’occasion de nous offrir quelques caricatures gratinées. Dont une femme, elle aussi dotée de kilos superflus, et qui régalera le lecteur avec ses considérations aussi ahurissantes qu’actuelles ; notamment lorsqu’il s’agit de lutter contre les discriminations envers « les migrants en surpoids » lesquels subissent donc une double peine… Tous les clichés sont réunis et de manière parfois très drôle. Et Kevin, tel un personnage des Lettres persanes de Montesquieu, regarde ce monde qui lui est étranger entre deux coups d’œil aux seins de Lucy. La dame qui l’accompagne à la capitale et qui n’en finit pas de déblatérer nous gratifie dans un café de Stalingrad d’un moment quasi macronnien, lorsqu’elle débite son verbiage en n’oubliant jamais de dire et le féminin et le masculin, (voire le fameux « celles z’et ceux »), mais de telle sorte que cette manie, dans sa répétition, dézingue la syntaxe à la façon de Molière avec effet comique garanti. Je ne le citerai pas ; au lecteur de le découvrir et de s’en délecter !

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Mais ce récit, qui met en scène les travers absurdes de notre époque, est aussi un conte initiatique. En allant vers le nord et vers un lieu emblématique des Grands Hommes, le gros Kevin, flottant dans l’existence comme une bouée, en deviendra un à son tour ; à la faveur d’un acte héroïque qui redorera son blason et par la grâce d’un hommage rendu à un père d’adoption: ce qui lui permettra de redonner à sa vie une direction et une descendance possible. Ce roman aurait cependant gagné à épaissir ses personnages secondaires, qui semblent souvent servir de prétextes à l’inventaire des poncifs. Dégraissé de son côté trop sociologique, le roman aurait ainsi rejoint son poids idéal…

Grossophobie, d’Alexis Brunet, éd. Les éditions Ovadia, 156 p., 2022.

Grossophobie

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Ukraine: le crépuscule de Wagner?

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Le 11 janvier, le président russe Vladimir Poutine a décidé de nommer Valéri Guerassimov au commandement général du groupement conjoint des forces en Ukraine, remplaçant ainsi le général Sergueï Sourovikine – devenu désormais son subordonné. Cette nomination pose de nombreuses questions.


Couverture de « Paris Match »

D’abord, pourquoi changer de commandement, trois mois à peine après avoir nommé Sourovikine à ce même poste ? Et puis, pourquoi nommer Guerassimov, l’homme responsable de l’état déplorable des forces armées russes ? Car ce général d’armée de 67 ans occupe depuis 2012 les postes de premier vice-ministre de la Défense et de chef d’Etat-Major des armées. Et, ex-officio, il est également membre du Conseil de défense nationale. Guerassimov est donc doublement responsable de l’échec militaire et stratégique russe. Tout d’abord en tant que responsable de la construction de l’outil militaire russe pendant la décennie précédant l’invasion de l’Ukraine. La doctrine, le matériel, les ressources humaines, l’entraînement, les promotions et les allocations budgétaires : sur tous ces points, Gherassimov avait la main et depuis assez longtemps pour façonner les armées russes et assimiler les leçons de la seconde guerre du Golfe, de la Géorgie et de la Syrie… Pire, ce général, né quand Joukov était ministre de la Défense de l’URSS, est co-responsable de la manière désastreuse dont la guerre a été planifiée et déclenchée ! On se souvient que Poutine souhaitait déclencher une offensive éclair contre l’Ukraine, qui devait être facilement menée, selon les services de renseignement (le FSB), et dans laquelle l’armée professionnelle jouerait les seconds violons… Gherassimov ne l’a pas empêché. Il a laissé Poutine écarter l’armée de la réflexion sur la campagne. Il a soutenu de facto le président russe quand ce dernier prétendait refaire la campagne de 2014, et, grâce à des agents doubles du FSB en Ukraine et à leurs équipes d’assassins, pouvoir tuer Zelenski et les autres leaders ukrainiens dans les premières heures de la guerre. Il a ensuite laissé son armée partir au casse-pipe sur les fondements d’un plan improbable.

Poutine lâche Prigojine

Et pourtant, c’est donc bien cet homme qui se retrouve aujourd’hui grand ordonnateur en charge de préparer l’armée à la poursuite de la guerre, en même temps qu’il la commande déjà sur le champ de bataille. Marshall et Eisenhower, dans le même homme. Quel est le sens de cette décision prise par Poutine ? Le président russe semble avoir décidé, enfin, de se retourner vers son armée et les professionnels de la guerre et de la chose militaire. Au Kremlin, on ne compte plus sur l’homme d’affaires Evgueni Prigojine, sa troupe d’irréguliers et de prisonniers en uniforme de Wagner. On se fie désormais plutôt à Guerassimov, à Sergueï Choïgou et à l’armée russe.  

Le ministre de la Défense russe Sergueï Choïgou, Moscou, 21 septembre 2022 © Vadim Savitskii/SPUTNIK/SIPA

Ainsi, le 17 janvier, quelques jours après la nomination de Guerassimov, le ministère de la Défense  – que Guerassimov co-dirige toujours – a annoncé des réformes à grande échelle dont l’objectif est une refonte des forces armées russes. Les effectifs vont gonfler (jusqu’à 1,5 million de soldats en 2026), ainsi que le nombre d’unités, l’encadrement et le matériel. L’opération spéciale est donc désormais pensée et perçue à Moscou selon une logique et un calendrier dignes de la Seconde Guerre mondiale. Ces réformes et nominations importantes marquent une inflexion significative. Elles témoignent de la déception russe quant aux efforts passés, qui n’étaient pas inscrits dans une vision globale et qui ont donc dispersé et gaspillé des ressources, pour des résultats négligeables.

En subordonnant à Guerassimov le commandant des forces aérospatiales Sourovikine, dont la nomination le 8 octobre avait reçu un large soutien des Wagneristes, Poutine met fin à une parenthèse. Il ne croit plus en Sourovikine et Prigojine. L’ancien commandant en chef en Ukraine et le chef de Wagner, son allié, ont épuisé le temps qui leur était alloué pour tenir leurs promesses. En effet, Poutine s’était probablement tourné vers Prigojine pour qu’il l’aide à traverser la période ayant suivi l’échec de l’opération spéciale russe, dont le dernier acte était la prise coûteuse et sans véritable importance militaire de Severodonetsk et Lysychansk, entre mai et juillet 2022. Ces offensives, qui ont suivi la bataille sanglante de Marioupol, ont profondément érodé la puissance de combat offensive russe dans le Donbass et le sud de l’Ukraine.

Fini de « jouer »

Dès les premiers jours de la guerre, les unités Wagner ont participé à l’effort russe à Louhansk et notamment dans les combats autour de Popasna (l’est de Bakhmout). Elles ont ensuite participé à la bataille de Severodonetsk avant de se tourner, au début du mois de juillet 2022, vers Bakhmout, devenu un objectif emblématique. C’est à ce moment-là probablement que l’idée d’utiliser des prisonniers comme chair à canon s’est concrétisée (les survivants de la première vague de recrutement dans les prisons viennent de terminer leurs contrats de six mois). Ce fut le début de l’ascension de Wagner et de son chef. 

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Poutine a probablement utilisé Prigojine et ses hommes comme pis-aller (des bouche-trous !) pour maintenir la pression opérationnelle sur les Ukrainiens sur certains secteurs du front. L’idée de recruter des prisonniers par l’entremise du groupe Wagner – ce qui était difficilement envisageable dans le cadre de l’armée – semblait aussi intéressante. De son côté, le général Sourovikine portait l’idée de l’utilisation massive des missiles longue portée pour détruire l’infrastructure énergétique ukrainienne. Une chance a été donnée à Prigojine et Sourovikine de faire la démonstration de ce dont ils étaient capables avec leurs idées. Début 2023, leurs efforts semblent décevoir fortement Poutine. 

Pire, devenue star, Prigojine a redoublé d’efforts pour s’affirmer comme un acteur politique et stratégique, annonçant avec arrogance la supériorité de ses troupes paramilitaires sur celles de l’armée régulière. Il a même toléré, voire encouragé des propos orduriers à l’encontre du ministère de la Défense et de l’armée tenus pas certains de ses hommes dans des vidéos postées sur les réseaux sociaux. Clairement, Prigojine a essayé de se positionner comme celui qui « réussit là où l’armée et le ministère ne cessent d’échouer ». Mais Bakhmout n’est pas encore tombée, les Ukrainiens grelottent mais ne se rendent pas, et l’hiver prendra fin dans cinq à six semaines… En conséquence, Poutine a décidé de siffler la fin de la récré. Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, s’est permis quelques déclarations assez désobligeantes vis-à-vis de Wagner et, surtout, il s’efforce désormais de minimiser le rôle de Prigojine et de ses hommes dans la prise de Soledar. Le 16 janvier, Peskov a ouvertement accusé Prigojine d’avoir délibérément attisé le conflit entre le ministère russe de la Défense et Wagner. Et le pire des camouflets est venu de Poutine lui-même. La veille, lors d’un entretien télévisé, il n’avait pas crédité Prigojine et Wagner pour la capture de Soledar.

Avec la nomination de Valéri Guerassimov à la tête des opérations sur le front ukrainien, Poutine essaie de mettre fin au débat ayant trait aux performances de l’armée et aux responsabilités de cette dernière dans les échecs de 2022. En lui laissant la casquette de chef d’État-Major des armées, il signale que la Russie opère un « restart ». Et surtout, Poutine lance la transformation de son pays pour enfin répondre, en miroir, à la mobilisation inattendue et immédiate des Ukrainiens face à son agression: mobilisation générale des hommes, des usines, de l’économie et de toutes les ressources. Car ce qui ne devait être qu’un sprint de 100 mètres s’est transformé en un marathon (pour ne pas dire en une épreuve de l’Ironman !). 

Dans les colonnes infernales de « Libé », on incendie un film sur la guerre de Vendée

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Sur France Inter comme dans les colonnes de Libération, l’heure est à la charge contre un film qui, contrairement aux dernières lamentables productions cinématographiques françaises, ne fait pas dans le wokisme ni dans l’éloge des passeurs de migrants…


Vaincre ou mourir est un film-récit sur la guerre de Vendée inspiré de la vie du général royaliste François Athanase Charette de la Contrie. Et ça, ce n’est pas du tout du goût des journalistes de Libération et de Claude Askolovitch.

