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Ukraine: le crépuscule de Wagner?

L'analyse géopolitique de Gil Mihaely


Ukraine: le crépuscule de Wagner?
Vladimir Poutine à Saint Petersbourg, le 18 janvier 2023 © Kremlin Pool/UPI/Shutterstock/SIPA

Le 11 janvier, le président russe Vladimir Poutine a décidé de nommer Valéri Guerassimov au commandement général du groupement conjoint des forces en Ukraine, remplaçant ainsi le général Sergueï Sourovikine – devenu désormais son subordonné. Cette nomination pose de nombreuses questions.


Couverture de « Paris Match »

D’abord, pourquoi changer de commandement, trois mois à peine après avoir nommé Sourovikine à ce même poste ? Et puis, pourquoi nommer Guerassimov, l’homme responsable de l’état déplorable des forces armées russes ? Car ce général d’armée de 67 ans occupe depuis 2012 les postes de premier vice-ministre de la Défense et de chef d’Etat-Major des armées. Et, ex-officio, il est également membre du Conseil de défense nationale. Guerassimov est donc doublement responsable de l’échec militaire et stratégique russe. Tout d’abord en tant que responsable de la construction de l’outil militaire russe pendant la décennie précédant l’invasion de l’Ukraine. La doctrine, le matériel, les ressources humaines, l’entraînement, les promotions et les allocations budgétaires : sur tous ces points, Gherassimov avait la main et depuis assez longtemps pour façonner les armées russes et assimiler les leçons de la seconde guerre du Golfe, de la Géorgie et de la Syrie… Pire, ce général, né quand Joukov était ministre de la Défense de l’URSS, est co-responsable de la manière désastreuse dont la guerre a été planifiée et déclenchée ! On se souvient que Poutine souhaitait déclencher une offensive éclair contre l’Ukraine, qui devait être facilement menée, selon les services de renseignement (le FSB), et dans laquelle l’armée professionnelle jouerait les seconds violons… Gherassimov ne l’a pas empêché. Il a laissé Poutine écarter l’armée de la réflexion sur la campagne. Il a soutenu de facto le président russe quand ce dernier prétendait refaire la campagne de 2014, et, grâce à des agents doubles du FSB en Ukraine et à leurs équipes d’assassins, pouvoir tuer Zelenski et les autres leaders ukrainiens dans les premières heures de la guerre. Il a ensuite laissé son armée partir au casse-pipe sur les fondements d’un plan improbable.

Poutine lâche Prigojine

Et pourtant, c’est donc bien cet homme qui se retrouve aujourd’hui grand ordonnateur en charge de préparer l’armée à la poursuite de la guerre, en même temps qu’il la commande déjà sur le champ de bataille. Marshall et Eisenhower, dans le même homme. Quel est le sens de cette décision prise par Poutine ? Le président russe semble avoir décidé, enfin, de se retourner vers son armée et les professionnels de la guerre et de la chose militaire. Au Kremlin, on ne compte plus sur l’homme d’affaires Evgueni Prigojine, sa troupe d’irréguliers et de prisonniers en uniforme de Wagner. On se fie désormais plutôt à Guerassimov, à Sergueï Choïgou et à l’armée russe.  

Le ministre de la Défense russe Sergueï Choïgou, Moscou, 21 septembre 2022 © Vadim Savitskii/SPUTNIK/SIPA

Ainsi, le 17 janvier, quelques jours après la nomination de Guerassimov, le ministère de la Défense  – que Guerassimov co-dirige toujours – a annoncé des réformes à grande échelle dont l’objectif est une refonte des forces armées russes. Les effectifs vont gonfler (jusqu’à 1,5 million de soldats en 2026), ainsi que le nombre d’unités, l’encadrement et le matériel. L’opération spéciale est donc désormais pensée et perçue à Moscou selon une logique et un calendrier dignes de la Seconde Guerre mondiale. Ces réformes et nominations importantes marquent une inflexion significative. Elles témoignent de la déception russe quant aux efforts passés, qui n’étaient pas inscrits dans une vision globale et qui ont donc dispersé et gaspillé des ressources, pour des résultats négligeables.

