Accueil Société « Le niveau non pas des élèves mais des enseignants est en train de baisser cruellement »

« Le niveau non pas des élèves mais des enseignants est en train de baisser cruellement »

On ne peut attendre qu’ils enseignent à leurs élèves autre chose que leur propre ignorance.


« Le niveau non pas des élèves mais des enseignants est en train de baisser cruellement »
Jean-Paul Brighelli / Capture d'écran YouTube d'une vidéo de la chaine Sud Radio, du 25/03/22

Non, cette phrase n’est pas tirée d’une déclaration à l’emporte-pièce de notre polémiste favori : c’est Pierre Arditi, indéfectible soutien de la gauche depuis toujours, qui l’a lancée sur Europe 1, répondant à une question de Sonia Mabrouk. Tiens ! Les certitudes de la gauche bobo-caviar s’effriteraient-elles ? se demande notre chroniqueur.


 « Les enseignants, c’est capital, c’est eux qui vont faire les femmes et les hommes de demain », rappelle encore Arditi. Et d’évoquer ce prof qui jadis l’initia à la littérature en général et à Stendhal en particulier. Alors, Pierre, c’était mieux avant ?

Ce n’est pas un énième épisode de « prof bashing » comme on dit chez les pédagos syndicalistes en bon français. C’est la réalité qui, chassée par la porte durant trente années de pédagogisme aigu, d’idéologie contre-productive et de bonnes intentions délétères, revient par la fenêtre. Oui, le niveau des élèves, dont toutes les études prouvent qu’il ne cesse de sombrer dans les abysses, est dépendant du niveau des enseignants. Quand ces derniers ont été conditionnés dans des IUFM / ESPE / INESPE (barrez les sigles anciens en fonction de votre entrée dans le métier après une année d’intoxication pédagogique) où on leur a appris la « didactique » — apprendre à apprendre, tarte à la crème des mauvais profs — et non des savoirs réels, on ne peut attendre qu’ils enseignent à leurs élèves autre chose que leur propre ignorance. Et plus le niveau d’une classe est bas, plus il baisse. On fabrique des crétins, on parle pour eux, et on finit par s’aligner sur le niveau des plus faibles. Carton plein.

J’ai tenté d’expliquer cela mercredi dernier à Pascal Praud, au cours d’une émission matinale quelque peu saucissonnée par l’actualité, les pubs et les impératifs d’emploi du temps de tel ou tel intervenant. C’est à partir de la 41ème minute. Pas le temps d’expliquer vraiment, pas le temps de parler de cet indicateur sûr que fut le tout récent concours des professeurs des écoles, dont Caroline Beyer faisait dans Le Figaro du 15 décembre une analyse consternée. On se rappelle que le ministère, faute de candidats en nombre suffisant pour que ce concours en soit encore un, avait exceptionnellement rallongé de quelques semaines la date d’inscription— du jamais vu.

Le sujet proposé en Français était bien choisi, avec un texte d’une cinquantaine de vers de Victor Hugo — un poème très simple, de la prose familière mise en alexandrins, tiré de L’art d’être grand-père et s’adressant fictivement aux deux petits-enfants, Georges et Jeanne, dont la mort soudaine de son fils Charles lui avait valu la garde. Le lecteur curieux trouvera ici le texte complet, et les questions afférentes, auxquelles un petit niveau de Certificat d’Etudes des années 1960 permettait de répondre.

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Et Caroline Beyer de s’étonner : « [Les candidats] devaient notamment expliquer le mot « chancelants », qualifiant les petits-enfants du poète qui, âgés de moins de 2 ans, vacillent encore sur leurs jambes. « Ce terme a donné lieu à bon nombre d’interprétations fantaisistes », euphémise le jury de l’académie d’Amiens, avant de livrer un petit florilège. « Qui chante bien, chanceux, qui fait de la magie, pas sage, qui génère de la lumière ». Certains ont même tenté d’expliquer que le mot relevait de la famille de « chancelier » ».

Quant à l’épreuve de syntaxe proprement dite… « Dans les vers « Jugez comme cela disperse mes pensées » et « Je distingue ébloui l’ombre que font les palmes », les candidats devaient par exemple identifier trois pronoms. Si « je » l’a été aisément, « cela » et « que » n’ont pas souvent été repérés ». « Par ailleurs, de nombreux candidats ont analysé le  « l’ » comme pronom », indique une Académie ». Cela compense ceux qui — cela m’est arrivé en Hypokhâgne, la crème de la crème — croient que dans « Je les plante », « les » est un article, et non un pronom, et écrivent bravement « Je les plantes » — vertes, sans doute, les plantes…

Aussi, quelle idée de tendre des pièges… « Que » n’est-il pas toujours une conjonction ? Comment dites-vous ? « Pronom relatif » ? Heu… Mais encore ?

Demandez à un élève de Seconde ou de Première s’il a un jour étudié les pronoms relatifs. Et si ça n’a pas été fait avant — et il faudrait, comme autrefois, le faire en Primaire —, il n’y a aucune chance que ce soit fait après, les profs de Fac campent sur une dignité qui ne les autorise pas à condescendre à expliquer l’orthographe et la grammaire.

Mais ce sont là des valeurs bourgeoises. Comme le soulignait Eric Naulleau chez Pascal Praud dans l’émission sus-citée, la réprobation qui depuis trente ans frappe le « par cœur », explique que les enfants (et les ex-enfants) ne sachent ni la grammaire, ni les tables de multiplication. Ni la chronologie historique, ni rien. Français, Maths et Histoire-Géographie sont les trois grands oubliés des programmes imposés sous l’ineffable Vallaud-Belkacem. Sans doute s’était-elle considérée comme le modèle de savoir… Et je regrette fort que Jean-Michel Blanquer, qui avait pourtant nommé à la tête du Conseil Supérieur des Programmes une femme remarquable, Souâd Ayada (que Pap N’Diaye s’est dépêché d’appeler à d’autres fonctions, comme on dit, et a nommée à la tête de l’Institut d’islamologie, dans l’espérance qu’elle contrariera, laïque qu’elle est, l’entrisme des islamistes), n’ait pas trouvé en cinq ans le temps de réformer à son tour des programmes délétères.

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Il est vrai que les tentatives de Blanquer pour imposer, par exemple à Paris, une méthode alpha-syllabique d’apprentissage de la lecture ont été taxées par le SNUIPP, syndicat archi-dominant du Primaire, de « caporalisme ». Ce même syndicat, commentant à son tour les résultats cocasses et catastrophiques du récent concours de Professeur des Ecoles, a jugé indigne « ce recentrage sur le français et les maths et l’absence d’épreuves professionnalisantes ».

Parce qu’il faut dire toute la vérité : on ne peut passer ce concours qu’à Bac+5, après un master 2. Si possible un Master MEEF, consacré aux métiers de l’enseignement. Eh bien, les titulaires dudit sésame se sont plantés magnifiquement, comme les petits copains. Comment ? On n’apprend pas les fondamentaux dans les IUFM / ESPE / INSPE ? Heu… Et les gens qui y enseignent ne sont pas révoqués ? Eh non.

Ni condamnés à aller planter le riz en Camargue pendant quelques années. Ça leur donnerait pourtant le temps d’apprendre les conjugaisons (les candidats confondent l’imparfait et le présent du conditionnel) et les tables de multiplication : un âne multiplié par deux = deux néoprofs.

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Normalien et agrégé de lettres, Jean-Paul Brighelli a parcouru l'essentiel du paysage éducatif français, du collège à l'université. Il anime le blog "Bonnet d'âne" hébergé par Causeur.

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