Le Puy du Fourbe…

Ce dernier ouvre les hostilités dès potron-minet sur France Inter. Comme tous les jours, il cite son quotidien favori avec une gourmandise non dissimulée. Libération, salive-t-il, « déchire » le film produit par le Puy du Fou parce qu’il fait « partie d’une offensive des ultra-réactionnaires pour instiller une vision de l’histoire anti-républicaine et un imaginaire catholique et royaliste ». Il est à noter que ni Claude Askolovitch ni les critiques de Libé n’ont jamais décelé la moindre offensive ultra-progressiste, wokiste ou archi-immigrationniste dans les récents films français très orientés et très subventionnés qui, Dieu merci, ont tous fait des bides absolus malgré le soutien de la radio publique et des journaux les mieux disposés quand il s’agit de répandre la propagande gauchiste.

Les propos d’Askolovitch ont eu l’intérêt de me forcer à lire l’article stupidement belliqueux de Libé. En plus de la Une et d’un éditorial dans lequel il est expliqué que les ombres d’Éric Zemmour et de Vincent Bolloré planent au-dessus de ce film réactionnaire qui conduira immanquablement à des événements tragiques du même ordre que « l’assaut du capitole par les supporteurs de Donald Trump » (sic), cinq pleines pages sont consacrées à démolir Vaincre ou mourir et le parc du Puy du Fou. Elisabeth Franck-Dumas, « cheffe » du service culture du journal, méprise les paysans vendéens du film désirant « défendre ce qu’ils ont de plus cher, leurs fils, leur roi, leur foi », et ajoute, en bonne féministe : « Pour les filles, on repassera », ignorant visiblement que, lors de la levée en masse de 300 000 hommes décrétée par la Convention en 1793 – levée en masse qui déclencha justement la guerre de Vendée – seuls les jeunes hommes (souvent des fils de paysans) risquaient l’enrôlement de force dans l’armée révolutionnaire – d’où le cri du cœur de leurs pères.

Confusions, moqueries et méconnaissances

Le film rappelle que les Vendéens réclamaient le retour de leurs prêtres. « Ils sont où, d’ailleurs, les bons prêtres ?, se moque Mme Franck-Dumas, emprisonnés pour pédophilie ? » (Ah ! la bêtise hargneuse des ânes bâtés). Et de poursuivre : « L’absence d’explication sur tout ce qui a bien pu se passer en France depuis 1789 laisse les spectateurs dans l’ignorance et fait craindre que les bons prêtres aient été pris en otages par cette méchante République dont il est souvent question. » Mme Franck-Dumas ne sait apparemment pas ce qu’a subi le clergé à partir de 1789, la nationalisation et la confiscation des biens de l’Église, l’interdiction des manifestations religieuses et du port de la soutane en dehors des actes religieux, la déchristianisation sur tout le territoire sous la menace obligeant les prêtres réfractaires à fuir s’ils ne veulent pas être déportés ou massacrés. En Vendée, la « méchante république » ne s’est pas contentée de « prendre en otages » les prêtres réfractaires : plus de 150 d’entre eux, détenus à Nantes, feront ainsi partie des centaines de « contre-révolutionnaires » noyés sur l’ordre de Carrier.

A relire, Hervé Louboutin: Qui veut la peau du Puy du Fou?

La journaliste a interviewé Guillaume Lancereau, un « historien spécialiste de la Révolution française ». Ce dernier regrette que, dans ce film, on fasse « un saut historique monstrueux entre 1789 et 1793 […] comme si la Terreur était déjà contenue dans 1789 ». Primo, « Vaincre ou mourir » est un film sur la guerre de Vendée commencée en 1793, pas sur l’entièreté de la Révolution française (cette réflexion est aussi bête que si l’on avait reproché à l’excellent film d’Andrzej Wajda, « Danton », de ne pas avoir traité les cinq ans qui précèdent la chute du député montagnard en 1794) ; secundo, la thèse selon laquelle la Terreur était déjà contenue dans 1789 a toujours été très discutée : au contraire de Soboul ou Mathiez, Furet relève dans 1789 les prémices de la Terreur. Débat universitaire nécessaire. Mais M. Lancereau se contente de considérer que c’est « une thèse historiographique particulièrement réactionnaire ». Cet historien se plaint également d’avoir perçu dans le film « l’idée que le pouvoir central républicain a eu l’intention d’éradiquer le peuple vendéen », alors que, ajoute-t-il, « il n’y avait pas de volonté de l’État mais plutôt une impuissance à contrôler les exactions commises par les soldats […] Le film fait constamment comme si la Convention nationale avait voulu éradiquer les Vendéens ». Bon, voilà donc un « historien spécialiste de la Révolution française » qui ne sait rien de la loi votée par la Convention nationale le 1er octobre 1793, loi dite loi d’extermination et visant spécifiquement les Vendéens, et du rapport du Comité de salut public rédigé par Barère afin d’élaborer et d’entériner ladite loi, et dont voici la conclusion abrégée mais explicite : « Des contingents prodigieux […] semblaient annoncer que la justice nationale allait enfin effacer le nom de la Vendée du tableau des départements de la république. […] Détruisez la Vendée (suit la liste des armées, des « conspirateurs », des émigrés, des « brigands » qui doivent tomber avec la Vendée) […] La Vendée, et encore la Vendée, voilà le charbon politique qui dévore le cœur de la république française ; c’est là qu’il faut frapper. […] Détruisez la Vendée. Les brigands doivent être vaincus et exterminés sur leurs propres foyers. » Barère et la Convention nationale seront entendus. La destruction de la Vendée est inscrite dans le marbre de la révolution. Devant la résistance des Vendéens, le général Turreau conduit les fameuses et terrifiantes colonnes infernales qui reçoivent l’ordre d’exterminer les insurgés, y compris les femmes et les enfants. Le général Westermann, surnommé le boucher de Vendée, écrit à la Convention après sa victoire à Savenay en novembre 1793: « Il n’y a plus de Vendée. Elle est morte sous notre sabre aves ses femmes et ses enfants. […] Je n’ai pas un prisonnier à me reprocher. J’ai tout exterminé. Nous ne faisons pas de prisonniers, car il faudrait leur donner le pain de la liberté, et la pitié n’est pas révolutionnaire. » Les Vendéens, malgré tout, résistent. Le 28 février 1794, aux Lucs-sur-Boulogne, les troupes de Turreau, s’étonnant de ne trouver aucun homme dans ce village (ils sont partis grossir les armées vendéennes conduites par Charrette), imiteront l’impitoyable Westermann : le curé est éventré, les vieillards tués à coups de baïonnettes, l’église dans laquelle se sont réfugiés les femmes et les enfants est incendiée. Il y aura 564 morts et aucun survivant. Mais Élisabeth Franck-Dumas préfère nous « épargner les détails : batailles, empilement de cadavres – censés accréditer la thèse, historiquement fausse, d’un génocide vendéen ». Là encore il y aurait bien des choses à dire mais la place manque. Nous ne pouvons que conseiller à la journaliste de lire les nombreux livres consacrés à cette controverse historiographique.

Élisabeth Franck-Dumas et Guillaume Lancereau craignent le pire. Les « idées réactionnaires et antirépublicaines », affirment-ils, sont infusées dans l’esprit des Français par ce genre de film « insidieux » et par… CNews (sic). De plus, le Puy du Fou prend « une part disproportionnée dans ce qu’il faut définir comme une bataille culturelle, où il s’agit de faire entrer dans la tête d’un maximum de gens une vision réactionnaire et manichéenne ». Enfin, en guise de conclusion, Guillaume Lancereau lâche : « Il y a cette intention manifeste d’ancrer un peu plus dans les esprits que la France était glorieuse quand elle était catholique et monarchique. »

L’élégance de l’ancien pauvre

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Adamo à l'Olympia, Paris, 2001 © BENAROCH/SIPA

France 3 diffuse ce vendredi soir à 21h 10 « Salvatore Adamo, ma vie, la vraie… », une rétrospective de sa carrière écrite par Patrick Jeudy et racontée par Daniel Auteuil.


Et si vous passiez, ce soir, deux heures en compagnie de Salvatore ?

Deux heures où les images en noir et blanc défilent dans un halo de nostalgie, où la chanson d’amour, désuète et essentielle à la compréhension de nos troubles intérieurs, produit un effet sur les cœurs les plus endurcis. Deux heures où la voix de Salvatore, charbonneuse et ensoleillée, ce fil tendu entre la Sicile et les terrils du Hainaut depuis tant de décennies, nous fait voyager dans nos souvenirs. Salvatore ne fige pas le passé, il ne le fossilise pas, il est l’un des rares chanteurs populaires à arpenter cette terre vaste que l’on nomme la mémoire. Il nous libère du poids des années sans oublier ce que nous fûmes. Il arrive sur scène, coiffé et cravaté, dans son costume sur mesure, impeccable, trop sage certainement à l’heure des yéyés. Il a été si bien élevé, alors, on ne se méfie pas de lui. Il ne grogne pas. Il ne bégaye pas à la manière de « Salut les copains ». Il ne massacre pas des guitares électriques sur scène en vantant les vertus des substances illicites. Il ne cherche pas à se faire passer pour un autre, plus révolté, plus libéré, plus moderne, plus équivoque. Il n’a pas besoin de paradis artificiels pour nous emporter ailleurs. Cependant, ne vous laissez pas abuser par sa transparence de façade, cet immigré aux belles manières ne porte pas la pauvreté comme un lourd fardeau ou un étendard démago, Salvatore ne se victimise pas, ne se flagelle pas, il chante indifféremment pour les gamins de la mine et la princesse Paola, pour les lycéennes japonaises et les groupies chiliennes, pour les garde-barrières ch’timi et les romantiques de Passy, sa musique, car il est auteur et compositeur, n’appartient à aucune classe sociale définie. Elle touche partout dans le monde, par l’intelligence de son innocence, la simplicité des choses vécues, là, cet amour qui s’enfuit, ce rendez-vous manqué, toutes les légères meurtrissures du quotidien, Salvatore les capture, en fait son lit et nous les restitue dans leur vérité virginale. C’est la définition même de l’art, un jet direct et prodigieux, une secousse qui ne se ment pas à elle-même.

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« D’inspiration sicilienne, elle est en mineur », il parle ainsi de son inspiration, « anodine et badine » ajoute-t-il, pour en atténuer l’écho. Sa modestie, parfois surjouée, ne nous trompe pas sur son intention première, cristalliser les cahotements des temps indécis. Quand « Tombe la neige » éclata à la radio en 1963/1964 et fit de lui, en un éclair, une vedette riche et assaillie par des centaines de jeunes filles, il y avait déjà dans ce tube planétaire les ferments de la mélancolie.