En subordonnant à Guerassimov le commandant des forces aérospatiales Sourovikine, dont la nomination le 8 octobre avait reçu un large soutien des Wagneristes, Poutine met fin à une parenthèse. Il ne croit plus en Sourovikine et Prigojine. L’ancien commandant en chef en Ukraine et le chef de Wagner, son allié, ont épuisé le temps qui leur était alloué pour tenir leurs promesses. En effet, Poutine s’était probablement tourné vers Prigojine pour qu’il l’aide à traverser la période ayant suivi l’échec de l’opération spéciale russe, dont le dernier acte était la prise coûteuse et sans véritable importance militaire de Severodonetsk et Lysychansk, entre mai et juillet 2022. Ces offensives, qui ont suivi la bataille sanglante de Marioupol, ont profondément érodé la puissance de combat offensive russe dans le Donbass et le sud de l’Ukraine.

Fini de « jouer »

Dès les premiers jours de la guerre, les unités Wagner ont participé à l’effort russe à Louhansk et notamment dans les combats autour de Popasna (l’est de Bakhmout). Elles ont ensuite participé à la bataille de Severodonetsk avant de se tourner, au début du mois de juillet 2022, vers Bakhmout, devenu un objectif emblématique. C’est à ce moment-là probablement que l’idée d’utiliser des prisonniers comme chair à canon s’est concrétisée (les survivants de la première vague de recrutement dans les prisons viennent de terminer leurs contrats de six mois). Ce fut le début de l’ascension de Wagner et de son chef. 

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Poutine a probablement utilisé Prigojine et ses hommes comme pis-aller (des bouche-trous !) pour maintenir la pression opérationnelle sur les Ukrainiens sur certains secteurs du front. L’idée de recruter des prisonniers par l’entremise du groupe Wagner – ce qui était difficilement envisageable dans le cadre de l’armée – semblait aussi intéressante. De son côté, le général Sourovikine portait l’idée de l’utilisation massive des missiles longue portée pour détruire l’infrastructure énergétique ukrainienne. Une chance a été donnée à Prigojine et Sourovikine de faire la démonstration de ce dont ils étaient capables avec leurs idées. Début 2023, leurs efforts semblent décevoir fortement Poutine. 

Pire, devenue star, Prigojine a redoublé d’efforts pour s’affirmer comme un acteur politique et stratégique, annonçant avec arrogance la supériorité de ses troupes paramilitaires sur celles de l’armée régulière. Il a même toléré, voire encouragé des propos orduriers à l’encontre du ministère de la Défense et de l’armée tenus pas certains de ses hommes dans des vidéos postées sur les réseaux sociaux. Clairement, Prigojine a essayé de se positionner comme celui qui « réussit là où l’armée et le ministère ne cessent d’échouer ». Mais Bakhmout n’est pas encore tombée, les Ukrainiens grelottent mais ne se rendent pas, et l’hiver prendra fin dans cinq à six semaines… En conséquence, Poutine a décidé de siffler la fin de la récré. Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, s’est permis quelques déclarations assez désobligeantes vis-à-vis de Wagner et, surtout, il s’efforce désormais de minimiser le rôle de Prigojine et de ses hommes dans la prise de Soledar. Le 16 janvier, Peskov a ouvertement accusé Prigojine d’avoir délibérément attisé le conflit entre le ministère russe de la Défense et Wagner. Et le pire des camouflets est venu de Poutine lui-même. La veille, lors d’un entretien télévisé, il n’avait pas crédité Prigojine et Wagner pour la capture de Soledar.

Avec la nomination de Valéri Guerassimov à la tête des opérations sur le front ukrainien, Poutine essaie de mettre fin au débat ayant trait aux performances de l’armée et aux responsabilités de cette dernière dans les échecs de 2022. En lui laissant la casquette de chef d’État-Major des armées, il signale que la Russie opère un « restart ». Et surtout, Poutine lance la transformation de son pays pour enfin répondre, en miroir, à la mobilisation inattendue et immédiate des Ukrainiens face à son agression: mobilisation générale des hommes, des usines, de l’économie et de toutes les ressources. Car ce qui ne devait être qu’un sprint de 100 mètres s’est transformé en un marathon (pour ne pas dire en une épreuve de l’Ironman !). 



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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