Ce slow désespéré et tendre est un cri dans la nuit ; à tous les âges de la vie, nous succombons à ce fado lancinant et poignant. La voix de Salvatore, ce torrent de rocailles, agit comme un détonateur, il révèle nos failles, les explose à la dynamite, nous met à nu et nous apaise. Nous ne pouvons retenir nos larmes. Ses paroles d’une sobriété jésuitique sont un appel à la résilience, à monter dans cet impassible manège. Salvatore, petit frère de Brel, redonne aux mots, leur force tellurique, l’onde du fracas est en lui. Il faudrait être sec et bien insensible pour ne pas chavirer au son de « Requiem pour six millions d’âmes » et à sa « Jérusalem coquelicot sur un rocher ». Lors de son Olympia 1965, le fils de puisatier devenu mineur, reçut la reconnaissance du métier. Le tout-Paris l’applaudit durant de longues minutes. Bruno Coquatrix veillait sur lui derrière le rideau rouge, Richard Anthony et Gilbert Bécaud l’embrassèrent à la fin de son tour de chant, Françoise Dorléac le couvait d’un doux regard, et Mauriac préparait déjà sa chronique enthousiaste du lendemain.

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Durant deux heures, Salvatore se livre sur sa carrière, un mot qu’il n’aime pas, sur ses parents, son frère et ses sœurs, ses enfants, sur le Liban, sur les incompréhensions d’Inch’Allah, sur une vie de rock-star dans la peau du gendre idéal, sur sa vie privée, sur la solidarité entre émigrés dans le Nord, sur son compatriote Arno disparu en avril 2022, sur les filles du bord de mer, sur l’essence même de sa musique. Alors, vous permettez Monsieur Adamo que l’on vous place très haut dans la chanson française.

Olympia 1965

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Le courage des planqués

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Manifestation à Téhéran, septembre 2022. D.R

En manifestant depuis des semaines, les Iraniens nous donnent une leçon de courage. Ici, de nombreuses vedettes soutiennent leur combat, un «engagement» sans risque. Quand auront-elles le cran de se révolter contre ceux qui menacent nos valeurs sur notre propre sol?


Labellisé respectable?

Faire correctement son métier, voire exceller dans ses activités, ne suffit plus. Quoi qu’on fasse, il convient désormais de se dire aussi « engagé » si l’on veut obtenir le label de respectabilité qui tient lieu de sésame social. Alors s’engager pour une juste cause ? Sans aucun doute, mais à condition de s’être auparavant désolidarisé de la troupe des « engagés » de tous bords qui occupent l’espace médiatique, et dont la bonne conscience militante alimente une rhétorique accusatrice. Car on ne s’engage réellement que si l’on se met soi-même « en gage », autant dire si l’on court un vrai risque. Or, que constate-t-on ? Que les engagements les plus risqués ne sont pas les plus spectaculaires, mais ceux qui consistent à ne pas céder au quotidien un seul pouce de terrain aux terroristes en tous genres, aux islamistes, aux adeptes de la cancel culture, etc. ; des engagements privés ou publics qui ont su garder intacte la flamme de la révolte qui brûlait dans le cœur d’Antigone, de Louise Michel, et des femmes iraniennes aujourd’hui prêtes à tout pour retrouver liberté et dignité.

Que risquent par contre les écolos qui vont dans les musées maculer des tableaux, sinon une amende et quelques heures de garde à vue ? Que risquent les engagés professionnels qui hantent depuis des décennies les zones de combat et surtout leurs périphéries ? Sartre l’avait  bien dit, que l’intellectuel se dédouanait ainsi d’être resté un petit (ou grand) bourgeois ! Miné par sa mauvaise conscience autant que par son impuissance, l’intellectuel a depuis lors il est vrai cédé le pas aux organisations humanitaires qui, elles aussi, se dédouanent d’enfreindre les lois en invoquant une solidarité qu’elles sont seules à penser universelle, et qu’on ne saurait remettre en cause sans être taxé d’inhumanité. Que risquent enfin les minorités qui se font entendre pour faire payer à leurs oppresseurs supposés la « différence » qu’elles pourraient assumer en toute indépendance et avec une fierté cette fois-ci légitime ?

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Mais en matière d’engagement sans conséquences, la palme revient aux people usant de leur notoriété pour voler au secours de ceux des opprimés qu’ils jugent respectables. Ainsi en fut-il du spectacle récemment offert par les vedettes du show-biz se coupant devant les caméras une mèche de cheveux – la plus petite et la moins visible possible ! – en signe de solidarité avec les femmes iraniennes. Se seraient-elles tondues qu’on aurait peut-être commencé à les prendre au sérieux, au risque, il est vrai, de leur prêter une soudaine aspiration à la vie monastique peu compatible avec leur statut de star, ou de ranimer le très mauvais souvenir de femmes livrées à la vindicte populaire. Mais enfin la question se pose : comment, sans se couvrir de ridicule ou se payer de mots, se montrer réellement solidaire d’une cause qu’on pense juste mais dont les tenants et aboutissants nous échappent ? Car enfin, le régime des mollahs, c’est le peuple iranien qui l’a voulu, même si la jeunesse d’aujourd’hui n’en veut plus et si les femmes sont prêtes à risquer leur vie pour sortir dans la rue tête nue ! Comment une culture plusieurs fois millénaire d’une aussi exceptionnelle richesse que celle de l’Iran en est-elle arrivée à ce suicide collectif ?

Un bouclier théâtral loin du vrai courage

Il ne suffit donc pas de faire savoir à ces femmes que nous sommes solidaires de leur combat pour effacer les ambiguïtés de l’Histoire, car la liberté de vivre à l’occidentale pour laquelle elles se battent leur fut octroyée sous le règne du Shah, jugé par ailleurs haïssable. La complexité de la situation iranienne montre que, si nos fameuses « valeurs » permettent à court terme de briser les chaînes, elles ne constituent pas forcément à plus long terme un idéal désirable au regard d’une culture comme celle de l’Iran ou de l’Afghanistan[1]. Une leçon de solidarité nous est en retour donnée par cette femme afghane que nous voyons, dans un documentaire diffusé par Arte[2], sortir seule la nuit dans Kaboul pour distribuer des tracts, non sans avoir cité, pour se donner du courage le nom de Sophie Scholl[3]: ce qu’elle a fait, je peux aussi le faire ! Quel collégien français endoctriné par le wokisme sait aujourd’hui qui était Sophie Scholl, et ce que fut La Rose blanche en matière d’engagement total contre le nazisme ? Cette femme afghane le savait, sans avoir à évoquer nos « valeurs », mais parce que le courage, qui donne la force de se révolter, crée aussi les vraies solidarités.

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On ne peut donc exclure qu’à force de « s’engager » pour un oui et pour un non, on se dispense d’avoir un jour à se révolter pour de bon. Le différend idéologique qui opposa Jean-Paul Sartre et Albert Camus dans les années 1950 n’a en ce sens jamais cessé d’être d’actualité ; l’un prônant l’engagement des intellectuels en dépit de leur situation ambiguë et de son peu d’efficacité, et l’autre cherchant à ranimer la flamme de la révolte dans les esprits les plus blasés (L’Homme révolté, 1951). S’il est vrai, comme le pense Camus, que le révolté est celui qui ose un jour dire « non », et effectue la volte-face qui met sa vie en danger, alors il est clair que nous sommes tout sauf des révoltés et que « l’engagement » tend à devenir le paravent, le bouclier théâtral derrière lequel nous abriter. On nous dira sans doute qu’il est mieux de s’engager que de ne rien faire, et qu’on fait ce qu’on peut avec les moyens dont on dispose. Alors faisons-le d’abord localement, là où l’engagement a des chances de porter ses fruits, et manifestons notre solidarité avec toutes les femmes muselées par l’islamisme radical en ne le laissant pas gangrener la France où les plus menacées d’entre elles pourront alors, si elles le souhaitent, trouver refuge. Qu’aurons-nous à leur offrir si nous sommes nous-mêmes réduits au silence ?

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[1] Cf. Daryush Shayegan, Schizophrénie culturelle : les sociétés islamiques face à la modernité (1989).

[2]  Patrick de Saint-Exupéry et Pedro Brito da Fonseca, Afghanistan : un an après la prise de pouvoir par les talibans, documentaire de visible en replay sur Arte.

[3] Étudiante à l’université de Munich, Sophie Scholl (1921-1943) a été guillotinée avec son frère Hans pour avoir fondé le groupe dissident La Rose blanche et distribué des tracts invitant à la résistance contre le nazisme.

De quoi le rejet de la réforme des retraites est le nom

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Céline Pina, 2015. SIPA.

Le rejet de la réforme cristallise en lui le manque de confiance des citoyens envers les élites, la déshumanisation du travail, l’évolution des mentalités des jeunes générations quant au rapport au travail, et surtout l’absence de projection vers l’avenir. L’analyse de Céline Pina.


Et si le rejet de la réforme des retraites révélait le malaise très profond de notre société ? La mobilisation exceptionnelle qui a eu lieu dans les villes moyennes est une donnée qui semble l’attester et rappelle le surgissement des gilets jaunes. Certes, l’analyse la plus répandue du phénomène met l’accent sur une évolution des mentalités et du rapport au travail des jeunes générations. Ceux-ci seraient trop hédonistes pour ne voir dans le travail autre chose qu’une contrainte.

Les Français ont du mal à confier la réforme du système de sécurité sociale à des élites qu’ils voient comme n’ayant aucun rapport avec l’intérêt général

Mais d’autres alertent sur la dimension existentielle de la crise qui se profile. Et si derrière le rejet de cette réforme que le président Macron voudrait emblématique de son quinquennat, on trouvait encore en filigrane cette gestion purement technocratique qui fait de l’adaptation à la globalisation l’alpha et l’oméga de l’action politique alors qu’elle ne porte aucun projet d’avenir, fait exploser les inégalités et ramène la guerre à nos portes ? Exiger des sacrifices sans offrir de perspectives et le faire avec arrogance du haut d’une position privilégiée, voilà comment agissent les promoteurs de cette réforme. Les classes moyennes, elles, se voient être l’objet d’une disparition programmée ; le creusement des inégalités passant par leur destruction. Les crispations que suscite la réforme n’ont donc rien de déraisonnable.

Le travail n’est plus l’accession à l’indépendance

C’est en cela que l’opposition à cette réforme possède une dimension existentielle et c’est cela qu’expriment clairement Christophe Guilluy et Jean-Pierre Le Goff dans des entretiens au Figaro [1], mais aussi Alain Supiot, spécialiste des questions du travail. La première question qui est posée dans ce cadre est celle du sens du travail. Pour nombre de générations, la première vertu du travail était l’accession à l’indépendance, à une forme de maîtrise de sa vie et de ses choix. Une problématique encore plus accentuée pour les femmes.

On était adulte quand on accédait à cette indépendance. Le salaire était important, pas parce qu’il permettait d’accéder à une logique de consommation ostentatoire, mais parce qu’il vous permettait d’exercer réellement votre libre arbitre. Cette dimension paraît avoir totalement disparu des débats. Pourtant elle explique la difficulté de nombre de travailleurs à investir leur emploi : quand le salaire ne permet pas de mettre sa famille à l’abri et que les erreurs stratégiques de vos dirigeants vous empêchent de vous projeter dans le futur ou font que ces projections sont sombres et teintées d’inquiétudes, il est difficile de souscrire à la énième réforme qui vous ampute de quelques avantages.

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Le contenu de cette réforme est donc moins en cause que le contexte général dans laquelle elle intervient et la médiocre légitimité de ceux qui la portent. Elle éclaire aussi sur les conséquences d’un monde du travail où la déshumanisation est vue comme une bonne pratique de gestion. Quand les hommes sont considérés comme des pions et que les process remplacent les compétences, le travail n’aide plus à construire un homme en lui faisant prendre conscience de ses capacités, de ses compétences et de son utilité sociale. Il ne participe plus à donner la mesure d’une vie d’homme, mais permet la transformation de l’humain, en simple outil, en objet. Et si c’était aussi cela que fuyait la jeune génération et que ne comprennent pas nos élites biberonnées à la statistique et aux bilans comptables ?

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Jean-Pierre Le Goff. Photo : Hannah Assouline.

Le refus des élites de se remettre en cause

Le constat d’échec d’élites déconnectées de la réalité de leur pays, incapables de tracer un chemin pour une nation, qui prennent le pouvoir en s’appuyant sur des clientèles ciblées et le gardent malgré leur absence de capacité à fédérer et à proposer parce qu’elles diabolisent tout adversaire et toute contestation, a abîmé l’idéal démocratique. Que ce soit pour Christophe Guilluy et Jean-Pierre Le Goff, les Français ont du mal à confier la réforme du système de sécurité sociale à des élites qu’ils voient comme n’ayant aucun rapport avec l’intérêt général et totalement détachées de la notion de bien commun. Une majorité de Français ne voit plus ses représentants comme ceux du peuple, au service des intérêts de la France, mais comme les bénéficiaires d’un système néolibéral qui détruit leur modèle social et culturel pour ne servir que leurs intérêts personnels et de classe. Cette défiance creuse même quand les partisans de la réforme pensent sincèrement qu’il s’agit d’un moindre mal et sont persuadés d’agir en ce sens.

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Les crises qui s’accumulent (désindustrialisation, crise énergétique, crise sécuritaire, crise alimentaire, crise environnementale, crise économique, crise sanitaire) s’expliquent en grande partie par les choix idéologiques d’élites qui aujourd’hui refusent de se remettre en cause et qui face à leurs échecs expliquent au contraire qu’il faut encore augmenter la dose du poison. Or leur soumission à la logique néolibérale n’a pas seulement détruit notre capacité à produire de la richesse et à la redistribuer, mais a également abîmé notre modèle culturel et détruit la conscience collective qui faisait de nous un peuple, discutailleur et chamailleur certes, mais qui avait encore le sentiment d’être un peuple. Et ce sont les mêmes qui ont causé ce désastre qui aujourd’hui imposent leurs remèdes de Diafoirus. Mais si cette analyse est juste, alors ceux qui envisagent d’apporter leur soutien à cette réforme ne feront pas passer un message de responsabilité au-delà des clivages politiques. Ils enverront au contraire un message clair à cette majorité de Français qui ne vote plus et ne se sent plus en lien avec ses représentants : entre la volonté d’incarner le peuple et de proposer des réformes qui, pour dures qu’elles soient sur le moment, s’inscrivent dans un projet commun, ils ont choisi la connivence des privilégiés. À la nation, ils auront préféré la gestion de leur part de marché clientéliste : c’est précisément ce qui est en train de rompre le lien démocratique.

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[1] Christophe Guilluy, « Les classes moyennes ne croient plus et n’écoutent plus ceux qui les dépossèdent », entretien avec Vincent Trémolet de Villers, 22 janvier 2023 et Jean-Pierre Le Goff, « La société de consommation et de loisir a bouleversé le rapport au travail », entretien avec Vincent Trémolet de Villers, 18 janvier 2023.

Marc Menant: «Vive la voiture !»

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Marc Menant, Festival du livre de Paris, le 23/04/2022 © LAURENT BENHAMOUSIPA

Avec une voiture, on a d’abord un rapport physique. Et au volant d’un bolide de course, on conduit avec ses tripes. On met à l’épreuve ses propres limites, autant que celles du moteur, pour faire l’expérience de la démesure. Souvenirs.


Objet culte, la voiture fait son apparition dans les années 1870. À Amédée Bollée, fondeur de cloches au Mans, reviennent l’honneur et la joie de la première apparition publique aux commandes d’une voiture de 12 places, « L’Obéissante », propulsée par la vapeur. En 1875, avec un nouveau prototype, « La Mancelle », il parcourt Le Mans-Paris-Le Mans, soit 500 km, en dix-huit heures, exploit authentifié par 75 procès-verbaux. Hors-la-loi, Bollée, la réglementation n’autorisait que la circulation de véhicules tirés par des chevaux ! En 1878, il produit et vend quarante « Mancelle ». La concurrence surgit immédiatement : Panhard, Levassor, Peugeot, de Dion-Bouton. En Allemagne, Daimler et Benz créent le moteur à essence. En France, Gustave Trouvé invente le moteur électrique et le 29 avril 1890, à Achères près de Paris, le Belge Camille Jénatzy, au volant d’une voiture électrique, « La Jamais contente », atteint 105,882 km/h.

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L’auto égaye la vie

Bien que réservée à une élite, la voiture, en quelques décennies, brise le carcan originel, horizon circonscrit à une centaine de kilomètres aux alentours du village. La voiture, c’est l’évasion, les voyages, la liberté et une nouvelle fraternité avec les autostoppeurs en resquille d’aventures, pouce levé en bordure de route comme sur la mythique nationale 7.

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Qu’elle soit rutilante limousine, rugissante sportive, grinçantes ferrailles, la bagnole vaut le coin de paradis pour les élans d’amour ou les clandestines cabrioles. L’auto égaye la vie, soulage nos servitudes et, puis, il y a le plaisir incommensurable que tout adolescent attend, impatient : conduire ! Prendre le volant à pleines paumes, corps en épousailles du châssis, sentir le précaire équilibre de la tenue de route, tripes au diapason des vibrations, oreilles à l’affût du vrombissement du moteur pour le soulager d’un prompt passage de vitesse et, au fur et à mesure, raccourcir les distances de freinage. Toutes mes années de gosse, calé sur le siège derrière mon père, j’ai mimé les gestes décrits dans une revue de sport auto par John Surtees, champion du monde et vainqueur des 24 heures du Mans. M’en germa la folie de devenir pilote. Déterminé au point de jurer de ne jamais boire la moindre goutte d’alcool, de ne jamais fumer une cigarette et de m’astreindre à une gym quotidienne. Ascétisme précoce et jubilatoire qui forgea ma volonté et gouverne encore ma vie.

Les 24 Heures du Mans 1976. D.R

La voiture, compagne d’aventures

Par deux fois, en 1979 et 1986, j’ai couru les 24 heures du Mans. Instants magiques, paroxysmiques, qui me placent dans le camp des irréductibles défenseurs de la voiture et des courses auto, convaincu que c’est par les défis de l’extrême que l’homme taquine la transcendance. Bien plus qu’un moyen de déplacement, la voiture propulse l’homme dans une autre dimension, monde de sensations uniques, vertigineuses, bastringue de la démesure, tutoiement du sublime… L’apothéose pour l’audacieux, c’est le dépassement des 350 km/h au milieu des arbres dans la ligne droite des Hunaudières sur le circuit du Mans, temple de la déraison, 13,5 km de folie ouverts aux champions. J’ai obtenu le sésame par dérogation, grâce à mes performances sur une monoplace à l’école de pilotage de Magny-Cours et une quatrième place aux 24 heures du Castelet pour mon baptême en compétition. Mais à mon arrivée au circuit, les chocottes, les vraies, carambolent mon euphorie. Horreur, cauchemar, jamais je ne serai capable de piloter le bolide que je découvrais à moitié désossé, entrailles auscultées par une nuée de mécaniciens. Pas un ne lève la tête quand le patron de l’écurie me présente. Mon crâne baratte le noir jusqu’aux essais qualificatifs. Une fois passée la combinaison, magie de l’habit, l’angoisse se dissipe, je me sens élu des dieux, impatient de me glisser dans la 47 d’où s’extrait Jean-Philippe Grand, l’un de mes deux coéquipiers. « Elle va vraiment bien, aboie-t-il une fois son casque retiré, elle est un peu vive en courbe mais on la tient à petites touches », le tout accompagné d’une tape fraternelle sur l’épaule. Me voilà seul face à mon rêve : obtenir ma qualification. J’infiltre des boules antibruit dans les oreilles, enfile la cagoule pare-feu, puis mon casque et me glisse au volant à ras du sol. Un mécano abat la portière et m’emprisonne dans le cockpit. L’espace est si étroit qu’une main ne pourrait passer entre le toit et mon casque. J’appuie sur le démarreur, les 550 chevaux mugissent, tintamarre d’enfer, j’enclenche la première, la 47 jaillit en léger travers, je la rattrape au contre-braquage, deuxième, troisième, je fuse dans la grande courbe Dunlop, plonge dans la descente vers les S d’Indianapolis, déboule vers la gauche, freine trop tôt, deux voitures me sautent et contrarient ma plongée à la corde, légère glissade, rattrapage par petits coups de volant, la 47 obéit, j’accélère, jaillis dans la fameuse ligne droite… cinquième, sixième… 280… 300… 310… holà !… que se passe-t-il ?… je louvoie droite, gauche, je soulage, au tour suivant, l’emballement reprend, je l’ignore, il faut que je reste à fond pour me qualifier… droite-gauche, la gigue s’amplifie, une voix me crie de lever le pied, je l’occulte, pas question de mollir, sinon, adieu la qualif, pied à fond… plus de 300… la piste rétrécit, suis comme propulsé dans un entonnoir, c’est l’effet tunnel… le chaloupage s’accroît… Reste à fond… 320… la dérive se stabilise à un mètre d’amplitude… 340… 350… je catapulte dans la grande courbe… j’exulte, sens exacerbés, en fusion avec la 47… j’enchaîne les virages en extralucide, deux tours suffisent à ma qualification. Retour au stand sous les ovations, les mécaniciens radieux m’agrippent, m’extirpent de mon baquet, me voilà brinqueballé aux accolades et embrassades. Félicité ! Elle se renouvelle le dimanche quand Jacques Goudchaux, mon deuxième coéquipier, franchit la ligne à la 13e place au classement général.

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Comment après de tels frissons, ne pas dégorger à pleins poumons : « Vive la voiture ! » C’est en offrant aux jeunes l’opportunité de telles démesures qu’on leur inocule le goût du surpassement et leur évite l’avachissement. Gnognotte, le CO2 dégagé par les autos, de l’infinitésimal en comparaison de toutes les consommations inutiles. Et, puis, cette obsession du CO2 est-elle si légitime au regard de ce que l’on sait de l’histoire du climat ? Défions-nous des experts et de leurs suppôts écolos, prosélytes par ailleurs, du multiculturalisme, de l’indigénisme, du néoféminisme et de toutes les délétères fragmentations. Oui au doute, non, à la dictature des certitudes !

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«Populiste, moi? J’assume!»

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Philippe Bilger © BALTEL/SIPA

Il ne faut pas avoir honte du populisme judiciaire !


Rien que le mépris dont les médias distingués et les élites à l’abri accablent le populisme judiciaire me donnerait envie de le défendre, mais il y a plus à dire en sa faveur…

Quand je lis ce titre du Monde – « Face au populisme judiciaire, le monde de la justice inquiet » – et l’article qui suit, avec une sélection très précautionneuse d’un ministre, de magistrats (Denis Salas) et d’avocats (Patrice Spinosi) accordés sur le danger que représenterait le populisme pénal, je suis naturellement conduit à m’interroger sur cette manière de présenter les pièces d’un procès dont la cause est entendue avant même le moindre débat.

Et sans que la plupart soient à même d’expliciter cette notion entrée dans le langage courant et dont ils abusent.

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Les exemples donnés de « populisme judiciaire » montrent bien cette facilité qu’on s’octroie et qui consiste à juger scandaleuse toute aspiration à une justice plus répressive.

On se sert d’un extrémisme et d’une outrance rares – ainsi ceux de Cyril Hanouna qui mérite cependant d’être écoutés et questionnés – pour fustiger des revendications dont l’excès signerait leur prétendue indécence.

Le laxisme de la justice questionné

Pour l’essentiel, que de poncifs ornés d’humanisme !

Pourtant toutes les personnes interrogées par le Monde ont-elles raison quand elles affirment que « la justice n’est pas laxiste » ? Si, globalement, elle ne l’est pas, on peut cependant faire état de multiples exemples qui permettent de comprendre l’émoi, voire l’indignation civiques à la suite de certains jugements ou arrêts. Je ne suis pas persuadé que les théoriciens d’une justice qu’ils s’acharnent à voir conforme à leur idéal de fermeté très relative soient les mieux placés pour fustiger tous ces citoyens « populistes ».

Considérer que dans le procès pénal la cause de la victime et son écoute ne doivent pas être exclusives est une évidence. Mais de là à leur dénier un rôle fondamental dans l’élaboration de la sanction à venir, cela relève d’une absurdité qui n’est destinée, à nouveau, qu’à déplacer le point d’équilibre de l’audience criminelle vers l’accusé.

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Invoquer par ailleurs la surpopulation carcérale pour battre en brèche l’idée du laxisme de la justice n’est pas un argument décisif. Cette trop forte densité ne démontre rien d’autre que la nécessité de construire vite de nouvelles places d’enfermement. Cette erreur d’analyse est la conséquence directe du discrédit qu’on attache par principe à l’incarcération, en mesurant mal qu’elle est rendue obligatoire pour les délits graves et les crimes. Ils ne sont pas commis à cause d’elle mais malgré elle.

La prison de La Talaudiere (Saint Etienne) dans le département de la Loire, photographiée en 2019 © KONRAD K./SIPA Numéro de reportage: 00933744_000026

Sur un autre plan, se moquer des 61 % des personnes interrogées (étude annuelle Kantar Public-Epoka pour Le Monde et Franceinfo) parce qu’elles estiment que « la justice n’est pas assez sévère avec les petits délinquants » n’est pas non plus une attitude convenable. Alors qu’on peut soutenir que dans le cadre d’une politique pénale cohérente, une répression correctement ciblée sur les « petits délinquants » serait au contraire une pratique souhaitable.

La majorité ordinaire abandonnée

Je pourrais faire référence à d’autres débats qui tourneraient systématiquement en dérision le « populisme judiciaire » qui au fond n’est que l’attente impatiente d’une autre justice et le sentiment angoissé que l’actuelle n’est pas à la hauteur de ce qui sourdement ou de manière explicite surgit des tréfonds du pays.

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Il me semble qu’une explication ayant du sens éclaire au moins partiellement le mépris politique et médiatique à l’encontre de ce « populisme pénal », très souvent assimilé à ce que ses adversaires appellent la démagogie du RN. On a l’impression, à entendre de multiples réactions parlementaires ou autres, qu’on rend sans le vouloir un hommage équivoque au RN en le constituant comme porte-parole du « populisme ». Une perception plus fine pourrait au contraire désigner comme groupe dominant de ce populisme, cette « majorité ordinaire » qu’évoque Christophe Guilluy et peu ou prou abandonnée par le pouvoir.

« Les attaques contre les fondements du droit, les gens de justice – avocats et magistrats – y sont habitués. Mais leur généralisation les inquiète » : cette généralisation, à la supposer exacte, ne vient pas de nulle part. D’abord, pour le commun, de la démonstration trop souvent décourageante de l’impuissance de l’État de droit classique. Quand l’insécurité augmente et prend des formes de plus en plus violentes et précoces, la faiblesse de nos dispositifs de protection traditionnels, mal adaptés à aujourd’hui, saute aux yeux pour peu qu’on veuille les garder ouverts. Ensuite, si le populisme judiciaire est une plaie de la République, que magistrats et avocats fassent leur examen de conscience : ne sont-ils pas, à des titres divers, directement responsables de ce qu’ils s’imaginent combattre ? L’aristocratisme pénal est le pire remède au populisme : il le valide au lieu de le réduire.

Des Grands Boulevards à l’Orient, les Kurdes, un peuple sans terre

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Rassemblement à Toulouse l’appel d’associations kurdes pour rendre hommage aux militantes kurdes assassinées en 2013 ainsi qu aux trois kurdes tues à Paris le 23 decembre 2022. Photo : SIPA / CONFLITS

Les Kurdes sont revenus sous les feux de l’actualité à la suite de l’attentat de la rue d’Enghien. Mais la question kurde existe depuis bien longtemps et ne trouve pas encore de solution. Une guerre sans fin qui déstabilise le nord du Moyen-Orient. Tigrane Yegavian a répondu aux questions de la revue Conflits. Propos recueillis par Louis-Marie de Badts.


Tigrane Yegavian est chercheur au CF2R (Centre Français de Recherche sur le Renseignement).

Conflits. À la sortie de la Première Guerre mondiale, le traité de Sèvres reconnaissait aux Kurdes le droit de se constituer en nation indépendante. La période entre-deux-guerres fut baignée de sang. C’est de là que part tout le problème kurde, mais qu’en est-il aujourd’hui, après près d’un siècle de conflits et de tension ?  

Tigrane Yégavian. Il faut bien comprendre que les Kurdes forment la plus grande nation sans État au monde. Ils seraient aujourd’hui entre 30 et 40 millions répartis entre la Turquie (20 millions de Kurdes), l’Iran, l’Irak et la Syrie (respectivement 12, 8,5 et 3,6 millions). Ces quatre pays entretiennent des relations orageuses, mais s’accordent néanmoins sur la nécessité d’empêcher l’émergence d’un État kurde indépendant.

Depuis août 1920, les Kurdes entretiennent un profond sentiment d’injustice. Les Occidentaux leur avaient promis à cette période qu’ils auraient un État, sur un territoire qui aujourd’hui se trouve au sud-est de l’actuelle Turquie et empiète au nord de l’Irak.

Les Kurdes n’ont pas vraiment leur place en Turquie et ne s’y assimilent pas. Aux yeux d’Ankara, la question kurde est un problème de sécurité nationale, car dans le cas où les Kurdes obtiendraient leur autonomie, le processus d’indépendance serait irrémédiablement enclenché. La Turquie devrait craindre son propre démembrement pour éviter un nouveau « traité de Sèvres » (1920) qui avait scellé la disparition de l’Empire ottoman et fracturé la Turquie anatolienne.  Il est cependant intéressant de noter que depuis 2012, les Kurdes possèdent une certaine autonomie en Syrie, mais Damas n’a pas l’intention de la rendre durable.

De son côté la guérilla du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) est engagée dans l’action armée depuis 1984, avec au départ un programme visant à l’indépendance du Kurdistan et l’instauration d’un régime marxiste-léniniste, d’inspiration stalinienne. L’organisation a fait sa mue après l’arrestation de son leader Abdullah Ocalan en 1999. Elle défend à présent un système d’autonomie inspirée de la théorie du penseur marxiste libertaire américain Murray Bookchin, décédé en 2006. Depuis, le PKK s’est donné comme objectif de fonder la première société qui établirait un confédéralisme démocratique inspiré des réflexions du théoricien de l’écologie sociale et du municipalisme libertaire, en encourageant une forme de féminisme, inédite au Moyen-Orient. C’est notamment le cas dans le nord-est de la Syrie. Mais derrière son discours démocratique, le PKK (et sa franchise syrienne du PYD) mène un maillage des territoires qu’il contrôle et ne tolère que les forces politiques qui lui sont soumises.

Il faut vraiment comprendre qu’il existe de vraies divisions au sein du peuple kurde. Il ne faut pas les confondre entre eux : religion, politique, ethnies. Et ces divisions ne font que s’accentuer avec le temps.

La diaspora kurde fait aujourd’hui beaucoup parler d’elle, mais dans quelle mesure croit-elle encore à son projet d’indépendance ? N’est-il pas devenu utopique ?

Le problème actuel kurde c’est qu’il n’y a pas de leadership trans-national. Abdullah Öcalan, fondateur et chef du parti des travailleurs du Kurdistan, est en prison en Turquie. Son œuvre est limitée parce qu’il ne peut pas fédérer tous les Kurdes, car un clivage existe entre islamistes et nationalistes, mais il n’est malheureusement pas suffisamment étudié. Par exemple, certains Kurdes sont membres de Daech tandis que d’autres dont on ne parle pas assez, soutiennent Erdogan, en Turquie et même en Allemagne. Il est aussi important de savoir que le chef des services secrets turcs est d’origine kurde, Hakan Fidan, un proche d’Erdogan. Fidan est un Kurde originaire de Van qui parle cette langue lorsqu’il négociait avec des cadres du PKK. Il est essentiel de comprendre que l’on a affaire à une nébuleuse politique. Les Kurdes n’ont pas vraiment de …

>> Lire la fin de l’article sur le site de Conflits <<

Extension du domaine de la perversité

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D.R.

Les victimes de violences conjugales sont loin d’être exclusivement des femmes. Les pervers narcissiques ne sont pas uniquement des hommes.


Dans un récent article, Philippe Bilger se demande si l’emprise ne serait pas une « tarte à la crème », à savoir une explication simpliste et passe-partout « jamais questionnée ». Pourtant l’emprise existe bel et bien.

Note liminaire: s’il est avéré que le phénomène de perversité concerne majoritairement des hommes, les femmes manipulatrices perverses ne sont pas moins redoutables et provoquent des dégâts aussi graves sur leur conjoint, leurs enfants ou tout autre cible passant à portée. N’en déplaise aux idiots préconisant l’écriture dite inclusive, le masculin conserve, pour ceux qui parlent encore le français, sa valeur générique. J’emploierai donc le terme pervers pour évoquer cette pathologie qui concerne bien les deux sexes.

Outre de multiples autres œuvres cinématographiques et littéraires, les comportements intriqués des protagonistes de ces couples infernaux sont subtilement illustrés par le film À la folie [1].

Ce n’est pas l’apanage de l’homme

En premier lieu tordons le cou à l’idée selon laquelle la violence physique serait l’apanage des hommes. Sujet « tabou », les violences conjugales subies par les hommes pâtissent de lacunes dans leur évaluation. Les données officielles à ce sujet disent a minima l’ampleur du problème. Selon l’enquête cadre de vie et sécurité (CVS) de l’Insee de 2019, plus du quart (28 %) des victimes de violences conjugales physiques et/ou sexuelles autodéclarées sont des hommes (soit 82 000 victimes par an, en moyenne sur la période 2011-2018). En 2018, 12 % des victimes enregistrées par les services de police ou de gendarmerie étaient des hommes (selon les chiffres du Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMI), cités dans la lettre de l’Observatoire national des violences faites aux femmes 2019), soit près de 15 000, sachant que la propension des hommes à dénoncer les faits de violence subie est réputée plus faible, avec un taux de plainte moindre (3%!).

« Il n’y a rien à attendre de la fréquentation des pervers narcissiques, on peut seulement espérer s’en sortir indemne »

L’explication d’un tel déni ? Les féministes nouvelle mouture ont fait de la violence conjugale un débat politique plutôt que de présenter la violence dans son intégralité. Le politiquement correct actuel est dominé par le lobby féministe radical (courant geignard et vindicatif à la #metoo) qui rend l’homme seul responsable de toute violence domestique, malgré des faits scientifiques indéniables contredisant cette imposture.

Ce sont les victimes qui — dans le meilleur des cas — viennent consulter, parfois après plusieurs années, voire décennies. La plupart du temps, au reste, sans trop bien savoir ce qui les fait souffrir. Auraient-elles accepté de percevoir, puis désigner, la cause de leur misérable situation, des décisions auraient (peut-être) pu suivre cette prise de conscience. Or les choses sont beaucoup plus compliquées que le bon sens ne le laisse penser.

Depuis quelques années, j’ai reçu beaucoup de femmes victimes. Dans ma clientèle, les femmes consultant pour ces motifs sont certes plus nombreuses, mais les hommes sont moins enclins à consulter, tant est forte la honte de se laisser violenter par une femme : 97 % des hommes victimes ne déposent pas plainte. Dans la plupart des cas, il ne s’agit pas de violences physiques mais de ce que les analystes appellent « emprise », à savoir un ascendant intellectuel ou moral exercé par quelqu’un sur un individu (CNRTL).

Une pathologie peu étudiée

La pathologie des pervers narcissiques est étudiée depuis relativement peu de temps. Par Paul-Claude Racamier [2] d’abord, en 1986, qui met en garde par ces mots : « Il n’y a rien à attendre de la fréquentation des pervers narcissiques, on peut seulement espérer s’en sortir indemne ». Comment expliquer cette latence, puisque la pulsion d’emprise existe sans aucun doute depuis que l’humain se confronte à ses semblables ?

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Nous avons tous en nous, en proportion variable, des traits névrotiques (phobiques, obsessionnels, hystériques), des penchants caractériels, des noyaux psychotiques. L’important pour notre santé mentale est qu’ils soient supportables, équilibrés, discrets, et n’entravent en rien nos capacités à vivre, aimer, travailler. Mais nous-autres humains n’aimons pas explorer les zones les plus répugnantes de notre psyché. Cela pourrait peut-être expliquer le faible nombre d’études psychanalytiques sur ce sujet jusqu’aux années récentes.

C’est la notion de harcèlement moral, décrite par Marie-France Hirigoyen en 1998[3], qui met en lumière un type de comportement utilisé par le pervers narcissique : « le harcèlement moral désigne une situation (familiale, professionnelle) dans le cadre de laquelle un Autre jouisseur vampirise une victime passive via de sournois mécanismes de domination manipulatoire. Comme le gourou, le harceleur use lui aussi de l’emprise, cette action insidieuse qui retire tout sens critique et peut aller jusqu’à la captation de l’esprit de l’autre, comme dans un véritable lavage de cerveau. En conséquence, la victime est prise dans une toile d’araignée, tenue à disposition, ligotée psychologiquement, anesthésiée. »

Nous restons toujours sidérés par l’absence de réaction des victimes. Qui accepterait en effet de vivre un enfer pendant des années, parfois des décennies ?

Le manque de confirmation narcissique précoce (par une figure parentale maltraitante, dépréciatrice et toxique), est vécu comme une blessure narcissique sévère qui obérera l’avenir : l’enfant se sentira sans valeur personnelle. Cela ravivera son sentiment d’insuffisance, de petitesse, d’impuissance (terme à ne pas prendre dans son sens sexuel), d’où un profond sentiment de honte. La constitution de la future personnalité s’en ressentira définitivement et il en résultera une sensibilité particulière aux inévitables blessures narcissiques ultérieures qui atteindront le sujet. Ces sujets ont le plus grand mal, non seulement à se remettre d’un échec ou d’une perte, mais aussi à jouir de leurs réussites. Ils vivent en permanence avec en arrière-plan des fantasmes d’effondrement, ce qui les amène à se durcir de façon défensive et à refuser toute menace de dépressivité en refusant ou en déniant tout affect de tristesse.

Rémy Puyuelo dans son article « les Enfants empêchés de latence », évoque ces enfants abusés narcissiques qui présentent des carences et des blessures qui ont empiété leur développement, et les ont mis en difficulté de se vivre comme un sujet autonome. Ces « enfants moi tout seul sans jamais l’autre » ne sont pas eux-mêmes, ils sont des photocopies et sont incapables de supporter une perte ou un échec.

Confusion dévastatrice du mal et de l’amour

C’est avec de tels sujets que le pervers narcissique trouvera son miel, car ces ligatures hautement pathologiques sont vécues comme si elles étaient des relations d’amour: le sujet en déficience narcissique cherche constamment des moyens de réassurance sur sa valeur et donc, des preuves qu’il est digne d’être aimé. Cette mauvaise estime de soi prédispose à la dépendance affective dont se nourrit le pervers qui usera de toutes les stratégies nécessaires — séduction, mensonge, chantage affectif, menace, culpabilisation, mise en dépendance, dénigrement, dévalorisation, renversement des rôles, confusionnement, isolement — pour totalement régner sur sa victime.

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Ce qui retient mon attention depuis quelques années sont les conséquences dramatiques des agissements des pervers narcissiques. Bien entendu, ces derniers ne viennent jamais consulter. Pourquoi le feraient-ils ? Ils ne souffrent en/de rien, tant qu’ils gardent leur victime entre leurs griffes.

Mais un certain nombre de victimes de pervers viennent consulter. Dans presque tous les cas, le travail psychique a permis un dégagement de l’emprise. Venir demander une psychothérapie — qui fait intervenir un tiers dans une relation pathologique ne pouvant se maintenir que dans le secret — signe déjà un début de prise de conscience et une volonté de dégagement. Il faut parfois des années avant qu’un rendez-vous soit demandé. Mais une fois la psychothérapie engagée, le plus souvent la prise de conscience ne tarde pas. Et une fois prise la décision de refuser ces maltraitantes et de quitter le pervers, elle est quasi définitive et irrévocable. Ce qui est, pour patient et thérapeute, source de grande satisfaction.


[1] Tiré d’une histoire vraie, réalisé par Andréa Bescond et Eric Métayer, écrit par Eléonore Bauer et Guillaume Labbé.

[2] Membre titulaire (1962) de la Société psychanalytique de Paris

[3] Le Harcèlement moral : la violence perverse au quotidien, Éditions La Découverte & Syros, 1998

Mince! Un premier roman sur la grossophobie

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Jes Baker, activiste américaine, photographiée en France le 15/12/2017. ©Christophe Ena/AP/SIPA

Grossophobie, le tout premier roman de notre contributeur Alexis Brunet, critique notre société woke, chaque jour à l’affut de nouveaux «phobiques», grâce aux péripéties d’un anti-héros prénommé Kévin. Si ce roman à thèse est plaisant à lire, il aurait peut-être gagné à développer un peu plus la psychologie de ses personnages. Ce sera le cas, à n’en point douter, la prochaine fois.


Kevin, métis originaire de Guyane par sa mère qui l’emmena avec lui lorsqu’elle décida de venir s’installer en métropole puisqu’il était encore dans son ventre, n’a pas connu son père, volatilisé. Homme de 40 ans à présent, en surpoids ou obèse selon les mois, personnage indéterminé et profondément « désorienté », à l’image de l’époque que nous vivons, a perdu le nord comme on dit et c’est en remontant vers lui qu’une direction lui sera indiquée… Mais n’allons pas trop vite !

Kevin, un personnage houellebecquien

Au début du roman, Kevin perd sa seule famille ; à savoir sa mère qu’il était allé rejoindre à Hyères et se retrouve dès lors orphelin et, d’une manière générale, privé de communauté. Certes, il travaille, dans l’informatique, et n’a pas son pareil pour réparer ses machines. Mais sa solitude n’en reste pas moins entière et ce ne sont pas les quelques rencontres avec sa voisine qui peuvent l’amoindrir. D’autant plus qu’elle sera vite assassinée… « Pour autant, Kevin ne comprend pas pourquoi elle ne lui a pas demandé, à lui, de l’aider à régler correctement sa télé. La veille du meurtre, la télé marchait très bien. Ils avaient regardé un peu CNews puis il l’avait laissée devant Squid Game, il trouvait cette série d’un ennui abyssal. Il n’avait jamais aimé les séries et encore moins les séries coréennes. Il songeait d’ailleurs que ça pourrait être un motif de rupture avec Alice. »

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Personnage houellebecquien, notre anti-héros qui, lui, rêve d’en être un, et qui ne fait pas dans le plat surgelé mais dans le Nutella à la louche, porte un regard désenchanté et acéré sur le monde, entre deux érections intempestives suivies d’intenses frustrations. Sa vie intérieure est rythmée par des pulsions sexuelles inassouvies. Alors que, justement, il vient encore de passer à côté d’une chance possible, il se découvre une nouvelle raison chagrine: « Sa peine fut encore plus forte lorsqu’il prit conscience qu’il n’avait jamais fait l’amour dans une voiture. Il était encore vierge de l’amour en voiture et cela le travaillait, il aimait la voiture, il se sentait bien en voiture, rester vierge de l’amour en voiture pour le restant de sa vie était une perspective qui ne le réjouissait guère. »

Un roman sur le wokisme en France

En dehors d’une vie sexuelle problématique, notre personnage est en quête d’une direction à prendre et ce sera Paris, et cette traversée de la France s’avérera aussi géographique que critique. Le roman est sans cesse l’occasion (trop peut-être ?) de mettre en scène l’idéologie ambiante qui aura trouvé en ce début de millénaire avec le mot « phobie » son principe majeur. Pour cela, quelques personnages rencontrés sur le chemin seront l’occasion de nous offrir quelques caricatures gratinées. Dont une femme, elle aussi dotée de kilos superflus, et qui régalera le lecteur avec ses considérations aussi ahurissantes qu’actuelles ; notamment lorsqu’il s’agit de lutter contre les discriminations envers « les migrants en surpoids » lesquels subissent donc une double peine… Tous les clichés sont réunis et de manière parfois très drôle. Et Kevin, tel un personnage des Lettres persanes de Montesquieu, regarde ce monde qui lui est étranger entre deux coups d’œil aux seins de Lucy. La dame qui l’accompagne à la capitale et qui n’en finit pas de déblatérer nous gratifie dans un café de Stalingrad d’un moment quasi macronnien, lorsqu’elle débite son verbiage en n’oubliant jamais de dire et le féminin et le masculin, (voire le fameux « celles z’et ceux »), mais de telle sorte que cette manie, dans sa répétition, dézingue la syntaxe à la façon de Molière avec effet comique garanti. Je ne le citerai pas ; au lecteur de le découvrir et de s’en délecter !

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Mais ce récit, qui met en scène les travers absurdes de notre époque, est aussi un conte initiatique. En allant vers le nord et vers un lieu emblématique des Grands Hommes, le gros Kevin, flottant dans l’existence comme une bouée, en deviendra un à son tour ; à la faveur d’un acte héroïque qui redorera son blason et par la grâce d’un hommage rendu à un père d’adoption: ce qui lui permettra de redonner à sa vie une direction et une descendance possible. Ce roman aurait cependant gagné à épaissir ses personnages secondaires, qui semblent souvent servir de prétextes à l’inventaire des poncifs. Dégraissé de son côté trop sociologique, le roman aurait ainsi rejoint son poids idéal…

Grossophobie, d’Alexis Brunet, éd. Les éditions Ovadia, 156 p., 2022.

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Ukraine: le crépuscule de Wagner?

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Vladimir Poutine à Saint Petersbourg, le 18 janvier 2023 © Kremlin Pool/UPI/Shutterstock/SIPA

Le 11 janvier, le président russe Vladimir Poutine a décidé de nommer Valéri Guerassimov au commandement général du groupement conjoint des forces en Ukraine, remplaçant ainsi le général Sergueï Sourovikine – devenu désormais son subordonné. Cette nomination pose de nombreuses questions.


Couverture de « Paris Match »

D’abord, pourquoi changer de commandement, trois mois à peine après avoir nommé Sourovikine à ce même poste ? Et puis, pourquoi nommer Guerassimov, l’homme responsable de l’état déplorable des forces armées russes ? Car ce général d’armée de 67 ans occupe depuis 2012 les postes de premier vice-ministre de la Défense et de chef d’Etat-Major des armées. Et, ex-officio, il est également membre du Conseil de défense nationale. Guerassimov est donc doublement responsable de l’échec militaire et stratégique russe. Tout d’abord en tant que responsable de la construction de l’outil militaire russe pendant la décennie précédant l’invasion de l’Ukraine. La doctrine, le matériel, les ressources humaines, l’entraînement, les promotions et les allocations budgétaires : sur tous ces points, Gherassimov avait la main et depuis assez longtemps pour façonner les armées russes et assimiler les leçons de la seconde guerre du Golfe, de la Géorgie et de la Syrie… Pire, ce général, né quand Joukov était ministre de la Défense de l’URSS, est co-responsable de la manière désastreuse dont la guerre a été planifiée et déclenchée ! On se souvient que Poutine souhaitait déclencher une offensive éclair contre l’Ukraine, qui devait être facilement menée, selon les services de renseignement (le FSB), et dans laquelle l’armée professionnelle jouerait les seconds violons… Gherassimov ne l’a pas empêché. Il a laissé Poutine écarter l’armée de la réflexion sur la campagne. Il a soutenu de facto le président russe quand ce dernier prétendait refaire la campagne de 2014, et, grâce à des agents doubles du FSB en Ukraine et à leurs équipes d’assassins, pouvoir tuer Zelenski et les autres leaders ukrainiens dans les premières heures de la guerre. Il a ensuite laissé son armée partir au casse-pipe sur les fondements d’un plan improbable.

Poutine lâche Prigojine

Et pourtant, c’est donc bien cet homme qui se retrouve aujourd’hui grand ordonnateur en charge de préparer l’armée à la poursuite de la guerre, en même temps qu’il la commande déjà sur le champ de bataille. Marshall et Eisenhower, dans le même homme. Quel est le sens de cette décision prise par Poutine ? Le président russe semble avoir décidé, enfin, de se retourner vers son armée et les professionnels de la guerre et de la chose militaire. Au Kremlin, on ne compte plus sur l’homme d’affaires Evgueni Prigojine, sa troupe d’irréguliers et de prisonniers en uniforme de Wagner. On se fie désormais plutôt à Guerassimov, à Sergueï Choïgou et à l’armée russe.  

Le ministre de la Défense russe Sergueï Choïgou, Moscou, 21 septembre 2022 © Vadim Savitskii/SPUTNIK/SIPA

Ainsi, le 17 janvier, quelques jours après la nomination de Guerassimov, le ministère de la Défense  – que Guerassimov co-dirige toujours – a annoncé des réformes à grande échelle dont l’objectif est une refonte des forces armées russes. Les effectifs vont gonfler (jusqu’à 1,5 million de soldats en 2026), ainsi que le nombre d’unités, l’encadrement et le matériel. L’opération spéciale est donc désormais pensée et perçue à Moscou selon une logique et un calendrier dignes de la Seconde Guerre mondiale. Ces réformes et nominations importantes marquent une inflexion significative. Elles témoignent de la déception russe quant aux efforts passés, qui n’étaient pas inscrits dans une vision globale et qui ont donc dispersé et gaspillé des ressources, pour des résultats négligeables.

En subordonnant à Guerassimov le commandant des forces aérospatiales Sourovikine, dont la nomination le 8 octobre avait reçu un large soutien des Wagneristes, Poutine met fin à une parenthèse. Il ne croit plus en Sourovikine et Prigojine. L’ancien commandant en chef en Ukraine et le chef de Wagner, son allié, ont épuisé le temps qui leur était alloué pour tenir leurs promesses. En effet, Poutine s’était probablement tourné vers Prigojine pour qu’il l’aide à traverser la période ayant suivi l’échec de l’opération spéciale russe, dont le dernier acte était la prise coûteuse et sans véritable importance militaire de Severodonetsk et Lysychansk, entre mai et juillet 2022. Ces offensives, qui ont suivi la bataille sanglante de Marioupol, ont profondément érodé la puissance de combat offensive russe dans le Donbass et le sud de l’Ukraine.

Fini de « jouer »

Dès les premiers jours de la guerre, les unités Wagner ont participé à l’effort russe à Louhansk et notamment dans les combats autour de Popasna (l’est de Bakhmout). Elles ont ensuite participé à la bataille de Severodonetsk avant de se tourner, au début du mois de juillet 2022, vers Bakhmout, devenu un objectif emblématique. C’est à ce moment-là probablement que l’idée d’utiliser des prisonniers comme chair à canon s’est concrétisée (les survivants de la première vague de recrutement dans les prisons viennent de terminer leurs contrats de six mois). Ce fut le début de l’ascension de Wagner et de son chef. 

A lire aussi, Mériadec Raffray: L’armée française, le grand déclassement

Poutine a probablement utilisé Prigojine et ses hommes comme pis-aller (des bouche-trous !) pour maintenir la pression opérationnelle sur les Ukrainiens sur certains secteurs du front. L’idée de recruter des prisonniers par l’entremise du groupe Wagner – ce qui était difficilement envisageable dans le cadre de l’armée – semblait aussi intéressante. De son côté, le général Sourovikine portait l’idée de l’utilisation massive des missiles longue portée pour détruire l’infrastructure énergétique ukrainienne. Une chance a été donnée à Prigojine et Sourovikine de faire la démonstration de ce dont ils étaient capables avec leurs idées. Début 2023, leurs efforts semblent décevoir fortement Poutine. 

Pire, devenue star, Prigojine a redoublé d’efforts pour s’affirmer comme un acteur politique et stratégique, annonçant avec arrogance la supériorité de ses troupes paramilitaires sur celles de l’armée régulière. Il a même toléré, voire encouragé des propos orduriers à l’encontre du ministère de la Défense et de l’armée tenus pas certains de ses hommes dans des vidéos postées sur les réseaux sociaux. Clairement, Prigojine a essayé de se positionner comme celui qui « réussit là où l’armée et le ministère ne cessent d’échouer ». Mais Bakhmout n’est pas encore tombée, les Ukrainiens grelottent mais ne se rendent pas, et l’hiver prendra fin dans cinq à six semaines… En conséquence, Poutine a décidé de siffler la fin de la récré. Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, s’est permis quelques déclarations assez désobligeantes vis-à-vis de Wagner et, surtout, il s’efforce désormais de minimiser le rôle de Prigojine et de ses hommes dans la prise de Soledar. Le 16 janvier, Peskov a ouvertement accusé Prigojine d’avoir délibérément attisé le conflit entre le ministère russe de la Défense et Wagner. Et le pire des camouflets est venu de Poutine lui-même. La veille, lors d’un entretien télévisé, il n’avait pas crédité Prigojine et Wagner pour la capture de Soledar.

Avec la nomination de Valéri Guerassimov à la tête des opérations sur le front ukrainien, Poutine essaie de mettre fin au débat ayant trait aux performances de l’armée et aux responsabilités de cette dernière dans les échecs de 2022. En lui laissant la casquette de chef d’État-Major des armées, il signale que la Russie opère un « restart ». Et surtout, Poutine lance la transformation de son pays pour enfin répondre, en miroir, à la mobilisation inattendue et immédiate des Ukrainiens face à son agression: mobilisation générale des hommes, des usines, de l’économie et de toutes les ressources. Car ce qui ne devait être qu’un sprint de 100 mètres s’est transformé en un marathon (pour ne pas dire en une épreuve de l’Ironman !). 

Dans les colonnes infernales de « Libé », on incendie un film sur la guerre de Vendée

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Hugo Becker dans le rôle de François-Athanase Charette de La Contrie, dans le film « Vaincre ou mourir », réalisé par Vincent Mottez et Paul Mignot et produit par le Puy du Fou. © Puy du Fou

Sur France Inter comme dans les colonnes de Libération, l’heure est à la charge contre un film qui, contrairement aux dernières lamentables productions cinématographiques françaises, ne fait pas dans le wokisme ni dans l’éloge des passeurs de migrants…


Vaincre ou mourir est un film-récit sur la guerre de Vendée inspiré de la vie du général royaliste François Athanase Charette de la Contrie. Et ça, ce n’est pas du tout du goût des journalistes de Libération et de Claude Askolovitch.

Le Puy du Fourbe…

Ce dernier ouvre les hostilités dès potron-minet sur France Inter. Comme tous les jours, il cite son quotidien favori avec une gourmandise non dissimulée. Libération, salive-t-il, « déchire » le film produit par le Puy du Fou parce qu’il fait « partie d’une offensive des ultra-réactionnaires pour instiller une vision de l’histoire anti-républicaine et un imaginaire catholique et royaliste ». Il est à noter que ni Claude Askolovitch ni les critiques de Libé n’ont jamais décelé la moindre offensive ultra-progressiste, wokiste ou archi-immigrationniste dans les récents films français très orientés et très subventionnés qui, Dieu merci, ont tous fait des bides absolus malgré le soutien de la radio publique et des journaux les mieux disposés quand il s’agit de répandre la propagande gauchiste.

Les propos d’Askolovitch ont eu l’intérêt de me forcer à lire l’article stupidement belliqueux de Libé. En plus de la Une et d’un éditorial dans lequel il est expliqué que les ombres d’Éric Zemmour et de Vincent Bolloré planent au-dessus de ce film réactionnaire qui conduira immanquablement à des événements tragiques du même ordre que « l’assaut du capitole par les supporteurs de Donald Trump » (sic), cinq pleines pages sont consacrées à démolir Vaincre ou mourir et le parc du Puy du Fou. Elisabeth Franck-Dumas, « cheffe » du service culture du journal, méprise les paysans vendéens du film désirant « défendre ce qu’ils ont de plus cher, leurs fils, leur roi, leur foi », et ajoute, en bonne féministe : « Pour les filles, on repassera », ignorant visiblement que, lors de la levée en masse de 300 000 hommes décrétée par la Convention en 1793 – levée en masse qui déclencha justement la guerre de Vendée – seuls les jeunes hommes (souvent des fils de paysans) risquaient l’enrôlement de force dans l’armée révolutionnaire – d’où le cri du cœur de leurs pères.

Confusions, moqueries et méconnaissances

Le film rappelle que les Vendéens réclamaient le retour de leurs prêtres. « Ils sont où, d’ailleurs, les bons prêtres ?, se moque Mme Franck-Dumas, emprisonnés pour pédophilie ? » (Ah ! la bêtise hargneuse des ânes bâtés). Et de poursuivre : « L’absence d’explication sur tout ce qui a bien pu se passer en France depuis 1789 laisse les spectateurs dans l’ignorance et fait craindre que les bons prêtres aient été pris en otages par cette méchante République dont il est souvent question. » Mme Franck-Dumas ne sait apparemment pas ce qu’a subi le clergé à partir de 1789, la nationalisation et la confiscation des biens de l’Église, l’interdiction des manifestations religieuses et du port de la soutane en dehors des actes religieux, la déchristianisation sur tout le territoire sous la menace obligeant les prêtres réfractaires à fuir s’ils ne veulent pas être déportés ou massacrés. En Vendée, la « méchante république » ne s’est pas contentée de « prendre en otages » les prêtres réfractaires : plus de 150 d’entre eux, détenus à Nantes, feront ainsi partie des centaines de « contre-révolutionnaires » noyés sur l’ordre de Carrier.

A relire, Hervé Louboutin: Qui veut la peau du Puy du Fou?

La journaliste a interviewé Guillaume Lancereau, un « historien spécialiste de la Révolution française ». Ce dernier regrette que, dans ce film, on fasse « un saut historique monstrueux entre 1789 et 1793 […] comme si la Terreur était déjà contenue dans 1789 ». Primo, « Vaincre ou mourir » est un film sur la guerre de Vendée commencée en 1793, pas sur l’entièreté de la Révolution française (cette réflexion est aussi bête que si l’on avait reproché à l’excellent film d’Andrzej Wajda, « Danton », de ne pas avoir traité les cinq ans qui précèdent la chute du député montagnard en 1794) ; secundo, la thèse selon laquelle la Terreur était déjà contenue dans 1789 a toujours été très discutée : au contraire de Soboul ou Mathiez, Furet relève dans 1789 les prémices de la Terreur. Débat universitaire nécessaire. Mais M. Lancereau se contente de considérer que c’est « une thèse historiographique particulièrement réactionnaire ». Cet historien se plaint également d’avoir perçu dans le film « l’idée que le pouvoir central républicain a eu l’intention d’éradiquer le peuple vendéen », alors que, ajoute-t-il, « il n’y avait pas de volonté de l’État mais plutôt une impuissance à contrôler les exactions commises par les soldats […] Le film fait constamment comme si la Convention nationale avait voulu éradiquer les Vendéens ». Bon, voilà donc un « historien spécialiste de la Révolution française » qui ne sait rien de la loi votée par la Convention nationale le 1er octobre 1793, loi dite loi d’extermination et visant spécifiquement les Vendéens, et du rapport du Comité de salut public rédigé par Barère afin d’élaborer et d’entériner ladite loi, et dont voici la conclusion abrégée mais explicite : « Des contingents prodigieux […] semblaient annoncer que la justice nationale allait enfin effacer le nom de la Vendée du tableau des départements de la république. […] Détruisez la Vendée (suit la liste des armées, des « conspirateurs », des émigrés, des « brigands » qui doivent tomber avec la Vendée) […] La Vendée, et encore la Vendée, voilà le charbon politique qui dévore le cœur de la république française ; c’est là qu’il faut frapper. […] Détruisez la Vendée. Les brigands doivent être vaincus et exterminés sur leurs propres foyers. » Barère et la Convention nationale seront entendus. La destruction de la Vendée est inscrite dans le marbre de la révolution. Devant la résistance des Vendéens, le général Turreau conduit les fameuses et terrifiantes colonnes infernales qui reçoivent l’ordre d’exterminer les insurgés, y compris les femmes et les enfants. Le général Westermann, surnommé le boucher de Vendée, écrit à la Convention après sa victoire à Savenay en novembre 1793: « Il n’y a plus de Vendée. Elle est morte sous notre sabre aves ses femmes et ses enfants. […] Je n’ai pas un prisonnier à me reprocher. J’ai tout exterminé. Nous ne faisons pas de prisonniers, car il faudrait leur donner le pain de la liberté, et la pitié n’est pas révolutionnaire. » Les Vendéens, malgré tout, résistent. Le 28 février 1794, aux Lucs-sur-Boulogne, les troupes de Turreau, s’étonnant de ne trouver aucun homme dans ce village (ils sont partis grossir les armées vendéennes conduites par Charrette), imiteront l’impitoyable Westermann : le curé est éventré, les vieillards tués à coups de baïonnettes, l’église dans laquelle se sont réfugiés les femmes et les enfants est incendiée. Il y aura 564 morts et aucun survivant. Mais Élisabeth Franck-Dumas préfère nous « épargner les détails : batailles, empilement de cadavres – censés accréditer la thèse, historiquement fausse, d’un génocide vendéen ». Là encore il y aurait bien des choses à dire mais la place manque. Nous ne pouvons que conseiller à la journaliste de lire les nombreux livres consacrés à cette controverse historiographique.

Élisabeth Franck-Dumas et Guillaume Lancereau craignent le pire. Les « idées réactionnaires et antirépublicaines », affirment-ils, sont infusées dans l’esprit des Français par ce genre de film « insidieux » et par… CNews (sic). De plus, le Puy du Fou prend « une part disproportionnée dans ce qu’il faut définir comme une bataille culturelle, où il s’agit de faire entrer dans la tête d’un maximum de gens une vision réactionnaire et manichéenne ». Enfin, en guise de conclusion, Guillaume Lancereau lâche : « Il y a cette intention manifeste d’ancrer un peu plus dans les esprits que la France était glorieuse quand elle était catholique et monarchique. »